• Sur les traces du Roi Arthur

     

    Fernand Schwarz  
    Le cycle des romans de la Table Ronde recrée le mythe du Roi Arthur. A lui seul, il évoque la profondeur des origines, l'organisation de l'univers, l'épanouissement de la vie et enfin le retour aux origines par l'usure des énergies. Il est à la fois unique et universel.

    Chaque personnage des romans de la Table Ronde incarne un des multiples visages d'une même et unique entité que l'on appelle "Dragon". Dans la mythologie, le Dragon est un personnage essentiel : il représente les mille et un visages de cet ordre intelligent qu'est le cosmos.

     
    Le combat contre le Dragon

     

    Vaincre le Dragon, s'habiller de sa peau, n'implique pas la destruction du mal mais l'incarnation temporelle des forces transcendantes. En vérité, ce Dragon en contient deux. Avant la naissance d'Arthur, un combat entre deux Dragons eut lieu autour du château. Lorsqu'on enlève à ces représentations mythiques leur côté diabolique, on découvre les vérités profondes qui cohabitent : l'un et l'autre Dragons représentent les forces du Bien et du Mal, les polarités de l'univers, le soleil et la lune, le jour et la nuit, l'homme et la femme.

    Il est évident que tout cela incarne un cycle temporel, une vision mythique originelle qui appelle au dépassement du temps.

    Il y eut certainement plusieurs Arthur dans l'histoire de l'humanité et autant de Merlin. Le cycle arthurien représente pour l'Europe une structure cohérente. Elle permet de voir comment l'histoire s'est organisée autour des idées essentielles qui ont su s'incarner vers les Ve et VIe siècles après Jésus-Christ, à un moment où tout était voué au déclin.

    La Quête du Roi Arthur s'est déroulée à l'époque du christianisme montant, quand il ne connaissait pas encore son plein essor, à l'époque aussi de la décadence de Rome, dans un monde celto-druidique qui essaie de revivre. Le moine Pélage va essayer d'évangéliser la Cornouaille. Il ne cherche pas à christianiser mais à revivifier le message, à le promouvoir et à créer ainsi un nouveau courant historique. C'est probablement grâce à lui que le mythe d'Arthur pourra s'incarner, car il ne sera pas freiné par la puissance temporelle.

    On se trouve à l'aube d'une nouvelle histoire, à ce moment où il ne fait ni nuit ni jour, où tout est possible. C'est probablement dans ce moment-là que le modèle s'incarne une fois de plus à travers les hommes.

    Pour retrouver le mythe du Roi Arthur, remontons aux origines, en Angleterre, plus exactement en Cornouaille. Arthur est né au château de Tintagel, situé sur un coin de terre isolé par le fleuve Avalon d'un côté, par la mer de l'autre. Le théâtre du cycle arthurien est un terrain d'environ 100 kms de longueur sur 70 kms de largeur. En 508, il était possible de traverser à pied la distance qui sépare aujourd'hui la Bretagne de l'île de Jersey.

     
    La vie et la connaissance

     

    Tintagel est important car il est lié au Jardin des Hespérides, à la vie qui est apportée par le fleuve qui l'entoure. Une vieille légende disait que ce Jardin des Hespérides (Iles fabuleuses de l'Atlantique, les Canaries, croit-on), était l'Ile des bienheureux, mais aussi la source de la connaissance. Héraklès s'y rendit pour ramasser des fruits, des pommes d'or, qui représentaient la vie perdue, la vie des origines.

    Arthur symbolise la constellation de la Grande Ourse. Son étoile principale se nomme Arcturus et indique la Polaire. Aussi incarne-t-il l'axe polaire, devenu visible par le monde. L'univers entier découle de ce point fixe qui détermine son organisation verticale, émanation de la vie à laquelle le Roi est associé. "Le Roi et la Terre ne font qu'un".

    Pourquoi le symbole de l'ours ? Parce que, ours terrestre, il aime les pommes, emblèmes de la vie, de la connaissance et de la résurrection ; ours céleste, il est l'oeil visible de l'univers et le centre du Monde.

    Sous son château ont été trouvés d'importants vestiges datant du IIIe siècle, représentant un premier niveau mégalithique où tout se confond. C'est là que se trouve la caverne de Merlin. Cette grotte orientée au nord-est, conduisant vers le sud-ouest, est liée aux mystères du sous-terre. Un passage menait directement au château du Roi dans un élan vertical, impliquant que les choses sont nées de l'esprit de la nuit, de l'abîme primordial, et jaillissent vers un sommet qui, en éclatant, donne la voûte du ciel et le visible.

