• Le Saint Graal ou la Queste Intérieure

    Lorsqu'on parle de la QUÊTE DU GRAAL, de nombreux personnages aux noms légendaires interviennent, et font rêver à travers leurs fabuleuses et extraordinaires aventures. Le récit tourne autour des compagnons d'Arthur, tous chevaliers partant en quête du vase sacré qui contiendrait le sang du Christ que Joseph d'Arimathie aurait porté en terre de Cornouailles. Le but pour ces chevaliers est donc de rechercher le Graal (de poser LA question) et de l'apporter au roi Pécheur pour le guérir de ses souffrances et de ses blessures. Tout le monde, bien sûr, connaît cette histoire directement liée à la chevalerie.

          Les héros les plus connus sont : Arthur bien sûr, mais aussi Lancelot, Perceval, Galaad et Bohort. Tout semble s'articuler autour d'eux. Pourtant, un personnage reste dans l'ombre tout au long de ces récits, que ce soit dans le Perceval de Chrétien de Troyes ou le Parsifal de Wolfram von Eschenbach. Il s'agit, vous l'avez deviné, de Merlin l'Enchanteur ! C'est donc de lui dont il va être question ici, puisque c'est par lui que s'est constituée la Table Ronde et que les chevaliers d'Arthur sont partis à la Queste du Graal. Tout symbole possède trois sens d'interprétation : une interprétation physique, une interprétation mentale ou intellectuelle, une interprétation psychique ou spirituelle. Nous allons donc commencer par l'interprétation physique, donc historique, concernant le personnage de Merlin.

          On croit toujours que Merlin est un personnage folklorique dont le domaine est la forêt de Paimpont-Brocéliande en Bretagne armoricaine, alors qu'en réalité il est originaire de la Basse-Ecosse. Il n'appartient à aucun temps, à aucune époque, si l'on s'en tient à sa figure légendaire. Si l'on veut par contre serrer l'histoire de près, on s'apercevra qu'il a vécu au VIe siècle, chez les Bretons du Nord, c'est-à-dire chez les peuples celtes installés sur les Lowlands actuels, aux alentours de Glasgow. Chronologiquement, le texte le plus ancien où apparaît le nom latin de Merlinus, qui correspond au français Merlin et au gallois Myrddin, est un curieux ouvrage datant de 1132 la
    Vita Merlini
    de Geoffroy de Monmouth. Il n'y a en fait rien d'arthurien dans ce texte.

          Du reste, il faut signaler qu'un roi Arthur a également existé et qu'il combattit les Pictes d'origine vraisemblablement scandinave. Ce roi Arthur n'avait du reste rien de commun avec celui, plus symbolique, de la légende du Graal. Certains éléments de recherche permettent d'affirmer aujourd'hui que Merlin a aussi existé, qu'il a assisté à la bataille d'Arderyd en 533 ou en 573, qu'il y est devenu fou, et qu'il s'est enfui dans une forêt. A partir de là, toute la légende a pu s'expliquer. C'est plus tard, vers l'an 1200, que Robert de Boron, reprenant les vieilles légendes celtes, s'en est inspiré pour écrire l'HISTOIRE DU SAINT GRAAL qui est aujourd'hui en partie perdue. Nous n'allons donc pas nous étendre sur cette partie historique qui n'avait uniquement peur but que de situer le personnage dans son contexte réel. Ce qui nous intéresse, et c'est ce que nous allons maintenant envisager, c'est
    l'aspect symbolique de Merlin attaché à toute la tradition chevaleresque du Graal par l'intermédiaire d'auteurs qui étaient soit des clercs soit des bardes.

          Il semble que la légende de Merlin l'Enchanteur soit en fait composée de deux thèmes très différents, et correspondant à deux personnages distincts. L'un est le "Fou des bois" et l'autre l'enfant "Prophète et magicien". La légende nous rapporte que Merlin serait né de l'accouplement monstrueux d'une mortelle et du démon. Sans entrer dans une suite d'explications inutiles, nous dirons simplement que la mère de Merlin eut la vie sauve car elle était inconsciente quand le démon la possédât. Le Diable voulait un enfant qui puisse régner sur terre. Lorsque Dieu vit cela il protégea la femme et l'enfant. Le texte dit à ce sujet :

          «
    L'enfant naquit ; il eut de par le Diable la connaissance du passé, mais ce pouvoir qu'il eut de surcroît de connaître l'avenir, il le reçut de Notre Seigneur qui voulut ainsi contrebalancer le pouvoir du Diable. Sa mère l'appela du nom du grand-père de l'enfant : Merlin.
    »

          L'histoire de Merlin va ensuite d'extraordinaire en extraordinaire. L'enfant tout juste âgé d'un an se met à parler comme un savant adulte et se met même à prophétiser, ce qui lui doit d'ailleurs, devant le roi Vertigier, de sauver sa vie et celle de sa mère.

