• Madame Helena Blavatsky

    I.- Les années de préparation

    l. De la naissance au mariage :
       l'éducation d'une fille de la noblesse russe

    1831.  Pendant que son père, le capitaine d'artillerie Peter von Hahn, est en opération du côté de la Pologne où les forces du " Tsar de fer " , Nicolas 1er, vont bientôt écraser l'insurrection des Polonais, la petite Helena Petrovna naît dans la nuit du 11 au 12 août, à Iekaterinoslav, au fond de l'Ukraine que le choléra est en train de décimer. On se hâte de réunir la famille pour baptiser le bébé, d'apparence chétive, mais la cérémonie tourne mal : pendant qu'on récite les prières rituelles, une fillette porteuse, comme ses aînés, d'un cierge allumé met le feu à la robe du pope, ce qui crée la panique dans l'église.

    a - Une enfance pleine de voyages

    Avec un père militaire, appelé à de fréquents déplacements à la tête de sa brigade, et une mère jeune mais bientôt minée par la maladie - elle allait mourir à 27 ans, après avoir eu 3 autres enfants, Vera, Alexandre (mort en bas âge) et Leonid - Helena ne connaîtrait pas la sécurité permanente d'un vrai foyer paternel : il faudrait faire parfois de longs parcours avec le père et ses soldats, aller le retrouver à ses lointains cantonnements, en Ukraine ou en Russie du Nord, ou bien accompagner la mère souffrante à ses cures thermales, au Caucase ou à Odessa, ou encore partir rejoindre les grands-parents maternels, afin de bénéficier de leur généreuse hospitalité, surtout après le décès de la mère. Haut fonctionnaire (Conseiller Privé), le grand-père Andrey Mikhailovitch de Fadeyev (qui avait épousé la princesse Helena Pavlovna Dolgorouky, descendante d'une des plus vieilles familles de Russie), était investi d'importantes charges civiles : il fut tour à tour nommé à Saratov sur la Volga, puis à Astrakhan, à l'embouchure de ce fleuve sur la Caspienne, et finalement à Tiflis, capitale de la lointaine Géorgie, dans ce Caucase où Helena allait vivre le dernier acte de cette période de jeunesse.

    En dehors de ces déplacements, sûrement très inconfortables dans la Russie de Gogol et Dostoïevsky, des grands voyages ont pu aussi marquer la jeune fille, comme la traversée de l'Europe, en compagnie de son père, avec un séjour en Angleterre, ou un long périple accompli en Russie d'Asie, par l'Oural jusqu'aux confins de la Mongolie, avec un oncle propriétaire de terrains dans la région de Semipalatinsk, en direction des monts Altaï. Premier contact avec l'Occident réputé pour son rayonnement et sa puissance, mais aussi découverte plus approfondie du lamaïsme mongol qui s'était déjà révélé à Helena lors de son séjour à Astrakhan avec son grand-père - quand celui-ci était chargé des affaires des nomades kalmouks (population pratiquant un bouddhisme apparenté au lamaïsme).

    b. Une éducation pour future grande dame

    Malgré tous ces déplacements, l'éducation de la fillette ne fut jamais négligée : promise à tenir son rang dans la haute société, il lui fallait devenir femme accomplie, distinguée et cultivée, parlant parfaitement le russe, mais aussi plusieurs langues étrangères, particulièrement le français. Elle devait aussi mettre en valeur ses talents artistiques. D'où la présence dans la famille d'une compagnie de gouvernantes, précepteurs et professeurs de langues pour remplacer l'école ou l'université que ne fréquentaient pas les filles de grande noblesse. Fort douée pour le piano, Helena reçut des leçons de très bons maîtres. Elle acquit aussi une certaine maîtrise du dessin et de la peinture - ce qui allait plus tard l'aider, à New York, à traverser une période d'impécuniosité. Cette " bonne éducation " ne fut pas donnée sans peine par les personnes chargées de cette tâche : très vive et intelligente, l'élève était aussi très indocile, d'un caractère explosif et fort difficile à manier.

    c. Une double existence, incomprise des adultes

    De façon précoce, Helena manifesta de très forts pouvoirs parapsychologiques qui ne cessèrent de surprendre sa famille et d'inquiéter les domestiques superstitieux. Somnambule, clairvoyante, et provoquant par sa présence maints phénomènes de poltergeist, elle vivait souvent dans un monde à part où nul ne pouvait la rejoindre, retranchée dans les coulisses invisibles de la nature et semblant dialoguer avec le petit peuple des gnomes et lutins du folklore russe. De nombreux témoignages de ses proches confirment ces étranges aptitudes qu'elle n'apprit que très lentement à soumettre au contrôle de sa volonté.

    Parallèlement, et d'une façon inévitable, Helena cherchait avidement le commerce de toutes personnes réputées versées dans les " arts occultes " - sorciers, rebouteux ou magiciens de village. Un jour, avant même l'âge de 15 ans, elle découvrit dans la bibliothèque de son arrière grand-père (le prince Paul Vassilyevitch Dolgorouky), une foule d'ouvrages d'alchimie, de magie et autres " diableries du Moyen-Âge " (comme elle l'a écrit) et les dévora avec passion. Bientôt, Paracelse, Kunrath, ou même Cornelius Agrippa, " n'avaient plus rien à lui apprendre ".

     

    Cet intérêt pour la face cachée des choses allait la lancer dans le monde à la recherche de tous les faits de magie, mais aussi de l'authentique expérience spirituelle. Détail remarquable : depuis son enfance, une présence protectrice sembla l'accompagner avec constance ; elle se manifestait sous la forme d'une image, toujours la même : celle d'un homme de grande taille, d'apparence orientale, qui à plusieurs reprises la tira de grands dangers (chute d'un échafaudage bancal que l'enfant avait confectionné pour atteindre un objet interdit, accident de cheval, etc.). Plus tard, Helena devait rencontrer pour de bon ce mystérieux personnage, lorsqu'elle aurait rompu avec la destinée qu'on avait prévue pour elle.

    d. Un mariage conclu à la hâte

    L'âge venant, Helena montra peu d'empressement à se marier, ce qui a dû inquiéter sa famille. Finalement, elle se trouva fiancée dans sa 18e année, à un fonctionnaire natif de Poltava, Nikifor V. Blavatsky, de 22 ans son aîné. Plusieurs versions ont été données de ce dénouement précipité. Après une fugue, qui avait fait scandale, Helena a-t-elle été conduite à accepter une prompte solution qui tranquillisait les siens ? Avait-elle espéré avec ce mariage pouvoir s'émanciper, ou réaliser quelque plan secret ? Toujours est-il que cette union, dont elle refusait tous les devoirs, fut célébrée en été 1849. Trois mois plus tard, Helena quitta un mari qu'elle n'avait cessé de repousser. Devenue soudain libre, à l'âge de 18 ans, elle pouvait maintenant se lancer à l'aventure pour découvrir le monde.

    Au total, elle émergeait de ces premières années comme une jeune aristocrate, très introduite dans les milieux de la noblesse russe, mais aussi, sous d'autres aspects, comme une nature indomptable, ignorant la peur du danger et montant à cheval comme un cosaque - capable d'une volonté peu commune pour aller au bout d'une entreprise. Elle n'en était pas moins femme - et femme russe elle le resterait toute son existence, avec un attachement viscéral à son pays, au Tsar, et à son Église orthodoxe qu'elle ne devait jamais critiquer, malgré toutes ses diatribes contre les religions dogmatiques, et surtout la papauté romaine.

     

    Chronologie rapide (1831-1849)

    1831-34     Premières années à Iekaterinoslav, puis à Romankovo (dans la même province) après le retour du père de Pologne (été 1832). Naissance du premier garçon, Alexandre, qui ne survit que quelques mois.

    1834         Mère et fille résident à Odessa, avec les grands-parents de Fadeyev.

    1835          Naissance de Vera (17 avril). Déplacements en Ukraine et Russie duNord.

    1836-37     Séjour avec le père à St Pétersbourg.

    1837         Au début de l'été, la famille (moins le père) va s'établir, avec les grands-parents et leur fille Nadyejda, à Astrakhan. Un séjour au Caucase pour une cure thermale, et retour en Ukraine, à Poltava.