    De tous temps, en effet, l'homme vénère ce qu'il voit, et devient adorateur du soleil, de la lune... mais ces astres, nés de l'esprit de la nuit, nous les nommerons le Dragon.

     
    Le cycle arthurien

     

    Les fouilles ont permis de constater que le lieu où fut rebâti le château du Roi Arthur vers le XIIe siècle avait été habité, aux environs du IIIe siècle, par des prêtres celtes, des druides. Cet endroit était donc prédestiné au mythe arthurien qui disparaît et reparaît comme les marées d'équinoxe. En effet, une résurgence aura lieu vers les VIIIe et IXe siècles, lors de la lutte entre les Saxons et les Bretons (de Grande-Bretagne). Une autre vague arthurienne reviendra avec Guillaume le Conquérant vers le XIIe siècle. De cette époque, nous viennent les récits écrits par Chrétien de Troyes, dans lesquels on retrouve l'existence des deux Dragons du bien et du mal.

    Cela explique comment un modèle, bien structuré autour du psychisme et de l'architecture mentale invisible de l'homme, reprend sa force plusieurs fois pour finalement concrétiser le rêve de la chevalerie qui va s'étendre et se diluer à la fois, car au fur et à mesure que le mythe est mieux exposé et s'enrichit, il perd peu à peu son contenu invisible : la temporalité l'envahit lentement.

    Arthur a été conçu en hiver et il est important d'apporter une attention particulière aux points solsticiaux. Dans la chrétienté, le solstice d'hiver est lié bien sûr à la naissance du Christ, mais en réalité, il est plus exactement lié à la naissance de tout ce qui va renouveler le cycle.

    A l'extrême opposé, le solstice d'été est le moment où le soleil perd de sa puissance. Lorsque le soleil se lève juste au milieu de l'horizon, il est dans l'axe équinoxial (automne et printemps), essentiel à tout ce qui touche à la vie, à l'épanouissement, à la vieillesse, à la préparation à la mort.

    Chaque point cardinal est lié à une saison : l'est au printemps, le sud à l'été, l'ouest à l'automne et le nord à l'hiver (proche de tout ce qui est l'aube, les ténèbres, les origines). Il est important de noter que tous ces points n'avaient pas seulement pour fonction d'indiquer un noeud tellurique, mais de relier un noeud énergétique terrestre à un noeud énergétique céleste afin de transposer, en les faisant circuler, les énergies du haut et du bas.

    Le début du cycle arthurien correspond à un changement du temps : le temps de Dieu passe dans le temps des hommes. Ce changement sera représenté par le travail d'Arthur, la construction d'un monde organisé où le mage, l'initié, reste à l'état idéal et invisible (Merlin enfermé dans le monde de glace). Ce cycle qui commence, sous la responsabilité d'un homme, aura aussi une fin. Merlin dira : "Le cycle des hommes est révolu, c'est le cycle de Dieu qui commence".

    Le retour du cycle représente une nouvelle incarnation du modèle par les hommes.

     
    Merlin et Arthur

     

    Merlin représente le pôle invisible, Arthur, le pôle visible. Merlin porte la connaissance initiatique, il est aussi le Maître de la grotte, de cette caverne qui représente la matrice, l'origine du monde. La grotte représente la communication entre le ciel et la terre. Merlin habite ce milieu obscur mais il est en relation directe avec le château, avec Arthur, qui se trouve en surface, assurant la partie visible de Merlin qui est son conseiller. Merlin n'agit pas dans le monde, il ne fait que chuchoter, laisser faire le cours du destin, donc la temporalité. Il permet à l'homme de s'assumer. Le pôle invisible qu'incarne Merlin est ce que l'on pourrait appeler le "soleil de minuit", car si le soleil de midi est le soleil visible qui représente les forces vitales épanouies dans le solstice d'été, il a son antithèse dans le solstice d'hiver, dans une parfaite simultanéité.

    Merlin est le souffle qui a la capacité d'invoquer les forces invisibles qui peuvent se manifester sous formes de mouvements visibles. C'est pour cette raison qu'il va rester enfermé dans un cercle magique représentant à la fois l'hiver et le signe zodiacal du Verseau.

    Merlin, après chaque intervention sur terre, doit se régénérer en dormant, car le sommeil profond est une sorte de mort cataleptique. Cette notion se rattache à la "noyade d'Osiris" dans la tradition égyptienne.

    Merlin fera naître Arthur au milieu du solstice d'hiver, au moment où les puissances des origines sont les plus proches et les puissances temporelles les plus lointaines.

