• Les templiers sont parmi nous

    (Gérard de Sède)

    Complet

     

     le vieil homme et la terre


    De Sede révèle que si, après dix ans de journalisme, il n’avait pas décidé de consacrer quelques années à l’agriculture, il n’aurait jamais été mis sur la trace du trésor des Templiers. En 1959, il élevait des porcs quand un valet de ferme se présenta pour offrir ses services.


    Un exorciste dans l’étable


    Le valet de ferme était Roger Lhomoy. Il avait 51 ans mais en portait bien 60. Roger prit donc place le jour même à la table commune : pendant un an, matin et soir, il allait en être le barde. Avant d’être valet de ferme, Roger avait été ecclésiastique. Mais il n’avait fait que des études primaires et avait peu d’instruction. C’est à l’époque où il entend vouer sa vie à dieu que Roger Lhomoy s’ancre dans l’idée qui va bouleverser de fond en comble le cours de sa vie : sous le château médiéval qui couronne Gisors, sa ville natale, est enfermé un trésor fabuleux, c’est lui seul qui le découvrira. Idée folle. Seul en effet le folklore a paré ce château de prestiges. Une légende rapporte qu’un jour la Reine Blanche, assiégée dans Gisors, rompit le cercle de ses assaillant et se réfugia dans le château voisin de Neaufles. Quand on y entra, la reine avait mystérieusement disparu. Plus mystérieusement, elle resurgit à Gisors sur les arrières de ses ennemis qu’elle met en fuite : c’est qu’il y avait un souterrain reliant les châteaux de Neaufles et de Gisors. La légende ajoute que ce souterrain renferme un trésor protégé par des grilles qui ne s’ouvrent que la veille de Noël.

    A 25 ans, Lhomoy quitte le sacerdoce pour se consacrer à la recherche du trésor. Lhomoy se marie et a deux enfants. En même temps, diplomate avisé, il multiplie patiemment les démarches pour obtenir le seul emploi qui puisse l’introduire dans la place en toute légalité et presque en maître. En 1929, la municipalité de Gisors engage Roger Lhomoy comme gardien, guide et jardinier du château dont la ville est propriétaire.


    Un jardinier bien tranquille


    Lhomoy a un traitement de petit fonctionnaire complété par les pourboires des touristes. Il est installé avec sa famille dans une vieille tour ronde du château. Roger va mener une vie tranquille pendant 17 ans sans jamais faire parler de lui. C’est seulement en 1944 que Lhomoy commence sa grande bataille contre la terre. Au début de la guerre, l’accès du château fut interdit au public. Cette circonstance favorise les projets de Lhomoy. Nuit après nuit, pendant trois ans, muni seulement d’une pelle, d’une pioche, d’une baladeuse électrique, d’un treuil assez vieux et d’un panier d’osier qui lui sert à évacuer terre et gravats, il se rend au donjon et creuse, clandestinement. Il débouche un puits. Tout en bas, des pierres du puits sont descellées et font apparaître une excavation latérale. Roger se faufile dans cette niche insolite. Mais elle s’éboule sur lui. Il a une jambe brisée. Il remonte les dents serrées, agrippé à sa corde à noeuds. A peine rétabli, il se remet à la tâche. Sans quitter l’enceinte du donjon, c’est à 15 mètres de la margelle qu’il entreprend maintenant de creuser. En juin 1944, il est à 16 mètres sous terre. Le départ des Allemands l’incite à se départir d’un peu de son mutisme. Il met dans sa confidence un ami d’enfance, M. Lesenne, qui lui succèdera plus tard comme gardien du château. Son ami lui prête main forte. Lhomoy trouve accès à une petite salle souterraine. Mais elle est vide et ne mène nulle part. Il la montre à son ami et la rebouche. Il creuse une sape horizontale qui se dirige vers le puits.


    La crypte fabuleuse


    Lhomoy a un plan fort raisonnablement établi. D’abord, il n’omet jamais d’effacer les traces qui révèleraient prématurément son travail. Aussi prend-il grand soin, à la fin de chaque séance, de camoufler l’orifice du gouffre au fond duquel il vient de passer la nuit. Il s’applique aussi à éparpiller d’un bout à l’autre du terre-plein du donjon la terre qu’il a extraite à la pioche. Il en a extrait déjà 50 tonnes. Il ne s’est pas laissé obnubiler par la nécessité du secret jusqu’à négliger le point de vue juridique. Il a sollicité et obtenu de l’administration compétente, le secrétariat d’Etat aux Beaux-Arts, l’autorisation écrite de faire des fouilles dans l’enceinte d’un château classé monument historique. Il a également obtenu l’autorisation du maire. Mais il n’a pas parlé du trésor juste de fouilles archéologiques. En mars 1946, Roger s’aperçoit que la sape qu’il a creusée ne mène à rien. Alors il continue de creuser à mains nues. Il atteint un mur. Il enlève deux pierres. Il découvre une grande salle. c’est une chapelle romane en pierre de Louveciennes, longue de trente mètres, large de neuf, haute de 4 m 50. Il voit un autel et un tabernacle, les statues du christ et des sarcophages de deux mètres de long. Il y en a 19. Il y a aussi trente coffres.


    Malheur aux vainqueurs !


    Roger se plait à rêver de son avenir et de celui de ses enfants. Il sait que l’inventeur d’un trésor situé sur le terrain d’autrui ne peut en revendiquer sa part que s’il l’a découvert par pur hasard. Il juge fermement établi son droit légal au tiers du butin. Il rend compte à la mairie de sa trouvaille. Un officiel déclare que son tunnel est l’oeuvre d’un fou alors Lhomoy se répand dans Gisors et raconte son aventure. Les Normands ne le croient pas et se moquent de lui en évoquant le personnage légendaire de Blaiseau l’Ardent pour savoir si Roger l’aurait rencontré. Mais Marcel, le frère de Roger accepte d’aller dans le tunnel mais il doit renoncer car les risques d’éboulement son trop grands. Emile Beyne, un officier du génie essaye aussi. Lui aussi ne peut arriver jusqu’à la salle. Tout Gisors discute du pour et du contre de l’affaire. Mais la mairie a changé de maire et les fouilles de Roger provoquent sa révocation. Sa femme le quitte. Des prisonniers allemands rebouchent le trou.


    Deux mécènes et une taupe


    Lhomoy demande une nouvelle autorisation de fouiller à la ville. Il reçoit un refus violent. Alors Roger quitte sa ville natale humilié. Il occupe cent métiers pour survivre. Il trouve deux mécènes : un hôtelier et un riche industriel de Versailles. Le crédit que ceux-ci lui font se traduit en 1952 par la formation d’une société de recherches. Roger y figure en tant qu’inventeur, l’hôtelier sera conseiller technique, l’industriel entrepreneur chargé des travaux. On constitue des dossiers de demande, on les étaye de documents. Le Beaux-Arts envoient sans tarder une nouvelle autorisation. La ville de Gisors en fait autant mais exige une assurance et un million de francs de caution. Elle veut obtenir les quatre cinquièmes de tout ce qu’on pourra trouver. Les mécènes renoncent. Lhomoy indiqua à de Sède une adresse. De Sède s’y rendit et on lui montra une lettre de Lhomoy dans laquelle celui-ci reconnaissait avoir inventé l’existence de la chapelle dans l’intention de faire des dupes. Mais ces aveux auraient été extorqués à Roger qui aurait été roué de coups. Après son échec, Lhomoy finit par se rapprocher de Gisors de ferme en ferme. Il envisaga de creuser un nouveau tunnel de flanc. Il retourna secrètement au donjon.


    Une « Ariane », un labyrinthe... et un coup de fil.


    Gérad de Sède se rendit à Gisors avec Pierre Branche et Daniel Lefebvre. C’était en juin 1960. Ils visitèrent les galeries creusées par Lhomoy. Un hebdomadaire à fort tirage publia un reportage sur l’affaire. C’est de Sède qui l’avait écrit. Un homme appela de Sède et demanda à le voir pour parler de l’affaire. Cet homme possédait un plan qui ressemblait à celui de la chapelle découverte par Lhomoy. Le plan de l’homme était en rapport avec les secrets des Templiers. Il était archéologue et travaillait avec l’aide du gouvernement suisse. De Sède fit des recherches sur Gisors dans les bibliothèques mais découvrit que la plupart des documents concernant Gisors avaient systématiquement disparu.


    2è partie : la double vie des Templiers


    De Sède évoque le Carreau du Temple qui est devenu le quartier général des fripiers. Au XII è siècle, cet endroit était pourtant une capitale dans la capitale. Le roi de France Philippe-auguste venait d’en faire don à l’ordre religieux et militaire le plus puissant d’Europe et de la Terre sainte : celui des Templiers. L’imposante forteresse qu’ils y firent aussitôt bâtir était le centre nerveux de l’Ordre tout entier. Tel était le Temple de Paris, dont il ne nous reste plus rien qu’une vieille estampe, le souvenir de notre Révolution qui y emprisonna le dernier des rois, et le nom d’une rue de ce quartier qui rappelle la tenue des Templiers : la rue des Blancs-Manteaux.

    Il est très étrange qu’une question historique vieille de plus de six cents ans défie si ouvertement la loi du temps, qu’elle suscite encore les passions qui animèrent les contemporains. En même temps que Wolfrom d’Eschenbach, dans « Parsifal », faisait des chevaliers du Temple les chastes gardiens du Saint-Graal, ses compatriotes allemands surnommaient maisons de templiers les lieux de débauche. L’Ordre des Templiers a deux faces et l’une cache l’autre : c’est tour à tour qu’il faut les évoquer pour découvrir ce qui les unit. Alors, ce destin semble scellé du sceau même des Grands Maîtres de l’ordre : deux Templiers l’un derrière l’autre montant le même cheval.


