• Padre Pio, sous le signe de la croix


    La vie de Padre Pio est un très grand mystère. C’est un mystère d’amour. Sa vie nous échappe
    pour mieux nous mener au pied de la croix et nous faire comprendre plus profondément tout
    ce que cela signifie pour nous. Et ce n’est que dans la prière que nous pouvons rejoindre un
    homme aussi proche de Dieu que l’était le cher Padre. Les faits sont là, certes, comme autant
    de signes d’une emprise divine sur une créature. Padre Pio, premier prêtre stigmatisé,
    disparaît derrière la Sainte humanité du Christ.
    Le Padre reçut les premiers stigmates le 20 septembre 1918
    Dès avant sa naissance
    Il était né le 25 mai 1887 à Pietrelcina, qui pourrait se traduire par « petite pierre ». De fait, ce
    petit village du Sannio, dans la province de Bénévent, dans la région de Naples, est
    littéralement accroché à un rocher. Francesco Forgione (c’était son nom) fut habité dès le sein
    de sa mère par l’oeuvre rédemptrice du Sauveur. Il l’avait confié au père Agostino, son père
    spirituel : « Je souffrais dès avant ma naissance. » Il vécut quatre-vingt-un ans sous la motion
    de cette grâce de « victime » qui lui faisait dire : « Je suis crucifié d’amour. » Il fut baptisé dès
    le lendemain de sa naissance dans la petite église Sainte-Marie-des-Anges qui se dresse tout
    près de sa maison natale. Francesco était le deuxième enfant d’une famille de cinq. Deux
    enfants étaient morts avant sa naissance, l’une de ses petites soeurs deviendra religieuse
    Brigittine à Rome.

    Son père Grazio Forgione devra s’expatrier par deux fois en Amérique, à Buenos Aires, tout
    d’abord, puis à New York et dans la baie de la Jamaïque, pour payer les études de son fils et,
    plus tard, les dépenses médicales occasionnées par la piètre santé du jeune religieux. Ce
    dernier devra, en effet, passer sept longues années hors du couvent, dans sa famille, tant sa
    santé était délabrée. Quant à la mère, Maria-Giuseppa di Nunzio, c’était une femme pieuse,
    douce et ferme tout à la fois, très travailleuse car elle devait remplacer son époux dans le
    travail des champs. Elle était pleine d’attention pour son fils Francesco.
    Padre Pio aimait recevoir les enfants, il leur faisait un catéchisme plein d'humour
    Offrande
    Dès l’âge de cinq ans, l’enfant jouissait de la vision de la Vierge Marie qu’il priait deux fois
    par jour à l’église. C’était un garçon silencieux, tranquille et très obéissant. Il disait lui-même
    qu’il ne valait rien mais qu’il était un « maccherone senza sale », une nouille insipide… Mais
    le confrère auquel il avait fait cette confidence lui avait répondu : « Vous le dites par sainte
    humilité ! », ce qui n’était pas faux ! Il jouait rarement avec les enfants de son âge car il ne
    supportait pas les blasphèmes et les jurons que certains proféraient souvent. Son meilleur
    compagnon de jeu, il le confiera plus tard, n’était autre que son Ange Gardien. Ses nuits
    étaient très tourmentées. Sans cesse, il était assailli par les démons de l’enfer et le petit
    Francesco se battait contre eux, en hurlant dès que sa mère avait soufflé la bougie et qu’il se
    trouvait dans le noir. Les vexations diaboliques, c’est-à-dire les coups dont les démons
    frappaient le jeune enfant, commencèrent en fait à peu près à l’âge de quatre ans, selon le père
    Benedetto, qui fut longtemps son provincial. Le diable, dit-il, se présentait sous des aspects
    hideux, et souvent menaçants, horribles, épouvantables. C’était un tourment tel que le pauvre
    enfant ne pouvait pas dormir ; il pleurait, mais il suffisait que « Mamma Peppa » allume à
    nouveau la lumière pour que, tout aussitôt, disparaisse le Prince des Ténèbres. Le père,
    Zi’Grazio, lui, n’était au courant de rien, et les cris de l’enfant avaient le don de lui taper sur
    les nerfs. Il poussait des cris si assourdissants qu’il menaça un jour de le jeter par la fenêtre
    s’il ne se calmait pas et il n’était pas loin de penser que cet enfant venait tout droit de l’enfer !