          Mais Merlin nous donne d'autres aspects de son personnage. Il a le don de berner les gens par son étrange faculté de transformation physique. Il apparaît tantôt jeune tantôt vieux, en moine, en vagabond, en autant de personnages qui peuvent faciliter l'exécution de ses plans. Mais un jour, sortant de sa tanière du fond des bois, Merlin rencontre le roi Uterpendragon, père du futur roi Arthur.

          Uter se prend d'amitié pour lui et pour lui avoir sauvé la vie, accède à la demande du mage en lui donnant son premier né conçu par la reine Ygerne. Cet enfant, que Merlin prend et place sous la garde d'Auctor, n'est autre qu'Arthur. Après d'autres aventures, l'Enchanteur exige de son ami le roi Uter qu'il construise une troisième Table Ronde -- la première étant celle du Christ et des apôtres pour la Cène, la seconde faite par Joseph d'Arimathie et la troisième qui devra être faite par Uterpendragon. Merlin joue ici le rôle d'initiateur et de mage investi d'un pouvoir temporel puissant
    . Ainsi donc fut constituée la Table Ronde que, plus tard, le roi Arthur reforma avec ses preux chevaliers.


          C'est donc à l'initiative de Merlin que toute l'épopée du Graal prit forme et donna à l'Occident chrétien un souffle et un esprit nouveaux. L'histoire de Merlin serait fort longue à conter et nous n'en retraçons ici que les faits essentiels pour revenir, par la suite, plus en détail, sur certains événements. Merlin, mage, conseiller, prophète, initiateur, domine toute la société de son temps par ses dons, son intelligence et sa ruse exceptionnels. Mais voilà qu'un fait surprenant va assombrir la fin de sa vie d'une manière peu compréhensible. Un jour, la jeune Viviane vint au château d'Arthur pour y séjourner. Merlin, voyant la beauté de la jeune fille, en tombe éperdument amoureux. Voyant ce pourvoir étrange qu'elle exerçait sur le mage, Viviane lui demande de lui transmettre ses pouvoirs et de l'initier à ses enchantements.

          La ruse prend si bien que Merlin lui livre tous ses secrets. La jeune fille avait Merlin en horreur, mais savait que seule la fascination qu'elle provoquait chez le prophète pouvait lui permettre d'arriver à ses fins. Merlin en devient comme obnubilé et aveugle. Ses pouvoirs semblent s'être amoindris alors que, dit le texte, les pouvoirs de Viviane deviennent si grands qu'ils dépassaient ceux du magicien. Viviane l'amène dans une grotte où gisent les cadavres de deux amants. Elle ensorcelle Merlin, l'hypnotise et le pousse dans la tombe en refermant sur lui la pierre tombale ; et Merlin reste prisonnier vivant dans cette tombe.

          Voici brièvement ce que l'Histoire nous conte de Merlin, le prophète dont la fin demeure énigmatique. Il nous faut donc maintenant avancer un peu plus dans l'explication de ce symbolisme. Lorsqu'on lit la légende du Graal, on est en droit de se poser certaines questions. Quelle signification peut-on donner à cette histoire ? Quelle signification peut-on donner aux personnages ? Puisque nous savons qu'ils n'ont pas réellement existé en tant que tels, qu'a-t-on bien voulu nous montrer par cette curieuse et fabuleuse histoire ?
    Nous n'allons pas tenter ici d'expliquer tout le symbolisme, un seul exposé n'y suffirait pas. Notre but est de définir un personnage particulier qui a pour nom Merlin et qui est à la base de toute l'histoire. Toutefois, il nous faut préciser certains points.

