• LA ROUE DE LA FORTUNE  
    DE LA  
    CATHÉDRALE D'AMIENS  
     
      
     
    Cette introduction à certains  problèmes  posés  par  les  Cathédrales,  en  particulier  par  celle d'Amiens, a été, ici, volontairement axée sur un thème déterminé ; elle a été traitée dans l'esprit de la redécouverte de la Tradition, redécouverte qui, à  nos yeux, représente la résurgence la plus étonnante de notre époque et qui consiste à admettre qu'en dehors de l'Univers Judéo-chrétien et Islamique, il puisse exister d'autres religions traditionnelles. Ceci a été particulièrement mis en lumière par Henrich Zimmer et le grand Ananda Coomaraswamy.  
    Cette étude présuppose une connaissance de l'art religieux du Moyen Age en vertu du Principe selon lequel toute métaphysique sous-entend d'abord une solide base physique.  
    Nous avons constaté que le thème des Rosaces, roses et Roues de Fortune, n'avait jamais été complètement traité et nous avons pensé qu'il serait intéressant de dégager le thème signifié par la Roue de la Fortune d'Amiens et de le mettre en rapport avec ceux des Mandalas, Chakras et autres symboles circulaires, étant entendu que, par-delà la variété déconcertante des symboles, se cache la Révélation Divine qui, elle, est Une, sous ses différenciations : « Quod ubique, quod ab omnibus et quod semper. » Précisons encore que cette étude n'est pas d'ordre littéraire et que toutes les répétitions dans le texte sont volontairement allusives. Puissent nos lecteurs, à l'issue de cette étude, être réintégrés par le Démiurge au Centre de la Roue, là où il n'y a plus que le Tout, dans la Joie et la Paix éternelles ! 
     
     La Roue de la Fortune d'Amiens est une des plus belles du monde, ainsi que la rosace en son centre. A l'extérieur de cette Roue de la Fortune, l'extrados du cintre supérieur de la rose est garni d'une suite de redents formant dix-sept festons, dans chacun desquels se trouve un personnage. 
     
     Du côté gauche (face à la rosace), les personnages montent vers le sommet et à ce sommet se trouve un Roi assis, la tête couronnée, les deux mains sur les genoux, dans la pose hiératique de la statuaire égyptienne.  
     A sa droite, nous voyons un chien-loup, assis qui le regarde; c'est Anubis, le dieu des morts celui  qui  assiste  à  la  pesée  des  coeurs  lors  du jugement des morts dans l'Ancienne Egypte. C'est l'Anubis-Hermès, le guide, le peseur des âmes, rôle repris par saint Michel ; il y a également là une allusion aux Compagnons Etrangers Du Devoir De Liberté ou de Salomon qui s'appellent eux-mêmes les Loups. Ceci est confirmé par le fait qu'au centre de la rose se trouvent deux sceaux de Salomon inclinés en oblique. C'est aussi le chien légendaire  dont  on  donna  le  nom  à  Sirius,  l'étoile primaire de la constellation du Grand Chien, c'est à-dire le lever héliaque vers le solstice d'été. A cette époque, le Soleil et Sirius se levaient en même temps et ils marquaient le début de l'été le 21 juin. Sur un autre plan, ils annonçaient les jours caniculaires,  dont  les  anciens  jugeaient  les  influences désastreuses et l'on prétendait que les Médecins ne pouvaient rien contre les maladies caniculaires. Pour conjurer le sort, on sacrifiait un chien roux. Cela signifiait aussi, pour les Alchimistes, que le temps du Grand Œuvre était terminé, les opérations commençant au Bélier et devant être terminées avant le 21 juin.  
    Ce personnage couronné, c'est le Vieux Roi, c'est Saturne, c'est le Grand Architecte, celui qui a créé le Monde et le surveille : « Aspice convexit mutandem pondère mundum. » Le Monde oscille sur le point de tourner (Virgile, IV Eglogue), le Monde qui tourne journellement, hebdomadairement, mensuellement et au rythme des quatre saisons ainsi que lors  de la Grande  Année  de 25920 ans. C'est également celui qui conduit la Vie ( «Zoé Diaconé », conduire la vie), qui surveille le Zodiaque.  