    Sa mère lui avait répondu :
    « Nous l’élèverons pour expier nos péchés ! » Et elle ne croyait pas si bien dire. Elle ne se
    doutait pas le moins du monde, à cette époque-là, de l’exceptionnelle vocation de son petit
    garçon. Ces attaques diaboliques ne cesseront pratiquement jamais et affligeront Padre Pio
    jusqu’à la mort. À cinq ans à peine, il caressait déjà l’idée de se donner tout entier à Dieu. Le
    père Benedetto da San Marco in Lamis, qui fut son provincial et l’un de ses directeurs

    spirituels, écrivait : « A cinq ou six ans, au maître-autel, lui apparut le Sacré-Coeur de Jésus ;
    il lui fit signe d’approcher de l’autel et lui mit la main sur la tête, attestant d’accepter et de
    confirmer l’offrande faite à Lui-même et de se consacrer à son amour. » Et le père Benedetto
    conclut : « Il sentit s’affermir sa décision et grandir l’ardeur de L’aimer et de se donner tout
    entier à Lui. »
    À cause de ce devoir de consécration, le petit Francesco redoubla d’intensité dans sa prière
    d’enfant. Il acceptait les souffrances et s’imposait même, si jeune, des pénitences ! Un jour, «
    Mamma Peppa » le surprit - il n’avait à ce moment que huit ou neuf ans - derrière son lit, qui
    se frappait avec une chaîne de fer. Elle le supplia de s’arrêter, mais il continuait de plus belle.
    Elle lui demanda pourquoi il se frappait ainsi : « Je dois me battre comme les juifs ont battu
    Jésus, répondit l’enfant, et lui ont fait jaillir le sang sur les épaules ! »
    Le 27 septembre 1899, Padre Pio fut confirmé et fit sa première communion. Il écrira plus
    tard : « Au souvenir de cette journée, je me sens tout entier dévoré par une flamme très vive
    qui brûle et ne fait pas mal… » Ce qui laisse entendre qu’il reçut pleinement les Dons du
    Saint-Esprit. Grâce aux visites d’un frère capucin, Francesco décida catégoriquement d’être
    comme lui, un religieux « avec la barbe ».
    Religieux avec la barbe
    Le 6 janvier 1903, Francesco entre au couvent de Morcone, non loin de Pietrelcina. À
    l’entrée, un écriteau donnait cet avertissement : « Ou 1 pénitence, ou l’enfer ». Le message
    était clair et le jeune Francesco, qui avait tout juste seize ans, n’eut pas de peine à choisir et à
    s’engager résolument dans cette vie qui, à cette époque, était très austère et sévère. 1 reçut son
    nom de religieux : désormais il était « Fra Pio da Pietrelcina ». Plus que jamais, il devint un
    homme de prière et d’intercession. Sept années plus tard, en 19 10, il confie à son provincial
    sa vocation de victime : « J’en viens à vous demander une permission, celle de m’offrir au
    Seigneur comme victime pour les pauvres pécheurs et les âmes du purgatoire. Ce désir s’est
    développé de plus en plus dans mon coeur, au point qu’il est devenu, dirai-je, une forte
    passion. Il est vrai que cette offrande, je l’ai faite plusieurs fois au Seigneur, le conjurant de
    bien vouloir déverser sur moi les châtiments qui sont préparés pour les pécheurs et les âmes
    du purgatoire, même en les multipliant, pourvu qu’il convertisse et qu’il sauve les pécheurs et
    qu’il admette bien vite au Paradis les âmes du purgatoire. Mais maintenant je voudrais la
    faire, cette offrande, avec votre permission… » C’est tout simplement héroïque.

    Il avait reçu également le don des larmes. Lorsqu’il fut envoyé, pour y poursuivre ses études
    ecclésiastiques, au couvent de Sant’Elia à Pianisi, il versait de telles quantités de larmes
    pendant l’oraison et après la communion que cela « formait un petit ruisseau » diront les
    témoins. Il avait accepté d’en donner la raison à son père spirituel : « Je pleure mes péchés et
    les péchés de tous les hommes… » Car Frère Pio était bien un vrai disciple du Poverello
    d’Assise, saint François, qu’un paysan avait surpris en larmes : « L’Amour n’est pas aimé ! »
    s’était-il écrié.
