• Magdala n°4
    22 juillet 2011
    Magdala est éditée par l’Association Magdala (association à but non lucratif loi 1901)
    ISSN 2107-352X
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    Q'u’il soit surnommé « Le pape cathare » ou encore « Le tisserand des catharismes », référence à l’une des rares biographies lui étant consacrées (2), Déodat Roché est resté, dans la mémoire, avant tout un des artisans principaux de la résurrection de la pensée cathare durant la première moitié du XXe siècle. Très tôt membre de l’Eglise Gnostique – dont la vocation était de ressusciter la religion gnostique et son avatar médiéval le catharisme – Déodat Roché avait largement oeuvré à la propagande organisée pour rallier à cette église le maximum d’adhérents. Après avoir été un des deux rédacteurs principaux de l’organe officiel de la dite église – Le Réveil des Albigeois, devenu à partir de 1901 La Gnose Moderne – il s’en éloignera toutefois pour mieux servir la cause cathare.


    L’Eglise Gnostique était à ses yeux trop dogmatique, trop ritualiste. Déodat aspire à une vision plus scientifique du catharisme – tout en demeurant dans une approche essentiellement spirituelle. C’est ce chemin qu’il va suivre désormais. Dans les années 1930, un véritable groupe s’est constitué autour de lui, où l’on retrouve : Arthur Caussou, Nita de Pierrefeu, René Nelli (1906-1982), Lucienne Julien, Simone Hannenouche et encore Prosper Estieu (1860-1939). A partir de là, son aura ne cesse de se développer. La philosophe Simone Weil (1909-1943), ayant lu deux écrits de Roché sur le catharisme, lui écrit que ces deux textes ont fait sur elle une « vive impression », et l’invite à faire renaître le catharisme de ses cendres : « Jamais il n’a été si nécessaire qu’aujourd’hui de ressusciter cette forme de pensée. Nous sommes à une époque où la plupart des gens sentent confusément, mais vivement, que ce que l’on nommait au XVIIIe siècle les Lumières constitue — y compris la science — une nourriture spirituelle insuffisante ; mais ce sentiment est en train de conduire l’humanité par les plus mauvais chemins. Il est urgent de se reporter, dans le passé, aux époques qui furent favorables à cette forme de vie spirituelle dont ce qu’il y a de plus précieux dans les sciences et les arts constitue simplement un reflet un peu dégradé. » lui assura-t-elle. Déodat n’aura de cesse de s’atteler à cette tâche.
    Avec Antonin Gadal (1877-1962), il organise un congrès sur le Catharisme à Ussat-les-Bains (5 au 8 Août 1948). Les actes en sont publiés un an plus tard dans le premier numéro des Cahiers d’études cathares — revue qui connaîtra progressivement une large diffusion, notamment dans le milieu universitaire. En 1950, Déodat Roché fonde, à Montségur, la Société du Souvenir et des Études Cathares, dont le but est de « cultiver le souvenir des Cathares de tous les pays et particulièrement ceux de l’Occitanie. » C’est sous l’égide de la Société que sera élevée la stèle du souvenir à Montségur – petit monument de pierre qui proclame toujours la survivance de la pensée cathare à travers la commémoration du drame qui s’est joué au pied de l’antique château.
    Cette apologie du catharisme, ce travail immense et quotidien pour remettre en lumière son existence et sa force, ont souvent occulté que ce n’était là qu’un aspect de la vie de Déodat Roché. Le catharisme est en effet, dans l’approche de Déodat Roché, une manifestation, dans un temps et dans un lieu donné, d’une réalité spirituelle qu’il n’a cessé de chercher sa vie durant. Tout au long de ses recherches sur le catharisme, Déodat Roché n’aura de cesse de rechercher les manifestations de cette réalité spirituelle qui ont précédé le catharisme méridional du moyen-âge, tout comme il cherchera ses expressions postérieures, jusqu’à l’époque moderne et contemporaine. La Société d’Etudes Cathares ne s’est, de fait, pas limité à l’étude du catharisme médiéval mais s’est efforcée d’en dégager l’essence spirituelle afin de rendre celle-ci accessible aux contemporains de Roché. Durant les conférences organisées sous l’égide de la Société, Déodat Roché en viendra très vite à évoquer Rudolf Steiner (1861-1925), et la Fraternité Blanche de Bulgarie, présentant le fondateur de celle-ci, Peter Deunov (1864-1944), comme un « héritier des Bogomiles ou cathares de Bulgarie. » (3)
    Cette volonté de rendre accessible au plus grand nombre la réalité spirituelle du monde, dépasse chez Déodat Roché la simple étude du catharisme telle qu’on peut la concevoir aujourd’hui. Il s’agit de, réellement, retrouver l’origine de celui-ci, en incarnant son principe spirituel. Auteur, conférencier, Déodat Roché se trouve ainsi, aussi, à l’origine des camps de l’Estagnol, qui, chaque été, réunissaient en pleine forêt, non loin de son village natal d’Arques (Aude), plusieurs membres de la Société d’Etudes Cathares.
    La presse quotidienne de l’époque se fit écho de cette initiative, relatant avec une certaine précision la vie menée par Déodat Roché et ses proches. « Propriétaire d’une bonne superficie de forêt la Société y a implanté des bâtiments et des tentes pour l’accueil de manière que, loin des foules et de la vie artificielle des cités, les participants revenus aux sources même de la nature, parmi les plantes, les arbres et les animaux sauvages, retrouvent le vrai sens de l’existence et puissent faire oeuvre féconde sur le plan études et spiritualité. » lit-on ainsi dans Midi Libre le 5 août 1970. (4) Le même article évoque la façon dont les participants étaient invités à assister au lever du soleil – un moment qui occupa une place importante chez Déodat Roché tout au long de sa vie. « Ceux qui le veulent vont assister au lever du soleil, pour cela, ils se rendent soit dans une prairie voisine, soit sur le sommet de la montagne du Pech, d’où l’on voit le lever du soleil sur la Méditerranée en direction de Béziers, puis la progression de l’astre au-dessus de l’eau vers La Nouvelle. C’est le moment le plus propice pour capter certaines forces, nous a-t-on expliqué, et pour les méditations philosophiques. »
    L’organisation de ces camps montre à quel point le monde vivant – et non pas seulement celui des idées – a été ressenti par Déodat, à l’instar de tous les grands mystiques – comme un lieu de rencontre avec le monde spirituel. Bien des passages des écrits de Déodat Roché témoignent également du fait que la Nature, et sa contemplation, ont joué chez lui un rôle majeur dans l’éveil à la sensibilité spirituelle. Déodat Roché a su voir le monde spirituel parce qu’il n’est pas resté ancré dans l’étude et la pensée, mais a cherché, tout au long de sa démarche, cette sensibilité qui permet de voir au-delà de l’homme et de la « matière » – et que la Nature sait communiquer à qui sait la regarder. (5)
    Si l’érudition de Déodat Roché ne manqua pas d’être saluée par tous, il est un fait aussi certain que sa dimension spirituelle – sa véritable aura – frappa tout autant ses contemporains. Ainsi, le 31 mai 1973, Midi Libre le désigne-t-il comme un « géant spirituel. » L’article évoque l’absence de Déodat Roché à la prochaine célébration du souvenir cathare au pied de Montségur, le dimanche 3 juin. Suite à un accident, Déodat, alors âgé de 95 ans, ne pourra se rendre sur place. « L’homme qui depuis près d’un siècle salue le soleil au lever et au coucher ne sera malheureusement pas là pour voir briller la ― lumière ‖ née de l’étincelle qu’il a fait jaillir. Sa présence spirituelle n’en sera peut-être que plus ― parfaite. ‖ » (6) On mesure à ces mots la façon dont était alors perçu Déodat Roché et dont il convient de le voir aujourd’hui encore.