    Il  y  a  identité  symbolique  entre  la  rosace, le cercle et la Roue qui est particulièrement le symbole du monde en état de rotation. Il y a fusion symbolique entre le Lotus, la Roue et la Rose ; ce sont des symboles du Verbe Divin et de son expansion rayonnante sur le monde.  
    En Kabbale, c'est Malkout : le royaume personnifié par le Roi assis au sommet de la rose. Le thème d'Amiens se retrouve exactement dans le célèbre manuscrit, L'Hortus deliciarum, d'Herrade de Landsberg, du XII° siècle où, sur une des miniatures, nous voyons le roi couronné, assis sur le  sommet  de  la  roue,  tenant  dans  chacune  de ses mains un calice ; également, comme à Amiens, tous les personnages du côté droit de la roue chutent ! Car la rosace n'est pas une invention esthétique de l'Art français, improprement surnommé gothique, mais c'est un abrégé encyclopédique des connaissances et des croyances depuis les temps anciens jusqu'au Moyen Age. Cet abrégé, cette image en raccourci de la nature et des quatre éléments, le microcosme, est représenté symboliquement par l'homme qui est la clef de la création et  aussi  le  Roi  de  la  création  divine.  Cette ascension de la roue de la fortune, c'est la tentative de reconquête de l'état primordial d'avant la Chute.  
    C'est  encore  un  abrégé  de  l'histoire  de  notre civilisation qui est partie des  Rois Divins pour aboutir aux états policiers actuels, par le fait de la perte de la tradition qui a entraîné la perte de la Gnose.  
    La chute de l'homme, c'est la dualité, l'histoire étant le déroulement de l'incarnation du Verbe Divin initiant l'homme à l'intelligence pour le conduire à la Connaissance. C'est l'obscurcissement, par la bêtise humaine, des  révélations divines conduisant à la perte du Verbe. C'est le passage du Paradis Terrestre qui est le centre de la roue, à la  Chute,  c'est-à-dire  aux  rayons,  jusqu'à  la  circonférence de la roue.  Le temps est l'énorme illusion et la plus belle invitation au « sommeil », c'est  la  « philosophie »  dans  le  sens  actuel  du Terme.  
    Le Moyen Age fut un essai de restauration des données traditionnelles, car le vrai monde est la parole de Dieu et toute construction et organisation d'un monde ne sont que l'incarnation dans les sociétés de la révélation divine, incarnation réalisée grâce à des schèmes géométriques.  
    Il   n'y   a  pas  de  valeurs   acquises. Il faut maintenir constamment, « Agir l'acte à agir sans t'attacher à  l'acte et  en renonçant  au  fruit  de l'acte (Bhagavad-Gîta).  Alors,  tu  verras  Dieu  se substituer à toi pour conduire le déterminisme de ton destin : il faut passer du quantitatif au qualitatif ou de l'extérieur de la roue au centre de la roue », car l'extérieur de la roue est ce qui est « centripète »,  c'est-à-dire  tout  ce  qui  fuit  la révélation divine, l'histoire du monde profane qui est  une  suite,  un  enchaînement  d'événements négatifs et sataniques. La civilisation traditionnelle est  l'organisation  des  espaces  et  des  temps, dépassement de l'organisation terrestre pour la projection dans le divin. Le temps profane est l'énorme illusion ce que la tradition asiatique et hindoue appelle Maya.  
    La cathédrale est une matérialisation en pierres de l'enseignement du Verbe Divin dans le temps pour sacraliser le temps, le sacré. C'est le noyau, le centre de la roue « car il ne peut y avoir de totalité que s'il y a un centre. » Là où il y a un centre, le Divin peut descendre ;  Dieu est une sphère, dont le Centre est partout et la circonférence nulle part, selon le célèbre adage antique.  