    Comment ne pas comprendre les attaques que le démon, qu’il appelait « Barbe Bleue », lui
    infligeait ! Combien de fois n’a-t-il pas été battu, jeté à bas de son lit, ligoté par celui auquel il
    arrachait les âmes ? J’ai été moi-même témoin des coups qu’il avait reçus durant la nuit. Il
    arrivait le matin, à la sacristie, pour s’y préparer à la messe, le visage parfois tuméfié. Durant
    son repos forcé qui dura sept ans, à Pietrelcina, il s’était aménagé une cellule tout en haut d’un
    escalier de pierre, sur le rocher en face de sa maison natale. Les murs de cette pièce portent
    encore les marques des luttes effroyables qui s’y déroulèrent.
    Il suivit sa théologie à Serracapriola avec le père Agostino da San Marco in Lamis, son
    premier directeur spirituel, ainsi qu’au couvent de Montefusco. Bientôt, il fut atteint par cette
    mystérieuse maladie, dont nous avons déjà fait mention, qui lui occasionna de très violentes
    douleurs. Il était à la fois dévoré par la fièvre et par l’amour de Dieu… Une transpiration
    abondante, une toux qui lui arrachait la poitrine, se joignait aux tourments d’ordre spirituel : il
    était assailli de scrupules. « Ce martyre, écrit Padre Pio dans une lettre du 17 octobre 1915, fut
    très douloureux pour ma pauvre âme, à la fois par son intensité et par sa durée. Cela débuta, si
    je me souviens bien, vers l’âge de dix-huit ans et dura jusqu’à vingt et un ans bien sonnés.
    Cependant, dans les deux premières années, ce fut presque insupportable. Lorsque mon âme
    souffrit cela, je me trouvais à Sant’Elia, puis à San Marco, et aussi ailleurs… » Le 19
    décembre 1908, il reçut les ordres mineurs : portier, lecteur, exorciste, acolyte. Deux jours
    plus tard, dans la cathédrale de Bénévent, il fut ordonné sous-diacre. Mais ses mortifications
    et ses jeûnes eurent raison de sa santé et il dut interrompre le cours de ses études. C’est à ce
    moment-là qu’il commença son long « congé de maladie » au cours duquel il fut marqué, bien
    qu’invisiblement, des stigmates de la Passion du Seigneur. Ce fut, pour le jeune capucin, une
    période de vie intérieure intense, de continuelle pénitence, et l’occasion d’une très rapide
    progression dans les voies de la sainteté. À vingt-trois ans, très malade et pensant à une mort
    prochaine, il demanda la faveur de l’ordination sacerdotale. Il fut donc ordonné le 10 août
    1910 dans la cathédrale de Bénévent. Le voilà prêtre pour l’éternité : « Comme j’étais
    heureux, ce jour-là, écrit-il, mon coeur était brûlant d’amour pour Jésus… J’ai commencé à
    goûter le paradis ! » Sur l’image souvenir de son ordination sacerdotale, il avait écrit son
    programme de vie : « Jésus, mon souffle et ma vie, aujourd’hui que, tremblant, je t’élève dans
    un mystère d’amour, qu’avec Toi, je sois pour le monde, voie, vérité, vie et pour Toi, Prêtre
    saint, victime parfaite. » Alors commence cette longue série de messes impressionnantes qu’il
    célébrera jusqu’à sa mort. La dernière fois qu’il monta à l’autel, ce fut le 22 septembre 1968,
    il mourut quelques heures plus tard, le 23 septembre, à 2 heures 30, au coeur de la nuit…
    À l’image du Christ
    En cette tragique matinée du 20 septembre 1918, Padre Pio est marqué des plaies de la
    crucifixion… Il les conservera cinquante années. Le 22 octobre suivant, il doit, « par sainte
    obéissance », raconter ce qui s’est passé à son supérieur provincial : « […] C’était le matin du

    20 du mois dernier, écrit-il donc, après la célébration de la sainte messe, quand je fus surpris
    par un repos semblable à un doux sommeil. Tous mes sens internes et externes, les facultés de
    mon esprit également, se trouvaient dans une quiétude indescriptible. Il y avait un silence total
    autour de moi. Il fut suivi immédiatement d’une grande paix et je m’abandonnai à la complète
    privation de tout. Il y eut un répit dans la ruine elle-même (il s’agit, selon toute
    vraisemblance, de ce qu’il croit être le véritable état de son âme). Et tout cela se produisit en
    un éclair. Et tandis que cela était en train de se réaliser, je vis devant moi un mystérieux
    personnage, semblable à celui que j’avais vu le soir du 5 août (quand il reçut le « trait de feu
    »), qui se différenciait seulement en ceci : ses mains, ses pieds et son côté ruisselaient de sang.