    1838          Nouvelles cures pour la mère de Helena, à Odessa.

    1839 (déc.) Départ avec les grands-parents à Saratov. Juin 1840 : naissance de Leonid.

    1841          La famille rejoint le père en Ukraine.

    1842          Au printemps : déménagement à Odessa. 6 juillet : décès de la mère. En automne, les enfants quittent Odessa pour Saratov, chez les grands-parents de Fadeyev. Ils y resteront jusqu'en 1847

    1844-46     Voyages de Helena en Europe, puis en Sibérie, à Semipalatinsk.

    1846          Déplacements en Ukraine et retour à Saratov, jusqu'à la fin de l'hiver 1846-47.

    1847          Les 3 enfants von Hahn résident au Caucase, chez le grand-père de Fadeyev, nommé en poste à Tiflis. Divers déplacements en Géorgie autour de Tiflis, vers des stations thermales.

    1848     Nouveaux déplacements au Caucase. En mai, avec la tante Catherine et son mari Yuliy de Witte, séjours dans des stations thermales. En été : voyages au sud de Tiflis. L'hiver se passe à Tiflis. Promesse de mariage entre Helena et Nikifor Vassilyevitch Blavatsky, un fonctionnaire de la chancellerie du gouverneur de Géorgie.

    1849     Helena fait une fugue - a-t-elle cherché à suivre un Maçon (réputé occultiste), le Prince Galitzine, un parent du vice-roi du Caucase, qui visitait souvent la famille à Tiflis ? En tout cas, à son retour, le mariage avec N. Blavatsky est confirmé : il a lieu au sud de la capitale de Géorgie, à Djelal-Ogly, le 7 juillet. Le couple part en " lune de miel " à Daratschi-Tchag dans la plaine d'Ararat, non loin d'Erivan, capitale d'Arménie. En chemin, Helena tente (vainement) de s'échapper vers la frontière perse. Atmosphère très tendue dans la nouvelle demeure. Helena se plaît à chevaucher avec un chef kurde, Safar Ali Bek, dans les vallées qui environnent le mont Ararat. Finalement, en octobre, Helena s'enfuit à cheval et parvient à se réfugier à Tiflis, chez ses grands-parents. Elle jure qu'elle se tuerait si on l'obligeait à retourner. Il est convenu qu'elle rejoindrait son père, via Odessa. Accompagnée de serviteurs, elle gagne le port de Poti sur la Mer Noire. Manquant à dessein le navire pour Odessa, elle embarque sur un bateau anglais en partance pour la Crimée. A Kerch (à l'entrée de la mer d'Azov), elle sème les serviteurs et vogue vers Taganrog (au fond de la mer d'Azov), pour se retrouver finalement à Constantinople, hors de toute atteinte.

     

    2. Les années de voyages et de préparation
        à une grande mission publique

    De 1849 à 1873, ce seront maintenant environ 23 ans d'errance, dont la signification et l'utilité n'apparaîtront que plus tard. Globe-trotter infatigable, parfois habillée en homme, devançant d'un demi-siècle une autre femme célèbre, Alexandra David-Néel, Helena fera trois fois le tour de la terre, en pénétrant dans les régions les plus retirées du globe, y compris le Tibet, en doublant le Cap de Bonne Espérance, traversant les États-Unis d'Est en Ouest avec une caravane de chariots bâchés, et observant partout la vie, les coutumes et les pratiques religieuses et magiques d'hommes appartenant aux cultures les plus variées.

    a. Une aventure sans cesse renouvelée

    Mue par une curiosité toujours en éveil, et souvent d'une extraordinaire témérité, Helena veut tout voir - les Indiens Peaux-Rouges, les Vaudous de la Nouvelle Orléans, les derniers représentants des Incas au Pérou, et tous les inconnus de l'autre bout du monde. Elle ne reste jamais longtemps au même endroit. Parfois, avec l'argent reçu de son père, ou d'une marraine, elle paraît se fixer : elle achète des terres, lance une entreprise ou une exploitation, mais elle est victime d'escrocs, ou de son incompétence - quand elle ne perd pas ses papiers de propriété - et bientôt elle repart.

    b. Une odyssée qui prend son sens
    après la rencontre avec son maître spirituel

    Dès 1850, elle est face à l'homme vivant qui a hanté les visions de son enfance - celui qui dès lors restera toute sa vie son instructeur spirituel et son guide. Avec lui, elle entrevoit une destinée qui l'appelle, et lui impose une longue étape de préparation. Les années qui viennent vont l'aider à découvrir, expérimentalement pour ainsi dire, le gouffre qui sépare phénomènes psychiques et vie spirituelle. Possédée par des pouvoirs parapsychologiques qui l'encombrent, elle devra apprendre à les dominer; elle les verra aussi à l'oeuvre, aux mains des chamans et sorciers de toutes les contrées, à des fins humanitaires aussi bien que criminelles. Parallèlement, elle accédera au monde fermé des hauts mystiques de l'Inde et du Tibet, comme des confréries secrètes des Druzes. Plus tard, elle-même sera soumise plusieurs fois aux plus sévères épreuves initiatiques, dont elle sortira pantelante, mais immuable dans sa détermination, au service de la cause de son Maître.

    c. Un rôle d'agent de liaison

    Avec le temps, Helena fut mise en contact avec différents membres de la grande confrérie spirituelle de Maîtres et de disciples à laquelle appartenait son propre guide. À ce titre, certaines missions lui furent confiées lors de ses déplacements (par exemple vers 1'lnsulinde). Parallèlement, sur un plan différent, elle a pu entretenir des rapports avec des membres de mouvements patriotiques, proches de Mazzini ou de Garibaldi, luttant pour l'unification de l'Italie.

    d. Une longue errance
    où la patrie n'est jamais oubliée

    Helena n'a pas fui la Russie par haine des siens mais pour s'accomplir, dans la liberté du choix de sa voie. Avec ses pouvoirs insolites, on la croyait possédée du démon. Elle n'était pas comme les autres - et ne le serait jamais. Mais en Russie, elle avait laissé tout ses êtres chers, ses amis d'enfance, son père, sa soeur Vera, sa chère tante Nadyedja, et sa grand-mère qui lui tenait lieu de mère. Elle revint donc, accueillie avec joie par tous. Elle revit même son mari, qui semble-t-il avait pardonné. Et même pendant un long séjour qu'elle fit au Tibet, la famille sans nouvelles reçut un message de l'un des Maîtres pour la tranquilliser.

    Au total, encore toute jeune au début de ces interminables périples, Helena allait se retrouver à 42 ans, en 1873, comme une femme mûre, complètement métamorphosée, et riche d'une extraordinaire expérience, dont elle tenterait maintenant de faire profiter tous ceux qui l'approcheraient.

     

    Chronologie rapide (1849-1873) :

    1849 (fin) À Constantinople, la jeune mariée en fugue rencontre une vieille amie de la famille. Elles voyagent ensemble quelque temps (Grèce, Égypte, etc...). Première rencontre avec un Copte, Paulos Metamon, instruit en occultisme, qui guide Helena de ses conseils.

    1850          Rencontre à Londres du mystérieux Oriental, que Helena n'avait connu que dans des visions - un Indien rajpoute, qu'elle désignera comme son "Maître", ou le Maître Morya. À ce moment, il faisait partie de la suite du Premier Ministre du Népal en ambassade à Londres. Il laisse entrevoir à la jeune femme la mission qui l'attend.

    1851-52     Sa découverte de l'Amérique commence pour elle au Canada. Les Indiens du Québec qu'elle fréquente ne sont pas ceux qu'avait décrits Fenimore Cooper. Volée de quelques biens, elle déchante et passe aux États-Unis (bien avant la Guerre de Sécession). De la Nouvelle Orléans, elle gagne le Mexique par le Texas. Elle s'attarde en Amérique centrale (à Copan, Honduras, où elle trouve un disciple hindou de son Maître) et va jusqu'au Pérou, à la rencontre de témoins des lointaines civilisations précolombiennes.

    1854-56     Deux tentatives infructueuses pour entrer au Tibet se placent à cette époque. La première, depuis Darjeeling, est arrêtée en franchissant la frontière de l'Inde. La seconde, aidée par un chaman sibérien, permet à Helena de passer par le Ladakh et d'accéder au plateau tibétain, mais sans pouvoir poursuivre vers le Tibet Central.