    1


    Neuf chevaliers gardaient un champ


    Un champ cultivé par deux frères situé au sommet du mont Moriah est, selon la légende, l’endroit qu’a choisi le maître-architecte Hiram, venu du Liban, pour y construire à la demande du roi Salomon le temple de Jérusalem. En 1099, quand les premiers croisés arrivent en Palestine pour délivrer le Saint-Sépulcre, il ne reste plus rien de ce temple, qu’un fragment du Mur des Lamentations et un superbe carrelage : le Pavé. Le mont Moriah échoit à des chevaliers français. En 1118, pour en assurer la garde, ils se groupent à neuf. Leur chef était Hugues de Payen et son lieutenant Bisol de Saint-Omer. Les autres étaient Hugues 1er, comte de Champagne, André de Montbard, Archambaud de Saint-Aignan, Nivar de Montdidier, Gandemar et Rossal. Les Templiers étaient nés. Ce sont alors les « pauvres chevaliers du christ ». Une expédition militaire parée d’une idéologie religieuse ne devait pas tarder à faire naître une ambiance hybride : assez vite, la joyeuse vie de garnison se heurte et se mêle à la fois à la pieuse méditation. Hugues de Payen eut une idée étonnante et nouvelle : ses chevaliers seraient à la fois soldats et moines. Saint Jean était leur patron. c’était d’ailleurs de son 67è successeur, le patriarche Théoclète, que Payen tenait ses pouvoirs ; quand on eut dévolu à ses compagnons le quartier du Temple de Salomon, ils l’appelèrent Logement de Saint Jean. Dix ans plus tard, les chevaliers du Temple sont trois cents. Ils commandent à 3 000 hommes. Le moment est venu pour eux d’obtenir la reconnaissance officielle de l’Eglise catholique. Saint Bernard, l’inventeur des moines architectes, s’est épris des moines soldats et écrit à leur demande une brochure de propagande dans laquelle il oppose au luxe décadent des autres chevaliers la simplicité de leurs moeurs. Mais les Templiers avaient fondé un office des changes pour les pèlerins et avaient fait bâtir sous le Temple de Salomon des écuries souterraines pour 2000 chevaux qui stupéfiaient les visiteurs. En 1128, le concile de Troyes donna aux Templiers leurs statuts officiels. Ces statuts comportaient le triple voeu de pauvreté, de chasteté et d’obéissance. Pourtant, en moines, les Templiers s’interdisaient la chasse, mais en grands seigneurs décidés à vivre noblement, ils se réservaient celle de l’once ; religieux, ils devaient se garder de toute gourmandise, mais, soldats, « l’abstinence immodérée » leur était défendue. Mais surtout, sa charte assurait à l’Ordre du Temple un ensemble exceptionnel de privilèges. Exempt de taxes et d’impôts, il pouvait en revanche en percevoir. Il ne devait de comptes ni à la justice laïque ni à la justice ecclésiastique, étant, avec le pape, seul juge dans ses propres causes. Il exerçait sur ses domaines tous les droits de justice féodale. Ses secrets étaient d’autant mieux gardés qu’il recrutait dans son propre sein ses chapelains et ses confesseurs. Enfin, l’élection du Grand Maître n’était soumise à l’approbation de personne, si bien que sa dépendance envers le Saint-Siège existait surtout sur le papier. Pour porter le blanc manteau timbré de la croix pattée de gueules, il fallait faire ses preuves de noblesse, et tous ceux qui n’étaient pas nés chevaliers n’avaient droit qu’à la tenue noire ou brune des frères serviteurs qui, dix fois plus nombreux, composaient le gros de la troupe.


    L’épée et l’échiquier


    En moins d’un siècle, les Templiers vont accumuler une puissance qui s’étend sur deux continents, qu’aucun ordre religieux après eux n’a jamais atteinte et que les organisateurs internationales d’aujourd’hui elles-mêmes pourraient à bon droit leur envier. Cette puissance, qui fera leur perte, naît en Asie, puis se propage en Europe. Les Templiers préfèreront vite comme méthodes d’action la diplomatie et les affaires. Les Templiers se trouvèrent face à face avec une civilisation nettement plus avancée que la leur. C’était l’Islam à son apogée de puissance et de culture. Ce haut degré de civilisation de l’Islam explique à la fois pourquoi les croisades se soldèrent en fin de compte par un échec sur le plan militaire et par un succès sur celui des échanges de tous ordres entre deux mondes qui n’avaient auparavant communiqué que par l’Espagne. L’implantation des Templiers suit la conquête. Le royaume chrétien de Jérusalem vient d’être fondé. Ils créent le corps des Turcopoles dont les hommes et même les officiers subalternes sont sarrasins. Plusieurs Grands Maîtres choisissent des Musulmans pour secrétaires ; parfois même ils arment chevaliers des nobles du camp adverse. Sur le plan militaire, en vieux blédards qu’ils sont maintenant et qui connaissent bien le terrain et l’adversaire, les Templiers s’emploient souvent à décourager les plans d’offensive inconsidérés des nouveaux venus parmi les croisés. Tout cela engendre maints conflits dans les rangs européens ; la rivalité entre Templiers et Hospitaliers, notamment, s’exaspère, tourne parfois à des batailles rangées où chevaliers des deux clans s’entretuent. En 1153, devant Ascalon, les Templiers se battent contre les Turcs et contre les autres croisés pour s’assurer l’exclusivité du butin. Sur le plan diplomatique enfin, l’ordre ne laisse échapper aucune occasion de traiter avec l’adversaire. Dès l’année de leur fondation, les Templiers s’entremettent pour négocier l’échange de Tyr contre Damas entre le roi chrétien de Jérusalem et les musulmans ismaéliens.


    La brisure


    Les années 1178-1188 marquent un tournant décisif dans l’histoire des croisades. Le roi de Jérusalem Baudouin IV, devenu lépreux, doit abdiquer. Baudouin V lui succède mais c’est un enfant chétif et il meurt. Guy de Lusignan monte sur le trône. Le Grand Maître est Gérad de Ridford et à travers lui, les Templiers ont maintenant la haute main sur tout le royaume chrétien de Jérusalem. Mais Saladin reprend l’offensive. Une première bataille a lieu au Mont Thabor. Les Hospitaliers y perdent leur Grand-Maître Roger des Moulins ; chez les Templiers, seul Gérad de Ridford, avec deux chevaliers en réchappe. Le second combat a lieu à Hattin, c’est un nouveau désastre. Lusignan et Ridford sont prisonniers. Saladin se montre grand seigneur envers le commun des captifs. Amis aux Templiers et aux Hospitaliers, il ne laisse qu’une alternative : abjurer, ou périr. Aucun ne renie la croix. Tous furent décapités. Seul fut épargné Gérard de Ridford.


    En 1187, Saladin fait son entrée à Jérusalem, décapitant le royaume chrétien. L’Occident s’interroge sur le parti à prendre face à l’Islam : guerre d’outrance ou compromis ? Philippe Auguste et l’empereur d’Allemagne Frédéric Barberousse ont dans l’esprit une reconquête. Le roi d’Angleterre Henri II Plantagenet et son fils Richard Coeur de Lion au contraire méditent de partager avec Saladin un condominium sur la Terre Sainte. Raymond V, comte de Toulouse soutient le projet de condominium car le roi de France vient de déclencher contre son pays une guerre contre les Albigeois. L’ordre du Temple s’éloigne de la France et de l’Allemagne et se rapproche de l’Angleterre et du Midi. Richard Coeur de Lion leur cède Chypre. Le troubadour Robert de Sablé est élu Grand-Maître, inaugurant la longue liste des occitans qui vont se succéder à la tête de l’Ordre : Gilbert Errail, Pierre de Montaigu, Armand de Périgord, Guillaume de Sonnac. Les Templiers minent leur position avec la France. Avant même d’être la cible de Philippe le Bel, ils vont entrer en conflit avec Saint Louis ; contre eux les rois de France vont jouer les Hospitaliers et les empereurs d’Allemagne les chevaliers teutoniques.


    En 1229, l’empereur Frédéric II chasse les Templiers de Sicile et confisque tout ce qu’ils y possédaient.


    La VII croisade est un échec. Louis IX, son promoteur, est prisonnier de l’ancien esclave Mongol Beybars. Louis IX tient rigueur aux Templiers des fruits de sa propre témérité, les accusant de défaitisme. En 1291, c’est le désastre de Saint Jean d’Acre qui arrache définitivement aux Occidentaux ce qui leur restait de leurs conquêtes ; les Templiers protègent vaillamment le rembarquement, établissent un relais à Chypre et se replient vers l’Europe. Les Templiers ont accru leur puissance en Europe. Ils ont des commanderies dans 17 Etats. En Espagne, leur emprise est telle que le roi Alphonse 1er d’Aragon leur confie par testament les rênes de son royaume. Mais le projet d’Alphonse n’aura pas de suite. Les Templiers ont établi leur siège central au Temple de Paris.


    La corne d’abondance


    Le Temple de Paris avait d’abord été un modeste enclos jouxtant l’église Saint-Gervais et Saint Protais, près de l’Hôtel de ville, et que le roi Louis VI, sur la demande de Saint Bernard lui-même, avait attribué en 1137 à deux des neuf fondateurs de l’Ordre, André de Montbard et Gondemar. Ces derniers y avaient fait construire une chapelle ronde, dont le plan reproduisait à très petite échelle celui du Saint-Sépulcre. Mais les Templiers s’y étaient assez vite sentis à l’étroit et avaient bientôt fait élever plus au nord de la ville la redoutable forteresse que nous connaissons. En 1247, leurs propriétés, enjambant la Seine, couvraient déjà un tiers de Paris, de la Sorbonne à ce qui est aujourd’hui la place de la République. L’Ordre possède dix mille châteaux disséminés dans toute l’Europe, et la valeur de ses biens meubles a pu être estimée à 112 milliards de francs actuels. Dès sa fondation, l’Ordre du Temple avait bénéficié de nombreux dons. En 1122, Philippe Auguste lui avait fait présent de 2000 marcs d’or qui furent suivis trois ans plus tard par 50 000 autres. A la mort de ses membres c’est L’ordre qui héritait. Exempt d’impôts, la fortune de l’Ordre s’arrondissait rapidement. Les rois d’Angleterre, Jean Sans Terre puis Henri III lui confièrent la garde de leurs revenus personnels. En France, de Philippe Auguste à Philippe Le Bel, les souverains allèrent jusqu’à leur déléguer l’administration du trésor public. Rois et papes leur empruntent de l’argent. Leur richesse suscitent la jalousie. On croyait que les Templiers pratiquaient l’alchimie et avaient trouvé la pierre philosophale. Les Templiers étaient banquiers ; ouverture de comptes courants, constitutions de rentes et de pensions, avances, cautions, consignations, prêts sur gage, encaissements, gérance des dépôts des particuliers, transferts internationaux de fonds, opérations de charge, rien ne manquait. Une lettre de change tirée d’une Commanderie de l’Ordre sur une autre permettait aux riches marchands de se déplacer sans coffres et sans escorte au point d’arrivée. Les Templiers avaient inventé les frais d’agio et de courtage et ainsi leurs capitaux faisaient des petits. La construction de l’Ordre est, en plein Moyen Age, du plus pur style Renaissance. Moines-soldats, ils ont été jésuites avant Saint Ignace; croisés navigateurs avant Colom, conquistadors avant Cortez, négociateurs avant les Doges, artisans de la paix religieuse avant Henri IV; financiers, banqueirs avant les Médicis.


    La chute


    Philippe le Bel s’est assis sur le trône de France en 1295. Il veut assembler le pays et bâtir l’Etat. Quand il entre en conflit avec le roi d’Angleterre Edouard 1er, il ne daigne même pas lui déclarer la guerre comme un souverain : il l’assigne comme vassal rebelle. Quand le pape Boniface VIII propose sa médiation, Philippe exige que ce soit en simple particulier, sous son nom de baptême : Benoît Cajetan. Le roi de fer puise l’essentiel de sa vigueur dans la bourgeoisie urbaine. Pendant vingt ans, Philippe et le Temple n’eurent que de bons rapports. L’ordre défend le royaume contre le pape. Le nouveau Grand-Maître, Jacques de Molay, était parrain du fils du roi. La richesse de l’Ordre du Temple faisait des jaloux depuis très longtemps. Les Hospitaliers intriguaient sans relâche auprès des papes pour obtenir la fusion des deux ordres. Pierre Du Bois, conseiller de Philippe, corsa ce plan en voulant fusionner Templiers et Hospitaliers pour les renvoyer en Orient, tandis que les divers Etats s’empareraient de leurs biens. Philippe le Bel est débiteur des Templiers. En 1297, il s’est fait avancer par eux 2 500 livres et un an plus tard, il leur emprunte 250 000 florins. En 1300, nouvel emprunt de 500 000 francs pour constituer la dot de sa soeur. En 1306, la flambée des prix consécutive à une dévaluation de 65% a provoqué une émeute populaire et le roi a dû se réfugier au Temple de Paris. Le roi avait voulu solliciter son entrée dans l’Ordre à titre honoraire, dans l’espoir de le noyauter, et s’était heurté à un refus. Philippe ne pouvait plus tolérer un ordre exempt d’impôts et exerçant sa propre justice. Un ordre disposant d’une armée de 30 000 hommes et dont les Grands Maîtres prétendaient, comme lui-même, n’exercer leur office que « par la grâce de dieu ».