          La Quête du Graal représente un voyage intérieur, un voyage en soi pour tout chercheur parvenu à une certaine étape dans son cheminement intérieur à la découverte de lui-même. Celui ou celle qui entreprend ce voyage en soi rencontre des aventures extraordinaires, à la fois fantastiques et belles, mais aussi effrayantes. Le but en est de découvrir le Graal et d'être enveloppé de sa lumière et de sa beauté, tout autant que d'en saisir certains mystères. Il est invité à passer derrière le miroir et à revenir -- à ce point transcendé qu'une formidable puissance d'amour se dégage de l'initié dans un rayon qui peut varier entre 5 et 10 mètres.


          La quête du Graal représente donc ce voyage symbolique à la découverte de l'Etre réel. Chacun peut y prétendre, à condition qu'il progresse avec constance et détermination. Les personnages liés à cette Quête en soi sont nombreux, et en fait qui sont-ils ? Ils sont autant d'aspects de nous-mêmes, autant "d'aventures" que nous pouvons rencontrer dans ce périple illusoire à la recherche de notre nature profonde. Ils sont les aspects humains du chevalier. Ils peuvent représenter ceux qui réussissent et ceux qui échouent. Tout un chacun possède en lui Perceval et Lancelot, Galaad et Bohort, Merlin et Viviane.

          Merlin ! Nous sommes obligés d'y revenir, puisque c'est lui qui a conduit occultement la Quête. On peut chercher l'origine lointaine de Merlin dans le personnage de Merddyn, dieu gaulois, parent de Mercure, dont le nom provient de la racine Mercs ou Merx (commerce) que l'on retrouve dans Mercurius, Merzin, Marthin. Mercure qui a en fait des fonctions identiques à Gwyon et Teutates, dieu gaulois qui est le Hermès des Grecs et le Thot des Egyptiens. Merlin serait donc assimilé à Thot, celui là même qui transmit la Connaissance aux hommes par l'intermédiaire d'un fameux Livre. Au sens noble du terme, nous pouvons donc associer Merlin au Trismégiste ou du moins à son représentant symbolique. [Voir : De Thot-Hermès à la Tradition Primordiale, de Guillaume Delaage - Editions Ramuel]

          Mais le nom de Merlin a une autre signification. Il est possible de le rapprocher du mot anglais du XIIe siècle Merilun qui a donné précisément Merlin en anglais moderne et qui signifie émerillon, variété de faucon très connu à cette époque. Mais que viendrait faire un terme anglo-saxon dans une histoire franco-bretonne ? La seule solution possible reste alors de faire de Merlin un adjectif dérivé du mot français merle. Ce rapprochement des oiseaux est très significatif dans la tradition. Merlin serait donc un poète persifleur. Merlin le sage fou vivant dans les bois, qui connaît le langage des merles, des oiseaux si chers au celtisme et aux druides. Mais lorsqu'on siffle et que l'on est maître en cette technique, on est maître de son souffle. Merlin serait donc, comme Thot, le maître des souffles, donc du Verbe. Voici donc ce personnage à la fois sage et fou vivant dans les bois et connaissant le langage des oiseaux. Nous y reviendrons plus tard.

          Dans la Tradition, le sage est toujours considéré comme un fou, car sa sagesse n'est plus la sagesse des hommes. Il parle le langage des oiseaux c'est-à-dire la langue universelle des dieux.
    Nous retrouvons un peu les mêmes composantes de l'histoire de Merlin dans l'histoire du dieu Lug transposée d'une autre manière dans le héros arthurien Lancelot du Lac. Merlin est donc celui qui représente, par son grand âge, la Connaissance, celui qui est porteur de la Tradition. Mais il est tantôt jeune et vieux tantôt en des apparences différentes. De quelle sagesse est-il l'héritier ?
    Les vieillards qui jouent un rôle important dans la Quête du Graal ne sont pas nombreux. Selon les versions, on les appelle le Roi pêcheur, le Roi Méhégnié, le Roi Malade, le Roi Pellés. Ces quatre personnages qui n'en forment qu'un sont tous blessés gravement ou atteints d'une maladie.

          Le but des chevaliers qui partent à la quête du Graal est de rapporter le précieux liquide de la coupe pour permettre au vieux roi de retrouver jeunesse, vigueur et force. Ce roi très important dans la Quête n'est pas très présent dans le récit. Pourtant, c'est avec acharnement que les chevaliers risquent leur vie pour rapporter le précieux liquide. Le Roi Malade, le Roi blessé, c'est en fait le vieil homme qui est en chacun de nous, c'est-à-dire l'âme personnalité, vieille de toutes les expériences acquises lors de ses vies antérieures, l'âme personnalité avec laquelle le chevalier doit prendre contact -- en d'autres termes : nous-mêmes.