    1857          Un séjour en Inde est interrompu par son Maître à la veille de la révolte des Cipayes. Elle ira à Java, en Birmanie, avant de regagner l'Europe.

    1858         Voyage en Europe avant de retrouver la Russie vers l'automne de cette année.

    1859     Le jour de la Noël russe (6 janvier), elle surprend sa famille réunie à Pskov (près de l'Esthonie) chez le beau-père de sa soeur Vera, à l'occasion d'un mariage. Retrouvailles avec son père, qu'elle accompagne à St Pétersbourg. Séjour chez Vera, à Rougodevo (province de Pskov). Au printemps 1860, les deux soeurs se rendent à Tiflis chez les grands-parents. Lors d'une halte à la ville sainte de Zadonsk (sur le Don), elles sont reçues par une connaissance de la famille, le métropolite de Kiev : témoin des phénomènes paranormaux produits par Helena, il prophétise que ses dons pourront servir ses semblables si elle en use avec discernement.

    Pendant ce séjour en Russie, des centaines de personnes sont témoins de l'exercice de ces pouvoirs que la jeune femme sait maintenant utiliser à sa volonté, en pleine conscience.

    1862          Vers cette époque, résidant chez son grand-père, Helena a dû revoir son mari. Ils semblent avoir pris en charge un pupille, Youri (fils d'une certaine Nathalie Blavatsky, parente de Nikifor, et du Baron Nicolas Meyendorff).

    1863-65     Une période très incertaine. Certains biographes placent ici un voyage au Tibet avec le Maître M.

    1865          Elle quitte le Caucase et va probablement en Syrie et au Liban. Elle contacte les Druzes, et peut-être d'autres ordres mystiques du Moyen Orient.

    1866-67     Voyage à Venise et plus tard, dans les Balkans. Elle est à Belgrade quand la garnison turque évacue le fort (13 avril 1867). L'enfant Youri qu'elle a emmené en Italie pour le faire soigner, finit par décéder; elle ramène son corps en Russie et retourne en Italie.

    Le 3 nov. 1867, elle est à la bataille de Mentana, aux côtés des Garibaldiens. Cinq fois blessée, elle est laissée pour morte.

    1868          Rétablie, elle est à Florence puis en Serbie. Finalement elle part au Tibet avec son Maître, pour y rester jusqu'à la fin de 1870. Séjour près de Shigatzé dans la maison d'un autre Maître, Indien du Cachemire, connu sous le nom de Koot Hoomi (K.H.).

    1870 (vers déc.) Retour en Europe par le canal de Suez (ouvert depuis un an). De Grèce, elle repart pour l'Egypte.

    1871 (4 juil.) Parti du Pirée, son bateau fait naufrage à l'entrée du golfe de Nauplie (explosion de la charge de munitions emportées pour lutter contre les pirates).
    Elle reste au Caire jusque vers avril 1872. Pendant 3 semaines, elle y tente vainement de lancer une " Société Spirite " , pour l'investigation des phénomènes liés à la médiumnité. Elle repart au Moyen Orient (Syrie, Liban).

    1872-73     À Odessa (juil. 72), elle rejoint sa famille qu'elle quitte en avril 73 pour Bucarest, et finalement Paris, où elle réside chez un cousin, Nicolas von Hahn, 11, rue de l'Université.
    Peu après, fin juin 1873, arrive l'ordre de son Maître de partir aux États-Unis. Elle se met en route le lendemain pour gagner New York, le 7 juillet 1873.

     

    II. Une vie publique
    entièrement consacrée à la Théosophie

    l. Des premières tentatives au manifeste d'Isis Dévoilée

    Pendant que, sans moyens, Helena s'efforce de vivre de petits travaux artisanaux à New York, son père meurt le 27 juillet 1873. La dépêche envoyée par sa demi-soeur Elisabeth ne l'atteindra que des mois plus tard, avec 1000 roubles d'avance sur sa part d'héritage. Ce qui permettra à Helena de faire une affaire immobilière (peu réussie) dans l'État de New York.

    C'est en 1874, en réalité, que tout va commencer : en juillet, un homme de loi expert en assurances, Henry Steel Olcott (qui avait été nommé colonel pendant la guerre de Sécession), fort intéressé par les phénomènes du spiritisme, se rend à Chittenden (Vermont) à la ferme des Eddy pour observer les séances assez spectaculaires qui s'y déroulent. Au mois d'août, il en rend compte dans le Sun de New York. Le Daity Graphic lui propose de retourner sur place pour une enquête complète. Informée de son action par la presse, Helena se rend aussi à Chittenden -dans le but de le rencontrer - ce qui se produit le 14 octobre, date mémorable qui marque le début d'une collaboration et d'une amitié fraternelles qui dureraient jusqu'à la mort de Helena.

    Celle qui se fait connaître maintenant sous le nom de Helena Petrovna Blavatsky, ou Madame Blavatsky, commence à écrire dans les journaux pour attirer l'attention sur elle, rencontrer des personnalités, et se mêler activement au monde des spirites en utilisant la maîtrise qu'elle a acquise dans ce domaine afin de tester les médiums authentiques et démasquer les fraudeurs. À ce propos, elle écrit au prof. Hiram Corson, le 16 février 1875 :

    " Je suis ici, dans ce pays, envoyée par ma Loge, pour la Vérité qui se trouve dans le spiritisme moderne et c'est mon devoir le plus sacré de faire la lumière sur ce qui est, et dénoncer ce qui n'est pas. Peut-être suis-je venue ici 100 ans trop tôt.. ."

    Quelques mois plus tard, un jeune avocat d'affaires, W.Q. Judge, rencontre à son tour Mme Blavatsky - ce qu'il a décrit plus tard comme des sortes de retrouvailles :

    " Ce fut son regard qui m'attira, celui de quelqu'un que j'avais dû connaître dans un lointain passé, dans d'autres vies. Je vis par ce regard - qui jamais ne changea par la suite - qu'elle me reconnut dès cette première heure. "

    En tout cas, H.P. Blavatsky avait trouvé en Judge le compagnon de travail et le disciple fidèle qui allait comprendre ses intentions les plus profondes et la soutenir jusqu'au bout avec sa ténacité d'Irlandais.

    En attendant, voici que des personnalités se réunissent à l'appartement de Mme Blavatsky; l'idée naît de former une société - le nom est suggéré : ce sera la " Theosophical Society " ( = Société Théosophique, ou S.T.). Entre septembre et octobre 1875, on discute des statuts et on met en place un Bureau : Olcott sera président, Mme Blavatsky secrétaire correspondante. Et, le 17 novembre, a lieu la réunion inaugurale. Dès lors, H.P. Blavatsky se lance dans la rédaction de son premier livre : Isis Dévoilée, avec (pour la correction de l'anglais et les échanges entretenus au fil du travail) l'aide amicale d'Olcott, qui habite dans le même immeuble qu'elle, à Manhattan. Plus tard (août 1876), ils prendront un appartement en commun, que les visiteurs (nombreux) appelleront la " lamaserie " .

    Le 6 décembre 1876, a lieu la première incinération aux États-Unis, celle d'un membre de la S.T., le Baron de Palm. Olcott s'est occupé de faire construire un crématoire : l'événement fait sensation. L'année 1877 est marquée ensuite par la publication d'Isis Dévoilée, et par d'actifs échanges avec diverses personnalités, en Angleterre et en Inde. L'ouvrage - un fort volume de 1300 pages - paraît le 29 septembre. On se l'arrache : le premier tirage (1.000 exemplaires) est épuisé en 10 jours.

    Isis porte ainsi Mme Blavatsky au premier plan de l'actualité dans le domaine des idées. Véritable manifeste du mouvement théosophique naissant, ce livre va contribuer à faire connaître ce dernier et étendre son rayonnement à l'échelle internationale.

     

     

    ISIS DÉVOILÉE

    Dans ce livre d'un style nouveau pour l'époque, Mme Blavatsky s'avance courageusement face à son public comme un témoin qui doit faire part de l'immense somme de connaissances récoltées au cours de ses voyages à la poursuite de la vérité - même si ce qu'elle a à dire s'écarte des idées reçues.