    La connaissance que Merlin apporte aux hommes, c'est l'éveil, la remémorisation, la destruction de l'oubli. Merlin représente cette mémoire constante, cette capacité de toujours régénérer et expliquer les choses comme elles sont à l'homme, l'homme centre du monde, l'homme idéal que représente Arthur, car entre Arthur et Merlin, les deux solstices sont liés avec interpénétration et passage. L'axe du monde est ainsi tracé : Arthur-Merlin, Merlin-Arthur.

    Arthur, conception d'un pôle obscur représenté par Merlin, est un peu le fils du feu sans flamme, le feu alchimique ; il est comme une étoile, fait d'une matière presque incorruptible. Arthur et la terre font un, c'est pour cette raison que, lorsque le cycle arthurien avance dans la chronologie, l'éducation d'Arthur reste secrète jusqu'à la fameuse épreuve d'Excalibur.

     
    L'épée magique

     

    L'axe une fois construit, cela doit se matérialiser dans une opération importante (Sans effort, Arthur retire Excalibur de la pierre où elle était fichée sans que nul autre ait pu l'en arracher) car l'épée, outre le fait d'être une arme meurtrière, est avant tout un élément symbolique mais fonctionnel.

    Le symbole n'a jamais été pour les sociétés traditionnelles un décor fictif. Il est un médiateur fonctionnel entre ce que nous sommes et ce que nous ne sommes pas, entre nous et notre environnement ; il rassemble esthétique et éthique. Il est porteur de vérité, de principes, mais il est également opérationnel.

    L'épée, arme magique, arme tranchante dont le fil est toujours en avant, est le symbole parfait d'une poussée triangulaire, tantôt vers le haut ou vers l'avant, symbole particulièrement précis d'une nature, du feu et de l'intelligence, tantôt dans les réalités par sa pointe, tantôt par sa garde devenant croix. D'une certaine manière, l'épée garde le fil coupant de l'invisible, car son tranchant est invisible.

    L'épée magique s'incarne dans un rocher (matière pure, matière primordiale, pierre-axe, pierre-centre). Le siège de l'épée, incarnation du feu céleste sur terre et de l'invulnérabilité, donnait la possibilité à quelqu'un de temporel de communiquer avec l'indestructible. C'est Arthur, l'homme vertical, qui peut déterrer l'axe vertical puisqu'ils sont une seule et même chose.

    L'épée arrachée au secret du rocher primordial, non taillé, le temps se met en marche, le cycle commence et circule. Les chevaliers se réunissent autour d'une épée de flamme, coupant les ténèbres d'un fil invisible. Le chevalier qui craint les ténèbres ne peut les habiter.

    Arthur doit vaincre les ténèbres sans les détruire. Il crée la possibilité de réunir des personnes dans un cercle au sommet des montagnes et de communier avec elles, afin que toutes aient au fond d'elles-mêmes la lumière, et puissent entrer en contemplation. La contemplation étant la capacité de s'identifier aux choses sans les morceler ni les détruire et de créer une unité vivante entre les choses et soi. Elle diffère de la possession dans laquelle les choses sont assimilées à soi et deviennent des objets.

     
    A la conquête du Graal

     

    Arthur qui est la projection de Merlin, déterre l'épée et met un cycle en marche. Le rocher magique est oublié, il s'est intégré à l'origine et un nouvel axe va naître. Guenièvre représente l'axe de l'automne, elle n'est pas simplement le complément féminin, donc médiateur et équinoxial d'Arthur. Elle est en rapport avec la constellation de la Vierge, le mûrissement de la nature.

    Elle amène les fruits, le vin, le sang. Elle symbolise le combat avec soi-même, comme celui qu'affronte Lancelot. L'union de Guenièvre et de Lancelot symbolise l'humanité. Arthur va déposer son épée entre eux deux : l'épée est l'axe qui représente l'idée monolithique du vertical. En replongeant l'épée sur la terre manifestée, il plante une croix sur le globe, et d'une certaine manière, il féconde la terre et génère le monde. Lancelot part. Arthur reste mais se sépare d'Excalibur. Il vient de se dissocier et d'entrer dans la génération. Il s'affaiblit comme l'hiver lorsque la terre ne produit plus. Merlin est dans sa grotte de froid, au coeur de l'hiver, dans le Verseau. Il faut alors que les chevaliers de la Table Ronde partent à la quête du lien manquant, le "sang" d'Arthur, contenu dans le Graal, la coupe au double mystère.

     




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