          La Quête du Graal permet donc, lorsqu'elle est réussie, d'entrer en relation avec ce vieil homme caché au fond de nous et qui est notre véritable personnalité. Elle est le dieu vert, l'Osiris des Egyptiens, qui, lors de la descente en soi, permet de revenir du voyage intérieur avec une partie de cette lumière, de cette sagesse propre au vieil homme. Le fait de le rencontrer permet d'ouvrir la brèche, comme l'a fait Perceval (celui qui a percé le secret du val) dans le corps psychique et d'apporter une parcelle de cette sagesse et de cette lumière depuis la conscience. Le Graal, donc l'être intérieur, est à ce moment précis le dispensateur de cette énergie divine qui transcende l'être en traçant un pont entre notre nature humaine et la conscience. Merlin est donc censé représenter une image de ce vieil homme sage. Il est un des aspects de l'Etre de lumière, l'aspect peut être le plus sage, le plus souverain. Il est une émanation qui nous fait toujours penser que la sagesse est égale à la folie, et que l'homme par son aspect psychique et émotionnel est soumis à la faiblesse ; mais il n'est pas que cela.

          A la fin de sa vie, Merlin a aussi besoin de se ressourcer dans la Connaissance, car il a été victime de l'amour des sens symbolisé par Viviane. Il est enfermé dans la tombe des amants malheureux, victime de sa propre science et de la nature même de son monde émotionnel. Merlin dans toute sa sagesse nous montre aussi que le psychisme n'est pas le bon moyen d'entrer en soi. Il ne nous montre pas qu'il faille abandonner le côté émotionnel de l'être humain mais qu'il faut rester vigilant pour ne pas être aveuglé illusoirement au risque de se perdre. Là encore, la loi d'équilibre doit jouer sur tous les plans.

          Voilà donc à quoi nous conduit la quête du Graal : à la rencontre avec Merlin, avec le sage fou caché au fond de chaque être humain. Tout dans ce vaste combat nous dit qu'il faut équilibrer les passions en nous, car c'est là le but que nous devons atteindre sur ce plan d'évolution. Du reste, n'est-il pas dit à Perceval : «
    Sache que le Graal n'acceptera jamais la démesure de tes désirs. »

          C'est là une des clefs qui permet de franchir correctement les obstacles qui mènent à la forteresse de Montsalvage. Mais l'œuvre du Roman du Graal est une œuvre assez complexe, à plusieurs tiroirs, si l'on peut dire. D'une part parce qu'elle retrace l'histoire de la Tradition Primordiale (parce que l'on reprend de vieux thèmes que l'on réactualise), et d'autre part parce que l'on y trouve plusieurs niveaux d'interprétation.

          Le Graal du Moyen Âge est identique au chaudron de Dagda des Celtes, qui provient de l'Ile du Nord du monde. C'est dans ce chaudron que les blessés étaient soignés de leurs blessures, en retrouvant force et vitalité. Mais la vieille légende celte est inspirée d'un récit encore plus ancien qui trouve sa correspondance sur le plan des dieux quelque part dans l'univers. Cela se retrouve bien sur avec la fameuse épopée du roi Lug, le dieu solaire dont nous avons dit qu'il était plus ou moins représenté par Lancelot dans le Roman du Graal.

          Le Graal serait donc une Quête en soi, mais aurait aussi une relation directe avec quelque chose de bien physique de bien tangible. Encore une fois, c'est Merlin le sage qui nous conduit vers une demeure assez mystérieuse dont n'ont parlé que quelques initiés par le passé. Il s'agit vous l'avez compris de l'Ile tournoyante ! La Table Ronde tourne comme le monde, et Merlin en est l'initiateur. Lorsque Merlin part à la recherche de Viviane, il le fait par mer, dans un vaisseau qui doit le conduire dans
    la maison de verre. Curieuse dénomination pour un lieu qui semble plus magique que bien des lieux déjà décrits. Du reste, dans de nombreuses épopées irlandaises -- notamment dans le récit La navigation de Bran fils de Fébal
    -- nous retrouvons les mêmes constantes qui rappellent la destination vers un lieu fabuleux où résident les fées. Ce monde dans lequel se déplace Merlin à la recherche de la Maison de Verre est un lieu où s'opèrent les échanges les plus invraisemblables. On ne peut s'empêcher de penser à "L'île tournoyante".