    Au monde occidental qui s'enorgueillit de son savoir scientifique comme de son progrès technique, et s'imagine, sur la foi de ses prêtres, posséder la seule vraie religion, elle dévoile à longueur de pages les erreurs et illusions où s'enferme tout un hémisphère par son sentiment de supériorité, ou son ignorance.

    Au chapitre de la Science, elle qui, des années durant, a observé partout à l'oeuvre des experts dans la pratique de la magie et du chamanisme, qui possède elle-même la maîtrise de ses pouvoirs psychiques et a vu ses propres Maîtres dans l'exercice de leurs exceptionnels pouvoirs spirituels, sait par expérience que ces manifestations ne sont pas des impostures ni des miracles, mais résultent du jeu de lois aussi scientifiques que la gravitation; et, pour cette raison, elle dénonce le sectarisme des savants sûrs de leur infaillibilité , mais ignorant délibérément les faits d'expérience des mystiques et des psychiques, dès que ces faits échappent aux théories en vigueur. Et elle accumule les exemples où l'universitaire abuse de son autorité pour dogmatiser, sans même se donner la peine d'observer des réalités inédites qui s'offrent à sa portée, au risque d'être obligé de revoir toute sa vision des choses.

    Dans la seconde partie, intitulée Théologie , ce n'est pas aux pures figures du Christ ou des grands saints mystiques qu'elle s'en prend mais aux institutions ecclésiastiques qui sévissent depuis des siècles, particulièrement en Occident, où elles emprisonnent la pensée des hommes dans le carcan de systèmes dogmatiques qui n'ont plus de chrétiens que le nom. Bien plus, Mme Blavatsky accuse le monopole religieux qui s'est instauré d'avoir réduit au silence toutes les voix des sagesses antiques dont on craignait la concurrence. C'est l'occasion pour elle d'affirmer l'existence réelle des mystères initiatiques qui jadis, partout sur la terre, avaient effectivement permis à l'homme de s'élever jusqu'à la communion intérieure avec son propre Esprit divin ; et aussi de témoigner de ce qu'elle a vu de ses yeux : l'existence actuelle de tels foyers d'initiation, toujours vivants (même si leur accès est beaucoup plus fermé que jadis) et sous la garde de sages, qui y conservent l'héritage de ce glorieux passé.

    Ainsi tout l'ouvrage vise à rendre justice à la pensée et à l'activité d'une foule d'hommes dont la présence, le savoir, et le témoignage sont délibérément écartés du champ de vision des Occidentaux. Son ton polémique, inévitable, si on tient compte de la masse des préjugés à liquider - ne doit pas faire oublier l'intention profonde qui était sans doute, déjà à cette époque, une vraie réconciliation entre science et religion, en invitant la première à reconnaître et explorer l'immense face cachée de l'homme, et la seconde à devenir authentiquement universelle, en découvrant les convergences de toutes les voies d'accès au Divin, et leur langage commun.

    Mais, à coup sûr, l'objectif le plus immédiat pouvait être de faire pièce au matérialisme scientifique menaçant, en le contraignant à reconnaître qu'il n'avait pas réponse à tout, et de battre en brèche le sectarisme religieux en lui opposant l'extraordinaire richesse des multiples courants spirituels de l'Orient et du proche Orient - voire de la Grèce oubliée.

     

    2. L'extension du mouvement vers l'Est

    Les trois principaux fondateurs de la Société (Mme Blavatsky, Olcott et Judge) étaient des Occidentaux, mais l'inspiration venait de l'Orient. On avait profité du raz de marée du spiritisme - qui mobilisait l'attention de toute l'intelligentsia de l'époque - pour entrer sur la scène publique, mais il devenait clair, avec Isis Dévoilée, que le mouvement avait d'autres ambitions que de parler des phénomènes médiumniques. On allait tenter de rapprocher l'Occident et l'Orient, et de faire découvrir au premier ce que recélait le second de ressources philosophiques et métaphysiques pour répondre aux essentielles questions de fond qui se posaient à l'homme moderne. Ce rapprochement devait commencer, dans les faits, par une implantation de la S.T. dans tous les continents, jusqu'à l'Inde, et même l'Australie et la Nouvelle Zélande. Déjà, cette S.T. avait des membres et des sympathisants hors des États-Unis (dont le Commandant Courmes, un Français affilié à la Société le 8 nov. 1876).

    Le 16 mai 1878, Mme Blavatsky reçut de son Maître l'ordre de partir en Inde. Le temps d'obtenir sa naturalisation américaine (le 8 juillet) et de tout régler pour ce nouveau départ, elle quitta New York le 18 décembre, avec Henry Steel Olcott (H.S.O.), devenu ardent propagandiste de la cause théosophique. Il avait en poche un passeport diplomatique et une lettre autographe du président des États-Unis le recommandant aux autorités consulaires américaines à l'étranger - signes de la confiance que ses services lui avaient méritée.

    Une escale à Londres (janv. 79) permit d'y affermir une Branche, déjà formée avec un avocat anglais : C.C. Massey.

    L'arrivée à Bombay (16 fév. 79) marqua le début d'une extraordinaire activité en Inde et à Ceylan, occupée par d'incessants déplacements, des contacts importants avec de nombreuses personnalités locales, (pandits, maharajahs, yogis), la fondation des Branches de la S.T., dont celles de Bombay (jan. 80) et de Colombo (juin 80), et le lancement d'une revue internationale, The Theosophist (1er oct. 1879), où pouvaient s'exprimer des personnes de toutes les communautés d'Orient et d'Occident.

    Dans le premier numéro, Mme Blavatsky (H.P.B. pour ses amis) fait une mise au point remarquable à propos du mot Théosophie. Habituellement, ce terme servait classiquement (comme dans Isis Dévoilée) à désigner un système donné de philosophie mystique - comme la théosophie des Égyptiens, des néoplatoniciens ou des philosophes du feu. Ici, l'auteur insiste sur l'existence d'une Gnose universelle -une Théosophie, ou sagesse divine, archaïque - qui aurait été répandue depuis la plus haute antiquité, et préservée par des initiés dans toutes les civilisations à travers l'histoire. Dès lors, le mot Théosophie (avec un T majuscule) allait renvoyer presque toujours à cette doctrine secrète, ésotérique qui est comme la sève nourrissant l'arbre des religions. Et la grande Fraternité à laquelle appartenaient les Maîtres de H.P.B. serait présentée comme la gardienne permanente de cette Sagesse des âges.

    Un événement important marque encore l'année 79 (décembre) : une visite de H.P.B. et H.S.O. chez A.P. Sinnett, rédacteur en chef du Pioneer d'Allahabad. Est présent également A.O. Hume qui, après un étroit contact avec la S.T., deviendrait le fondateur de l' " lndian National Congress " (1885), parti qui allait stimuler le réveil national de l'Inde. L'année suivante (oct. 80), devait commencer une longue correspondance entre Sinnett et les Maîtres de Mme Blavatsky, d'où l'auteur anglais serait en mesure de tirer (en 1883) un livre qui ferait date, Le Bouddhisme ésotérique, sorte de synthèse (très incomplète et parfois déformée) des doctrines proposées par ses instructeurs orientaux.

    De son côté, Olcott déploie une grande énergie à faire revivre à Ceylan le bouddhisme, dont l'implantation est fort menacée par les missionnaires chrétiens. Le 24 juillet 81, il publie (en anglais et cingalais) un Catéchisme bouddhique, simple et convaincant, qui sera d'une grande efficacité.

    L'année 82 est marquée par une heureuse opération immobilière : l'achat d'une vaste propriété à Adyar (Madras) où la S.T. sera transférée (début 83) pour y établir son Quartier Général.

    Pendant toute cette période, l'activité littéraire de H.P.B. ne cesse jamais (nombreux articles dans le Theosophist et contributions aux journaux indiens et même russes). Mais sa santé se ressent de son travail acharné et du climat de l'Inde.

    Il est décidé qu'elle retournerait quelque temps en Europe, où l'attendent d'autres tâches. Il est d'ailleurs question d'une version revue et augmentée d'Isis Dévoilée, annoncée (jan. 1884) sous un titre prometteur : La Doctrine Secrète.

     

    3. Années 1884-85 : un voyage fructueux qui se termine mal

    Le 20 fév. 84, H.P.B. avec Olcott et 3 Hindous quittent Bombay pour arriver (le12 mars) à Marseille où les accueillent le baron Spedalieri et le Commandant Courmes.