    Bertrand de Got devient Clément V. Il est issu de la vieille et haute maison de Lomagne qui a déjà donné à l’Eglise plusieurs hérétiques et quelques cardinaux, et qui, fidèle à la vieille tradition de sa province, est plus riche d’aieux et de progéniture que d’écus. Brillamment doué, il a fréquenté les universités. Epris d’architecture, il fera bâtir Saint-Bertrand de Comminges. Il fondera des chaires d’Hébreux, de Syrien et d’Arabe dans plusieurs universités. Lecteur passionné d’Albert le Grand, il protègera et s’attachera le fameux médecin et alchimiste Arnaud de Villeneuve. Evêque à 32 ans, cardinal à 36, il faut à ce personnage stendhalien, puisqu’il ose vouloir être pape à 40, faire sa paix avec le roi de France. Philippe aide Bertrand à devenir pape mais il lui impose unprogramme en six points, les cinq premiers tranchent rétroactivement en faveur du roi de France tous les litiges qui l’avaient opposé à Boniface; quant au 6è, c’est un chèque en blanc : Philippe se réserve d’enf aire connaître la teneur en temps voulu : des historiens diront plus tard que c’était la liquidation des Templiers.


    Des neuf cardinaux français qu’il avait promis au roi, le pape en choisit quatre dans sa famille pour ne pas être à la merci de Philippe. Le roi prépare méthodiquement son offensive contre l’Ordre du Temple. On réunit d’abord des rapports de police. On trouve des délateurs puis on introduit des espions dans l’Ordre. Il se trouve un Templier de grande famille pour glisser directement à l’oreille du pape que l’Ordre entier s’est fait apostat. Mais Clément V repousse ces accusations. Avec l’accord préalable du Grand Maître Molay, il ordonne une enquête sur l’Ordre du Temple dans l’idée de le disculper des rumeurs. Le vendredi 13 octobre 1307, une descente de police admirablement synchronisée assure l’arrestation de tous les Templiers du royaume.


    Le procès


    Dès le 14 septembre, le roi avait envoyé à tous ses gouverneurs et sénéchaux une lettre circulaire, à n’ouvrir qu’au dernier moment, et qui indiquait le minutage de l’opération. Le garde des sceaux Gilles Aiscelin avait refusé en conscience de signer cette décision, illégale puisqu’elle violait la souveraineté juridique du Temple, il avait été révoqué et remplacé par Nogaret. Pour sauvegarder un semblant de formes vis-à-vis de l’Eglise, la force publique était censée agir à la demande du grand inquisiteur de Paris. Mais outre que ce personnage, Guillaume Humbert, était une créature du roi, il n’avait lancé son mandat d’arrêt que plusieurs semaines après Philippe. Le maquillage était donc flagrant. Le 14 octobre, Philippe Le Bel commence à mobiliser toutes les couches de l’opinion. En même temps que Nogaret tient une réunion d’information à Notre-Dame à l’usage des corps constitués, un meeting populaire, convoqué à sons de trompes, est organisé dans les jardins du Palais royal. Des dominicains, puis des gens du roi prennent la parole pour dénoncer les crimes abominables des Templiers qui n’ont même pas encore été interrogés. Pour achever de convaincre l’opinion, des libelles sont répandus dans tout le pays par messagers. Juridiquement, seul le pape pouvait donner l’ordre d’arrêter les Templiers, et lui seul peut les condamner. Si donc, au fait accompli de l’arrestation on en ajoute un second en obtenant des aveux d’hérésie, Clément V y regardera à deux fois avant de désavouer l’Inquisiteur de Paris et de défendre des hommes qui auront reconnu leurs crimes, d’autre part si le Temple est hérétique, ses biens cessent d’être considérés comme religieux et ne reviennent donc pas au pape mais au roi. On reproche aux Templiers : l’initiation secrète accompagnée d’insultes à la croix, de renier le christ, de commettre des baisers infâmes, l’omission des paroles de la consécration lors de la messe, l’adoration d’une idole considérée comme image du vrai dieu, du seul auquel il fallait croire, l’autorisation, voire la recommandation de pratiquer le « crime contre nature », c’est-à-dire l’homosexualité. Ce sont les accusations d’homosexualité que les Templiers repoussèrent le plus farouchement et non l’Apostasie. Seuls deux Templiers reconnurent ce péché : Guillaume de Varnage et Raoul de Tavernay. Jacques de Molay a reconnu publiquement, devant maîtres et écoliers de la Sorbonne que lors de sa réception dans l’Ordre, on lui a fait renier le christ et cracher sur la croix. D’autres dignitaires tiennent le même langage sans manifester de repentir.


    Clément V écrivit le 27 octobre au roi pour manifester son mécontentement. Edouard II, roi d’Angleterre protesta à son tour. Clément V cassa les pouvoirs de l’Inquisiteur et demanda communication du dossier. Fin novembre 1307, le pape ordonna l’arrestation des Templiers dans toute l’Europe. Mais cet ordre ne fut pas suivi en Angleterre et au Portugal. Jacques de Molay et ses compagnons revinrent sur leurs aveux. Les Templiers restèrent prisonniers en France et Philippe répandit des libelles contre le pape. Le roi réunit à Tours les Etats Généraux en mai 1308. Le Tiers Etat réclama pour le Temple le châtiment le plus exemplaire. Clément V résista. Il alla entendre lui-même 72 Templiers et faire entendre les dignitaires du Temple par des cardinaux qu’il avait dépêchés. Après quoi Clément V ouvrit un concile à Vienne le 10 octobre 1311. Par la bulle Vox clamentis, le pape abolit l’Ordre du Temple. Mais il esquiva le débat sur l’apostasie des Templiers. Il voulait éviter la révélation publique de certains secrets de l’Ordre du Temple qu’il avait appris à Poitiers. Il lui échappa la condamnation pour hérésie.


    Le 18 mars 1314, un bûcher fut dressé à Paris. Jacques de Molay et d’autres dignitaires du Temple furent brûlés. Jacques de Molay prédit malheur au pape et au roi. Le pape mourut, le 20 avril 1814. Dans la même année, Philippe le Bel achevait ses jours à Fontainebleau.


    2


    L’ombre d’un doute


    De Sede pense que l’accusation d’apostasie et les aveux des Templiers n’ont été que le fruit de la torture. Il ne croit pas que les Templiers crachaient sur la croix. Chacun sait que l’affaire des Templiers fut, au XVIIIè et XIXè siècles, une des armes de combat les plus efficaces d’un anticléricalisme alors très menaçant pour l’Eglise catholique ; si le Temple avait été coupable, le Vatican aurait eu beau jeu de riposter en exhumant de ses archives les preuves de cette culpabilité ; or, il n’en a rien fait. Le grand-maître Molay, lui-même, lors de sa première rétractation, expliqua ses aveux précédents non par les tourments endurés, mais seulement par la peur qu’il en avait eue. Les tortures n’expliquent donc que partiellement les aveux dont les Templiers furent si prodigues. En Angleterre, les Templiers ne furent pas inquiétés. Ils comparurent libres devant les commissions pontificales. Les erreurs furent donc, bien entendu, moins nombreux, mais il se trouve pourtant un certain nombre de chevaliers pour reconnaître la réalité de la réception sacrilège. Gérard de Sede se demande donc si l’acte d’accusation ne reposait sur rien.


    Géologie des dieux


    De toutes les religions d’Orient, celle de l’Egypte était de beaucoup la plus antique, et toutes avaient, dans leur enfance, prêté une oreille attentive aux fables de cette mère-grand, quatre fois millénaire. Thot, dieu-ibis, prince des livres secrets, qui avait guéri l’oeil d’Horus, s’était fait naturaliser grec sous le nom d’Hermès. A ses débuts, tout le paganisme méditerranéen avait emprunté à l’Egypte; Osisris avait fait corps avec Dyonisos, Isis avec Demeter, mais sous la fine écorce des noms étrangers, ils n’avaient pas cessé d’être eux-mêmes. Pythagore alla en Egypte et en revint converti. La grâce d’Osiris, dieu de la mesure, et celle d’Isis, déesse de la nature, semblent s’être alliées pour inspirer à l’illustre mathématicien qui forgea le mot de philosophie la doctrine selon laquelle la loi de l’univers est celle du Nombre. Le succès de Pythagore fut tel que la société secrète, mi-religieuse mi-politique, qu’il dirigeait, prit le pouvoir pour un demi-siècle dans toute l’Italie du Sud. A son déclin, le paganisme fait retour à ses sources égyptiennes, et c’est dans les dieux inébranlables d’Egypte que le christianisme, dès sa naissance, reconnaît ses plus dangereux ennemis. L’atmosphère spirituelle du Levant différait au Moyen Age de celle de l’Occident catholique. Centre d’échanges de toutes sortes qui brassaient sans relâche peuples et idées, cette région rejetait obstinément le corset d’une trop stricte orthodoxie ; elle avait butiné le judaïsme, l’hellénisme, le christianisme, l’Islam, mais elle ne s’était pas vraiment donnée. A Alexandrie, à la fin de l’Empire romain, il y avait un million de Juifs. C’est alors qu’un rabbin nommé Siméon Ben Jochai, conçut l’algèbre le plus fantastique qui fût jamais et calcula la puissance de dieu en posant que 3 et 1 ne font jamais 4. La Kabbale était née. Pour le Kabbaliste, tout nombre a deux valeurs : une valeur apparente et une valeur secrète. Dans cette perspective, l’écriture sainte est non seulement un texte allégorique mais encore un véritable document chiffré qu’il faut lire en se gardant bien de perdre la tête. De Sede évoque les gnostiques. A la trinité Père-Fils-Saint Esprit, les gnostiques substituent la trinité Père-Mère-Fils. Le Père, c’est l’absolu, la Mère, c’est Sophie (la sagesse), la médiatrice entre dieu et le monde. Le Fils enfin est le Sauveur, l’Envoyé. Aux yeux des gnostiques l’idée d’un dieu fait homme est un non-sens blasphématoire : ou bien, Jésus était homme et ce n’était pas le rédempteur, ou bien c’était le rédempteur et il n’était pas homme.

    On retrouve dans la gnose le culte de la Femme divine, de la Mère, de l’Eternel féminin.


    Au-dessous de dieu qui a créé l’ordre surnaturel affranchi du temps et de l’espace et donc seul parfait, les gnostiques placent un dieu inférieur mais séduisant, c’est le Démiurge. Pour les gnostiques, ce n’est pas la foi qui sauve, c’est la connaissance. Gérard de Sede évoque la secte des Ismaéliens. Elle fut fondée vers l’an 760 après que l’imam Djafar al Sadik eut écarté de sa succession, au profit d’un cadet, son héritier légitime Ismaël auquel il reprochait d’avoir un jour bu du vin malgré l’interdiction coranique. Ismaël devint une sorte de messie, l’imam caché, qui devait assurer sur terre le triomphe de l’égalité. Les missionnaires ismaéliens, prêchant de Perse jusqu’en Syrie, donnaient du livre sacré une interprétation allégorique : ainsi naquit le chiisme et le schisme. Au milieu du XIXè siècle, les ismaéliens fondèrent une société secrète, de nature politico-religieuse : celle des Assassins.