          Nous nous trouvons ici en présence d'un symbole qui vient véritablement s'ancrer dans le réel, et le récit nous plonge directement dans un fait traditionnellement historique. L'Ile tournoyante telle qu'elle est décrite dans l'histoire du Saint Graal est composée de cinq éléments, dont un qui est l'aimant, véritable champ de force. Or, pour rejoindre cette Maison de Verre, Merlin doit prendre un vaisseau. Il y a là un symbolisme alchimique sur lequel nous reviendrons ultérieurement. La maison de verre est le ballon alchimique dans lequel l'Adepte travaille sur les cinq éléments, mais elle est aussi, sur un autre plan de symbolisme, le non espace-temps en soi qui permet d'approcher la conscience véritable. A un autre niveau, elle est la grotte où est enfermé le Graal physique quelque part dans le monde. En fait, nous l'avons dit, le récit de Merlin est inspiré d'une très vieille légende celte, et l'on retrouve les mêmes sources d'inspiration aussi bien dans le voyage de Lug que dans le voyage de Bran où il est dit :

          «
    Il y a une île lointaine. Alentour, les chevaux de la mer brillent, belle course contre les vagues écumantes ; quatre pieds la supportent, des pieds de bronze blanc brillant à travers DES SIÈCLES DE BEAUTÉ. Jolie terre à travers LES SIÈCLES DU MONDE : ...Arrivé dans cette île merveilleuse, la nourriture que l'on mettait dans chaque plat ne disparaissait pas. Ils n'étaient là d'après leur vison que depuis peu de temps, alors que plusieurs années s'étaient écoulées. »

          Cela montre bien que ce monde se situe en dehors de notre espace-temps conventionnel. En fait, nous l'avons dit, cette épopée de Merlin retrace une histoire aussi vieille que le monde et qui fait partie du royaume et de l'histoire des dieux. Merlin, les chevaliers de la Table Ronde, autant de symboles qui préfigurent la Quête de l'homme dans son monde intérieur, mais aussi la recherche de l'univers des dieux dans lequel l'humain qui a retrouvé sa véritable nature a le pouvoir de se hisser. Vous l'avez compris, la Tradition nous offre, sous une forme allégorique, des récits légendaires qui cachent toute la beauté du savoir humain. Seules les clés que nous donne la Connaissance nous permettent de saisir, sous une forme claire et limpide, l'extraordinaire vérité qui se cache toujours sous le mythe qui fait partie de la formidable mémoire humaine.

    LE SECRET  DE  MONTSALVAGE

     

    Le Graal est un mot magique qui, depuis des siècles, se pare du manteau merveilleux de la légende. Son nom évoque l'épopée fantastique des valeureux chevaliers du roi Arthur qui partirent à sa Quête, affrontant mille périls, mille coups du sort. Aujourd'hui, tout cela paraît enfantin et désuet. Pourtant la Quête du Graal symbolise l'aventure spirituelle située en dehors du temps et de l'espace, qui correspond aussi bien au Moyen Age qu'à l'aube du XXIe siècle...

          Avant de considérer les aspects de la Quête, il faut brièvement faire un peu d'histoire pour rappeler comment les Anciens considéraient la Divine Coupe. D'aucuns penseront que le Graal est uniquement lié aux chevaliers de la Table Ronde puisque, d'après la légende, se serait le calice de la Sainte Cène que Joseph d'Arimathie aurait approché de la plaie du Christ en croix, afin d'y recueillir le Sang qui s'en écoulait. Il est bien évident que cela fait partie de la légende et qu'il fallait transposer pour le christianisme un symbole universel connu de toute antiquité.

          Chez les Egyptiens, le Graal est préfiguré par les cornes du dieu Apis portant le disque solaire ; pour les Mystères d'Eleusis, c'était le fameux Panier sacré ; pour la tradition judéo-chrétienne, c'est le lapis exillis (pierre tombée du front de Lucifer) ; ou encore, pour les Celtes, le chaudron de Dagda et la Coupe de Souveraineté ; et pour les Orientaux, la Corne d'abondance… Nous voyons donc que les religions et les civilisations n'ont fait qu'adapter à leur croyances ce symbole universel.