    Sa vue m’épouvanta, et ce que je ressentis en cet instant, je ne saurais vous le dire. Je me
    sentais mourir et je serais mort si le Seigneur n’était intervenu pour soutenir mon coeur que je
    sentais bondir dans ma poitrine. Ce personnage disparut de ma vue, et je m’aperçus que mes
    mains, mes pieds et mon côté étaient percés et ruisselaient de sang ! Imaginez la torture que
    j’éprouvai alors et que j’éprouve continuellement presque tous les jours […]. »
    Il faut l’avoir vu à l’autel, les mains sanglantes ! J’ai eu la grâce de lui servir la messe ! Le
    sang coulait de ses mains blessées, un sang mystérieusement parfumé !... Il fallait l’entendre
    prononcer à mi-voix des paroles à l’adresse de Celui qui était là, sur l’autel, continuant, en son
    Prêtre, à offrir au Père le Sacrifice rédempteur. Vraiment, là, on comprenait que le Prêtre, à
    l’autel, ne peut qu’être identifié au Christ souffrant. Il doit lui-même offrir tout son être à
    Jésus comme une « humanité de surcroît ». La grâce de Padre Pio était, pour les prêtres, la
    prise de conscience de cette identification au Crucifié du Golgotha. Non, après avoir assisté,
    ou plus exactement, participé à la messe que célébrait le père dans le petit matin de San
    Giovanni Rotondo, les prêtres ne peuvent plus célébrer la messe comme avant… Ils sont
    Jésus-Christ !
    Bien des âmes
    La célébrité de Padre Pio ne fit que croître ; les âmes affluaient autour de son autel et dans son
    confessionnal. Padre Pio avait, en effet, reçu le don infus de la scrutation des consciences et
    du discernement des esprits. Il dévoilait les fautes oubliées, et j’ai, à ce sujet, des souvenirs
    quelque peu « cuisants » ! Il montrait la gravité de certains péchés, considérés par les
    pénitents comme véniels, et secouait les plus tenaces des fidèles. Et ceux-ci n’hésitaient pas à
    participer à la messe du saint prêtre qui, entrecoupée d’extases, durait le plus souvent plus de
    deux heures.
    À la suite de plusieurs examens des stigmates de Padre Pio, une polémique, puis une
    persécution furent déclenchées. Le Saint-Office prit plusieurs mesures restrictives, malgré les
    vives réactions des pèlerins. Du 11 juin 193 1 au 15 juillet 1933, Padre Pio resta prisonnier
    dans son couvent. La seule permission qu’il obtint fut celle de pouvoir célébrer la messe… en
    privé, dans la chapelle intérieure. Deux longues années terribles pour lui !

    En 1942, selon la volonté du pape Pie XII, Padre Pio fut l’initiateur des Groupes de prière.
    Cette oeuvre allait de pair avec celle de la Casa Sollievo della sofferenza (Maison de la
    souffrance transfigurée). C’était l’immense hôpital qu’il avait fait construire tout à côté du
    couvent. Le 5 mai 1956 fut donc inauguré solennellement ce grand édifice. Mais les
    importantes sommes d’argent qui furent données à Padre Pio pour ce centre de soins, et qui
    provenaient de la foule de ses fils spirituels dans le monde entier, furent la cause d’une
    deuxième série de persécutions.
    Padre Pio ne voulait pas que l’on parle de ces persécutions. Elles constituent une page très
    douloureuse dans la vie du stigmatisé du Gargano. Elles sont cependant bien réelles. Elles
    sont le fait de personnes ecclésiastiques et non de l’Église elle-même. Elles ont servi à la plus
    grande Gloire de Dieu puisqu’elles n’ont fait que prouver un peu plus la sainteté du religieux
    de San Giovanni Rotondo, par l’obéissance et la patience dont il donna le témoignage.
    Miracle de la dernière messe
    Lors de la messe solennelle qu’il célébra pour le cinquantième anniversaire de sa
    stigmatisation, les Groupes de prière avaient entouré Padre Pio de leur vénération et de leur
    affection. À l’issue de l’office, il eut un collapsus et s’effondra. On l’emporta dans sa cellule.