    Les hommes tombant de la roue de la fortune d'Amiens symbolisent les activités profanes, le monde des activités illusoires, le monde de l'identification, ceux qui sont à l'extérieur du cercle ou Chakra, dont le nom signifie en sanscrit : roue, tourbillon,  centre  de  vie,  cercle  de  vibrations divines. N'oublions pas que la roue, ou chakra, est l'emblème du bouddhisme (l) et qu'il existe un Mandala comportant treize cercles concentriques symbolisant  les  degrés  progressifs  par lesquels l'initié s'achemine vers la Connaissance, dans l'iconographie bouddhique du petit véhicule.  
    Dans la tradition brahmanique, Dieu réside au centre de la rose et une des ascèses yogis a pour but la Sambodha-Kaya, c'est-à-dire l'ouverture du Lotus ou, dans le langage rosicrucien : l'épanouissement de la Rose (2).  
    La cathédrale d'Amiens est une matéphysique du temps ; elle est conçue sur des tracés basés sur le cercle, elle est une combinaison des tracés « More Quadrato » et « More Germanico », dont la définition  est  la  suivante :  « Un  point  qui  se place dans le cercle, qui se trouve dans le carré et dans  le  triangle ;  si  tu  tires  le point  tu  es sauvé, tiré de peine, d'angoisse, de danger. »  
    II s'agit donc de voir la terre dans le carré ; le ciel :  un cercle ou  « de faire passer le carré  au rond grâce au tracé », c'est-à-dire le dessin sauveur, le Yamtra  et c'est là le grand secret des Compagnons Etrangers Du Devoir De Liberté, des Loups, à qui nous devons la cathédrale d'Amiens.  
    Les  Compagnons  Etrangers  se  retrouvaient devant la Rose d'Amiens, car la rose à cinq pétales séparés est le symbole de l'initié, libre (ce qui ne veut  pas  dire  la  Libre  pensée).  Et  là,  les Compagnons se parlaient « sub-rosa » ! Le point central de la rose, c'est aussi le Soleil hermétique, autour duquel évolue toute la création, l'or des Alchimistes, le Logos. Comme le point central, le centre le plus sacré dans l'homme, le temple dans l'homme est le « Naos » : l'os coccygien (le périné étant une contraction du grec périnaos,  autour de Naos), est la divine  semence stratifiée et ossifiée  en  l'homme,  la  demeure  incorruptible jusqu'au  dernier  jour,  comme  un  levain  qui doit permettre la résurrection des corps au jour du Jugement dernier. C'est l'os « Louz » des Kabbalistes,  dont  le  nom  signifie  en  hébreu : « Amande » ; dans le centre de l'Amande ou Mandorle, l'Art Roman, plus particulièrement, a placé le Christ, car au centre de l'Amande ou du Naos, il  y  a  Dieu.  
     Ceci nous ramène, en partant du Christ, au centre de l'Amande, à la conception du monde des anciens,  car  autour  du  Christ,  sur  les portails romans, il y a les quatre Evangélistes (Chartres est un excellent exemple) figurés sous l'apparence de l'ange, de l'aigle, du lion et du bœuf. Il y a une identité entre ce thème et la Roue de fortune ou Arcane lame X du Tarot ; nous conseillons à nos lecteurs de le méditer ! Le sphinx assis au sommet de la roue de fortune est  le Roi assis de la cathédrale d'Amiens.  
     
    Mais il est émouvant de constater que toutes les formes de Roses réalisées dans nos églises et cathédrales se retrouvent dans les manuscrits enluminés ; représentation de la Terre et des Planètes, de la Terre et des quatre éléments, des schémas de l'harmonie des saisons et des éléments, des éléments et des humeurs du corps humain, enfin le la Rose ou Roue des vents. Un des dessins de la collection du  British Muséum,  représentant une Roue des vents (ms T.E., IV, fol. 30 recto), représente exactement une des rosaces de Notre-Dame de Paris.  