          Pour les auteurs du Moyen Age comme Chrétien de Troyes, Robert de Boron, Wauchier, Wolfram d'Esenhbach,
    graal veut dire récipient, plat, coupe, puisque l'on retrouve sa racine dans des mots comme gruau, devenu ensuite grasal
    en langue d'oc. Mais arrêtons là ces considérations historiques pour arriver au thème même de cet exposé : la Quête du Graal.

          Nous venons de voir que cette quête conserve la même actualité qu'au Moyen Age. Au travers de ces paroles, certains pourraient objecter qu'il est difficile aujourd'hui de partir armé d'un écu, d'une lance d'un heaume et d'une épée, pour conquérir un vase sacré dans un royaume imaginaire. Rien n'est plus vrai. Mais alors qu'est-ce que la Quête ?


     

    « Grimpez le long de cette brèche »


          La Tradition est très explicite à ce sujet puisqu'elle définit la Quête du Graal non comme une épopée extérieure à l'être, mais comme une grande aventure spirituelle intérieure offerte au chevalier prêt à l'affronter. D'après la légende du Graal, trois personnages réussirent cette Quête : Perceval, Bohort et Galaad. Leur aventure les met en présence de différents combattants, du Roi Pêcheur et enfin du château de Montsalvage. Ces trois thèmes se retrouveront dans toutes les traductions. En fait, il faut trouver, pour le chevalier, la brèche qui conduit d'un monde à un autre. Perceval l'a trouvée et son nom révèle cette découverte. N'est-il pas celui qui a percé le secret du Val ? En fait, il a su obéir au conseil du mystérieux Roi Pêcheur, à qui il rend visite dans le château du Graal :

          «
    Grimpez le long de cette brèche, lui dit-il, qui est taillée dans le rocher, et, quand vous serez arrivé là-haut, vous verrez devant vous, dans une vallée, une maison où j'habite. Dans le roc, symbole de la densité, une brèche s'ouvre et monte : telle est la voie.
    »

          Nous n'insisterons pas sur les symboles propres à la chevalerie, mais cela fait certainement penser a Excalibur, l'épée du roi Arthur plantée dans la pierre. L'épée, symbole de la conscience, plantée dans la densité minérale, fait penser au plomb et à l'or. La coagulation de la matière censée représenter le corps physique mais aussi tout le psychisme de l'humain, et cette épée qui est la conscience aussi pure que l'or. Délivrer la conscience de la densité du corps et des multiples agrégats qui l'habitent, c'est le but de l'Eveil.

          La quête du Graal serait donc une transformation radicale de soi, la véritable alchimie. «
    Découvre la pierre cachée au fond de toi...
    » dit le vieil adage alchimique. Il faut donc transformer le vieil homme en soi pour parvenir à découvrir l'Etre intérieur, c'est-à-dire le VÉRITABLE nous-mêmes. Trouver la faille qui permet de passer de ce monde d'apparences, où l'on croit être un EGO, à celui de la Réalité, où nous sommes une CONSCIENCE, tel est le secret du val ! Perce-val l'a trouvé, et après avoir grimpé vers la brèche sur la montagne qui symbolise la minéralité âpre du corps physique et de la densité du monde émotionnel, s'offre à lui le val -- c'est-à-dire cette étendue claire et paisible que connaissent tous les montagnards.

          Au fond, nous revenons ici sur un point très important de toute la quête initiatique transformer : notre être vil, c'est-à-dire équilibrer vertus et vices, canaliser l'énergie anarchique en nous-mêmes. Du reste, dans le
    Perceval
    de Chrétien de Troyes, nous voyons le héros combattre à plusieurs reprises avec sept chevaliers gardant le château. Perceval les bat tous.

          Un vieil homme lui raconte ensuite que ces combats symbolisent le combat intérieur avec ce que l'Eglise nomme les 7 péchés capitaux. Nous avons là la clef qui permet de comprendre que la découverte de soi passe par le combat en soi., à travers le monde. C'est pour cette raison que la Table Ronde symbolise ce monde, et Arthur qui préside à cette Table, (à rapprocher du latin
    arctus) associe ce roi aux constellations de la Grande et de la Petite Ourse, "sièges" stellaires les plus élevés puisque pôles du ciel et constituées chacune de sept étoiles. La Table Ronde et son Roi ne seraient autre que l'image du monde, gouverné par sept forces en l'homme.