    Il rendit sa belle âme à Dieu au coeur de la nuit suivante. Mais, un certain temps après la mort
    constatée, les cicatrices même des plaies qui avaient marqué son corps pendant un demi-siècle
    disparurent d’un coup et la peau redevint comme celle d’un petit enfant, comme s’il n’y avait
    jamais eu la moindre blessure. J’ai dit, dans l’ouvrage que j’ai rédigé sur celui qui fut mon
    père spirituel tendrement aimé puisque c’est lui-même qui me prit comme fils, le « fils de son
    coeur » comme il disait : Padre Pio, Transparent de Dieu, que le père avait été ici-bas comme
    « l’incarnation mystique de Jésus », le Seigneur ayant pris possession totalement de l’être de
    cet humble religieux. La mission, qui était de ramener à Dieu les hommes qui s’étaient
    éloignés de Lui, était désormais terminée. Padre Pio mourut. Et il ne resta plus ici-bas que les
    membres de Francesco Forgione qui n’avaient jamais foulé notre terre. Tel était Padre Pio.
    Homme de la prière
    Chaque soir, Padre Pio présidait la cérémonie qui réunissait les fidèles dans la petite église du
    couvent avant que ne fût construite la grande basilique. On y récitait le chapelet, on y donnait
    la bénédiction eucharistique. On y récitait également la fameuse Neuvaine irrésistible au
    Sacré-Coeur de Jésus et la Visite à la Madone. Entendre cette voix était quelque chose

    d’inoubliable et, dès les premiers jours, j’en fus bouleversé et profondément ému. Il y a,
    certes, beaucoup de gens qui sont capables de lire un texte intelligemment, et même avec du
    sentiment, en y mettant le ton ! Mais ces phrases, prononcées par Padre Pio, se revêtaient d’un
    exceptionnel relief. On y sentait la vibration intense d’une âme remplie de foi. C’était
    l’effusion la plus suave qui soit d’un coeur plein d’amour. Padre Pio scandait chacune des
    paroles. Il les prononçait avec un accent tel qu’on ne pouvait pas ne pas en être remué et ému
    jusqu’aux larmes. Lui-même, d’ailleurs, prononçait certains mots avec des sanglots dans la
    voix. Tel a été mon premier contact avec lui. Et la simple évocation de ce souvenir me
    bouleverse encore !
    À la messe, en prononçant les paroles de la Consécration, Padre Pio souffrait atrocement. Il
    savait bien, lui, ce qu’était la souffrance physique et ce qu’était la souffrance morale ou
    spirituelle… Et comme il savait aussi que seule la souffrance est capable de racheter le monde
    parce qu’elle est porteuse de rédemption, Padre Pio unissait ses propres souffrances à celles
    du Seigneur en Sa douloureuse Passion. Et cette offrande, il la faisait passer tout entière dans
    sa prière. Il savait bien aussi ce qu’était cette terrible « nuit de l’esprit » dont parle saint Jean
    de la Croix et dans laquelle il s’est trouvé plongé dès son plus jeune âge jusqu’au moment de
    la définitive et irréversible rencontre, dans l’éternel face-à-face au-delà de la mort, lorsque,
    enfin, ses yeux ont pu contempler Dieu sans voile. Ce qu’il conseillait aux âmes qui
    s’adressaient à lui et qu’il guidait vers les plus hauts sommets de la vie spirituelle et mystique,
    il l’a vécu, lui, le premier dans sa piété la plus profonde. Lorsque dans toute sa vie les
    tempêtes s’étaient abattues plus fortement et plus violemment sur lui, lorsque la Croix, qui
    avait été plantée au coeur de sa vie, s’était faite plus lourde, lorsqu’il prenait sur lui les
    innombrables intentions qui, de tous les coins du monde, avaient afflué vers lui, vers ce
    paratonnerre d e s hommes, il déposait tout dans le Coeur de Jésus, il mettait en Lui seul toute
    sa foi et toute son espérance. Il récitait chaque jour cette « Neuvaine irrésistible » dont les
    mots, pour lui, et sur ses lèvres, revêtaient une tonalité proprement « mantrique ».