    On a cru à tort que ce nom dérivait de celui du haschisch que les affiliés absorbaient mais en réalité, les Assassins s’intitulaient Gardiens de la Terre Sainte, d’une Terre sainte purement allégorique, montagne mystique absente des atlas et qui n’était autre à leurs yeux que l’axe du monde. al’époque des croisades, les Assassins forment au sein de l’Islam un puissant ordre de chevalerie initiatique exerçant en Asie une influence politique et religieuse aussi considérable que celle des Templiers au sein de la chrétienté. A leur tête se trouve un chef suprême : le cheik El Djebel, le Vieux de la Montagne. A Alamont, il avait installé un observatoire astronomique et rassemblé une immense bibliothèque de science et de philosophie dont les manuscrits alchimiques formaient la majeure partie. La doctrine des Assassins se situe dans la ligne de l’Hermétisme, de la Kabbale et de la gnose, qu’elle se borne à porter à un degré plus haut encore d’abstraction. Ils avaient inventé une Kabbale islamique : le Bathen. Vers 1250, le 3è Vieux de la Montagne, Hassan II alla jusqu’à abolir toutes les pratiques du culte qu’il jugeait indignes des initiés, son propre beau-frère le poignarda et les musulmans orthodoxes consommèrent la perte des Assassins. L’ordre des Assassins comportait six grades : cheik el djebel, Dais, Refik, fidavi, Lassik. Ils portaient le manteau blanc sur lequel était figurée une ceinture rouge.


    Et sur cette pierre...


    L’alchimie est apparue en Egypte au IIIè siècle. Ses premiers traités ont été retrouvés à Thèbes. Son premier doctrinaire, Zazime le Panopolitain, vivait à Alexandrie. Son premier martyr, Symesius, fut lynché dans cette même ville. Le premier interdit jeté sur elle est un édit de Dioclétien vouant à la destruction tous les livres traitants de la transmutation des métaux. D’autres auteurs se réclament de l’enseignement d’Hermès Trismégiste. Deux légendes, une même affirmation : l’alchimie est fille des collèges sacerdotaux égyptiens dont Thot-Hermès n’est ici que la réprésentation allégorique. L’alchimie alexandrine brilla pendant deux siècles, puis l’intolérance ecclésiastique l’obligea à se terrer. Au début du VIIè siècle, le Khalid, qui régnait en Egypte, fut le premier adepte musulman ; beaucoup d’autres suivirent, dont le plus célèbre est Avicenne. L’alchimie est à la fois une technique, une gnose, une ascèse. Son but est triple : transmuter les métaux, percer les secrets de la nature, transformer le savant lui-même.


    Au commencement est le « Grand Mystère », le Tout primordial, indifférencié, contenant toutes les virtualités dans son être, tous les instants dans son éternité. Il est polarisé en deux essences : l’une positive, active, mâle, spirituelle (le Feu, le « Fiat lux » de la Genèse, le « Grand Architecte »), l’autre négative, passive, femelle, matérielle (la « Grande Mère », les Eaux de la Genèse). Le principe mâle féconde le principe femelle et ordonne ainsi le Chaos en cosmos. Le cosmos est un être vivant, un énorme organisme composé de soufre (esprit, forme, principe actif), de Mercure (matière, essence, principe passif) et de Sel (union des deux, souffle vital, mouvement). Sous ses formes diverses et transitoires, le monde est un et éternel. L’alchimiste appelle éléments les différents états de la matière : état solide (Terre), liquide (Eau), gazeux (Air) igné (Feu mobile) et enfin état radian, énergie (Feu fixe).

    L’Un primitif contient, hors du temps, tout ce qui a été, est et sera. L’alchimiste ne cherche donc nullement à créer des corps nouveaux; tout son travail se borne à dépouiller la matière de ses qualités pour remonter à son essence ou bien, en sens inverse, à revêtir cette essence de formes nouvelles. Les « métaux, tous semblables dans leur essence ne diffèrent entre eux que par leurs formes » (Albert Le Grand) et tendent naturellement vers la perfection de leur ordre, qui est l’or. La transmutation métallique n’est qu’un cas particulier, une expérience frappante. L’alchimie est « l’art de travailler avec la nature pour la perfectionner » (Dom Pernety), de la mener à un stade évolutif plus avance. La Pierre qui guérit le métal malade peut être aussi Panacée, élixir de longue vie, Fontaine de Jouvence qui perfectionne et entretient la vie. Certains adeptes pensaient qu’un objet qui a perdu sa substance matérielle peut demeurer à l’état de forme invisible, mais qu’on peut lui rendre sa substance et le faire ainsi réapparaître. Pour eux, il est donc possible de remonter le cours du temps, de revêtir de frais pétales le parfum de la rose et d’un jeune corps le souvenir d’un mort. Enfin, son travail de transformation de la matière passait pour transformer l’alchimiste lui-même. La route de la connaissance alchimique est longue, laborieuse, semée d’épreuves et d’embûches. Il faut pour la parcourir une énergie et un courage peu communs. C’est pourquoi l’adepte est souvent comparé à Hercule délivrant Prométhée enchaîné pour avoir dérobé à Vulcain le secret du feu sacré. La longue patience et la sagacité doivent enfin s’ajouter aux autres vertus des alchimistes, et ceux-ci, entre toutes les légendes pouvant symboliser leur aventure, ont choisi celle des Argonautes, auxquels il se comparent couramment.

    Rien de plus obscur qu’un traité d’alchimie. Pour masquer leur enseignement et dérouter les profanes, les auteurs emploient tous les moyens possibles : ils usent de signes hiéroglyphiques, d’un langage symbolique, de mythes et d’allégories empruntés à l’antiquité gréco-romaine, à la bible, au folklore populaire. Ils recourent à la cryptographie. Certains maîtres confient leurs secrets à l’image : ainsi le Liber Mutus de Soulat de Maretz ou le Traité symbolique de la pierre philosophale de Conrad Barchusen. C’est enfin dans les pierres elles-mêmes que les secrets de la Pirre sont cachés : sculptures de certains églises, décoration de certaines demeures ont défié les autodafés. Pour réussir, deux voies s’ouvraient à l’alchimiste : la « voie sèche » et la « voie humide ». La voie sèche était appelée aussi « voie sacerdotale » ou « voie des humbles ». Elle n’est révélée dans aucun traité. Transmise seulement de bouche à oreille, elle a d’ailleurs coûté la vie à plus d’un alchimiste téméraire. La voie humide était comparée à la navigation. Dans l’athanor ou fourneau alchimique, symbolisé par une tour, on soumettait au feu un ballon de verre hermétiquement clos contenant la matière première. Ce ballon, où mûrissait l’oeuf, était le plus souvent appelé « oeuf » ou encore « prison du poulet ». Avant d’en venir à cette coction, une série d’opérations compliquées était nécessaire. Il fallait décanter l’eau mercurielle ou « femme prostituée », adultérée par des Arséniates : elle devenait alors Rosée ou Eau bénite, Vierge ou Lune figurée par Diane. Venaient ensuite plusieurs bains où étaient plongées « l’homme » et la « femme » souvent roi et reine, représentaient respectivement soufre et mercure. Toute maîtresse de maison connaît le bain-marie, aucune ne sait qu’il doit son nom à une alchimiste : Marie la Juive. La matière devait encore être volatilisée, puis fixée. La matière première devenait « matière proche », c’est-à-dire épurée, ou encore « Rebis » c’est-à-dire chose double, figurée par un être bicéphale. Les auteurs sont unanimes pour présenter l’aspect de cette matière comme celui d’une « pâte feuilletée ». De cette matière, l’alchimiste pouvait alors, en 40 jours, tirer la fameuse pierre philosophale. Le Grand Oeuvre garde tout son mystère puisqu’on ne sait rien de la fameuse matière première sur laquelle il faut opérer. Elle est aussi secrète qu’elle est commune. Nicolas Flamel la décrit comme « une boue » et même comme une « fiente ». Les frères les plus proches des alchimistes furent les constructeurs. Les uns et les autres ambitionnaient de se faire collaborateurs du Grand Architecte. L’énorme édifice de l’Eglise catholique repose sur un jeu de mots du christ : « tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise ». Les Juifs vénéraient la pierre de Luz ou de Bethel où rêve Jacob. C’est la Kââba, la noire pierre cubique que les musulmans viennent toucher à la Mecque. La première tâche du constructeur comme celle de l’alchimiste est de bien choisir la pierre qui servira de fondement à l’oeuvre.


    Les merveilleux secrets de maître Roncelin


    On connaît l’étrange et fameuse histoire de la papesse Jeanne. En l’an 857, le pape Léon IV étant mort fut, dit-on, remplacé par un pape de haut savoir, Jean VIII. Le jour des Rogations, survivance christianisée de la vieille fête païenne de Demeter; Jean VIII, couronné de la tiare et de blanc vêtu, conduisait la procession solennelle quand il fut saisi d’un brusque malaise; alors, à la stupéfaction générale, il trahit le secret de son sexe en accouchant d’une fille au beau milieu de la place Saint Pierre. Ni la mère ni l’enfant ne survécurent. Le concile de Troyes qui accoucha en 1128 de la règle des Templiers fut présidé par un personnage à peine moins étonnant que la blanche papesse Jeanne. Jean II, évêque d’Orléans par la grâce du roi Louis VI, était surnommé Flora, du nom de cette « belle romaine » que Villon, dans sa « ballade des Dames du temps jadis » place à côté de la reine Blanche. L’évêque aurait été « un succube et un sodomite. Les actes du concile donnent à Jean II le titre de Praesul que les Latins réservaient aux prêtres de Mars. L’inquiétant évêque projette sur les premiers pas de l’Ordre du Temple une ombre de mystère et une lueur d’étrangeté qui danseront encore, deux siècles plus tard, devant les derniers bûchers. De Sede se demande si l’Ordre du Temple ne cachait pas dans son sein une société ou une fraction secrète, réservée à ses membres triés sur le volet, si quelques uns au moins des Templiers, après leur réception officielle, n’étaient pas soumis à quelque initiation secrète assortie d’une règle clandestine, et ne professaient pas, sous couvert d’orthodoxie, une doctrine peu catholique et donc cachée. Le Templier Gaucerand de Montpezat déclara : « Nous avons trois articles que personne ne peut connaître jamais, excepté dieu, le diable et les Maîtres ».