    N'oublions pas que la Kabbale se sert d'un schéma appelé l'arbre des Séphiroth (Séphiroth dérivant de sphère, ce qui se passe de commentaire) et que, dans des représentations hébraïques, également concentriques, l'Etre-en-soi, c'est-à-dire Dieu, est figuré, dans le centre de la sphère ou du cercle par le Tetragrammaton : « yod, hé, vav, hé » car la fonction de Jéhovah est de  rappeler les créatures à Lui, exactement comme dans les Mandalas  thibétains  où  au  centre  se  trouve  le « Dharmah kayia » ou le Corps de la Loi ; à l'extérieur  du  dernier septième  cercle  sont  les ténèbres et le chaos. (Voir ce qui concerne le symbolisme des Mandalas : Wilhelm and C. Jung, Thé secret of thé golden flower.)  
    Le mandala est un schéma géométrique symbolisant l'Univers Divin ; son tracé est une opération rituelle et mystique qui permet au néophyte, après avoir surmonté les obstacles, de pénétrer jusqu'au centre du « psychocosmogramme » où réside la Divinité et de s'identifier à elle selon l'admirable définition de Maurice Percheron.  
    Mandala ou Mandar signifie aussi cercle, centre, « ce qui entoure ». Naturellement ici nous intéresse seulement le type de Mandala représentant une série de cercles concentriques inscrits dans un carré  où  sont  construites  des  images  figurant les  différentes  divinités  tantriques ;  le  Mandala est  à  la  fois  une  image  du  Monde  « Imago Mundi » et un panthéon symbolique. L'initiation par le Mandala consiste essentiellement pour le néophyte à pénétrer dans les différentes zones ou Prodakshina (ce qui correspond à l'initiation par l'entrée rituelle dans un labyrinthe) jusqu'au centre du Mandala.  
    Nous pouvons considérer que le rôle des rosaces, roses et roue de la fortune des cathédrales et églises au Moyen Age en Occident, est permanent. Ces figures ont en effet pour but  de permettre la Réintégration par le passage de la périphérie au Centre.  
    Nous défendons ici la thèse suivante : les rosaces des cathédrales ne sont pas des virtuosités uniquement architecturales et esthétiques, mais elles  sont  des  schémas  de  la  conception  du Monde et ceci de la période romane jusqu'à la fin de la période gothique.  
    Cette conception du monde est symbolisée par 7 cercles concentriques : ce sont les 7 mondes, les 7 cieux et les 7 terres. Ceci se retrouve depuis les temps les plus reculés jusqu'à la fin du XVI" siècle en Europe et dans toutes les civilisations, par exemple, chez les Arabes avec la cosmogonie de Mashudi au XIP siècle.  
    Ces schémas sont de plusieurs sortes sur l'enluminaire du manuscrit d'Herrade de Landsberg ; le Centre est occupé par la Sophia d'où jaillit la Connaissance  figurée par deux  fleuves sortant de ses flancs droit et gauche. Autour du cercle central, les 7 Arts libéraux sont groupés en 7 cercles : l'Astronomie, la Grammaire, la Rhétorique, la Dialectique,  la Musique,  l'Arithmétique et  la Géométrie. Sur un manuscrit de la Wallers Art Galkry de Baltimore, le zodiaque est figuré par 7 cercles concentriques : au centre la Terre, dans le cinquième cercle en allant vers l'extérieur :  les mois de l'année, puis dans le septième cercle : les symboles des mois peints (W. 73, fol. l recto).  
    Nous ne pouvons, hélas, expliciter toutes les combinaisons possibles de roses et de rosaces.  
    Rappelons que ces roses et rosaces doivent être comprises  comme étant  les  représentations  de rituels soit quotidiens,  saisonniers,  annuels, cosmiques ou liturgiques.  
    Les manuscrits enluminés représentent souvent les heures de la journée disposées en cercle ;  de même pour les 4 saisons et les occupations des mois. Nous possédons dans notre documentation la  reproduction  d'un  pavage  émaillé  du  XIV° siècle  où  l'on  voit  au  centre  d'un  cercle  Dieu tenant dans ses mains le Soleil et la Lune et dans le cercle extérieur les occupations des mois, thème repris si souvent dans les rosaces et par les Sculpteurs des portails des cathédrales (en particulier Chartres et Paris). Nous donnons ici un des textes qui  servaient  aux  Imagiers  pour réaliser  leurs magnifiques œuvres : Poto, ligna cremo, de vite superflua dessid ; Dogramen sratum, mihil flos servit, mikipratum ; îoenum déclina, messes mets, rina propino ; Semen hurni jacto, mihi pasco sueum, immola porcos.  