    Notes :
    (1) Interview donnée à Midi Libre, publiée le 17 décembre 1972 : « En son 95e anniversaire : M. Déodat Roché nous a fait part de ses projets sur le catharisme »
    (2) AUDOUY Jean-Philippe, Déodat Roché, le tisserand des catharismes, coll. Mémoires du Pays Cathare, Centre d’Etudes Cathares, Carcassonne, 1997.
    (3) Compte rendu publié dans La Dépêche du Midi, 22 aout 1967 : « ―Du Catharisme aux initiations modernes ‖ : M. Déodat Roché a présenté une conférence du plus haut intérêt »
    (4) « En forêt des Hautes-Corbières : Histoire et actualité au camp des études cathares »
    (5) Quiconque s’est véritablement immergé en Elle n’a pu que recevoir cet intangible enseignement. On se rappellera ici, notamment, ces quelques lignes du botaniste John Muir (1838-1914) écrites suite à l’un de ses grands périples à pieds à travers la nature sauvage : « J’étais triste à l’idée de rester sur le bord d’un bois immense, lorsque j’ai aperçu mon premier palmier nain, presque seul sur un tapis d’herbe. Quelques magnolias et des cyprès chauves se trouvaient à proximité, mais pas suffisamment pour lui faire de l’ombre. On nous dit que les plantes sont des créatures périssables, dépourvues d’âme, et que seul l’homme est immortel, etc., mais c’est là un sujet, je pense, dont nous ne savons presque rien. Quoiqu’il en soit, ce palmier-là était impressionnant au-delà des mots, et il m’a dit des choses plus importantes que je n’en ai jamais entendues d’un prêtre de l’espèce humaine. » (MUIR John, Quinze cents kilomètres à pied à travers l’Amérique, José Corti, Paris, 2006, p. 74.)
    (6) « Dimanche 3 juin, sur le ― pog ‖ : Déodat Roché sera absent lors de la célébration du souvenir des cathares »
    (7) Midi Libre, 24 mai 1967 : « M. Déodat Roché, réfutant à Montségur les contre-vérités sur le catharisme a évoqué la légende du Temple »
    C’est en effet à la quête de l’invisible – souvent occultée lorsque l’on parle aujourd’hui de Déodat Roché – que convient la vie et l’oeuvre de cet homme qui s’efforça, sa vie terrestre durant, de guider l’huma-nité vers une voie nouvelle et salutaire – dont il espérait l’avènement prochain… « …il faut désormais que les hommes prennent cons-cience en leur âme de l’esprit de connaissance et d’amour qui les unit pour ne pas sombrer dans le chaos et la ruine, pour reconstruire enfin le Temple perdu… » disait-il en 1967. (7)
    Christian Doumergue





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