    Après un court séjour chez la duchesse de Pomar, à Nice, les voyageurs s'installent à Paris, 46 rue Notre-Dame des Champs. W.Q. Judge, qui a quitté New York pour un voyage en Inde, s'attardera auprès de H.P.B. pour l'aider à revoir le texte d'Isis.

    Nombreuses rencontres avec des personnalités européennes, mais aussi temps passé à régler divers contentieux entre théosophes, à Londres et à Paris, où Olcott doit arranger des situations difficiles. En mai, H.P.B. est en visite à Enghien, au château du comte et de la comtesse d'Adhémar.

    Judge la rejoint pour quelques jours. Il y est le témoin de phénomènes surprenants liés aux pouvoirs parapsychologiques de Mme Blavatsky. C'est d'ailleurs le moment où la " Société de Recherches Psychiques " de Londres (S.R.P.) commence à s'intéresser à ces phénomènes produits par H.P.B., et ouvre une enquête auprès d'Olcott et de divers témoins, comme Sinnett.

    Malheureusement, pendant toute cette absence de H.P.B. et H.S.O. en Europe, un énorme scandale est en train de se préparer en Inde. Un couple de Français mécontents et hostiles, les Coulomb, qui, dans la gêne, avaient trouvé refuge à Adyar et servaient à des travaux domestiques, s'emploient à monter une odieuse machination pour détruire la renommée de Mme Blavatsky et ruiner la Société Théosophique. Détenteurs des clefs des pièces de H.P.B. (qu'ils interdisent aux autres membres), ils y font tous les aménagements nécessaires qui permettront plus tard d'accabler Mme Blavatsky sous l'accusation d'imposture : ainsi, tous ses " phénomènes " n'auraient été que tours habiles produits avec l'aide... des Coulomb. Bien plus, ceux-ci fabriquent des fausses lettres où H.P.B. se compromet en demandant leur secours pour ses manoeuvres malhonnêtes. Expulsé d'Adyar le 25 mai, le couple félon a des alliés tout trouvés chez les missionnaires de Madras qui, depuis longtemps, s'inquiètent de l'extension de la S.T. sur leur fief : ils tenteront de la torpiller en publiant au grand jour les lettres accusatrices achetées aux Coulomb, dans le Christian College Magazine (sept-oct. 84) - ce à quoi 300 étudiants du Christian College répondront aussitôt par une lettre de véhémente protestation.

    Entre-temps, Judge était arrivé à Bombay le 15 juillet et de là, avait gagné Adyar le 10 août (où il avait fait constater les truquages montés par les Coulomb), pour repartir finalement aux États-Unis, en octobre.

    Longtemps retenus en Europe, H.P.B. et Olcott avaient continué leur tournée, (plus ou moins indépendamment), avec une longue visite en Allemagne, chez des amis qu'ils avaient à Elberfeld, les Gebhard. Avertis tous deux de la conspiration des Coulomb, et pressés de revenir par les membres d'Adyar, Olcott reprit le premier le chemin de l'Orient (octobre 84). Il ne fut rejoint par Mme Blavatsky, à Colombo, que le 17 décembre.

    Sur sa route, elle avait pris le temps de s'arrêter au Caire, de dîner avec Nubar Pacha, le Premier Ministre d'Égypte, d'assister à la réception de la Vice-reine, et de visiter le Musée avec le grand égyptologue français Maspéro (en étonnant ce dernier par ses connaissances). Son arrivée à Adyar, le 21 déc. 84, fut suivie le lendemain de la visite de Richard Hodgson, un enquêteur envoyé sur place par la Société de Recherches Psychiques qui avait jugé le cas Blavatsky assez intéressant pour faire une investigation plus approfondie. Il faut dire que celle-ci s'ouvrait dans un lourd climat de scandale et de suspicion. Le 23 déc., Mme Coulomb publiait un document diffamatoire (avec l'aide des obligeants propriétaires du Christian College Magazine) où elle dévoilait ses prétendues relations avec Mme Blavatsky. Le jeune enquêteur fut ouvertement reçu à Adyar; il ne fut le témoin pratiquement d'aucun phénomène insolite : ce que H.P.B. lui consentit - un peu en manière de jeu (un ou deux coups - ou " raps " - frappés sur son crâne) - le laissa perplexe, et il finit par en douter. Mais en se tournant vers l'autre camp (le 3 jan. 85), il se laissa vite prendre aux discours des maîtres-chanteurs - dont il eût dû se défier. Il se fit une " opinion " , en se retournant contre H.P.B. et en imaginant un extraordinaire scénario où, avec l'aide d'astucieux complices (dont le remarquable Damodar K. Mavalankar, dévoué disciple hindou du Maître K.H. et au-dessus de tout soupçon), elle avait réussi à tromper son monde.

    Hodgson quitta l'Inde, le 26 mars, après un dernier adieu aux gens d'Adyar. Son fameux " rapport " , longuement concocté, fut publié dans les Comptes rendus de la S.R.P., en décembre 85. Document de 200 pages, dépourvu d'objectivité et de rigueur scientifique, et omettant de surcroît des pièces essentielles du dossier, il n'aurait plus de nos jours aucune valeur probante. Il jetait gratuitement l'opprobre sur H.P.B., qui passerait à la postérité comme un imposteur accompli.

    À signaler que la victime ne reçut aucune occasion de se défendre et n'eut jamais accès aux fameuses lettres compromettantes, fabriquées par les Coulomb. Celles-ci ont malheureusement disparu; mais des documents de grande valeur existent encore : les lettres des Maîtres, que H.P.B. était accusée par Hodgson d'avoir écrites de sa main. Ces pièces demeurent aujourd'hui au British Museum, comme des preuves de son innocence, ainsi que l'ont démontré deux études distinctes, l'une linguistique et l'autre graphologique. Mais il a fallu attendre un siècle pour voir cette réhabilitation dans un article publié, en avril 1986, dans le Journal de la même S.R.P.

    Pour revenir au début de cette année 85 : blessée par l'attaque des Coulomb (auxquels l'hospitalité avait été donnée à Adyar), H.P.B. songe à les attaquer en justice; sa santé décline à nouveau : en janvier, elle est dans un état critique. Même moralement, l'atmosphère d'Adyar devient irrespirable. Appelé par son Maître, Damodar prend la route du Tibet. H.P.B. ne se sent plus soutenue par les siens. Elle donne sa démission (29 mars) - décision provisoire, il est vrai. Très faible, elle est mise sur un bateau qui quitte l'Inde (31 mars). Elle touchera les côtes d'Europe, à Naples, le 23 avril 1885.

    À ce moment, on ne donnerait pas cher du mouvement théosophique auquel elle avait voué sa vie. Pourtant, on allait assister à une sorte de redistribution des cartes. Mollement soutenue en Inde - et devenue même franchement indésirable pour certains - Mme Blavatsky irait chercher en Europe les énergies qui l'aideraient à parachever son oeuvre, tandis qu'on verrait un grand réveil de la S.T. aux États-Unis, sous l'impulsion vigoureuse de Judge qui était revenu métamorphosé de ses échanges fructueux avec son aînée, et de son voyage en Orient.

     

    4. Une "longue marche" de 2 années, avant le réveil

    Malade, parfois à deux doigts de la mort, et loin de tout grand centre théosophique, Mme Blavatsky allait connaître maintenant une sorte de retraite, ou même d'exil, où elle recevrait pourtant l'affection de quelques amis, en particulier le soutien attentif de la comtesse Wachtmeister, qui (en déc. 85) vint vivre avec elle, à Würzburg. Elle se mit avec acharnement à écrire la Doctrine Secrète, pour autant qu'elle en avait la force, ou qu'elle ne sombrait pas dans la dépression, ou la colère, sous le coup des nouvelles alarmantes. Pour un temps, la bombe du rapport Hodgson eut des effets dévastateurs dans les rangs des théosophes : affluaient chaque jour des lettres de démission ou d'injures, de la part d'anciens amis. Elle eut beau protester solennellement de son innocence, tenter de s'adresser " aux théosophes et hommes d'honneur " (par une lettre écrite le 1er janvier 1886), il fallut laisser passer la vague des déçus, des rieurs et des mécontents. Il arriva cependant que des partisans se rangent à ses côtés, en découvrant l'injustice et le caractère tendancieux du rapport Hodgson. Pourtant, le signal était donné : on verrait sortir au grand jour des ennemis de tout poil profitant de l'occasion pour donner le coup de pied de l'âne au lion épuisé et sans défense. Jusqu'au jour de sa mort, elle dut intenter des procès en diffamation pour préserver son honneur et sauvegarder la S.T. Dans le but de démolir insinuations, et même cabales, lancées par d' " honorables " personnalités la décrivant sans scrupules comme une aventurière, il parut même nécessaire qu'elle produise un certificat médical attestant qu'elle n'avait jamais eu d'enfants - et n'aurait pu en avoir. Ainsi allait le monde il y a un siècle.