    Je bois, je brûle du bois, je taille les serments superflus,  
    Je donne de l'herbe tendre, je me sers des fleurs de la prairie,  
    Je coupe le foin, je moissonne, je donne à boire le vin,  
    Je jette la semence en terre, je nourris la truie, je tue le porc.  
    Naturellement ce thème a été interprété avec les délicieuses et vigoureuses variantes des Imagiers du Moyen Age.  
    Sur un autre dessin de notre collection, ce thème a été joint à celui du jour et de la nuit.  
    Dans le cercle central divisé en deux dans le sens horizontal, une vierge, dans la partie supérieure du cercle central, assise au milieu d'un jardin, tient de la main gauche une rose qu'elle désigne de la main droite et qui symbolise le Jour. Dans la partie inférieure, la Nuit est représentée par un vieillard se chauffant.  Un  cercle  concentrique  extérieur contient les douze occupations du mois, le rythme de l'année. Le mois de janvier est symbolisé par un magnifique Janus à double-tête, assis à une table dressée ; de la gauche il tient la Coupe, de la droite, la Galette des rois Poculum a dextris, ad sinistram punis. C'est aussi la représentation du Banquet rituel, de la Cène, de la bibition de « l'Eau-de-Vie » et de la manducation du « Pain de Vie »  
    Le zodiaque où les emblèmes des signes sont placés circulairement  est aussi une représentation de l'année.  
    Dans les figurations cosmiques, particulièrement à Amiens, le Roi couronné, assis au sommet de la roue de la fortune, est le symbole du solstice d'été, et le Chien assis à sa dextre, le temps caniculaire.  
    Nous avons donc au bas de la rose le solstice d'hiver, à droite et à gauche, les deux équinoxes.  
    Le Roi représente également, ici, Saturne et nous avons ainsi placé les 7 astres : la Lune, Mercure, Vénus, le Soleil, Mars, Jupiter, en faisant la rotation dans le sens de la marche du soleil.  
    Tous ces thèmes, journalier, saisonnier, cosmique, ont été traités par Isidore de Séville, le Vénérable Bède et chez les anciens, en particulier par Pline, Ptolémée, Virgile, etc. Ces représentations pour images, sculptures, pavages, vitraux, ne sont jamais gratuites ou esthétiques, mais bien le résumé des connaissances de nos ancêtres : elles démontraient  qu'au  delà  des  apparences,  par l'image ou le symbole sculpté  — lesquels sont support de méditation, pour celui qui les contemple — le chemin vers le Royaume intérieur était possible. Ces symboles « parlaient » à chacun selon son degré de perception ; les uns se voyaient dans leurs occupations et travaux journaliers sacralisés et intégrés dans le Temps sacré ; les autres, par la méditation de ces symboles, pouvaient se « retourner » vers eux-mêmes pour aller vers Dieu. Les rosaces sont aussi des symboles de la danse, de la ronde cosmique, de la Table ronde qui tournoie comme le monde, du mouvement circulaire de la lumière, de la réintégration du Paradis perdu par l'homme, de la ré-conquête de la Totalité. Quand nous voyons sur certaines rosaces et dessins (en particulier manuscrits de la bibliothèque d'Oxford, St John's Collège Ms.tot. 5543, etc.) la représentation de tout le système cosmogonique, comprenant la Terre, les 7 planètes et les 7 mondes et l'harmonie entre le Macrocosme et le Microcosme qui est l'homme institué par Dieu comme Roi de la Création (Genèse, chap. l, v. 26-27), nous nous trouvons devant le thème du retour de la vie cosmique (« Et autem mutata resurgo ») et sur le plan humain devant le symbole du mouvement circulaire  de l'âme.  Ainsi toute  la  Création  est divine, l'homme a pour but d'aider et d'élever toute la Création vers la Divinité. Cette coopération de la Divinité et de l'homme est symbolisée par les deux triangles entrelacés  ou Sceau de Salomon, dont les six pointes sont les jours de la création, le septième étant le point central, qui est le Verbe créateur, le « per quem omnia facta sunt » du Credo latin.  