    Raoul de Presles, Nicolas Simon et Guichard de Margiac affirmèrent : « Il y avait dans l’Ordre un règlement si extraordinaire et sur lequel un secret tel devait être observé que chacun aurait préféré se faire couper la tête plutôt que le révéler. Gervais de Beauvois, précepteur du Temple de Laon, possédait un livret des statuts de l’Ordre qu’il montrait volontiers, mais il en détenait un autre plus secret que pour tout l’or il n’aurait montré à personne. Des Templiers anglais comme par exemple Jean de Stoke déclarèrent : « Il existe en réalité dans le Temple deux sortes de réceptions : la première réservée à l’admission et qui se déroule sans aucune cérémonie répréhensible, la seconde qui n’a lieu que plusieurs années après, n’est accordée qu’à quelques uns et est très secrète. »


    La pratique secrète aurait été le reniement du christ. Sommé de s’expliquer à ce propos, l’un des chefs du Temple, Geoffroy Gonneville, précepteur d’Aquitaine et de Poitou, déclara : « Il y en a qui prétendent que ce fut une des mauvaises et perverses introductions du Maître Roncelin dans les statuts de l’Ordre. » Pourtant aucun Roncelin ne figure dans la liste des Grands Maîtres du Temple. Dans les pièces du procès on découvre un certain Roncelin du Fos, chevalier de Provence, reçu dans l’ordre en 1281 par le frère Guillaume de Beaulieu. De Sède suppose qu’il existait, au sein des Templiers, une hiérarchie parallèle. Il aurait existé des Maîtres clandestins dont seul un petit groupe d’initiés connaissaient les fonctions. Cracher sur la croix expliquerait le relativisme religieux des quelques Templiers éclairés. Il semble donc que ces Templeirs n’ignoraient pas combien plus vieux que le christianisme était le thème de la mort et de la résurrection de dieu, et qu’ils ne pouvaient voir dans ce thème qu’une allégorie. Ou bien Jésus était dieu et n’avait pu mourir, ou bien s’il était mort il ne pouvait être dieu : vieille alternative des Kabalistes et des gnostiques. Dans cette perspective, cracher sur la croix ne signifierait pas autre chose qu’outrager l’emblème d’un outrage : l’outrage infligé à l’immatérialité et à la perfection divines par les hommes qui osaient figurer dieu à leur ressemblance mortelle.


    En 1780, Frédéric Munter, évêque de Copenhague, fit dans les archives du Vatican une découverte capitale. C’était un parchemin comportant deux colonnes d’écriture romane à la page et armé de la grande croix pattée de l’Ordre du Temple ; il était divisé en quatre parties. La première n’est autre que la règle officielle de l’Ordre copiée par Matthieu de Tramlay. Les secondes et troisièmes parties, signées du copiste Robert de Samfort, procureur du Temple en Angleterre, sont datées de 1240. Elles comportent respectivement trente et vingt articles, groupés sous l’inscription : « Ici commence le livre du Baptême du Feu ou des Statuts secrets rédigés pour les Frères par Maître Roncelinus. » La quatrième partie est intitulée : « Ici commence la liste des signes secrets que Maître Roncelinus a réunis » ; elle donne des indications cryptographiques.

    Munster perdit une partie des documents. C’est seulement en 1877 que le savant allemand Mertzdorff publia les trois dernières parties du manuscrit découvert par l’évêque et qu’il avait eu la chance de retrouver dans une liasse d’archives privées à Hambourg.


    Les documents confirment le relativisme religieux des Templiers et montrent que l’outrage à la croix était loin d’avoir à leurs yeux un sens impie. D’autres articles révèlent l’attrait un peu trouble exercé sur les Templiers par l’occultisme. D’autres articles encore insistent sur l’obligation du secret. Mais les articles de loin les plus curieux sont ceux de la troisième partie qui ont trait aux monuments élevés ou utilisés par les Templiers, et aux précautions que prenaient ceux-ci pour dissimuler les activités qui parfois s’y déroulaient.

    C’est en Orient que les croisés apprirent des Byzantins et des Arabes l’art de fortifier un château. Ceci explique les singularités de l’architecture templière qui a frappé tant d’historiens sans qu’ils puissent en percer les secrets. On se demande si les édifices qu’affectionnaient les Templiers ne répondaient pas à des préoccupations et des usages autres que ceux de la stratégie. L’octogone, dont l’intérêt est nul en architecture militaire, avait pour les Templiers une valeur symbolique éminente puisqu’il est la figure géométrique déterminée par la croix pattée, emblème de l’Ordre. L’article 8 des statuts secrets recommande : « Là où vous construirez de grands bâtiments, faites les signes de reconnaissance », ceci laisse entendre que certains édifices étaient des constructions chiffrées, des rébus de pierre. Dans les trois seuls exemplaires de la règle officielle du Temple qui nous aient été conservés figurent effectivement des signes cryptographiques qui prouvent l’existence chez les Templiers d’alphabets secrets. Maître Roncelin recommandait aux Templiers d’avoir des lieux de réunions vastes et cachés auxquels on accèderait par des couloirs souterrains pour que les frères puissent se rendre aux réunions sans risque d’être inquiétés. Pour Roncelin, il était interdit dans les maisons où tous les frères ne sont pas des Elus de travailler certaines matières par la science philosophique et donc de transmuter les métaux vils en or et en argent. Ceci ne devait jamais être entrepris que dans les lieux cachés et en secret.


    La Baphomet


    La dernière pièce maîtresse de l’accusation était l’adoration d’une idole. Sa description avait été fournie aux enquêteurs pas l’inquisiteur de Paris, Guillaume Humbert : elle était « en forme de tête d’homme à grande barbe » et on reprochait aux Templiers de la présenter comme « l’image du vrai dieu, du seul auquel on dût croire ». L’idole supposée portait le nom bizarre de Baphomet, sur lequel allait bientôt pâlir des générations d’érudits. Ce nom avait été révélé dès le début de l’enquête par quelques Templiers occitans, des subalternes, des hommes simples, qui dirent l’avoir entendu prononcer par des chefs de l’Ordre. Or, en langue d’oc, Bafomet désignait mahomet. Pour l’accusation, l’idole des Templiers, c’était mahomet ! Mais les Templiers avaient côtoyé les musulmans pendant deux siècles et savaient que le fait de prêter figure humaine à Celui que son infinitude interdit de nommer, et à plus forte raison de rendre hommage à l’effigie d’un simple prophète. Les chevaliers qui avouèrent avoir vu de leurs propres yeux la fameuse tête mentirent à coup sûr pour la plupart sous l’empire de la douleur ou de la crainte mais qu’ils aient tous évoqué cette tête montre bien que tous en avaient au moins entendu parler au sein de l’Ordre comme le secret le mieux gardé de celui-ci. Une pièce à conviction fut saisie au Temple de Paris le matin de la grande rafle : c’était une belle tête de femme en or, creuse, et contenant un crâne de petite fille enveloppé dans une étoffe aux couleurs de l’Ordre, sur laquelle était cousue l’étrange et laconique étiquette : « Caput LVIII m ». Le Templier Antoine de Vercueil qui avait été notaire de l’Ordre pendant 40 ans en Syrie raconta une histoire lors de l’enquête : un noble de Sidon s’était épris d’une jeune fille, mais celle-ci fut enlevée par la mort avant qu’il ne pût la conquérir. Le soir même de l’enterrement, fou de désir, le chevalier ouvrit la tombe et assouvit sa passion sur le corps de la vierge disparue. Alors, une voix venue d’on ne sait où, lui dit : « Reviens ici dans neuf mois, tu y trouveras une tête, fille de tes oeuvres ; ne te sépare jamais de cette tête, car elle te procurera tout ce que tupeux désirer. » Au terme fixé, le chevalier ouvrit de nouveau la tombe et recueillit entre les cuisses décharnées de la morte une tête dont la possession lui permit d’accomplir des prodiges. Cette légende était bien de tradition dans l’Ordre. Un poète anglais, contemporain des Templiers, Roger de Houeden, raconta lui aussi cette légende en 1201. Dans son récit, la vierge violée s’appelle Yse. Du coup, nous reconnaissons l’éternelle allégorie des amants d’Isis : celui qui ose soulever son voile et violer ses secrets enfouis atteindra le sommet du savoir et de la puissance.


    De Sede évoque Gerbert d’Aurillac qui fut mojne défroqué à la fin du Xè siècle et alla en Espagne pour se faire instruire par les Arabes. Il devint par la suite le pape Sylvestre II. C’était un savant. Il avait inventé la première horloge à balancier et des orgues hydrauliques. Appliquant les secrets qu’il tenait des Arabes et ayant choisi le moment où toutes les planètes sont à l’entrée de leur course, Gerbert avait coulé dans le cuivre une tête et cette tête, grâce à un dispositif ignoré, répondait par oui ou par non à toutes les questions qu’il lui posait et lui prédisait l’avenir. Pour les gens du début du XI è siècle, la tête parlante parut une terrifiante diablerie. Quand mourut Gerbert, le pape maudit, on hacha son corps, on le mit sur un charriot traîné par des boeufs et on l’enterra là où s’arrêtèrent d’eux-mêmes les ruminants. On le raya pour longtemps de la liste des papes. Seuls les Templiers célébrèrent pieusement sa mémoire. On prétend que la tête parlante fut détenu ensuite par Roger Bacon, astrologue et alchimiste puis par Albert Le Grand, illustre occultiste allemand.


    L’héritage


    Pour certains, l’Ordre du Temple n’a jamais cessé d’exister dans l’ombre et ce sont ses complots vengeurs qui expliqueraient tous les malheurs advenus en France, depuis sa chute, au trône et à l’autel. Si l’Ordre, en tant que corps constitué, ne survécut pas au coup de massue qui lui fut porté en France, où il avait sa tête, par Clément IV et Philippe le Bel, ailleurs les souverains le traitèrent avec moins de rigueur; ainsi en Allemagne, plus encore en Angleterre et surtout au Portugal où le Temple, resté pratiquement intact sous l’appellation nouvel d’Ordre du christ, put encore, deux siècles plus tard, hisser fièrement sa croix pattée sur les caravelles de Vasco de Gama et de Magellan. En France, de nombreux Templiers, isolément ou par petits groupes, passèrent à une clandestinité à laquelle ils étaient préparés de longue date. Ils s’éparpillèrent dans divers ordres monastiques ou dans des corporations de métiers. A la lumière de ces faits, on peut mieux juger des prétentions des groupements qui affirment descendre en droite ligne de l’Ordre du Temple. La franc-maçonnerie est apparue en Angleterre en 1717. Pour De Sede, du caractère purement spéculatif de la franc-maçonnerie moderne, on ne saurait conclure que celle-ci est dépourvue d’origines corporatives, mais seulement qu’au XVIIIè siècle l’évolution sociale avait tué l’ancien système de corporation. Dès le début du XIIè siècle, époque où elles commencent à se dégager des ordres monastiques avec lesquels elles s’étaient jusqu’alors confondues, les corporations de bâtisseurs présentent certains caractères qu’on retrouvera, six cents ans plus tard, dans la physionomie de la franc-maçonnerie moderne : initiation, obligation du secret, doctrines ésotériques, qui les firent condamner à plusieurs reprises, comme le seront plus tard les francs-maçons, par la hiérarchie catholique. Les préoccupations ésotériques existaient avant les francs-maçons modernes chez les bâtisseurs de cathédrales. C’est pourquoi ils furent condamnés par l’Eglise. Les Templiers encouragèrent la formation dans leur sillage de confréries laïques de constructeurs. Souvent installées dans les domaines de l’Ordre, ces confréries bénéficiaient des exemptions et des franchises adjugées à celui-ci : on les appelait pour cette raison « francs-métiers ». Mais pour De Sède, l’imposante organisation templière fut brisée net et n’a jamais ressuscité de ses cendres. Mais, toute mythologie mise à part, il est hors de doute que, par l’entremise des corporations de bâtisseurs, la franc-maçonnerie spéculative a recueilli, adopté et intégré dans ses conceptions propres une partie des enseignements du Temple.