    Cette prière s’appelle irrésistible parce qu’elle est fondée sur trois affirmations solennelles du
    Seigneur Lui-même. Nous lisons, dans l’Évangile, ces trois promesses, et, exprimée par Padre
    Pio, cette prière ne peut pas laisser le Coeur de Jésus insensible. La voici :
    « 0 mon Jésus qui avez dit : "En vérité, en vérité, je vous le dis, demandez et vous recevrez,
    cherchez et vous trouverez, frappez et il vous sera répondu, voilà que je frappe, je cherche et
    je demande (telle) grâce…" »
    « 0 mon Jésus qui avez dit : "En vérité, en vérité, je vous le dis, tout ce que vous demanderez
    à mon Père, en mon nom, Il vous l’accordera. Voici qu’à Votre Père, en Votre Nom, je
    demande (telle) grâce…" »
    « 0 mon Jésus qui avez dit : "En vérité, en vérité, je vous le dis, le ciel et la terre passeront,
    mais mes paroles ne passeront point ! » Voici que, m’appuyant sur l’infaillibilité de vos
    saintes paroles, je demande (telle) grâce…" »
    Et chaque parole, chaque formulation de la grâce implorée, était suivie de la récitation d’un «
    Notre Père », à cause de la soumission à la Volonté de Dieu, d’un « Je vous salue, Marie »,
    car Notre Dame était là pour appuyer cette prière, et d’un « Gloire au Père », pour exprimer,
    par avance et dans la confiance, notre remerciement à Dieu. Venait ensuite, à chaque fois,
    l’invocation : « Coeur Sacré de Jésus, j’ai confiance en Vous ! »

    Miracle de la dernière messe
    Ainsi priait Padre Pio… Il priait bien, il priait beaucoup, il priait toujours. Il était, au plein
    sens du terme : l’homme fait prière. Jamais il ne se lassait de prier. Bien plus, on lit dans les
    lettres qu’il écrivait à ses directeurs spirituels, qu’il se plaignait de ne jamais avoir assez de
    temps pour prier. Il avait écrit un jour : « Je voudrais que les journées aient quarante heures !
    » Il priait partout, à l’autel, au confessionnal, à sa place au matronée de la basilique où on le
    voyait lever son chapelet comme pour le montrer aux fidèles qui, en bas, le regardaient,
    priaient avec lui, priaient par lui. Il priait dans les escaliers, dans les couloirs, dans
    l’ascenseur, dans sa cellule le jour, la nuit, à l’exception des très rares heures de sommeil. Il
    priait avec des gémissements du coeur, il priait avec des « oraisons jaculatoires », mais il priait
    spécialement avec son chapelet. Il s’était promis de ne pas réciter moins de cinq rosaires par
    jour. Il fut vraiment un « dévoreur » de chapelets. Un jour, son supérieur lui demanda
    combien de chapelets il avait récité dans la journée. Et Padre Pio avait répondu : « Bah ! al
    mio Superiore, devo dire la verità ! (J’en ai récité trente-quatre !) »
    Il répétait souvent : « Allez à la Madone, faites-la aimer ! Récitez toujours le Rosaire.
    Récitez-le bien ! Récitez le plus que vous pourrez ! »
    Il priait pour ceux qui s’étaient recommandés à sa prière et aussi, chose étrange, pour ceux
    dont le Seigneur lui soufflait l’intention, même s’il ne les connaissait pas.
    Sa prière ornait et en même temps nourrissait sa constante, profonde et habituelle union à
    Dieu.
    Padre Pio nous a laissé ce grand exemple de prière. Il nous a fait comprendre que tout travail
    spirituel ne peut être accompli et réussi si, à la base, il n’y a pas ce regard d’amour porté sur
    Dieu dans une intense prière.
    Et dans sa prière, Padre Pio était arrivé au sommet de l’union transformante de Dieu, aux
    échelons les plus élevés de l’échelle mystique… Le 18 avril 1912, il avait raconté à son père
    spirituel une lutte terrible qu’il avait eu à soutenir contre l’enfer qui pratiquement chaque nuit
    le frappait et le persécutait de toutes les façons possibles, et la consolation du Seigneur lui
    était venue après la messe : « À la fin de la messe, écrit-il donc, je me suis entretenu avec
    Jésus pour l’action de grâce. 0 combien fut suave le colloque tenu avec le Paradis ce matin !...
    Le Coeur de Jésus et le mien se fondirent. Ce n’étaient plus deux coeurs qui battaient, mais un
    seul. Mon coeur avait disparu comme une goutte d'eau s'évanouit dans la mer. » Padre Pio
    pleurait de joie et il ajoutait : « Quand le Paradis envahit un coeur, ce coeur affligé, exilé,
    faible et mortel ne peut le supporter sans pleurer. »

    Il disait : « Soyez des âmes de prière. Ne vous fatiguez jamais de prier. C’est la chose
    essentielle. La prière fait violence au Coeur de Dieu, elle obtient les grâces nécessaires ! »
    Padre Pio était un homme de prière.





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