    Voilà pourquoi nous trouvons au milieu de la rosace de la roue de la Fortune d'Amiens le Sceau de Salomon, emblème des Constructeurs des cathédrales, les Compagnons Du Devoir De Liberté ; Ses  « vrais »  enfants  de  Salomon !  Précisons  que l'élévation des façades a un rapport étroit avec les polygones inscrits dans le Cercle, pentagrammes, hexagrammes et heptagrammes. De même, nous signalons rapidement que dans les rosaces cosmiques, nous trouvons les quatre éléments : Terre, Eau, Air et Feu et au centre, le Feu central des Alchimistes, qui ouvre le cœur (siège de la Connaissance et non du sentiment) à l'amour du Feu divin.  
     
    C'est également le thème de l'icône de la Transfiguration dans l'iconographie Byzantine où l'on voit au centre de l'icône un cercle contenant l'étoile à cinq branches, la pointe en bas comme la rosace de la façade nord d'Amiens et surgissant dans un éblouissement de lumière, le Christ bénissant. Cette icône symbolise le « Cercle achevé (3) », c'est-à-dire l'Ancien Testament couronné par le Nouveau.  
    A la dextre du Christ  est le prophète Elie, à sa senestre  Moïse et à ses pieds, saint Pierre, le patron de l'Eglise temporelle, saint Jean, le patron de l'Eglise exotérique et mystique, enfin saint Jacques, le patron de l'Eglise ésotérique ! (Saint Matthieu c. 16, v. 24 à 28 ; c. 17, v. l à 13.)  
    Ainsi, de même que la Rose des Vents nous montre bien le chemin, sachons retrouver le nôtre en méditant sur les roses et rosaces des cathédrales.  
    Puissions-nous y retrouver la simplicité et la foi de la mère de Jacques Villon, dont le Poète nous dit: « Au moustier voy (dont je suis paroissienne) Paradis Saint où sont harpes et luths Et ung enfer où damnés sont boullus » ce  qui  prouve  que  tous  ces  symboles  étaient compris par tous et toutes et non pas seulement par des clercs érudits.  
    En conclusion, le personnage couronné de la roue de la Fortune d'Amiens (4) s'élève au-dessus des autres et il monte vers la solitude là où il n'y  a  ni  oasis  ni  repos,  sur les  sommets  où l'homme est guetté par le vertige. Seul celui qui est « sept fois sept fois », qui a vaincu le temps des sept jours de la semaine, qui est possesseur des sept dons du Saint-Esprit, qui a vaincu à la fois les 7 péchés et les 7 dons et qui est dans le vide effrayant des 7 planètes et des 7 couleurs de l'arc-en-ciel — là où est la plénitude totale, c'est-à-dire dans la Liberté même de Dieu — peut prétendre être un Roi couronné.  
    Lucien CARNY  
     (l) Le  Buddha,  Çakya  Mouni,  ordonne  de  peindre  des reproductions au-dessus de certaines parties des monastères buddhiques :  « II faut faire un cercle en forme de roue, au milieu placer le point central, puis faire cinq rayons pour séparer les reproductions des cinq voies,  etc. :  « in  vinaya  la  discipline,  12"  Corbeil (ou traité) des Saintes Ecritures buddhiques ». Ainsi se fonde traditionnellement la représentation sphérique du symbole du Cosmos, qui ne peut se maintenir que par la Loi (ou les Lois) qui en assurent l'équilibre ; ces Lois sont intangibles et inséparables des révélations divines,  le  Verbe  n'ayant  rien  de  fantastique  ni d'Imaginatif : il est fabuleux, c'est-à-dire organisateur.  