    Pourtant, au cours de cette " longue marche " , qui la fit passer d'Italie en Suisse puis en Allemagne, avant de gagner Ostende en Belgique, tout n'a pas été que déboires et calvaire moral et physique. En avril 86, Judge sonnait le réveil en lançant à New York une revue 100 % théosophique, The Path, et, peu après, H.P.B. allait retrouver ses amis Gebhard à Elberfeld, où elle aurait même la visite de sa soeur Vera et de sa tante Nadyejda.

    En septembre 86, le manuscrit du premier volume de la Doctrine Secrète est terminé. H.P.B. l'envoie à Adyar pour être revu par un ami indien (T. Subba Row), brahmane initié de la caste des Smarta, en qui elle a toute confiance. Mais lui, inquiet des révélations qu'elle fait au monde profane, et peu soucieux de la soutenir, refuse la tâche. Disciple confirmé du même Maître que H.P.B., il ne devait pas ignorer que l'ouvrage avait été directement inspiré, sinon dicté, par une autorité bien supérieure à l'intelligence de sa condisciple - mais sans doute ne pouvait-on pas lui imposer cette collaboration.

    Au début de 87, des visiteurs venus de Londres pressent leur amie de quitter Ostende où elle est depuis 6 mois, isolée de tout : ils l'invitent à résider en Angleterre.

    Peut-être l'offre vient-elle trop tard ? En mars, H.P.B. est au bout du rouleau ; elle tombe dans un genre de coma pendant des heures. Pourtant, par un de ces miracles qui avaient jalonné sa vie, elle se réveille, dispose, et roule une cigarette pour le médecin venu à son chevet. Plus tard, elle racontera que, pendant cette léthargie, elle avait été en présence de son Maître qui lui avait donné à choisir entre la délivrance offerte par la mort, ou la continuation de son calvaire, afin de terminer sa chère Doctrine Secrète. Elle avait fait le second choix.

    Remise pour quelque temps, contre toute attente, elle va profiter de ce répit pour remplir chacun des jours des quatre dernières années de sa vie, et donner tout son sens à sa mission.

    Le 1er mai 1887, elle se retrouve enfin à Londres, pour y demeurer jusqu'au bout. À peine débarquée, elle est déjà au travail, plongée dans ses manuscrits.

     

    5. Le bouquet final

    Deux événements importants marquent déjà le reste de cette année 87 : la création de la " Blavatsky Lodge " (19 mai) et le lancement (en septembre) de Lucifer, une revue visant (en accord avec son titre) à " mettre en lumière les choses cachées des ténèbres " . Ces deux innovations allaient permettre à H.P.B., d'une part, de réunir autour d'elle des théosophes soucieux de recevoir son enseignement oral (et des réponses à leurs propres questions) et, d'autre part, de consacrer tout son temps libre à compléter son message écrit.

    Les Transactions of the Blavatsky Lodge - comptes rendus sténographiques des réunions de cette Loge publiés à intervalles espacés - jettent une lumière souvent nouvelle sur des sujets comme les rêves, ou des points délicats de la Doctrine Secrète, publiée en 88.

    À cette époque, H.P.B. est absolument déterminée à ce que la S.T. devienne l'organe de propagation de la Théosophie - au moins partout où elle-même aurait les mains libres pour le faire - même si les statuts de la Société n'obligent personne à suivre cette voie. Également, le besoin se fait sentir de nourrir les chercheurs sincères d'enseignements plus approfondis. D'où l'idée suggérée par Judge de former une Section Ésotérique au sein de la S.T. : c'est la raison de son voyage à Londres, fin 87. L'idée va mûrir pour aboutir (le 9 oct. 88) à la création officielle de cette Section, sous la seule direction et responsabilité de Mme Blavatsky.

    Entre-temps, une énergie considérable doit être dépensée pour rédiger les dernières pages de la Doctrine Secrète, remettre en ordre l'immense matière traitée, corriger les épreuves, etc. Plusieurs volontaires sont mobilisés sans arrêt pendant des semaines. Finalement, le premier volume paraît le 20 octobre, suivi du second en décembre. Au total, un document de plus de 1500 pages d'un texte très serré, livré à un public avide de le lire (on l'attendait depuis 4 ans). Ouvrage d'une étonnante richesse dont l'auteur attribue toujours l'originalité à ses propres Maîtres; mais ouvrage fort dense, et exigeant une longue étude patiente. Selon H.P.B. elle-même, on ne reconnaîtrait sa valeur qu'au 20e siècle.

     

    LA DOCTRINE SECRÈTE

    Avec cet ouvrage, l'occasion est venue, pour H.P.B. et ses Maîtres, de révéler à grands traits le contenu doctrinal de la Théosophie - cette Gnose divine des origines, dont il a été souvent question au sein de la S.T. et qu'un premier essai de Sinnett avait présenté sous le titre : Le Bouddhisme Esotérique. Encore l'exposé doit-il se limiter à ce qui peut en être dévoilé au monde largement matérialiste de l'époque. Il s'appuie sur un document secret présenté comme étant de la plus haute antiquité dans ses origines : Le Livre de Dzyan, dont les Stances sont successivement commentées, en rapport avec la naissance du monde et l'histoire de l'humanité. Dans le 1er volume (Cosmogénèse) est développé un schéma d'émanation (non de création ex nihilo), ou d'élaboration progressive des univers, procédant d'une source unique et absolue de conscience-matière-énergie, échappant à toute conception mentale. H.P.B. insiste sur l'unité des mondes, qui se conserve sous leur apparente multiplicité, chacun étant soumis à un jeu de lois qui en maintiennent l'harmonie dynamique. Elle souligne aussi une notion capitale : la périodicité de ces manifestations tangibles, tour à tour émanant de l'ineffable source absolue, et s'y refondant, après un cycle d'activité, en attendant l'émergence d'un nouvel univers, à partir de l'acquis du précédent. D'où cet autre postulat essentiel : cette succession ininterrompue, dans l'infini de la durée, a un sens profond : elle rythme les étapes d'un immense processus d'évolution - physique, psychique et spirituelle - qui comprend une montée progressive de la conscience, en parallèle avec une longue élaboration des formes, depuis les degrés les plus primitifs jusqu'au stade humain, et bien au-delà.

    Le 2e volume (Anthropogénèse) invite à ne pas considérer l'homme comme un animal (un singe) qui aurait un jour accédé à l'intelligence, selon le schéma darwinien; il serait en fait le point de rencontre de 3 lignes différentes d'évolution - physique, mentale et spirituelle. La doctrine, très originale, développée ici donne un sens à l'histoire symbolique de la Genèse biblique, comme au mythe de Prométhée - l'éveil de l'intelligence dans des âmes longuement préparées à cette mutation (à la suite d'une grande variété d'expériences dans d'autres formes) est attribué à l'action catalytique d'autres âmes - depuis longtemps émancipées, dans de lointains cycles antérieurs - agissant un peu comme des parents humains stimulant les facultés mentales chez leurs enfants, qui jamais ne deviendraient des êtres humains à leur tour sans cette intervention - et sans ce sacrifice (supporté symboliquement par Prométhée).

    Dans cette représentation, la Doctrine Secrète reconnaît à l'homme une âme profonde, noyau permanent, transpersonnel, de conscience (soutenant la structure éphémère du moi-je personnel), témoin intérieur engagé dans un lent processus d'éveil spirituel, et de retour conscient à la source absolue, au prix d'efforts cumulés, et intégrés, au fil de nombreuses réincarnations, réglées par la loi de responsabilité individuelle {karma).