    Le vaudeville


    Le 18 mars 1808 à Paris, l’église Saint-Paul, toute drapée d’étoffes blanches semées de croix rouges, offrait un aspect d’une solennité tout à fait inaccoutumée. Devant le grand portail, plusieurs bataillons de l’infanterie impériale rendaient les honneurs; dans la nef, d’importants détachements de la garnison, en tenue de deuil, se mêlaient à la foule. LE chanoine Pierre Romain officiait; ni les couleurs ni la forme de sa longue dalmatique ne devaient grand-chose à la liturgie traditionnelle. Dans le choeur se dressait un cénotaphe et étaient assis des personnages qui portaient des manteaux de fourrure armés d’une croix rouge sur l’épaule gauche; ils étaient ceints de cordons à pompons évoquant irrésistiblement des embrasses de rideau et coiffés de toques d’hermine au haut desquelles, telles des serins, perchaient des aigrettes d’or. Un personnage portait un diadème d’or et les hauts talons de ses bottes rouges en cuir de Russie dissimulaient sa petite taille. Il avait un collier de perles et une épée et un sceptre surmonté d’un globe et d’une croix. Ce jour était la journée expiatoire du supplice de Jacques de Molay. C’était Bernard Raymond de Spolète, patriarche et grand maître de l’Ordre du Temple restauré alias Bernard-Raymond Fabré-Palaprat. Il avait pris la tête d’une fantastique mystification. Tout avait commencé dans les débuts du Consulat par la création à Paris d’une association très prosaïque dénommée la Société de l’Aloyau. Un des ses sociétaires, Radix de Chevillon proclama, en 1804, que l’ORdre du Temple vivait toujours sous les espèces de l’Aloyau. Radix s’en était vu confier les commandes des mains du dernier en date des Grands Maîtres, le duc de Cossé-Brissac qui venait de mourir. Radix disparut en 1804 après avoir passé ses pouvoirs à Fabré-Palaprat. Les preuves de la continuité de l’Ordre du Temple sont un drapeau noir et blanc, un casque et une épée qu’on affirme avoir été ceux de Jacques de Molay, quelques os calcinés que l’on jure avoir été recueillis sur son bûcher. Mais surtout, c’est le « Levitikon ». Tel est le titre d’une charte de transmission sur parchemin, écrite en grec et revêtue des signatures de tous les grands maîtres qui se sont succédés sans interruption depuis l’apparente disparition de l’Ordre.

    Les adeptes de l’Aloyau prétendent que Jésus Christ était le premier grand maître de l’Ordre. L’abbé Grégoire a déclaré que le Levitikon offre toutes les apparences de l’authenticité. L’Ordre du Temple nouvelle manière connaît un succès inattendu même si il faut payer fort cher pour y entrer. Le duc de Choiseul-Praslin est une des vedettes de l’Ordre. L’archevêque de Saint-Domingue devient primat et président du Conseil des ministres de Fabré-Palaprat. Napoléon va juger ingénieux de laisser son ministre Fouché encourager en sous-main une entreprise qui, malgré son extravagance, pourrait jouer le rôle d’un double schisme affaiblissant d’un côté la franc-maçonnerie et de l’autre le Saint-Siège. Voilà pourquoi, à chaque représentation de vaudeville imaginé par Fabré, il n’hésite pas à prêter ses grognards. Après l’écroulement de l’Empire, Fabré est arrêté comme « agent de l’usurpateur » par la police de Louis XVIII. Il s’en tire en promettant de célébrer une messe d’actions de grâces en l’honneur du retour des Bourbons. Celle-ci a lieu, et l’entreprise continue. C’est alors qu’apparaît dans l’opérette le vicomte d’Asfeld alias l’aventurier Latapie. Il avait été l’espion de Wellington. Le retour de Napoléon, l’obligea à se forger de toutes pièces un état civil de vicomte et des galons de général de brigade espagnol, à l’abri desquels il peut commettre quelques escroqueries mais on l’arrête. Il simule la folie et on le libère. Il devient le vicomte d’Asfeld et chevalier de Saint-Louis. Il devient secrétaire de l’abbé Grégoire D’un soi-disant voyage en Orient, le faux vicomte a rapporté un parchemin qui était ô merveille ! Le supplément du Levitikon prouvant la fondation de l’Ordre par Jésus christ. L’abbé Grégoire écrit au Président de la République dominicaine qui lui révèle que Latapie est un imposteur. L’abbé et Palaprat chassent le faux vicomte. Mais Latapie menace de révéler ce qu’il sait sur le faux Levitikon. Latapie prétend détenir les seules archives authentiques de l’Ordre. De plus, il a une idée géniale. En 1831, il publie dans « L’encyclopédie moderne » un article révélant qu’il a toujours eu des Templiers. Les fêtes de Palaprat continuent toujours avec l’appui des autorités. Palaprat meurt en 1838. Il est remplacé par l’amiral Sydney Smith. Ce croisé moderne traverse la mer pour tenter de rallier à la cause des néo-templiers les chefs musulmans insoumis, les poches gonflées de bijoux et de décorations de l’Ordre. Les néo-templiers sont discrets sous la IIè République. Les journées de juin les raniment : c’est le moment où le prince de Chimay demande au pape de donner au néo-temple, prêt à abjurer l’hérésie de Palaprat, la caution du Saint-Siège en ces temps dangereusement troublés. Voici Napoléon III. Le néo-templier Philipe Belot lui apporte le dévouement de l’Ordre.


    Le 6 juillet 1857, George IV, roi de Hanovre, fit savoir aux dignitaires de l’Ordre, par une lettre officielle que leur remit son ambassadeur, le comte de Szapary, qu’il acceptait d’assumer dans ses etats la grande maîtrise de l’extraordianaire association. Puis le néo-temple disparut.


    De Sède fut invité à l’initiation de Don Jaime de Mora y Aragon, le propre frère de la reine des Belges dans l’ordre souverain et militaire du Temple de Jérusalem dans les salons de l’hôtel George V.


    Et le trésor ?


    Aucun trésor n’a fait couler tant d’encre, excité tant d’imaginations ni engendré tant de chimères. Le trésor des Templiers c’est aussi ses archives. Philippe le Bel rassembla en un Trésor des Chartes les documents officiels en même temps qu’il institua le Trésor du Louvre pour abriter l’encaisse métallique de l’Etat. Les papiers de l’Ordre d’une part, de l’autre ses réserves en espèces, tel était le double dépôt que recelait le Temple de Paris. Pourtant nous n’avons qu’un nombre infime de pièces émanant de l’Ordre du Temple lui-même : trois copies de sa règle officielle, quelques cartulaires provinciaux, deux livres de comptes, mais pas un document essentiel, pas un acte diplomatique, et surtout aucun des procès-verbaux des chapitres généraux qui nous renseignent si bien sur certains ordres de chevalerie comme celui de la Toison d’or. Quelques chercheurs ont émis l’opinion que le gros des documents de l’Ordre est tenu sous le boisseau au Vatican. Lors de la prise de Rome, Napoléon, que passionnait cette énigme historique, fit saisir aux archives vaticanes tout ce qui les concernait. Le dossier fut ensuite rendu au pape en vertu du Concordat, mais entre-temps plusieurs savants l’avaient consulté et en avaient dressé un catalogue qui nous apprend que le Saint-Siège n’est pas en possession des archives du Temple, quoiqu’il détienne certaines pièces du procès qui présentent pour nous un intérêt capital. On ne saurait rejeter la disparition de ces archives sur Philippe le Bel. Si elles avaient été gênantes pour lui, il est certain qu’il les aurait déposées au Trésor des Chartes. Nous en savons plus long sur le sort des réserves métalliques qu’abritait le Temple de Paris au moment du coup de filet. Elles n’appartenaient pas toutes à l’Ordre et l’Etat reprit possession de la part qu’il avait confiée à la gestion de celui-ci. Quant au reste, il fut, comme tous les autres biens templiers, placé sous séquestre, puis dévolu dans sa presque totalité à l’Ordre des Hospitaliers. Mais il est impossible d’affirmer qu’on parvint à confisquer à l’Ordre toutes les espèces qu’il possédait comme par exemple les moyens de paiement fiduciaires et les joyaux destinés au culte. A plus forte raison ne peut-on rien dire du sort du trésor que le grand-maître aurait apporté avec lui lors de son dernier voyage de Chypre à Paris, car on n’en apprend l’existence que par des rumeurs. Il est possible que les Templiers aient été prévenus du coup de filet du 13 octobre 1307. La vérité, assure Paul Chacornac, c’est que le roi ne trouva pas ce qu’il cherchait, car le Grand Maître, feignant la tranquillité, avait confié à un abri sûr les titres fondamentaux de ses archives.


    Le Templier Jean de Chalon fit une déposition en juin 1308 devant le pape. Il déclara que la veille du coup de filet le 12 octobre 1307, il avait vu lui-même trois chariots chargés de paille quitter à la tombée de la nuit le Temple de Paris sous la conduite de Gérard de Villers. Ces chariots, dans lesquels étaient dissimulés des coffres contenant tout le trésor du Grand visiteur de France Hugues de Pairaud, prenaient la direction de la côte pour être embarqués vers l’étranger à bord de 18 navires de l’Ordre. Il existe à la Bibliothèque nationale, intercalé dans les lettres de Clément V, un texte que personne n’a cité. Il contient la liste des douze dignitaires de l’Ordre et l’indication de la direction empruntée par certains d’entre eux. Or, on y trouve les deux noms cités par le témoin de Poitiers : Hugues de Châlons et Gérard de Villers. Le convoi s’était dirigé vers L’Angleterre. Mais il avait dû s’arrêter en chemin et son contenu mis en lieu sûr.


    3è partie : l’énigme de Gisors.


    En 1711, les chanoines de Notre-Dame de Paris, désireux de donner de plus belles sépultures aux archevêques, entreprirent de faire creuser une fosse derrière le maître-autel. Le 16 mars, on mit au jour un antique mur qui traversait le choeur dans toute sa largeur. On trouva neuf pierres cubiques armées de bas-reliefs et d’inscriptions. Sur l’une figurait un taureau portant sur le dos trois grues comme on en voit s’ébattre au bord du Nil ; sur l’autre le dieu celte Cernunos, dont les cornes enroulées supportaient deux roues, et son jumeau Smertullos ; sur une autre encore le fils de Jupiter : Vulcain ; sur une quatrième un arbre qui abattait Esus, le Mars Gaulois ; la 5è montrait deux cavaliers : Castor et Pollux ; les 6è et 7è un Hercule et diverses attitudes d’un homme et d’une femme. La 8è indiquait l’origine de toutes les autres puisqu’on y lisait une inscription qui signifiait : « Sous l’empereur Tibère, en l’honneur de Jupiter très bon et très grand, les bateliers parisiens ont publiquement posé ceci. La trouvaille des chanoines intéressa Leibniz qui souligna que le nom d’Esus, gravé sur une des pierres, formait un jeu de mots avec celui d’Isis. Le 9è cube était marqué de l’inscription énigmatique Eurises.