    Car aussi longtemps que je suis « désordonné », comment puis-je être ordonné à Dieu ? L'œil par lequel un homme voit Dieu, c'est l'œil par lequel Dieu le regarde. Regarder est comparatif de garder  et je ne puis garder le message d'Amiens que si je suis capable de regarder la cathédrale ; car disait Jacob Boehme, entre la naissance éternelle, la réintégration et la découverte  de  la  pierre  philosophale,  il  n'y  a  aucune différence.  Précisons  que  Dieu  n'est  ni  amoral  ni moral : il est le Principe du monde.  
     (2) Langage rosicrucien :  le  terme, le langage rosicrucien est  employé  ici  dans  le  sens  utilise dans  les  Soirées de  Saint-Pétersbourg,  de  Joseph  de  MAISTRE, ou nous lisons « qu'il dépend à l'homme de s'élever de grade en grade jusqu'aux connaissances sublimes : c'est ce qu'on appelle le christianisme transcendental », Voir le  très  beau  livre  d'Emile  DERMENGHEM,  Joseph de  Maistre mystique (La Colombe, 1946).  
     (3) Le cercle achevé, en hébreu, cercle se dit : Gol ; de la même racine : (Ghimel, Lamed) Galilée qui signifie en hébreu : le pays des cercles ou cromlechs, cercles faits  de  menhirs  ou  pierres  levées.  
    Le Christ est mort au Golgotha, « le lieu des crânes », Golgotha étant de la même racine. Constatons que toute la mission du Christ se situe entre ces trois termes, de racine identique : de la Galilée a l'achèvement du « cercle » pour aboutir au Golgotha : Galili, Gol, Golgotha.  
    Nous estimons personnellement que seule la liturgie, et  surtout  les  liturgies  dites  « orientales »  sont  des réintégrations de l'Eternité dans le temps et représentent le retour à l'Instant primordial.  
    Nous conseillons la lecture du livre de Jean HANI, Le Symbolisme du temple chrétien. La Colombe, 1962. En particulier le chapitre XIV et le dernier chapitre (XVII). De plus, nous reconnaissons en ce livre un instrument de travail indispensable à la connaissance des cathédrales.  
    (4) II existe d'autres roues de fortune, l'une au  pignon de la façade septentrionale de l'église Saint-Etienne De Beauvais ; la cathédrale de Bale en Suisse présente une rosace autour de laquelle montent et descendent des  personnages.  Ici,  le  trône  du  Rédempteur  du Monde ne se trouve pas au centre, mais au-dessus de la rosace.  
    Signalons quelques inscriptions, soit gravées ou sculptées,  soit  extraites  de  miniatures  sur  les  roues  de fortune : « Regnabo ; Regno ; Regnavi ; Sine Regno. » (C'est l'espérance, le pouvoir, la décadence et le terme fatal.) La roue, par son mouvement, exprime bien l'inconstance, l'instabilité de toutes choses.  
    « Je  régnerai,  je  règne,  j'ai  régné,  je  suis  sans royaume. »  
    A Byzance, la roue est mise en mouvement, tournée par les personnifications du jour et de la nuit  et la roue de fortune est appelée :  « La vie insensée du monde trompeur. » Des inscriptions correspondant aux sept âges sont écrites sur les icônes.  
     BIBLIOGRAPHIE  
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    BOBER {An illustraded médiéval school-book of Bede's), « De natura rerum ».  
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    TAYLOR (Henry 0.). — Thé médiéval mind, 4 th éd., 2 vol., Mac Millan, New York, 1925.  
    COOMARASWAMY (Ananda K.). — Buddah and thé gospel of Buddism, Putman, 1916.  
    LALLEMENT (Louis). — Essai sur la mission de la France, La Colombe, 1946.  
    — La Vocation de l'Occident, La Colombe, 1947.  
    PANOFSKY (Erwin). — Gothic architecture and scholasticism. Meridian book. New York. 1957.  
    Extrait de la collection "Connaissances des hommes" : Les Compagnons en France et en Europe - Tome II - Nouvelle Édition - Roger Garry. 
     




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