     

    Graal et magie divine  


          Dans les différents récits du Graal, les symboles sont nombreux. Il ne sera pas évoqué ici leurs aspects. Toutefois, arrêtons-nous une dernière fois sur un élément qui ne manque pas d'intérêt : le château au cinq tours. Le héros parvenant au terme de sa Quête arrive devant un château dont quatre tours sont blanches et la cinquième qui se dresse plus haut que les autres, au centre, est vermeille. Nous sommes ici dans ce que les anciens nommaient "le Saint des Saints".

          Par les quatre tours, la vision répartit cardinalement l'espace, et par la cinquième, le centre en l'homme : l'être divin, axe de notre propre monde intérieur. La Quête du Graal se situe donc en soi. Nous avons là l'équilibre créé par l'ajustement du pentagramme en l'homme : les quatre éléments plus l'Akasha ou esprit. La découverte du Graal permet d'obtenir l'équilibre des quatre éléments en soi pour exprimer parfaitement le cinquième. C'est ce que Franz Bardon dit dans ses ouvrages. Chez la majeure partie d'entre nous, ces forces sont déséquilibrées et ne permettent pas l'ouverture de notre véritable conscience. C'est pourquoi la Théurgie propose de "nettoyer" notre nature grossière en équilibrant nos éléments, comme Héraclès nettoya les écuries d'Augias. C'est ce que l'alchimie offre aussi, car la Tradition est Une, bien qu'elle puisse revêtir plusieurs vêtements.

          Tous les grands archétypes permettent de décliner un symbole selon plusieurs histoires. Nous avons vu sommairement que le Graal prit plusieurs formes selon les époques et les civilisations. Il serait donc intéressant de considérer cette notion alchimique à travers Jason et la Toison d'or sous cet aspect. Le propre d'un symbole authentique est de pouvoir coller à plusieurs formes de recherches, si bien que l'on peut l'orienter selon différents degrés d'expression. Nous l'avons dit : un symbole a plusieurs niveaux d'interprétation. Le Graal, par exemple, est un vase, mais aussi un livre, une pierre. [Voir
    De Thot-Hermès à la Tradition primordiale
    , de Guillaume Delaage - Editions Ramuel]

          Un alchimiste trouvera dans le symbolisme de l'histoire tous les éléments expliquant le Grand Œuvre. Un théurge, les étapes de sa purification, etc. A titre d'exemple, analysons l'histoire de Jason et la Toison d'or, aventure mythologique bien connue. Nous n'allons pas ici détailler les différentes péripéties rencontrées par Jason, mais considérer quelques simples symboles. Jason, comme Arthur, prend 49 marins (49 chevaliers pour Arthur) afin de partir en Colchide pour chercher la Toison d'or. Il construit un bateau : Argos, dont la racine
    arché signifie principal, comme l'axe est le principe même où tout se meut, comme Arthur est l'axe polaire. Ce bateau est rond, comme est rond le ballon alchimique, comme est ronde la Table d'Arthur.


     

    Tuer le Roi pour s'éveiller


          Jason doit trouver la toison du bélier Chrysomèle (qui signifie pommes d'or), qui fut badigeonné d'or par Hermès lui-même. Lorsque Jason va gagner l'épreuve et revêtir la toison, il va d'abord voir se répandre le sang de Médée (dont la racine Méduse signifie le sang du dragon), rouge comme le Graal. C'est toujours cette même Médée qui découpa en morceaux Aeson, le père de Jason, en le faisant bouillir dans un énorme chaudron pour lui rendre ensuite la vie. Il en sort alors plus jeune et mieux portant. C'est ce qui se passe à la fin de l'œuvre alchimique ; il faut porphyriser le faux prophète. La mythologie alchimique dit : « On tue les vieux rois. » C'est le même langage, « mise à mort des vieux rois », que l'on trouve dans les Noces Chymiques de Christian Rosenkreutz. Et ils sont régénérés... C'est aussi ce qui se passe dans la Quête du Graal avec le Roi malade qu'il faut régénérer par le Graal.

          Comme nous pouvons le constater, un symbole authentique présente plusieurs niveaux d'interprétation et même plusieurs niveaux de conscience, c'est là toute sa force. Un symbole est un livre ouvert sur soi-même, et certains peuvent même communiquer directement avec l'esprit du symbole. C'est là le propre de certains initiés.