    Jumelage avant la lettre


    A l’époque de Tibère et de Jésus où ils semèrent neuf fragments de leur livre de pierre dans le vaisseau de l’île de la cité, les nautae parisiaci, dans leur navette entre Paris et Rouen, traversaient chaque semaine le territoire de la tribu des Evroises. Ils allèrent dans le Vexin au Pagus Belio Cassinus, le pays du secret du Bélier. Dans le Vexin comme sur les cubes des Nautes, dieux gaulois et dieux latins se mêlaient tels les fils aînés de la même mère. Au Moyen Age, le Vexin change de nom, mais reste toujours placé sous le signe du feu, puisqu’on l’appelle Pagus Vulcasinus : pays du secret de Vulcain. Les Nautes parisiens, qu’on appelait dès leur origine « corporation splendissime » ont fait carrière sous le nom de marchands d’eau. Le plus ancien sceau de Paris que nous possédons date de l’an 1200; il représente le navire des marchands d’eau. Sur la route romaine, on allume toujours les feux; ils ne jouent plus que le rôle de sémaphores et pourtant on les appelle les Mont-Joies, nom qui signifie Monts de Jupiter et sans doute la survivance secrète de leur antique fonction. C’est en 986 qu’apparaît le premier comte du Vexin : Gauthier, et en 1075 que son descendant Godefroy prend, le premier, le nom de Gisors. Les comtes du Vexin avaient une bannière couleur de feu semée de flamme d’or, on l’appelait la Romaine ou la Mont joie.


    Sous Godefroy, Gisors devient fief de l’abbaye de Saint-Denis et la précieuse bannière, quittant par la route romaine le pays des hommes sans tête (Saint Denis et Saint Clair), est posée sur la tombe du martyr parisien, ce qui lui vaut une nouvelle promotion. Appelée désormais l’Oriflamme à cause de ses couleurs ou le Vexin en raison de son origine. Gisors est vassale de Saint Denis selon les chartes mais en réalité elle en est suzeraine en vertu de quelque convention occulte. C’est en effet l’oriflamme qui préside au sacre des rois de France et ceux-ci la vénèrent comme une relique, presque comme un dieu. Le cri de guerre du roi est : « Mont Joie Saint Denis ! ». Sous le roi Jean II le Bon, le porte-Vexin est Geoffroy deCharnay, parent et homonyme du compagnon de supplice de Molay; l’oriflamme est de toutes les batailles où se joue le destin du royaume. Les premières couleurs nationales furent ainsi des couleurs alchimiques : celles de la toison du Bélier et de la forge de Vulcain. Ces couleurs, nous les retrouvons du reste dans les armoiries successives de Gisors qui, de plus, quand on les compare à celles de Paris qui, de plus, quand on les compare à celles de Paris, font apparaître de nouvelles correspondances entre les symboles attachés aux deux villes. Le symbolisme de leurs armoiries confirme l’existence d’un vrai jumelage entre les deux villes mais aussi, comme le faisait l’oriflamme, d’une sorte de suzeraineté occulte de la plus petite sur la plus grande. Les armoiries de Gisors offrent aussi une particularité qu’on ne peut manquer de remarquer : elles sont surmontées du nombre 1188. C’est en effet à Gisors que cette année-là, l’archevêque Guillaume de Tyr choisit de prêcher la troisième croisade. L’orme tenait une place importante à Gisors et c’est sous le feuillage de l’Ormeteau que Saint Bernard avait médité la règle des Templiers. Comme Gisors, il y avait aussi à Paris une orme célèbre de toute antiquité : c’était celui qui se dressait devant l’église Saint Gervais et Saint Protais. L’église Saint-Gervais et Saint-Protais reçut en 1195 sa charte dans le Vexin et un prieuré du Vexin s’en vit confier le patronage. L’église de Gisors était elle aussi dédiée à Saint Gervais et Saint-Protais. A Paris et à Gisors, on trouve dans les deux églises un personnage au genou découvert dont la qualité de maçon est soulignée par un compas.


    Les bâtisseurs


    Parmi les châteaux de l’Epte, celui de Gisors, qui verrouille l’ancienne route romaine, l’emporte en importance stratégique sur tous ses voisins; c’est pourquoi la lutte pour Gisors ne connaîtra guère de trêve jusqu’au Xvè siècle. Mais si les considérations stratégiques suffisent parfaitement à expliquer qu’il y avait un château à Gisors elles ne jettent par contre aucune lumière sur le plan qui a présidé à sa construction. On voit mal, par exemple, quelle nécessité militaire put inciter les bâtisseurs à donner à l’enceinte du donjon la forme d’un polygone régulier de 24 côtés et celle d’octogone réguliers au donjon lui-même ainsi jusqu’à sa tour de guet. Il en va de même pour l’enceinte extérieure du château : circulaire, elle est flanquée de 12 tours, mais celles-ci n’ont guère été réparties en fonction des besoins de la défense, puisque l’ouest et le sud-ouest, par où vinrent toujours les attaques, n’en comportent que trois. L’histoire du château est, à ses débuts, étroitement liée à la lutte que se livrèrent pour la Normandie les trois fils du Conquérant : Robert Courte-Heuse, Guillaume Le Roux et Henri Beau Clerc. Plus tard, elle se poursuit sous le signe de la défense du Vexin normand contre les entreprises françaises. Thibaud, comte de Gisors, n’était pas un personnage très catholique; on le surnomma Payen. Il eut une vie politique agitée, se rangeant tour à tour du côté des Anglo-Normands ou de celui des Français. C’est lui qui ébaucha en 1090 les premières fortifications. Thibaud Payen était le fils du comte Hugues de Chaumont et d’Adélaïde de Payen. Adélaïde était la soeur d’Hugues de Payen. Nous découvrons que celui qui posa les premières pierres du château de Gisors n’était donc autre que le neveu du fondateur de l’ordre du Temple. En 1128, se trouvant en France, Hugues de Payen rend visite à Thibaud.

    L’architecture du château telle qu’elle s’est conservée jusqu’à nous ne doit que bien peu de chose aux travaux de Thibaud de Payen. Elle fut conçue par Robert de Bellême qui en commença l’exécution en 1096, secondé par l’architecte Leufroy. Quand vint la première croisade, Robert de Bellême, dépourvu d’argent pour y prendre part, fut contraint d’emprunter à Guillaume Le Roux qui exigea la Normandie pour gage. Bellême se trouva ainsi, bien à contre coeur, au service de son ancien adversaire qui bientôt lui donna l’ordre d’envahir le Vexin français. C’est à cette occasion que, pour prévenir une riposte prévisible, commença la construction du château de Gisors.

    En 1715, Anderson, organisateur de la franc-maçonnerie en Angleterre établit la liste des grands-maîtres qui s’étaient succédés à la tête de la corporation des maçons britanniques depuis 925 où elle affirmait avoir reçu sa charte. En 1066, les maçons britanniques élurent pour grand-maître Roger Montgomery, qui n’était autre que le père de Robert de Bellême. Bellême fut fait prisonnier par Henri Ier roi d’Angleterre en 1106. Henri Ier poursuivit la construction du château de Gisors. En 1119, Louis VI le Gros avait fait valoir à Henri Ier ses prétentions sur le château de Gisors mais il échoua. Le château de Gisors était un gâteau que les rois se disputeraient encore longtemps. En 1110, Henri Beau Clerc, alias Henri Ier fut choisi comme grand-maître par les maçons britanniques. Sous son règne s’organisèrent les premières guildes de métiers.


    En 1144, le château de Gisors fut cédé au roi de France, Louis VII. Mais Henri II, roi d’Angleterre reprit le château en 1161 aidé par les Templiers. Si on peut s’étonner de l’ampleur des risques pris et des moyens mis en oeuvre par Henri II pour s’emparer de Gisors, l’attitude des Templiers est encore plus surprenante car le Temple, tout occupé en Terre Sainte, n’avait que faire de ce château, du moins du point de vue militaire. Anderson révèle qu’en 1155, on trouve à la tête des maçons britanniques le grand-maître de l’Ordre du Temple, Bertrand de Blanquefort. Henri II choisit Gisors pour palais.


    Les amants de la Reine blanche


    On sait que tout le procès fut bâti sur les dénonciations d’Esquier de Flayron et de son compère Bernard Pelet, Templiers qui prétendirent livrer au roi de Franfe quelques-uns des secrets de l’Ordre; or, c’est à Gisors que se noua l’intrigue. La tête de femme en or retrouvée au Temple de Paris fut confiée à un personnage appelé Guillaume de Gisors. La grande rafle eut lieu le 13 octobre 1308. Or, c’est le 29 novembre 1308 qu’un ordre écrit de Philippe le Bel enjoignit au bailli de Gisors d’arrêter les Templiers de cette ville. C’est à Gisors qu’on enferma Jacques de Molay avant que le dernier grand maître des Templiers ne prenne en 1314 le chemin de son supplice. C’est à Gisors qu’on trouve trace du Templier Simon de Macy. Sur ordre de Philippe Le Bel, il fut transféré à Gisors et enfermé dans la tour du château. Macy ne devait parler à personne. Peut-être détenait-il un secret.


    La Reine Blanche avait un amant, le chevalier Poulain; de ces amours naquit une fille qui ne survécut pas; le roi, instruit de son infortune, fit jeter son rival dans la tour du château de Gisors. Blessé alors qu’il s’évadait, Poulain mourut dans les bras de sa dame; elle l’ensevelit dans le fameux souterrain, près de la fille née de leurs étreintes. Il y eut à Gisors une Reine Blanche : c’était Blanche de Navarre. Elle était l’épouse de Philippe VI de Valois. Elle devint en 1359 douairière de Gisors et de Neaufles. Ce n’est pas seulement son prénom qui la fit appeler Reine Blanche : on nommait ainsi toutes les reines de France devenues veuves car leurs voiles de deuil étaient blancs. Dans son testament, elle légua une partie d’un des clous qui percèrent le Sauveur aux carmélites de Paris. A sa fille la reine légua le livre de Baarlaam, Josaphat et de beaucoup d’autres choses et à son chapelain Nicole de rueil un pot de cristal duquel était une fleur de lys et du lait de Notre-Dame.


    Le livre de Baarlaam et Josaphat est un récit du XIVè en langue d’Oc, généralement considéré comme d’inspiration cathare : l’ermite occitan Baarlaam va porter à Josaphat, prince de l’Inde, « la précieuse Pierre qu’aucun homme ne peut voir s’il n’a la vue saine et qui donne tous les biens à son possesseur ». Dans le vocabulaire imagé des hermétistes, le « lait de la Vierge » désignait l’eau mercurielle indispensable à la fabrication de la Pierre philosophale. En nous apprenant qu’une reine férue d’alchimie prit à Gisors la succession des derniers Templiers l’histoire confirme ainsi ce qu’annonçaient à mots couverts les légendes.


    Le mythe du chevalier Poulain pourrait venir de Wolfgang de Polham, homme de confiance de Marie de Bourgogne, fille de Charles le Téméraire. De Polham fut fait prisonnier par Louis XI à la bataille de Guinegatte en 1479 et jeté dans la tour de Gisors d’où il ne sortit qu’à la mort du roi de France en 1483. Polham faisait partie de l’ordre de la Toison d’or institué en 1429 par Philippe le Bon.