    Elle n'invite pas à chercher un salut personnel pour échapper au monde, mais à hâter en soi-même la réalisation du projet évolutif assigné à l'humanité, afin d'aider aussi, solidairement, la collectivité dans cette voie.

    C'est donc à une prise de conscience planétaire de l'aventure humaine que la Doctrine Secrète appelait - et invite encore - les individus capables de se mobiliser pour s'éveiller, et servir d'éveilleurs, à une époque de transition de notre histoire menaçant d'être dramatique dans ses prolongements.

    À la lecture, ce livre apparaît comme une véritable somme d'enseignements ésotériques à laquelle n'ont pas manqué de puiser, sans cesse, depuis un siècle, un nombre considérable de chercheurs qui s'en sont inspirés pour formuler leur pensée - sans toujours citer leur source.

     

    Fidèle à ses objectifs, déjà indiqués dans Isis Dévoilée, Mme Blavatsky y a présenté ce quelle considérait comme les bases rationnelles d'une éthique universelle, capable de fonder, sans utopie, une véritable fraternité de l'humanité, à une époque où les hommes n'étaient plus disposés à accepter sur parole les mystères irrationels de la foi.

    Poursuivant sur sa lancée, Mme Blavatsky prépare aussitôt un manuel d'accès plus facile, à l'intention de ses fidèles - les membres de la S.T. qui ne sont pas là par curiosité, ou pour leur intérêt, mais en vue d'apprendre la Théosophie pour mieux l'enseigner à leur tour. Ce sera La Clef de la Théosophie, qui paraîtra fin juillet 89.

    La Section Esotérique commence maintenant à réunir l'élite des gens de la S.T. qui sont engagés à servir efficacement le mouvement théosophique. Elle s'étend aux États-Unis où Judge est l'homme de confiance de H.P.B.. Lui-même va revenir (fin 88) en Europe pour rédiger avec elle un Livre des Règles applicables dans cette Section. Irlandais de naissance, il profitera de ce séjour pour aller infuser une grande énergie à la Loge de Dublin, qui devient un point de ralliement pour la nouvelle génération de littérateurs et poètes irlandais (dont l'un des chefs de file est George Russell, un ami et admirateur de Judge).

    Pendant cette période de grand réveil, et d'activité intense, H.P.B. suit de près l'extension du mouvement aux États-Unis : chaque année (de 1888 à 1891), elle envoie un message d'encouragement et de conseil aux théosophes réunis en Congrès annuel. L'ensemble de ces documents (les " Cinq Messages " ) résume, avec le dernier chapitre de la Clef de la Théosophie, les directives essentielles laissées par la fondatrice pour la conduite de la S.T. après sa mort, et jusqu'au 20e siècle. Leur contenu reste d'une grande actualité.

    En dehors de la parution de la Clef, d'autres événements marquent l'année 89.

    Invité au Japon, Olcott y fait une longue tournée de conférences (4 mois) pour y affermir le bouddhisme et créer des liens entre Écoles du Sud et du Nord.

    Le 10 mai, la S.T. de Londres trouve une importante recrue en la personne d'Annie Besant, femme de grand talent, qui secondera efficacement H.P.B. jusqu'à sa mort. Elle l'hébergera aussi dans sa maison. Toujours malade, cependant (elle est devenue presque impotente), Mme Blavatsky connaît un heureux répit en juillet 89 lorsqu'elle vient à Fontainebleau prendre quelque repos. Elle en profite pour rédiger une grande partie de sa dernière oeuvre La Voix du Silence . Ce livre, dédié " au petit nombre " de ses vrais fidèles, paraîtra fin sept. 89.

    Attachée en premier lieu à " créer le noyau d'une fraternité universelle de l'humanité " , la Société Théosophique pouvait favoriser toute démarche philanthropique (ce qui a conduit, par exemple, à l'ouverture à Londres, le 9 juillet 90, d'un club pour ouvrières défavorisées), mais l'urgence était dans le sens d'une réforme profonde des idées gouvernant le monde, en y mettant toutes les énergies possibles. Il fallait aussi profiter de la présence de Mme Blavatsky, pour la seconder tant qu'elle était vivante. Elle obtint d'ailleurs d'Olcott (juillet 90) d'exercer la responsabilité entière de la Section Européenne de la S.T.

    Cette orientation nouvelle ne fut pas du goût de tout le monde. D'où des tiraillements un peu partout. Sans parler des attaques ouvertes contre H.P.B.. Le 20 juillet 90, un ambitieux mécontent, le Prof. Coues, publiait dans les colonnes du Sun de New York un document diffamatoire, appelant une immédiate riposte par voie de justice.

    Mme Blavatsky ne verrait pas l'heureuse fin de cette histoire misérable : la rétractation complète du Sun, avec un vigoureux article de Judge. Au mois d'avril 91, une grave épidémie de grippe s'abattit sur Londres. H.P.B. ne fut pas épargnée. Après quelques jours de souffrance et d'inconfort physique, elle s'éteignit entourée d'amis, le 8 mai à 14h25.

    Son corps fut incinéré le 11 mai, au crématoire de Woking.

    La nouvelle se répandit comme une traînée de poudre. Affluèrent aussitôt d'innombrables lettres et télégrammes, comme pour la mort d'un grand de ce monde. La presse salua aussi la disparition de cette femme unique - sans doute la plus extraordinaire de ce siècle.

    Par exemple, dans son éditorial du 10 mai, le New York Herald déclara notamment :

    On peut dire que personne, dans la génération actuelle, n'a fait autant pour remettre au jour les trésors longtemps scellés de la pensée, de la sagesse et de la philosophie orientales. Personne n'a fait autant pour mettre en lumière cette religion-sagesse profonde, fruit de la pensée orientale toujours vivante, et pour faire connaître les oeuvres littéraires anciennes dont la portée et l'étendue ont tant étonné l'Occident éduqué dans l'étroite conception selon laquelle l'Orient n'avait produit que spéculations grossières et puériles dans le domaine de la pensée.

    Elle possédait une vaste connaissance de la philosophie et de l'ésoterisme de l'Orient. Nul ne peut plus en douter après la lecture de ses deux ouvrages essentiels. Ses oeuvres mènent souvent là où, en fait, seuls quelques initiés peuvent suivre, mais le ton et l'impression générale sont sains, vivifiants et stimulants.

    L'oeuvre de Mme Blavatsky a déjà porté ses fruits, et elle est apparemment destinée à produire des effets encore plus remarquables et salutaires à l'avenir. Certains observateurs sérieux ont depuis longtemps constaté que la pensée contemporaine, quelles que soient ses nombreuses directions, se trouve influencée par elle. Une humanité plus ouverte, une pensée plus libérale, une certaine disposition à étudier les philosophies anciennes d'un point de vue élevé ne sont pas sans avoir un rapport avec ses enseignements. Ainsi, Mme Blavatsky a-t-elle marqué son temps.

    Les héritiers spirituels de Mme Blavatsky étaient maintenant confrontés à une tâche presque surhumaine : faire le bilan d'un immense héritage qui n'était pas leur propriété mais qu'ils avaient à partager avec une foule incalculable d'ayants-droit - l'humanité entière. Si toutefois celle-ci voulait accepter la part qui lui revenait.

    Les 100 ans écoulés depuis la mort de la grande pionnière racontent l'histoire des succès partiels et des échecs cuisants de ces héritiers dans l'accomplissement de leur ouvrage. Certains - trop peu nombreux - sont restés fidèles à leur poste, mais des décennies ont passé avant que se lèvent des générations nouvelles capables de retrouver le sens de leur tâche et de redécouvrir la véritable figure de Blavatsky.

    Signe des temps, avec l'ouverture des pays de l'Est, l'actuelle présidente de la S.T. d'Adyar a été invitée en juin 1990, à Moscou et à Léningrad, pour évoquer devant des centaines de personnes le souvenir de la grande femme russe. Sa vie et son oeuvre ont aussi donné lieu à une exposition à Moscou, dans les vastes locaux de l'Union des Écrivains soviétiques.

    En attendant, l'héritage est toujours là, réuni tout entier à la portée des modernes : des milliers de pages de livres, d'articles, de lettres, à lire et à méditer. Et, comme en filigrane, invisible, mais toujours accessible, la puissante présence d'une intelligence universelle et d'un coeur généreux, d'où sont issus ces étonnants témoignages de sagesse - et d'humanité.

     

    III. L'impact de l'œuvre blavatskienne

    On a peine à se représenter aujourd'hui l'étendue de l'influence du mouvement théosophique à l'époque. Assurément, Mme Blavatsky n'est pas passée inaperçue, et le mot " Théosophie " a dû, à un moment ou à un autre, se trouver sur toutes les lèvres. On alla même jusqu'à donner à un cheval de course (gagnant) le nom de " Theosophist "...

    Acceptées ou rejetées, les idées allèrent leur chemin. L'histoire, qui par son usure rogne bien des détails, a reconnu l'effet catalytique indiscutable du mouvement dans le sens du rapprochement entre l'Orient et l'Occident. Mais son impact a dû largement dépasser ces limites. On peut s'en persuader en notant les noms de quelques personnalités qui ont été membres de la S.T., ou ont reconnu ce qu'elles devaient à Mme Blavatsky.

    Quelques membres célèbres :

    Thomas Edison (inventeur), William Crookes (chimiste et physicien), Camille Flammarion (astronome).

    Dr Alexander Wilder et G.R.S. Mead (hellénistes), Charles Johnston (orientaliste), Rev. H. Sumangala (grand prêtre bouddhiste, de Ceylan).

    Baron du Potet (spécialiste du magnétisme), Alexandre Aksakof (chancelier impérial de Russie).

    A.O. Hume (fondateur de l'Indian National Congress), Rudolf Steiner (fondateur de l'Anthroposophie), W.B. Yeats et George Russell (littérateurs irlandais), Édouard Schuré (écrivain), Piet Mondrian (peintre), B.P. Wadia (fondateur de l'Indian Institute of World Culture).

    Sans être affiliées à la S.T., beaucoup de personnalités l'ont approchée de près ou se sont inspirées des idées théosophiques.

    On peut citer ainsi des artistes comme Kandinsky, Malevitch et Paul Klee, un musicien comme Scriabine et des littérateurs comme James Joyce, D.H. Lawrence, T.S. Eliot, Henry Miller.

     

    À propos de Mme Blavatsky (dont il était en train de lire des livres mettant en relief la responsabilité de chaque individu), Miller a écrit :

    ".. Je fus fasciné par ses yeux et j'eus d'elle une vision aussi complète que si elle s'était trouvée dans la pièce. Je ne sais pas si cela est en rapport avec ce qui s'est produit ensuite mais, dans un éclair, je compris que j'étais responsable de tout ce qui m'arrivait dans mon existence, quel que fût l'événement qui avait pu se produire. J'en accusais habituellement ma famille, la société, mon épouse... et ce jour-là, je découvris de manière très claire que je ne devais accuser personne d'autre que moi-même. J'en pris toute la responsabilité sur mes propres épaules et je m'en suis senti extraordinairement soulagé. À présent, je suis libre, et personne d'autre que moi n 'est responsable de ce qui m'arrive. "

    Dans le domaine de la pensée orientale, il faut encore citer trois noms dont le témoignage indépendant confirme que Mme Blavatsky avait assimilé l'apport de l'Orient pour en tirer la quintessence :

    Parlant de Mme Blavatsky, qu'il avait rencontrée à Londres où des théosophes lui avaient fait connaître la Bhagavad-Gîtâ (qu'il leur avoua à sa honte n'avoir jamais lue), M.K. Gandhi a rappelé à son biographe (Louis Fischer) qu'au début les chefs de file du Congrès étaient des théosophes, en ajoutant :

    "La Théosophie est l'enseignement donné par Mme Blavatsky [...] C'est l'hindouisme dans ce qu'il a de meilleur".
    Et par deux fois il insista : "La Théosophie, c 'est la fraternité des hommes ".

    En commentant la Voix du Silence, le grand spécialiste du bouddhisme zen, D.T. Suzuki, a écrit :

    II ne fait aucun doute que Mme Blavatsky a été initiée, d'une manière ou d'une autre, à l'aspect le plus profond des enseignements du Mahâyâna et qu'elle a ensuite révélé ce qu'elle a jugé sage de donner au monde occidental sous le nom de Théosophie... Il ne fait aucun doute que le mouvement théosophique a fait connaître au grand public les doctrines essentielles du bouddhisme Mahâyâna, et l'intérêt qui se développe maintenant pour celui-ci en Occident a certainement été soutenu par la connaissance de la Théosophie... "

    Selon le lama Kazi Dawa Samdup, premier traducteur du Livre des Morts tibétain,

    " En dépit des critiques hostiles dirigées contre les oeuvres de H. P. Blavatsky, celles-ci renferment des indices probants adéquats révélant que leur auteur avait une connaissance intime des enseignements lamaïques supérieurs, auxquels elle prétendait avoir été initiée " .

    Dans un tout autre domaine, un dernier témoignage semble indiquer que la Doctrine Secrète a pu intéresser même des scientifiques modernes.

    Dans les années 1960, une personne se présenta au Centre d'Adyar en précisant qu'elle ignorait tout de la Théosophie, et de la Société, mais qu'elle voulait absolument connaître cet endroit, vu que son oncle avait toujours sur son bureau un exemplaire de la Doctrine Secrète. Cet oncle n'était pas un inconnu : Albert Einstein.

    Les éditeurs.

     

    Bibliographie

    Blavatsky, Helena Petrovna

    Isis Unveiled, New York, Bouton, 1877. Éd. fac-simile, Los Angeles, Theosophy Co., 1975.

    The Secret Doctrine, Londres, T.P.S., 1888. Éd. fac-simile, Los Angeles, Theosophy Co., 1974.

    Cinq Messages aux Théosophes Américains (trad. de Five Messages to the American Theosophists 1888-1891, Los Angeles, Theosophy Co., 1922), Paris, Textes Théos., 1982.

    La Clef de la Théosophie- avec index (trad. de The Key to Theosophy, Londres, T.P.C., 1889), Paris, Textes Théos., 1983.

    La Voix du Silence - avec glossaire et index (trad. de The Voice of the Silence, Londres, T.P.C., 1889), Paris, Textes Théos., 1991.

    Glossaire Théosophique (trad. de The Theosophical Glossary, Londres, T.P.S., 1892), Paris, éd. Adyar, 1981.

    Râja Yoga ou Occultisme, réunion d'articles, Paris, Textes Théos., 1983.

    H.P. Blavatsky Theosophical Articles (3 volumes), Los Angeles, Theosophy Co., 1981.

    Blavatsky H.P. et W.Q Judge

    Les Rêves et l'Éveil intérieur, textes choisis, Paris, Textes Théos., 1987.

    Judge, William Quan

    Épitomé de Théosophie (trad. de An Epitome of Theosophy, juin 1888), Paris, Textes Théos., 1981.

    Échos de l'Orient (trad. de Echoes from the Orient, New York, The Path, 1890), Paris, Textes Théos., Cahiers Théos. l59-161, 1991.

    Les Aphorismes du Yoga de Patañjali (trad. de Patanjali's Yoga Asphorisms, New York, The Path, 1889), Paris, Textes Théos., 1982.

    La Bhagavad-Gîtâ (trad. de The Bhagavad-Gîtâ, New York, 1890), Paris, Textes Théos., 1984.

    Lettres qui m'ont aidé (trad. de Letters That Have Helped Me, Los Angeles, Theosophy Co., 1946), Paris, Textes Théos., 1990.

    W.Q. Judge Theosophical Articles (2 vol.), Los Angeles, Theosophy Co., 1980.

    William Q. Judge "Forum" Answers, Los Angeles, Theosophy Co., 1982.

    Notes sur la Bhagavad-Gîta (trad. de Notes on the Bhagavad-Gîtâ, en collaboration avec Robert Crosbie, Los Angeles, Theos. Co., 1918), Paris, Textes Théos., 1984.

    William Q. Judge (1851-1896) - aperçus biographiques, Paris, Textes Théos., 1996.

    Les Cahiers Théosophiques, brochures en cours de publication contenant des articles de H.P. BIavatsky et de W.Q Judge en traduction française, Paris, Textes Théosophiques





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