          Nous voyons donc que découvrir le Graal c'est découvrir l'être divin, le dieu vert en nous, tout comme la pierre du Graal est verte puisque émeraude. Le chevalier doit transmuter tous les métaux en lui, en comprenant bien le conseil du prud'homme qui claque comme une sentence : «
    Il n'y a qu'une chose que le Graal et ses vertus secrètes ne pourront jamais tolérer en toi : la démesure dans les désirs. »

          Voilà une des clefs de la réussite, car la quête du Graal doit permettre au chevalier parti à sa découverte de dompter l'être inférieur en lui. Bientôt, pour Perceval, le château du Graal ouvre ses portes. Là, le roi pêcheur, assis sur une pourpre vermeille, l'attend. Le roi lui présente alors une épée nue qui par le milieu était tronçonnée, et lui dit : «
    Je vous prie de la prendre et les deux pièces rejoignez. Puis, je vous conterai la légende du riche Graal et de la lance au fer royal. » Perceval prit les deux pièces et de cette lame « joint les aciers si parfaitement et avec tant d'adresse, que le jour qu'elle fut faite ne semble pas plus neuve ni plus belle. » Voyant cela, le roi prononça ces paroles qui concluent le périple de Perceval : « Beau Sire, ors écoutez. En armes vous avez pris beaucoup de peine, mais de par cette épreuve, je sais très bien que de par le monde, il n'en est aucun qui vous vaille.
    »

          La reconstitution de l'épée eut lieu sous un ciel d'or. Ce métal solaire confère à la quête sa pleine signification. L'épée surnaturelle, au contact du chevalier, se ressoude ; mais réciproquement, l'arme confirme la valeur exceptionnelle de celui qui en joint les tronçons. Perceval a donc réussi la quête. Il nous faut donc maintenant savoir ce qui, au-delà des textes et au-delà de la légende, se passe réellement pour celui qui veut tenter la quête du Graal.


     

    L'ouverture de la conscience


          Transposée sur le plan spirituel et donc nécessairement à l'entendement humain, la démarche des chevaliers partant à la recherche du saint Graal trouve une concrétisation spirituelle par l'identification de l'homme à un chevalier parti pour affronter les différentes épreuves avant d'aboutir au château de Montsalvage qui est en réalité la forteresse qui sépare le monde de la conscience du monde physique et émotionnel dans lequel se complaît l'être humain. Il va alors rencontrer le Roi pêcheur.

          Après cette initiation par le saint Graal, le chevalier va s'insérer dans le monde qui est le sien. Mais de lui va jaillir une énergie qui va rayonner entre 2 et 20 mètres environ. Ce rayonnement, ou plutôt cette force d'amour (qui sera plus ou moins perçu par autrui), va donner une dimension particulière à l'être nouveau dans ses multiples actions dans la vie courante ; mais de plus, il permettra à toute personne ayant un contact avec cette aura d'être touché par un état de grâce par cet apport prodigieux que donne l'illumination du saint Graal. Dans ce groupe d'hommes ayant en son centre le chevalier illuminé va se créer une centrale qui donnera Vie, Amour et Lumière à tous ceux qui entreront et partageront le rayonnement de la personne.

          Vous l'aurez compris, la découverte du Graal se fait en soi, ce Divin Calice, c'est notre conscience que nos efforts et nos expériences de vie doivent permettre d'éveiller chaque jour davantage. Les Adeptes ont trouvé le Graal, car ils sont conscients d'eux-mêmes à 100%. Ce sont des Boudhhas, pour reprendre la terminologie orientale. Ils vivent dans ce monde comme tout un chacun, mais avec une perception des choses radicalement différente. Contrairement à l'homme commun, leur conscience est délivrée des contraintes de la matière, des contraintes du temps et de l'espace. Ils peuvent vivre ainsi sur plusieurs univers différents, voire rajeunir à volonté, mais nous n'aborderons pas cet aspect dans le présent article.

          Cet exposé aurait pu être plus complet, plus élaboré, mais à quoi bon enfler un texte par trop de détails ? Ce message d'Eveil que nous donne le Graal est d'une portée colossale. Si simplement, par la simple compréhension de notre nature, certains pouvaient considérer que nous croyons être éveillés mais que nous ne le sommes pas en réalité, un grand pas serait franchi vers la conquête intérieure.





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