    Le château des trois chariots


    Aussi stupéfiant que cela paraisse, tout l’édifice du château de Gisors a été conçu en fonction de l’état local du ciel le 24 décembre à minuit. Seule la croyance au symbolisme astrologique a dicté aux bâtisseurs leur choix et sans doute aussi l’obligation de camoufler la structure de leur oeuvre. C’est le 24 décembre à minuit entre 1090 (année où commence la construction du château) et 1184 (où elle prit fin) que le Grand et le Petit chariot d’une part, le Navire ou chariot des Mers d’autre part passaient aux antipodes les uns de l’autre par rapport à Gisors. Cette position réciproque des trois chariots, qui ne se retrouvait qu’une fois dans l’année, a dicté tout le plan du château. Les bâtisseurs ont élevé à Gisors un édifice à double destination : militaire et religieux. A Gisors le caractère sacré de l’édifice se dissimule entièrement sous les dehors profanes d’une forteresse. En basant leur plan sur le solstice, les bâtisseurs du château de Gisors ont agi comme avaient fait, 25 à 30 siècles plus tôt, ceux des grands temples mégalithiques dont Stonehenge en Angleterre offre le type le plus imposant.


    Leur manière peu catholique de bâtir s’accorde avec leur vie à la fois savante, hétérodoxe et insolite. Thibaud Payen fut sensible aux superstitions selon lesquelles tous les mégalithes du Vexin tournent magiquement sur eux-mêmes, précisément la nuit du solstice d’hiver. Les princes hermétistes qui bâtirent le château de Gisors placèrent peut-être dans l’édifice un bâtiment, une nef située sous terre comme le Navire qu’elle représenterait. Princes normands, les bâtisseurs purent aussi se souvenir des navires de leurs ancêtres, appelés drakkars à cause du dragon qui ornait la proue. Et à ces drakkars visibles font pendant les drakkars enfouis sous terre dont, selon l’antique rite païen, les chefs normands faisaient leurs sépultures. A l’heure où l’église officielle s’apprêtaient à faire jaillir vers le ciel les orgueilleux vaisseaux des premières cathédrales, destinés à des foules immenses, des bâtisseurs cernés d’ombres n’enfouirent-ils pas dans le sous-sol de Gisors un sanctuaire réservé aux initiés, aux amants d’Isis, aux alchimistes qui avaient pris pour emblème la blanche nef des Argonautes ?


    Isis, tu es cachée dans le Vexin...


    Le prisonnier de la Tour Ferrée du château de Gisors, Poulain, tua le temps en sculptant sur les murs à l’aide d’un clou les scènes de la passion du christ que lui inspirait son propre martyre. On trouve d’autres graffiti aux étages supérieurs de la tour du Prisonnier. On relève notamment un grand quadrillage formé de losanges, des étoiles à cinq, six et huit pointes et enfin un emblème connu sous le nom de triple enceinte. Le quadrillage losangé est une grille cryptographique et les étoiles sont les clefs qui permettent son déchiffrement. L’étoile à huit pointes est une figuration classique de la pierre philosophale des alchimistes. L’emblème de la triple enceinte se retrouve sur des menhirs, sur le Parthénon, des tombes mérovingiennes et des tapisseries du XVIè siècle. Ces trois figures se retrouvent sous forme de graffiti dans le donjon du Coudray à Chinon. Ils ont été tracés par les chefs de l’Ordre du Temple qui y furent enfermés en août 1308. Il y avait de Molay et Hugues de Pairaud. De Sede en conclut que des Templiers étaient enfermés au château de Gisors. La pièce maîtresse des graffiti des étages supérieurs de la tour, c’est un navire. C’est la nef des nautes que l’auteur a voulu représenter. Sa figure de proue est un poisson. Or, on sait que les premiers chrétiens persécutés choisirent le poisson comme emblème cryptographique du christ. Avec son carré et son poisson, le navire de la tour du Prisonnier indique avec une grande précision les éléments astronomiques, graphiques et chronologiques qui se combinent sans le plan : constellation du Navire, carrés, nuit de Noël. Il nous fournit donc la preuve que les hauts dignitaires de l’Ordre du Temple connaissaient tous les secrets de la construction du château. Les graffiti soi-disant religieux se révèlent à l’oeil attentif comme d’inspiration alchimique. Le bas-relief où tout le monde a cru voir un saint Georges terrassant le dragon se rapporte en réalité à la légende des Argonautes. Ces bas-reliefs que le guide prête généreusement au mythique amant de Blanche d’Evreux, Charles Nodier les situe entre les règnes de Louis XII et de Henri III. En principe, rien ne s’opposerait donc à ce que le sculpteur hermétiste ait été Wolfgang de Poltham. Parmi les bas-reliefs on trouve la Vierge. Cette invocation à la Vierge se trouve dans le panneau faisant face à la porte. Quand on se place à l’aube devant cette inscription, le dos au mur, on constate qu’effectivement le soleil, passant par une des quatre meurtrières du cachot, vient cadrer avec précision un des bas-reliefs du panneau d’en face. Celui de la Résurrection où Nodier prétend, pour les besoins de l’allégorie, avoir trouvé le papillon qu’on nomme Isis. Or, en regardant de près ce bas-relief, on s’aperçoit que la croix tenue par le soldat romain est la croix pattée de l’Ordre du Temple. Le prisonnier, instruit par les graffiti des Templiers, avait déchiffré jusqu’au bout les cryptogrammes. Or, l’inscription de la tour du Prisonnier repose sur un anagramme «  O mater dei memento mei » (O mère de dieu, souviens-toi de moi) est l’anagramme de Amo Demeter enim timeo (j’aime Demeter car je la crains). Demeter est le nom grec d’Isis. Le sens secret de l’inscription s’accorde parfaitement avec la signature : en effet Poulain est l’amant de la reine Blanche, l’amant d’Isis, le chevalier de la Toison d’or, l’Argonaute. A côté de son inscription, le prisonnier a sculpté à l’envers un gisant qu’on peut voir aussi dans l’église. L’église de Gisors contient également des cryptogrammes faisant référence à Isis.


    Et maintenant voici les preuves


    A Gisors, à moins d’une heure de Paris, les Templiers sont parmi nous.


    1. Il existe une construction souterraine sous le donjon.

    Comment une simple butte de terre rapportée peut-elle soutenir une construction aussi pesante ?

    Si les fondations descendaient jusqu’au sol de la basse-cour, il existerait probablement un étage souterrain. Lhomoy a dégagé, dans la motte, des pans de muraille descendant jusqu’en dessous du niveau du sol.


    1. Dans cette construction souterraine se trouve une chapelle

    Un rapport de 1375 fait par le gouverneur du château de Gisors au sujet de l’évasion d’un inconnu captif dans la tour du Prisonnier prouve qu’à partir du cachot de la tour on accédait au moins à quatre bâtiments contigus : une « cage », deux chambres et enfin une chapelle Sainte-Catherine, nécessairement autre que la chapelle Saint-Thomas qui se trouvait au sommet de la motte, dans l’enceinte du donjon. Or, le cachot se trouve à douze mètres au-dessous du niveau de la cour. Cette cage, ces deux chambres et cette chapelle ne peuvent donc être que souterraines.


    1. Cette chapelle est bien telle que la décrit Lhomoy, avec les statues et les coffres.

    Un manuscrit d’une centaine de pages daté de l’an 1696 écrit par Alexandre Bourdet, né en 1660 et mort à Gisors en 1728 prouve que l’auteur a été mis sur la voie de la découverte par un manuscrit du XIVè siècle écrit par Nicole de Rueil, chapelain de la Reine Blanche d4evreux. A la page 86, Bourdet a placé le plan de la fameuse chapelle, avec les statues et les coffres.


    1. Un document prouve l’existence de trente coffres au trésor.

    En 1938, l’abbé Vaillant curé de Gisors, écrivit une lettre à un architecte parisien auquel avait été confié pour inventaire un paquet d’anciennes archives de l’église. L’abbé y demanda à son correspondant de lui retourner un manuscrit en latin daté de 1500 qui parlait de 30 coffres de fer.


    1. Il existe des souterrains reliant l’église au château

    En mars 1947, dix mois après la découverte de Lhomoy, une équipe de terrassiers, chargés d’élargir la ruelle qui relie le portail nord de l’église à la rue de Vienne à découvert, à six mètres de profondeur, un carrefour de souterrains voûtés en plein cintre. Poursuivant leurs travaux, les ouvriers trouvèrent ensuite quatre sarcophages contenant des squelettes. L’archéologue Eugène Anne prit des mesures qui correspondaient à celles des sarcophages de la chapelle souterraine, telles que les avait relevées Lhomoy. On sait que le château de Gisors fut construit sur l’emplacement de l’église primitive. Cette église aurait pu succéder à un sanctuaire païen. Ce sanctuaire aurait pu être préservé par les bâtisseurs de l’église ou être intégrée aux plans hermétiques des bâtisseurs du château. Bien des gens peuvent l’avoir utilisé pour leurs pratiques occultes. Confié à des légendes initiatiques et transmis au sein de certaines corporations, le secret de la chapelle souterraine fut percé au XVIè siècle où l’on voit se multiplier dans l’architecture et l’épigraphe les allusions à son existence. Cette chapelle a pu servir de salle d’initiation aux hauts grades de certaines sociétés secrètes. Gérard de Sède en appelle à André Malraux, ministre de la culture de l’époque pour que des fouilles soient faites. André Malraux tombera dans le panneau et rien ne sera trouvé à Gisors. De Sède avait créé un superbe canular.


    Point de vue d’un hermétiste.


    De Sède a rencontré Pierre Plantard, un ancien collaborateur sous Vichy, qui créa le Prieuré de Sion. De Sède crut que cet homme était un archéologue. Plantard pensait que le château de Gisors cachait peut-être dans sa construction abstraite une oeuvre d’art unique en France. Selon lui, le nom de Gisors viendrait de Gi (refuge) et Sor (courant d’eau). Pour Plantard, la forteresse de Gisors aurait été édifiée sur des bases secrètes. A l’origine, le secrets mineurs des « anciens » se transmettaient de bouche à oreille, les secrets majeurs des «Maîtres » étaient conservés sous l’effigie de la « Toison d’or ». Les membres se conformaient à des usages anciens et pratiquaient des rites initiatiques que les légendes corporatives faisaient remonter à la plus haute antiquité. Les constructeurs se déplaçaient souvent par mer, fleuves et rivières en bateaux, d’où leur nom de « nautes constructeurs ». Ils transportaient avec eux les instruments relatifs à leur art, entre autres une « tête à face double ou triple », règle mathématique des proportions, effigie taillée d’après l’observance de règles strictes dans un cube en « bois de Mars »; cette tête figurait souvent celle d’un bélier. Plantard affirme qu’en 1188 « l’orme fut coupé » et qu’un de ses rameaux, l’ »ormus », ayant pour emblème une croix rouge et une rose blanche, serait à l’origine de la Rose-Croix. Depuis 1188, le nombre de ses membres serait 13 comme les signes du zodiaque. Le suprême Maître, dit Nautonier, adopterait touours le nom de Jean. Le premier aurait pris le nom de Jean II. Nous serions aujourd’hui au XXIè règne de Jean. Plantard pense que la forteresse de Gisors aurait été établie sur un plan hermétique en rapport avec l’astronomie.





    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique