• JEAN VAQUIE
    L’ECOLE MODERNE DE L’ESOTERISME CHRETIEN
    SOCIETE AUGUSTIN BARRUEL, N° 22-23, MAI 1992
    LA POSITION DU PROBLEME


    Nous entreprenons l’étude d’une école de pensée qui n’est pas encore très connue et dont il convient de préciser la
    place, d’abord par rapport au progressisme qui a inspiré le Concile, mais aussi par rapport, au traditionalisme qui anime les
    adversaires du Concile. Reportons-nous, pour saisir l’enchaînement des circonstances à son début, aux dernières années
    du XIX° Siècle. Le MODERNISME, un instant contenu et refoulé par les prises de position très nettes des Papes Grégoire
    XVI dans "Mirari Vos", Pie IX dans "Quanta Cura" et le "Syllabus", et Pie X dans "Pascendi", le modernisme donc a repris
    une grande vigueur après la tourmente de la deuxième guerre mondiale de 1939-1945. Il s’est alors légèrement modifié
    pour s’incorporer les thèses socialistes triomphantes à cette époque et il a pris, à cette occasion, le nom de PROGRESSISME.
    Ce sont les thèmes progressistes qui ont été officialisés par les Déclarations et les Constitutions conciliaires de Vatican
    II.
    Par réaction contre cette puissante ligne de pensée, il s’est développé, dans toute l’Eglise et spécialement en France, un
    fort courant anti-progressiste et donc anti-conciliaire. Ce courant a reçu, de ses adversaires, l’appellation d’INTÉGRISME
    et il s’est donné à lui-même le nom de TRADITIONALISME.
    Les traditionalistes entendent résister à l’influence de la franc-maçonnerie, devenue dominante dans les hautes instances
    ecclésiastiques. Ils n’admettent, ni les "orientations" post-conciliaires, ni même les documents officiels émanés directement
    du Concile, les considérant comme profondément entachés de modernisme et de progressisme et comme inspirés
    par la maçonnerie. Animé par cet esprit de résistance, le traditionalisme est devenu un courant de pensée, minoritaire certes,
    mais très vigoureux.
    Or il se trouve qu’à l’intérieur du traditionalisme, c’est à dire dans cette partie de l’Eglise qui est restée fidèle à la foi,
    un nouveau courant, discret mais tenace, à pris naissance, celui de l’ÉSOTÉRISME CHRETIEN. Ce courant présente,
    comme son nom le suggère, un double caractère. Il est chrétien sous quelques aspects, mais en même temps il véhicule
    des doctrines ésotériques qu’il proclame parfaitement compatibles avec le christianisme le plus "traditionnel".
    C’est cette prétendue COMPATIBILITE qui fait problème. Il est important d’examiner quel est le contenu notionnel de
    l’ésotérisme que l’on cherche ainsi à incorporer au christianisme, et de montrer que l’ésotérisme dont il est question ne relève
    pas du même esprit que le christianisme orthodoxe. Cette démonstration est d’autant plus nécessaire que les ésotéristes
    chrétiens se déclarent fortement anti-progressistes et qu’ils se rendent ainsi très séduisants pour les traditionalistes
    qui se sont prononcés contre le Concile.
    Nous allons donc examiner les documents que l’on peut raisonnablement attribuer à l’école de l’ésotérisme chrétien.
    Mais pour juger ces documents nous allons rencontrer une première difficulté. Quelles sont les positions relatives de
    l’ésotérisme et de l’OCCULTISME ? Ces deux disciplines sont-elles aussi différentes qu’on le dit aujourd’hui ?
    Les SCIENCES OCCULTES (ou occultisme) sont ainsi appelées parce que ce sont des sciences "défendues". Elles sont
    dites occultes parce que, pour s’y adonner, il faut "se cacher". Et elles sont défendues, par le pouvoir royal et par les évêques,
    parce qu’elles sont nocives pour la société civile et pour l’Eglise. Les sciences occultes sont essentiellement la magie,
    l’évocation des esprits, les arts divinatoires, les sortilèges et pour finir la sorcellerie. De ces sciences, l’Ecriture nous dit
    que Dieu les a toutes "en abomination".
    Or elles comportent une partie THEORIQUE, philosophique et intellectuelle, mais aussi une partie PRATIQUE, c’est à
    dire rituelle et opérative. Cependant, et on le conçoit très bien, il n’y a pas, dans l’occultisme, de coupure entre la théorie
    et la pratique. La pratique est la suite logique de la théorie. C’est ainsi que les principes de la magie rituelle sont contenus
    dans un certain corps de doctrine. Le titre que Eliphas Lévi (ancien abbé Constant) a donné à son principal ouvrage illustre
    bien ce rapport de filiation : "DOGME ET RITUEL DE LA HAUTE MAGIE" (1855). Le "dogme, c’est la partie philosophique
    et relevée. Le "rituel", c’est la partie laborieuse et même dangereuse (parce qu’elle est démoniaque). L’occultisme,
    dans son ensemble, possède ainsi un "haut de gamme" et un "bas de gamme".
    Tant que les sciences occultes sont restées des sciences interdites, les théoriciens et les praticiens sont, eux aussi, restés
    soumis à la même clandestinité. Mais quand les censures se sont relachées, les doctrinaires n’ont plus voulu être
    confondus avec les praticiens qu’ils considéraient comme compromettants. Et ils ont donné à leur occultisme de haut de
    gamme le nom d’ESOTERISME. Ils ont continué à étudier l’hermétisme, la gnose, l’alchimie, la cabbale, le rosicrucianisme,
    l’hidouisme, mais sans conduire ces diverses disciplines jusqu’à leurs conséquences pratiques que sont la magie,
    l’évocation des esprits, les arts divinatoires... Conséquences pratiques qu’ils méprisent et qu’ils condamnent et auxquelles
    ils ont réservé le terme péjoratif d’OCCULTISME.
    Le divorce a été tel qu’il est devenu une véritable rivalité. Paul Lecour, le fondateur de la revue "Atlantis", a même
    énoncé un principe qui fait maintenant autorité : "L’occultisme est le fléau du monde. L’ésotérisme est le salut du monde".
    En d’autres termes, selon lui, l’occultisme est démoniaque et l’ésotérisme est divin.
    Nous ne saurions souscrire à cette prétendue opposition. Esotérisme et occultisme ne sont fondamentalement qu’une
    seule et même chose. Ils sont tous les deux et conjointement le fléau du monde. Marie France James, dans ses différents
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    ouvrages, tout en sachant les distinguer, associe néammoins ces deux disciplines dans l’expression commune
    d’ESOTERO-OCCULTISME.
    On comprend qu’il était nécessaire de marquer la place de l’ésotérisme au moment où nous commençons l’examen des
    ouvrages de l’ésotérisme chrétien. Nous savons donc ainsi qu’il entraine immanquablement l’occultisme à sa suite, même
    s’il prétend ne pas le désirer.
    CHAPITRE I : L’ABBE STEPHANE
    INTRODUCTION : L’OUVRAGE DE L’ABBE STEPHANE CARACTERISTIQUES GENERALES
    Le premier ouvrage de cette "Ecole" que nous examinerons sera celui de l’Abbé Henri STEPHANE intitulé : "INTRODUCTION
    À L’ESOTÉRISME CHRÉTIEN"
    Textes recueillis et annotés par François CHENIQUE. Préface et Postface de Jean BORELLA. En deux tomes (1979-
    1983) aux Editions DERVY-LIVRES, 6 rue de Savoie - Paris Vlème. Dans la collection "Mystique et religions" (la bande qui
    ferme le livre neuf porte la mention "Le théologien de notre siècle").
    Si nous commençons notre étude par cet auteur : c’est qu’il a été l’un des principaux inspirateurs d’un groupe important
    d’écrivains qui militent dans le sens de l’Esotérisme Chrétien et qui forment véritablement une "Ecole de Pensée"
    dont la cohésion ne fait aucun doute.
    Après une BIOGRAPHIE succincte de l’Abbé H. Stéphane, nous procéderons à une analyse résumée de sa doctrine.
    BIOGRAPHIE SUCCINCTE DE L’ABBE STEPHANE
    De son vrai nom l’Abbé Stéphane s’appelait André, Henri, Stéphane GIRCOURS. Il est né en 1906. C’était un mathématicien
    de formation. Sa vocation sacerdotale fut assez tardive. Il fut ordonné prêtre en 1941, donc à l’âge de 35 ans.
    Presque toute sa. vie, il a enseigné les mathématiques et donné des cours de Religion, dans des institutions privées. C’est
    dans un petit séminaire qu’il a eu son premier poste de professeur.
    Il cultivait, dit-on, pour lui-même des tendances mystiques. Il se familiarisa de bonne heure avec saint Jean de la Croix
    et sainte Thérèse d’Avila. Malheureusement, il découvrit aussi les livres et la doctrine de René Guénon dont il fit, dès lors,
    sa nourriture habituelle.
    Il y joignit l’étude des ouvrages de Frithjof Schuon qui est le principal disciple et le continuateur de R. Guénon. Il ne
    tarda pas à incorporer ces nouvelles données à ses conceptions chrétiennes et même aux cours de Religion qu’il assurait.
    C’est ainsi qu’il attira l’attention de son évêque, l’évêque de Nancy, lequel fut finalement obligé de le chasser du diocèse.
    L’Abbé Gircours quitta le diocèse de Nancy, en Septembre 1943, avec interdiction de confesser.
    Il fut alors recueilli au Collège Sainte Geneviève de Versailles où on lui confia la classe de mathématiques de préparation
    à l’Agro. C’est là qu’il enseigna jusqu’à sa retraite en 1973.
    Il mena dès lors une vie presque érémitique. Mais sa solitude ne l’empêcha pas de recevoir des visites nombreuses et
    surtout assidues. Pour tout dire, il forma véritablement des adeptes. Il n’écrivit que de petits traités sur des sujets détachés.
    On trouvera des précisions sur sa méthode dans la préface du premier tome.
    A la fin de sa vie, sans doute fatigué par ses études, troublé peut-être aussi par le vertige que l’Esotérisme entraîne
    bien souvent avec lui, l’Abbé Gircours a dû faire des séjours à l’Hôpital psychiatrique interdépartemental de Maréville,
    près de Nancy, où ses fidèles ne manquèrent pas d’aller lui rendre visite. Il est mort en 1984, dans la onzième année de sa
    retraite.
    "L’Introduction à l’Esotérisme Chrétien" est le recueil, réuni par François Chénique, des principaux sermons et de
    quelques uns des courts traités laissés par l’Abbé Stéphane.
    LES SOURCES D’INSPIRATION
    L’Abbé Stéphane fut un prêtre instruit et familiarisé avec les questions de doctrine. A la formation religieuse classique
    qu’il avait reçu au séminaire et qu’il entretint assidûment par la suite, il ajouta une autre formation, de tendance orientaliste
    celle-là, et non moins ardemment cultivée. François Chénique, son compilateur, cite en particulier quatre auteurs
    comme ayant exercé sur lui une profonde influence
    - René GUENON
    - FRITHJOF SCHUON
    - Ananda K. COOMARASWAMY
    - et Paul EVDOKIMOV.
    LA DOCTRINE DE L’ABBE STEPHANE - INTRODUCTION
    Nous pouvons nous attendre à trouver, dans l’ouvrage de l’Abbé Stéphane, en conformité avec son titre, une association
    - d’Esotérisme - et de Christianisme
    Comment ces deux doctrines vont-elles cohabiter ?
    On s’aperçoit rapidement que l’auteur n’a pas élaboré un syncrétisme homogène. Il est bien évident qu’il n’a pas pu
    associer l’ésotérisme et le christianisme pour en former un ensemble cohérent. Il n’a pas harmonisé les deux doctrines. Il
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    les a plutôt juxtaposées. Certains développements de l’Abbé Stéphane sont parfaitement orthodoxes.
    D’autres, en revanche, sont contaminés par l’Esotérisme, mais à des degrés divers. Nous les classerons par sujet que
    nous examinerons les uns après les autres sans prétendre à une succession parfaitement logique puisque l’auteur luimême
    n’a pas produit un développement organisé mais seulement de courts traités distincts.
    L’ORTHODOXIE DE L’ABBE STEPHANE
    1. Concernant l’INERRANCE BIBLIQUE : L’Abbé Stéphane s’insurge contre les théologiens modernistes qui prétendent
    transposer, dans le domaine de l’exégèse biblique, les méthodes profanes de la "critique historique".
    "La méthode HISTORIQUE et EXEGETIQUE, si chère à nos contemporains est tout à fait impuissante à donner le sens de la
    Bible ; elle se contente d’étudier les documents eux-mêmes, de les situer péniblement dans un cadre chronologique et géographique.
    Mais au bout de tant d’efforts, que reste-t-il, et en quoi un tel travail contribue-t-il à donner l’intelligence de l’écriture ?
    "Toute la question est alors de savoir si cet AGGIORNAMENTO n’entraîne pas une dénaturation, une falsification ou au
    moins une dévaluation des CHOSES SAINTES. La dissection qu’on applique à l’Ecriture Sainte paraît aussi sacrilège que si l’on
    examinait une hostie consacrée au microscope dans l’espoir d’y découvrir le Corps du Christ." T. I, p. 337.
    2. L’Abbé Stéphane hiérarchise très exactement LES DEUX PRECEPTES DE LA CHARITE, à savoir l’Amour de Dieu
    d’abord et celui du prochain ensuite :
    "Il est à peine besoin de rappeler toutes les inepties, les divagations et les aberrations que l’on prêche, au nom de l’Amour dans
    toutes sortes de sectes. On ramène tout à la fraternité universelle ; par ailleurs on justifie toutes les turpitudes au nom de
    l’Amour... Toutes ces aberrations peuvent se ramener à cette affirmation : on ne retient que l’amour du prochain et on oublie
    l’Amour de Dieu ou du Christ, alors qu’il est dit : "tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme, de tout
    ton esprit et ton prochain comme toi-même." (Math. XXII-37). On sacrifie la vérité à l’amour." Tome II, page 311.
    3. Les positions relatives de L’OBJECTIVITE ET DE LA SUBJECTIVITE en matière religieuse sont très bien précisées:
    "Nous nous adressons ici à des Chrétiens qui croient en Dieu, à l’au-delà et en Jésus-Christ, mais qui s’imaginent arriver à
    Dieu, ou au ciel, par un simple rattachement idéal au Christ, par une sorte de romantisme SUBJECTIF où s’épanche leur aspiration
    spirituelle vague et sentimentale ; on prie Dieu, on aime le Christ, on admire ses vertus et on admet ou on ne comprend pas la
    nécessité d’un rattachement OBJECTIF, seul réel et efficace, à un ordre sacramental voulu et fondé par le Christ, et dont les structures
    ne sont pas livrées à la fantaisie et à l’arbitraire des hommes. Autrement dit, il ne suffit pas d’avoir la foi et l’amour pour que
    se réalise effectivement en nous l’oeuvre du Médiateur.
    4. Voici, sur l’importance de l’ORAISON LITURGIQUE, une réflexion de l’Abbé Stéphane que le très traditionnel Dom
    Guéranger aurait pu signer :
    "... l’oraison mentale et l’oraison liturgique, ce sont deux modes complémentaires de toute vie spirituelle. Mais l’oraison liturgique,
    qui est la prière officielle de l’Eglise, Epouse sacrée et Corps Mystique du Christ, est évidemment supérieure à l’oraison
    mentale individuelle, et plus agréable à Dieu. L’Eglise, avec ses rites sacramentels et son Office Divin, apparaît ainsi comme la
    source à laquelle s’alimente le fidèle". Tome I, page 271.
    5. L’Abbé Stéphane juge L’EGLISE MODERNE, et plus spécialement l’Eglise post-conciliaire, avec sévérité :
    "Mais le plus grave... c’est d’être tenté de REDUIRE la Religion à une caricature. Sans entrer dans les détails, il me suffira de
    rappeler qu’il y eut toute une époque où l’on avait réduit la Religion à la morale, ce que l’on peut appeler le MORALISME, ou à
    l’observance d’un certain nombre de pratiques, ce que l’on peut appeler le FORMALISME ou le conformisme. Aujourd’hui, de déchéance
    en déchéance, vous savez à quoi on la réduit : au "social", voire au SOCIALISME." Tome II, page 365.
    6. Certaines phrases de l’Abbé Stéphane laissent supposer qu’il souscrit à la doctrine dite "de la PRIMAUTE ABSOLUE"
    du "Verbe Incarné", doctrine particulièrement en faveur dans le noyau dur du traditionalisme. Voici l’un de ces passages
    :
    "La nature est voulue EN VUE DE L’INCARNATION du Verbe et de la constitution du corps mystique et "la création toute
    entière attend la glorification des enfants de Dieu" (Rom. VIII, 19). Ceci ne nuit en rien au caractère essentiellement gratuit de la
    Grâce, ni à l’impossibilité pour l’homme, supposé réduit à ses seules forces, d’atteindre sa fin surnaturelle sans le secours de
    Dieu." Tome I, page 34.
    7. Il reconnaît aussi à l’Eglise la propriété de son patrimoine SYMBOLIQUE :
    "Ces symboles ne sont pas choisis au hasard, mais par l’assistance de l’Esprit Saint, l’Eglise, à la suite et sur l’ordre du Christ,
    a choisi dans la nature les symboles essentiels cardinaux, qui représentent d’une façon synthétique et symbolique l’universalité de
    la nature." Tome II, page 155.
    Nous verrons néanmoins que, sur des points très importants, l’Abbé Stéphane s’écarte de l’orthodoxie symbolique
    pour rejoindre le symbolisme des occultistes et des orientaux.
    8. La critique qu’il fait de la NOUVELLE LITURGIE est excellente :
    "Pour célébrer les Saints Mystères, il n’est pas indifférent d’entrer dans une Eglise romane, ou dans une salle à manger. Il
    n’est pas indifférent de revêtir des ornements liturgiques ou de dire la Messe en salopette. Il n’est pas indifférent de la dire en latin
    et en grégorien, ou de chanter des sornettes en langues vulgaire. Tout cela contribue grandement à donner le sens du sacré."
    "Un certain cadre (environnement !) est donc indispensable, au niveau de l’homme ordinaire pour que la Religion subsiste
    sous des formes sacrées accordées à sa sensibilité. Aujourd’hui ce cadre est en miettes, et la Religion s’évapore." Tome II, page
    250.
    9. Les DEVIATIONS DU CONCILE n’ont pas échappé à l’observation de l’Abbé Stéphane :
    "Tout ce modernisme, contenu tant bien que mal jusqu’à Vatican II, s’est répandu comme un abcès crevé, comme une leucémie
    dans tout l’organisme, lorsque le Concile a OUVERT LES FENETRES. On conçoit qu’une critique aussi radicale de la Religion
    aboutisse à sa destruction." Tome II, page 170.
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    10. L’Abbé Stéphane n’oublie pas la DEMONOLOGIE. Il a parfaitement remarqué que le monde moderne est compénétré
    par l’influence de Satan :
    "Aujourd’hui cette vision apocalyptique des choses est considérée, par nos contemporains, qui se regardent comme des esprits
    forts et qui ont remplacé le Culte de Dieu par le culte de l’homme, comme de l’obscurantisme médiéval, et l’on n’en parle plus. Il
    suffit cependant d’ouvrir les yeux et de lire les journaux pour se rendre compte que SATAN EST PARTOUT ; s’il n’est plus dans
    le désert de sable, il est dans le désert du monde moderne, un monde de machines et de laideurs de toutes sortes." Tome II, page
    299.
    "Pour celui qui a compris la remarquable cohérence du dogme, les bafouillages d’une philosophie quelconque (hégélienne, par
    exemple) sont inexistants. Quant à l’ironie et au scepticisme des modernistes ou des négateurs de toutes sortes, c’est LE RIRE DE
    SATAN." Tome II, pages 327-328.
    "Si la nouvelle religion est essentiellement le culte de l’homme, l’ancienne était essentiellement le culte de Dieu. Il va sans dire
    que la nouvelle religion n’est qu’une pseudo-religion, une parodie satanique de l’ancienne religion." Tome I, page 372.
    On voit que l’Abbé Stéphane opère un certain DISCERNEMENT DES ESPRITS. Il croit incontestablement à l’existence
    d’esprits mauvais. Néanmoins, nous constaterons par la suite que les critères qu’il applique pour distinguer les bons et
    les mauvais esprits ne sont pas du tout ceux que l’Eglise traditionnelle a toujours utilisés.
    11. C’est même en fonction de ce discernement des esprits que l’Abbé Stéphane fait la critique de FREUD et de JUNG.
    Rien ne peut mieux attirer la confiance des réactionnaires :
    "Il y a d’abord la déclaration particulièrement significative de Freud qui a placé en tête de sa "traumdeutung" (interprétation
    du rêve) cette épigraphe : "Flectere si nequeo superos, acheronta movebo" (Virgile Eneide VII - 312). Si je ne peux pas fléchir les
    puissances d’en haut, je remuerai l’Achéron, c’est-à-dire les enfers. Ce propos délibéré d’explorer "l’infernal", faute de pouvoir fléchir
    le "céleste", ne laisse guère de doute sur le caractère "sinistre" de son projet... Enfin nous poserons une question fort indiscrète
    sans doute : PAR QUI les premiers psychanalystes ont-ils bien pu être psychanalysés eux-mêmes, et DE QUI tenaient-ils les
    "pouvoirs" qu’ils ont communiqués à leurs disciples." Tome II, pages 182-183.
    L’Abbé Stéphane est très hostile à la notion d’inconscient collectif (de Jung) dont il suggère qu’il s’agit d’une puissance
    de type maléfique (note sur Jung - Tome II, page 184)
    Il est également très hostile à Bergson et à ses doctrines d’évolution (traité IV - Tome II, page 187) ; tout cela ne peut
    que plaire chez les intellectuels traditionalistes.
    ***********
    Pour conclure ce paragraphe sur "l’orthodoxie de l’Abbé Stéphane", nous pouvons constater que son ouvrage a de
    quoi SEDUIRE certains esprits traditionalistes d’aujourd’hui, surtout par sa CRITIQUE de l’Eglise contemporaine. Il insiste,
    en effet, sur la DESACRALISATION de l’Eglise moderne.
    Ceux qui se contenteront d’une lecture rapide pourront être frappés par cette judicieuse critique. Voilà, diront-ils, un
    écrivain
    - qui enseigne une BONNE DOCTRINE sur des points essentiels,
    - qui n’aime pas le monde moderne et sa DESACRALISATION,
    - qui critique la SECULARISATION de l’Eglise post-conciliaire,
    - et qui ne craint pas de parler du DEMON et de son influence considérable dans la civilisation contemporaine.
    En conséquence, les lecteurs INSUFFISAMMENT attentifs classeront l’Abbé Stéphane parmi les ECRIVAINS TRADITIONALISTES.
    Or, c’est précisément dans cette catégorie que lui-même et ses compilateurs désirent être rangés. Et pourtant,
    nous allons voir, dans les paragraphes qui suivent, que le poison ésotérique imprègne toute l’oeuvre de l’Abbé Stéphane
    et dénature complètement l’apparent traditionalisme que nous venons d’observer.
    Il n’est pas sans intérêt de faire remarquer qu’il en était déjà ainsi de R. Guénon, qui fut son principal inspirateur au
    cours des années trente et quarante (de 1925 à 1950).
    Guénon a CHARME, par ces incessantes références à la TRADITION, une grande partie de l’intelligentsia nationaliste
    et réactionnaire qui n’a pas su discerner l’Esotéro-occultisme caché sous le vernis traditionnel.
    L’ESOTERISME DE L’ABBE STEPHANE - L’ABBE STEPHANE DEFINIT EXOTERISME ET ESOTERISME
    Dans son "Introduction à l’Esotérisme Chrétien", l’Abbé Stéphane insiste sur la distinction entre Exotérisme et Esotérisme.
    Cette distinction fait partie intégrante de son système, comme de celui de ses inspirateurs, en particulier R. Guénon
    et F. Schuon, comme elle fera partie également des systèmes proposés par ses disciples.
    Il est donc nécessaire d’examiner ces définitions telles que les entendent l’Abbé Stéphane et les représentants de cette
    école.
    a - Définition de l’exotérisme
    L’Exotérisme c’est la Religion adaptée pour le grand public. Il existe, écrit l’Abbé Stéphane :
    "...toute une littérature édifiante destinée à vulgariser l’Evangile pour le mettre à la portée de la masse."
    Or, l’Abbé Stéphane estime que, pour présenter l’Evangile à la masse, il a fallu lui faire subir une déformation. Il a fallu,
    écrit-il .
    a - le systématiser et en faire une théorie ABSTRAITE et générale, valant pour tous et offerte à tous.
    b - le SIMPLIFIER et le vulgariser pour le mettre à la portée de toutes les intelligences. Voici son texte :
    "Il est à peu près inévitable qu’un tel "remaniement" ait abouti à une dépréciation, à un "nivellement par la base", à une mi5
    nimisation, à un appauvrissement, à une décadence de son contenu, à un gauchissement de sa ligne primitive." Tome II, page 89.
    Pour l’Abbé Stéphane, la Religion, dans sa forme exotérique, présente un JURIDISME desséché
    "Ainsi l’Eglise édifie son organisme juridico-social sur les ruines de l’Empire romain. A partir de ce moment, elle devient la
    théocratie romaine, héritière de l’Empire des Césars qu’elle a détrôné. A partir de ce moment, l’esprit ne souffle plus où il veut,
    mais où il peut, à travers les étroites cloisons du Droit Canonique, armature du nouveau régime.
    "... La métaphysique d’Aristote, avec ses catégories rationnelles, vient dessécher une doctrine qui se présentait essentiellement
    comme un mystère de foi à découvrir et à réaliser vitalement. La vie surnaturelle... devient objet de spéculation rationnelle et objective.
    Elle est mise en boite, et les vérités vivantes du Dogme chrétien sont distribuées sous forme de comprimés pour tous. Le Droit
    Romain vient paralyser une éthique fondée sur la charité, et transformer un système d’Amour en règlement de police." Tome II,
    page 24.
    L’Exotérisme officiel est tenu, par l’Abbé Stéphane, comme une doctrine essentiellement limitée. Il l’oppose à la
    "connaissance ésotérique" qui est, estime-t-il, plus vivante et plus essentielle. Il s’exprime ainsi :
    "...une sorte d’ignorance systématique où d’aveuglement empêche les tenants de l’Exotérisme de voir les limites de celui-ci. La
    "connaissance" (au contraire) leur permettrait, dans une certaine mesure, de ne pas se laisser entamer par une foule d’illusions et
    d’aberrations inhérentes à un Exotérisme qui ne reçoit plus aucune lumière d’un Esotérisme méconnu." Tome I, page 233
    Il est un chapitre, en particulier où l’auteur de "l’Introduction à l’Exotérisme chrétien" ne cache pas son dédain pour la
    doctrine exotérique de l’Eglise, c’est celui de la MORALE
    "...le péché est présenté comme une transgression à une loi imposée par un législateur capricieux ou tyrannique, imposant un joug
    de crainte à des esclaves chargés de chaînes et les châtiant, dans sa colère, des plus effroyables peines de l’enfer."
    D’une manière plus générale et sur le plan métaphysique, l’Abbé Stéphane estime, là encore à la suite de R. Guénon,
    que la DISTICTION DU BIEN ET DU MAL doit être dépassée. Et il reproche à l’Eglise romaine de s’accrocher à cette distinction
    métaphysiquement inadmissible, à son avis.
    Mais alors si l’Exotérisme de l’Eglise romaine est à ce point sclérosé et sclérosant, la logique voudrait qu’on l’abandonne
    purement et simplement au profit de l’Esotérisme. Absolument pas, dit l’Abbé Stéphane, il faut maintenir fermement
    l’Exotérisme pour le peuple, tout au moins dans la phase d’évolution cyclique dans laquelle nous sommes aujourd’hui
    :
    "Autrement dit, ce serait déjà quelque chose et même beaucoup si, à défaut d’un ESOTERISME effectif, on pouvait, moyennant
    une connaissance doctrinale théorique, rendre à l’EXOTERISME, inévitable en raison du "moment cosmique", une certaine
    dignité, une certaine consistance et une certaine résistance à tous les assauts de la subversion moderne, tout en sachant que
    l’approche, inévitable elle aussi, de la "fin du cycle", ne peut que favoriser l’éclosion de toutes les formes de la subversion que
    l’Evangile prédit en la désignant par "l’abomination de la désolation établie dans le lieu saint", à laquelle ont cessé de croire nos
    "progressistes" de tout acabit." Tome I, page 233.
    L’Abbé Stéphane va même recommander avec insistance la plus grande ponctualité dans la pratique Exotérique. N’essayez
    pas, recommande-t-il fortement, de progresser dans la voie Esotérique si vous ne commencez pas d’abord par pratiquer
    ponctuellement votre religion exotérique.
    Cette position est celle de tous les membres de "l’Ecole de l’Esotérisme Chrétien". Elle leur permet de travailler à une
    mutation de la Religion Chrétienne tout en restant à l’intérieur de l’Eglise.
    b - Définition de l’ésotérisme
    Pour l’Abbé Stéphane, l’Esotérisme n’est pas autre chose que le fond commun de toutes les religions. Il convient aujourd’hui,
    écrit-il :
    "... de rappeler les éléments essentiels de toute religion, ce que nous avons appelé le FOND METAPHYSIQUE, ... ce fond métaphysique
    que l’on pourrait appeler la RELIGIO PERENNIS." Tome I, page 372.
    L’Abbé Stéphane souscrit à la thèse de l’UNITÉ TRANSCENDANTE DES RELIGIONS, qui est une très ancienne thèse
    maçonnique, maintes fois reprise à l’époque contemporaine, en particulier par F. Schuon dans un ouvrage qui porte précisément
    ce titre : "L’Unité transcendante des religions", aux éditions du Seuil.
    L’Abbé Stéphane en fait une affirmation indiscutable et il déclare s’adresser exclusivement à ceux qui admettent sans
    réserve cette unité transcendante. C’est à eux qu’il prêche. C’est pour eux qu’il écrit. Il ne s’occupe pas des imbéciles qui
    refusent d’admettre ce dogme de base. Voir Tome I, page 237.
    L’Esotérisme ainsi défini ne peut pas être facilement compris par tout le monde. Il reste le privilège d’une élite :
    "Pour qu’une tradition ne soit pas altérée, il faut qu’elle soit accessible seulement à une élite et qu’elle ne soit pas répandue au
    sein des masses populaires... Il y a cependant des exceptions : la tradition peut rester intacte si elle est confiée à des INITIES qui la
    conserveront comme un dépôt sacré, ou même à des chefs ayant pour mission de la transmettre." Tome II, page 226.
    L’Abbé Stéphane, comme le fait si souvent son maître R. Guénon, ne dissimule pas sa commisération pour ceux qui en
    sont restés au PREJUGE EXOTERIQUE.
    "Dans le cas qui nous occupe présentement, nous sommes en présence des "réactions" de la majorité des chrétiens à l’égard de
    l’oeuvre de R. Guénon, variables elles-mêmes selon les cas : d’abord l’attitude de ceux qui, atteints du "préjugé exotérique", ne
    peuvent admettre qu’il y ait d’autre forme traditionnelle valable que la leur, et dont l’horizon mental ou psychique ne peut concevoir
    ou supposer des vérités d’ordre Esotérique comme l’unité transcendante des religions, ceux-là sont irréductibles et se croient
    obligés de justifier leur position en dénaturant l’oeuvre et les intentions de R. Guénon. Nous ne songeons nullement à les convaincre
    et nous ne leur demandons qu’une chose c’est de garder le silence sur une oeuvre qui les dépasse et ne les concerne pas." Tome
    II, page 60.
    6
    Un peu plus bas, il ajoute toujours avec le même dédain :
    "... la majorité de nos contemporains semblent dépourvus du SIXIEME SENS qu’il faut pour comprendre la métaphysique
    traditionnelle." Tome II, page 222.
    L’Esotérisme est donc la doctrine d’une élite. Elle prétend aller beaucoup plus au fond des choses que le vulgaire Exotérisme,
    lequel reste la doctrine simplifiée en usage dans l’Eglise officielle. La doctrine ésotérique entend toucher à l’essence
    même du sacré.
    Malheureusement l’Esotérisme, pas plus dans l’ouvrage qui nous intéresse que dans ceux des autres membres de la
    même école, ne fait l’objet d’un développement raisonné et homogène. Il n’est exposé que sous forme de doléances adressées
    à l’Exotérisme officiel, et cela d’une manière diffuse dans tout l’ouvrage. Pour connaître le contenu notionnel de
    l’Esotérisme Chrétien, il faut donc se livrer à un inventaire et à une classification portant sur les deux tomes de
    "l’Introduction à l’Esotérisme Chrétien".
    Les paragraphes qui vont suivre analyseront les principaux THEMES ESOTERIQUES qui constituent la "doctrine de
    l’Abbé Stéphane". Et pas seulement la sienne, mais celle de tous les écrivains de cette école.
    LE VOCABULAIRE DE L’ABBE STEPHANE
    Très soigneusement élaborée sous le rapport de la présentation matérielle, la compilation de l’Abbé Stéphane que publie
    François Chénique se termine par un LEXIQUE des mots qui demandent certains éclaircissements pour des lecteurs
    de compétence moyenne.
    Beaucoup de ces mots proviennent de la terminologie en usage chez les théologiens de l’Eglise grecque byzantine ou
    russe.
    Quelques-uns, en très petit nombre, sont tirés de la littérature religieuse juive et islamique. Mais les plus nombreux
    sont les TERMES SANSKRITS. L’Abbé Stéphane utilise couramment le vocabulaire de la religion hindouiste. Et il est bien
    évident que les termes sanskrits employés par lui entraînent avec eux les notions religieuses qu’ils désignent. De sorte
    que ses raisonnements, du fait de la terminologie utilisée, ont une tonalité nettement syncrétique. Citons quelques exemples
    :
    "...c’est seulement de façon idéale que nous pouvons nous placer du point de vue de l’Absolu, car ce point de vue en réalité
    n’existe pas: ATMA ne connaît rien d’autre que lui-même." Tome I, page 214
    "Lorsque l’homme déchu voit du pain, il dit : "c’est du pain". Lorsque l’homme véritable - le CHRIST-INDRA - voit du
    pain, il dit : "Ceci est mon corps." Tome I, page 312
    "La vertu comporte trois composantes : l’Humilité, la Charité, la Vérité, qui correspondent respectivement au symbolisme ascendant
    ou à l’aspect bénéfique et primordial des trois GUNAS encore en équilibre indifférencié dans PRAKRITI : TAXAS, RAJAS
    et SATTVA
    TAXAS est l’humilité de la substance primordiale, la passivité et la soumission.
    RAJAS est l’expansion, la ferveur, la charité.
    SATTVA est la lumière, la connaissance, la vérité.
    Ces trois composantes correspondent aux trois mystères : l’Annonciation, la Visitation et la Nativité." T. I, p. 231
    Selon l’Abbé Stéphane, par conséquent, la religion hindouiste, dont il utilise ici les termes, enseigne, bien que sous une
    forme différente, les trois notions chrétiennes d’Annonciation, de Visitation et de Nativité ; il veut visiblement nous amener
    à la conclusion que l’hindouisme bénéficie, comme le Christianisme, d’une certaine forme de révélation divine.
    Voici maintenant les termes Sanskrits contenus dans le lexique qui termine le Tome II de "L’Introduction à l’Esotérisme
    Chrétien" :
    ADVAITA - Doctrine de la "non-dualité"
    ATMA - Pronom réfléchi qui signifie "SOI"
    AVATARA - Les Manifestations terrestres de Vishnu BRAHMA - Le Principe Suprême
    ISHAVARA - Le Principe Causal
    JIVA - L’Individualité vivante
    KOSHA - Les enveloppes du "Soi"
    MANTRA - Formule sacrée
    MAYA - L’Illusion cosmique
    PRAKRITI - Le Principe féminin de la Manifestation Universelle PURUSHA - Le Principe masculin de la Manifestation
    Universelle SAT-CHIT-ANANDA - Etre ou Réalité Absolue
    SHARTI - La Toute Puissance divine
    SHANKARA - Le Fondateur de la doctrine du Védanta
    UPANISHAD - La Partie métaphysique de l’hindouisme
    VEDANTA - La fin de Véda, dernier livre des "Ecritures Védiques"
    Pour donner une idée du vocabulaire de l’Abbé Stéphane, nous reproduisons, ci-dessous, le poème que F. Chénique,
    son compilateur, a placé à la fin du premier tome, pour lui servir de conclusion et de résumé. On y discernera facilement
    la terminologie syncrétique et rosicrucienne qui est celle de "l’Introduction à l’Esotérisme Chrétien". Ce poème a été composé
    par l’Abbé Stéphane lui-même.
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    Traité XIV.4 - Tome I La fleur
    La fleur, c’est le Calice qui s’ouvre
    Pour boire la Rosée Céleste
    Rorate, Coeli desuper
    Et nubes pluant Justum.
    Le Calice, c’est le Graal
    Qui recueille le Sang du Christ,
    Le Sang du Christ qui coule tout le long de la Croix
    Et fertilise les roses qui gisent à ses pieds.
    Calicem salutaris accipiam
    Et nomen Domini invocabo ;
    Laudans invocabo Dominum
    Et ad inimicis meis salvus ero.
    Jésus de Nazareth, c’est Jésus de la Fleur,
    Jésus né de la Fleur, Jésus né de la Rose,
    Le Rosaire, la Rose gothique,
    ROSA MYSTICA
    Mani padmé, Joyau dans le Lotus !
    Mani padmé, Aum 1
    AUM, AVM,
    AVE MARIA
    "Mon Bien-aimé est à moi, et je suis à Lui
    Il repose entre les lys,
    Jusqu’à ce que l’aurore se lève
    Et que les ombres déclinent".
    "Avec des fleurs et des émeraudes
    Choisis au frais matin,
    Nous ferons les guirlandes
    Fleuries en ton amour".
    Le Coeur du Gnostique
    S’identifie au coeur de la Fleur
    Le Coeur de Marie s’identifie au Coeur de Jésus,
    Le Coeur du Gnostique s’identifie au Coeur du Monde
    Centre de l’Etre, séjour de Brahma
    L’existence est une Rose
    Signée d’une Croix,
    La Rose-Croix.
    Et la Croix s’identifie à l’Arbre de la Vie
    Et la Vie était la Lumière des hommes
    Et la lumière luit dans les ténèbres
    Et les ténèbres ne l’ont point étouffée.
    J’ai encore demandé à la Fleur
    "Pourquoi as-tu la tête penchée ?"
    La Fleur m’a répondu
    "O derviche ! Mon petit coeur est droit vers Allâh !"
    LA MYSTIQUE DE L’ABBE STEPHANE
    L’Abbé Stéphane va suivre R. Guénon dans sa "métaphysique" comme il le suit déjà sur tant d’autres sujets. Or, ce que
    Guénon appelle la "métaphysique" n’est pas autre chose qu’une "voie contemplative", c’est-à-dire, une mystique.
    Quel est donc l’agent inspirateur qui fait cheminer l’âme humaine dans la "voie métaphysique" guénonienne ?
    C’est, nous répète-t-on inlassablement, une INFLUENCE SPIRITUELLE NON HUMAINE. René Guénon nous explique
    que cette influence se manifeste à la suite d’une initiation avec cette précision que la régularité rituelle de l’initiation
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    présente pour lui une condition d’une importance primordiale.
    L’Abbé Stéphane va nous expliquer, à son tour, que dans la Religion Chrétienne, l’influence spirituelle n’est autre que
    LA GRACE. Et il va déduire de là la nécessité de la régularité rituelle des sacrements qui dispensent la Grâce
    "La réalisation de cette tendance suppose donc l’intervention divine (que les théologiens appellent LA GRACE) et que nous désignerons
    sous le nom général d’INFLUENCE SPIRITUELLE."
    Il adopte donc la terminologie guénonienne qui lui parait plus générale, plus englobante que celle des simples théologiens
    catholiques. Ce que des théologiens catholiques, dans le cadre de leur religion particulière, appellent "La Grâce",
    l’Abbé Stéphane va l’appeler "l’influence spirituelle", expression qui restera valable pour les autres religions.
    On peut se demander si l’Abbé Stéphane a personnellement cultivé la vie mystique. Pour répondre à cette question,
    nous pouvons nous référer à son Traité VII - 2, intitulé "De la Naissance éternelle". Avant qu’il en arrive à expliquer la notion
    de Baptême dans l’Esprit Saint, il écrit :
    "... il y a dans l’homme QUELQUE CHOSE qui est hors du temps, et ce "quelque chose" est un LIEU hors de l’espace, et c’est
    en ce lieu que s’accomplit le Baptême dans l’Esprit Saint."
    Nous commenterons plus loin ce passage quant au fond. Ce qui nous intéresse maintenant c’est l’exclamation dont
    l’Abbé Stéphane le fait suivre :
    "Et maintenant écoutez-moi bien, car JE VAIS DIRE DES CHOSES QUI N’ONT JAMAIS ETE DITES, mais quiconque n’a
    pas grandi à la mesure de cette Vérité n’est pas capable de me comprendre" Tome I, page 216
    Ces "choses qui n’ont jamais été dites" sont-elles seulement des INNOVATIONS doctrinales provenant de ses recherches
    personnelles ?
    Nous pensons que, dans son esprit, il s’agit d’une véritable inspiration, d’une révélation divine d’ordre mystique, ou
    plutôt de ce qu’il prend pour tel. Il s’agit très vraisemblablement d’une ILLUMINATION manifestant le passage de "l’influence
    spirituelle" à laquelle il ne cesse de penser. Mais alors quel est l’inspirateur qui se cache derrière cette expression?
    Est-ce vraiment l’Auteur de la Grâce ou bien quelqu’entité spirituelle de nature angélique ou démoniaque ?
    Il faut reconnaître que les passages où il fait état de ce mysticisme sont rares. Mais celui que nous venons de citer est
    tout de même très clair et très caractéristique.
    L’ANTI-DOGMATISME
    Sur la nécessité et l’excellence de l’édifice dogmatique élevé par l’Eglise, l’Abbé Stéphane professe alternativement
    deux avis contraires : tantôt il fait l’éloge du dogme, tantôt il aspire à le renverser.
    Dans certaines de ses propositions, il se montre favorable à la FORMULATION DOGMATIQUE. C’est ainsi qu’il écrit
    :
    "Combien enrichissants, apaisants et nourrissants apparaissent les grands dogmes chrétiens." Tome II, page 77
    "Pour celui qui a compris la remarquable cohérence du dogme, le: bafouillages d’une philosophie quelconque sont inexistants."
    Tome II, page 327
    Cet éloge de la formulation dogmatique trouve sa raison déterminante dans l’hostilité de l’Abbé Stéphane contre les
    doctrines d’évolution mises à la mode par H. Bergson.
    "L’obsession, la phobie du statique, du "défini", du "conceptuel", du "cadre figé et rigide", qui transpire de toute la philosophie
    bergsonienne, ressemble nettement , ou y conduit, à l’attitude moderniste où la rigidité du dogme est battue en brèche au profit
    d’une expérience intérieure, essentiellement mobile, à caractère évolutif et imprévisible. Ainsi, il ne semble pas douteux que la
    méthode bergsonienne ait pu conduire au modernisme ou le justifier." T. II, p. 193-194.
    On voit que, pour l’Abbé Stéphane, la fixité du dogme est un puissant rempart contre la fluidité de l’évolutionnisme
    bergsonien et moderniste. Sa prise de position en faveur de l’édifice dogmatique est donc nette. On est donc très étonné
    de constater que le même Abbé Stéphane, en de très nombreux passages, est hanté par le projet d’une GRANDE REFORME
    DE L’EGLISE. Il ne cache pas que la formulation dogmatique et sa solennelle fixité le gênent profondément. Il
    souhaite une religion qui serait perpétuellement EN RECHERCHE :
    "Au lieu d’envisager la religion comme un ensemble de relations entre l’homme et Dieu, relation que l’on tend à "déterminer"
    et à "fixer" dans des formules de prières débitées mécaniquement, dans des "formules dogmatiques" qui "encapsulent le Dogme",
    dans les cadres rigides des définitions et des "canons" des conciles, NE SERAIT-IL PAS plus heureux, plus fructueux et plus vital,
    d’envisager cette religion comme une RECHERCHE DE DIEU, non pas à la manière du "libre examen" protestant ou
    d’une expérience religieuse subjective et immanente, à la manière des modernistes, MAIS COMME une "prise de conscience"
    intérieure et d’un "transcendant" qui nous est plus immanent que notre "moi", en raison même de sa transcendance." Tome II,
    page 77
    Comment l’Abbé Stéphane envisage-t-il cette REFORME, prétendument nécessaire, de la Religion ? Il répond comme
    suit :
    "Il faudrait essayer de retrouver l’élan primitif dans sa pureté originelle, opérer un véritable rajeunissement, une décantation,
    une distillation, une épuration, pour dégager le pur cristal de la gangue qui en masque la splendeur et la limpidité. Le fleuve qui a
    déjà parcouru de longs espaces a drainé dans ses eaux une foule de débris, de déchets, qui le rendent boueux, et empêchent de reconnaître
    dans ses eaux la pureté de la source originelle. C’est donc par un RETOUR AUX SOURCES que l’on pourra essayer de
    retrouver le Christianisme dans sa pureté primitive." T. II, p. 89
    A l’en croire, les institutions ecclésiastiques et l’édifice du dogme ne sont qu’un fleuve plein de déchets. C’est toujours
    ainsi que commencent les revendications des réformateurs. Notons qu’à l’époque où l’Abbé Stéphane composa ses homélies
    et ses petits Traités, Lanza del Vasto publiait un livre d’initiation orientaliste qui porte précisément le titre de "Retour
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    aux Sources".
    Ce qui plairait à l’Abbé Stéphane ce serait une DOCTRINE INFORMELLE, susceptible de convenir à "l’infinité des
    Révélations" :
    "La Toute-Puissance Miséricordieuse (en tant que SAKTI - énergie - de Brahma) se manifeste d’abord comme père, proclamant
    ainsi l’abolition de l’Ancienne Loi et le régime de la Loi Nouvelle. Dieu se révèle alors comme personnel (soulignons, ici encore,
    notre accord avec Kircéa Eliade et Paul Sérant) mais, aussitôt, pour marquer la transcendance de la Personnalité Divine, il faut
    ajouter qu’elle se révèle dans l’Unité des Trois Personnes distinctes, révélation qui a pour fonction de traduire, tout en la masquant
    sous les apparences d’un "mystère", la MULTIPLICITE INDEFINIE des "Aspects" inclus dans la "Possibilité Universelle",
    aspects auxquels correspondent UNE INFINITE DE REVELATIONS POSSIBLES." Tome II, page 50
    Ainsi la "Possibilité Universelle", nom que les guénoniens donnent à la Divinité, engendrerait une "multiplicité indéfinie
    d’aspects" et donc une infinité de révélations possibles sur la terre. Ces expressions contiennent les bases à la fois du
    PLURALISME et de l’OECUMENISME qui sont les deux points essentiels de l’écclésiologie conciliaire. Une Eglise pluraliste
    quant à sa construction interne et oecuménique quant à ses relations extérieures.
    Traditionaliste lorsqu’il s’agit de critiquer le modernisme "désacralisant", l’Abbé Stéphane devient conciliaire sur des
    points de doctrine essentiels. Nous retrouverons cette position ambiguë chez tous les écrivains de l’école de l’ésotérisme
    chrétien.
    L’ABSOLU INDIFFERENCIE
    Pour raisonner sur la Divinité, l’Abbé Stéphane commence par donner aux Personnes Divines le nom d’HYPOSTASES.
    Ce mot n’est certes pas impropre puisque c’est un simple synonyme de l’expression "relation subsistante" par laquelle
    saint Thomas d’Aquin, entre autres docteurs, définit la Personne divine. Mais enfin, il faut reconnaître que les
    théologiens catholiques préfèrent en général parler de "Personne" plutôt que d’Hypostase.
    En revanche, il est certain que le terme d’Hypostase, plus abstrait que celui de Personne, s’incorpore mieux à la spéculation
    métaphysique de l’Abbé Stéphane. Le préfixe "hypo", en effet, suggère l’idée que les Hypostases occupent une degré
    inférieur par rapport à l’UNITE ABSOLUE laquelle mérite ainsi bien mieux son nom d’HYPERTEOS, où l’on retrouve
    le préfixe "hyper" qui veut dire au dessus.
    De la sorte, on distingue plus facilement l’Hypertéos, qui est un SUR-DIEU, d’avec les Hypostases qui apparaissent
    ainsi comme des SOUS-DIEU. Car telles sont bien les positions relatives que l’Abbé Stéphane va attribuer à l’Absolu
    d’une part, et aux Hypostases d’autre part. Il pose ainsi un postulat qui aura d’énormes conséquences, dans toute sa doctrine
    ésotérique, à savoir que l’ABSOLU TRANSCENDE LES TROIS HYPOSTASES.
    Et c’est de cet "Absolu transcendant" qu’il veut nous faire admettre la réalité "sur-essentielle". Il lui donne le nom de
    PRINCIPE SUPREME, adoptant ainsi la terminologie de René Guénon. Notons tout de suite que le "Principe Suprême" de
    Guénon et de Stéphane n’est qu’un synonyme de l’ETRE SUPREME des francs-maçons.
    Stéphane puise ses arguments chez un certain nombre d’auteurs dont François Chénique (l’éditeur de "l’Introduction
    à l’Esotérisme Chrétien") nous révèle les noms. Voici les principaux
    - Léo Schaya, dans "L’Homme et l’Absolu selon la Kabbale",
    - A.K. Coomaraswamy : dans "Hindouisme et Bouddhisme",
    - et surtout F. Schuon, dans "L’Unité Transcendante des religions", "Comprendre l’Islam" ... et ses autres ouvrages.
    Celui dont l’Abbé Stéphane s’inspire le plus directement est F. Schuon, lequel établit, au sommet de son raisonnement,
    une hiérarchie métaphysique suréminente, dont voici les trois étapes
    - Le premier degré de réalisation est le SUR-ETRE. C’est l’unité totalement indifférenciée.
    - le second degré est l’ETRE. C’est le niveau de la "possibilité universelle", siège virtuel d’une différenciation indéfinie.
    - Le troisième degré est l’EXISTENCE qui correspond à l’état créé.
    "L’Absolu qui transcende les trois hypostases", dont nous venons de parler, correspond au "sur-être" de F. Schuon. Il
    correspond aussi à la "Déité sur-essentielle" du Pseudo-Denis. Nous sommes donc en présence d’un principe métaphysique
    auquel, dans les diverses productions de l’ésotérisme chrétien, on va donner plusieurs noms
    - Absolu indifférencié,
    - Absolu transcendant,
    - Principe Suprême,
    - Déité sur-essentielle.
    Voici quelques passages où l’Abbé Stéphane s’exprime au sujet de son Principe suprême
    "Le Principe suprême est un point non manifesté, situé symboliquement au centre qui fait tourner la ROUE COSMIOUE,
    sans participer à son mouvement et sans en être affecté en quelque façon." Tome II, page 84
    "Le Principe suprême est indifférencié au point que l’on ne peut même plus dire qu’il ait une volonté propre. La volonté divine,
    en effet, comme telle est inexprimable, étant identique au Principe lui-même, si bien qu’on ne peut pas dire que celui-ci veut ceci
    ou cela. Le PRINCIPE ne veut rien. Il n’y a que l’être individuel qui veut ceci ou cela." Tome I, pages 234-235
    L’Absolu indifférencié, ou Principe suprême, étant ainsi défini, que deviennent les trois HYPOSTASES, c’est-à-dire les
    trois Personnes Divines ? Peut-on les inclure dans un Principe suprême si absolument indifférencié ? Evidemment non,
    puisqu’elles sont distinctes, donc différenciées. Il faut les faire descendre au niveau de la différenciation, qui est celui de
    l’ETRE, c’est-à-dire celui de la "possibilité universelle" ou "virtualité universelle".
    Voilà donc le Dieu trinitaire du Christianisme réparti entre deux niveaux
    - Le niveau supérieur de l’absolu, de l’unité et de l’infini.
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    - Le niveau inférieur des hypostases différenciées.
    Pour résumer cette théologie, on peut dire que l’Abbé Stéphane place l’UNITE AU DESSUS DE LA TRINITE. Ce faisant,
    il SUBORDONNE les hypostases trinitaires à un certain PRINCIPE, c’est-à-dire à une certaine logique, dont elles
    sont désormais prisonnières.
    Il n’est pas possible de concilier cette théologie "ésotérique" avec l’enseignement constant de l’Eglise. Concernant la
    Sainte Trinité, l’Eglise enseigne
    - La PROPRIETE dans les Personnes,
    - L’UNITE dans l’essence,
    - L’EGALITE dans la Majesté. (Préface de la Sainte Trinité)
    L’unanimité des Pères, résumée dans le "Symbole de Saint Athanase", milite dans le même sens
    -" ... Et dans cette Trinité, rien d’antérieur ou de postérieur, rien de plus grand ou de moins grand."
    Les trois Personnes Divines sont CONSUBSTANTIELLES. Le DIEU-UN et le DIEU-TRINE sont un seul et même
    DIEU. Le Dieu d’Abraham, d’Issac et de Jacob est à la fois un Dieu INFINI et PERSONNEL. Tel est le MYSTERE de la
    SAINTE TRINITE.
    On peut affirmer que le "Principe Suprême Indifférencié", que l’Abbé Stéphane emprunte à l’Hindouisme pour l’acclimater
    dans le Christianisme, est une invention de l’esprit humain, sans doute aidé par l’esprit des ténèbres.
    Les deux passages que nous avons extraits de l’ouvrage de l’Abbé Stéphane et que nous avons cités plus haut sont
    tout à fait insuffisants pour se forger une idée exacte de sa théologie stéphanienne. Aussi reproduisons nous, ci-après
    Le croquis théologique de la page 15 qui schématise toute sa construction métaphysique.
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    L’ORIGINE DU MAL
    Dans la saine doctrine chrétienne, la CHUTE ORIGINELLE consiste en une FAUTE commise par l’homme nonobstant
    les avertissements de Dieu. C’est la transgression d’un précepte divin qui a provoqué, dans un monde qui était parfait,
    l’intrusion des esprits mauvais. Il en est résulté un état d’ignorance, de douleur et de mort. Telle est, très succinctement
    condensée, la doctrine chrétienne sur l’origine du mal.
    La description de la chute n’est pas du tout la même dans la doctrine des anciens gnostiques. Certes, il existe, chez eux
    aussi, une "chute originelle", mais elle n’a pas les mêmes causes. L’état de chute ne résulte pas d’une transgression de
    l’homme mais d’un DEFAUT DE CONSTRUCTION de l’univers. A la suite d’une défaillance du Démiurge (architecte de
    l’univers) et surtout de la Sophia (sorte de Sagesse Divine Personnifiée) certaines âmes, qui étaient des étincelles spirituelles
    jaillies de la divinité, sont précipitées dans des corps matériels pour former des hommes. Or, la matière est mauvaise
    donc ces âmes, divines à l’origine, contractent le mal par la simple incorporation dans les corps matériels. Ainsi, selon les
    gnostiques, la "chute originelle" est cette précipitation des âmes dans les corps. Il y a une dégradation originelle que
    l’homme subit mais dont il n’est pas responsable. C’est une DEGRADATION DE NATURE. Telle est la doctrine des gnostiques
    des premiers siècles de notre ère.
    Voyons maintenant comment l’Abbé Stéphane s’exprime concernant l’origine du mal sur la terre :
    1 - "Mais défense est faite à l’homme de "manger de l’Arbre de la connaissance du Bien et du Mal", c’est-à-dire la connaissance
    de la dualité ou de la SEPARATIVITE, car alors au lieu de connaître les choses dans l’unité métaphysique de leurs essences,
    l’homme ne les connaît plus que dans la diversité et la multiplicité de leurs apparences." Tome I, pages 342 - 343
    Voici maintenant un passage qui est plus explicatif :
    2 - "Dans cette perspective, tout le mystère du mal consiste dans l’ILLUSION SEPARATISTE ou dans la "séparativité apparente",
    en vertu de laquelle l’être manifesté, à un certain degré de l’existence, OUBLIE en quelque sorte son ARCHETYPE
    ETERNEL ou sa propre "possibilité principielle", et par là-même se prend pour "quelque chose d’autonome, pour un "en-soi", et
    pose ainsi une limite, toute illusoire d’ailleurs, à l’infini divin."
    "Ici, réside le mystère du péché originel, dont tous les autres ne sont que des conséquences particulières, il s’agit donc d’un
    PECHE D’ORIGINE c’est-à-dire d’une SORTIE ILLUSOIRE (oriri = sortie) du Principe, et par conséquent d’un PECHE DE
    NATURE affectant nécessairement le monde, manifesté comme tel, à quelque degré qu’on l’envisage, sauf la Vierge qui s’identifie
    à la Possibilité Universelle dans son Immaculée Conception, et qui est exempte du péché originel." Tome I, page 94
    Donc, d’après l’Abbé Stéphane, dès lors qu’il est "manifesté", c’est-à-dire dès lors qu’il vient à l’existence, le monde
    connaît "l’illusion séparative". Il est ainsi affecté d’un PECHE D’ORIGINE qui, par conséquent, est en même temps un
    PECHE DE NATURE.
    Pour ce qui est de chaque âme prise en particulier, après sa "sortie illusoire du Principe", elle OUBLIE son archétype
    éternel et elle se prend pour quelque chose d’autonome, alors qu’elle appartient en réalité à l’infini divin.
    On voit que le "péché de nature" de l’Abbé Stéphane se calque trait pour trait sur le "péché de nature" des anciens
    gnostiques. Ce péché de nature n’est autre, en dernière analyse, que la précipitation de l’âme, hors de Dieu, dans un corps
    matériel.
    LE GERME DIVIN DANS L’AME HUMAINE
    L’âme humaine est-elle un fragment de la divinité ?
    A cette question, la doctrine catholique répond par la négative. L’âme humaine est certes promise, dans certaines
    conditions évidemment, à participer à la vie divine. Mais c’est seulement par ADOPTION, dans l’état de Gloire. Elle ne
    devient participante à la vie divine que par GRACE. Mais elle n’est pas divine par NATURE. Le Dictionnaire de Théologie
    catholique (Vacant) écrit, à l’article "platonisme"
    "Même la faculté la plus haute de l’âme n’est pas une possession de Dieu mais seulement une image."
    A cette même question les ésotéristes chrétiens, comme tous les gnostiques, répondent au contraire par l’affirmative.
    L’Abbé Stéphane ne fait pas exception. Il souscrit à l’existence d’un GERME DIVIN dans l’âme humaine, germe qui n’a
    besoin que d’éclore mais qui s’y trouve d’origine.
    Il ne traite pas ce sujet pour lui-même et en bloc. Il ne l’aborde qu’occasionnellement. De plus, il hésite à prendre position
    et ses formules ne sont pas toujours claires. Voici, cependant quelques passages qui permettent de ne pas douter de
    l’orientation "gnostique" de l’Abbé Stéphane.
    Un interlocuteur lui demanda un jour la différence de nature entre l’âme humaine et l’absolu transcendant. L’Abbé
    Stéphane lui répondit :
    "L’Eternel réfléchit, dans le fond de notre être contingent, la Parole éternelle du Verbe créateur et transformateur, disant, dans
    l’abîme de tout être : Tout ceci n’est rien, si ce n’est Moi." Tome II, page 17
    Dans l’abîme de tout être, on trouve le Verbe créateur. Et un peu plus loin l’Abbé Stéphane ajoute, pour être plus explicatif
    :
    "C’est là précisément, en ce fond abyssal de l’être, que s’accomplit la naissance éternelle de l’être véritable et unique. C’est là,
    la naissance de Dieu dans le monde. C’est là, la naissance du Christ dans la caverne. C’est là aussi que le Père éternel selon l’ordre
    de Melchisedech prononce sur toutes choses la Parole éternelle qui engendre toutes choses à la vie éternelle : Ceci est mon corps...
    Je suis la Résurrection et la Vie." Tome II, page 17
    Ce texte n’affirme pas nettement que l’âme est divine par nature. Il dit seulement qu’elle est LE LIEU D’UNE NAIS12
    SANCE DIVINE.
    Mais voici un autre passage où la position ésotérique de l’Abbé Stéphane prend une forme plus explicite :
    "...il y a dans l’homme QUELQUE CHOSE qui est hors du temps et ce "quelque chose" est UN LIEU hors de l’espace, et c’est
    en ce lieu que s’accomplit le baptême dans l’Esprit Saint."
    Puis un peu plus bas il réitère :
    "Et le Père ne peut vouloir qu’une chose: c’est engendrer le Fils Unique. Et il l’engendre par l’Esprit Saint... Et où s’accomplit
    cette oeuvre unique du Père ? Là, ici, dans ce LIEU, dans ce QUELQUE CHOSE qui est dans l’homme et qui est HORS DU
    TEMPS, et il ne peut pas accomplir d’autres oeuvres, si non engendrer le Fils Unique, dans ce lieu qui se trouve dans l’homme."
    Tome I, page 216
    De l’avis de l’Abbé Stéphane, il y a donc dans l’homme :
    - un "quelque chose" qui est hors du temps,
    - et un lieu qui est hors de l’espace.
    Ces expressions signifient qu’il y aurait dans l’homme une part d’éternité et une part de divinité.
    Mais la position ésotérique de l’Abbé Stéphane va prendre une forme plus typique encore dans le passage suivant.
    Quand il en arrive à traiter du retour des être créés à l’unité du Principe, il s’exprime ainsi :
    "Dans le retour de la multiplicité à l’Unité, ce n’est pas la multiplicité des "ego" individuels comme telle qui retourne au Principe,
    mais les FRAGMENTS DE LA DIVINITE dispersés dans les êtres. Et ce n’est que par la mort des "ego" que la Déité démembrée
    est restaurée dans son intégrité et sa plénitude première." Tome I, page 248
    L’Abbé Stéphane affirme là clairement que chaque "ego", c’est-à-dire chaque individu humain, est un "fragment de
    Divinité". Il s’aligne donc sur tous les autres gnostiques.
    L’ALCHIMIE SPIRITUELLE
    On sait qu’il existe deux sortes d’alchimie : l’alchimie opérative (A) (appelée quelque fois alchimie des fourneaux ou
    encore "alchimie des souffleurs") et l’alchimie spirituelle(B). Elles ont certes des principes communs, mais elles se distinguent
    nettement ne serait-ce que par leur champ d’application qui est physique dans la première et mental dans la seconde.
    A - L’ALCHIMIE OPERATIVE a pour but, selon le dictionnaire : "la découverte et la fixation d’un certain ferment mystérieux,
    grâce auquel la désagrégation des corps, donc la mort, pourrait être presque indéfiniment retardée. Ce même agent
    devrait assurer la progression rapide des êtres vers l’état supérieur" (Larousse). Cet état, que les alchimistes appellent supérieur,
    correspond à l’état de gloire dont il est question dans la doctrine chrétienne. Avant d’exposer la thèse alchimiste
    de la transmutation de la matière (et plus généralement de l’univers), voyons très rapidement quel est l’enseignement de
    l’Eglise concernant la glorification de la nature.
    Selon la doctrine ecclésiastique, l’univers dans lequel nous vivons n’est pas fait pour durer éternellement. Il subit présentement,
    dans l’état de nature, une épreuve de sanctification puis il sera un jour transformé en un état définitif dit "glorieux"
    et qui constituera ce que l’Eglise nomme le Royaume des Cieux. Cette transformation n’est pas à la portée des forces
    humaines. L’homme, bien que doté d’un certain pouvoir sur la nature qui fait de lui un FABER, ne peut pas conduire
    l’univers à ses finalités ultimes. Pour y parvenir, deux interventions divines successives sont nécessaires.
    Il est d’abord indispensable que le monde déchu soit amené à un certain niveau de maturité qui le rende apte à la
    transformation définitive. L’agent de cette maturité c’est La Grâce qui est une aide extérieure au monde, qui lui vient d’en
    haut et qui lui est apportée par le Verbe Incarné. Il faut ensuite qu’intervienne un décret divin que l’Ecriture nous annonce
    en ces termes : "Voici que je fais toutes choses nouvelles." (Apoc. XXI - 5). On comprend que, pour faire sortir la gloire dela
    nature, il soit nécessaire de déployer une puissance analogue à celle qu’il a fallu pour faire surgir la nature du néant.
    Seul Dieu est capable d’un tel déploiement de puissance. D’où la nécessité d’un décret spécial. Telles sont les deux interventions
    divines qui sont requises pour amener le monde à ces fins dernières : l’action extérieure de la Grâce et le décret
    de renouvellement de toutes choses.
    Les thèses alchimistes sur la transmutation de la matière différent notablement de l’enseignement ecclésiastique. Le
    "ferment mystérieux", l’agent de la transmutation qui doit prolonger la vie naturelle et conduire le monde à un état supérieur,
    va être recherché par les alchimistes simultanément dans deux voies complémentaires ; soit dans la nature ellemême
    (1), soit dans une aide extérieure qui ne sera plus celle de la Grâce (comme c’est le cas dans l’enseignement ecclésiastique)
    mais celle de Lucifer (2).
    1 - Le ferment mystérieux de la transmutation se trouve, disent-ils, dans la nature elle-même. Il y est inclus virtuellement.
    La nature matérielle contient en elle-même, à l’état de germes, les forces nécessaires à sa propre transmutation.
    C’est le propre de l’alchimie, héritière de la science primordiale, que de transmettre à ses initiés, gens intègres qui n’abusent
    pas de leur science, le secret de ce ferment mystérieux apte à exalter la nature.
    2 - Cependant les alchimistes ont parfaitement conscience que les manipulations simplement naturelles sont insuffisantes
    pour provoquer une transmutation complète. A leurs recettes d’ordre chimique, ils sont obligés de joindre des pratiques
    magiques. A leurs distillations et sublimations opératoires ils mêlent des rites, des méditations et des incantations
    afin d’appeler précisément l’aide extérieure dont ils ont besoin. Ils prennent argument de la pureté de leurs intentions,
    qui est le plus souvent réelle en effet, pour assurer qu’ils s’entourent de la coopération des saints anges et que donc leur
    magie est saine. Mais l’opinion chrétienne est depuis longtemps acquise : l’alchimie est une forme de la magie. Et la magie
    fait appel à la connaissance que les anges déchus possèdent des forces inconnues, et sans doute inconnaissables, de la
    nature. L’aide ainsi sollicitée par les rituels, les procédés et le langage alchimique n’est plus celle de la Grâce du Verbe In13
    carné mais bien celle de Lucifer.
    Moyennant cette aide, l’alchimie opérative, dite aussi alchimie des fourneaux, recherche, et trouve quelque fois dit-on,
    le ferment philosophal, lequel revêt deux formes possibles. Il peut se présenter sous formes liquide ou sous forme solide.
    Quand il est liquide on lui donne le nom d’élixir de longue vie ; c’est aussi la "panacée", le remède universel. Quand il est
    solide c’est la pierre philosophale. Employée avec discernement, la pierre philosophale transforme le "vil plomb" de la nature
    en or, symbole et prémice de la gloire. Quelle est l’efficacité réelle de l’alchimie opérative ? Elle est loin d’être évidente.
    Beaucoup de penseurs de l’école ésotérique estiment que l’alchimie opérative doit être considérée comme une
    forme matérialisée et déviée, comme un sous-produit, de la seule véritable alchimie qui est l’alchimie spirituelle.
    B - L’ALCHIMIE SPIRITUELLE applique à la vie de l’âme des principes analogues à ceux de l’alchimie opérative.
    Toute vie intérieure est une alchimie par le seul fait qu’elle est un processus de distillation, d’épuration et de sublimation.
    De même que l’alchimie opérative fait éclore les énergies naturelles d’exaltation virtuellement incluses dans la matière, de
    même l’alchimie spirituelle fait éclore le germe divin enfoui au fond de l’âme. L’âme méditative parvient à "l’union transformante",
    comme le mercure se "transforme" en or. Par un travail sur elle-même, travail réputé "alchimique", l’âme va se
    diviniser entièrement. Elle en a, en principe, les moyens puisqu’elle est une étincelle de la divinité et qu’elle ne tend qu’à
    réintégrer son Dieu d’origine. On retrouve donc fatalement, dans la théologie mystique selon l’alchimie, un certain automatisme
    dans l’ascension de l’âme.
    Néanmoins, comme leurs confrères opératifs, les adeptes de l’alchimie spirituelle se rendent très bien compte que l’attirance
    congénitale de l’âme vers Dieu n’est pas suffisante et qu’une aide extérieure lui est nécessaire pour parvenir à une
    totale réintégration. L’Abbé Stéphane, en tant qu’ésotériste chrétien, a donné sa définition de l’alchimie spirituelle dans
    un petit traité que nous reproduisons en entier. On verra que la nécessité d’une aide extérieure ne lui échappe pas et que
    cette aide, il lui donne le nom de Grâce.
    Mais quel résultat cette aide extérieure va-t-elle produire, selon l’auteur, dans "l’âme alchimique" ? Par cette aide,
    l’âme va se transubstancier et le Verbe va pouvoir s’incarner en elle.
    TRAITE VII.10 - ALCHIMIE SPIRITUELLE
    La Vie spirituelle peut se définir essentiellement comme renoncement au moi et au monde (aspect négatif) et comme
    "union à Dieu" (aspect positif). On peut y distinguer quatre phases : métanoïa, catharsis, apathéïa et théôsis, dans un ordre
    hiérarchique ascendant, mais ces quatre phases doivent être considérées comme concomitantes plutôt que comme successives,
    ou encore comme des "dominantes" dans les diverses étapes de la vie spirituelle ; c’est dire, par exemple, qu’il n’y a
    pas de métanoïa sans un commencement de catharsis ou de théôsis, et vice versa.
    1) Métanoïa = conversion = retournement : l’âme ayant perçu un commencement de Lumière divine se détourne sous
    l’action de la Grâce - en intention tout au moins - de l’ego et du monde. Phase initiale où la "dominante" est la métanoïa.
    C’est une "orientation nouvelle" : l’âme se tourne vers le Soleil Spirituel. C’est l’entrée dans la voie, mais il reste toute la
    route à parcourir.
    2) Catharsis = purification = mortification des passions et du désir. L’âme "orientée" doit se purifier de tous les obstacles
    à l’accomplissement et à l’épanouissement de la Vie Divine en elle, ce qui correspondra aux deux aspects suivants :
    apathéïa et théôsis.
    3) Apathéïa = apaisement = contentement. L’âme, libérée de l’ego et des passions, est dans l’état de pureté, de virginité,
    de passivité parfaite (materia prima) pour recevoir le Fiat Lux, le Verbe Illuminateur et Transformateur qui veut s’incarner
    en elle ; c’est le Mystère de l’Incarnation et de la "Transsubstantiation" : "Ceci est mon Corps".
    4) Théôsis = divinisation : l’âme, entièrement dépouillée, n’est plus elle-même car elle est "transformée" en Dieu.
    Tome I, page 236
    A première vue, puisqu’il fait intervenir l’action de la Grâce, l’Abbé Stéphane reste, nonobstant le titre inquiétant de
    son traité, dans la bonne orthodoxie, comme cela lui arrive sur d’autres sujets, ainsi que nous l’avons déjà fait remarquer.
    Demandons-lui cependant ce qu’il entend par "Grâce". Quelle est, dans la doctrine stéphanienne, la nature de cette aide
    extérieure nécessaire pour accomplir la métanoïa ? S’agit-il vraiment et exclusivement de la Grâce qui est donnée du Ciel
    par le Verbe Incarné ? Or c’est là précisément que l’Abbé Stéphane va rejoindre les ésotéristes. La Grâce telle qu’il l’entend
    s’identifie avec cette énergie divine que l’on retrouve dans les autres religions sous des noms divers : influence spirituelle
    non-humaine chez R. Guénon (1), baraqah chez les musulmans (2), possibilité universelle chez les hindouistes (3), Métatron
    chez les kabbalistes (4). Voyons comment il s’exprime à propos de ces prétendues équivalences.
    1 - L’INFLUENCE SPIRITUELLE NON-HUMAINE chez R. Guénon. L’Abbé Stéphane constate que l’être humain montre
    une tendance fondamentale à se diriger vers le "Principe divin". Et il se demande quelle peut être l’origine de cette
    tendance. Voici comment il répond à la question :
    "Or ce but, le terme de cette tendance, est situé dans le domaine du divin, du non-humain, du transcendant qui, comme tel,
    échappe au pouvoir de l’homme en tant qu’homme. La réalisation de cette tendance suppose donc l’intervention divine, que les
    théologiens appellent LA GRACE, et que nous désignerons sous le nom D’INFLUENCE SPIRITUELLE" Tome I, page 359
    Or l’expression influence spirituelle non-humaine est précisément celle que R. Guénon emploie invariablement quand il
    veut parler d’une aide spirituelle extérieure. Il écrit par exemple qu’au moment de l’initiation (maçonnique ou autre) le
    sujet reçoit une "influence spirituelle non humaine". L’Abbé Stéphane annonce ici son intention d’abandonner la terminologie
    des théologiens et de s’aligner sur celle de R. Guénon qui lui parait plus exacte, sans doute parce qu’elle est valable
    également pour les autres religions, pour désigner l’aide spirituelle extérieure dont l’homme a besoin dans son ascension
    vers Dieu. Certes il constate la nécessité d’une aide extérieure, mais il ne consent déjà plus à lui donner exclusivement le
    14
    nom de "Grâce".
    2 - La Baraqah chez les Musulmans. L’Abbé Stéphane, dans le Tome II page 214, mentionne la baraqah comme étant
    cette influence spirituelle qui seule peut réaliser la transformation de l’être sur le plan spirituel. La baraqah est donc pour
    lui le nom que l’on donne à la Grâce dans la religion islamique. Là aussi il admet l’équivalence.
    3 - La Possibilité Universelle chez les hindouistes. Selon l’Abbé Stéphane, le Verbe divin porte, dans l’hindouisme, le
    nom de "Possibilité universelle". Et cette entité métaphysique dispense, aux âmes qui se placent sous son influence, la
    force qui leur est nécessaire. Là aussi, c’est "la Grâce", sous un autre nom.
    4 - Le Metatron chez les kabbalistes. Selon l’Abbé Stéphane, le rôle du Verbe, comme dispensateur de l’aide céleste, serait
    joué, dans la Kabbale, par le Métatron. Qui est donc ce Métatron ? La littérature juive sur ce sujet est loin d’être claire.
    Pour certains auteurs, comme par exemple Léo Schaya dans son ouvrage "L’Homme et l’Absolu selon la Kabbale", il semble
    que le Métatron soit le nom donné à la Sagesse divine quand on la considère dans son immanence en l’homme. Pour
    d’autres, il faudrait s’en tenir à l’étymologie grecque du mot Métatron qui signifie "à côté du trône" (méta - trône). Mais
    alors comment interpréter ce sens étymologique ? Cet esprit qui se tient auprès du trône est-il là pour honorer Dieu (auquel
    cas il serait un ange) ou bien pour le supplanter (auquel cas ce serait Lucifer). Les explications de l’Abbé Stéphane
    sont confuses. On les trouvera éventuellement au Tome I pages 292 - 293. C’est de Métatron que proviendrait l’aide spirituelle
    dont l’âme a besoin puisqu’il est le Soleil divin comme le Verbe est lui aussi le Soleil divin.
    L’Abbé Stéphane, on le voit, recherche des équivalents à la Grâce dans des religions qui sont à l’opposé du Christianisme.
    Les équivalents qu’il y découvre n’en sont pas et ils n’en ont que les apparences. Car la Grâce se définit strictement
    comme l’aide surnaturelle envoyée par le Premier-Né de toute créature qui est aussi le Rédempteur. Or il n’y a qu’un seul Rédempteur
    et donc il n’y a qu’une seule Grâce, c’est celle qui est dispensée par l’Eglise fondée précisément par le Rédempteur.
    Il est bien évident que les religions qui ne reconnaissent pas Jésus-Christ comme le Verbe-Incarné ne sauraient procurer
    la Grâce.
    Ainsi les voies contemplatives préconisées par l’Abbé Stéphane sont vraiment alchimiques par leurs modalités. Mais elles
    le sont aussi par leurs finalités. Quelles sont les finalités que l’on promet à l’âme guidée par "l’influence spirituelle nonhumaine"
    (cette influence qui ne dit pas son nom) ? Nous l’avons déjà vu au paragraphe "Le Germe divin dans l’Ame
    humaine". L’Abbé Stéphane nous le répète ici quand il définit la théôsis, à la fin du petit traité que nous venons de citer :
    "La Théôsis : divinisation : l’âme, entièrement dépouillée, n’est plus elle-même car elle est transformée en Dieu." L’Ame, ainsi
    conduite à sa fin, ne s’appartient plus. Nous dirons qu’elle est envoûtée et littéralement possédée par un esprit (une influence
    spirituelle non-humaine) plus grand et plus fort qu’elle. Il ne s’agit plus, comme dans la saine doctrine catholique,
    d’une participation à la vie divine et d’une filiation d’adoption, mais d’une perte d’identité : l’âme n’est plus elle-même, nous
    dit l’Abbé Stéphane. Là encore il s’écarte de l’orthodoxie et il s’aligne délibérément sur l’alchimie des ésotéristes comme il
    le déclare ouvertement dans le titre de son traité : "L’Alchimie spirituelle".
    LA THEORIE DES TROIS MONDES
    Il ne fait pas de doute que l’Abbé Stéphane adhère au TRICHOTOMISME de Platon, appelé aussi TRIPARTITION ou
    encore Théorie des Trois Mondes.
    Il eut un jour à prononcer l’homélie du 21è Dimanche après la Pentecôte. Il commenta le passage célèbre de saint Paul :
    "Nous n’avons pas seulement à lutter contre la chair et le sang, mais ... contre les puissances de ténèbres répandues dans
    les airs." (Eph., VI, 12). Le texte latin qu’il avait à traduire est celui-ci "contra spiritualia nequitiæ, in coelestibus." Et voici la
    traduction qu’il en donne : "...contre les puissances infernales répandues dans LE MONDE INTERMEDIAIRE (LE
    MONDE SUBTIL)." Tome II, page 299.
    Or St Paul, dans le texte de la Vulgate ne mentionne nullement un "monde intermédiaire". C’est l’Abbé Stéphane qui le
    rajoute de sa propre autorité. On voit donc clairement qu’il croit à l’existence d’un "monde subtil", occupant la place intermédiaire
    entre le monde physique et le monde spirituel. Et l’on constate, dans tout l’ensemble de son ouvrage, qu’il attache
    une importance capitale à cette division tripartite de l’univers.
    D’après cette doctrine, qui ne date pas d’aujourd’hui, l’univers serait composé de trois mondes superposés : le monde
    physique, puis le monde animique (subtil et intermédiaire, semi-physique et semi-spirituel) et enfin le monde purement
    spirituel (dit aussi angélique). De même l’homme est composé de trois éléments constitutifs : le corps (soma en grec) qui
    appartient au monde physique, l’âme (psyché) qui appartient au monde animique ou monde intermédiaire, et l’esprit
    (nous) qui appartient au monde spirituel.
    Deux particularités importantes étant bien précisées :
    1 - les démons font partie du monde intermédiaire, ainsi que l’Abbé Stéphane le donne clairement à entendre dans sa
    traduction de saint Paul ;
    2 - l’âme et l’esprit de l’homme constituent, dans cette doctrine, deux substances distinctes (deux substances qui appartiennent
    à deux mondes différents).
    L’existence de ce prétendu monde intermédiaire est totalement inconnue dans la doctrine orthodoxe de l’Eglise, pour laquelle
    l’âme humaine est constituée d’une seule et même SUBSTANCE, apte cependant à exercer deux FONCTIONS distinctes
    :
    1 - une fonction à l’égard du corps auquel elle est attachée, et elle porte alors le nom D’AME ;
    2 - une fonction à l’égard de Dieu vers lequel elle tend, et elle porte alors plus spécialement le nom D’ESPRIT.
    Bref l’âme humaine a deux fonctions mais elle n’est constituée que d’une seule substance spirituelle. Et elle appartient
    toute entière au monde des esprits.
    15
    Ici une particularité de vocabulaire demande à être signalée. Le mot AME possède deux significations, voisines certes,
    mais non identiques. Ce mot peut s’employer au sens étroit ou au sens large. Au sens étroit, âme désigne strictement l’âme
    végétative, c’est-à-dire la fonction d’animation quasi-animale du corps ; certains auteurs dirons alors "animus". Au sens
    large, âme désigne à la fois l’ "animus" et le "spiritus", c’est-à-dire tout l’ensemble de la substance spirituelle, en y incluant
    les deux fonctions ; certains auteurs écriront alors "anima". L’usage s’est ainsi établi, ce qui complique évidemment les
    développements sur ce sujet. C’est un phénomène linguistique assez courant : la partie (sens étroit) a fini par donner son
    nom au tout (sens large).
    On voit que les conceptions de l’Abbé Stéphane s’écartent notablement de l’orthodoxie. En revanche il est parfaitement
    logique avec lui-même et en particulier avec les thèses ésotériques sur le germe de nature divine inclus, selon lui,
    dans l’âme humaine, thèses que nous avons mentionnées dans un paragraphe antérieur. Dans un court traité, dont nous
    allons citer la partie essentielle, il précise que la fraction "divine" de l’homme, son étincelle divine, c’est précisément
    l’esprit, le "nous".
    Il commence par reprocher à la conception courante, qui n’est autre que la doctrine de l’Eglise, de rendre incompréhensible
    le commerce de l’homme avec Dieu. Comment l’homme pourrait-il contacter Dieu par la pensée s’il ne possède
    rien en lui de purement spirituel ? L’âme, substance unique, telle qu’elle est conçue par l’Eglise, lui parait beaucoup trop
    intimement liée au corps pour se prêter à un commerce spirituel avec Dieu.
    Puis il ajoute :
    "La réponse à ces questions ne peut, en logique rigoureuse, être formulée que de la manière suivante : outre. les éléments
    constitutifs de l’être qui est actuellement dans l’état humain (corps, âme), IL EXISTE UN ELEMENT SUPRAHUMAIN OU
    DIVIN , à l’état non-développé ou "involué", susceptible d’entrer en relation avec le domaine angélique ou la Divinité, et que
    nous appellerons "esprit".
    Ce serait donc une erreur considérable de confondre le monde psychique, qui est du domaine de l’âme, avec le monde spirituel.
    Or cette confusion risque d’être entretenue si l’on se contente de la conception dualiste "corps-âme" de l’être humain.
    Une doctrine pleinement traditionnelle devra donc envisager, au minimum, une conception tripartite de l’être humain corps, âme,
    esprit. Ce "schéma" est suffisant, malgré sa réduction à la plus simple expression possible de ce qu’il est destiné à représenter, à
    savoir la multiplicité indéfinie des états de l’être dans toutes leurs modalités possibles, L’ETAT INCONDITIONNE - qui est l’
    "Etat Quatrième" - n’étant pas mentionné (ce qui permet d’échapper à tout panthéisme et à tout immanentisme), mais se trouvant
    "suggéré" par le mot "esprit" auquel il suffit de mettre une majuscule pour qu’il désigne ce dont il s’agit." Traité "Esprit, Ame,
    Corps". Tome I, page 191
    Ainsi l’esprit (le "nous") est déclaré appartenir à l’Etat Inconditionné (avec des majuscules dans le texte) c’est-à-dire à
    la nature divine. C’est cet esprit qui, dans l’homme, constitue, nous dit-on, l’élément suprahumain ou divin.
    Ces conceptions de l’Abbé Stéphane, sur les trois mondes qui constituent l’univers et sur les trois composantes de
    l’homme, le rattachent incontestablement à l’école ésotérique en même temps qu’elles l’éloignent du christianisme authentique.
    SUR L’INITIATION
    Le concept d’INITIATION se rencontre assez souvent sous la plume de l’Abbé Stéphane. Prenons d’abord quelques exemples
    des passages où il en parle. Nous verrons ensuite quelle portée et quel sens il donne à ce qu’il entend par initiation :
    "Jadis, à la veille de la fête (de saint Jean Baptiste) avait lieu le Baptême des catéchumènes, et le temple était inondé de lumière,
    signe d’INITIATION à la connaissance de Dieu." Tome I, page 277
    Ainsi, il suggère que le Sacrement de Baptême est assimilable à une initiation. Quelques pages plus loin, il précise sa
    pensée :
    "C’est dans une telle perspective que doivent être envisagés et réalisés sacramentellement les rites de l’INITIATION CHRÉ-
    TIENNE tels que le Baptême et l’Eucharistie." Tome II, page 319
    Il s’agit bien d’une initiation, écrit-il, puisque le chrétien commence une nouvelle vie. Il ne fait pas de doute que, pour
    l’Abbé Stéphane, les sacrements de l’Eglise forment, eux aussi, une "hiérarchie initiatique". C’est ce qu’il écrit, dans le passage
    suivant :
    "Le cléricalisme est le produit de la dégénérescence de l’Autorité spirituelle, de l’effondrement de la HIERARCHIE INITIATIQUE
    ou ecclésiastique, qui est à l’image de la hiérarchie céleste : il est évidemment lié à l’obscuration intellectuelle du Kali-
    Yuga, et par conséquent tributaire du moralisme et du sentimentalisme caractéristique du monde moderne." Tome II, pages 132
    - 133
    Jusqu’où l’Abbé Stéphane fait-il remonter la filière initiatique chrétienne ? C’est Jésus-Christ qui a été le premier initiateur
    des Chrétiens et son oeuvre d’initiateur constitue même l’essentiel de sa mission terrestre
    "Il est intéressant de faire le rapprochement avec saint Mathieu. Il s’agit, pour le Christ, de remplir 1’ESSENTIEL de sa
    mission : INITIER LES AMES AU MYSTERE SURNATUREL. Mais le Maître mesure la difficulté d’une telle entreprise.
    Aussi, selon saint Mathieu, avant de révéler, dans le sermon sur la montagne, les mystérieux secrets du Royaume et les exigences
    morales de son accès, et selon saint Jean avant d’INITIER Nicodème au mystère de la vie surnaturelle, le Christ a voulu
    attirer à lui les coeurs et accréditer son enseignement en faisant de nombreuses guérisons ou en changeant l’eau en vin, à Cana."
    Tome II, pages 95 - 96
    L’Abbé Stéphane essaye de nous expliquer le mécanisme par lequel le Christ est initiateur. C’est, nous dit-il, parce
    qu’il crée un lien ontologique entre la substance individuelle du baptisé et le "principe métacosmique" qu’il est lui-même.
    "... ce qui importe est que le dogme de l’éternité de l’enfer confère à la quasi-totalité des chrétiens une notion qualitative et
    16
    symbolique suffisante de la causalité cosmique qui régit nos destinées posthumes.
    "Or ici, c’est-à-dire pour un chrétien (et même un simple baptisé qui l’a été à un âge où il n’en a pas pris conscience, ce qui est
    le cas le plus fréquent) la causalité cosmique dont il s’agit est un lien ontologique entre la substance individuelle et le PRINCIPE
    METACOSMIOUE qui est le Christ et son corps mystique. En vertu de ce lien, la "nature" d’un chrétien n’est plus celle d’un
    païen." Tome I, page 207
    L’initiation conférée par le Christ consisterait donc en un rattachement de chaque individu chrétien au "Principe Métacosmique"
    qu’est le Christ. L’initiation chrétienne serait la transformation de notre nature opérée par ce rattachement.
    Dans son Traité II - 7 (Tome II, page 95-96) l’Abbé Stéphane s’explique sur le mécanisme de la mission "initiatrice" du
    Verbe Incarné. Il lui donne plus d’importance qu’à sa mission "rédemptrice". Ce faisant, il professe la même opinion que
    Rudolf Steiner pour qui le but principal, voire même unique, du Christ, dans son apparition sur la terre, était d’élever "le
    degrés initiatique de l’humanité".
    Pour essayer de comprendre quel est, pour l’Abbé Stéphane, le processus de la mission initiatrice de Jésus-Christ, on
    pourra se reporter au Traité II - 7 (Tome II, page. 95-96) qui s’intitule : "Introduction à la morale évangélique". Nous avons
    dû renoncer à citer ce texte en entier, d’abord parce qu’il est trop long (il compte une vingtaine de pages) et surtout parce
    qu’il est écrit dans un style très confus. Il exige un véritable travail de clarification. Retenons, pour ce qui nous intéresse
    ici, que selon l’Abbé Stéphane, le Christ est essentiellement un MAITRE D’INITIATION.
    ***********
    Voyons maintenant quelle est la doctrine catholique traditionnelle sur ce chapitre. Peut-on parler d’initiation chrétienne?
    Les Sacrements de la sainte Eglise peuvent-ils être considérés comme des initiations ? A quelle sorte de mystères
    une initiation chrétienne peut-elle introduire?
    Faisons d’abord une constatation d’ordre général : "Toutes les fois qu’il y a mystère, il y a lieu à initiation". Il est dès lors
    normal que, pour participer aux mystères chrétiens, il soit nécessaire de passer par une initiation. Le concept d’initiation
    chrétienne n’est pas étranger à l’enseignement classique de la théologie catholique. Tous les sacrements ne sont pas considérés
    comme initiatiques mais certains seulement, en particulier ceux qui impriment dans l’âme une caractère indélébile :
    le Baptême, la Confirmation et l’Ordre. Ces Sacrements marquent une gradation dans la participation aux mystères.
    Cependant, en fait, la doctrine chrétienne, tout en admettant la notion, n’insiste guère sur la caractère initiatique des
    sacrements. Et la discrétion en cette matière, se comprend très bien. A juste titre, le Magistère veut éviter que les fidèles
    n’assimilent ces initiations chrétiennes aux INITIATIONS MAÇONNIQUES. Il a raison de craindre qu’ils n’établissent
    une confusion entre ces deux ordres d’initiation.
    Et en effet, il existe deux ordres d’initiations radicalement opposées. Toutes les fois qu’il y a mystère, disons-nous, il y a
    lieu à initiation. Seulement ce qu’il faut ajouter c’est qu’il y a deux ordres de mystères
    - les mystères d’EN-HAUT,
    - et les mystères d’EN -BAS.
    De même qu’il y a deux abîmes, l’abîme d’en Haut et l’abîme d’en Bas, de même il y a deux ordres d’initiation
    - Les initiations aux mystères d’en Haut. Ce sont les sacrements de l’Eglise et seulement les sacrements de l’Eglise, car elle
    est la seule véritable Eglise du Verbe Incarné.
    - Les initiations aux mystères d’en Bas. Ce sont les initiations du type maçonnique, mais aussi celles que l’on pratique dans les
    religions orientales qui sont des rémanences du paganisme.
    ***********
    Or l’Abbé Stéphane a parfaitement conscience qu’une distinction de cet ordre doit être maintenue en principe. Il sait
    qu’il existe de très néfastes initiations, comme par exemple celles du chamanisme et de la sorcellerie. Demandons lui quel
    va être son critère pour distinguer les bonnes initiations des mauvaises. Son critère sera celui qu’il a trouvé dans les théories
    guénoniennes. Voici cette règle de distinction :
    - Sont bonnes, selon lui, sont authentiques et recommandables, les initiations qui répondent à une double exigence. Il
    faut qu’elles soient de fondation immémoriale (il faut que leur origine se perde dans la nuit des temps). Et il faut en outre
    qu’elles soient conférées dans des conditions parfaites de régularité rituelle.
    - Sont mauvaises et réprouvables les initiations dont la fondation est récente (donc artificielle et livresque) et dont le rituel
    est modernisé (donc observé d’une façon arbitraire). Il convient alors de leur donner, selon la gravité du cas, le nom
    de pseudo-initiation ou de contre-initiation.
    La frontière ayant été ainsi délimitée entre les bonnes et les mauvaises initiations ; quelles sont, plus particulièrement,
    celles que l’Abbé Stéphane va ranger au nombre des bonnes initiations ? Ce sont
    - Les sacrements de l’Eglise, qu’il considère donc comme initiatiques. Il nomme le Baptême et il y ajoute curieusement
    l’Eucharistie (comme le font d’ailleurs beaucoup d’ésotéristes chrétiens) bien que ce sacrement n’imprime pas dans l’âme
    un caractère indélébile.
    - Mais aussi les initiations telles qu’on les pratique dans les grandes religions archaïques de l’Inde et dans la religion
    ésotérique musulmane.
    Et il rejette comme étant des "pseudo-initiations" ou des "contre-initiations"
    - les initiations qui ont cours dans la sorcellerie de tous les âges et de tous les continents.
    - et également les initiations modernes dont les fondateurs sont plus ou moins des aventuriers ou des imposteurs.
    Ainsi l’Abbé Stéphane, tout en faisant la part du feu et en condamnant les initiations par trop sataniques qui, de toute
    évidence, conduisent vers le puit de l’abîme, admet cependant, en dehors de l’Eglise, l’existence d’initiations salvatrices
    auxquelles il accorde l’équivalence avec les sacrements de l’Eglise. Il est bien certain que nous ne saurions nous ranger à
    cet avis et à cette classification. Seule l’Eglise fondée par N.S.J.C. , la Pierre Angulaire, est apte à initier ses fidèles aux
    17
    mystères d’en Haut. Toutes les initiations qui se pratiquent en dehors de l’Eglise introduisent à la participation aux mystères
    d’en Bas.
    L’ANDROGYNE
    L’Abbé Stéphane introduit dans sa théologie non seulement le mot mais la notion même d’androgyne. Voici comment
    il raisonne. Il commence par montrer, en prenant appui sur la métaphysique guénonienne, que tout être créé présente
    obligatoirement une BIPOLARITE
    "Néanmoins, cette oeuvre (de l’Incarnation) ne revêtirait pas tout son caractère de miséricorde, si la Maternité Divine, aspect
    complémentaire de la Paternité, ne s’y manifestait pas en quelque façon, et si, métaphysiquement parlant, la BIPOLARISATION
    DE L’ETRE, aux différents niveaux de sa manifestation, n’y apparaissait pas." T. II, p. 50
    On doit donc retrouver en Adam, le premier homme créé, la "bipolarité" nécessaire à tout être
    "Adam, créé mâle et femelle est à l’image de Dieu ; à ce titre il est donc, pour notre état d’existence, le symbole adéquat de
    l’Homme Universel, mais, comme le note R. Guénon, le premier Adam correspond à l’aspect virtuel de l’Homme Universel, tandis
    que le Second Adam correspond à la restauration de l’état adamique, étant en quelque sorte la première étape dans cette réalisation.
    A ce niveau, il s’agit alors de l’ANDROGYNE restauré par le Christ qui n’était ni homme, ni femme." Tome I, pages 131 -
    132
    L’Abbé Stéphane réaffirme, sans aucune espèce d’équivoque, l’androgynie qu’il prête au Christ quand il en vient à
    commenter l’icône byzantine de la Deisis. Il fait remarquer que, dans cette composition picturale, le personnage du Christ
    occupe la partie centrale ; il a d’un côté la Théotokos, la Mère de Dieu, et de l’autre côté saint Jean Baptiste. Il ne lui en
    faut pas plus pour conclure :
    "... La Théotokos et saint Jean Baptiste, archétypes célestes du masculin et du féminin, se tiennent de part et d’autre du Christ,
    qui est l’ANDROGYNE VERITABLE en tant que Nouvel Adam." Tome II, page 212
    A propos de la notion de l’Homme Universel, si fréquente dans les théologies juive et islamique, l’Abbé Stéphane se
    réfère de nouveau à l’androgyne :
    "Nous nous attarderons un peu plus sur un autre aspect de l’HOMME UNIVERSEL, à savoir son rapport avec l’état édénique
    ou avec l’ANDROGYNE PRIMORDIAL. Il s’agit là d’un thème biblique bien connu et fréquemment développé par les Pères
    de l’Eglise : c’est le thème de l’image brisée par la chute et restaurée par le Christ." Tome I, page 131
    Comme tous les membres de l’école de l’Esotérisme chrétien, l’Abbé Stéphane prétend que la notion d’androgyne se
    rencontre FREQUEMMENT chez les Pères de l’Eglise. C’est absolument faux. On peut compter sur les doigts d’une seule
    main, les Pères qui lui sont explicitement favorables. Jamais, l’androgynie prétendue du Christ, ou d’Adam, ou de son archétype,
    n’a fait l’objet d’un enseignement suivi, encore moins d’une décision du magistère.
    En revanche, l’Androgyne qui est une notion déjà constante dans le paganisme, réapparaît chez les auteurs gnostiques,
    chez les néo-platoniciens, ainsi que chez les hermétistes et dans la littérature alchimique. Il y représente un être mythique,
    à la fois homme, femme et démon. De fait, l’androgyne est l’une des figurations les plus fréquentes du démon.
    Il nous reste à voir comment, après avoir affirmé avec insistance la notion d’androgyne, l’Abbé Stéphane en fait une
    des pièces maîtresses de son raisonnement métaphysique. On sait qu’il a adopté la métaphysique du Védanta d’après laquelle
    la "manifestation" (nous disons création) fait apparaître, à tous les niveaux, un pôle positif (Purusha) et un pôle négatif
    (Prakriti) :
    "Au niveau du Cosmos, le couple Purusha-Prakriti se retrouve dans l’Esprit de Dieu qui se mouvait sur les eaux primordiales,
    dont parle la Génèse (I-2), les eaux symbolisant, par leur plasticité, la parfaite soumission de Prakriti.
    "Au niveau de l’être humain, nous trouvons le couple Adam-Eve, ou l’ANDROGYNE PRIMODIAL, et c’est à ce niveau spécifique
    que se situe la conception habituelle du péché originel qui affecte toute la descendance d’Adam.
    "Enfin, au niveau le plus bas de la manifestation grossière, nous avons l’homme et la femme au sens ordinaire." Tome I, page
    95
    On pense invinciblement aux SYZYGIES de la gnose simonienne. Les syzygies sont des sortes d’androgynes angéliques.
    Ce sont des EONS du plérôme qui vont par couples. Un éon mâle et un éon femelle forment une Syzygie.
    ***********
    Comment apprécier tout cela en fonction de la saine doctrine ? L’androgyne est une invention du vieux paganisme,
    passée dans la gnose et au delà dans l’Esotérisme chrétien. Cette invention n’a pas sa place dans la doctrine catholique,
    laquelle n’admet QU’UN SEUL ARCHETYPE pour les hommes comme pour les femmes. Cet archétype c’est le Verbe Incarné.
    Or il n’est pas exact de prétendre que le Verbe incarné présente le double caractère masculin et féminin. "Un enfant
    nous est né, UN FILS nous a été donné" - "Elle enfantera UN FILS, tu lui donneras le nom de Jésus" - "Celui-ci est MON
    FILS bien aimé en qui j’ai mis toutes mes complaisances " - "Il est le FILS de David, le FILS de l’Homme" - Tel est le mystère
    que Dieu nous demande de méditer, sans aller en chercher un autre qui n’a de racines que parmi les ennemis de Jésus.
    Quelle est donc la vraie nature de l’androgyne ? Nous ne craignons pas de dire qu’il est l’une des figures symboliques
    et énigmatiques par lesquelles Lucifer se faufile dans la Religion du Christ en vue de prendre sa place.
    LA THEORIE DES CYCLES
    Dans quelle mesure l’Abbé Stéphane adhère-t-il à la théorie orientale et ésotérique des CYCLES COSMIQUES ? Avant
    de répondre à cette question, deux précautions sont nécessaires :
    18
    1 - Il nous faut exposer l’ensemble de la théorie des cycles, ne serait-ce que dans ses grandes lignes ; car l’Abbé Stéphane
    ne le fait pas. Nous le ferons sous le titre : "La Théorie du Samsara" (A).
    2 - Puis nous rappellerons l’essentiel de la doctrine chrétienne sur le même sujet, afin de fournir l’indispensable point
    de comparaison dont nous avons besoin. Nous le ferons sous le titre : "La Doctrine chrétienne des Fins dernières" (B).
    A - LA THEORIE DU SAMSARA
    Samsara est un mot sanskrit qui signifie ECOULEMENT. Le Samsara c’est le "fleuve des existences successives".
    L’univers est soumis à la loi de l’éternel recommencement et les âmes, qui ne meurent pas, animent successivement des
    corps différents. Toute existence est régie par la loi de la naissance, de l’apogée et de la mort. Tout est cycle. Tout est pulsation.
    Les âges cosmiques se succèdent comme autant de battements de coeur. Chaque âge forme un cycle constitué par
    un début fulgurant et spirituel, suivi d’une descente, pour finir par une solidification matérielle.
    Chaque cycle se termine par une crise paroxystique à laquelle succède immédiatement un nouveau début. Les mondes
    renaissent indéfiniment les uns des autres. Ainsi tourne éternellement LA ROUE DES CHOSES. Mais au centre de cette
    roue colossale se trouve L’INVARIABLE MILIEU, qui est l’Absolu indifférencié, appelé aussi Principe suprême. Il ne participe
    pas à la turbulence de la Manifestation, laquelle se trouve à la circonférence.
    Par la contemplation et surtout par l’initiation, l’homme peut obtenir la Délivrance qui l’exempte de son assujettissement
    à la roue des choses. Il fait alors retour au Principe suprême dont il émane et dont il est une parcelle. Par ce retour
    au Principe, il perd l’état contingent et "conditionné" qui faisait de lui un individu distinct et il se perd dans l’Absolu indifférencié.
    Il redevient Dieu en disparaissant comme homme. Ce système eschatologique ne comporte pas de Jugement
    dernier mais en revanche il est basé sur la reconduction indéfinie de l’état de nature.
    B - LA DOCTRINE CHRETIENNE DES FINS DERNIERES
    La Doctrine chrétienne des fins dernières possède, avec les; théories orientales du Samsara, une partie commune (1),
    puis elle s’en écarte sur des points importants (2).
    1 - La partie commune concerne L’ETAT DE NATURE. Les écrivains d’Eglise reconnaissent parfaitement que l’état de
    nature est régi par des lois cycliques. Les astres, mais aussi les atomes parcourent régulièrement leurs orbites. Les êtres
    vivants sont sujets, dans leurs corps et dans leurs âmes, à de multiples pulsations présentant des alternances de diastoles
    et de systoles. Or toute pulsation est un petit cycle.
    On peut dire sans exagération que l’état de nature, qui est celui de l’actuel univers, est un état cyclique. L’Eglise en est à
    ce, point persuadée que, docile aux saisons, auxquelles d’ailleurs elle ne saurait se soustraire, elle a établi deux cycles liturgiques,
    le Temporal et le Sanctoral, dont les interférences, d’années en années, produisent à leur tour des pulsations,
    fort instructives au demeurant. Elle célèbre la fête du Sacré Coeur qui honore, en fin de compte, les pulsations pleines de
    miséricorde du Verbe Incarné.
    Tous les êtres créés sont incorporés à l’ordre de la nature et sont dès lors soumis à des cycles. C’est incontestable et incontesté,
    aussi bien par l’Eglise que par les doctrinaires des autres religions. Il y a donc accord pour ce qui concerne
    l’ordre de la NATURE.
    2 - La divergence concerne ce qui doit SUCCEDER à l’ordre de la nature. L’Eglise enseigne que l’état actuel de l’univers
    n’est qu’un état préparatoire et probatoire. Après le Jugement dernier, l’état de nature prendra fin et un nouvel état sera
    établi auquel on donne le nom D’ETAT DE GLOIRE, lequel sera définitif et stable. Et ce nouvel état s’étendra à
    l’univers tout entier : "Voici que je fais toutes choses nouvelles." (Apoc XXI - 5). Les anciennes choses auront disparu. Ni la
    matière inerte, ni la matière vivante ne seront plus sujettes à croissance et à décroissance, elles ne seront plus soumises
    aux lois qui les régissaient sous l’empire de la nature. Il y aura d’autres lois, conséquences d’un nouveau décret divin. Il
    n’y aura plus de mer, symbole de l’instabilité. Et il n’y aura plus de nuit. La Jérusalem céleste "n’a besoin ni de soleil ni de
    la lune pour l’éclairer car la gloire de Dieu l’illumine et l’Agneau est son flambeau." (Apoc XXII - 23).
    Nous pouvons maintenant répondre à la question que nous nous posions au début de ce paragraphe : dans quelle mesure
    l’Abbé Stéphane adhère-t-il à la théorie orientale et ésotérique des cycles cosmiques ? Aucun de ses traités n’est
    consacré exclusivement à la théorie des cycles. Et pourtant il en parle souvent et à divers propos. Son adhésion à cette
    théorie est certaine. Prenons deux exemples
    1 - Dans le traité intitulé "La Question du Changement de Forme traditionnelle", il envisage le cas de ceux qui changent
    de religion exotérique (qui passent, par exemple, de l’hindouisme au catholicisme, ou inversement). A cette occasion
    il déclare que toute âme doit rester capable, quelle que soit sa religion exotérique, de dépasser LES LIMITES DE L’INDIVIDUALITE
    et d’atteindre l’ETAT PRIMORDIAL. En clair cela signifie que toute âme doit savoir renoncer à son individualité
    et souhaiter son immersion dans l’Absolu indifférencié. L’Abbé Stéphane montre là implicitement qu’il croit à la délivrance
    par laquelle précisément l’âme quitte la roue cosmique pour faire retour à l’état primordial c’est-à-dire à l’Absolu
    indifférencié. C’est une acceptation indirecte mais certaine de la théorie des cycles.
    2 - Dans sa "Réflexion sur la Fête du Sacré-Coeur" (Tome II, page 85), il écrit : "...toute spiritualité véritable devra être une
    concentration, au sens indiqué, elle doit être conçue essentiellement comme une action du CENTRE lui-même qui tend à ramener
    à lui tous les éléments de la manifestation dispersés sur la circonférence de LA ROUE COSMIQUE." Ici l’adhésion à la théorie
    des cycles est beaucoup plus explicite. Il est bien évident que "le Centre" dont il parle est "l’invariable milieu", c’est-à-dire
    le "Principe Suprême".
    L’Abbé Stéphane, en même temps qu’il montre son adhésion à une théorie, dont nous avons fait remarquer qu’elle est
    très éloignée de l’eschatologie de l’Eglise, ne cesse d’affirmer qu’elle est parfaitement compatible avec le christianisme. Il
    n’a qu’une crainte, avoue-t-il avec une impertinence toute guénonienne, c’est que les chrétiens d’Occident, munis de
    19
    l’esprit épais qu’on leur connaît, soient incapables de comprendre cette compatibilité.
    SUR LA MESSE
    Il aurait été intéressant de condenser en quelques mots les conceptions de l’Abbé Stéphane sur la Messe. Mais véritablement
    c’est impossible. Il consacre à ce sujet quelques traités relativement courts dont on ne retire que des impressions
    confuses pour ne pas dire TROUBLES.
    Il est poursuivi par l’idée de trouver, à la théologie chrétienne du Sacrifice, des équivalents dans les religions orientales
    et de faire de la Messe catholique un cas particulier d’une certaine "liturgie sacrificielle" immémoriale et "traditionnelle"
    dont le SACRIFICE VEDIQUE lui offre le spécimen idéal. Il en arrive à nous parler de HIEROGAMIE à propos de
    l’Eucharistie. Et voulant remonter jusqu’au "Sacrifice in Divinis", il triture les Processions divines, sans aucune référence
    aux grands Docteurs catholiques, mais en s’inspirant en revanche de Guénon, Evdokimov, Schuon, Schaya et Coomarawamy,
    qui sont tous des orientalistes ou des cabalistes.
    On trouvera l’exposé des conceptions de l’Abbé Stéphane sur la Messe principalement dans deux traités
    - "Aspects de la Messe" Traité VIII - 3 dans le Tome I
    - "Pour comprendre la Messe" Traité II - 5 dans le Tome II.
    Mais nous retrouverons ces mêmes conceptions troubles sur le prétendu "Sacrifice in divinis" à deux occasions.
    D’abord quand nous examinerons le livre du Pr. Borella "Le Sens du Surnaturel". Puis quand viendra le tour de l’ouvrage,
    capital sur ce sujet, "La Divine Liturgie" de Jean Hani.
    CONCLUSION : LA STRATEGIE DE L’ABBE STEPHANE
    1 - L’Abbé Stéphane adresse à l’Eglise romaine le reproche d’avoir sclérosé la Religion chrétienne à force d’autoritarisme.
    On a trop longtemps envisagé la religion, écrit-il,
    "comme un ensemble de relations entre l’homme et Dieu, relations que l’on tend à déterminer et à fixer dans des formules de
    prières débitées mécaniquement, dans des formules qui encapsulent le dogme, dans les cadres rigides des définitions et des canons
    des Concile." Tome II, page 77
    Il faut absolument mettre fin à cette intolérable rigidité. Pour cela que faut-il faire ? Il nous faut d’abord une religion
    plus souple, plus personnelle et plus mystique. Mais il nous faut aussi une religion plus oecuménique, mais d’un oecuménisme
    qui restera réservé à une élite, c’est-à-dire qui restera ésotérique.
    2 - Une Religion plus mystique :
    "Ne serait-il pas plus heureux, plus fructueux et plus vital d’envisager cette religion comme une recherche de Dieu, non pas
    à la manière du "libre examen" protestant ou d’une expérience religieuse subjective et immanentiste (à la manière des modernistes),
    mais comme une prise de conscience intérieure et personnelle, comme une exploration, une découverte progressive et vécue
    d’un transcendant qui nous est plus immanent que notre moi, en raison même de sa transcendance." Tome II, page 77
    Nous pouvons résumer cette position en disant que l’Abbé Stéphane désire majorer la théologie mystique par rapport
    à la théologie dogmatique. C’est un trait que l’on retrouve chez tous les représentants de l’école de l’ésotérisme chrétien.
    3 - Une Religion plus oecuménique :
    "Il faut donc (mais la mentalité habituelle des chrétiens ne s’y prête guère) opérer une purification ou une critique de l’idée
    de Dieu qu’ils colportent indéfiniment dans leurs discours." (Tome II, page 40).
    Pour épurer l’idée de Dieu, rien de tel que d’examiner ce que l’on en dit dans les autres religions :
    "En ISLAM, Dieu se déclare l’Unique, "l’Un sans second". Il n’y a pas de divinité si ce n’est la Divinité et l’homme n’est
    que le Serviteur de l’Unité. AU SINAI, Yaweh révèle son nom : Je suis, il se révèle comme l’Existant. Dans l’INDE, il apparaît
    comme paramatma, le Suprême en soi, ou comme parinirvana, le Suprême Vide, c’est-à-dire le Plérôme, la Plénitude. Dans la
    REVELATION CHRETIENNE, il se révèle comme père, par le Fils, dans l’Esprit, et l’homme devient fils adoptif. Ces différents
    modes de Révélation sont fonctions des différents réceptacles humains..." (Tome II, page 39 - court Traité intitulé "Dieu")
    En distillant ces diverses "révélations", la Religion chrétienne va pouvoir se donner enfin une définition épurée de
    l"‘idée de Dieu".
    4 - Cette "purification" de la théologie se fera par un retour aux sources afin d’y découvrir la RELIGIO PERENNIS,
    c’est-à-dire la religion éternelle. Il faut commencer par :
    "... rappeler les éléments essentiels de toute religion, ce que nous avons appelé le FOND METAPIIYSIQUE COMMUN, dont
    l’oubli ou la négation constitue la cause profonde de la subversion moderne. On comprendra ainsi combien il est illusoire de parler
    du Christ, de l’Eglise, de la crise dans l’Eglise et de tous les problèmes du monde actuel, si l’on ne commence pas par rappeler - ou
    plutôt par exposer pour ceux qui sont encore capables de le comprendre - ce fond métaphysique, et qu’on pourrait appeler la RELIGIO
    PERENNIS". Tome I, page 372
    5 - La reconstitution de cette "religio perennis" doit-elle aboutir à un syncrétisme ? Absolument pas répond l’Abbé Stéphane.
    Il faut au contraire conserver le PLURALISME EXOTERIQUE
    "... le contenu métaphysique universel que requiert l’Unité transcendante des formes traditionnelles... ne constitue pas une
    synthèse proprement dite entre Exotérisme et Exotérisme." Tome II, page 49
    Il faut donc conserver la distinction entre l’exotérisme (qui est forcément pluraliste puisque les formes traditionnelles
    différent) et l’ésotérisme qui possède un "contenu universel".
    6 - Ce travail de distillation métaphysique et ésotérique ne saurait être demandé qu’à UNE ELITE
    "Notre propos ne s’adresse donc qu’au NOYAU INFIME, non pas de ceux qui sont déjà convaincus, ce qui serait inutile, mais
    20
    de ceux qui sont encore susceptibles de comprendre, leur petit nombre étant d’ailleurs sans influence sur la mentalité générale
    condamnée à l’ignorance ; ajoutons enfin que même si ce "noyau" n’existe pas, il reste encore une raison majeure d’écrire ces choses,
    à savoir qu’il n’est jamais inutile de proclamer la vérité, même s’il n’y a présentement aucun individu susceptible de la comprendre."
    Tome II, page 172
    7 - Dans quelles conditions ce "noyau infime" va-t-il être mis au travail ? En dehors de l’Eglise ou à l’intérieur ? Voici la
    réponse de l’Abbé Stéphane
    "Combien de fois, au cours de l’histoire, des âmes lassées de la mièvrerie et des bigoteries d’une religion affadie, ont tenté
    d’opérer ce retour aux sources ? Beaucoup d’auteurs sérieux reconnaissent là le point de départ d’un mouvement comme celui de
    la Réforme, précédé d’ailleurs d’un certain nombre de mouvements analogues. Leur erreur, pour la plupart, est d’avoir voulu le réaliser
    en dehors de l’Eglise, provoquant ainsi une rupture d’unité aussi défavorable à la réforme de l’Eglise qu’à un développement
    heureux des mouvements réformateurs
    "C’est donc DANS LE CADRE DE L’EGLISE, et en respectant les lignes essentielles de l’enseignement traditionnel, tout au
    moins dans leur esprit, que nous allons esquisser "un retour aux sources" et proposer de bâtir une morale évangélique à l’école de
    l’Apôtre et du Disciple bien aimé." Tome II, pages 89 - 90
    Cette dernière mention du "disciple bien aimé" cache-t-elle une référence discrète à quelque filière "Johannique" ? C’est
    possible mais le symptôme est trop mince pour que l’on puisse l’affirmer.
    8 - Dans quel milieu chrétien le noyau réformateur va-t-il devoir recruter des adhérents et travailler ensuite ?
    L’Esotérisme chrétien se présente comme une FORME TRADITIONNELLE parce qu’il s’oppose au monde moderne
    qui est matérialiste et à l’Eglise moderne qui est progressiste. Les milieux anti-progressistes sont donc particulièrement
    indiqués pour répandre l’Esotérisme chrétien, lequel se présentera donc comme ANTI-CONCILAIRE, dans la mesure où
    le Concile est PROGRESSISTE.
    Mais remarquons, en sens contraire, que l’Esotérisme chrétien milite en faveur de l’UNITE TRANSCENDANTE des
    religions. Il comptera donc fatalement au nombre des forces PRO-CONCILIAIRES dans la mesure où le Concile est OECUMENIQUE.
    Il faut donc nous attendre à retrouver des ésotéristes chrétiens à la fois dans l’Eglise conciliaire, où ils pousseront à
    l’oecuménisme et au pluralisme, et dans l’Eglise, anti-conciliaire où ils feront valoir leur "esprit traditionnel".
    9 - Quelle est la situation personnelle de l’Abbé Stéphane par rapport à ce réseau prosélytique ?
    L’école de l’ésotérisme chrétien est très ancienne. On peut faire remonter son origine au mouvement de la Rose-Croix,
    à la fin du XVIè Siècle. Par la suite, les grands doctrinaires de la franc-maçonnerie ne furent pas autre chose que des ésotéristes
    chrétiens. L’Abbé Stéphane n’est donc ni le fondateur, ni le chef de cette école. Cependant il a exercé une influence
    personnelle qui semble avoir été déterminante sur le noyau infime dont il vient de nous parler. C’est seulement après sa
    mort que l’école de l’ésotérisme chrétien, dans sa forme actuelle, s’est considérablement étendue et organisée. Une des
    premières manifestations extérieures de cette école de pensée est précisément la publication du livre posthume de l’Abbé
    Stéphane Introduction à l’Esotérisme Chrétien, dont nous terminons ici l’analyse succincte.
    CHAPITRE II : FRANÇOIS CHENIQUE
    François CHENIQUE est le compilateur de l’ouvrage que nous venons d’analyser dans le Chapitre I. C’est lui qui a
    établi le recueil posthume des écrits de l’Abbé Stéphane et qui lui a donné son titre. Il est donc la première personnalité
    qui se présente à l’esprit quand on veut recenser les membres de L’ECOLE DE L’ESOTERISME CHRETIEN. Grâce aux
    notes explicatives dont il a accompagné les deux tomes de ce recueil, nous savons que Fr. Chénique adhère à cette Ecole,
    dans l’ensemble comme dans le détail. Un document très symptomatique va nous assurer définitivement de son appartenance
    à l’Esotérisme chrétien. Il s’agit des "Actes de la Deuxième Rencontre Bouddhistes Chrétiens", rencontre organisée
    par l’INSTITUT KARMA-LING, à la Pentecôte 1984, sous la Présidence du Lama Denis Teundroup, au "Centre Bouddhiste
    de la Chartreuse Saint-Hugon".
    Ce colloque a été consacré à débattre sur le sujet suivant PAROLE ET SILENCE. Les "Actes" du colloque ont été publiés
    par les EDITIONS PRAJNA, à l’adresse de la Chartreuse Saint-Hugon, commune d’Arvillard, 73110 La Rochette. La
    conférence de Fr. Chénique à ce colloque avait pour titre : "Et la Parole s’est faite chair".
    INSTITUT KARMA-LING
    Quelles sont les activités habituelles de l’institut KARMA-LING, qui fut la "puissance invitante" du colloque de 1984 ?
    Les "Actes" nous présentent ces activités comme se déroulant sur quatre niveaux.
    - Au niveau le plus inférieur on trouve un Centre de Retraites. Il est constitué par des cellules, entourées d’une clôture
    dans laquelle, pendant trois années et trois mois, des retraitants venus de l’extérieur se livrent aux pratiques méditatives.
    Ces pratiques spirituelles constituent le coeur de la tradition KAGYUPA, ce qui signifie "la lignée de la pratique".
    - Le deuxième niveau correspond à la Communauté Permanente d’une trentaine de personnes qui se partagent entre
    l’étude, la prière, la méditation et les travaux.
    - Le troisième niveau est l’organisation de STAGES et de SESSIONS de méditation destinés aux Bouddhistes comme
    aussi aux non-bouddhistes qui souhaitent établir un premier contact avec l’Institut ou approfondir leur recherche.
    - Le niveau supérieur de l’activité de l’Institut Karma-Ling est celui de son orientation philosophique générale. C’est,
    nous dit-on, une ouverture vis à vis de toutes les traditions, mais aussi vis à vis de la pensée contemporaine. Et la note précise
    :
    21
    "L’enseignement bouddhiste prône la tolérance et notre père spirituel, le Très Vénérable Kalou Rimpotché, est l’incarnation
    (ce qui veut dire la réincarnation) de Jamgoeun Kontrul Rimpotché, le grand artisan, au siècle dernier, de ce que l’on appelle le
    mouvement oecuménique ou "sans parti" : le mouvement RIME de la tradition tibétaine."
    LES PARTICIPANTS AU COLLOQUE BOUDDHISTES-CHRETIENS
    Quels furent les PARTICIPANTS à ce colloque "Bouddhistes-chrétiens" de 1984 ? C’est le Docteur Schnetzler, psychiatre,
    qui procéda à leur présentation lors de la séance inaugurale.
    - Le R.P. Jean-Baptiste Simon-Vermot de l’Ordre des Chanoines réguliers de Saint-Augustin, appartenant à l’Abbaye de
    Saint Maurice d’Agaune, dans le Valais en Suisse. Il a séjourné pendant une quinzaine d’années à Kalimpong où il a eu
    l’occasion d’entrer en contact avec les traditions orientales.
    - Le Lama Denis Teundroup, qui est le supérieur du Centre de Saint Hugon. C’est un Lama Laïque de l’Ecole Kagyupa.
    C’est lui qui fut l’organisateur de toute la manifestation. Il a été longtemps le traducteur de Kalou Rimpotché, il a vécu
    avec lui dans l’Himalaya et il l’a accompagné dans ses voyages. Après avoir effectué la traditionnelle retraite de trois ans
    et trois mois, il s’est consacré, comme lama à la direction du Centre Saint Hugon.
    - Le R.P. Louis Chevalier. Ancien élève de Polytechnique, il est entré dans la Compagnie de Jésus, où il a travaillé pendant
    de très longues années en tant qu’aumônier d’étudiants. Il a été longtemps aumônier à l’Ecole Polytechnique.
    - Le Vénérable Thich-Thien-Chau, qui est un moine bouddhiste vietnamien, habitant depuis longtemps la France. Il appartient
    au "Grand Véhicule". Il est le Supérieur d’un monastère bouddhiste qui se trouve dans la banlieue Sud de Paris, à
    Orsay.
    - Le R.P. Dumortier, de l’Ordre du Carmel. Il n’était pas prévu qu’il participe à ces réunions ; il remplace le R.P. Mayeul
    de Dreuille qui assistait au colloque de 1983 mais qui n’a pas pu venir en 1984.
    - Le R.P. Paul Verdeyen, également de la Compagnie de Jésus. Il est professeur d’Histoire de la Spiritualité à la Faculté
    de Théologie d’Amsterdam. C’est un spécialiste de la mystique Rhéno-Flamande, avec laquelle le bouddhisme a des affinités
    particulières. Il fera une conférence sur Ruysbroeck.
    - François Chénique, informaticien de métier. Il assiste aux réunions de Saint Hugon en tant que spécialiste de la philosophie
    scolastique et du bouddhisme puisqu’il pratique simultanément les deux ordres de connaissance.
    - Le R.P. B. de Give, religieux cistercien. Il est à l’origine des colloques de Saint Hugon dont il est un des premiers à
    avoir eu l’idée. Il connaît très bien le bouddhisme à cause de ses séjours fréquents en Orient, et dans les monastères
    bouddhistes d’Europe. Il connaît la langue tibétaine.
    Il est facile de constater que tous ces conférenciers ont été choisis pour leur esprit d’oecuménisme. Ceux d’entre eux
    qui sont des religieux catholiques appartiennent à l’Eglise conciliaire. Tous sont acquis à l’idée d’une EQUIVALENCE
    GENERALE du Christianisme et du Bouddhisme. Car tel est le dénominateur commun exigé de tous les participants. Il
    s’agissait ensuite, pour chaque conférencier, de traiter des équivalences de détails dans certains cas particuliers, par exemple
    la mystique, les avatars, les symboles, l’initiation... Ce fut un colloque pour constater un accord préétabli et pour roder
    une argumentation en vue du prosélytisme. On peut dire, en somme, que ce fut un colloque de pastorale oecuménique.
    Parmi les conférenciers que nous venons de citer, il y en a deux qui sont à la fois chrétiens et bouddhistes. Ce sont le
    Docteur J.P. Schnetzler et François Chénique. Cependant les ouvrages du Dr Schnetzler font de lui un écrivain proprement
    bouddhiste : "La Méditation Bouddhiste, Bases, Théoriques et Techniques" (Dervy, 1979), "Comparaison entre l’Hésychasme
    et le Bouddhisme" (Prajna, 1983), "Non-Mental et Méditation" (Les Cahiers du Bouddhisme N° 2, 1984).
    Pour suivre la pensée et les activités de l’Ecole de l’ésotérisme chrétien, nous recourrons préférentiellement à François
    Chénique qui est beaucoup plus typique de cette école. Mentionnons ici son livre : "Le Yoga Spirituel de saint François
    d’Assise". Nous allons résumer la conférence qu’il a prononcée au colloque de Saint Hugon en 1984. Nous y retrouverons
    les thèmes que nous avons déjà rencontrés chez l’Abbé Stéphane.
    LA CONFERENCE DE FRANÇOIS CHENIQUE
    Le sujet de sa conférence à la Chartreuse de Saint Hugon était celui-ci : "ET LA PAROLE S’EST FAITE CHAIR". Selon
    son introduction, il se propose une double démonstration.
    - Il veut montrer d’abord que "la chair, au sens johannique du mot, signifie le cosmos tout entier".
    - Et ensuite il montrera que "le Verbe divin fait entendre sa voix de multiples façons."
    Nous voilà donc prévenus, il va :
    1° diluer "La chair" dans tout l’ensemble de l’Univers –
    2° et diluer "la Parole" à travers toute l’Histoire humaine.
    Son travail va consister à RELATIVISER l’Incarnation historique qui est "confessée" par la Religion chrétienne, pour
    mettre à sa place une "Incarnation" théorique et équivoque que l’on pourra appliquer aussi bien à Notre-Seigneur qu’à
    Son "Adversaire".
    1 - DILUTION DE LA CHAIR
    Quand on nous dit que le Verbe a revêtu la nature humaine, que veut-on nous faire comprendre ? Fr. Chenique va
    nous donner le sens ésotérique, et donc essentiel, de cette expression :
    "Il faut concevoir que la nature humaine du Verbe est une nature humaine dépourvue de personnalité. Autrement
    dit la nature humaine c’est nous tous, en tant que nous participons à cette nature... C’est cela que symbolise l’Ascen22
    sion. Ce n’est pas un corps qui monte au ciel, c’est la nature humaine comme telle."
    "Ce n’est pas un corps qui monte au ciel" nous dit Fr. Chenique. "C’est une nature humaine dépourvue de personnalité".
    La subtilité de ce bouddhiste est grande car, en effet la personnalité qui monte au Ciel, le jour de l’Ascension, n’est pas
    une "personnalité humaine" puisque Notre-Seigneur possède seulement la Personnalité divine en deux natures. Notre sophiste
    en profite pour nous suggérer que la nature humaine qui monte au ciel est une nature représentative et collective.
    Voilà donc "la chair" de l’Incarnation diluée dans l’ensemble de l’humanité. Il ne manque pas, ensuite, d’étendre cette dilution
    au cosmos tout entier.
    2 - DILUTION DE LA PAROLE
    On pouvait s’attendre évidemment à ce que le bouddhiste, qui est en même temps un ésotériste chrétien, fasse de Notre-
    Seigneur Jésus-Christ un AVATAR de la divinité.. Mais il précise bien qu’il s’agit d’un Avatar d’un type très spécial.
    Car on distingue les avataras majeurs et les avataras mineurs. Dans son Avènement terrestre, le Verbe Incarné peut être
    considéré comme un "Avatar plénier" (ou majeur). Mais sans préjudice des avataras mineurs qui peuvent avoir été les
    siens en d’autres circonstances. Par exemple le ROCHER de Moïse d’où l’eau a jailli était un avatara. De même l’ARCHE
    de Noë. - Le Verbe, la Parole se matérialise et se fait entendre de multiples façons et à de multiples degrés. Les Avataras
    de Vishnou sont de nature mineure. - Fr. Chénique maintient la notion d’Avatara en essayant de la christianiser.
    SYMBOLES ET SACREMENTS
    Comme corollaire de son sujet principal, Fr. Chenique est amené à définir ce qu’il entend par symboles. On peut facilement
    prévoir qu’il fournira une définition apte à satisfaire ensemble les bouddhistes et les ésotéristes chrétiens. Voici
    son texte :
    "LES SYMBOLES SONT DES SIGNES SENSIBLES, c’est-à-dire perceptibles par les sens de l’homme, qui renvoient à une
    réalité ou vérité qui leur est supérieure : ils signifient cette réalité supérieure et ils la rendent en quelque sorte PRÉSENTE."
    D’après lui donc, les symboles rendent présentes des réalités supérieures. On ne saurait accepter une pareille définition. En
    réalité les symboles n’ont qu’une valeur pédagogique. Ils évoquent à l’esprit les objets qu’ils figurent mais ils ne les rendent
    pas PRESENTS. C’est l’évidence même. Il y a là une hypertrophie qui constitue une véritable erreur. - Il est intéressant
    d’observer comment Fr. Chenique pense justifier ce jugement.
    Il veut, à un certain moment de sa conférence, donner des exemples de ces présentifications opérées par les symboles.
    Que va-t-il choisir comme exemples :
    "Il existe, dit-il, des symboles matériels : L’EAU du baptême, LE PAIN eucharistique, L’HUILE de la confirmation..."
    (Actes, pages 56).
    En somme, il veut fournir des exemples de symboles, et pour montrer leur puissance de "présentification", il est obligé
    de choisir des exemples de SACREMENTS. Des sacrements que ni sa religion exotérique le bouddhisme, ni sa filière ésotérique
    ne sont capables de reproduire.
    Le sacrement de l’Eglise OPERE CE QU’IL SIGNIFIE. Il est doué, de par son institution divine, d’une force opératoire.
    Le symbole se contente d’une force suggestive sur l’esprit.
    En assimilant le sacrement au symbole sous le rapport de la force opératoire, Fr. Chenique introduit l’illusion dans
    l’esprit de ses auditeurs qui seront conduits à penser que tout symbole est porteur d’une force analogue et qu’il peut,
    comme on le lui répète, PRESENTIFIER les réalités supérieures symbolisées.
    On retrouve ces idées, amplement développées dans les travaux du Pr. Borella sur le symbolisme. Ce sont d’ailleurs
    des conceptions très largement répandues chez les écrivains ésotériques.
    CREATION ET EMANATION
    Nous examinons les doctrines qui ont cours parmi les écrivains qui composent l’école de l’ésotérisme chrétien. Il faut
    donc que nous demandions à Fr. Chenique son opinion sur l’origine de l’Univers. Il nous en révèle l’essentiel au cours de
    sa conférence au Colloque Karma-Ling.
    On sait que deux doctrines sont en concurrence depuis toujours la doctrine de la création ex nihilo qui est celle de
    l’Eglise et la doctrine de l’Emanation qui est très largement répandue en dehors de l’Eglise. Rappelons rapidement ces
    deux doctrines afin de bien comprendre la position de Fr. Chenique.
    LA CREATION EX NIHILO. Dieu a créé l’univers de rien. Il a fait surgir l’univers là où il n’y avait rien. On ne saurait
    exagérer l’importance de ce principe qui a des répercussions innombrables dans la science de Dieu, dans les sciences de la
    nature et dans celles de l’homme. Comme corollaire de la création ex nihilo, l’Eglise enseigne que l’homme a été créé porteur
    de l’image et de la ressemblance de Dieu.
    L’image divine dont il est question ici se rapporte à l’état de nature. Cette image se reconnaît dans la constitution naturelle
    de l’homme. Après la chute, l’homme a conservé en lui l’image de Dieu puisqu’elle appartient à la nature.
    Qu’est-ce donc que cette image ? C’est un REFLET. L’image divine n’est pas une fraction de substance divine. Il y a autant
    de différence entre Dieu et Son image en l’homme qu’il y a de différence entre un arbre et son reflet à la surface de
    l’eau. Il existe un abîme entre le modèle divin et l’image humaine.
    La ressemblance se rapporte à l’ordre surnaturel. Elle consiste en la Sainteté de nos Premiers Parents qui avaient été
    revêtus de la grâce sanctifiante en raison de leur innocence. Après la chute, l’homme a perdu cette ressemblance surnaturelle.
    Il ne lui reste plus que l’image divine (reflet) puisque sa constitution naturelle ne lui a pas été enlevée, elle a seulement
    été blessée.
    L’EMANATION est une doctrine très ancienne et très répandue dans tout le monde non-chrétien. L’univers serait un
    23
    écoulement de la substance divine, écoulement qui va en se dégradant à proportion de ce qu’il s’éloigne de sa source. Le
    monde spirituel est proche du Principe et le monde matériel en est éloigné. Chez les émanatistes, le cosmos ne sera plus
    appelé "Création", mais MANIFESTATION, mot qui évoque mieux l’idée d’un écoulement substantiel. Il est bien évident
    que l’on rencontre des variantes entre les doctrines émanatistes, les unes étant plus "continues", les autres plus "discontinues".
    Mais dans toutes, il est logique que l’âme humaine, qui appartient au monde spirituel directement émané de Dieu,
    contienne un fragment de la substance spirituelle de Dieu, un germe divin. Ce germe divin tend, tout naturellement, à réintégrer
    sa source pour y reprendre la place qu’il avait à l’origine.
    Les deux doctrines, la créationiste et l’émanatiste, s’excluent l’une l’autre. Dans le créationisme l’homme est séparé de
    Dieu comme le reflet est séparé de son modèle, c’est-à-dire par un abîme. Dans l’émanation, il y a continuité entre Dieu et
    l’homme.
    Laquelle de ces deux conceptions, éminemment inconciliables, Fr. Chenique va-t-il adopter ? Se déclare-t-il créationiste
    ou émanatiste ? Il est difficile de le savoir car les paragraphes qu’il consacre à cette question sont très confus. L’un
    des plus clairs est celui-ci :
    "La création est, en référence à Dieu, en tant que VESTIGE, IMAGE et RESSEMBLANCE. - En tant que "vestige", elle se
    réfère à Dieu comme à son principe. - En tant que "ressemblance" comme étant un don infus.
    "Toute la création est vestige de Dieu, vestige qui est créé ; "image" qui connaît Dieu ; ressemblance en qui Dieu habite. - La
    coopération de Dieu avec sa créature se situe selon ces trois degrés.
    "Dieu coopère avec la créature qui est son vestige sous la forme de principe créateur". Actes, page 61).
    Ce court paragraphe est typique de l’ésotérisme chrétien. Car Fr. Chenique est bouddhiste mais il se déclare aussi
    chrétien. A première vue, on peut penser que la doctrine de l’origine de l’univers et de l’homme ici résumée peut
    s’insérer dans le christianisme puisqu’il y est question de création (et non pas de "manifestation") d’image et de ressemblance.
    La terminologie est catholique. Mais il faut bien constater que L’EMANATISME est également suggéré puisqu’on
    nous dit que la création est un VESTIGE de Dieu en tant que Principe Créateur. Or "vestige" éveille l’idée de fragment de
    substance rémanente.
    Il ne reste plus à l’ésotérisme chrétien qu’à faire passer le créationnisme comme une VARIANTE parmi les doctrines
    EMANATISTES. C’est l’impression durable que l’on retire de maints passages de R. Guénon, en particulier dans "L’Introduction
    à l’Etude des Doctrines Hindoues".
    INFORMATIONS COMPLEMENTAIRES
    En Septembre 1986 un nouveau colloque s’est tenu à la Chartreuse Saint Hugon, à l’initiative du Lama Denis
    Teundroup et du Docteur J.P. Schnetzler, sur le thème : L’Unité Transcendante des Religions. Les noms des intervenants
    sont intéressants à noter car ils appartiennent presque tous à l’école de l’ésotérisme chrétien
    - Paul BARBA-NEGRA qui a parlé des "Règles Universelles de l’Architecture, de la Géographie Sacrée et leur Oubli
    Moderne".
    - Jean-Pierre LAURANT : "Les Obstacles Culturels" (à la reconnaissance du principe de l’Unité transcendante des
    religions).
    - Le Père Jean-Yves LELOUP : "Le Saint-Esprit, Inspirateur de Vérité et d’Unité dans le Christianisme".
    - Michel MICHEL : "Le Scandale du Pluralisme religieux et les figures de Confrontation".
    - Jean-Pierre SCHNETZLER : "Les Obstacles psychologiques".
    - Serigne Amadou DRAME : "La Perspective de l’Islam".
    - Lama Denis TEUNDROUP : "L’Expérience mystique transcendante et sa Réalisation, Perspective bouddhiste".
    - Isaac TORDJMANN : "Le Point de Vue israélite".
    Le prochain colloque de St Hugon est prévu pour les 24 au 26 Avril 1992. Ce sera le second "interbouddhiste". Il aura
    pour thème LE NON-SOI. Les Chrétiens anciens participants (religieux ou laïcs) ne figurent plus au programme en
    qualité de conférenciers intervenants. Ils sont annoncés comme simples participants. Le Centre de Saint Hugon est
    devenu trop exclusivement bouddhiste et les ésotéristes chrétiens ont préféré marquer avec lui quelques distances tout en
    continuant à y venir en sympathisants extérieurs.
    CONCLUSION
    Si nous avons un peu insisté sur ce Colloque Karma-Ling, c’est pour bien faire remarquer que, finalement, l’école
    moderne de l’ésotérisme chrétien a été lancée au grand jour par un Bouddhiste. Car Fr. Chenique, qui lui a donné son
    nom et ses premiers statuts doctrinaux en publiant le livre de l’Abbé Stéphane, pratique simultanément le Christianisme
    et le Bouddhisme.
    C’est en toute logique que nous faisons figurer Fr. Chenique parmi ses membres. On y rangera aussi les conférenciers
    et les organisateurs des différents "Colloques de Saint Hugon". Nous les avons énumérés au début, puis à la fin du
    présent chapitre.
    Il nous reste à poursuivre notre investigation. C’est ce que nous allons faire en examinant les ouvrages du Pr. Borella.
    CHAPITRE III : JEAN BORELLA
    24
    Après L’Abbé Stéphane, que nous pouvons considérer, tout au moins dans une première approximation, comme l’initiateur
    en France de l’Ecole de l’Esotérisme chrétien dans sa version moderne, et après François Chénique qui est son
    compilateur et son premier commentateur, il est naturel que nous passions à Jean Borella puisqu’il est l’auteur de la préface
    et de la postface de "l’Introduction à l’Esotérisme Chrétien". Etudions donc successivement d’abord la préface puis la
    postface.
    PREFACE DE JEAN BORELLA A "L’INTRODUCTION A L’ESOTERISME CHRETIEN"
    Dans sa préface, Jean Borella, professeur de philosophie à Nancy II, se montre très favorable aux thèses exposées dans
    "l’Introduction à l’Esotérisme Chrétien". Il fait état de sa sympathie personnelle pour "le Père" qu’il a bien connu et dont il
    est visiblement heureux de présenter l’ouvrage.
    Nous noterons dans cette préface une remarque importante de J. Borella qui confirme ce que nous avons dit de la stratégie
    de l’Abbé Stéphane.
    Le préfacier fait ressortir une différence non négligeable qui sépare la méthode d’investigation de R. Guénon et celle
    de l’Abbé Stéphane. Pour découvrir l’Esotérisme chrétien, qu’il s’agit avant tout de mettre en évidence, les deux écrivains
    n’ont pas procédé de la même manière. On peut parler d’une "voie guénonienne" et d’une "voie stéphanienne".
    La voie guénonienne d’abord ; J. Borella nous la décrit ainsi :
    "Bien des lecteurs de Guénon admettent sans doute la pleine valeur de la tradition chrétienne. Ils cherchent, chez les grands
    spirituels chrétiens, par exemple chez Maître Eckart, des formulations qui rappellent étrangement d’autres formulations non chrétiennes.
    Ou bien, grâce à l’art sacré, ils établissent des correspondances entre des expressions symboliques géographiquement éloignées
    et pourtant étonnamment consonantes. Mais en tout cela, il s’agit presque toujours de METTRE ENTRE PARENTHESES
    la dogmatique officielle de l’Eglise catholique, dont LA DIMENSION ESOTERIQUE ne leur parait décelable que MALGRE
    L’EGLISE, ou EN DEHORS de ses formes reconnues".
    On comprend très bien. La "voie guénonienne" constitue un COMPARATISME HORIZONTAL. Il consiste à comparer
    toutes les religions, mises horizontalement sur un pied d’égalité, puis on leur découvre un Esotérisme commun. Et ce
    comparatisme se pratique malgré l’Eglise. Telle est la voie guénonienne.
    La voie stéphanienne maintenant :
    C’est un APPROFONDISSEMENT VERTICAL. Ici, on ne compare plus les religions entre elles. On ne considère (en
    principe tout au moins) que la seule Religion Chrétienne et on scrute ses dogmes jusqu’à ce que l’on y ait découvert des
    "dimensions ésotériques". J. Borella parle de la voie stéphanienne en ces termes :
    "Le propre de l’enseignement de l’Abbé Stéphane c’est de faire connaître la dimension proprement ésotérique de la dogmatique
    chrétienne... Cette voie s’efforce de reconnaître, dans la spécificité de chaque forme traditionnelle, la dimension gnostique ou métaphysique
    par où elle rejoint L’ABSOLU".
    En somme, la méthode de l’Abbé Stéphane consiste à faire ressortir un Esotérisme intrinsèque qui, selon lui, existerait
    déjà dans le dogme chrétien. L’Esotérisme ainsi mis à jour n’est plus "en marge" du dogme puisqu’il préexistait dans son
    tréfonds. On comprend que cette voie soit dite "verticale" puisqu’elle parvient à son but par un examen EN PROFONDEUR.
    Le préfacier précise encore :
    "Il s’agit de communiquer l’intelligence de ce qu’il y a de plus intérieur dans les mystères chrétiens, tels que l’Eglise nous les a
    transmis."
    Le résultat de ces deux voies, l’horizontale de Guénon et la verticale de l’Abbé Stéphane, est le même. Elles aboutissent
    toutes les deux au même prétendu "Esotérisme chrétien", c’est-à-dire à découvrir que, finalement, notre Religion est
    gnostique sans le savoir.
    Pour mettre à jour l’Esotérisme chrétien, l’Abbé Stéphane et le Pr Borella, qui l’approuve entièrement, vont RESTER
    DANS L’EGLISE et se déclarer éminemment respectueux de ses dogmes. Seulement ils creuseront la doctrine catholique
    pour y découvrir l’ésotérisme latent qui se cache dans son tréfonds, comme il se cache au tréfonds de toutes les religions.
    Notons cependant, pour notre part, que cette prétention à la recherche uniquement verticale est tout à fait théorique.
    Dans la pratique, l’Abbé Stéphane, comme aussi le Pr Borella, ne s’interdisent nullement les comparaisons avec les religions
    orientales. C’est même chez eux une démarche constante.
    Au cours de cette préface (qui n’est pas longue puisqu’elle ne compte que cinq pages) J. Borella nous renseigne sur les
    principaux auteurs qui ont formé le jugement de l’Abbé Stéphane :
    - R. GUENON. Il a lu toute son oeuvre. Ce qui l’a le plus frappé c’est la métaphysique, le symbolisme et la critique du
    monde moderne. Les considérations sur l’initiation lui demeurèrent toujours assez étrangères.
    - Frithjof SCHUON dont l’autorité ne lui parut pas moins grande et qui, sur la mystique chrétienne et universelle, projetait
    pour lui des lumières uniques.
    - Vladimir LOSSKY et Paul EVDOKIMOV qui sont les écrivains de l’Eglise orientale et qui ont initié l’Abbé Stéphane au
    monde des icônes et à la liturgie iconique.
    - Jean TOURNIAC et J. Palou l’ont renseigné sur la franc-maçonnerie dans ses rapports avec le Christianisme.
    LA POSTFACE
    Dès les premiers mots de la postface, J. Borella déclare que le rôle d’un postfacier est différent de celui d’un préfacier:
    "Le préfacier a pour tâche de fournir les éléments qu’il estime nécessaires à la compréhension de l’oeuvre qu’il présente,
    sans qu’il puisse faire état de son propre sentiment. Le postfacier doit préciser sa pensée
    25
    - lorsqu’elle différe, au moins en apparence, de celle de l’auteur,
    - et plus encore, lorsqu’il s’agit de ce qui fait le sujet de ce livre, à savoir, l’Esotérisme chrétien".
    Nous prévoyons, par conséquent que , d’élogieux qu’il était à l’égard de l’Abbé Stéphane dans la préface, J. Borella va
    maintenant devenir critique. Mais de fait, cette position critique va se réduire à un reproche unique et sans grande portée.
    Il estime que l’Abbé Stéphane s’est montré trop dépendant de R. Guénon sur la question de l’Esotérisme des sacrements
    de l’Eglise.
    Voici comment se pose cette question. R. Guénon affirme qu’à l’origine la doctrine chrétienne était exclusivement ésotérique
    et que, de plus, les sacrements présentaient le caractère initiatique. Par la suite, l’extension populaire du christianisme
    a fait descendre la doctrine au stade de la vulgarisation, c’est-à-dire au stade exotérique. Quant aux sacrements, en
    devenant exotériques eux aussi, ils ont perdu leur caractère initiatique. Telle est la thèse de R. Guénon.
    J. Borella n’admet pas cette thèse gnénonienne et il regrette que l’Abbé Stéphane l’ait adoptée. Il explique, dans sa
    postface, qu’à son avis, certains sacrements chrétiens ont conservé leur nature initiatique. Il ajoute que les sacrements,
    comme aussi la doctrine, sont A LA FOIS ESOTERIQUES ET EXOTERIQUES. Et il en donne cette raison que dans la Personne
    de Jésus, le Verbe Incarné, la distinction de l’Esotérisme et de l’Exotérisme est abolie :
    "C’est en vertu même de son Principe fondateur que le christianisme ignore, d’une certaine manière, la distinction radicale
    des deux ordres".
    En conséquence de ce principe, estime-t-il, les sacrements de l’Eglise sont ésotériques dans la mesure où ils sont "célestes",
    comme Celui qui les a institués, et ils sont en même temps exotériques dans la mesure où ils sont "légaux", c’est-àdire
    réglementés par l’Eglise terrestre.
    En somme, J. Borella ne sépare pas l’Esotérisme et l’Exotérisme. Il les mélange. Position qui va lui permettre d’affecter
    d’un coefficient ésotérique, c’est-à-dire gnostique, tout l’ensemble de l’enseignement et des pratiques de l’Eglise.
    L’attitude critique qu’il annonçait, au début de la postface, à l’égard de l’Abbé Stéphane n’est donc que très relative.
    La divergence, si divergence il y a , se résume ainsi :
    R. Guénon et l’Abbé Stéphane disent que les sacrements chrétiens sont exotériques. Non, dit J. Borella, ils sont à la fois
    exotériques et ésotériques, ainsi que le Christ qui les a institués.
    On se demande pourquoi J. Borella a pris tant de précautions oratoires pour signaler une divergence aussi minime.
    Il reste que J. Borella adopte, à quelques nuances près, les positions ésotérognostiques de l’Abbé Stéphane et que l’on
    peut le considérer lui-même comme appartenant vraiment à "l’Ecole de l’Esotérisme Chrétien".
    Mais nous ne voulons pas refermer ce texte de la postface sans avoir noté un trait qui caractérise le style et le raisonnement
    de J. Borella parce que nous le retrouverons dans toute son oeuvre. C’est le goût (mais aussi le talent car cela exige
    une grande maîtrise de la langue) de cheminer entre des notions inconciliables avec l’ambition de les concilier. Prenons
    un exemple :
    J. Borella pose, avec raison d’ailleurs, une question que l’on ne peut pas éluder : existe-t-il, dans l’Eglise, une HIERARCHIE
    PARALLELE ESOTERIQUE ? Il répond à cette question par la négative, estimant qu’une telle hiérarchie
    parallèle n’existe pas. Cette réponse ne peut que lui attirer la sympathie des traditionalistes actuels, qui ne demandent
    qu’à être tranquillisés sur ce chapitre. L’Eglise n’abrite pas, au sommet de sa hiérarchie, une société secrète. Voilà qui est
    rassurant pour des oreilles traditionnelles.
    Mais à cette affirmation, il en ajoute une autre qui milite en sens contraire. Il estime que le Christ a dispensé aux Apôtres
    un ENSEIGNEMENT SECRET. Il invoque, en faveur de cette opinion, l’autorité du cardinal Daniélou et la publication
    "Eranos Jahrbuch" de l’année 1962. Or, c’est une publication typiquement jungienne et même gnostique, dans laquelle
    on n’est pas étonné de rencontrer cette vieille légende invariablement soutenue par ceux qui voudraient faire de l’Eglise
    une sorte de franc-maçonnerie.
    Remarquons pour notre part que si N.S.J.C. avait dispensé, à l’origine, un enseignement secret réservé aux seuls Apôtres,
    il aurait, par le fait même, donné, à la hiérarchie ecclésiastique, la structure d’une société secrète. Comment un enseignement
    caché se serait-il perpétué sans une quelconque cellule ésotérique au sommet de la succession apostolique. Par
    conséquent les deux affirmations de J. Borella
    - d’une part : "il n’existe pas dans l’Eglise une hiérarchie parallèle ésotérique" ;
    - et d’autre part : "il y a à l’origine un enseignement secret de Jésus-Christ" ;
    Ces deux affirmations, pourtant rapprochées sous sa plume, ne sont guère compatibles l’une avec l’autre.
    La mention d’un enseignement originel caché plaira aux confrères ésotéristes. Inversement la négation énergique
    d’une hiérarchie parallèle secrète plaira aux bons traditionalistes du rang qui se sentiront tranquillisés.
    Rappelons ici, encore une fois et sans plus attendre, ce qui est enseigné par la saine doctrine, en cette matière.
    Les livres canoniques du Nouveau Testament ne contiennent pas la totalité de ce qui a été enseigné par Notre-
    Seigneur JESUS-CHRIST. Les Apôtres ont professé aussi un ENSEIGNEMENT ORAL qui porte le nom de TRADITION
    APOSTOLIQUE, du fait de son origine. Tradition dont l’Eglise est "Gardienne et Maîtresse" (Custos et Magistra). La "Tradition
    Apostolique" n’est pas reconnue par les protestants, lesquels n’admettent que l’Ecriture (Sola Scriptura). D’abord
    orale, la Tradition apostolique a été fixée dans les documents liturgiques, épigraphiques, patristiques... C’est là, quand le
    besoin s’en fait sentir, que l’Eglise, avec l’assistance du Saint-Esprit, va rechercher la Tradition, qui est l’une des formes de
    la Révélation divine.
    Au cours des premiers siècles, les persécutions des Empereurs romains, mais aussi les efforts de détournements doctrinaux
    exercés par les gnostiques et par les hérétiques ont obligé le Magistère à imposer, pendant une certaine période,
    une discipline de discrétion que l’on a appelée LA DISCIPLINE DE L’ARCANE. La liturgie chrétienne ne devait pas être
    divulguée afin de ne pas lui faire courir le risque de la profanation par des païens fanatiques. Mais cette discipline a été
    26
    abandonnée quand prirent fin les causes momentanées qui lui avaient donné naissance.
    Tel est le processus décrit par tous les historiens ecclésiastiques. Il n’a jamais été sérieusement question d’un Esotérisme
    à l’origine de la Religion Chrétienne. C’est un mythe, périodiquement exhumé et qui appartient au romanesque rosicrucien.
    En réalité, tout s’explique beaucoup plus simplement.
    LA CHARITE PROFANEE
    On peut dire, sans rien forcer, que le Pr J. Borella a entrepris de faire campagne en faveur de l’Esotérisme chrétien
    dont il est devenu le plus typique et le plus ardent défenseur. Nous ne pourrons pas donner ici le compte rendu complet
    des oeuvres de cet écrivain dont la production, déjà abondante, augmente sans cesse. Nous choisirons de lui quelques ouvrages
    caractéristiques et nous en fournirons une analyse succincte.
    Commençons par "LA CHARITE PROFANEE", qui a pour sous-titre "Subversion de l’Ame Chrétienne" et qui a parue
    en 1979 aux "Editions du Cèdre", sous le patronage de l’Abbé Luc Lefèvre, également directeur de la revue "La Pensée Catholique"
    à laquelle le Pr J. Borella collabore.
    La "Charité Profanée" est un gros livre de plus de 400 pages que bien peu de personnes ont lu avec attention, parce
    que la lecture en est ardue pour des raisons de forme et de fond sur lesquelles nous reviendrons.
    Comme c’est déjà le cas pour "L’Introduction à l’Esotérisme Chrétien" de l’Abbé Stéphane, nous trouverons, dans "La
    Charité Profanée" du Pr J. Borella, des éléments ésotériques et des éléments authentiquement chrétiens.
    Mais la proportion de ces éléments n’est pas la même chez les deux auteurs. L’ésotérisme, surtout dans sa forme hindouiste,
    est plus important chez l’Abbé Stéphane. Et c’est l’élément chrétien qui domine chez le Pr Borella.
    Pourquoi cette différence ? Elle tient à ceci : l’Abbé Stéphane écrivait pour un public extrêmement réduit de fidèles visiteurs
    que l’on peut considérer comme de véritables adeptes et devant lesquels il pouvait s’exprimer sans crainte parce
    qu’ils étaient déjà acquis à l’ésotérisme. Tandis que le Pr Borella s’adresse à un public de catholiques traditionalistes qui
    se méfient instinctivement de l’ésotérisme et auxquels on ne peut le proposer que moyennant beaucoup de précautions.
    Dans la construction du Pr Borella, nous allons donc trouver une prédominance de pierres proprement chrétiennes
    encadrant des pierres gnostiques. C’est l’impression générale de christianisme qui va dominer. L’ésotérisme sera beaucoup
    plus subtil et difficile à discerner.
    ELEMENTS DE CATHOLICISME AUTHENTIQUE
    Nous constatons tout d’abord qu’il fait une excellente critique de l’Eglise moderne qu’il oppose à l’Eglise du moyenâge.
    Il ne ménage ses éloges ni à la période patristique, ni à celle de la scolastique. Mais il estime (et il n’est pas le seul)
    qu’une grave déviation de la société européenne, et donc aussi de l’Eglise latine, est intervenue à partir de la Renaissance.
    Déviation qui s’est répercutée évidemment sur la Théologie.
    Il manifeste son hostilité au PROTESTANTISME. On se souvient que c’était aussi l’attitude de R. Guénon et de l’Abbé
    Stéphane.
    Il attribue à MARX et à FREUD une grande responsabilité dans les désordres des temps modernes.
    Il fait de vifs reproches aux théologiens PROGRESSISTES comme le Père I. Bultman (Le maître de Marburg) et le Père
    P. Schillebeckx.
    Il critique opiniâtrement L’HYPER-THOMISME de l’entre-deux-guerres à qui il reproche, à juste titre d’ailleurs :
    - d’avoir rationalisé le raisonnement théologique,
    - et d’avoir sous-estimé la théologie mystique et le symbolisme traditionnel.
    Enfin, le Pr Borella fait une excellente critique du Concile Vatican II. Il fait à bon droit remarquer que "les hommes de
    progrès" poussent, depuis la période de l’humanisme, des clameurs contre l’Eglise :
    "Ah ! ce long cri de mort qui roule d’âge en âge, cette clameur si continue que deux mille cervelles conciliaires ne l’ont pas entendue,
    ce vacarme déicide que deux mille évêques ont pris pour le tonnerre du Saint-Esprit, secouant les murailles du Vatican"
    (p. 422).
    Un peu plus bas, il parle des
    "Chrétiens conciliaires qui, sur les ordres d’un PONTIFE AVEUGLE, ouvraient les portes de bronze d’une Eglise assiégée depuis
    quatre cents ans. Alors on vit se dresser, dans le temple dévasté, le rouge étendard de la Révolution universelle où flamboyait
    en lettres noires, l’ordre de Satan : "Place à l’athéisme purificateur" (p. 423).
    Pour terminer l’énumération de ces doléances forts justifiées, nous reproduisons en photocopie les premières lignes de
    la conclusion générale de l’ouvrage. Le Pr Borella s’y fait l’écho des graves irrégularités canoniques qui ont troublé le déroulement
    normal du Concile.
    CONCLUSION
    Nous voici parvenu au terme de notre voyage spirituel. Sans doute nous accusera-t-on, après tant de considérations
    métaphysiques, d’avoir ignoré la charité dans sa plus simple signification : celle de l’entraide fraternelle. Ou
    bien, à l’opposé, l’on nous reprochera de n’avoir pas construit un traité systématique. Mais comment, sans trahir
    l’amour, parler le langage de la charité triomphaliste, et comment épuiser, dans un discours, l’inépuisable mystère caritatif
    ? Nous avons seulement cherché à retrouver le sens véritable de la charité du Christ, car c’est au nom d’une charité
    fausse et corrompue que des chrétiens ont entrepris la destruction de notre Religion. Leur armée nombreuse, partout
    répandue, se couvre du pavois conciliaire. Mais ce pavois est une imposture, puisque ce concile est leur oeuvre si
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    bien que tout ce qu’on peut en dire, s’énonce ainsi : s’il ne proféra point l’hérésie ce que Dieu ne saurait permettre, il
    en a rendu possible, à titre de cause occasionnelle, l’universelle manifestation.
    C’est qu’en effet, la lutte contre l’erreur, les droits de l’Eglise, la défense d’un héritage sacré, tout cela paraissait décevant
    et finalement exécrable à la majorité des évêques conciliaires (1). L’héritage sacré n’avait pas à être défendu.
    Sans doute parce qu’il n’était pas attaqué ? Sans doute parce que la civilisation humaine est tellement imprégnée de
    christianisme, les hommes modernes sont devenus de si parfaits chrétiens, qu’il n’y a plus pour l’Eglise de menace et
    de combat.
    (1) Le 5 octobre 1968, Mgr Dupont, du diocèse de Lille, prononçait un discours pour célébrer "l’acte historique" de
    l’allocution du cardinal Liénart, le 13 octobre 1962, à l’ouverture du Concile :
    «Tout semblait bien préparé pour que le travail fût confié à des hommes sûrs qui continueraient l’oeuvre déjà entreprise
    et consignée dans quelques schémas des plus décevants où il n’était question que des droits de l’Eglise et d’un
    savant système de défense de cet héritage sacré». Mais «malgré le règlement qui ne prévoyait pas de débat préalable et...
    l’humeur hésitante du Cardinal Tisserant», le Cardinal Liénart demanda de surseoir aux votes des membres des commissions
    conciliaires (La Documentation catholique, 15 juin 1969, p. 599). Les réformateurs reconnaissent ainsi que le
    Concile a été détourné complètement de sa voie première. Dès lors c’en était fait de tout le travail préparatoire. Cet
    événement nous parait également historique. Mais à quels signes pourrons-nous savoir indubitablement qu’il fut un
    effet du Saint-Esprit, ainsi que le prétendent aujourd’hui tant de clercs et d’évêques ? (La Charité Profanée, p. 421)
    De tels jugements, de telles prises de position ne peuvent que disposer favorablement les catholiques traditionalistes
    auxquels "La Charité Profanée" s’adresse de toute évidence puisqu’elle constitue un éreintement du progressisme.
    A cette critique, déjà excellente, vient s’ajouter une érudition très étendue en matière de patrologie grecque et latine.
    En les choisissant bien, on peut citer des passages qui ne sont entachés d’aucun ésotérisme et qui reflètent une parfaite orthodoxie.
    On rencontre aussi, chez le Pr Borella de fréquentes protestations de fidélité à L’INDESTRUCTIBLE COHERENCE DE
    LA DOGMATIQUE CATHOLIQUE (p. 384). Le lecteur moyen, qui est aussi un lecteur pressé comme nous le sommes
    tous en ces temps survoltés, acquiert la rapide et facile conviction que cet ouvrage est sûr et même de tendance particulièrement
    traditionnelle.
    QUELQUES TRAITS CARACTERISTIQUES
    On peut observer, dans l’ouvrage "La Charité Profanée", quelques traits généraux qui sont caractéristiques, non seulement
    de J. Borella et de tous ses ouvrages, mais aussi de tous les auteurs de l’école néo-gnostique car c’est ainsi que l’on
    peut nommer l’école de l’ésotérisme chrétien. Parmi ces traits généraux, nous n’en retiendrons que deux pour ne pas nous
    surcharger :
    1 - La Religiosité : les écrivains néo-gnostiques sont incontestablement des "esprits religieux"
    2 - La Volubilité : leurs ouvrages sont écrits dans un style particulier, très riche en vocabulaire et très lyrique.
    LA RELIGIOSITE. Comme tous les écrivains néo-gnostiques, le Pr Borella est un esprit éminemment religieux. On
    peut dire que, dans une large mesure, c’est un écrivain SPIRITUEL. Il fait preuve d’une RELIGIOSITE parfois même vibrante.
    Il souffre de ce que le monde moderne soit désacralisé. Il travaille avec ardeur à lui rendre sa "dimension sacrée"
    et cela même à l’excès puisqu’il va, en maints endroits, jusqu’à sacraliser l’univers entier. Il est en droit de se dire gnostique
    et il n’y manque d’ailleurs pas. Les gnostiques se sont toujours proclamés des âmes PNEUMATIQUES, au sens du
    radical grec pneuma, esprit, souffle.
    Spirituel, religieux, gnostique, pneumatique, ce sont là les épithètes qui conviennent à tous les écrivains de l’école ésotériste
    chrétienne. Ils manifestent une incontestable religiosité. Nous disons "religiosité" car leur orthodoxie est tout à fait
    problématique et l’on ne saurait les considérer comme appartenant à la vraie Religion. Ils sont zélés pour la religion certes
    mais c’est une religion qu’ils se confectionnent eux-mêmes.
    Leurs doctrines font certes courir des dangers à la Vraie Religion, mais ce n’est pas parce qu’ils cherchent à la détruire.
    Au contraire ils prétendent l’exalter. Ils veulent la sauver du matérialisme et de l’athéisme qui la rongent, mais c’est en lui
    faisant subir une transformation interne dans le sens de la gnose, de l’ésotérisme et de l’oecuménisme.
    De sorte que le catholicisme authentiquement traditionnel est attaqué aujourd’hui, non plus seulement par des francsmaçons
    athées d’éducation encyclopédique et socialiste, mais aussi par des SPIRITUELS ARDENTS qui ne prétendent pas
    le ruiner mais au contraire le réformer en lui redonnant ses racines qu’il a lui-même oublié.
    LA VOLUBILITE. Le style du Pr Borella présente une incroyable richesse d’expressions. Il sait redire les mêmes choses
    sous des formes indéfiniment renouvelées. L’étendue de son érudition est pour beaucoup dans cette VOLUBILITE véritablement
    géniale.
    Mais il en résulte un incontestable fourmillement de mots qui nuit beaucoup à la clarté de la démonstration. Le Pr Borella
    ne clarifie pas les sujets qu’il traite. Le plus fréquemment il les embrouille. On comprend souvent mieux avant la lecture
    de J. Borella qu’après l’avoir lu. Et il n’y a là rien que de très normal. Toute gnose s’accompagne immanquablement
    d’un certain brouillard.
    Il faut remarquer en effet que ce style si typiquement INSAISISSABLE, en grande partie du fait de sa volubilité même,
    se retrouve chez la plupart des auteurs de l’école néo-gnostique. C’est comme une marque de fabrique. C’est une nécessité
    d’exposition. La pensée gnostique est, par construction, une pensée dynamique mais obscure, pour ne pas dire ténébreuse.
    C’est une pensée belliqueuse mais passionnée. Elle n’est pas sereine comme la pensée théologique classique. Il y a
    un "style néo-gnostique", avec ses tournures spécifiques, comme il y a eu, dans les années 50 et 60, chez les démocrates
    chrétiens, un "style progressiste" dont on s’est tant moqué à juste titre.
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    Nous en avons terminé avec les deux TRAITS GENERAUX qui caractérisent l’ouvrage "La Charité Profanée" religiosité
    et volubilité.
    Il est temps maintenant de nous demander quel est le CONTENU NOTIONNEL de cet ésotérisme chrétien dont nous
    avons déjà tant parlé comme discipline d’esprit mais sans dire vraiment en quoi il consiste. C’est précisément ce que nous
    allons faire dans les paragraphes qui suivent, en nous réduisant, bien entendu, à ce qui en est exprimé dans "La Charité
    Profanée". D’autres ouvrages du Pr Borella contiennent d’autres éléments de l’ésotérisme chrétien. Nous les examinerons,
    à leur tour, par la suite.
    LE CONTENU NOTIONNEL DE L’ESOTERISME CHRETIEN
    Pour l’essentiel, le raisonnement tenu par le Pr Borella dans "La Charité Profanée" est simple. La Charité a été profanée
    par les théologiens modernistes qui ont voulu l’adapter au monde. Ils l’ont DESACRALISEE. Elle a été profanée par eux
    en ce sens qu’elle a été laïcisée. Ils l’ont réduite à une philanthropie naturelle, à une solidarité naturelle. L’auteur montre,
    avec raison d’ailleurs, qu’il faut redonner sa valeur surnaturelle à la Charité, car elle est la projection terrestre de la Charité
    divine qui embrase les Personnes de la Sainte Trinité.
    Un livre de 400 pages n’était pas nécessaire pour mener à bien un tel raisonnement. Si l’ouvrage a pris une telle importance,
    c’est qu’il a été pour l’auteur, l’occasion d’exposer toute une théologie et toute une métaphysique dans lesquelles il
    a inclus, avec à la fois beaucoup d’habileté et beaucoup d’aplomb, une proportion importante d’Esotérisme. Nous allons
    retrouver là tous les thèmes que nous avons déjà rencontrés chez l’Abbé Stéphane. Mais, sous la plume de J. Borella, le
    revêtement chrétien est beaucoup plus soigné et nous n’aurons pas les mêmes traits à faire remarquer. Nous examinerons
    successivement les éléments constitutifs de l’ésotérisme chrétien tels qu’on les rencontre dans "La Charité Profanée".
    - Les Trois Mondes
    - Les Deux Ames de l’Homme
    - La Déification par Nature
    - Le Thème Alchimique
    - L’Androgyne
    - Une Opposition Apparente : Gnose et Gnosticisme
    - Le Christianisme est à la fois Exotérique et Esotérique - La Théarchie Suressentielle
    - La Signature Rosicrucienne de "La Charité Profanée"
    LES TROIS MONDES
    L’adhésion du Pr Borella à la théorie des "trois mondes" ne fait aucun doute. Nous avons vu que l’Abbé Stéphane y
    adhère aussi, comme c’est le cas de tous les membres de cette école.
    A la différence de la doctrine chrétienne qui ne compte, dans la création, que le monde des corps et le monde des esprits,
    la doctrine ésotérique compte trois mondes. Le Pr Borella les distingue comme suit:
    - le monde matériel, ou physique,
    - le monde subtil, ou psychique, ou animique, ou vital, ou INTERMEDIAIRE,
    - le monde intelligible, ou spirituel, ou angélique, ou "sémantique".
    La Charité Profanée (passages soulignés par Jean Vaquié):
    2) Les trois mondes
    Il s’agit pour nous de faire comprendre que la réalité créée, le cosmos, la nature, l’univers ou de quelque nom
    qu’on l’appelle, ne se réduit pas au monte corporel ou matériel, même quand on l’envisage dans toute son ampleur ,
    c’est-à-dire en y incluant évidemment les amas galactiques et hypergalactiques les plus lointains. La création comporte
    en vérité deux autres "mondes" ou degrés de réalité que la philosophia perennis designe sous les termes de monde subtil,
    ou psychique, ou animique, ou vital, ou encore "intermédiaire" pour le premier et de monde intelligible, ou spirituel,
    ou angélique, ou même "sémantique" (chez Ruyer pour le second (1)
    (1) Sémantique, ici, ne désigne pas la science des significations des mots, comme dans «="Traité de Sémantique",
    mais l’adjectif de "sens", et veut dire : ce dont la réalité est de l’ordre du sens.
    Le Pr Borella veut ensuite établir une représentation graphique de ces trois mondes et de leurs positions relatives. Il
    n’a, pour cela, qu’à reproduire le schéma couramment employé dans les ouvrages ésotériques. Il fait précéder ce schéma
    d’une explication :
    - le monde corporel est représenté par une droite,
    - le monde intermédiaire par un plan,
    - le monde spirituel par un volume.
    La Charité Profanée, p. 109 (passages soulignés par Jean Vaquié):
    Selon un symbolisme géométrique, qui respecte les "rapports d’indéfinitésé" que l’on peut observer entre eux, le
    premier monde sera représenté par une droite (indéfinie à la première puissance), le monde subtil par un plan (qui,
    renfermant une indéfinité de droites, est ni défini à la deuxième puissance), le monde spirituel par un volume (indéfini
    à la troisième puissance). Inversement, le monde subtil apparaît comme une limitation du monde spirituel par réduction
    du volume au plan, et le monde corporel comme limitation du monde subtil, par réduction du plan à la
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    droite. Cela montre que le degré corporel, si vaste qu’il paraisse aux yeux de l’homme moderne, n’est qu’une limitation
    dérisoire comparé au monde psychique, et, a fortiori au monde spirituel. C’est pourquoi la Révélation peut parler
    de la "multitude innombrable des anges". Enfin, il faut envisager un quatrième degré : le monde divin. N étant pas, à
    proprement parler, un monde, on pour le désigner par l’expression de Métacosme Il n’est pas non plus figurable
    géométriquement, ce qui signifie qu’il échappe à toutes limitations : il n’est plus indéfini, mais réellement infini.
    L’ampleur respective de chaque monde est évidemment fonction du nombre des conditions qui le définissent. Ainsi
    le monde corporel (ou grossier) est déterminé (limité) par des conditions telles que l’espace, la matière quantifiée, le
    temps, le mouvement, la forme. Le monde subtil n’est pas soumis à la condition spatiale, ni à la matière quantifiée (1).
    Cependant, il est encore soumis au temps, ou plutôt à la durée, au mouvement c’est-à-dire à la vie, et à la forme, c’està-
    dire à l’organisation individuelle. Au niveau du monde spirituel, la durée disparaît et fait place à la permanence, la
    vie et la forme individuelle (fermée sur elle-même) font place à l’unité de l’acte et du sens, à l’essence en acte, à l’être
    intelligible, qui n’est pas lui-même par fermeture sur soi et refus des autres êtres comme l’être vivant, mais qui est luimême
    par sa propre affirmation rayonnante et non exclusive. Nous pouvons en avoir une idée si nous comparons des
    figures géométriques et des couleurs ou des qualités. Les figures s’opposent et s’excluent par leurs contours fermés sur
    eux-mêmes, les couleurs se distinguent et rayonnent les unes sur les autres par leurs qualités propres.
    (1) Le psychique est donc transpatial. Beaucoup de personnes sont prises de vertige devant l’immensité de l’espace,
    et cherchent vainement une limite spatiale, un bord de l’espace : il n’y en a évidemment pas. Toutefois, la
    moindre réalité subtile (une pensée par exemple) est en dehors de l’espace. C’est l’espace lui-même, tout indéfini
    qu’il soit, qui est une limitation.
    A vrai dire le monde psychique est supérieur au monde corporel seulement en vertu de son moindre degré de
    limitation, mais non pas sous tous les rapports et particulièrement pour ce qui concerne les contenus qualitatifs de
    l’un et de l’autre. Il y a dans le monde corporel des êtres plus nobles, plus qualitatifs que certains êtres du monde
    subtil et c’est pourquoi on peut aussi parler du monde psychique inférieur (au monde corporel). Au demeurant, et
    cette remarque est d’importance, la limitation ultime que le corporel impose au subtil n’a pas seulement un aspect
    négatif. En fixant ou en coagulant le monde subtil, le corporel le sauve d’une certaine manière de sa tendance constitutive
    à l’expansion indéfinie. Le monde psychique inférieur rend compte de l’existence des démons et des forces
    diaboliques.
    30
    LES DEUX AMES DE L’HOMME
    Les Esotéristes, qu’ils soient chrétiens ou non, n’ont pas manqué d’étendre la théorie des trois mondes au composé
    humain, puisque l’homme est la synthèse de tous les élément constitutifs qui existent dans la création. D’après eux :
    - le CORPS appartient au monde matériel,
    - l’AME VEGETATIVE appartient au monde intermédiaire,
    - l’ESPRIT appartient au monde spirituel.
    Dans "La Charité Profanée", le Pr Borella traite longuement du TERNAIRE HUMAIN (par exemple, pages 174 et suivantes).
    L’homme posséderait donc deux âmes distinctes, constituées de deux substances différentes puisque appartenant
    à deux mondes différents.
    La querelle entre cette doctrine et celle de l’Eglise réside en ceci :
    - L’orthodoxie romaine admet dans l’âme humaine l’existence de DEUX FONCTIONS, mais elle précise que ces deux
    fonctions sont remplies par la même substance spirituelle. L’homme n’a donc qu’une seule âme, mais qui exerce deux offices.
    L’extrémité haute de cette même âme tend vers Dieu qu’elle atteint plus ou moins selon ses bonnes dispositions.
    - Dans la doctrine ésotérique au contraire, il ne s’agit pas seulement de deux fonctions mais de DEUX SUBSTANCES
    de natures différentes.
    L’auteur de "La Charité Profanée" attache la plus grande importance à la distinction, et même mieux à la séparation,
    du psychique et du spirituel. Si la charité a pu être "profanée", si on lui a fait si facilement abandonner le spirituel et si on
    l’a rabaissée au niveau du psychisme, dit-il, c’est parce que la barrière entre le spirituel et le psychique n’a pas été suffisamment
    perçue.
    Et il invoque en faveur de cette séparation de l’âme en deux natures distinctes, un grand nombre de passages de l’Ecriture
    tant de l’Ancien que du Nouveau Testament. Mais quand on les lit attentivement, on s’aperçoit que ces textes n’im31
    posent nullement la dualité des natures, c’est-à-dire l’existence de deux âmes, et que même ils se comprennent bien
    mieux si on les réduit à enseigner la dualité des fonctions.
    Nous donnons ci-dessous le graphique établi par le Pr Borella pour schématiser les trois composantes de l’homme et
    donc les deux composantes de l’âme (page 150 de la "Charité Profanée" à la page suivante).
    Et nous le faisons suivre par les explications qu’il fournit lui-même un peu plus bas (pages 200 et 201) sous le titre "Le
    Ternaire Humain dans la Tradition Chrétienne".
    On verra avec quelle habileté et avec quel aplomb, le Pr Borella tire argument de la démonstration de saint Thomas
    qui lui est pourtant contraire.
    Saint Thomas, en effet, montre que l’âme intuitive possède, en plus de sa faculté intuitive, une faculté sensitive qui
    l’unit au corps. Socrate, dit-il, n’est pas homme par une âme et animal par une autre âme; il est homme et animal par une
    seule et même âme, c’est-à-dire par l’âme intellective qui a aussi une faculté sensitive.
    Le Pr Borella estime que ce raisonnement milite en sa faveur et il en tire argument pour justifier son résumé du TERNAIRE
    humain . "vivre, sentir, intelliger" sont les TROIS PARTIES de l’être humain (page 187).
    Or, Saint Thomas vient précisément de démontrer qu’il n’y en a que deux puisque la faculté de "sentir" et la faculté
    "d’intelliger" sont assumées par la seule âme intellective.
    LA DEIFICATION PAR LA NATURE
    Nous avons déjà rencontré, chez l’Abbé Stéphane, le problème de la déification des élus après la mort. "La Charité
    Profanée" du Pr Borella consacre de nombreuses pages à ce même problème. Le statut éternel des élus est envisagé très
    différemment dans les religions orientales et dans l’Eglise catholique.
    Les religions orientales, et à leur suite l’ésotérisme et la gnose d’Occident, enseignent L’IDENTITE SUPREME, c’est-àdire
    la "fusion" radicale de l’âme humaine dans la Divinité. Il faudrait même dire la "confusion" puisque les deux substances,
    humaine et divine, se confondent. C’est ce que l’on appelle L’UNION ENTITATIVE, autrement dit l’immersion de
    l’entité humaine dans l’entité divine. Ces deux entités sont considérées comme se fondant tout naturellement l’une dans
    l’autre puisque, dans ces philosophies, l’âme humaine est une parcelle détachée de la Divinité. Après la mort, elle fait retour
    à son origine, par un processus conforme à la nature.
    L’enseignement catholique, sur ce point comme sur tant d’autres, est nettement différent puisqu’il comporte :
    - La RESURRECTION de la chair (l’élu est au Ciel avec son corps glorieux).
    - Et la PARTICIPATION à la vie divine. Participation qui laisse subsister la personnalité de l’élu qui contemple Dieu
    "face à face" (Version Béatifique).
    Le Pr Borella passe de l’une à l’autre de ces solutions. Il adopte l’enseignement catholique verbalement et à titre exotérique,
    mais aussi l’enseignement oriental quand il passe à un plus haut degré d’approfondissement.
    Ses prises de positions "catholiques" sont fortement affirmées. Il n’accepte pas, déclare-t-il, l’IDENTIFICATION MASSIVE,
    c’est-à-dire l’immersion radicale de l’âme dans la Divinité avec perte de personnalité.
    Ce refus de "l’identification massive" une fois affirmé, l’auteur va creuser le problème en utilisant les conceptions de
    l’Abbé Stéphane et celles de R. Guénon. Voici comment. L’âme de l’élu entre dans la CIRCUMINCESSION trinitaire (Abbé
    Stéphane). Or, c’est par la circumincession que "la relativité des Hypostases trinitaires s’épanouit et s’unifie au sein
    même de l’Absolu".
    C’est aussi ce que va faire, dans l’ésotérisme du Pr Borella, l’âme de l’élu : elle va s’UNIFIER AU SEIN MEME DE
    L’ABSOLU. Et quel est cet Absolu ? C’est d’abord cet "inconcevable au-delà de Dieu" (voir le passage suivant), dont il
    parle lui-même. Mais c’est aussi le PRINCIPE SUPREME que R. Guénon place au sommet de sa construction métaphysique.
    C’est bien de lui qu’il s’agit puisque le Pr Borella précise, dans le même texte, que, par l’unification de l’âme au sein de
    l’Absolu, "se réalise ce que l’on a parfois appelé l’IDENTITE SUPREME". Et qui l’a appelé ainsi ? C’est précisément R.
    Guénon.
    J. Borella nous a fait glisser insensiblement et basculer dans la métaphysique "non-duèle" de Guénon. C’est la doctrine
    de l’ADWAITA qui n’est, prétend Guénon, ni dualiste, ni moniste. C’est la doctrine à laquelle adhère le Pr. Borella. De
    sorte que nous pouvons résumer ainsi la position du Pr Borella sur la question de la déification :
    - Il repousse comme DUALISTE (après en avoir accepté le principe à titre exotérique) la participation à la vie divine
    avec conservation de la personnalité. Car cette conception laisse subsister la DUALITE Créateur-Créature.
    - Il repousse aussi, mais comme MONISTE cette fois, "l’union entitative" avec perte de la personnalité, car dans ce cas,
    il y a massification dans le cosmos. C’est une solution panthéiste.
    - Et il préconise, comme NON-DUELE, l’unification au sein de l’Absolu. Car l’Absolu (ou Principe Suprême) transcende
    tout : la matière et l’esprit, le bien et le mal, la dualité comme aussi l’unité.
    Nous donnons sous le schéma de la page 150, une page "Identité et distinction dans la déification" assez caractéristique
    du raisonnement de J. Borella (passages soulignés par Jean Vaquié). Mais il faut savoir que c’est une page entre un grand
    nombre d’autres. On verra que les notions chrétiennes et les notions ésotériques et orientales y sont entremêlées.
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    PAGE 150 DE LA CHARITE PROFANEE
    2) Identité et distinction dans la déification
    Cette entrée de la créature dans la circumincession trinitaire s’effectue précisément par la spiration d’amour. Cela
    veut dire qu’en Dieu la créature ne cessera de se donner éternellement au Créateur, et c’est pourquoi la charité ne passera
    pas, car elle est l’éternel passage du relatif à l’Absolu. Ainsi se réalise ce que l’on a parfois appelé l’Identité suprême.
    Faut-il craindre d’y voir, avec certains neo-thomistes, l’hérésie d’une union "entitative" avec Dieu ? Sans doute
    est-ce là une erreur bien souvent commise, à laquelle nous avons déjà donné le nom d’identification massive. Mais la
    33
    vérité est bien éloignée de ces simplifications grossières, aussi bien en Orient qu’en Occident. C’est au contraire en réalisant
    intégralement sa nature de créature, que l’être relatif peut seulement être rendu participant de la Nature divine.
    L’homme naturel et profane croit à la réalité autonome et indépendante de son être. Ce faisant il se prend pour
    Dieu et s’attribue une perfection qui n’appartient qu’à l’Etre absolu. Il ment à sa nature d’être créé. Quelle est donc la
    vérité de cette nature ? C’est que l’être créé est un être reçu, un être donné. Dans l’exacte mesure où l’être humain
    prend une conscience ontologique du don de l’être il laisse l’Etre divin s’écouler en Lui. Dans l’exacte mesure où la
    créature s’anéantit et se donne au Créateur, elle cesse de faire obstacle à cet écoulement de l’Etre, et non seulement
    elle n’y fait plus obstacle, mais encore elle le désire et_ ne veut rien d’autre que Lui, et devient cet écoulement luimême.
    Elle est enfin pure créature, elle est enfin cet inconcevable au-delà de Dieu, où Dieu peut répandre l’irrésistible
    effusion de son Infinitude. Elle ne veut plus rien que ce que veut l’Essence divine. Elle ne peut plus rien vouloir
    d’autre que l’Essence divine Elle-même. Et puisque l’Essence a voulu cette créature, elle consent enfin à s’offrir comme
    réceptacle à cette volonté éternelle, parce qu’elle a enfin compris qu’en cette créature qu’elle est, c’est l’Essence incréée
    qui se voulait Elle-même. Oui il y a une vérité plus haute que celle qui prétend nier, sur leur propre plan, l’irréductible
    dualité du Créateur et de la créature ; une vérité plus profonde que celle qui prêtent aspirer à une union telle qu’enfin
    la création soit entièrement résorbée dans l’homogénéité d’un Absolu massif, ce dont, assurément, aucune grande métaphysique
    n’a jamais rêvé. Il y a la vérité de la suprême Déité, qui, étant au-delà de la dualité, comme de l’unité, les
    contient et les conçoit en Elle de manière immaculée, si bien qu’en Elle seulement le relatif et le créé sont ce qu’ils
    doivent être. De ce mystère qui est au-delà du langage et que pourtant l’intellect perçoit en un éclair, la Charité est la
    substance à tous les degrés de sa réalité, depuis la main secourable qu’un frère tend à son frère, et par laquelle la dualité
    des êtres est enfin justifiée, jusqu’à la spiration d’amour qui souffle éternellement entre le Père et le Fils, et par où
    la relativité des Hypostases trinitaires_ s’épanouit et s’unifie au sein même de l’Absolu.
    LE THEME ALCHIMIQUE
    Le Pr. Borella milite pour introduire le mot ALCHIMIE dans le vocabulaire de la philosophie chrétienne et de la théologie.
    Lisons ce qu’il écrit, aux pages 102 et 103 de "la Charité Profanée", sous le titre "La Construction de l’Homme selon
    la méthode philosophique".
    "La méthode philosophique doit donc entrelacer deux thèmes
    - Celui d’une recherche de soi qui conduit à la réalisation de l’être par sa transformation, thème alchimique.
    - Et celui d’une description objective de la structure anthropologique, thème doctrinal.
    ... Enfin, faisant retour au thème alchimique initial, nous parviendrons au terme du sentier de la connaissance intérieure,
    au mystère de la personne".
    Il va employer le mot alchimie dans le sens général de TRANSFORMATION. Tout ce qui est transformation sera
    considéré comme "alchimie cosmique" ou comme alchimie spirituelle ou comme crucifixion alchimique :
    - Une "alchimie cosmique" parce que l’univers est le siège d’une transformation permanente et qu’il évolue vers une
    TRANSMUTATION finale.
    - Une "alchimie spirituelle" parce que notre sanctification est une lente transformation. "La Charité est le ferment alchimique
    de notre déification : elle opère la distinction du psychique et du spirituel" (page 414). Distinction qui est
    comme une "distillation".
    - Une "crucifixion alchimique" parce que la crucifixion réalise la grande transformation du monde.
    J. Borella voudrait donner l’exemple d’une "alchimisation" de la théologie. La théologie, selon lui, sera beaucoup plus
    près de la nature des choses quand elle aura consenti à s’exprimer en termes alchimiques.
    Nous reproduisons ci-dessous le paragraphe intitulé "Alchimie Cosmique". On y apprendra que le Saint Esprit est le
    VERITABLE ALCHIMISTE de l’Univers parce qu’il "réalise ses coagulations intelligibles que sont les créatures en les
    unissant à la matière". Le Christ est la "vraie pierre philosophale". Et la Vierge Marie, pour sa part, est l’ATHANOR universel.
    L’athanor, c’est le four des alchimistes.
    (La Charité Profanée, p. 353, passages soulignés par Jean Vaquié)
    2) L’alchimie cosmique
    L’oeuvre de la materia est donc explicitée dans la figure mariale. Grâce à la parfaite réceptivité de sa parfaite passivité,
    la Vierge-Materia contraint en quelque sorte l’Esprit Créateur à répandre son flux existenciateur dans l’indéfinité
    cosmique des Eaux primordiales pour qu’y naissent les "verbes-formes" de toutes les créatures, de même que la parfaite
    humilité de Marie offre son néant à l’adombration paraclétique pour que le Verbe puisse y prendre chair.
    Il est donc clair que, là comme ici, la matière ne peut recevoir la forme que par l’opération de l’Esprit Saint. La
    forme, dont le prototype sacré est le Christ-Verbe, exige, pour sa manifestation, la charité mariale de la materia, dans sa
    pure réceptivité, mais aussi la Charité hypostatique de l’Esprit, dans sa pure Effusion. A la couture du composé matière-
    forme, il y a l’amour du Pneuma divin.
    C’est à l’aide de ces trois éléments, la forme, la matière et le Pneuma que se réalise l’alchimie cosmique. Nous avons
    vu comment, au point le plus bas de la création, la matière virginale constitue l’en deçà divin à partir duquel l’autreque-
    Dieu, peut faire retour au Principe. Mais ce retour passe aussi et nécessairement par la médiation de la forme,
    puisqu’elle est comme "le souvenir cosmique" des archétypes métacosmiques, puisque les verbes créés sont les images
    du Verbe incréé, Médiateur unique et Relation hypostatique. De même que le Verbe est descendu dans l’homme pour
    que l’homme monte en Dieu, de même les Archétypes divins sont descendus dans le créé pour que le créé remonte
    dans le Verbe divin. Enfin, l’Amour hypostatique établit la circumincession cosmique, Lui qui "meut le soleil et les
    34
    étoiles". Il est le vouloir de la forme qui s’ouvre intérieurement à l’universalité des êtres créés, et qui aspire à tomber
    vers le Principe. Nous retrouvons ainsi le symbolisme alchimique du solve et coagula que nous avons déjà évoqué. Le
    Saint-Esprit réalise ses coagulations intelligibles que sont les créatures en les unissant à une matière, et les dissout ensuite
    dans la circumincession de l’Amour cosmique, puis de l’Amour divin, où elles réalisent leur prototype incréé. Le
    Saint-Esprit est le véritable alchimiste, le Verbe de Sagesse est la vraie Pierre philosophale, et la Vierge est le véritable
    Athanor. Le solve et coagula cosmologique est également énoncé par saint Maxime le Confesseur :
    « L’essence des choses... a été en mouvement et l’est toujours, selon le mode de la dilatation et de la contraction
    (diastolé et systolé). Car elle se meut à partir du genre le plus général à travers les genres plus restreints vers les espèces,
    par lesquelles et en lesquelles elle se trouve divisée, progressant jusqu’aux espèces les plus spécifiées auxquelles
    s’arrête sa dilatation et qui délimite son être vers le bas ; en retour elle est rassemblée à partir des espèces
    les plus spécifiées à travers les genres restreints, en remontant jusqu’au genre le plus général où sa contraction
    prend fin, limitant son être vers le haut (1)»
    On aura remarqué que l’interprétation du mouvement diastole-systole est inverse de celle que nous avons donnée
    pour solve et coagula. Mais en réalité ces deux interprétations sont complémentaires. Ce qui est contraction par rapport
    à la créature est dilatation par irradiation du point de vue de Dieu, source irradiante, et réciproquement. Il ne saurait y
    avoir de point de vue absolu. Nous pouvons aussi bien représenter le Principe par un point, centre transcendant de la
    sphère cosmique, que par une sphere infinie qui enveloppe de toutes parts le point cosmique.
    (1) Amb., 91, 1345 BC, cité d’après : Urs von Balthazar, Liturgie cosmique.Aubier, p. 108. Il faut lire, dans cet ouvrage,
    les textes de saint Maxime et leurs commentaires, au chapitre : Les Synthèses cosmologiques.
    Le paragraphe intitulé "La crucifixion Alchimique" est trop long pour être photocopié tout entier. Le commencement
    et la fin suffiront pour que l’on puisse s’en faire une idée. Il ne fait d’ailleurs que reproduire le raisonnement de R. Guénon
    dans son ouvrage "Le Symbolisme de la Croix". C’est à une véritable trituration alchimique que se livre R. Guénon, et
    à sa suite le Pr Borella, sur le symbole de la Croix qui subit de leur part des permutations successives pour aboutir à une
    sphère, laquelle, nous apprend-on, est un symbole beaucoup plus universel et beaucoup plus parfait que la Croix.
    On n’aura pas de mal à se convaincre que, sous prétexte de creuser le symbolisme de la croix, ces deux doctrinaires
    coalisés, Guénon et Borella, l’ont HYPERTROPHIE et en ont finalement renversé la signification. Nous n’allons pas trop
    loin en affirmant que la Croix, hypertrophiée en sphère, débarrassée qu’elle est du Verbe Incarné, n’attend plus que d’être
    occupé par l’ANDROGYNE. C’est précisément de l’androgyne que nous allons nous occuper dans le paragraphe suivant.
    (La Charité Profanée, p. 233, passages soulignés par Jean Vaquié)
    4) La Crucifixion alchimique
    C’est aussi ce qui figure la Croix elle-même, qui sépare et qui unit. Dans cette perspective, on peut dire que la branche
    horizontale, où meurt l’ego naturel, représente la séparation du pneuma et de la psyché. Mais l’axe vertical rétablit
    et réalise leur union. «Si exaltatus omnia ad Me traham». «Si je suis exalté, j’attirerai tout à Moi». Cela signifie que c’est
    l’exaltation, qui réalise et donne son sens à la direction horizontale (ou ampleur). Ou encore, c’est la transcendance qui
    donne la clef de l’immanence. Leur identité réside dans le Moi divin (ad Me) qui est le point suprême d’où la Croix de
    la transcendance-immanence jaillit comme un Soleil de gloire. Mais ce rayonnement est aussi une attraction (traham,
    j’attirerai). Ce qui sort de Dieu ramène à Dieu. La Croix est centrifuge et centripète. Elle est l’irradiation de l’Amour
    divin, en même temps qu’elle absorbe toute extériorité par les vibrations intériorisantes de ce même Amour. Et c’est
    pourquoi l’Amour est le lien de la perfection, puisque c’est par lui que s’accomplit la perfection de toute l’OEuvre divine.
    Cette double fonction de la Croix apparaît dans le renversement des orientations symboliques ; dans la représentation
    précédente Marie et saint Jean symbolisaient l’âme et l’intellect relativement à l’axe vertical et par là-même
    étaient situés sur une même horizontale. Quand on adopte la deuxième représentation, le pneuma et la psyché sont hiérarchisés
    par rapport à une distinction horizontale et sont donc verticalisés. Chacun de ces deux points de vue exprime
    à sa manière le mystère de l’immanence-transcendance ; seul le Centre est immobile et immuable. Le premier
    point de vue est à la fois inférieur et supérieur au second. Dans l’homme déchu, la confusion égoïque met sur le même
    plan le spirituel et l’animique. Il n’existe alors qu’une seule direction; la direction verticale, l’arbre du bien et du mal,
    qui, par là même qu’il partage selon la verticalité, coupe la réalité en deux et oppose dans l’illusion en les mettant sur
    le même plan, des réalités qui en vérité, étant hiérarchiquement subordonnées, ne peuvent s’opposer. La confusion
    égoïque détruit dans le microcosme humain la séparation des "eaux supérieures et des eaux inférieures" par laquelle
    Dieu réalise l’alchimie de la création macrocosmique. Il faut donc rétablir cette séparation ; c’est l’oeuvre de la branche
    horizontale de la Croix qui rend manifeste la distinction du Ciel et de la Terre quant au macrocosme, du pneuma et
    de la psyché quant au microcosme. Voici les bras tendus de Dieu, crucifiés d’Orient en Occident, et ses paumes transpercées
    déchirent l’Existence universelle. Voici notre horizon divin, droites épaules, force des bras, mains de bénédiction,
    portant le poids de l’Océan intelligible, jusqu’à la fin des temps, jusqu’au dernier jour, lorsque les Eaux supérieures
    s’écrouleront en cataracte, pour engloutir le Monde sous la Miséricorde éternelle.
    La branche horizontale étant résorbée, à l’instant intemporel du jugement, l’axe de la transcendance partagera élus
    et réprouvés, à la droite et à la gauche du Père, jusqu’à l’apocatastase, jusqu’à la résolution finale où l’axe divin se résorbera
    à son tour dans le Point suprême dont il n’était en vérité jamais sorti.
    (La Charité Profanée,p. 239, passages soulignés par Jean Vaquié)
    C’est alors que le mystère de la croix fait place au mystère de la sphère. L’entrée dans le Coeur transpercé est immersion
    dans l’Amour divin lui-même, Sphère infinie où sont résorbées et abolies toutes les déterminations cruciales.
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    C’est ce qu’indique le texte même de saint Paul : «que vous puissiez, dis-je, connaître la charité du Christ, qui passe
    toute connaissance, et qu’ainsi vous soyez plénifiés afin d’entrer dans toute la Plénitude de Dieu». La Plénitude de
    Dieu, le Plérôme divin (plerôma dans le texte grec), c’est la sphère infinie de la Réalité divine, non point Dieu envisagé
    dans sa pure Ipséité, mais plutôt, symboliquement parlant, le "lieu" infini nécessaire à son déploiement illimité, la "matrice"
    incréée dans laquelle Dieu conçoit son Verbe ; matrice qui est ainsi "pleine" de Dieu, et à laquelle s’identifient
    mystérieusement toutes les matrices crées, lorsqu’elles sont plénifiées par la science de la croix d’amour. Un cube, une
    croix, une sphère : alchimie d’amour et de connaissance. Un cube, la terre, dont la croix représente la structure intelligible,
    grâce à la médiation sacrificielle de laquelle le cube terrestre, résorbé dans le point crucial, est intégré au Plerôma
    la Sphère universelle de l’Absolu. Mais en sens inverse, la croix in divinis est la détermination principielle de la Sphère
    infinie, car c’est elle qui détermine la connaissance de l’Absolu, c’est-à-dire la connaissance que l’Absolu a de Luimême,
    et qui "passe toute connaissance". Ainsi la croix intégrée dans la sphère, exprime le mystère de la gnose suprême,
    où l’amour accède à la perfection de son essence la plus profonde et qui est la connaissance pure : la croix dans
    la sphère, mystère de l’Etoile éternelle.
    Où mènera cette ALCHIMISATION de la théologie ? Il n’est pas difficile de le prévoir. Elle va donner droit de cité à
    toute une littérature, alchimique et religieuse à la fois, qui attend qu’on lui ait ouvert les portes.
    C’est une littérature attrayante, luxuriante et volubile. Riche en formules grandiloquentes dans le genre de celle-ci :
    "Ainsi, la sagesse étant la synthèse originaire et terminale de toute la création, dans l’ordre de l’alchimie spirituelle,
    où viennent confluer toutes les transformations sanctificatrices..." (La Charité Profanée, page 411).
    Ces auteurs "alchimistes", généralement franc-maçons, s’emparent de tous les sujets religieux pour les embrouiller, les
    naturaliser et les relativiser, sous prétexte d’aller au fond des choses. L’alchimie spirituelle propose une religion et surtout
    une mystique bizarre, équivoque et oecuménique. C’est immanquablement à cela qu’aboutira l’alchimisation de la terminologie
    religieuse à laquelle travaille le Pr Borella.
    L’ANDROGYNE
    On sait que, dans les raisonnements des néo-gnostiques, le concept d’androgyne peut se retrouver à trois niveaux. On
    rencontre en effet :
    - Un androgyne CELESTE, qui est le prototype ou "archétype général".
    - Un androgyne PRIMORDIAL, appelé aussi "ancestral", qui n’est autre que Adam avant la formation d’Eve.
    - Un androgyne ESCHATOLOGIQUE, c’est-à-dire final. La forme qui nous est promise après la résurrection est celle
    de l’androgyne. Chaque homme sera alors affublé de son double androgynique sans lequel, dit-on, il n’y a pas d’équilibre
    possible.
    Le Pr Borella incorpore cette théorie androgynique à son système. Il y ajoute même une androgynie mariale explicite
    que l’on rencontrait rarement il y a seulement quelques années.
    Cette androgynie universelle, il la rattache à deux principes qui sont d’ailleurs liés l’un à l’autre :
    - La BIPOLARITE UNIVERSELLE, sans aller toutefois jusqu’à prononcer les mots de "Purusha" et "Prakriti" qui sont
    les noms des pôles actifs et passifs dans le vedanta de R. Guénon. Mais si les mots n’y sont pas, les notions sont tacitement
    présentes.
    - La MATERNITE HYPOSTATIQUE du Saint-Esprit, qui est un des grands axiomes trinitaires de "La Charité Profanée".
    En bon gnostique, le Pr Borella veut élucider le mystère de la procréation.
    Pourquoi Dieu a-t-il choisi le moyen de la reproduction bisexuée pour le recrutement du genre humain ? Le Professeur
    élucide ce mystère en posant comme principe que la Divinité est, elle-même, le siège d’une reproduction bisexuée
    permanente. C’est pourquoi, il parle de la "maternité hypostatique du Saint-Esprit". En somme, il explique la loi de la nature
    en soumettant Dieu à cette même loi.
    Pour ne pas encourir le reproche d’interpréter avec exagération la pensée et l’expression de J. Borella sur ce chapitre
    délicat, nous allons citer quelques passages de "La Charité Profanée" qui ne laissent place à aucun doute.
    1 - Définissant la nature de "l’Eros" par comparaison avec "la Philia", J. Borella s’exprime ainsi :
    "Selon la nature, l’éros manifeste la polarité cosmique masculin-féminin, dont le prototype symbolique est la polarité
    du Ciel et de la Terre. L’énergie de l’éros, qui porte les sexes l’un vers l’autre, a son principe dans le désir de reconstituer
    l’Androgyne primordial. Comme tel, cet amour n’est pas amour d’une personne, mais de la nature masculine ou
    féminine." Page 305.
    2 - A la page suivante, on retrouve l’affirmation nette d’un Androgyne primordial :
    "La relation préexistante à l’éros des amants, en effet, est fondée sur la préexistence de l’Androgyne primordial en
    qui l’homme et la femme sont unis au commencement du monde." Page 308.
    3 - Un peu plus loin nous allons atteindre le monde des archétypes avec l’idée d’un Androgyne céleste qui n’est autre
    que le Christ :
    "La sacralisation de l’éros, c’est le mariage ; la relation d’unité, conformément à la structure de l’Amour en général,
    y est assumée par le Christ dans sa fonction d’Androgyne céleste, car en Lui, dit saint Paul, il n’y a plus ni homme ni
    femme, ce que représente l’icône de la Déisis." Pages 310-311.
    4 - Enfin voici l’apparition d’une androgynie mariale. Le mot n’est pas prononcé dans "La Charité Profanée" mais la
    chose est clairement suggérée :
    "…la réalité la plus profonde de l’être marial n’est pas de nature féminine, mais au delà de la distinction masculin36
    féminin." Page 344.
    Ces quatre citations (et l’on pourrait en ajouter d’autres) montrent que l’auteur de "La Charité Profanée" souscrit, sans
    contestation possible, à la théorie de l’androgyne.
    Nous avons déjà fait remarquer, pour l’avoir rencontrée chez l’Abbé Stéphane, l’incompatibilité totale de cette théorie
    avec la doctrine chrétienne. Et nous en avons donné les raisons.
    L’Incarnation est l’un des grands mystères de la Religion. On l’énonce toujours après celui de la Sainte Trinité et avant
    celui de la Rédemption. Et il est certain que la reproduction bisexuée, comme mode de recrutement du "choeur des hommes",
    est l’un des éléments de ce mystère. Dieu ne nous demande pas d’élucider ce mystère mais de le contempler. Or la
    première fois, au cours de "l’oeuvre des six jours", qu’il fait apparaître les symboles de l’homme et de la femme par excellence,
    c’est au quatrième jour. En ce quatrième jour le Soleil, symbole de Jésus et la Lune, symbole de Marie, apparaissent
    SIMULTANEMENT. Ils ne proviennent pas d’un astre unique préexistant qui les aurait contenus tous les deux virtuellement.
    Ce que Dieu nous demande de contempler, dans le ciel du quatrième jour, c’est ce mystère-là celui de Jésus et Marie
    apparaissent en symboles, tous les deux en même temps et distinctement l’un de l’autre.
    Il n’a jamais été enseigné dans l’Ecriture, ou dans la Tradition Apostolique, ou du fait du Magistère :
    - ni que Adam ait été androgyne,
    - ni que Jésus-Christ l’ait été aussi,
    - ni que nous le deviendrons dans l’autre monde.
    La femme apparaît, dans la genèse, comme étant la partition d’un être masculin et non pas d’un être androgyne.
    INVERSEMENT l’androgynie est une très ancienne notion païenne qui a traversé le Moyen-Age grâce aux alchimistes.
    L’androgyne a toujours été, dans l’iconographie universelle, l’un des symboles représentant le démon. Vouloir maintenant
    réhabiliter cette forme monstrueuse en l’entourant de soi-disant preuves théologiques, c’est prêter la main à celui qui
    cherche, depuis des siècles, à s’introduire dans l’Eglise, sous une forme équivoque, pour finalement s’y faire adorer à la
    place de Jésus-Christ.
    UNE OPPOSITION APPARENTE : GNOSE ET GNOSTICISME
    Il suffit de parcourir, même rapidement, "La Charité Profanée" pour s’apercevoir que le mot gnose y est largement utilisé.
    Et il l’est sous une définition elle-même très large. La gnose est la science des choses divines dans le sens le plus
    étendu. Tel qu’il est employé dans le livre, ce terme englobe, ou mieux synthétise trois éléments constitutifs :
    - la SCIENCE livresque de Dieu telle qu’on la trouve dans les livres sacrés et dans les définitions du Magistère.
    - La CONNAISSANCE intuitive de Dieu telle qu’elle résulte de l’expérience mystique.
    - La DOCTRINE ESOTERIQUE qui approfondit et élucide les mystères divins par référence à une certaine tradition.
    C’est dans ce sens global que le terme de gnose est employé de fait dans l’ouvrage que nous analysons. La gnose dont
    on nous entretient est donc la synthèse de la théologie spéculative, de la théologie mystique et de la doctrine ésotérique.
    Et il serait éminemment bénéfique, nous dit-on, que cette "connaissance sacrée" soit cultivée, sous le nom de gnose qui lui
    convient particulièrement bien, dans le Christianisme. Cette religion, aujourd’hui touchée à mort par le rationalisme, retrouverait
    ainsi toute l’ardeur de sa jeunesse. Telle est la gnose au vrai nom. C’est une connaissance sacrée, d’abord par son
    objet qui est Dieu, mais sacrée aussi par son mode d’acquisition qui est "une participation à la connaissance que Dieu a de luimême"
    (l’auteur fait allusion aux états mystiques).
    Le Pr Borella n’ignore pas que, malheureusement, il existe aussi une gnose au nom trompeur, qui est une collection d’erreurs
    et qui n’a de gnostique que le nom et la prétention. Le nom qui lui convient en réalité est celui de GNOSTICISME.
    Voici la définition que le Professeur donne du gnosticisme. Il vient de fournir les caractéristiques de ce qu’il entend par
    "bonne gnose" ou connaissance sacrée des choses divines et il passe à la définition de la "gnose au nom trompeur", c’est-àdire
    du gnosticisme ; il s’exprime alors ainsi :
    "Le terme (de gnose) cependant sert aussi à caractériser une hérésie des premiers siècles du christianisme qui est, en vérité un
    angélisme, et à laquelle il conviendrait de réserver proprement la dénomination de gnosticisme. Ce gnosticisme se définit par deux
    traits essentiels : le refus de la création et de l’Incarnation d’une part, et, d’autre part, la prétention de réduire la Vérité et sa Révélation
    à des schémas mentaux (en note : à cet égard le philosophisme de Hegel et le panthéisme teilhardien sont du gnosticisme) en
    perdant de vue Sa dimension irréductiblement surintelligible." Page 388.
    Une autre définition, très voisine d’ailleurs, du gnosticisme "historique", également donnée dans "La Charité Profanée",
    mérite d’être reproduite ici :
    "Le grand ouvrage de saint Irénée, l’Adversus Hæreses, est dirigé contre le gnosticisme valentinien qui était alors très répandu
    en Gaule. Les gnosticistes, schématisant à l’excès des catégories pauliniennes, distinguaient trois sortes d’hommes, les "hyliques",
    les "psychiques" et les "pneumatiques", selon la tendance qui prédominait en eux." Page 188.
    Tels sont les reproches que J. Borella adresse au gnosticisme des premiers siècles de notre ère. Que reproche-t-il au
    gnosticisme actuel ? Il n’en dit pas grand chose dans "La Charité Profanée". C’est dans ses autres livres ou articles qu’il
    faut rechercher ses griefs. Les voici en résumé : le gnosticisme actuel véhicule la croyance en la réincarnation en même
    temps qu’un hindouisme de pacotille axé sur l’obtention de pouvoirs magiques. Tout le panthéisme ambiant de la pensée
    moderne est une forme du gnosticisme, lequel est donc éminemment haïssable et doit même être considéré comme satanique.
    Le gnosticisme, essentiellement mauvais, est par conséquent, selon le Pr Borella, aux antipodes de la gnose, laquelle
    est essentiellement bonne.
    Bref d’un côté la "bonne gnose" qui n’est autre que la théologie spéculative élargie à la mystique et à l’ésotérisme, et de
    l’autre une "mauvaise gnose" ou gnosticisme qui est une déformation du christianisme et qu’il faut rejeter énergiquement.
    Le mouvement de pensée hétérodoxe, qui a secoué l’Eglise dans les trois premiers siècles de notre ère, qui a engendré les
    37
    grandes hérésies et que l’on appelle traditionnellement "La Gnose" ne devra plus être nommé que LE GNOSTICISME. Et
    ceux que l’on appelait les "gnostiques", comme Simon le Magicien, Valentin, Carpocrate, Marcion ou Basilide, deviendront
    des GNOSTICISTES, comme nous venons de l’entendre.
    Les catholiques qui connaissent leur doctrine et qui mesurent les véritables conditions de sa survie ne sauraient accepter,
    ni l’introduction du terme de gnose dans les spéculations théologiques, ni la distinction tout à fait arbitraire entre une
    prétendue bonne gnose et un mauvais gnosticisme.
    1 - L’introduction du terme de gnose dans la spéculation théologique, c’est ce que demande le Pr Borella. Il en attend
    une revitalisation de la théologie catholique. Mais il faut bien prendre conscience que ce serait une très inutile innovation.
    Voilà des siècles que la théologie latine se passe très bien de ce mot grec. Sans doute, à la période alexandrine, quelques
    lettrés hellénisants ont pu employer ce terme grec, par élégance littéraire, pour désigner la science des choses divines
    (puisque la Révélation appelle impérativement d’être complétée par une production doctrinale magistérielle). L’Eglise latine
    a cependant toujours employé le mot SCIENTIA. C’est celui que saint Jérôme utilise chaque fois qu’il rencontre le
    grec "gnosis" dans le texte de saint Paul, qui écrit en grec. Saint Jérôme, dans la Vulgate, n’en utilise pas d’autre. Il n’a
    même pas cherché à latiniser gnosis, qui ne figure sous aucune forme dans les dictionnaires de concordances. Saint Jérôme
    ne connaît que Scientia.
    2 - La mise en opposition de la "bonne gnose" et du "mauvais gnosticisme". La soi-disant "bonne gnose", que l’on nous
    propose de recevoir avec empressement dans le vocabulaire ecclésiastique, ne se distingue nullement de la mauvaise. Elle
    n’en est qu’une partie, sélectionnée pour un dessein stratégique du moment. Cette "connaissance sacrée", qui combine la
    théologie, la mystique et l’ésotérisme véhicule un contenu notionnel tout à fait mortel pour le dogme. C’est précisément
    ce que nous examinons dans ce chapitre. Si la bonne gnose se distingue de la mauvaise, c’est par son habileté à se présenter
    comme compatible avec la foi, alors qu’il n’en est rien.
    LE CHRISTIANISME EST A LA FOIS EXOTERIQUE ET ESOTERIQUE
    Dans le Christianisme, selon le Pr Borella, l’exotérisme et l’ésotérisme n’ont pas donné naissance à des structures distinctes.
    Ils sont pratiqués l’un et l’autre mais l’ésotérisme ne s’est pas ritualisé. Il fonde son opinion sur deux autorités.
    D’abord sur celle de Denys l’Aréopagite et ensuite sur celle de M. de Gandillac, éditeur et commentateur des oeuvres de
    Denys l’Aréopagite et de Maître Eckhardt.
    Que dit Denys l’Aréopagite ? Il parle du caractère "à la fois céleste et légal" de l’initiation chrétienne. Pour le Pr Borella,
    "céleste" signifie élevé, donc difficile à appréhender, donc "ésotérique", c’est-à-dire réservé à des âmes qualifiées. Et "légal"
    veut dire exotérique parce que la légalité est définie officiellement pour le peuple par une autorité de la terre. Puisqu’elle
    est à la fois céleste et légale, c’est donc que la Religion chrétienne est à la fois ésotérique et exotérique.
    Que dit M. de Gandillac (écrivain contemporain) dans son Introduction aux OEuvres du Pseudo Denys, page 33 ? Il
    écrit ceci :
    "L’ordre sacral du Nouveau Testament, en substituant la filiation à la servitude, constitue un échelon intermédiaire entre le
    texte et l’allégorie. De là vient le caractère tout ensemble exotérique et ésotérique" de l’ordre sacral du Nouveau Testament.
    S’appuyant donc sur ces deux autorités (celle du Pseudo Denys et celle de son commentateur M. de Gandillac), et y
    ajoutant ses déductions personnelles, Jean Borella va prendre à son compte le double caractère ésotérique et exotérique de
    la Religion Chrétienne. Il va poser en principe qu’en plus de ses institutions visibles et officielles (on nous dit ici "exotériques"),
    le Christianisme abrite un courant de pensée officieux, réservé et clandestin auquel il faut, nous dit-on, donner le
    nom d’ésotérisme chrétien.
    Mais alors sommes-nous en présence de deux christianismes superposés, l’un patent, inférieur et exotérique et l’autre
    latent, supérieur et ésotérique ? Existe-t-il, dans l’Eglise, des structures et des rites ésotériques, comme il existe, de toute
    évidence, des structures et des rites officiels ? Non, répond le Pr Borella, ne pensons pas ainsi. Il n’existe pas de Christianisme
    ésotérique qui soit institutionnellement distinct du christianisme visible, officiel et patent. Dans l’Eglise chrétienne
    l’ésotérisme ne s’est pas ritualisé. Il n’y a pas de superstructure secrète dans l’Eglise.
    Voilà une position qui va singulièrement tranquilliser les catholiques traditionalistes toujours très méfiants en matière
    d’ésotérisme et d’initiation. On peut tenir pour assuré qu’il n’y a pas, dans l’Eglise, d’organisme clandestin qui élaborerait
    une doctrine secrète. Voilà une inquiétude maintenant désarmée. Le terme d’ésotérisme devient relativement acceptable.
    Pas de christianisme ésotérique donc. C’est-à-dire pas de rouages ecclésiastiques, pas de rites initiatiques exclusivement
    voués à la transmission de l’ésotérisme. Fort bien. Attention cependant, car il se perpétue tout de même un ésotérisme
    chrétien informel, non institutionnel, non rituel. Cet ésotérisme consiste seulement dans un certain niveau d’approfondissement
    de la doctrine. Il n’est pas autre chose que la doctrine creusée et méditée à la lueur des données mystiques et des
    traditions qui sont communes à toutes les religions. Mais c’est un travail spontané et informel.
    Pour adopter la ligne du. Pr Borella, faisons-nous donc à l’idée que le Christianisme pratique l’ésotérisme depuis ses
    origines, mais sans l’avoir jamais organisé. Il en était déjà ainsi pendant la vie terrestre de Notre-Seigneur Jésus-Christ,
    lequel dispensait, en secret, à Ses apôtres, un enseignement plus élevé que celui qu’Il réservait à la foule.
    Demandons-nous maintenant ce que les catholiques traditionnels peuvent penser de toute cette construction. Le jugement
    sera vite formulé. Il n’existe pas plus d’ésotérisme chrétien que de christianisme ésotérique. Seulement ce qui a
    existé, depuis l’époque de la "gnose historique", c’est la transmission d’un enseignement secret hétérodoxe, parallèlement
    à l’Eglise et en dehors de l’Église, une transmission marginale et extérieure. Les hermétistes, les alchimistes, les cabalistes,
    les rosicruciens, les francs-maçons se sont successivement étudiés à singer l’Eglise et en même temps à la contredire, à la
    combattre. C’est dans tous ces réseaux que l’ésotérisme s’est institutionnalisé et ritualisé, mais, encore une fois en dehors
    de l’Eglise.
    38
    Or qu’entendons-nous aujourd’hui ? Nous entendons le Pr Borella nous dire que le Christianisme entretiendrait en
    lui-même un ésotérisme très ancien et qui remonterait même à ses origines sans que personne ait jamais eu à s’en plaindre.
    Notre Religion cultiverait, à l’intérieur d’elle-même, une pensée ésotérique. En tenant un tel langage, l’auteur de "La
    Charité Profanée" ne travaille à rien moins qu’à faire pénétrer, à l’intérieur de l’Eglise, un ésotérisme qui s’était jusqu’à
    maintenant propagé à l’extérieur. Et c’est pour cette raison qu’il essaye de nous convaincre que la Religion Chrétienne est
    à la fois exotérique et ésotérique.
    LA THEARCHIE SURESSENTIELLE
    "La Charité Profanée" contient-elle des développements marquants l’adhésion de l’auteur à la doctrine de
    l’Hyperthéos formulée dans l’ouvrage de l’Abbé Stéphane ? Il est difficile de répondre à cette question parce que certains
    passages du livre sont vraiment très orthodoxes et militent dans le sens du Dieu "Un et Trine" qui nous est enseigné par le
    Magistère, tandis que d’autres passages manifestent une tendance à scruter et à prendre en considération un certain audelà
    de Dieu, un Absolu qui transcende les différentiations trinitaires. Avant de répondre à notre question, commençons
    par donner des exemples des deux types de passages que nous venons de signaler.
    1 - Citons d’abord un paragraphe où le Pr Borella affirme l’existence des Trois Personnes divines et de leurs "Relations
    Subsistantes", sans essayer d’aller au-delà :
    "En conséquence, si l’on attribue à Dieu des Relations, et c’est ce que fait la Révélation en disant que Dieu est Père, qu’II est
    Fils, et qu’Il est Esprit, donc en Leur attribuant les Relations de paternité, de filiation et de spiration, il faut nécessairement affirmer
    que ces Relations sont l’Etre divin lui-même, la divine Substance : ce sont donc des Relations subsistantes, autrement dit des
    Relations qui jouissent d’une existence substantielle." page 258.
    Certes on peut s’étonner de ce que l’auteur ne saisisse pas cette occasion pour affirmer nettement la CONSUBSTANTIALITE
    des Personnes, mais enfin, en toute rigueur littérale, ce passage ne contredit ni l’unité de l’essence (in essentia
    unitas), ni la propriété des Personnes (in personnis proprietas). Il est donc manifeste que le Pr Borella adhère à la doctrine
    trinitaire orthodoxe, tout au moins sur le plan exotérique.
    2 - Mais dans beaucoup d’autres développements, il va suggérer un "au-delà de Dieu". Et il va invoquer trois ordres
    d’arguments. En cela son raisonnement se calque sur celui de l’Abbé Stéphane dans le chapitre intitulé : "Le Mystère de la
    Déité chez Maître Eckhart et Saint Denys l’Aréopagite" (Tome I, pages 54 à 64).
    A . D’abord des arguments d’ordre métaphysique. Le Dieu trinitaire n’est pas un Dieu strictement indifférencié. Or il
    faut à la métaphysique un Absolu strictement indifférencié. Cet absolu, qui est nécessaire, domine le Dieu trinitaire de
    toute la hauteur de sa logique et il mérité le nom d’Hyperthéos.
    B . L’Abbé Stéphane et le Pr Borella invoquent aussi un argument d’ordre théologique. Il faut en effet distinguer,
    comme le fait Scot Erigène, la "Déité insondable" et le Dieu providentiel". La Déité insondable est "imparticipée" et il faut la
    considérer comme la "Nature Incréée Incréante". C’est "Le Principe qui est au delà de tout Principe" - Le Dieu providentiel
    est "participé" et on doit lui reconnaître la "Nature Incréée Créante". C’est la Cause universelle d’une fécondité sans limite.
    C . Ils invoquent aussi tous les deux des arguments d’ordre mystique. Ces arguments sont pris dans les rares auteurs
    qui se prêtent commodément à ces emprunts : Denys l’Aréopagite, Evagre le Pontique et Maître Eckhart. Denys l’Aréopagite
    parle, comme en ayant fait l’expérience personnelle de la "ténèbre plus que lumineuse de Dieu". Il parle aussi de "la
    Déité suressentielle" et de la "Trinité suressentielle et plus que divine". Or nos auteurs admettent, comme un principe certain,
    que le contemplatif, en relatant ce qu’il a vu, procède à une véritable révélation. Ils acceptent dès lors leurs locutions
    comme autant de vérités théologiques.
    Ces trois types d’arguments, métaphysiques, théologiques et mystiques, sont associés et donnent lieu, aussi bien chez
    l’Abbé Stéphane que chez le Pr Borella, à des développements d’une extrême complexité. L’Abbé Stéphane, qui s’adresse
    à un auditoire restreint et sélectionné, ne cache guère son intention d’accorder sa "Déité insondable" avec le "Principe Suprême"
    de R. Guénon. Mais le Pr Borella, qui publie son livre dans une maison d’Edition traditionnelle, est tenu à plus de
    prudence. C’est pourquoi on trouve chez lui des propositions "exotériques" de consonance orthodoxe dans lesquelles il
    exprime le dogme commun, mais aussi de longs développements ésotériques où il suggère l’idée d’un "dépassement" et
    d’une "transsubstantiation" de la Divinité.
    C’est ainsi que, dans "La Charité Profanée", à la fin du chapitre "Trinité et création", il envisage une liturgie cosmique
    qu’il présente comme le prolongement de la transsubstantiation eucharistique. C’est une liturgie de tout l’Univers qui
    consiste en un "effacement du Créé", en une sublimation, un dépassement universel. Voici le texte :
    (La Charité Profanée, p. 364, passages soulignés par Jean Vaquié)
    Ce parfait effacement du créé, c’est ce que réalise sur terre, en mode sacramentel et suréminent, la transsubstantiation
    du "pain des anges". C’est ce que réalise, dans tous les mondes, la Vierge Marie, Reine des Anges, parce que le
    plus pur miroir que Dieu ait jamais formé pour y faire reposer Sa Gloire. Voici donc la Terre et le Ciel conviés à célébrer
    la splendeur du Père, voici l’immensité cosmique des hommes et des choses, embrassée dans le cercle infini de
    l’Esprit Saint, rassemblée autour de l’Agneau mystique, voici les Armées célestes entourant la Vierge couronnée, voici
    le Trisagion éternel qui monte vers la Théarchie suressentielle.
    Dans ce passage, à la fois frémissant, énigmatique et non dénué d’une certaine solennité, que faut-il entendre sous les
    mots de Trisagion et de Théarchie ? L’interprétation normale et innocente, disons exotérique, serait d’identifier le trisagion
    avec le triple sanctus de la Messe. Le trisagion serait alors le sanctus entonné par les créatures au cours de cette Messe
    universelle que l’on nous présente, un sanctus qui monterait vers Dieu, appelé "Théarchie". C’est l’interprétation littérale.
    Mais n’y aurait-il pas aussi une explication ésotérique ? Le "Triagion éternel", dont on nous parle ici, ne serait-il pas
    simplement la "Trinité Incréée Créante" ? Elle participerait alors à l’effacement et à la transsubstantiation générale qui
    39
    anime cette Messe universelle et elle monterait vers la "Nature Incréée Incréante", appelée alors tout naturellement
    "Théarchie Suressentielle". Ce serait une parfaite introduction au "Principe Suprême" de R. Guénon. Nous sommes d’autant
    plus justifiés à faire une lecture ésotérique de "La Charité Profanée" que nous y somme invités dès les premières lignes
    de cet ouvrage, comme on va le voir dans le paragraphe suivant.
    LA SIGNATURE ROSICRUCIENNE DE LA CHARITE PROFANEE
    L’Introduction Générale de l’ouvrage commence par un graphique accompagné d’un texte explicatif. Le graphique représente
    une croix potencée, au centre de laquelle figure une fleur à cinq pétales dont on nous apprend qu’il s’agit d’une
    rose. Quel est le sens de cette croix ? Quel est le sens de cette rose ? Le texte explicatif va nous le dire.
    La croix résume, par ses quatre branches, les quatre axiomes principaux de la Religion chrétienne :
    "Il nous semble qu’on peut réduire cette religion à la formule suivante : Dieu s’est incarné en Jésus-Christ (axiome I) afin de
    nous enseigner le Mystère trinitaire (axiome II) et de nous commander l’amour de Dieu et du prochain (axiome III), nous aidant à
    comprendre l’un et à réaliser l’autre par la grâce de l’incarnation continuée qu’est l’Eucharistie (axiome IV)".
    Nous constatons tout de suite que, dans ce résumé de la Religion chrétienne, la Rédemption ne figure pas . Il nous est
    même précisé que Dieu S’est incarné afin d’enseigner. Le but de l’Incarnation c’est l’enseignement. C’est un but gnostique
    puisque gnose signifie connaissance. On se sauve par la connaissance. Il n’est pas question du Rachat de l’humanité parmi
    les axiomes fondamentaux du christianisme. Certes les développements ultérieurs mentionneront la Passion (comme
    par exemple celui qui s’intitule "La Crucifixion alchimique", page 233 ; ou cet autre "La Gnose du Vendredi Saint", page
    383). Mais enfin la Rédemption n’a pas été retenue pour figurer parmi les axiomes essentiels du Christianisme.
    Quel sens le commentaire donne-t-il à la rose centrale ?
    "La rose centrale où se croisent les deux branches de la croix s’identifie à la Vierge Marie, coeur humain de cette divine structure."
    Et cependant, malgré cette interprétation "mariale", la rose au milieu de la croix éveille irrésistiblement l’idée d’un
    symbole rosicrucien. Le mot de Rose-Croix ne figure pourtant pas dans le commentaire. On nous le laisse formuler pour
    nous-même éventuellement, si nous l’avons perçu.
    Après l’explication de ce symbole cruciforme qui trace le plan de l’ouvrage, le commentaire d’accompagnement va
    nous expliquer que les vérités contenues dans le livre seront, tantôt invisibles, tantôt affleurantes. Il faut par conséquent
    nous attendre à un livre ésotérique comportant un sens visible (affleurant) mais aussi parfois un sens invisible. On ne
    peut qu’être frappé par le caractère sibyllin de ce passage. Trois symptômes peuvent facilement être réunis en faisceau :
    - le double sens (affleurant ou invisibles) des développements de ce livre.
    - l’absence de la Rédemption dans la liste des axiomes fondamentaux du Christianisme.
    - la rose-croix formée par l’emblème graphique.
    Le faisceau ainsi rassemblé constitue, de toute évidence, une signature rosicrucienne. Mais cette signature n’est pas
    appuyée, elle n’est pas claironnée. Elle est tracée discrètement afin de passer inaperçue aux lecteurs ordinaires (non prévenus)
    et d’être remarquée seulement par les confrères en ésotérisme. Nous reproduisons ci-dessous les deux premières
    pages de l’Introduction Générale de "La Charité Profanée", p. 27 et 28, (passages soulignés par Jean Vaquié).
    INTRODUCTION GENERALE ET PLAN DE L’OUVRAGE
    1) Axiomatique fondamentale du christianisme
    Qu’est-ce que le christianisme ? Si l’on fait abstraction de tout ce que cette religion peut avoir en commun avec les
    autres religions de la terre, si l’on essaie donc de la définir à la fois dans ce qu’elle a d’unique (relativement à d’autres)
    et d’essentiel (en elle-même), autrement dit dans sa structure propre et fondamentale, il nous semble qu’on peut
    réduire cette religion à la formule suivante : Dieu s’est incarné en Jésus-Christ (axiome I) afin de nous enseigner
    (doctrine) le Mystère trinitaire (axiome II) et de nous commander (vie spirituelle) l’amour de Dieu et du prochain
    (axiome III). nous aidant à comprendre l’un et à réaliser l’autre par la grâce de l’incarnation continuée qu’est
    l’Eucharistie (axiome IV) Nous pensons en effet qu’aucune religion n’est fondée sur l’incarnation de Dieu Lui-même,
    au même titre que le christianisme ; aucune ne possède, à proprement parler, une théologie trinitaire ; aucune n’a,
    comme elle, réduit la loi et les prophètes au commandement d’amour ; aucune ne présente un rite semblable à celui de
    l’eucharistie, où Dieu se donne, non seulement par sa grâce, non seulement par sa puissance, non seulement en
    récompense à qui fait sa volonté, mais où Dieu se donne en Personne dans une présence substantielle. Et nous pensons
    aussi que ces quatre axiomes suffisent à définir le christianisme.
    On peut figurer cette axiomatique ainsi :
    40
    Ce schéma présente plusieurs avantages. Tout d’abord, étant cruciforme, il reproduit le symbole synthétique du
    christianisme.
    Deuxièmement, il montre le rapport qui unit Trinité et charité d’une part, Incarnation et Eucharistie d’autre part.
    Ajoutons que la rose centrale où se croisent les deux branches de la croix s’identifie à la Vierge Marie, coeur humain de
    cette divine structure. On peut également rapporter l’axe horizontal au Verbe divin et l’axe vertical au Saint-Esprit. Le
    Fils et l’Esprit qui procèdent du Père comme les rayons jaillissant d’une source lumineuse, convergent et s’unissent en
    Marie comme le fruit de ses entrailles et l’époux de son coeur.
    Tel est le cadre général du christianisme, tel est aussi celui dans lequel se déploient les différents développements
    de ce livre, et, par conséquent telle en est l’ambiance, tel est le champ spirituel par lequel ces développements prennent
    toute leur signification. A l’arrière-plan de nos analyses et de nos discussions, ces vérités essentielles sont toujours
    là, tantôt invisibles, tantôt affeurantes, dans leur lumineux mystère.
    Mais, le lecteur doit savoir qu’en définitive, dans l’un ou l’autre cas, c’est toujours d’elles qu’il est question, même
    lorsque nos considérations paraissent s’en éloigner le plus. Il ne faut donc jamais perdre de vue que la totalité synthétique
    du christianisme, ainsi ramenée à sa structure essentielle, est présente en toutes les parties du texte.
    Il est clair cependant que cette totalité ne peut être envisagée en elle-même, ce qui exigerait, à la limite, d’exposer le
    christianisme dans tous ses aspects, tâche impossible et indéfinie. On pourrait montrer, par exemple, qu’à l’axiome I se
    rattachent toutes les questions relatives à la foi, puisqu’en effet la foi chrétienne est d’abord foi dans l’incarnation : être
    chrétien c’est croire en Dieu incarné en Jésus-Christ. Tout le reste en dépend. Il en résulte d’ailleurs que l’incarnation
    définit la "forme" générale du christianisme dans toutes ses manifestations historiques, autrement dit, dans son existence.
    Ainsi par exemple de la théologie chrétienne dont la forme historique - non le contenu - est constituée à l’image
    de l’incarnation : de même que dans le Verbe fait chair, l’essence divine revêt une forme qui n’est pas la sienne propre,
    de même la vérité chrétienne, en devenant théologie, revêt une forme doctrinale qui n’est pas la sienne propre, mais
    qui est celle de la culture gréco-latine. A l’axiome IV se rattacheraient d’autre part toutes les questions relatives à l’espérance.
    C’est qu’en effet le mémorial du Seigneur c’est "l’annonce de la mort du Christ jusqu’à ce qu’il vienne". L’eucharistie
    est mystère de foi, parce que "la foi est la substance des choses que l’on espère", ce que réalise précisément la
    présence substantielle. C’est dans cette optique que le christianisme apparaît comme un messianisme, l’attente eschatologique
    du Christ glorieux. L’axiome IV définit donc, quant à lui, non la forme générale de l’existence chrétienne, ni
    son essence ou son contenu intrinsèque, lequel est trinitaire et caritatif, mais l’union de cette existence et de cette essence
    dans la substance même
    SEPT ARTICLES DE LA "PENSEE CATHOLIQUE"
    INTRODUCTION
    Le Pr Borella a écrit de nombreux articles dans "La Pensée Catholique". Sa collaboration à cette revue a commencé du
    temps où elle était dirigée par l’Abbé Luc Lefèvre. Elle se poursuit maintenant sous la direction de ses successeurs. Il n’est
    donc pas question pour nous ici de résumer ni même de mentionner tous ces articles. Nous prélèverons seulement une
    série spécimen. Nous choisissons une série de sept "Méditations" qui ont paru à partir du n° 219 de décembre 1985 et qui
    se sont terminées, en 1987, dans le n° 227.
    Une fois de plus nous constaterons, pour commencer, que le Pr Borella est très savant. En linguistique, en philosophie,
    en théologie, en patrologie, en exégèse, ainsi que dans les sciences occultes, il sait beaucoup de choses.
    Nous noterons aussi ses PROTESTATIONS D’ORTHODOXIE et de soumission doctrinale à l’Eglise, soumission à laquelle
    il donne une certaine solennité :
    "La seule règle à laquelle nous devions nous soumettre c’est d’observer en tout la doctrine de la foi catholique, telle que l’Eglise
    nous l’enseigne, puisque l’Eglise nous l’enseigne, puisque c’est elle qui norme nécessairement toute interprétation d’un texte révélé"
    (n° 219, pages 46-47).
    Nous noterons encore que l’auteur de ces articles prend une position délibérément hostile :
    - au freudisme,
    - à l’évolutionnisme, - au féminisme,
    - au réincarnationisme.
    41
    Position qui ne peut que plaire aux lecteurs de "La Pensée Catholique" qui sont, en grande majorité, des "traditionalistes
    conciliaires", comme la revue elle-même.
    A une lecture rapide, ces articles donnent l’impression d’une scrupuleuse orthodoxie et même d’un APPROFONDISSEMENT
    très sérieux de la Religion.
    Néanmoins, lors d’un examen plus attentif, on découvre, dans la terminologie et dans le raisonnement, des notions
    ésotériques étrangères à l’orthodoxie. Nous allons examiner successivement les trois principales de ces doctrines hétérodoxes,
    que l’on peut rencontrer dans la série des sept articles auxquels nous nous limitons, tout en précisant que l’on en
    trouverait facilement beaucoup d’autres
    - le corps éthérique d’Adam,
    - l’Hébdomade cosmogonique,
    - l’inévitable Androgyne.
    LE CORPS ETHERIQUE D’ADAM
    Durant la période patristique et même plus longtemps encore, les écrivains d’Eglise faisaient fréquemment allusion
    aux QUATRE ELEMENTS. Il s’agissait des quatre substances constitutives de l’univers qui figurent en même temps, les
    quatre substances constitutives du corps humain lequel résume l’univers matériel :
    - la terre, - l’air, - l’eau, - et le feu.
    On énumérait ainsi les quatre éléments concrets qui tombaient sous la perception de nos sens.
    On connaissait aussi l’existence, au moins théorique, de l’ETHER, qui entoure et pénètre tout. Mais il n’avait pas été
    retenu pour figurer parmi les "éléments symboliques" constitutifs de l’univers matériel et des corps humains, parce qu’il
    n’est pas perceptible par nos sens. Il était admis que Dieu nous enseigne avec des moyens concrets et simples.
    Les autres éléments donc : la terre, l’air, l’eau et le feu constituaient l’ossature d’un SYMBOLISME DE LA NATURE
    qui était parfaitement orthodoxe et unanimement accepté, mais dont malheureusement, surtout depuis la période de
    l’humanisme, on a cessé de parler.
    Il s’est créé, du fait de ce silence, un certain VIDE dans la pensée chrétienne et surtout dans la manière dont elle est
    exposée. Et c’est ce vide que les occultistes entendent combler. Mais il le font en utilisant un symbolisme à eux, c’est-àdire
    un symbolisme qui a perdu sa véritable clef.
    Les occultistes, alchimistes et hermétistes, ont tenu à faire figurer l’éther parmi les éléments symboliques de l’univers
    et du corps humain. L’éther, en effet, est un agent SUBTIL et impalpable, qu’ils estiment semi-matériel et semi-spirituel et
    qui leur sert à soutenir la théorie du "monde intermédiaire".
    Le Pr Borella est de ceux qui considèrent que l’éther des occultistes doit figurer au nombre des "éléments" du symbolique
    chrétien. Il va donc compter CINQ ELEMENTS symboliques dans l’univers. Et c’est à l’élément éthérique qu’est empruntée,
    d’après lui, la substance de l’âme végétative d’Adam. C’est pourquoi cette âme végétative est appelée "corps
    éthérique d’Adam". Le principe éthérique est déclaré SUBTIL parce qu’il n’est ni matériel ni spirituel. Il appartient au
    "monde intermédiaire". Bref, dans le système de l’ésotérisme chrétien, le corps éthérique d’Adam c’est son âme végétative.
    Pour asseoir ce système sur l’Ecriture Sainte, le Pr Borella va recourir au récit de la formation du corps d’Adam dans la
    Genèse. Malheureusement, tel qu’il se présente dans la Vulgate ce récit ne convient pas très bien à sa démonstration. En
    effet la Vulgate indique LE LIMON comme ayant servi de matière première. Or le limon est une terre humide qui n’a rien
    de volatile et dans laquelle l’éther subtil n’a pas sa place.
    L’auteur de l’article recourt donc au texte hébreux qui, au lieu de limon porte le mot POUSSIERE. Il tient là ce qu’il lui
    faut. La poussière est une forme volatile de la terre, une substance qui offre prise au souffle, donc à l’esprit. C’est une matière
    semi-spirituelle. Voici son texte dans "La Pensée Catholique", Année 1986, n° 223, page 71-72 :
    Qu’est-ce que cette substance ? La «"poussière" représente l’état subtil de l’adâmâh, voilà ce qu’enseigne le plus évidemment
    l’analogie de l’expérience sensible. La terre (adâmâh) se présente à nous comme une substance lourde, opaque,
    grossière ; la poussière qui s’en élève (sous l’effet du vent) représente au contraire un état sublimé, volatil, subtil
    de cette même terre. Le texte nous enseigne donc que pour créer Adam, Dieu "forma", "compacta" avons-nous dit, ou
    encore "condensa" et "fixa" la "poussière" qu’Il avait tirée de l’adâmâh, c’est-à-dire qu’Il modela, configura en forme de
    corps humain, la substance quintessensciée qu’Il avait dégagée de la matière corporelle. Et si l’on admet, avec la cosmologie
    antique et médiévale, que cette matière corporelle est faite des quatre éléments ("feu", "air", "eau", et "terre")
    on pourra identifier la "poussière" à leur quintessence qui est l’éther, et parler du corps d’Adam comme d’un corps
    éthérique.
    Grâce à cette "poussière" incluse dans le texte hébreux, voilà Adam pourvu d’un cinquième élément, qui est un élément
    subtil (et non plus tout à fait matériel, symboliquement tout au moins) et qui constitue son corps éthérique. En plus
    de cette référence scripturaire, une référence patristique serait tout de même la bienvenue pour renforcer cette position.
    Le Pr Borella pense la trouver dans un texte bien connu de saint Augustin. Malheureusement ce passage ne fait état, dans
    la composition élémentaire et symbolique du corps d’Adam, que de quatre éléments. Nous allons voir comment le Pr Borella
    en ajoute un cinquième.
    Saint Augustin décompose le nom d’Adam en ses quatre lettres et il remarque qu’elles correspondent à la fois aux
    quatre points cardinaux et aux quatre éléments symboliques constitutifs de l’univers. Il établit la correspondance suivante:
    A - Anatole - Le Levant - l’Air,
    D - Dysis - le Couchant - la Terre,
    A - Arctos - le Nord - l’Eau,
    42
    M - Mésembria - le Midi - le Feu.
    Nous ne pouvons que souscrire à cette analyse symbolique du nom d’Adam. Elle éveille bien des idées intéressantes
    sur les harmonies providentielles de la nature et nous suivons saint Augustin dans son interprétation.
    L’auteur de l’article que nous analysons va, lui aussi, dans un premier temps, se ranger derrière saint Augustin et
    donc derrière la tradition dont saint Augustin se porte garant. Voici son texte dans la Pensée Catholique n° 223, page 72 :
    Tenant compte de toutes ces considérations, on pourrait donc traduire, en glosant quelque peu : «Et le Seigneur
    Dieu condensa la forme adamique, substance quintessenciée qu’Il avait tirée de l’adâmâh». Ainsi le corps humain est
    lui aussi, comme Adam tout entier, un résumé, une concentration de l’ensemble des conditions et des éléments constitutifs
    de l’existence terrestre. Ce thème trouvera une illustration symbolique très largement répandue dans la littérature
    patristique et médiévale d’Orient et d’Occident, sous la forme d’une anagramme. Les quatre lettres du nom
    A.D.A.M. correspondent en grec aux initiales des quatre points cardinaux : Anatolè (Est), Dusis (Ouest), Arktos (Nord),
    Mésèmbria (Sud). Si l’on parcourt la croix des points cardinaux selon l’ordre de cette énumération, on voit qu’ils dessinent
    le chiffre 4 , ce qui réfère aux quatre éléments, les Anciens faisant correspondre le Levant (A) avec l’air, le couchant
    (D) avec la terre, le nord (A) avec l’eau et le sud (M) avec le feu. Saint Augustin, qui reprend et développe cette
    tradition, la met en rapport avec le rassemblement des élus des "quatre vents" (Matth., XXIV, 31) annoncé par le Seigneur,
    rassemblement qui reconstitue le nom d’Adam dont les "lettres" ont été dispersées par le péché (7).
    (7) L’étude la plus complète de ce thème symbolique est due au P. Dominique Cerbelaud, o.p., dans Les cahiers de
    l’Abbaye de Sylvanes (Abbaye N. D. de l’Assomption), n° 111, 1982, qui conclut à l’origine judéo-alexandrine de ce symbolisme
    que l’hébreu ni la Septante ne peuvent étayer.
    Aux quatre éléments matériels constitutifs du corps d’Adam, le Pr Borella ajoute un cinquième élément qui sera donc
    une quintessence. Prenant pour base la croix plane qui relie les quatre éléments et qui forme le chiffre 4, il abaisse, perpendiculairement
    au plan de la croix, une droite à l’intersection des quatre branches. Ce faisant, il établit une Croix à trois
    dimensions. Il se range par conséquent derrière R. Guénon qui, dans son ouvrage "Le Symbolisme de la Croix", ajoute à la
    Croix latine, une troisième branche perpendiculaire, cela afin de compléter le symbolisme de cette croix latine qui, sans
    cette addition, serait à son avis tout à fait insuffisant.
    Quelle est, dans l’esprit du Pr Borella, la signification de cette branche perpendiculaire ? Elle représente à la fois l’éther
    et l’âme végétative d’Adam. Tel est l’éther ou cinquième essence ou quintessence. C’est lui qui constitue ce qui est ici appelé
    le corps éthérique d’Adam. Voici le texte qui fait directement suite à celui que nous venons de citer :
    Mais Adam n’est pas seulement, par son corps, la synthèse résomptive de l’univers ; il est aussi, par son âme immortelle,
    sa personne spirituelle, directement relié à Dieu. Il dessine ainsi, par son être intégral, une sorte de croix à
    trois dimensions. La dimension horizontale correspond au plan que définit la croix des quatre éléments se rencontrant
    en un centre (la cinquième essence ou quintessence). Mais ce centre est lui-même le pied de la perpendiculaire abaissée
    du "Haut" par la descente de l’esprit de vie. Le corps adamique est créé le premier, mais ce corps est en fait déterminé
    en vue (et par) la réception de l’esprit. S’il est fait d’une substance quintessenciée, c’est parce qu’il doit servir de
    réceptacle à l’esprit de vie que Dieu insuffle dans sa narine. Nous retrouvons ainsi le schéma fondamental que nous
    avions défini dans notre première méditation, et qui est celui du paradis. L’entrée de l’esprit de vie dans la forme corporelle
    adamique fait d’Adam tout entier une âme vivante, un être de nature psychique.
    Nous savons déjà que, dans la doctrine de l’ésotérisme chrétien, l’homme ne possède pas seulement une âme végétative
    relevant du monde subtil, ou monde intermédiaire, mais qu’il reçoit aussi une âme purement spirituelle, appelée spiritus
    et qui appartient au monde des esprits. Cette doctrine des deux âmes est fondamentalement étrangère à l’orthodoxie
    et il est singulier qu’elle ait pu s’exprimer dans une revue comme "La Pensée Catholique", du vivant même de l’Abbé Luc
    Lefèvre, surtout après la protestation de soumission au magistère que nous avons lu au début.
    L’HEBDOMADE COSMOGONIQUE
    Le Pr J. Borella, dans les articles de "La Pensée Catholique" que nous analysons, ne cache pas son désir de faire adopter,
    par la cosmogonie catholique, non seulement le terme mais la notion d’hebdomade.
    Qu’est-ce que l’hebdomade ? C’est la "semaine primordiale", c’est-à-dire l’ensemble formé par les six jours créateurs,
    qui sont des jours du "travail de Dieu" et par le septième jour qui est celui du repos du Dieu. L’hebdomade ne comporte
    donc pas de distinction entre les jours créateurs et le repos sabbatique. Tous les jours sont créateurs à un quelconque degrés.
    L’hebdomade cosmogonique se rencontre presque exclusivement chez les auteurs gnostiques et hermétiques. Il s’agit
    donc bien d’une notion ésotérique que l’auteur voudrait intégrer au vocabulaire habituel du Christianisme. D’après lui, il
    faudrait considérer désormais que la création n’est terminée qu’à la fin du septième jour, et non pas à la fin du sixième
    jour, comme nous serions tentés de le croire selon une lecture simplement exotérique, par conséquent superficielle, de
    l’Ecriture Sainte. Voici un premier texte du Pr Borella extrait de "La Pensée Catholique" n° 222 de Mai-Juin 1986 :
    "Les Six Jours de la Création, qui avec le septième forment ce que nous appellerons l’Hebdomade cosmogonique, se terminent-
    ils avec le sixième jour ou avec le septième jour ?
    "Le septième jour n’est pas, à proprement parler le jour où Dieu cesse de travailler, quel que soit le sens d’une telle expression.
    Il est le jour où Dieu "rend complète" toute son oeuvre, la conduit à la perfection" (page 55).
    Nous n’exagérons rien, on le voit, en disant que le Pr Borella estompe le plus qu’il peut la distinction entre d’une part
    les opérations créatrices des "six jours" et d’autre part le "repos du septième jour". Selon lui la création s’échelonne sur
    sept jours et non pas sur six. Il confirme cette position quand il en vient, quelques pages plus loin, à définir l’être humain
    dans son intériorité. Il estime qu’on ne peut le faire qu’à la fin du septième jour. Voici son texte :
    43
    "Et comme nous l’avons souligné à plusieurs reprises dans nos méditations, la considération de l’être humain, envisagé pour
    lui-même et dans son intériorité, ne peut intervenir qu’au terme de L’HEBDOMADE COSMOGONIQUE..." (page 63).
    Or il existe, dans la cosmogonie chrétienne, une notion tout à fait classique et qui ne concorde guère avec l’hebdomade
    ainsi définie. C’est celle de L’HEXAMERON (littéralement : six jours). Elle date de la période patristique. L’Héxaméron
    désigne les six jours créateurs à l’exclusion du septième jour qui est celui du repos du Seigneur. Plusieurs Pères de l’Eglise
    ont composé des traités intitulés "Héxaméron", par exemple saint Basile, l’un des quatre Grands Docteurs grecs et saint
    Ambroise, l’un des quatre Grands Docteurs latins. On possède aussi plusieurs "Commentaires sur l"Hexaméron", entre autre
    celui de saint Grégoire de Nisse qui commente saint Basile.
    En effet la notion des Six Jours Créateurs est de toute première importance pour la cosmogonie, pour la théologie et
    pour le symbolisme de la Religion Chrétienne.
    Réponse à une objection
    Avant de reprendre le récit de la Genèse pour essayer d’en saisir le véritable sens, nous devons résoudre un problème
    de vocabulaire que l’on peut éventuellement nous poser. On sait, en effet, que le texte de la Vulgate comporte,
    sous ce rapport, une difficulté. Saint Jérôme, se fiant au seul texte hébreux a traduit : "... complevit Deus die SEPTIMO
    opus suum quod fecerat." (Gen., II, 2) "Dieu compléta le septième jour l’oeuvre qu’Il avait faite."
    Mais précisément le texte hébreux contient là une erreur évidente. Les éditeurs la font en général remarquer. E. Mangenot,
    dans le Dictionnaire de Théologie Catholique, la note également. Il faut lire DIE SEXTO conformément aux versions
    samaritaine, syriaque, arabe et aux Septante (voir Fillion dans son "Commentaire de la Bible" Gen., II, 2 page 25).
    Ainsi rétabli, ce texte dit bien que Dieu acheva Ses oeuvres créatrices en six jours. Le septième Il "se reposa", c’est-à-dire
    qu’Il ne créa plus.
    Notons pour terminer que le Magistère n’assigne aucune durée aux jours de la Création. Ces jours sont simplement
    considérés comme des époques particulières, des ères qui peuvent être courtes ou longues.
    Nous pouvons maintenant reprendre l’interprétation des Six Jours de l’Hexaméron telle qu’on la trouve dans la majorité
    des Pères et à l’époque scolastique.
    LE PREMIER JOUR est revêtu, d’après le plus grand nombre des commentateurs, d’un caractère spécial. C’est le jour
    dont il est écrit dans l’Ecclésiaste : "Qui vivit in æternum creavit omnia sumul". "Celui qui vit éternellement créa tout en
    même temps (Ecclest., XVIII, 1). La plupart des exégètes en effet, et cela dès la période patristique, ont pensé que Dieu a
    d’emblée fait surgir du néant tous les éléments fondamentaux dont Il devait avoir besoin pour former, par la suite, les diverses
    espèces de créatures. C’est le chaos initial. Mais ce chaos n’est évidemment pas le désordre, comment le désordre
    pourrait-il sortir des mains de Dieu. Le chaos contient les rudiments du monde, chacun à leur place. Certains Pères pensent
    que ces rudiments ne sont autres que les quatre éléments fondamentaux de l’univers, à savoir : la terre, l’air, l’eau et
    le feu. Telle est la doctrine dite de la création simultanée. C’est dans l’Hexaméron de saint Basile qu’elle est exposée avec le
    plus d’autorité.
    Pendant les JOURS (c’est-à-dire les époques) qui ont suivi, Dieu ne s’est pas contenté d’un travail d’organisation. Il a
    déployé une puissance véritablement créatrice, une force d’épanouissement qui n’était pas incluse dans les rudiments du
    premier jour et que seul un Dieu créateur était capable de leur communiquer. C’est ainsi que tous les commentateurs catholiques
    l’entendent. Et cette puissance créatrice s’est manifestée avec progressivité. Elle a atteint son point culminant
    avec la création d’Adam au sixième jour. Et c’est pourquoi Adam est appelé "le chef d’oeuvre du sixième jour". Et c’est
    pourquoi aussi le chiffre six, dans le symbolisme numérique couramment respecté, représente la perfection des choses terrestres,
    la perfection des choses de la nature, comme nous le dira encore l’Apocalypse dans les derniers versets de l’Ecriture
    Sainte : six est un nombre d’Homme.
    LE SEPTIEME JOUR est tout à fait différent des six premiers. Il n’est plus un jour créateur. Il joue un double rôle.
    - Le septième jour est d’abord celui du repos de Dieu, jour durant lequel Dieu ne crée plus, donc ne travaille plus. Ses
    relations avec l’univers ont été celles d’un Créateur qui fait surgir toutes les espèces du néant, puis du chaos. Il assure
    maintenant, du haut du Ciel où Il s’est retiré, le gouvernement providentiel du monde.
    - En revanche, ce même septième jour est le jour de l’Homme. Dieu lui laisse la liberté pour façonner le monde : "Remplissez
    la Terre et soumettez-la". C’est le jour où vont se produire la Chute mais aussi la Rédemption, laquelle est opérée,
    précisément, par "le Fils de l’Homme". Le septième jour est bien le "jour de l’Homme".
    Bref la grande ère du "septième jour", dans laquelle nous vivons encore, est à la fois l’ère de repos de Dieu et celle du
    travail de l’Homme. Après cela vient l’OCTAVE (octo = huit) qui sera la rénovation universelle : "Et Celui qui était assis
    sur le trône dit : Voici que Je fais toutes choses nouvelles." (Apoc., XXI, 5)
    Mais Dieu a voulu aussi que, pendant toute la durée des temps, sur la Terre, les sept jours soient commémorés. Il a
    édicté la semaine dans laquelle il laisse subsister la distinction fondamentale entre les jours créateurs et le jour du repos.
    "Pendant six jours tu travailleras... Mais le septième jour tu ne feras aucun ouvrage... Car pendant SIX JOURS Yahweh a fait
    le ciel, la terre, la mer et tout ce qu’ils contiennent, et Il S’est reposé le septième jour ; c’est pourquoi Yahweh a béni le jour du sabbat
    et l’a sanctifié." (Exode, XX, 8-11)
    On voit là, encore une fois, qu’il n’est pas possible de parler "d’hebdomade cosmogonique". Ce qui est cosmogonique,
    c’est-à-dire relatif à la construction du monde, ce n’est pas la semaine ou hebdomade, ce sont les "six jours" ou HEXAMERON.
    Le Pr Borella ne se satisfait pas de cette distinction, pourtant si ancienne, entre d’une part l’hexaméron créateur et
    d’autre part le repos sabbatique. A la suite des hermétistes, des gnostiques, des alchimistes et dans la ligne de l’ésotérisme
    44
    qu’il revendique lui-même, il milite pour que l’on abolisse cette distinction et que l’on adopte l’hebdomade cosmogonique,
    c’est-à-dire créatrice. Quelles seraient les conséquences de ce changement ?
    1 - LE SIXIEME JOUR, selon la doctrine traditionnelle et surtout selon l’Ecriture, est celui où Dieu, observant son oeuvre,
    la trouve très bonne. En conséquence, dans le symbolisme numérique, nous venons de le voir, 6 doit être tenu comme
    figurant "la perfection des choses terrestres". Le Premier Adam (lui-même préfiguration du Second) est le chef d’oeuvre
    du sixième jour (et non pas du septième). C’est bien ce que l’on retrouve dans l’Apocalypse : six est un nombre d’homme.
    Saint Jean suppute la signification du nombre de la Bête. Ce nombre, 666, est constitué par la triple répétition du nombre de
    l’homme. Pourquoi cela ? C’est afin de signifier la triple malédiction encourue par le démon pour s’être dressé, par trois
    fois, contre l’Incarnation. Il a encouru la première malédiction, au Ciel, pour n’avoir pas accepté l’annonce de l’Incarnation.
    Il a encouru la seconde malédiction pour avoir attaqué Adam, préfiguration du Christ. Il méritera la troisième malédiction
    comme Antéchrist à la fin du Monde. On comprend que le nombre de la Bête soit constitué par la triple répétition
    du nombre 6 sous lequel a été crée Adam. On est puni par où l’on a péché.
    Ce symbolisme, pourtant si compréhensible et éclairant, serait détruit par l’adoption de l’hebdomade cosmogonique.
    2 - LE SEPTIEME JOUR, selon la Genèse et le Décalogue, est celui du repos hebdomadaire de l’homme. L’Homme
    imite Dieu et se repose le septième jour. Mais si c’est l’hebdomade qui est créatrice (comme nous venons de le lire chez le
    Pr Borella), il n’y a plus de repos de Dieu et donc plus de nécessité de le commémorer. Les semaines de sept jours ouvrables
    n’ont plus qu’à se succéder indéfiniment les uns aux autres et elles n’ont plus besoin d’être séparées par un jour de
    repos.
    L’hebdomade cosmogonique appartient donc à l’arsenal des notions ésotériques dont nous n’aurions rien à attendre
    de bon si elles parvenaient à s’insinuer dans les habitudes de langage et de raisonnement des catholiques.
    L’INEVITABLE ANDROGYNE
    Nous avons déjà rencontré le thème de l’androgyne chez l’Abbé Stéphane, puis sous la plume du Pr Borella dans "La
    Charité Profanée". Nous le retrouvons ici dans l’article de "La Pensée Catholique" qui s’intitule "L’Union de l’Homme et
    de la Femme" (n° 227).
    Il est absolument certain que l’auteur s’emploie à introduire la notion d’androgyne dans le raisonnement théologique.
    Et il est certain aussi que ce travail d’acclimatation lui apparaît fort difficile. Il est visiblement conscient qu’il aura de profondes
    répugnances à vaincre. Dans cet article, il se montre plus prudent, moins formel, qu’il ne l’est dans "La Charité
    Profanée". Il manifeste une certaine réserve en ce qui concerne l’androgynie dite ancestrale : pour lui Adam n’était pas
    physiquement androgyne. Il tient même, sur ce point particulier, à se distinguer des gnostiques modernes trop radicaux
    qui parlent de l’accouplement comme étant le reconstitution de l’androgyne primordial. Le Pr Borella ne veut pas que l’on
    parle ainsi puisque l’on ne saurait reconstituer une androgynie physique qui n’a jamais existé.
    En revanche il maintient l’androgynie archétypale, c’est-à-dire celle qui se réalise dans la pensée divine. Et il la fonde
    sur ce qu’il appelle LA FONCTION ICONIQUE de l’homme. Cette fonction iconique n’est pas autre chose que l’image de
    Dieu en l’homme. L’homme est fait à l’image de Dieu et il exerce par conséquent une certaine "fonction iconique". Or
    l’image présente avec le modèle une certaine distinction, mais aussi une certaine identité. Comme les deux sexes sont issus
    de la pensée divine, il faut bien qu’ils se retrouvent tous les deux dans LA NATURE CHARNELLE. La nature charnelle,
    qui est commune à l’homme et à la femme, est donc androgyne. Mais LES PERSONNES d’Adam et Eve, du fait
    qu’elles appartiennent à l’ordre macroscopique, sont mono-sexuées. La position du Pr Borella est prudente. Elle n’est pas
    vraiment tranchée.
    La conclusion de tout ce raisonnement est que, finalement, tout être humain est potentiellement androgyne. Voici un
    passage de l’article "L’Union de l’Homme et de la Femme" dans "La Pensée Catholique" n° 227, pages 77-78 :
    Le mode masculin ou le mode féminin d’existenciation de l’unique nature humaine sont une nécessité de nature,
    ou plutôt, comme nous croyons que l’enseigne la révélation biblique, ils sont une nécessité dérivant de l’actuation de
    l’essence adamique dans l’ordre effectif de l’existence paradisiaque. Cela signifie que le masculin et le féminin ne sont
    pas des qualités substantielles préformées et descendues telles quelles du ciel, mais, répétons-le, des modes d’existenciation
    qualitativement différenciée, différenciation quine peut être engendrée que par les deux pôles de toute réalité
    icônique : l’identité et la distinction.
    Il en résulte que ce n’est pas une moitié d’essence humaine qui est donnée à Adam et une autre moitié à Eve, mais
    la totalité de l’essence est donnée à chacun d’eux. De plus, comme c’est l’être humain comme tel qui est image de
    Dieu, il faut en conclure qu’Adam et Eve le sont à un titre égal. Ainsi, dans la mesure où ce théomorphisme originel
    implique la dualité potentielle d’une identité et d’une différence, qui se manifestera extérieurement, sur le plan de
    l’existence paradisiaque, par la dualité effective de l’homme et de la femme, alors, d’une certaine manière, tout être
    humain est potentiellement androgynique.
    REFUTATION.
    Nous avons déjà souligné le caractère luciférien de l’androgyne. Dans l’iconographie chrétienne, il a toujours représenté
    le démon et même, plus précisément l’antéchrist . Et c’est à juste titre car c’est une entité à la fois a-sexuée, puisqu’en
    elle les deux sexes se neutralisent, et stérile. La nature angélique (et donc aussi la nature démoniaque) est en effet asexuée
    et stérile. Les anges ne se reproduisent pas.
    L’androgyne possède encore un autre caractère déplaisant. Il constitue une singerie sarcastique du premier Adam et de
    la première Eve qui sont précisément les chefs d’oeuvre du Créateur. Cette moquerie rejaillit sur le Deuxième Adam et la
    Deuxième Eve, c’est-à-dire sur Notre-Seigneur Jésus-Christ et la Sainte Vierge. Or l’esprit de sarcasme est l’un des traits des
    45
    mauvais esprit. Comment les ésotéristes chrétiens peuvent-ils se faire les propagateurs zélés de cette entité monstrueuse,
    railleuse et démoniaque ? Ne voient-ils pas que, sous cette forme, le démon progresse vers "la Montagne du Testament"
    sur laquelle il a l’ambition de s’asseoir?
    LA CAUTION DE L’ABBE LUC LEFEVRE
    En publiant les articles du Pr Borella dans la revue "La Pensée Catholique" et en éditant son livre "La Charité Profanée"
    aux Editions du Cèdre dont il était également directeur, l’Abbé Lefèvre lui a-t-il volontairement accordé sa garantie, ou
    bien a-t-il été entraîné à le cautionner malgré lui ? Les avis sont partagés.
    1 - Pour les uns, il a seulement été DUPE. Jean Borella est un brillant et entraînant Professeur de Philosophie. Sa collaboration
    représentait, pour la revue, un accroissement de prestige.
    L’Abbé Lefèvre s’est contenté des protestations d’orthodoxie dont le Professeur accompagne toujours ses articles. Elles
    ont endormi sa méfiance. Et par la suite, une fois la confiance accordée, il n’a ni pu ni voulu revenir en arrière et il a
    continué à défendre celui qui était, dans une certaine mesure, devenu son collaborateur et son protégé.
    2 - Pour d’autres, l’Abbé Lefèvre a agi en pleine CONNAISSANCE DE CAUSE. C’est délibérément qu’il a accordé
    l’hospitalité à l’ésotérisme chrétien, pas fâché d’ouvrir sa revue à une tendance qu’il connaissait parfaitement et dont il
    pressentait le dynamisme.
    LE SENS DU SURNATUREL
    En Juillet 1986, le Pr. Borella a publié, aux Editions de "La Place Royale", un livre de 162 pages intitulé "LE SENS DU
    SURNATUREL". Il y traite un sujet qui lui est familier et que nous connaissons bien pour l’avoir rencontré à plusieurs occasions
    sous sa plume et en particulier dans "La Charité Profanée". L’auteur attache certainement à ce sujet une grande
    importance puisqu’il lui consacre un ouvrage entier.
    Il s’agit de l’existence, au fond de l’être humain, d’un SENS SPIRITUEL qui lui permet d’appréhender le surnaturel, le
    sacré, le divin et qui finalement lui procure la déification laquelle constitue sa finalité providentielle. Le Pr. Borella donne
    à cette faculté le nom de SENS parce qu’elle correspond, dans l’ordre surnaturel, à nos facultés sensorielles, c’est-à-dire à
    nos organes des sens. Le nouveau livre est consacré à démontrer que cette faculté, ce "sens spirituel", non seulement est
    apte à recevoir l’esprit divin, mais qu’il est lui-même de nature divine. C’est un germe divin congénital que nous apportons
    en naissant.
    Nous exposerons d’abord la théorie du Pr. Borella, qu’il professe d’ailleurs en commun avec beaucoup d’autres auteurs
    ésotéristes, et ensuite nous la comparerons aux doctrines orthodoxes qui traitent du même sujet.
    Le sens du surnaturel que nous portons en nous appartient, nous dit-on, à la nature humaine. Il ne lui est pas surajouté.
    C’est pourquoi le Pr. Borella lui donne le nom de "sens". Il fait partie de notre physiologie spirituelle. Et il est fait pour
    capter l’influx divin.
    Mais s’il ne s’agissait que de cette faculté de captation, le Pr. Borella n’aurait pas écrit un livre nouveau. Car il y a longtemps
    que tous les hommes spirituels et religieux savent que l’être humain est apte à recevoir, à quelque degré, tout influx
    venant de Dieu. C’est ce qui faisait écrire à saint Augustin cette formule qui est devenue un adage : "Mon âme est
    CAPABLE de Dieu". (Mon âme est "habile" à capter Dieu.)
    L’intention de l’auteur est de compléter cette notion classique. Le sens du surnaturel, il veut le décrire non seulement
    dans son fonctionnement mais dans sa nature. Et il dit que ce sens n’est pas seulement un organe de réception du divin. Pour
    recevoir Dieu, estime-t-il, t-il, il faut qu’il soit de la même nature que le Dieu qu’il reçoit.
    L’âme humaine (ou plus exactement le "spiritus") doit de toute nécessité être de nature divine, faute de quoi elle serait
    inapte à recevoir Dieu,inapte à le capter. Il faut qu’elle soit CONNATURELLE à Dieu. Et une grande partie de l’ouvrage
    va être consacrée à affirmer avec force cette CONNATURALITE.
    L’auteur pense avoir trouvé une justification scripturaire à cette notion de connaturalité dans un verset de l’Ecclésiastique
    XVII, 8 : "Il a mis SON OEIL dans leurs coeurs pour leur montrer la grandeur de Ses oeuvres". Il prend la locution "Son
    oeil" au sens littéral (au lieu du sens allégorique qui est généralement adopté) et il fait de cet oeil divin l’organe sensoriel
    spirituel dont il voudrait nous faire accepter la divinité. Mais alors le véritable titre du livre devrait être : "Le Sens Surnaturel".
    Car l’organe sensoriel qui est ainsi décrit ne se contente pas de recevoir le divin, il est lui-même divin.
    Avant d’aller plus loin et pour ne pas rester sur une fausse impression, réfutons tout de suite cette connaturalité. Reconnaissons
    pour commencer que l’idée d’un sens récepteur spirituel (quelle que soit la phase, localisée ou diffuse, qu’on
    lui assigne dans l’homme) est universellement admise. Cet appareil récepteur est fait pour capter une onde spirituelle, un
    influx divin. Or est-il nécessaire, comme on essaye de nous le faire admettre, que l’appareil récepteur soit connaturel à
    l’onde qu’il est chargé de capter ? Assurément non.
    C’est une chose que d’EMETTRE, et c’en est une autre que de RECEVOIR. Notre oeil n’émet aucune lumière, il n’est
    pas de la même nature que la lumière, et pourtant il la reçoit. Même chose pour le sens de l’ouïe.
    Ce qui est indispensable, en revanche, c’est que le sens récepteur soit de la même nature que l’organisme vivant auquel
    il doit transmettre l’onde reçue. Il est tout à fait normal que notre appareil récepteur du surnaturel appartienne à l’ordre
    de la nature. C’est même la condition essentielle pour que nous l’entendions. Notre âme est CAPABLE DE DIEU,
    comme l’écrit saint Augustin, sans pour cela qu’elle soit elle-même divine. Il est même indispensable, au contraire, que
    cette faculté soit connaturelle à l’homme.
    Reprenons le livre du Pr. Borella et voyons quelles sont les conséquences de la prétendue "connaturalité".
    L’âme, puisqu’elle est d’origine et de nature divine, va tendre tout naturellement à recouvrer la divinité qui est latente
    46
    en elle durant son séjour terrestre. Elle va tendre à la RECOUVRANCE de la Divinité.
    Ce n’est pas un hasard si le livre "Le Sens du Surnaturel" a été publié dans une "Collection" intitulée "Recouvrance".
    C’est donc qu’il s’agit d’un thème commun à toute une école.
    La consigne morale de cette école se formule ainsi DEVIENS CE QUE TU ES. Tu es divin en droit, à la naissance, il te
    reste à devenir Dieu, en fait, à la fin de ta vie.
    Voyons maintenant comment on va "devenir ce que l’on est", comment on peut parvenir à la "recouvrance". Les ésotéristes
    qui ne sont pas chrétiens y mettent deux conditions :
    - Il faut pratiquer un certain processus d’épuration qui prend le nom grec de KATARSIS. Un certain ascétisme est indispensable
    comme le prouve une expérience immémoriale.
    - Il faut aussi acquérir une certaine CONNAISSANCE car l’âme, toute divine qu’elle soit, demeure plongée dans l’ignorance
    au cours de sa vie terrestre. C’est l’initiation qui va mettre fin à cette ignorance.
    Deux conditions donc pour "devenir ce que l’on est" et parvenir à la recouvrance : la Katarsis et l’initiation. Tel est l’essentiel
    de la voie dite de l’alchimie spirituelle, c’est-à-dire de la transmutation spirituelle de l’homme.
    Mais alors les ésotéristes qui sont, en même temps, chrétiens n’ont pas pu adopter tel quel ce processus qui est éminemment
    naturaliste. Il a fallu qu’ils le christianisent. Ils ont conservé la nécessité de la Katarsis parce que l’on ne saurait
    s’y soustraire. Le mécanisme religieux naturel de l’homme est ainsi fait. Et d’ailleurs le christianisme exotérique y insiste
    lui aussi : sans un certain degré d’ascèse, pas de vie divine dans l’âme.
    Quant à la deuxième condition, la nécessité d’acquérir "la connaissance", que devient-elle chez les ésotéristes chrétiens
    ? Elle va être christianisée et surtout elle va être complétée car le chrétien sait qu’un simple surplus de connaissance ne
    suffit pas et qu’il faut, pour parvenir à ses finalités célestes, UNE AIDE SURNATURELLE, extérieure à l’homme. Or cette
    aide surnaturelle, c’est LA GRACE et la Grâce est le fruit de la Rédemption.
    La Rédemption va donc prendre place dans le système de l’ésotérisme chrétien de la "Recouvrance". - Pour être intégrée
    dans ce système, la Rédemption va devoir subir une transformation "métaphysique". Nous allons voir laquelle.
    Tout d’abord on va l’accoler à l’Incarnation avec laquelle elle ne va plus former qu’un seul processus, celui de L’INCARNATION
    REDEMPTRICE.
    Et on nous explique que l’Incarnation est rédemptrice parce qu’elle est initiatrice. Et elle est initiatrice parce qu’elle constitue
    une épiphanie, une révélation, un enseignement, une "connaissance". Et le Pr. Borella résume ce point de doctrine en
    écrivant :
    "C’est donc par son être même que le Corps du Christ sauve le monde en REVELANT en lui un mode d’existence proprement
    surnaturel." (page 95).
    Ailleurs il écrit dans le même sens :
    "LE CORPS DU CHRIST SAUVE PAR SA SIMPLE PRESENCE."
    Les ésotéristes chrétiens contemporains vont-ils en rester là ? Vont-ils se contenter, comme deuxième condition pour
    atteindre la recouvrance, de la connaissance que procure l’Incarnation Rédemptrice ? S’ils en restaient là, ils encourraient
    les reproches des catholiques instruits qui ne manqueraient pas de leur faire remarquer qu’une "connaissance" est insuffisante
    et qu’il faut aussi une AIDE SURNATURELLE, laquelle ne se trouve que dans le Sang Rédempteur.
    Dès lors le Pr. Borella, à l’unisson avec les autres écrivains de cette école, introduit le Sacrifice de la Croix dans son processus
    de recouvrance. Seulement ce ne sera plus du tout le Sacrifice expiatoire qui nous est enseigné par le Magistère romain.
    Il donne au Sacrifice de Notre Seigneur, une définition métaphysique. Il cesse d’être d’abord un Sacrifice historique
    pour devenir principalement un SACRIFICE ETERNEL se déroulant "in divinis".
    Quel est donc ce "Sacrifice in divinis" ? C’est tout simplement l’oeuvre de LA CREATION si stupéfiant que cela puisse
    paraître à un catholique qui a conservé l’usage de la droite raison. Car l’oeuvre de la Création, nous explique-t-on, a été
    éminemment frustrante pour Dieu. Elle l’a obligé à se contracter puis à se vider de lui-même. En opérant la Création Dieu
    a pratiqué une KENOSE, une "sortie" qui a été une "sortie sacrificielle".
    Et par voie de conséquence, la Création a entraîné la nécessité d’un Sacrifice secondaire de REINTEGRATION destiné
    à faire rentrer en Dieu la Création qui en était sortie.
    C’est précisément le Sacrifice du Calvaire qui est le Sacrifice de Réintégration. Ce qui permet au Pr. Borella de rassembler
    en une seule formule les deux volets de son raisonnement "métaphysique" :
    "Le Corps sauve par sa simple présence, le sang rachète par un acte sacrificiel."
    Mais alors le Sacrifice historique de la Croix n’est plus le Sacrifice INITIAL et le Sacrifice PAR EXCELLENCE. Il devient
    la conséquence d’un SACRIFICE ETERNEL qui est offert "in divinis".
    Nous sommes loin de l’enseignement de l’Eglise. Nous sommes loin du "Sacrifice expiatoire destiné à satisfaire la Justice
    divine".
    Cette "métaphysique" est exposée, dans "Le Sens du Surnaturel", avec beaucoup de lyrisme mais aussi avec des complications
    et des incidentes qui font de la démonstration un véritable labyrinthe.
    Quand nous examinerons le livre de Jean Hani "La Divine Liturgie", nous retrouverons toutes ces thèses, appliquées
    alors non plus à la théorie de la "Recouvrance", mais à la "métaphysique" de la Messe.
    L’origine de ces conceptions, qui s’éloignent si gravement des définitions ecclésiastiques, est très inquiétante. Elle est à
    rechercher dans des ouvrages d’auteurs juifs comme Léo Schaya, ou hindouistes comme A.K. Coomaraswamy
    Voici une phrase de L. Schaya cité par l’Abbé Stéphane dans son traité "Aspects de la Messe" (Tome I page 260) :
    "Le Sacrifice in divinis est représenté dans la Kabbale par le mystère du TSIMTSUM qui exprime à la fois la "Contraction"
    divine nécessaire à la Création, et le "Retrait" de la Création entière dans son Centre et Principe incréé." (L’Homme et
    l’Absolu selon la Kabbale, par Léo Schaya, Juif de naissance mais converti à l’Islam).
    47
    Voici maintenant une thèse de A.K. Coomaraswamy résumée par l’Abbé Stéphane (Tome I page 259) :
    "In principio, il n’y a que l’Un sans second, la Non-Dualité. Et le Tout est contenu dans le Principe appelé Dragon. Mais pour
    que le tout naisse à l’Existence, il faut que le Dragon soit tué... Ainsi le SACRIFICE IN DIVINIS apparaît comme nécessaire à la
    réalisation de la Possibilité Universelle. Et la manifestation de certaines de ces possibilités se présente elle-même comme un SACRIFICE".
    (Hindouisme et Bouddhisme par A.K. Coomaraswamy).
    C’est à ces sources extra-chrétiennes que l’Abbé Stéphane, le Pr. Borella et Jean Hani sont allés puiser.
    LES TRAVAUX DU PR. BORELLA SUR LE SYMBOLISME
    Le Pr. Borella a beaucoup étudié la question du symbolisme. Il est devenu "Docteur d’Etat" en 1982 avec une thèse intitulée
    "Les Fondements Métaphysiques du Symbolisme Sacré." Ce travail de base lui a servi par la suite pour la composition de
    trois ouvrages sur le même sujet.
    "Le Mystère du Signe" aux Editions Maisonneuve et Larose, Paris 1989 (Collection Métalangage) avec sous-titre : "Histoire
    et Théorie du Symbole".
    "La Crise du Symbolisme Religieux" aux Editions "L’Age d’Homme", Lausanne (Suisse) 1990.
    "La Métaphysique du Symbole" (Publication imminente).
    C’est une matière extrêmement importante et très controversée car deux conceptions du symbolisme s’affrontent : la
    conception chrétienne et la conception ésotérique. Toutes les deux prennent comme point de départ l’analogie universelle
    qui est dans la nature des choses. Cette unité de base donne, aux deux conceptions symboliques, une convergence apparente.
    Mais en réalité les systèmes interprétatifs sont très différents.
    Il existe un symbolisme chrétien parfaitement orthodoxe, qui a peut-être été un peu délaissé dans l’enseignement courant
    depuis l’époque de l’humanisme, mais qui n’en subsiste pas moins, toujours égal à lui-même, dans le patrimoine
    doctrinal de l’Eglise.
    Quant au symbolisme ésotérique, celui précisément que développe le Pr. Borella, il est très florissant à l’heure actuelle
    et il est surtout très volubile. Il ne conduit pas aux mêmes conclusions religieuses que le symbolisme chrétien.
    La comparaison de ces deux symbolismes présenterait un très grand intérêt pour notre étude. Mais elle demande des
    développements importants que nous ne saurions inclure dans le présent article. Nous lui consacrerons un travail ultérieur
    qui paraîtra séparément.
    LES COLLABORATIONS DU PROFESSEUR BORELLA A DES PUBLICATIONS PERIODIQUES
    INTRODUCTION
    Il est presque impossible de tenir à jour le compte des participations que le Pr. Borella accorde à des publications périodiques
    ou à des colloques. Son activité est considérable. Mais, désirant surtout comprendre sa doctrine, il nous suffit
    d’examiner quelques productions caractéristiques. Faisons simplement remarquer que nous n’avons pas la prétention
    d’être complet.
    Passons en revue successivement ses collaborations dans les revues que voici :
    - La Pensée Catholique
    - Les Etudes Traditionnelles
    - Vers la Tradition
    - La Place Royale
    - Connaissance des Religions
    - Krisis
    - Politica Hermitica
    - Les Dossiers H.
    Pour terminer, nous mentionnerons succinctement sa participation à quelques colloques caractéristiques.
    LA PENSEE CATHOLIQUE
    La collaboration du Pr. Borella à "La Pensée Catholique", à elle seule, mériterait de faire l’objet d’une thèse. Car, elle
    pose un problème : l’Abbé Luc Lefèvre, qui en était alors le directeur, a-t-il accepté l’introduction de l’ésotérisme chrétien
    dans sa revue en connaissance de cause ? Ou bien s’est-il laissé surprendre ?
    Voici, parmi un grand nombre d’autres, quelques titres d’articles du Pr. Borella publiés dans "La Pensée Catholique"
    - N° 180 de Mai-Juin 1979, "A propos de la Déification"
    - N° 182 de Septembre-Octobre 1979, "Réponse à un questionnaire sur le Christianisme"
    - N° 183 de Novembre-Décembre 1979, "Réponse à un questionnaire sur le Christianisme - II - Les Sacrements"
    - N° 184 de Janvier-Février 1980, "Le Grand Pan est mort"
    - N° 186-187 de Mai-Août 1980, "Le Sens du Surnaturel"
    - N° 188 de Septembre-Octobre 1980, "La Doctrine Thomiste de la Valeur"
    - N° 190 de Janvier-Février 1981, "Corpus Passum"
    - N° 193 de Juillet-Août 1981, "Gnose Chrétienne et Gnose antiChrétienne
    - N° 194 de Septembre-Octobre 1981
    1 . Des Sciences inhumaines,
    2 . "Les illusions de l’occident" de Claude Polin et Claude Rousseau
    48
    - N° 196 de Janvier-Février 1982, "L’Esprit Saint, la Trinité et l’Immaculé Conception"
    - N° 193 de Mai-Juin 1982, "A propos de la peine de mort"
    - N° 203 de Mars-Avril 1983, "La Gnose Chrétienne".
    LES ETUDES TRADITIONNELLES
    Dans un entretien réalisé à Nancy, le 5 Avril 1985 et publié dans la revue "L’Age d’or", Yves Chiron note que le Pr Borella
    "a collaboré aux Etudes Traditionnelles jusqu’en 1984.
    La revue "Les Etudes Traditionnelles" s’appelait primitivement "Le Voile d’Isis". Elle a, pendant de longues années,
    servi d’organe d’expression à R. Guénon. C’est une publication typiquement ésotérique. On y rencontre, en particulier,
    une signature que nous connaissons bien, celle de François Chénique, le compilateur des oeuvres posthumes de l’Abbé
    Stéphane. Notons au passage un compte-rendu de lecture élogieux du livre de Marco Pallis : Lumières Bouddhiques
    (Fayard - Paris - 1983) par Fr. Chénique.
    VERS LA TRADITION
    La collaboration du Pr. Borella avec la revue "Vers la Tradition" a été très confiante pendant toute une période. C’est
    ainsi que, dans le numéro inaugural, Roland Goffin, rédacteur en chef, définit l’orientation de la revue et énumère les
    groupes amis en compagnie desquels il entend cheminer. Parmi ces amis, R. Goffin signale particulièrement un
    "GROUPE NON-FORMEL mais influant" dont il désigne les personnalités
    - L’Abbé Stéphane, - Le Pr. J. Borella, - F. Chénique.
    "Laissant "traditionalistes et progressistes" à leurs invectives et excommunications réciproques, nous n’auront garde d’oublier
    que se lèvent et s’expriment, enfin, au sein même du catholicisme, des personnalités telles que l’Abbé Stéphane, Jean Borella, François
    Chénique et d’autres, qui constituent un groupe non-formel mais influant, délibérément engagé, par leurs écrits, dans une
    perspective authentiquement traditionnelle. Ils seront à ce titre de précieux compagnons de route."
    Dans le numéro 4 - 5 de la revue "Vers la Tradition", Roland Goffin milite en faveur du PLURALISME. Le pluralisme
    est une position essentiellement tactique, qui se situe à l’opposé du SYNCRETISME. Pour les syncrétistes, le moment est
    venu d’élaborer une religion universelle et uniforme en réunissant les éléments qui leur sont communs. Pour les pluralistes,
    une telle position est aussi illusoire qu’enfantine. Ce qu’il faut, à leur avis, c’est au contraire maintenir la distinction
    des religions dans leurs expressions exotériques. Une certaine unité interconfessionnelle est souhaitable, bien entendu,
    mais cette unité ne peut se faire que "par le haut", c’est-à-dire à l’échelon ésotérique. C’est la position défendue par Fr.
    Schuon dans son ouvrage "L’Unité Transcendante des Religions". C’est aussi la position de la revue "Vers la Tradition" et
    de son directeur Roland Goffin lequel aime se ranger derrière l’opinion "pluraliste" du Pr. Borella qu’il cite comme suit :
    "Chacune des Eglises chrétiennes comporte aussi ses propres limites, tout à fait inévitables. Et il est à craindre, qu’en voulant
    les réunir, on ajoute les limites de l’une aux limites de l’autre et qu’elles ne se corrompent l’une l’autre (...) Il serait catastrophique
    que cet oecuménisme conduisit à la destruction de ce qui fait la spécificité irremplaçable de chacune" (Jean Borella cité par R.
    Goffin dans les n° 4 - 5 de "Vers la Tradition").
    Par la suite, le Pr. Borella a cessé de collaborer directement à la revue "Vers la Tradition". Mais nombreux sont ses
    confrères dans l’Ecole de l’ésotérisme chrétien qui apportent à cette revue, de mieux en mieux présentée, leurs concours
    réguliers. C’est le cas, en particulier, de Jean Hani et de Jean Tourniac.
    LA PLACE ROYALE
    La revue "La Place Royale" est une publication trimestrielle qui appartient incontestablement à l’Ecole de l’ésotérisme
    chrétien. Elle a paru régulièrement de Février 1983 à la fin de l’année 1990, époque à laquelle elle a cessé de paraître. La
    revue "Le Lys Blanc", dans son n° 45 de Janvier-Février 1992, signale la continuation de "La Place Royale" à une nouvelle
    adresse : La Reynerie 47.230 Lavardac (Lot et Garonne).
    L’équipe rédactionnelle, dirigée par Henri Montaigu, faisait parfois appel à des écrivains chevronnés comme Jean
    Phaure et Gérard de Sorval, mais elle recourait surtout au bénévolat.
    D’après le titre, on voit facilement que "La Place Royale" est une publication royaliste. Et l’on apprend sans surprise
    qu’elle se consacre à l’étude des problèmes que pose la rencontre du sacré et du temporel. Elle constitue une manifestation
    de ce qu’il faut bien appeler LE LEGITIMISME ESOTERIQUE. L’idéologie que nous nommons ainsi est un aspect non négligeable,
    et même de plus en plus saillant, de l’ésotérisme chrétien. L’ouvrage le plus instructif en la matière est celui de
    Jean Hani, intitulé : "La Royauté Sacrée - Du Pharaon au Roi très Chrétien" (Trédaniel - Paris - 1984). Puis viennent plusieurs
    ouvrages, beaucoup moins doctrinaux et plus romanesques, mais cependant dans la même ligne, de Henri Montaigu
    : d’abord "Le Cavalier Bleu" (Denoël), puis deux ouvrages publiés aux Editions de la Place Royale : "La Sagesse du Roi
    Dormant" et "Le Prince d’Aquitaine". Enfin "Le Roi Capétien" qui est le Tome I d’une série en cours.
    Un livre à succès est venu récemment enrichir la liste des ouvrages qui s’inspirent de ce même légitimisme ésotérique,
    c’est le roman "Sire" de Jean RASPAIL, livre qui laisse l’impression d’un monarchisme artificiel où un certain lyrisme, très
    littéraire, tient lieu de véritable mystique chrétienne.
    Quelle est l’idée directrice du légitimisme ésotérique ? Elle peut se résumer ainsi : on observe, à travers l’histoire humaine,
    la résurgence constante d’une royauté prototypique, universelle et archaïque dans laquelle le prince temporel est
    revêtu d’une autorité sacrale ; les diverses royautés qui ont vu le jour ne sont que des rejetons de ce trône commun ésotérique
    ; on passe du Pharaon au roi très chrétien sans solution de continuité. Et si la royauté se recommande aujourd’hui
    comme remède à la crise, c’est précisément parce qu’elle possède ce caractère universel et sacral. Telle est l’idée générale
    49
    du légitimisme ésotérique.
    Pour notre part, nous constatons que, dans la construction générale présentée par les ésotéristes, qu’ils soient chrétiens
    ou non, cette royauté universelle est le complément temporel de la religion universelle. Et celle-ci se décompose, comme nous
    avons pu le voir à diverses occasions, en un certain nombre de chapitres : la tradition universelle, - la mystique universelle, -
    le symbolisme universel ... etc Il y a là toute une construction uniformisante dont le but est d’abolir la rivalité du Christ et de
    l’Antéchrist et de les faire s’embrasser.
    Il est évident que, pour un chrétien, cette tentative d’uniformisation est inacceptable. Car, si Notre-Seigneur possède
    ici-bas sa Religion, son adversaire Satan, le Prince de ce monde, possède aussi la sienne, avec sa tradition, sa mystique,
    son symbolisme... et sa royauté. Il y a deux religions comme aussi deux royautés, les unes "selon le Christ", les autres "selon
    l’Antéchrist". Personne n’y peut rien.
    Précisons que, dans le cas particulier de la royauté, il faut bien distinguer entre d’une part "la puissance qui vient de
    Dieu" - Potestas a Deo - et d’autre part "la puissance de Dieu" - Potestas Dei.
    Toute puissance vient de Dieu - Omnis potestas a Deo - parce qu’il conserve en tout le haut domaine. C’est ainsi que la
    puissance qui s’exerce contre Dieu, comme le pouvoir de Pilate, d’Hérode et de Caïphe, vient cependant de Dieu ("Tu
    n’aurais sur Moi aucun pouvoir si ce pouvoir ne t’avait été donné d’en Haut"). Au contraire la "Puissance de Dieu (Potestas
    Dei) est celle qu’Il exerce par le ministère d’un roi lié à Lui grâce à un choix et à un pacte : c’est le cas de David et de
    Clovis.
    La doctrine de la royauté universelle, élaborée par les ésotéristes, ne s’embarrasse pas de ces distinctions pourtant si
    importantes. Elle n’a pas pour origine le vrai légitimisme français. Elle vient d’ailleurs.
    Le Pr. Borella est mêlé de près aux manifestations du légitimisme ésotérique, et en particulier à la revue "La Place
    Royale". C’est ainsi qu’il a confié l’édition de son ouvrage "Le Sens du Surnaturel" à "La Place Royale". C’est ainsi également
    que, parmi les ouvrages qui sont recommandés aux lecteurs de la revue, figure "La Charité Profanée". Nous verrons
    plus loin que, dans la revue "Politica Hermetica", le Pr. Borella a fait un long article, très élogieux, de Henri Montaigu, de
    ses oeuvres en général (une vingtaine d’ouvrages) et de son livre "La Couronne de Feu" en particulier. Il ne fait pas de
    doute que le Pr. Borella a été, pour l’équipe de "La Place Royale", un penseur de référence.
    CONNAISSANCE DES RELIGIONS
    Cette revue a été fondée par Léo Schaya, décédé depuis. Le rédacteur en chef actuel est Michel Bertrand. Le Comité
    d’Honneur est composé de Marie-Magdeleine Davy, du Professeur Antoine Faivre et de Jean Tourniac. Le Comité de Rédaction
    comporte onze noms : Paul Barba-Négra, Jean Biès, Jean Borella, Jean Canteins, Max Escalon de Fonton, Jean Hani,
    Henry Montaigu, Jean-François Pioche, Paul-Georges Sansonette, Françoise Schaya, Gérard de Sorval.
    L’emblème choisi pour figurer sur la couverture de la revue est le labyrinthe de la cathédrale de Chartres, interprété
    comme "symbole du pèlerinage de la Terre Sainte intérieure". C’est ce même labyrinthe qui figure sur la publication "Travaux
    de la Loge Villars de Honecourt", dont le siège social est 65 Boulevard Binneau (92.200 Neuilly). Ces deux emblèmes
    ne sont pas tout à fait les mêmes mais ils se ressemblent beaucoup. Il faut véritablement les placer l’un à côté de l’autre
    pour distinguer quelques menues différences. Faut-il voir dans cette quasi-identité d’emblème une quasi-identité d’inspiration
    ?
    La revue "Connaissance des Religions" est trimestrielle. Elle se définit elle-même, en première page de chaque numéro,
    de la manière suivante :
    "Depuis sa fondation, cette revue se propose de contribuer à la connaissance des religions, de leurs multiples expressions traditionnelles,
    de leurs implications spirituelles et sacrées les plus profondes.
    "Attentive à ce que chaque religion enseigne sur le Principe Suprême, sur l’homme et les mondes, la revue s’oriente en particulier
    vers la métaphysique Une, qui leur est sous-jacente et qui se reflète dans les voies spirituelles offertes aux fidèles.
    "Dans cet esprit, la cosmologie, les sciences, les arts, les symbolismes sacrés que l’on rencontre dans les cultures traditionnelles,
    sont évoqués, à la lumière de leur signification universelle."
    Cette publication est donc un organe de l’ésotérisme, mais pas spécialement de l’ésotérisme chrétien. Des agnostiques,
    des juifs, des musulmans, des bouddhistes s’y rencontrent avec des chrétiens. Il semble que ces derniers soient les plus
    nombreux. Le Pr. Borella écrit très souvent dans "Connaissance des Religions". Donnons quelques exemples de ces prestations,
    on aura une première idée de son orientation, à la lecture des sujets qu’il aborde
    Dans le numéro inaugural de la revue (1er Trimestre 1985), un article important ayant pour titre : "Du Non-Etre et du
    Séraphin de l’Aine".
    Septembre 1985 - Analyse d’un livre de Louis Lallement : "Le sens Symbolique de la Divine Comédie. - I - L’Enfer."
    Dans le même numéro - Analyse d’un document publié par Maurice Gandillac : "Nicolas de Cues - Lettre aux moines
    de Tegernsee sur la docte ignorance."
    Décembre 1985 - Compte-rendu d’un livre de Gérard de Sorval : "La Marelle ou les Sept marches du Paradis".
    Mars 1986 - Analyse d’une oeuvre de Gerard de Sorval : "Initiation chevaleresque et initiation royale dans la spiritualité
    chrétienne".
    Juin 1986 - Analyse de l’ouvrage de Fr. Schuon : "Résumé de Métaphysique Intégrale".
    Décembre 1986 - Article à l’occasion de la naissance de René Guénon.
    Mars 1987 - Article intitulé : "Mystère et Symbole chez Jean Scot" (Il s’agit de Scot Erigène et non pas de Duns Scot.)
    Mars 1988 - Article intitulé : "Logique du Non-Dualisme".
    La collaboration du Pr. Borella à la revue Connaissance des Religions donne une idée assez exacte du milieu spirituel
    dans lequel il a coutume d’évoluer et de ses préoccupations philosophiques dominantes. Elle confirme son appartenance
    50
    à tout ce complexe d’idées, de publications et d’écrivains auxquels nous avons été tout naturellement amenés à donner le
    nom d’Ecole de l’Esotérisme chrétien.
    LA REVUE KRISIS
    La revue KRISIS parait quatre fois par an depuis l’été 1988. Son siège social est situé impasse Carrière-Mainguet, Paris
    XIè. Dans l’éditorial du premier numéro, Alain de Benoist, qui en est le directeur, définit la position philosophique de la
    revue. Elle étudiera, écrit-il, les causes et les manifestations de la crise (Krisis). Il met en évidence ce qu’il pense en être la
    cause essentielle. Tout le mal viendrait de ce que : "l’homme n’est plus posé comme conscience de ce qui le relie au monde,
    mais comme conscience de soi... L’homme se dessaisi de ce qui le re-lie et se donne lui-même comme la source de toutes
    les valeurs".
    De nouveau donc, dans cette revue relativement récente, Alain de Benoist réaffirme la position anti-rousseauiste qu’il
    développe depuis longtemps dans "Nouvelle Ecole" et dans les autres publications de la nouvelle droite. L’émiettement
    individualiste a conduit à la massification marxiste de sorte que "la société est à la fois homogène et chaotique." (Homogène
    par massification et chaotique par émiettement.)
    Le monde occidental est privé de son vieil esprit. Il est en proie à la "paupérisation spirituelle, et c’est cet appauvrissement
    dans l’abondance qu’il menace maintenant d’exporter dans l’univers entier... Cette phase terminale, cette phase de
    dissociation et de dissolution généralisée est aussi une phase d’accomplissement. Elle accomplit un oubli qui vient de
    loin. Oubli des origines, oubli de l’histoire..."
    La revue Krisis va lutter contre cette massification des individus sans défense. Elle va redonner à chacun ses racines
    historiques et spirituelles. La nouvelle revue, nous explique-t-on, va s’attaquer aux vrais problèmes, à savoir : les limites
    de l’autonomie du sujet individuel, les nouvelles données du contexte social, le retour du religieux, du mythe et du symbole.
    Vient ensuite la protestation de tolérance que l’on trouve immanquablement dans les productions qui relèvent, de près
    ou de loin, de la franc-maçonnerie :
    "Krisis ne cherche pas tant à fournir des réponses qu’à poser de bonnes questions... La revue fera largement appel à des personnalités
    de tous horizons."
    Alain de Benoist a donc fait appel aux penseurs du moment. Et le Pr. Borella est l’un de ceux-là en sa qualité d’ésotériste
    chrétien.
    Les numéros 3 et 4 de la revue Krisis (les deux derniers trimestres de 1989) contiennent une longue étude, en deux articles,
    du Pr. Borella intitulée : "La gnose au vrai Nom." Le titre montre qu’il va poursuivre sa tentative depuis longtemps
    amorcée, de christianiser la gnose, ou tout au moins d’introduire le mot dans la terminologie courante de la théologie
    chrétienne :
    "On voit ainsi que la gnose est une réalité immense et sacro-sainte, une réalité profonde et mystérieuse, dont parlent les chrétiens
    entre eux sans éprouver le besoin de l’expliciter davantage."
    En somme les chrétiens pratiquent effectivement la gnose, bien que d’une manière tacite. L’auteur donne les raisons
    de cet usage discret de la gnose. Première raison :
    "chacun s’accorde pour y voir une désignation de la science intérieure et intime de Dieu, de la conscience effective et cordiale
    de l’Esprit s’infusant dans l’âme du croyant par la grâce de Jésus-Christ (bref, la réalisation de la foi.)" La gnose est intérieure,
    ce qui explique son usage à la fois si personnel et si général.
    Mais il y a une deuxième raison, d’ailleurs conséquence de la première :
    "Une telle science, au moins dans son essence, est indicible, elle transcende toute parole et toute conscience distincte et formelle
    que l’on peut en prendre." La gnose est inexprimable, ce qui explique que l’on n’en parle pas. Son action est silencieuse
    et la conscience que l’on en a est tacite.
    Continuant son approfondissement de la gnose "chrétienne", le Pr. Borella écrit ceci :
    "Le terme de GNOSTIQUE ne désigne pas l’appartenance à une secte ou à une école religieuse ; il désigne UN ETAT SPIRITUEL".
    C’est l’état spirituel de celui qui est parvenu intérieurement à une conscience du Christ aussi parfaite qu’elle
    peut l’être en ce monde.
    Et pour se faire mieux comprendre, il compare l’état spirituel du gnostique avec l’état spirituel du ROSE-CROIX :
    "On le voit, la solution qui nous parait s’imposer correspond au fond à celle que René Guénon a donnée pour les Roses-Croix,
    terme qui, selon lui, s’applique non à une organisation initiatique, mais à ceux qui ont réintégré l’état primordial, état symbolisé
    par la rose au centre de la croix... On pourrait d’ailleurs trouver d’autres correspondances plus justifiées encore avec les termes de
    YOGI et de SOUFI, puisqu’en effet le gnostique de Clément d’Alexandrie a dépassé l’état de l’homme primordial pour atteindre
    l’état christique ou monadique, l’état d’homme déifié". Le gnostique chrétien tel que l’entend le Pr. Borella est donc un
    homme qui, ayant atteint l’état de déification, peut valablement être comparé à un rose-croix, à un yogi et à un soufi.
    Telle est LA GNOSE AU VRAI NOM.
    "Au vrai nom", ce qui revient à dire qu’il existe aussi une gnose au faux nom. Cette fausse gnose, qui emprunte le nom
    sans en être vraiment, c’est le GNOSTICISME. Le gnosticisme est la réplique satanique de la gnose. Sur ce sujet l’auteur se
    réfère, encore une fois, aux thèses de R. Guénon et, dans leur ensemble, il les adopte. Voici ce qu’il écrit :
    "Il s’agit en effet, explique Guénon, de l’origine historique du satanisme et de la contre-initiation, c’est à dire de tous ceux qui,
    en révolte contre l’ordre divin, entreprennent d’utiliser le pouvoir inhérent aux forces sacrées à rebours de leur sens véritable et selon
    une inversion parodique qui prend l’infra-naturel pour le surnaturel."
    En somme le gnosticisme n’est rien d’autre que la "descente d’énergie du niveau spirituel au niveau psychique, d’une chute
    du céleste dans le terrestre et de sa commixtion profanatoire avec lui."
    51
    Dans le second article (Krisis n° 4 de Septembre 1989) le Pr. Borella va aller plus loin. La gnose n’est pas seulement intuitive,
    elle est aussi doctrinale et elle comporte un contenu notionnel. L’acte de foi du chrétien contient une "dimension
    gnostique". Comment cela, demandons-nous ? Et on nous l’explique. Parce que L’INTELLECT possède lui-même une dimension
    divine. S’il peut comprendre Dieu c’est parce qu’il est divin d’origine et de nature. Nous retrouvons, dans cet article
    de Krisis, le raisonnement dont l’auteur avait fait le sujet principal de son livre de 1986 "Le Sens du Surnaturel". Mais
    ici il en renouvelle profondément les modes d’expression.
    Il existe donc une connaissance congénitale qui précède la foi. Sans quoi, nous affirme-t-on, l’enseignement de la foi ne serait
    pas accueilli par l’intellect à qui il resterait étranger. Et l’on nous précise que c’est justement cette connaissance préexistante
    qui constitue la gnose doctrinale. La gnose se manifeste dans ce "moment préalable, de nature spéculative, et donc
    à certains égards autonome, au cours duquel l’intelligence est informée des catégories métaphysiques appropriées à la réception
    de la foi..."
    Ainsi l’intellect natif de l’homme contiendrait ce que le PR. Borella nomme parfois le moment gnostique. Il affirme avec
    force que l’intellect comporte une structure d’accueil qui opère l’actualisation â de ces POSSIBILITES THEOMORPHIQUES
    qu’implique la création de l’homme à l’image de Dieu et que le péché originel n’a pas pu effacer de notre intelligence.
    Bref, il se résume en écrivant qu’il existe "UNE GNOSE DOCTRINALE sous la lumière de laquelle s’éclaire et s’actualise
    les possibilités théomorphiques de l’intellect." On voit que ses expressions sont ici particulièrement nettes.
    L’enseignement extrinsèque de la foi (ex auditu) peut maintenant venir dans l’intellect. Il y trouvera une protorévélation
    déjà imprimée dans cette icône divine que constitue tout être humain dès sa naissance. On reconnaît là le raisonnement
    déjà rencontré dans "Le Sens du Surnaturel", livre dans lequel le Professeur nous a parlé de la connaturalité divine
    de l’intellect humain.
    La collaboration du Pr. Borella (assez épisodique d’ailleurs) à la revue Krisis est tout à fait dans la nature des choses.
    En effet l’ésotérisme chrétien n’est rien d’autre qu’une remise en question de la Religion catholique sous prétexte
    d’approfondissement. Il est donc tout à fait à sa place dans une revue dont le but non dissimulé est de relativiser le catholicisme
    en faisant de lui une opinion parmi d’autres.
    POLITICA HERMETICA
    "A quel moment et comment l’OCCULTE, qui est connaissance, se mue-t-il en domination et recherche de domination?" Qui
    se pose cette question ? C’est précisément le rédacteur en chef de la publication "Politica Hermetica", Jean Pierre Brach,
    dans l’éditorial du premier numéro (1987 - Edité par "L’Age d’Homme", 5 rue Férou, Paris VIè). C’est pour lui une façon
    voilée et ésotérique de se demander quels peuvent être les rapports entre l’occulte et l’exercice du Pouvoir politique.
    Mais alors qu’entend-il par "l’occulte" ? Il va nous le laisser entendre à mots couverts. A nous de comprendre ce qu’il
    veut dire. Voici comment il définit l’occulte dont il recherche les rapports avec le politique :
    "Précisément, de la maçonnerie à la synarchie... certains mythes servent trop souvent d’explication en dernier ressort... alors
    que ce sont ces mythes eux-mêmes qui demandent à être élucidés pour ce qu’ils sont, produits sociaux de l’imaginaire." En d’autres
    termes, il va procéder à une étude de la sociologie de l’occulte en utilisant les ressources d’investigation que lui
    fournira "l’inconscient collectif" de C. G. Jung.
    Ce sont donc les sociétés de pensée qui vont faire l’objet de son étude. Il examinera les mythes qu’elles cultivent et qui
    sont symptomatiques de leur état d’esprit et de leurs intentions. Et sa curiosité promet d’être sans concession puisqu’il se
    demande si la possession des clés (les clés que procurent l’appartenance aux sociétés occultes) n’est pas bien souvent préférée
    à l’exercice de l’autorité officielle. En somme il se demande si les maçons et les synarchistes ne préfèrent pas leur
    PUISSANCE CACHEE à la détention de la PUISSANCE PUBLIQUE. On ne peut qu’admirer l’audace de cet éditorialiste
    qui en use si librement avec des sociétés occultes si jalouses de leur secret, si puissantes et si vindicatives. Son scalpel
    fouille même avec beaucoup d’indiscrétion dans l’anatomie des organisations occultes. On lit par exemple ceci :
    "Seulement, l’occulte qui renvoie toujours à l’initiation ne suppose-t-il pas l’autorité, de ceux qui savent sur ceux qui ignorent,
    la hiérarchie de ceux qui connaissent le plus sur ceux qui connaissent le moins ? Entre communauté gnostique et société politique,
    quelles sont les ressemblances et les différences, les liens et les contrastes ?"
    Politica Hermetica va donc étudier les mécanismes d’embrayage de l’occulte (désigné ici "hermétisme") sur le politique.
    Mais tranquillisons-nous, la revue ne sera pas vraiment dangereuse pour "l’occulte" car elle sera purement descriptive,
    elle n’essayera pas de porter un jugement appréciatif. Elle recevra "l’ésotérisme pour ce qu’il se donne." Elle rassemblera des
    lecteurs pour le leur faire comprendre: "Rassembler pour comprendre." Il ne s’agit pas d’une croisade contre l’occulte. Tout
    au plus pourra-t-il résulter, de cette enquête sociologique, un effet partiel de désoccultation et de vulgarisation, mais à coup
    sûr pas d’hostilité systématique.
    Avec Jean-Pierre Brach, qui est rédacteur en chef, l’une des personnalités dirigeantes de "Politica Hermetica" est Jean-
    Pierre Laurent, lequel est en même temps un des personnages importants de la revue "Krisis". Ces deux publications sont
    établies sur des bases et avec des intentions très voisines. Elles iront le plus loin possible dans l’étude de l’occulte mais elles
    se contenteront de travaux de style universitaire sans prise de position entre les camps en lutte. C’est ainsi par exemple
    que la régularité des filiations initiatiques sera pour elles un objet d’étude uniquement formelle mais elles ne se risqueront
    pas à un jugement quant au fond. Pour ce qui est des rapports entre l’Eglise et la Maçonnerie, la neutralité consistera
    à découvrir de l’ésotérisme à la fois dans les deux institutions.
    Le Comité de Rédaction, de "Politica Hermetica", compte sept membres : Philippe Bailler, Francis Bertin, Michel Bouvier,
    Jean-Pierre Brach, Jean-Pierre Laurant, Emile Poulat et Pierre-André Taguieff. Le comité de Lecture se compose de Jean Borella,
    Michel Michel, Paul Olivier, Pierre-Marie Sigaud.
    52
    Le numéro 2 de la revue (1988) contient le substantiel compte-rendu de lecture du Pr. Borella sur un livre dont le sujet
    se situe tout à fait dans le cadre que nous venons de décrire : les rapports de l’occulte et du temporel. Il s’agit du livre "LA
    COURONNE DE FEU" par Henry Montaigu (Introduction à la lecture symbolique de l’Histoire de France,Tome I, Le Roi
    Capétien, Vision spirituelle de l’Histoire, 1987, 335 pages). Le commentateur est très élogieux pour cet ouvrage dans lequel
    il retrouve l’esprit de l’ésotérisme chrétien.
    En effet, cet ouvrage est l’une des manifestations de ce qu’il faut bien appeler le LEGITIMISME ESOTERIQUE, bien
    que ces deux mots jurent d’être associés. Le livre de Henry Montaigu exprime incontestablement un certain légitimisme. Et
    son commentateur est très approbatif. L’un et l’autre adoptent, du plus près qu’ils le peuvent, les principes énoncés depuis
    longtemps par le vieux légitimisme français authentique, à savoir :
    - le caractère surnaturel de la sainte ampoule,
    - le Roi de France est le continuateur de la royauté davidique,
    - comme Roi il tient son mandat du Ciel,
    - la restauration de cette monarchie antique est attendue en dehors des voies humaines.
    Ce sont là les principaux axiomes du légitimisme. Nous les retrouvons sous la plume de Henry Montaigu et on peut
    dire aussi sous celle du Pr. Borella qui approuve. Mais en même temps cette doctrine est un ESOTERISME. La rectitude
    du légitimisme va être déviée et même dénaturée par des propositions venues d’ailleurs et dont voici les principales :
    - C’est la fonction de l’EMPEREUR, et non pas celle de Roi de France, que d’exercer un droit d’aînesse, une tutelle juridico-
    morale sur les autres royaumes. (Cette idée de la suzeraineté impériale est l’une des thèses maîtresses de Julius Evola).
    - La Monarchie française, bien que "sacrée", n’est cependant qu’un cas particulier en milieu chrétien, de la monarchie
    traditionnelle et universelle.
    Cette théorie, que vient illustrer l’ouvrage de Henri Montaigu et à laquelle J. Borella souscrit aussi, a été principalement
    exposée dans le livre de Jean Hani intitulé : "La Royauté Sacrée - du Pharaon au Roi très Chrétien." (Editions Guy Trédaniel,
    1984). Reconnaissons que ce LEGITIMISME ESOTERIQUE trouve parfaitement sa place dans le forum, ouvert par
    Politica Hermetica, où se débattent, entre maçons et non-maçons, les rapports de "l’occulte" et du politique.
    LES DOSSIERS "H"
    Les Editions "L’Age d’Homme" (les mêmes qui publient aussi "Politica Hermetica"), ont édité, en 1984, un volumineux
    Dossier H consacré à René Guénon. Ce dossier de 321 pages est composé d’une série d’études, faites par des auteurs très
    divers, mais qui ont tous une réelle autorité dans les matières qu’ils traitent. Le Pr. Borella s’est chargé d’un article intitulé
    : Gnose et Gnosticisme chez René Guénon.
    Nous ne pourrons pas tenir compte des digressions, pourtant très intéressantes, que présente son texte. Il faudra nous
    réduire à l’essentiel. D’où un premier paragraphe qui exposera la thèse centrale de l’article ; ce sera la partie descriptive.
    Puis dans un second paragraphe, nous montrerons l’incompatibilité des thèses des ésotéristes chrétiens avec l’orthodoxie
    romaine ; ce sera la partie critique.
    La Doctrine Guénonienne de la Gnose Métaphysique et Immuable.
    Nous savons que la distinction de la gnose et du gnosticisme est un sujet auquel le Pr. Borella attache une grande importance.
    En effet, s’il veut introduire la gnose dans le christianisme, il faut qu’il commence par lui enlever son caractère
    et sa réputation d’hétérodoxie en la distinguant, le plus nettement possible, du gnosticisme.
    Un premier travail va consister à définir ce qu’il faut entendre par gnose. Selon une définition communément admise
    par les ésotéristes (qu’ils soient chrétiens ou non) la gnose est la connaissance de Dieu que l’on retire de la contemplation
    prolongée (de la méditation intense). Cette connaissance expérimentale et personnelle, nous assure-t-on, est plus riche en
    notions "sacrées" que l’enseignement religieux reçu de l’extérieur (ex auditu), non pas qu’elle lui soit contraire, mais parce
    qu’elle le vérifie, le précise et le complète. Et il en est ainsi parce que l’homme est doué d’une INTELLECTUALITE SACRÉE.
    Son intellect est de nature pneumatique. Il lui suffit de s’exercer pour posséder la gnose, c’est-à-dire le contact cognitif
    et entitatif avec la substance spirituelle de Dieu.
    Telle est, pour l’essentiel, la définition que le Pr. Borella donne de la gnose. (Nous la connaissions mais il fallait la reprendre
    ici). Il fait remarquer que R. Guénon fournit la même définition mais qu’il la précise sur un point très important :
    à savoir la concordance nécessaire (il faudrait même dire automatique) de la connaissance intuitive personnelle avec la
    tradition immémoriale.
    Revoyons un peu cela.
    Le Pr. Borella estime que René Guénon nous communique la gnose pure et véritable. Pour Guénon, dit-il, la gnose ne désigne
    rien d’autre que la connaissance métaphysique ou science sacrée. Cette connaissance métaphysique est, selon René
    Guénon, d’une rigueur absolue (ce qui veut dire d’une vérité et d’une immutabilité certaine). Voici d’ailleurs comment
    René Guénon s’exprime :
    "Nous ne pouvons concevoir la Vérité métaphysique autrement que comme aussi rigoureuse que la vérité mathématique dont
    elle est le prolongement illimité." (Dossier H, page 110)
    Mais alors que faut-il entendre par ce prolongement illimité de la Vérité métaphysique ? Le Pr. Borella donne l’explication
    suivante :
    "Entre temps (c’est-à-dire au fil des années, dans la pensée de René Guénon) la transcendance de la métaphysique sur tout le
    reste s’est considérablement accentué parce que sa nature de tradition sacrée et son origine primordiale, déjà explicitement affirmée,
    ont conduit Guénon... à prendre une conscience plus nettement hiérarchique de sa suréminence principielle." (Dossier H,
    53
    page 110)
    En d’autres termes, quand l’âme gnostique parvient à la "connaissance", elle se plonge dans la "Vérité métaphysique"
    laquelle est à la fois impersonnelle et immuable, il dit primordiale et principielle. Quand l’âme gnostique médite, elle ne
    peut que retomber mécaniquement, mathématiquement, sur la révélation primordiale. On nous dit qu’elle vérifie ainsi la
    tradition primordiale. C’est cette notion de continuité et de prolongement illimité que René Guénon a précisé dans la définition
    de la gnose.
    En somme son raisonnement se résume comme suit : la gnose est une méditation métaphysique (autrement dit purement
    intellectuelle) ; or la métaphysique est immuable ; donc la gnose est immuable ; c’est l’expérience personnelle d’une
    métaphysique impersonnelle.
    Ainsi se définit la GNOSE AU VRAI NOM, celle qui est irrécusable, absolue, immémoriale. Sur cette définition, J. Borella
    et R. Guénon sont en parfaite communion de pensée.
    Mais ils vont encore se trouver du même avis à propos du GNOSTICISME. Car, à l’opposé de la gnose immémoriale,
    l’histoire nous fait découvrir une contre-façon de gnose. Il faut énergiquement distinguer la gnose de cette contre-façon.
    Et René Guénon précisément est l’un des principaux artisans de cette distinction. Après toute une période de recherche et
    d’enquête dans les milieux occultistes, celui qui allait devenir l’éminent ésotériste hindouisant et islamisant que l’on
    connaît, jeta finalement l’anathème sur un certain nombre de manifestations pseudo-gnostiques qu’il considérait comme
    très nocives. Voici les principales de ces manifestations :
    - le spiritisme
    - la théosophie
    - l’occultisme opératif qui se contente de stimuler des forces préternaturelles en vue d’obtenir des pouvoirs
    - les filières pseudo-initiatiques sans régularité de filiation
    - les filières contre-initiatiques soumises à l’influence démoniaque.
    C’est tout cet ensemble d’organismes et de doctrines qui compose le GNOSTICISME MODERNE lequel est la continuation
    du gnosticisme si néfaste qui a sévi durant les quatre premiers siècles de l’ère chrétienne. Les ésotéristes chrétiens,
    dans le sillage de René Guénon, pensent avoir ainsi délimité clairement la bonne gnose et le mauvais gnosticisme.
    C’est cette distinction qui leur permet de s’adresser aux catholiques traditionalistes en leur disant :
    "Nous connaissons très bien les dangers du gnosticisme. Mais la gnose au vrai nom en est très différente. Vous
    n’avez pas à la craindre parce qu’elle lui est diamétralement opposée".
    Aucune limite réelle entre Gnose et Gnosticisme.
    Le Pr. Borella est le premier à reconnaître que le terme de gnose est actuellement discrédité. Mais il estime que ce discrédit
    incombe aux écarts de langage des gnostiques des quatre premiers siècles qui ont tout fait pour embrouiller les
    choses. Voici comment il s’exprime :
    "Le gnosticisme hérétique, s’il a disparu aux Vè et VIè siècle, à peu près complètement, a au moins réussi une chose : c’est à discréditer
    définitivement le vocable néo-testamentaire de GNOSE, et par là, à occulter presque entièrement la simple idée d’une intellectualité
    sacrée". (Dossier H, page 103)
    Le discrédit du terme est donc à mettre sur le compte d’une regrettable équivoque : on a attribué faussement à la
    gnose les méfaits du gnosticisme. Il devrait donc suffire de mettre fin à cette équivoque pour que le discrédit du terme
    prenne fin. Et pour mettre fin à cette équivoque, il faut montrer que gnose et gnosticisme sont deux choses essentiellement
    différentes. C’est précisément ce que le Pr. Borella estime avoir fait.
    Seulement voilà. Examinons quel est le contenu notionnel que nous apporte l’intellectualité sacrée, autrement dit la
    gnose doctrinale dont il nous a parlé ailleurs. Nous pouvons le faire maintenant que nous arrivons à la fin de notre examen.
    Quelles sont les différentes têtes de chapitre de la prétendue bonne gnose (dont nous venons d’apprendre de surcroît
    qu’elle se confond avec la métaphysique guénonienne) ? Les voici :
    Le Principe Suprême (ou Hyperthéos), - la Tripartition (ou l’existence de trois mondes), - le germe divin dans l’âme, -
    la Théorie des Cycles, - l’Androgyne, - l’Adwaïta...
    La "bonne" gnose est faite de ces notions-là. Or ces notions-là on les trouve précisément dans le gnosticisme, dans le
    nouveau comme dans l’ancien. Elles sont communes à la "bonne" gnose et au "mauvais" gnosticisme, lesquels par conséquent
    ne constituent qu’une seule et même doctrine.
    Quand le Pr. Borella aura réussi à introduire la gnose au vrai nom dans le Christianisme, il y aura tout simplement introduit
    les données essentielles du gnosticisme.
    Il faut signaler encore les collaborations du Pr. Borella
    - à "La Revue de Métaphysique et de Morale"
    - et à "La Revue Philosophique".
    Mais ces collaborations, qui sont en rapport avec ses fonctions universitaires (il est Professeur de Philosophie à Nancy
    II) n’ont pas de lien direct avec l’ésotérisme chrétien.
    PARTICIPATION A DES COLLOQUES
    Le Pr. Borella, écrivain très actif et très demandé, participe à de nombreux colloques. Nous ne rapportons ici que deux
    de ces participations parce qu’elles sont particulièrement en rapport avec l’ésotérisme chrétien
    - le Colloque Guénonien de Cérisy-la-Salle
    - le Colloque Karma-Ling.
    54
    COLLOQUE DE CERISY-LA-SALLE
    Deux colloques consacrés à René Guénon ont eu lieu successivement à Cérisy-la-Salle, l’un en Juillet 1973, auquel le
    Pr. Borella n’a pas participé, le second les 29 et 30 Novembre 1986 où il figure parmi les membres du "Comité d’Initiative"
    qui l’a préparé et dont voici la liste :
    - René ALLEAU, déjà organisateur du premier colloque,
    - Paul BARBA-NEGRA, à l’adresse duquel les inscriptions devaient être prises,
    - Jean BIES que l’on retrouve partout et qui fut rédacteur à "Epignosis",
    - Jean BORELLA,
    - Théodore CAZABAN, écrivain,
    - Roland GOFFIN, rédacteur en chef de la revue "Vers la Tradition",
    - Jean HANI, universitaire, écrivain que nous allons retrouver dans de nombreuses publications,
    - Jean-Pierre LAURANT, universitaire historien,
    - Robert MAN, écrivain,
    - Michel MICHEL, professeur à la faculté de Grenoble,
    - Henry MONTAIGU, rédacteur en chef de la revue "La Place Royale",
    - Louis PAUWELS, écrivain, journaliste au "Figaro-Magasine", à "Planète", "à Question De",
    - Michel RANDOM, éditeur,
    - Hélène RENARD, journaliste,
    - Jean-Pierre SCHNETZLER, psychiatre, l’un des animateurs du colloque "Chrétiens-Bouddhistes" de la Chartreuse de
    Saint Hugon,
    - Gérard de SORVAL, que l’on retrouve à "La Place Royale",
    - Constantin TACOU, éditeur,
    - Jean TOURNIAC, écrivain ésotériste chrétien.
    COLLOQUE KARMA-LING
    Nous avons déjà signalé celui de Pentecôte 1984 où nous avons noté l’intervention de François Chenique, mais auquel
    le Pr. Borella n’a pas participé. L’Institut Karma-Ling dont la philosophie, nous le savons, est à la fois bouddhiste et chrétienne,
    a organisé un nouveau "Colloque Transdisciplinaire" du 29 Avril au 1er Mai 1990, à Arvillard en Savoie. Il est précisé
    que ce colloque reprendra la formule des tables rondes très appréciée lors des dernières rencontres à l’Institut Karma-Ling. Le
    sujet est résumé ainsi : "Des Symbolismes, du Symbolique et de leurs éventuels effacements." La liste des PARTICIPANTS
    prévus est publiée en même temps que l’annonce du colloque :
    - Pierre BASSO, Chercheur au CNRS, universitaire de Marseille,
    - Jean BORELLA, Chaire de Philosophie à l’université de Nancy II,
    - Guy BUGAULT, Chaire de Philosophie à la Sorbonne,
    - François CHENIQUE, Docteur es Sciences Religieuses,
    - Alain LAURANT, Biologiste, Franc-Maçon,
    - Michel MICHEL, Sociologue à l’université de Grenoble,
    - Paul MONTANGERAND, Analyste Jungien,
    - Michel G. MOURET, Psychiatre,
    - Guy PELLETIER, Astrophysicien, université de Grenoble,
    - Lama Denis TEUNDROUP, Directeur Spirituel de l’Institut Karma-Ling,
    - Jean-Michel VAPPEREAU, Mathématicien, Analyste Lacanien,
    - Georges VERNE, Médecin psychanalyste.
    Il n’est pas nécessaire d’être grand clerc pour comprendre, d’après les personnalités réunies et les sujets traités, que ces
    deux colloques, (Cérisy-la-Salle et Karma-Ling) ne se proposaient pas de creuser l’orthodoxie romaine en toute fidélité,
    mais au contraire d’opérer sa comparaison avec le guénonisme et avec le bouddhisme et logiquement aussi, sa compénétration
    par eux. La personnalité du Pr. Borella se précise encore quand on constate sa participation à de telles réunions.
    Son appartenance à l’école de l’ésotérisme chrétien ne peut plus faire de doute.
    CONCLUSION DU CHAPITRE III
    Qu’il existe une DOCTRINE de "l’ésotérisme chrétien", cela ne fait aucun doute. Des livres ont paru sous ce titre. L’appellation
    est aujourd’hui couramment usitée. Mais nous pensons que l’on peut aussi parler d’une ECOLE de l’ésotérisme
    chrétien. Car un certain nombre d’écrivains peuvent être rassemblés comme professant explicitement cette doctrine, bien
    qu’avec les inévitables variantes.
    Monsieur Jean Borella professe incontestablement cette doctrine. Nous irons plus loin et nous dirons qu’il appartient à
    l’ECOLE du même nom. Il en est même le représentant le plus brillant et surtout le plus complet, car il présente un système
    très étudié. Faut-il aller jusqu’à le considérer comme LE CHEF D’ÉCOLE ? Nous ne sommes que des observateurs
    extérieurs et il nous est difficile de répondre à cette question, car nous ne savons pas très exactement s’il est reconnu
    comme tel à l’intérieur de son groupe.
    On rencontre, dans son ouvrage "Le Sens du Surnaturel", une expression assez symptomatique. Le Pr. Borella en vient
    à débattre d’une certaine question (peu importe laquelle). Avant de donner sa réponse, il veut se référer à une autorité et
    55
    il écrit alors : "Un MAITRE a fait remarquer, à cet égard..." (page 100). Et une note en bas de page indique qu’il s’agit de
    Frithjof SCHUON. Ce titre de "maître" est-il une simple marque de politesse réservée à un "grand ancien", Fr Schuon est
    en effet très âgé, ou bien est-il le signe d’un degré supérieur dans l’échelle de la connaissance ? Nous penchons pour cette
    seconde explication. Le Chef d’Ecole serait donc Fr. Schuon. Par conséquent c’est par lui que nous commencerons, quand
    au chapitre suivant, nous essayerons d’énumérer les principaux représentants de l’école de l’ésotérisme chrétien.
    Le Pr. Borella est manifestement un GRAND ERUDIT. En philosophie, en théologie, en linguistique, en patrologie,
    dans les sciences ésotériques, ses connaissances sont étendues et précises. Sa plume est claire quand il le veut. Mais le
    plus souvent il est obligé d’estomper beaucoup ce qu’il écrit et il emploie ce style très caractéristique des néo-gnostiques.
    Il mêle alors son ésotérisme aux notions chrétiennes avec des alternances de discrétion et d’audace, et dans des formes incroyablement
    variées.
    On comprend qu’il ait favorablement impressionné des personnalités comme l’Abbé Lefèvre de "La Pensée Catholique",
    Louis Salleron, Marcel de Corte et beaucoup d’autres, qui manifestement ne l’ont pas lu avec une attention suffisante
    et qui se sont laissés bercer par une certaine musique des mots. Sans compter que tout ce qui est gnostique exerce,
    sur certains intellectuels un irrésistible charme. Ils n’ont pas mesuré les conséquences, pour l’intégrité de la foi, de ses
    postulats, de ses raisonnements et de sa terminologie aventureuse et glissante.
    Le Pr. Borella est aussi un ESPRIT RELIGIEUX. On peut dire de lui qu’il est un véritable "gnostique" au sens où il l’entend
    lui-même. Pour lui, la religion est la chose essentielle dans le monde et dans l’histoire. Il est un véritable pneumatique
    au sens grec du mot, c’est à dire un "spirituel". Il nourrit, pour la religion, un incontestable ZELE, mais ce zèle n’engendre
    pas, chez son lecteur, une vraie piété. C’est le zèle du réformateur. L’état actuel de la dogmatique chrétienne ne lui donne
    pas satisfaction. Il souhaite une MUTATION du christianisme.
    Dans quel sens cette mutation ? Il faut que l’Eglise puise à la source toujours vive de la TRADITION UNIVERSELLE,
    source qui se maintient vivante et pure chez les contemplatifs de l’ésotérisme sous le nom de métaphysique. Notre "sens du
    surnaturel" inné nous met précisément en contact avec cette métaphysique. Notons quant à nous, bien qu’on ne nous le
    dise pas, qu’une métaphysique ainsi conçue n’est plus une "science de l’être", comme le veut la définition classique de ce
    mot, c’est tout simplement une mystique, c’est-à-dire une source d’inspiration par contemplation ou même par simple
    méditation.
    Un des axes du système gnostique du Pr. Borella est la PRESEANCE qu’il attribue A LA THEOLOGIE MYSTIQUE sur
    la théologie dogmatique. Il privilégie toujours les écrivains mystiques. Car les mystiques, estime-t-il, parce qu’ils obtiennent,
    par la contemplation, le contact entitatif de l’âme avec Dieu, en savent plus long, sur la Divinité, que les théologiens
    dogmatiques qui restent des "livresques". La gnose, qui est intuitive dans sa modalité, est également doctrinale parce
    qu’elle recèle un contenu notionnel. Elle constitue par conséquent une excellente source de révélation. Il faut donc consulter
    les écrivains ésotériques quand on élabore la théologie. Ils ont leur mot à dire en leur qualité de témoins expérimentaux.
    Il est évident qu’une telle doctrine, si elle était appliquée dans l’Eglise, mettrait finalement la théologie sous la dépendance
    des illuminés de tous ordres, et y introduirait toutes les notions que véhicule la gnose. Nous allons en donner, une
    fois de plus une énumération succincte.
    Pour le Pr. Borella, il faut laisser au catholicisme toutes ses formes extérieures. Il doit même redoubler d’ardeur dans
    la culture de son irremplaçable exotérisme. L’union des religions doit se faire dans le pluralisme. Ce qui est commun aux religions
    est TRANSCENDANT, c’est-à-dire ésotérique.
    Néanmoins certains thèmes "transcendants" doivent aujourd’hui pénétrer dans le christianisme courant. Ces thèmes,
    nous les connaissons bien. Voici encore une fois les principaux, puisque nous concluons :
    - La Déité Suressentielle, ou Hyperthéos (de l’Abbé Stéphane), ou le Principe Suprême de René Guénon.
    - Le "monde intermédiaire" qui se situerait entre le monde des corps et le monde des esprits et auquel appartiendraient,
    en particulier, les démons.
    - L’Intellectualité surnaturelle incluse dans notre nature, avec toutes ses conséquences dans les domaines de la mystique
    et du salut.
    - L’Androgyne, car tout être humain est fondamentalement androgyne.
    - Les Cycles cosmiques qui renouvellent indéfiniment l’univers.
    Quant à la STRATEGIE du Pr. Borella, il lui arrive d’en parler, de loin en loin et à mots couverts. Citons, pour donner
    un exemple, un paragraphe de "La Charité Profanée" (page 341). Après avoir affirmé son indéfectible fidélité aux doctrines
    de saint Thomas et plus généralement aux doctrines de l’Eglise, il déclare que, selon sa méthode ordinaire, il va les
    soumettre à un nouvel éclairage qui leur donnera un nouvel aspect
    "Fidèle à notre méthode, nous continuerons à nous appuyer sur la doctrine thomiste, en la situant toutefois dans une lumière
    où elle est rarement envisagée, parce que cette lumière confère aux conclusions du maître une portée insoupçonnées, que l’on pourrait
    qualifier véritablement d’ésotérique ou de "gnostique". Mais ce n’est pas seulement la théologie la plus classique, ce sont aussi
    les définitions dogmatiques les plus officielles de l’Eglise catholique, qui révèlent aussi leur plus haute signification, et rejoignent
    la Suprême vérité métaphysique." (La Charité Profanée p. 341)
    La LUMIERE projetée par le Pr. Borella sur les dogmes de la foi va y faire apparaître, en filigrane, la Suprême vérité métaphysique.
    Quelle est cette lumière ? Quelle est cette vérité métaphysique ? Pour élucider ces propos étranges, il faut des
    développements qui dépassent le cadre de cet article.
    CHAPITRE IV : QUELQUES PERSONNALITES DE L’ESOTERISME CHRETIEN
    56
    INTRODUCTION
    Nous n’avons plus aucun doute sur l’existence d’une DOCTRINE de l’ésotérisme chrétien puisqu’un ouvrage important
    s’en réclame explicitement : le livre de l’Abbé Stéphane intitulé "Introduction à I’Esotérisme Chrétien". Doctrine homogène
    et bien délimitée. Nous avons déjà trouvé deux auteurs qui adhérent à cette doctrine : François Chénique et le Pr.
    Borella. Mais nous allons plus loin et nous pensons qu’il existe aussi une véritable ECOLE, qui professe en commun cette
    doctrine. Nous estimons avoir déjà en main l’extrémité du fil de l’écheveau. Il ne nous reste plus qu’à suivre ce fil tout en
    prenant en considération, chemin faisant, les auteurs qui se recommandent les uns et les autres ou qui se donnent euxmêmes
    comme apparentés et comme confrères dans le même ésotérisme.
    Le premier écrivain qui nous vient à l’esprit est évidemment Fr. Schuon puisque le Pr. Borella le considère comme un
    Maître. Nous savons aussi que l’Abbé Stéphane l’avait en très haute estime, à égalité avec R. Guénon.
    Mais alors, nous dira-t-on, pourquoi ne pas citer R. Guénon lui-même comme le véritable fondateur de l’ésotérisme
    chrétien ? On nous le reprocherait avec raison car ce penseur ne saurait passer pour chrétien. Il est de notoriété publique
    qu’il ne pratiquait plus sa religion d’origine et qu’il s’était fait musulman. Guénon est certes un écrivain ésotériste mais il
    n’est à coup sûr pas chrétien. Sa religion exotérique était l’Islam. C’est donc, en définitive, par Fr Schuon qu’il faut poursuivre
    notre prospection des auteurs qui sont à ranger dans l’Ecole de l’ésotérisme chrétien.
    Nous savons très bien que Fr. Schuon s’était lui aussi, fait musulman. Mais il a toujours pris soin de maintenir, avec le
    christianisme, les meilleurs rapports de voisinage. Parmi les visiteurs qu’il recevait, beaucoup étaient des catholiques de
    tendance traditionaliste.
    FRITHJOF SCHUON
    NOTICE BIOGRAPHIQUE
    Le père de Fr. Schuon était Wurtembergeois, sa mère était alsacienne et lui-même est né à Bâle en 1907. Il épousa la
    fille d’un diplomate suisse. Il exerça d’abord la profession de dessinateur d’art à Paris, tout en étudiant, pour lui-même,
    l’arabe et quelques langues orientales. Il séjourna en Afrique du Nord et prit contact avec des dignitaires du soufisme. Il
    visita deux fois Guénon au Caire. Il était en Inde lorsqu’éclata la deuxième guerre mondiale. Il retourna alors en Suisse
    dont il avait la nationalité. Après la guerre il retourna en Inde puis voyagea en Amérique du Nord. Pendant vingt ans il
    fut le correspondant et même le collaborateur de Guénon aux "Editions Traditionnelles". Sa résidence ordinaire se trouvait
    en Suisse sur les bords du lac Léman. Actuellement très âgé, il s’est retiré aux U.S.A.
    Sa production littéraire et philosophique est presque aussi importante que celle de R. Guénon. Voici la liste de ses
    principaux ouvrages (sans ordre chronologique de parution)
    - De l’Unité Transcendante des Religions (Editions du Seuil)
    - Comprendre l’Islam (Editions du Seuil à la collection "Points-Sagesses")
    - Perspectives Spirituelles et Faits Humains (Les Cahiers du Sud, diffusé par Dervy)
    - Christianisme - Islam - Vision d’OEcuménisme Esotérique (Arché - Milano - 1981)
    - Castes et Races suivi de Principes et Critères de l’Art Universel (Arché - Milano)
    - Les Stations de la Sagesse (Buchet - Chastel)
    - Formes et Substances dans les Religions (Dervy - Livres)
    - L’Esotérisme comme Principe et comme voie (Dervy- Livres)
    - Le Soufisme - Voile et Quintessence (Dervy - Livres)
    - Sentiers de Gnose (édité d’abord à La Colombe, avec une deuxième édition au "Courrier du Livre")
    - Images de l’Esprit : Shintô, Bouddhisme, Yoga (Flammarion, puis "Le Courrier du Livre")
    - L’OEil du Coeur (édité par Dervy-Livres)
    - Regards sur les Mondes Anciens (aux Editions Traditionnelles)
    - Logique et Transcendance (aux Editions Traditionnelles)
    C’est sans hésitation que nous le faisons figurer dans l’Ecole de l’ésotérisme chrétien car son désir était de fournir une
    doctrine ésotérique parfaitement compatible avec le christianisme. Il faut même lui attribuer, dans cette école, une place
    de choix. Il recevait beaucoup de visites, il avait le sens du prosélytisme et fut véritablement un "Maître". Son oeuvre mériterait
    d’être étudiée à fond. L’Abbé Stéphane lui reconnaissait autant de mérite qu’à celle de R. Guénon. Obligés de nous
    limiter, nous analyserons seulement ici un chapitre du "Dossier H - 1984" où Fr. Schuon délimite sa position par rapport
    au pur guénonisme ; C’est une position alternativement élogieuse et critique d’un très grand intérêt pour notre étude.
    FR. SCHUON ET LE GUENONISME
    "Guénon nous a rendu un inestimable service en présentant et en expliquant les notions cruciales :
    - de science métaphysique,
    - d’intellectualité pure,
    - de tradition intégrale,
    - d’orthodoxie traditionnelle,
    - de symbolisme
    - et d’ésotérisme.
    puis en définissant et en condamnant, avec un réalisme implacable, l’aberration moderne sous toutes ses formes". (Dossier H -
    1984).
    57
    Fr. Schuon, quand il collaborait aux "Editions Traditionnelles" et tout au long de ses livres, a lui-même creusé et développé
    ces mêmes "notions cruciales". Mais ce qu’il reproche à Guénon c’est d’avoir majoré la composante hindouiste (et
    islamique) de son système et inversement d’avoir fait preuve, concernant le christianisme, d’un certain nombre
    d’ignorances impardonnables. En conclusion de son chapitre, il se résume lui-même en écrivant :
    "Un des points les plus faibles de l’ooeuvre guénonienne est sans conteste possible la sous-estimation de l’homme occidental -
    non du monde moderne car sous ce rapport Guénon a mille fois raison - et corrélativement, la surestimation de l’homme oriental et
    de l’état actuel des civilisations traditionnelles."
    Quelles sont les principales critiques que Fr Schuon adresse au système guénonien ? Et quelle est leur gravité ?
    1 - Fr. Schuon reproche à R. Guénon de trop négliger le bouddhisme et surtout de le connaître insuffisamment. Et en
    effet Guénon a longtemps considéré le bouddhisme comme une sorte de protestantisme qui aurait poussé en parasite sur
    le tronc du brahmanisme antique. Il semble pourtant qu’il serait revenu sur son jugement à la suite de l’observation d’un
    dignitaire oriental (nous voulons parler de A.K. Coomaraswamy), l’assurant que le bouddhisme n’est finalement pas en
    révolte fondamentale contre le brahmanisme et qu’il ne rompt pas la filière initiatique.
    2 - Sur la question des rapports entre l’autorité spirituelle et le pouvoir temporel
    - Guénon milite en faveur de la suprématie du spirituel sur le temporel. Pour lui l’ordre hiérarchique veut que ce soit
    le Pontife qui fasse les Rois.
    - Schuon lui reproche de ne pas s’être rangé à l’avis de Dante pour lequel l’autorité du Pape vient du Christ alors que
    le pouvoir de l’Empereur est de droit naturel : le Pape ne peut pas nommer l’Empereur, il ne peut que reconnaître et faire
    reconnaître son pouvoir.
    3 - Schuon critique le mépris constant de Guénon pour la matière.
    4 - Schuon fait grief à Guénon de ne pas admettre les Japonais dans la communauté extrême-orientale.
    5 - Sur la question : la Religion chrétienne est-elle ésotérique ou exotérique ?
    - Guénon pense que, sous ce rapport, une obscurité irrémédiable plane sur les débuts du Christianisme mais il constate
    que, dans son état actuel, cette religion est uniquement exotérique.
    - Schuon n’est pas de cet avis, estimant que si le Christianisme est, dans l’ensemble exotérique, il conserve cependant
    maints aspects ésotériques. (Nous avons vu que le Pr. Borella partage cette opinion).
    6 - Les Sacrements chrétiens sont-ils des initiations ?
    - Guénon dit qu’ils n’ont plus rien d’initiatique.
    - Schuon dit au contraire qu’ils sont bel et bien des initiations.
    - Pour notre part nous devons redire ici que les Sacrements du Christianisme qui impriment dans l’âme un caractère
    indélébile, à savoir le baptême, la confirmation et l’ordre, peuvent être considérés comme des initiations aux Mystères
    d’En-Haut et cela en vertu du principe que toutes les fois qu’il y a mystère il y a lieu à initiation. En revanche les initiations
    qui sont conférées en milieu ésotérique sont des initiations aux mystères d’En-Bas. (C’est le cas des initiations maçonniques).
    7 - Sur la question de la TRANSMIGRATION DES AMES Schuon ne reproche à Guénon que son manque de clarté
    dans l’expression. Mais il accepte l’idée guénonienne des "états pré-humains" et des "états post-humains", que Guénon
    développe dans "Les Etats Multiples de l’Etre". (Il faut noter que dans ses ouvrages sur le Spiritisme et sur la Théosophie,
    Guénon donne l’impression d’être nettement hostile à la doctrine de la réincarnation, du moins telle qu’elle est définie
    dans ces deux écoles).
    Bref on s’aperçoit que Schuon ne fait à Guénon que des reproches secondaires. Il accepte l’ensemble de son système,
    comme il le dit d’ailleurs au début de son chapitre. Il adopte aussi très largement sa terminologie hindouiste et sanscrite
    avec laquelle il est lui-même très familiarisé. On est submergé de Karma, de Mahayana, de Samsara, d’athma, de bhakti,
    de jnana... Nous avons déjà rencontré ce trait chez l’Abbé Stéphane, chez Fr. Chénique et, à un moindre degré, chez le Pr.
    Borella.
    Il n’existe pas, entre Guénon et Schuon, de différences doctrinales profondes. Mais Schuon est beaucoup plus attentif à
    présenter un ésotérisme qui apparaisse comme éminemment COMPATIBLE avec le catholicisme. Et il faut reconnaître
    que sous ce rapport, il est passé "Maître".
    JEAN HANI
    Après Frithjof Schuon, l’écrivain dont il faut faire mention comme l’un des plus caractéristiques de l’ésotérisme chrétien
    est Jean Hani. Il est né en 1917. Il est agrégé et Docteur es lettres d’Etat. Il a créé et dirigé le "Centre de Recherches sur
    l’Antiquité Classique" ainsi que le "Séminaire d’Histoire de la Religion Grecque". Il est en outre membre du "Centre de
    Recherches Mythologiques" à l’Université de Paris-Nanterre. Ses ouvrages d’érudition universitaire sont nombreux. Mais
    cet auteur nous intéresse surtout ici parce qu’à la suite de sa rencontre avec l’oeuvre de René Guénon, il a écrit quatre livres
    (tous les quatre aux Editions Trédaniel) particulièrement caractéristiques de l’école de pensée à laquelle nous nous
    intéressons :
    - 1975 - "Les Métiers de Dieu, Préliminaire à une spiritualité du Travail".
    - 1978 - "Le Symbolisme du Temple Chrétien".
    - 1981 - "La Divine Liturgie, Aperçus sur la Messe".
    - 1983 - "La Royauté Sacrée, de Pharaon au Roi Très Chrétien".
    A ces ouvrages de librairie, viennent s’ajouter une foule d’articles dans des revues de tendance ésotérique très mar58
    quée. Il faut signaler sa participation à trois publications significatives :
    - "Connaissance des Religions"
    - "Vers la Tradition" qui est de tendance guénonienne et évolienne
    - et "Aurores" (au pluriel) dont la devise marque nettement l’orientation hindouiste : "Il y a tant d’aurores qui n’ont
    pas encore lui". C’est une citation du Rig Veda. Cette devise indique bien l’adhésion de la Revue à la théorie orientale des
    cycles cosmiques.
    L’ensemble de cette oeuvre mériterait d’être étudiée avec attention, car elle exprime une pensée très élaborée. Mais
    nous y retrouverions, finalement, les mêmes thèmes que nous avons rencontrés dans les auteurs précédents, en particulier
    sur le symbolisme et sur le royalisme ésotérique. Ce travail sera certainement entrepris un jour ou l’autre parce que
    l’influence de Jean Hani est déjà considérable. Contentons-nous ici d’examiner ses thèses en rapport avec la liturgie de la
    Messe car elles contiennent des anomalies de jugement qui sont partagées par un certain nombre de clercs traditionalistes.
    Nous allons donc ouvrir "La Divine Liturgie, Aperçus sur la Messe". (Trédaniel - 1981), à la page d’introduction où l’auteur
    explique sa méthode d’exposition. Il ne cache pas qu’il va se comporter en sociologue doublé d’un ésotériste :
    "Notre point de vue, donc, n’est ni celui du théologien ni celui du liturgiste, mais celui de l’historien des religions. Ce que
    nous voulons montrer, c’est que le culte chrétien de la messe s’éclaire à la lumière des études concernant les schémas universels du
    sacré auxquels il est conforme.
    "Certes le culte chrétien a sa spécificité : mais cela, c’est au théologien et au liturgiste de le dire. Ce que nous nous proposons,
    c’est de dégager, dans le culte chrétien, les caractères qui le relient à l’universalité du sacré.
    "Il est certain que l’histoire des religions, aidée de l’anthropologie, de l’ethnologie et de la linguistique, a apporté à la connaissance
    du christianisme quelque chose d’irremplaçable et nous n’avons pas à mépriser les acquêts de ces sciences.
    "... Pour nous, nous utilisons ces acquêts en les soumettant, d’une part à la théologie et d’autre part à la métaphysique et à la
    Tradition sacrée universelle." (Introduction).
    Cette prise de position de Jean Hani, quant à sa méthode de travail et à l’esprit de ses recherches, présente le grand
    mérite de la clarté, ce qui n’est pas toujours le cas chez les écrivains ésotéristes. Il va utiliser, écrit-il, "les acquêts" de l’histoire,
    de l’anthropologie, de l’ethnologie et de la linguistique. Ces acquêts lui fourniront les schémas universels du sacré. Et
    il projettera la lumière de ces schémas sur le culte chrétien pour mieux en comprendre l’essence.
    Mais ces acquêts scientifiques, à eux seuls, sont insuffisants, parce que trop matériels, pour expliquer les rites. Il faut
    encore introduire, dans l’examen de ces rites, un facteur beaucoup plus spirituel d’appréciation. L’auteur pense donc que,
    dans ce travail d’élucidation de la liturgie, deux instances ont leur mot à dire : d’une part les théologiens chrétiens et
    d’autre part la métaphysique et la Tradition sacrée universelle.
    Les théologiens chrétiens, de toute évidence, représentent l’Eglise catholique. Sans la caution de l’Eglise, en effet, aucune
    élucidation du culte ne saurait être acceptée. On consultera donc l’Eglise et ses théologiens.
    Mais que faut-il entendre par "La Métaphysique et la Tradition sacrée universelle" ? Dans quel sanctuaire faut-il aller
    les chercher ? L’auteur ne le précise pas. Mais il n’est pas difficile de deviner que la métaphysique c’est la science, intuitive
    ou semi-intuitive, des ésotéristes. Quant à la Tradition sacrée universelle, tout le monde sait que la Maçonnerie estime la
    détenir.
    On va nous proposer une intelligence de la liturgie qui sera le résultat d’un accord entre d’une part les théologiens catholiques
    auxquels on soumettra les "acquêts" des sciences religieuses, et d’autre part les métaphysiciens et les tenants de
    la Tradition sacrée universelle. Cet accord ne peut pas manquer de s’établir étant donné qu’il est dans la nature des choses.
    C’est tout au moins ce que pense l’auteur.
    UNE REFUTATION PRELIMINAIRE
    Nous ne pouvons pas aller plus loin sans réfuter la notion de "Tradition sacrée universelle". C’est une réfutation que
    nous avons déjà faite maintes fois, mais qui s’impose de nouveau ici, en particulier pour ceux qui prendraient notre exposé
    en cours de route. On nous dit que cette tradition est universelle, on veut dire par là qu’elle est universellement acceptée
    et qu’elle l’a toujours été. Elle est unique et inchangée depuis les temps immémoriaux. (Rappelons ici que la métaphysique
    est censée coïncider à tout instant avec cette Tradition universelle et qu’elle en est l’actualisation dans tous les cas particuliers).
    Telle est la construction établie par les ésotéristes et que nous connaissons bien puisque nous l’avons rencontrée
    chez tous les auteurs précédents.
    En réalité les choses ne se sont pas passées ainsi. Adam fut le bénéficiaire et le dépositaire d’une Révélation primordiale
    et d’une science infuse qui ne font aucun doute, que l’Eglise enseigne officiellement et auxquelles on peut, en effet, donner
    le nom de Tradition primordiale et même de Religion primordiale. Mais il est certain aussi que cette Tradition adamique ne
    s’est pas maintenue dans son intégrité et dans son unité. Elle a été en grande partie déformée. Très rapidement il se créa
    DEUX TRADITIONS, l’une fidèle à la forme primordiale, l’autre déviée. Et la preuve de cette rapide dualité de traditions
    c’est l’épisode, combien fameux, du sacrifice d’Abel et du sacrifice de Caïn :
    - Celui d’Abel est sanglant, sa victime préfigure "l’Agneau immolé". Il convient à l’état de déchéance du monde après
    la chute. Il est expiatoire puisque désormais il y a lieu à un pardon. Aussi le sacrifice d’Abel est-il agréé.
    - Celui de Caïn est une offrande de louange, non sanglante. Il aurait été suffisant avant la chute. Mais il ne suffit plus
    maintenant puisque "la mort est entrée dans le monde" et qu’une rédemption sanglante est devenue nécessaire. Aussi le
    sacrifice de Caïn n’est-il pas agrée.
    Certes Jean Hani, dans le livre que nous examinons, ne remonte pas si haut. Il ne considère pas les deux traditions au
    stade de leur naissance. Il les observe longtemps après leur séparation mais en les considérant dans leur ensemble et
    59
    comme si aucun antagonisme ne s’était établi. C’est en sociologue et en métaphysicien qu’il étudie en bloc tous les sacrifices
    du monde. Il ne s’intéresse qu’aux éléments communs de ces deux types de liturgie (par exemple leur égale ancienneté,
    qui est réelle) sans tenir compte du jugement de Dieu. Pour lui tous les sacrifices de l’Histoire universelle, quels que
    soient les autels sur lesquels ils aient été offerts, sont comparables. Ils les considère comme appartenant à la même essence
    de phénomènes sociaux. On établira ainsi, scientifiquement et métaphysiquement, un sacrifice-robot, qui sera réputé
    la norme. Et on s’apercevra que tous les sacrifices, celui des chrétiens comme celui des hindouistes ou celui des païens, ne
    sont que des variantes plus ou moins proches de cette norme.
    Le catholique traditionaliste n’admet pas qu’il y ait une "Tradition sacrée universelle". S’il se déclare traditionaliste
    c’est parce qu’il se réfère à la TRADITION APOSTOLIQUE. La Tradition apostolique n’est pas autre chose que l’enseignement
    oral des Apôtres, lequel s’est fixé assez rapidement (dès la génération qui a suivi les Apôtres) dans les liturgies
    primitives, dans les inscriptions paléochrétiennes, chez les "Pères apostoliques" (ceux qui ont connu les Apôtres) et dans
    divers autres documents. La Tradition apostolique est l’une des deux formes de la Révélation (l’autre forme est le canon
    des Ecritures). C’est le Magistère qui, en puisant dans l’ensemble de cet antique patrimoine, définit ce qui appartient véritablement
    à la Tradition apostolique.
    La Tradition apostolique synthétise les Traditions patriarcales et mosaïques qui l’ont précédée, parce qu’elle en réalise
    les prophéties. Et même elle les surpasse en richesse et en exactitude parce qu’elle contient une part de Révélation évangélique.
    Elle est plus complète et en même temps plus expurgée que tout autre forme de tradition.
    LA MESSE EXPLIQUEE PAR LES SCIENCES HISTORIQUES.
    Nous connaissons maintenant les dispositions d’esprit dans lesquelles Jean Hani va entreprendre l’élucidation des
    mystères de la Messe. Il va essayer d’expliquer les rites eucharistiques, d’abord en qualité d’anthropologue en leur appliquant
    les acquêts des sciences historiques, puis en qualité d’ésotériste en projetant sur eux la lumière de ce qu’il appelle
    "la métaphysique" et la "Tradition sacrée universelle", laquelle n’est qu’une tradition déviée et polluée.
    Voyons d’abord l’éclaircissement apporté à la Messe par l’historien anthropologue. Il faudra nous contenter d’un seul
    exemple car nous devons nous limiter. Il étudie l’anamnèse c’est-à-dire la partie du canon de la Messe qui "fait mémoire"
    de la Passion, de la Résurrection et de l’Ascension de NotreSeigneur-Jésus-Christ, en application du précepte : "Vous ferez
    cela en mémoire de Moi". C’est la prière du célébrant qui commence par ces mots "Unde et memores... " et qui se place
    juste après la consécration du vin. Quelle va être l’attitude de Jean Hani en présence de cette anamnèse ? Quel éclaircissement
    va-t-il lui donner ?
    Il fait, de l’anamnèse du canon catholique, un cas particulier du phénomène général d’anamnèse. Il l’assimile aux formules
    analogues que l’on rencontre dans les liturgies païennes. Il fait remarquer que, dans toute religion, l’événement
    fondateur qui lui a donné naissance est commémoré rituellement. L’auteur fait appel à l’autorité de Mircéa Eliade, dans
    "Aspects du Mythe" (Paris - 1963) : la récitation rituelle de l’histoire divine qui fonde la communauté "n’est pas une commémoraison
    (au sens ordinaire) des événements mythiques mais leur REITERATION. Les personnes des mythes sont rendues
    présentes, on devient leurs contemporains". La récitation rituelle, continue Jean Hani, nous fait sortir du temps ordinaire
    pour nous replacer dans le temps primordial où s’est passé l’événement divin fondateur.
    Pour l’auteur de "La Divine Liturgie", l’anamnèse chrétienne n’est qu’un cas particulier de la commémoraison que l’on
    retrouve dans toutes les religions. Mais ce qu’il ne dit pas et qui est cependant essentiel pour un catholique, c’est que
    "l’événement fondateur" que l’on "rend présent" dans les commémoraisons non chrétiennes n’a de divin que le nom.
    Dans ces religions il est toujours un événement diabolique (fausse apparition, fausse révélation, fausse mystique). Et c’est
    pour cela que l’Eglise les appelle des fausses religions. L’exequatur qu’il prétend établir est donc fallacieux puisque les rites
    qu’il compare, et que finalement il identifie, relèvent de deux inspirateurs différents et même antagonistes Jésus et Belial.
    En appliquant, sans opérer le discernement des esprits, les données de l’anthropologie et de la sociologie à
    l’anamnèse du canon de la Messe, Jean Hani n’a pas éclairé ce rite, il l’a obscurci. Il lui accorde la même valeur qu’à ses
    imitations lucifériennes.
    Il va d’ailleurs opérer de la même manière avec la CONSECRATION dont il découvre des équivalents dans l’hindouisme.
    Il s’exprime ainsi, toujours dans "La Divine Liturgie" (page 38, en note) :
    "Il importe de bien voir, aujourd’hui plus que jadis, que cette PRÉSENCE REELLE dans la matière du sacrifice est essentielle
    dans les grandes religions ; ainsi dans le sacrifice animal de l’hindouisme, on réserve une part de la victime, appelée ida, sur laquelle
    le prêtre prononce une invocation à la suite de laquelle la divinité s’incarne réellement dans l’offrande."
    Là encore nous faisons une réflexion analogue : si "présence réelle" il y a, ce qui est possible après tout dans une certaine
    mesure, de qui est cette présence, dans une telle religion ? Le sociologue ne saurait se poser cette question puisqu’il
    ne dispose pas de critères surnaturels. Mais alors il ne doit pas non plus prétendre élucider les mystères de la Messe.
    LA MESSE ECLAIREE A LA LUMIERE DE LA METAPHYSIQUE.
    Après avoir appliquée à la Messe les acquêts des sciences humaines, Jean Hani veut donner aux chrétiens une explication
    quintessentielle du Saint Sacrifice. Pour cela il va se placer sur le plan de l’intemporel. Il le fera, en particulier dans le
    chapitre intitulé : "Les Saints Mystères (page 31 et suivantes) :
    "La seule explication vraiment satisfaisante est celle que fournit le point de vue métaphysique, totalement dégagé de la temporalité".
    Le point de vue métaphysique est celui que l’on acquiert dans les milieux ésotériques. LE SPIRITUEL (c’est-à-dire le
    métaphysicien, l’ésotériste, l’initié) SAIT que la liturgie visible, célébrée sur les autels de la terre, n’est que LA REFRACTION
    SYMBOLIQUE, dans le plan de la corporéité sur lequel l’homme se meut pendant l’existence terrestre, DE LA REA60
    LITE INVISIBLE D’EN HAUT. La véritable messe se déroule au ciel:
    "La messe a SON PROTOTYPE dans le sacrifice céleste". (page 41).
    Un peu plus bas l’auteur précise sa pensée en ces termes :
    "Les textes de l’Ecriture nous décrivent, sous une forme sensible, une réalité spirituelle et nous présentent, dans un déroulement
    temporel, quelque chose qui, en réalité, n’a jamais cessé d’exister et appartient à l’éternité."
    Il est plus formel encore quand il écrit :
    "LA MESSE N’EST PAS LA REPETITION OU LA REPRODUCTION DE L’ACTE HISTORIQUE QUE FUT LE SACRIFICE
    DU CALVAIRE, chose d’ailleurs impossible, ce n’en est même pas, au fond, la représentation." (page 42).
    Nous pouvons récapituler, en trois points, les importantes notions que nous venons de noter dans "La Divine Liturgie"
    - Le Sacrifice de l’Autel n’est pas le renouvellement du Sacrifice de la Croix.
    - La Divinité est le siège d’un SACRIFICE PROTOTYPIQUE, ou "sacrifice éternel".
    - Le Sacrifice qui est offert sur les Autels de la terre n’est que LA PROJECTION terrestre du Sacrifice prototypique du
    ciel.
    Nous devons maintenant essayer de comprendre le mécanisme de ce SACRIFICE ETERNEL. Jean Hani va nous y aider
    :
    "Mais pour comprendre, dans son ultime profondeur, le sens de ce sacrifice, à la fois expiatoire et transfigurateur, et, d’une façon
    générale, le sens même et la fonction du sacrifice, il faut en connaître le fondement métaphysique." (page 29).
    On va donc nous expliquer le fondement métaphysique du "Sacrifice éternel". Ce sacrifice éternel est présent dans les
    deux mouvements essentiels de l’oeuvre divine, à savoir la CREATION puis la REINTEGRATION de l’univers. C’est dans
    le chapitre "Le Sacrifice" de "La Divine Liturgie" que J. Hani s’explique sur ce sujet. Nous allons résumer sa doctrine en
    nous aidant de ses propres expressions.
    1-La Création constitue le sacrifice de Dieu.
    "Le fondement c’est, aussi étonnante que puisse paraître la formule, LE SACRIFICE ETERNEL DE DIEU.
    "Le sacrifice de Dieu C’EST LA CREATION. La création est, d’une certaine façon, L’HUMILIATION DE DIEU PAR RAPPORT
    A SON ABSOLU.
    "Dieu, qui dans son Absolu, ne Se rapporte à rien hormis à Soi-même, devient un ABSOLU-RELATIF : posant l’être de créature,
    il entre en relation avec lui.
    "Ce fait de se mettre en relation est LE SACRIFICE DE L’ABSOLU et le sacrifice de l’Amour pour cet "autre" qu’il pose Luimême
    comme créé du néant." (page 29).
    Ainsi le "Sacrifice céleste" c’est DIEU SORTANT DE LUI-MEME. C’est un sacrifice parce que cette naissance de l’univers
    rompt l’Absolu de Dieu. Désormais il n’est plus seul. Il devient, écrit J. Hani, "un Absolu-relatif".
    2-La Réintégration de l’Univers est aussi un Sacrifice Céleste.
    "Par ailleurs, en Dieu, le Fils en tant que tel, est éminemment le sacrifice de Dieu."
    Comment cela ? Jean Hani observe deux sorties sacrificielles de Dieu hors de lui-même.
    Dieu sort une première fois de lui-même, ad intra, quand il engendre son Fils. Et il sort une deuxième fois de luimême,
    ad extra, quand il crée l’univers. Et c’est parce que le Fils est le "Sacrifice du Père" qu’il est chargé de la Réintégration
    de l’univers dans le Principe.
    Nous connaissons maintenant le double mécanisme de ce Sacrifice éternel qui est à l’origine de celui du Christ au Calvaire
    et de ceux qui sont offert sur les autels de la Terre. L’auteur va pouvoir énoncer la définition métaphysique de la
    Messe qu’il a promise :
    "La consécration par le prêtre qui opère le sacrifice est, plus précisément, LA MANIFESTATION VISIBLE D’UN ACTE
    ETERNEL : elle déchire le voile, "illusoire", des conditions d’espace et de temps qui séparent l’esprit de l’homme de la contemplation
    des réalités éternelles." (page 42).
    Puis, conscient d’avoir enfin élucidé le mystère de la Messe à l’aide de la lumière ésotérique, il termine en écrivant :
    "Dès lors qu’on envisage les choses du point de vue métaphysique, toutes difficultés d’explication disparaît". (p. 42)
    Telle est l’explication métaphysique de la Messe. Tel est le Sacrifice céleste dont celui du Golgotha et ceux de nos autels
    sont des PROJECTIONS dans l’univers illusoire où nous vivons.
    On a tout de suite la forte intuition qu’une telle doctrine est incompatible avec le catholicisme orthodoxe. Aussi devons-
    nous consacrer un dernier paragraphe à nous assurer de cette incompatibilité.
    LA VERITABLE NATURE DE LA LITURGIE CELESTE SELON LES TEXTES DU CANON.
    Nous ne pouvons pas rester sur cette doctrine, manifestement hétérodoxe. Il faut la réfuter. Commençons par rappeler,
    pour bien situer le problème, les cinq phases du Sacrifice Rédempteur :
    - La Sanctification
    - L’Avant-Messe et les Lectures.
    - L’Oblation - L’Offertoire.
    - L’Immolation - Le canon et la Consécration.
    - La Consomption - La Communion (La consomption est quelquefois appelée "Clarification").
    - L’Acceptation qui constitue la phase intermédiaire entre la liturgie terrestre et la liturgie céleste.
    Avant de nous interroger sur la véritable nature de l’Autel céleste et de la liturgie qui s’y déroule, il faut remonter à
    l’origine et nous demander pourquoi le Sacrifice de la terre a été institué. Il l’a été pour SATISFAIRE LA JUSTICE DIVINE
    outragée par la faute originelle et par les péchés, dits "actuels", qui l’ont suivi. Le Sacrifice expiatoire a été offert par No61
    tre-Seigneur Jésus-Christ au Calvaire. Les célébrants de nos Messes, lesquelles sont des renouvellements non sanglants
    du Sacrifice de la Croix, demandent à Dieu d’agréer la satisfaction qui lui est faite.
    Cette demande d’acceptation constitue la cinquième (en l’honneur des Cinq Plaies) et dernière phase du Sacrifice terrestre.
    Cette phase, dans le rituel de la Messe, est moins nettement délimitée que les précédentes. Elle est diffuse dans
    l’ensemble de la célébration, mais elle n’en constitue pas moins une phase particulière, sans laquelle le Sacrifice ne serait
    pas complet.
    Récapitulons rapidement les principales prières de la Messe dans lesquelles se manifeste la demande d’acceptation :
    - Le "Suscipe Sancta Trinitas" qui suit le lavabo et qui appartient encore à l’Offertoire : "Recevez, ô Trinité Sainte, cette
    oblation..."
    - Le "Hanc Igitur" qui suit le Communicantes et qui commence ainsi : "Nous vous prions donc Seigneur de recevoir favorablement
    cette offrande..."
    - Le "Quam Oblationem" où on lit : "...qu’il vous plaise que cette oblation soit bénie, reçue sans réserve..."
    Le "Supplices Te Rogamus" qui est particulièrement caractéristique et sur lequel nous allons revenir.
    - Et enfin le "Placeat Tibi Sancta Trinitas", qui n’est pas la moindre de ces prières et qui se place entre l’Ite Missa Est et la
    bénédiction finale. Il est comme une réitération du "Suscipe" de l’Offertoire. Saint Pie V l’a inséré définitivement dans l’ordinaire
    de la Messe. C’est par là que le prêtre termine le Saint Sacrifice, marquant ainsi que la demande d’acceptation en
    est bien la dernière phase.
    Il est bon que l’on ait sous les yeux ici le texte du "Placeat" parce que nous allons en fournir un commentaire :
    "Agréez, Trinité Sainte, l’hommage de mon ministère, et faites que le Sacrifice que bien qu’indigne, je viens d’offrir
    aux regards de Votre Majesté, puisse Vous plaire et devenir, pour moi et tous ceux pour qui je l’ai offert, source de
    pardon. Par Jésus-Christ Notre Seigneur. Ainsi soit-il."
    Bref, la Messe de la terre se termine par une demande d’acceptation du Sacrifice expiatoire que l’on vient d’offrir. Quant
    à l’acceptation elle-même, c’est au Ciel qu’elle va devenir effective. On pense irrésistiblement à l’Autel sublime (in sublime
    altare tuum) qui est évoqué dans le "Supplices Te Rogamus". C’est évidemment dans le Ciel que la phase triomphale du Sacrifice
    est véritablement célébrée. L’Apocalypse nous révèle que l’Agneau immolé fait, au Ciel, l’objet d’un culte d’une solennité
    inouïe. Or les rapports entre la liturgie céleste et la liturgie terrestre donnent lieu, en ce moment, à des confusions
    parce que beaucoup d’esprits sont troublés, précisément, par les écrits des ésotéristes chrétiens. Revoyons donc tous ces
    textes en empruntant leurs commentaires à Dom Eugène Vandeur, bénédictin de Maredsous (1924) et à Dom Prosper
    Guéranger, le "Docteur Liturgique".
    Et tout d’abord que dit le "Supplices Te Rogamus" qui précède la lecture des Diptyques :
    "Nous vous supplions Dieu tout puissant, de commander que ces choses (hic) soient portées, par les mains de Votre
    saint Ange, sur Votre Autel sublime, en présence de Votre divine Majesté, afin que nous tous qui participerons au
    Sacrifice de cet Autel par la réception du Corps infiniment saint et du Sang de Votre Fils..."
    Nous remarquons tout de suite une particularité très importante : le célébrant demande à Dieu que "ces choses" (hæc),
    c’est-à-dire le Corps de la Victime accompagné des voeux des fidèles, soient PORTÉES SUR L’AUTEL SUBLIME. Il s’agit
    donc d’un transport de la terre vers le Ciel, c’est-à-dire d’un mouvement inverse de celui qui est décrit par Jean Hani
    pour lequel c’est le Sacrifice Céleste (prototypique) qui est projeté sur la terre à l’occasion de chaque Messe. D’après le canon,
    on le voit, le transfert se fait au contraire de bas en haut par le ministère d’un ange. L’origine véritable du Sacrifice
    c’est donc la terre. Son point d’aboutissement c’est le Ciel.
    Demandons-nous maintenant quelle est la position relative des deux autels dont le "Supplices Te Rogamus" fait mention.
    Dom Eugène Vandeur écrit :
    "La présente oraison met en correspondance DEUX AUTELS DIFFERENTS, celui de la terre sur lequel reposent les dons offerts
    et consacrés, et l’autel mystique du Ciel, dont parle St Jean dans l’Apocalypse (VIII-3) et où sont offerts les mérites du Rédempteur
    et les voeux des fidèles." (La Sainte Messe, Notes sur sa Liturgie, Gabalda, Paris, 1924).
    Suit, du même auteur, un commentaire qui va nous fournir le véritable sens de la liturgie céleste offerte sur l’autel sublime.
    C’est une liturgie de RATIFICATION. C’est la cinquième phase du Sacrifice, l’Acceptation, ici réalisée, ratifiée et célébrée
    :
    "Qu’est-ce que cet autel sublime ? C’EST DIEU LUI-MEME, en tant que recevant, agréant le Sacrifice du Calvaire, celui que
    la Messe reménore et reproduit. Le Sacrifice de la Croix a reçu de Dieu une réponse bienveillante, ratifiant la réconciliation de la
    terre et du Ciel." (Dom Eugène Vangeur.)
    Les significations respectives des deux Autels du "Supplices Te Rogamus" apparaissent nettement. L’Autel de la terre
    c’est l’Autel du Sacrifice sanglant, c’est celui de la Croix enfoncée en terre. Et l’Autel sublime du Ciel, c’est celui du Sacrifice
    de Louange. Il se déroule au Ciel, autour de l’Agneau, une liturgie de. louange. Car "le Christ ressuscité ne meurt plus"
    comme le dit saint Paul. Le culte céleste de l’Agneau immolé fait même l’objet particulier du Ch. V de l’Apocalypse :
    "Et je vis, et voici qu’au milieu du trône et des quatre animaux et au milieu des vieillards, UN AGNEAU ETAIT DEBOUT :
    IL SEMBLAIT AVOIR ETE IMMOLE." (tamquam occisum, Apoc., V, 7).
    Dom. Guéranger commente ainsi ce passage :
    "Cet Agneau est debout, dit saint Jean ; cependant il ajoute : tamquam occisum, il est comme immolé. Notre Seigneur en effet,
    aura toujours Ses cinq plaies, qui sont maintenant resplendissantes ; mais l’Agneau est debout parce qu’il est VIVANT et qu’il ne
    mourra plus ; c’est ainsi que nous le montre saint Jean." (Explications de la Sainte Messe, Solesmes, 1885).
    De ce que nous refusons de voir, dans le Messe de nos Autels, une "projection" de quelque liturgie céleste telle que
    l’enseigne J. Hani au nom de la métaphysique, quelques opposants nous ont dit : "Mais alors vous ignorez le culte céleste
    !" Nous répondons : pas du tout. Le culte céleste de l’Agneau comme immolé est célébré avec une solennité prodigieuse.
    62
    Ecoutons saint Jean :
    "Quand l’Agneau eut reçu le livre, les quatre animaux et les vingt quatre vieillards se prosternèrent devant l’agneau tenant
    chacun une harpe et des coupes d’or pleines de parfums, qui sont les prières des Saints." (Apoc., V, 8).
    La multitude des anges participe à l’adoration universelle :
    "Puis je vis et j’entendis autour du trône, autour des animaux (les évangélistes) et les vieillards, la voix d’une multitude d’anges
    et leur nombre était des myriades et des milliers de milliers. Ils disaient d’une voix forte : l’Agneau qui a été immolé est digne
    de recevoir la puissance, la richesse, la sagesse, la force, l’honneur, la gloire et la bénédiction." Apoc., V, 11-12).
    Comment, après toutes ces belles descriptions qui sont revêtues par l’autorité des Ecritures, pourrait-on oublier les cérémonies
    qui se déroulent autour de l’Autel Sublime.
    Bien plus, il est certain aussi que toute la cour céleste assiste aux liturgies de la terre, qu’elles soient expiatrices ou "de
    louanges", comme c’est le cas par exemple du Salut du Saint Sacrement. Cette assistance des saints et des anges apporte
    aux fidèles de profonds réconforts spirituels ; mais elle ne signifie pas que le sacrifice initial soit céleste. Le Sacrifice initial
    est celui de la Croix, réparation des offenses humaines.
    Encore une fois, l’axiome central autour duquel est construit le raisonnement de "La Divine Liturgie" de Jean Hani est,
    en le clarifiant le plus possible, le suivant : en procédant à la création de l’univers, Dieu s’est imposé un SACRIFICE parce
    qu’il a lésé son Absolu ; il est devenu, du fait de la création, un "absolu-relatif" ; pour que cet état sacrificiel prenne fin, il
    faut que l’univers soit REINTEGRE en Dieu et divinisé ; cette ré-intégration, qui demande une épreuve à travers un passage
    étroit d’ordre initiatique, est, elle aussi, un Sacrifice céleste initial qui est à l’origine du Sacrifice du Calvaire et de celui
    des Autels.
    Cette doctrine est doublement hétérodoxe. Tout d’abord il est faux de prétendre que la création ait été pour Dieu une
    lésion, une humiliation, un sacrifice. L’Eglise enseigne que Dieu a crée l’univers sans y être contraint par quelque nécessité
    que ce soit, mais par pure bonté. La création n’a rien ajouté à Sa gloire intrinsèque, elle l’a seulement manifesté au dehors.
    L’idée de placer une vicissitude quelconque à l’origine de l’univers est l’une des marques de l’ancienne gnose : c’est
    le défaut d’origine de la création, si caractéristique de ces fausses conceptions.
    Cette doctrine est hétérodoxe également parce qu’elle contient en germe un incontestable docétisme. Si l’on place le Sacrifice
    initial dans "l’intemporel métaphysique", comme Jean Hani se le propose explicitement, on réduit du même coup
    en fumée le Sacrifice de la Croix car il devient le simple passage d’un seuil initiatique de réintégration. Autant dire qu’il devient
    un symbole. Et par conséquent les Sacrifices des Autels ne sont plus que des symboles.
    Le docétisme (du grec docein : paraître), que l’on rencontre lui aussi chez les premiers gnostiques, réduit la Passion de
    Notre-Seigneur à une simple apparence. La foi la plus élémentaire nous apprend que Jésus-Christ "a souffert sous Ponce
    Pilate" non pas en apparence mais réellement.
    TRANSITION
    Nous avons maintenant passé en revue les principaux thèmes qui constituent le contenu notionnel de l’ésotérisme chrétien.
    Et pourtant il nous reste encore à évoquer un certain nombre de personnalités de premier plan qui appartiennent à
    cette école. Toutes mériteraient que l’on analyse leurs oeuvres avec autant d’attention. Mais nous retomberions sur les
    mêmes thèmes exprimés seulement selon des variantes. Et puis ce n’est plus un article qu’il faudrait consacrer à ce travail,
    ce serait un gros ouvrage. Nous devrons désormais, pour chacune de ces personnalités, nous contenter d’une brève présentation.
    L’étude de cette école de pensée ne fait que commencer et nous aurons l’occasion de combler beaucoup de vides.
    Quels sont les critères qui nous conduisent à ranger tel écrivain dans l’école de l’ésotérisme chrétien ?
    Nous y rangeons d’abord ceux qui s’en réclament, au moins tacitement, par les positions qu’ils prennent.
    Puis ceux qui se citent mutuellement avec faveur et ne font pas mystère de leur apparentement.
    Puis ceux. qui sont inscrits dans les comités de rédaction des maisons d’édition spécialisées.
    Ces divers critères matériels sont finalement assez précis, surtout quand ils se recoupent.
    Toutes ces personnalités vont-elles convenir volontiers de leur appartenance à cette école ?
    C’est assez difficile à prévoir. Certains manifesteront des réserves pour des raisons faciles à comprendre. Un ésotériste
    chrétien puise à deux sources ; mais il n’y puise pas à égalité. Certains s’étudient avec soin à paraître d’authentiques chrétiens
    sans mélange. Mais d’autres tiennent un langage plus ouvertement ésotérique. Ils peuvent être, les uns ou les autres,
    contrariés de se voir amalgamés, arbitrairement estimeront-ils, à une école de pensée qui n’a pas d’existence officielle et
    qu’ils peuvent considérer comme compromettante pour eux. Les questions d’appartenance amènent souvent d’interminables
    polémiques. On l’a vu quand il s’est agi de délimiter les romantiques, les symbolistes, les impressionnistes, les surréalistes...
    JEAN TOURNIAC
    Jean Tourniac est né en 1919. Il est un disciple incontestable de René Guénon dont il a été l’ami et le correspondant en
    France pendant de longues années et jusqu’à la mort du "Maître" survenue au Caire en 1951. Durant l’occupation, il a participé
    activement à la Résistance (Forces Françaises de l’Intérieur). Il a appartenu aux militants de "Témoignage Chrétien"
    mais il n’en a pas conservé par la suite le côté "progressiste". Ancien élève de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, il s’est
    spécialisé dans l’étude :
    - du symbolisme traditionnel
    63
    - de la spiritualité biblique
    - des rites propres aux organisations initiatiques occidentales.
    Il collabore à de nombreuses publications françaises et étrangères. Il appartient au comité de lecture des Cahiers et de
    la Bibliothèque de l’Hermétisme aux Editions Albin Michel. Il a publié une dizaine de livres dont nous ne citerons que les
    principaux :
    - "Vie et Perspectives de la Franc-Maçonnerie" chez Dervy
    - "Tracé de Lumière" (Dervy)
    - "Lumière d’Orient ; des Chrétientés d’Orient aux Mystères Evangéliques" (Dervy)
    - "Propos sur René Guénon" (Dervy)
    - "Symbolisme Maçonnique et Tradition Chrétienne" (Prix de l’Académie Française) Dervy
    - "Vie Posthume et Résurrection dans le Judéo-Christianisme" (Dervy 1983)
    - "Melkitsedeq ou la Tradition Primordiale" (Albin Michel 1983)
    Les titres de ces livres suffisent à indiquer l’orientation de Jean Tourniac. On voit tout de suite qu’il a une tournure
    d’esprit maçonnique. Est-il véritablement initié ? C’est vraisemblable mais nous n’en avons pas trouvé de preuve certaine.
    Ce qui est certain c’est le soucis qu’il déploie, dans toutes ses oeuvres, de côtoyer le christianisme au plus près. De fait, il
    est incontestablement l’un des maîtres à penser de l’ésotérisme chrétien. Il faut signaler sa collaboration très régulière à
    "Vers la Tradition".
    JEAN PHAURE
    Pour le situer donnons d’abord les titres de ses principaux ouvrages
    - "Le Cycle de l’Humanité Adamique" (Dervy)
    - "La France Mystique" (diffusé par Dervy)
    - "Cantates du Temps et de l’Eternité" (Editions Borrego).
    On rencontre sa signature dans maintes publications. Il est en particulier un collaborateur régulier de la revue "Atlantis"
    : voici quelques titres d’articles :
    - "La Rose Croix, Aperçus Symboliques" 1965
    - "Astronomie et métaphysique" 1983
    - "L’Ile-Mère", sur l’Ile de la Cité à Paris, 1987
    - "La Quête cistercienne. Mystique et Architecture" 1990.
    La revue "Atlantis" a été fondée par Paul Lecour en 1926. Elle est actuellement dirigée par Jacques d’Ares.
    Signalons aussi la collaboration à la revue "Question de" qui est dirigée par Marc de Smedt. Un de ses articles a été remarqué
    : "Aperçu sur la Métaphysique du Mont-Saint-Michel", en 1988, dans le n° 73. Ce même numéro contenait aussi
    un article de Jean Hani : "La Jérusalem céleste, Archétype de la Cité".
    MARIE-MADELEINE DAVY
    Il n’est pas de meilleure présentation de cette personnalité universitaire que celle qui est faite dans le "Dossier H" sur
    R. Guénon de 1984 :
    "Après des études de philosophie. à la Sorbonne, thèse de doctorat sur un mystique du XIIè siècle, Guillaume de Saint-
    Thierry. Chargée de cours à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes (Sorbonne) ; deux ans à Berlin, trois ans à l’Université de
    Manchester. Nombreuses conférences dans le monde entier. Maître de Recherche au C.N.R.S. Marie-Madeleine DAVY est
    l’auteur de nombreux ouvrages sur la spiritualité, sur la mystique, sur la philosophie et la symbolique médiévales, entre
    autres :
    - "Essais sur la Symbolique Romane" (Flammarion, à la collection "Champs")
    - "La Connaissance de Soi" (Presses Universitaires de France)
    - "Simone Weil" (Editions Universitaires)
    - "Nicolas Berdiaev" (Flammarion)
    - "Traversée en Solitaire" (Albin Michel)"
    Dans ce dernier ouvrage, Marie-Madeleine DAVY exprime une partie de ses conceptions théologiques. On voit qu’elles
    sont assez semblables à celles du Pr. Borella. Comme lui, elle donne à Dieu le nom de Déité. Et voici comment elle situe
    et définit la Déité :
    "La Déité demeure invisible. On peut penser que les Personnes Trinitaires, qui appartiennent à la manifestation, servent d’introductrices...
    mais le Père n’est pas la Déité. La Déité est un AU-DELA des Personnes divines." (Traversée en Solitaire). -
    Nous avons déjà rencontré une théologie analogue chez l’Abbé Stéphane et chez le Pr. Borella.
    M-M Davy fait même état d’une certaine VOYANCE, avec un sentiment de certitude absolue. Elle écrit ceci, toujours
    dans le même ouvrage :
    "Tout cela est peu clair, j’en conviens, du seul fait que j’ignore comment l’exprimer, mais je l’éprouve comme une réalité. En
    ai-je l’expérience ? Seulement l’esquisse d’une expérience. Cependant, rien n’est flou. Tout m’apparaît certain, indiscutable...
    Cette révélation et cette vie éternelle ne surgissent pas après la mort physique, elles la précèdent. Et c’est cela qu’il faut comprendre.
    Si non nous plaçons dans une condition post mortem ce qui se situe dans l’ante mortem."
    Parmi les collaborations que M-M Davy assure dans les revues, citons celles dans :
    - "Aurores" - et dans "Atlantis"
    64
    MAURICE de GANDILLAC
    Tous les membres de l’école de l’ésotérisme chrétien citent Maurice de Gandillac comme un savant érudit et ils déclarent
    lui devoir beaucoup. Nous ne pouvons ici qu’énumérer ses ouvrages :
    - "Entretiens sur les Notions de Genèse et de Structure" Editions Mouton - 1965
    - "Valeur de Temps dans la Pédagogie spirituelle de Jean Tauler" Institut d’Etudes médiévales - 1965
    - "Abélard le Dialogue ou la Philosophie de la Logique" Cahiers de la Revue de Théologie et de Philosophie - 1981
    - "Nicolas de Cusa - Lettre aux Moines de Tegernsee sur la Docte Ignorance". L’OEil - 1985
    - "La Pensée Encyclopédique au Moyen-Age", en collaboration avec J. Fontaine. Baconnière - 1965
    PAUL BARBA-NEGRA
    On parle beaucoup de Paul Barba-Negra chez les ésotéristes chrétiens. Il fait des conférences. Il écrit dans bien des publications.
    Nous devons donc dire quelques mots de ce personnage, très caractéristique, en effet, de l’école dont nous
    voulons énumérer les principaux membres.
    Paul Barba-Negra est né en Roumanie en 1929. Après des études de médecine et de psychiatrie, il se consacre à l’Histoire
    et au cinéma. Il produit une quinzaine de courts et de moyens métrages, alors qu’il habite encore en Roumanie.
    Après avoir obtenu le "Prix International de la Critique", il émigre en France où il s’installe. Il travaille à "L’Institut Esthétique"
    du C.N.R.S. et commence une thèse de Doctorat. Il réalise, pour la télévision, la série Architecture et Géographie Sacrée,
    en 1978. Cette série a obtenu un grand succès et elle a été diffusée a plusieurs reprises.
    Il a réalisé récemment un film sur Mircea Eliade (qui est Roumain lui aussi) et sur "la redécouverte du sacré". On voit
    qu’il a un tempérament de vulgarisateur. Ses thèmes sont ceux que l’on retrouve chez Jean Hani, sur la géographie et l’architecture
    sacrées.
    HENRY MONTAIGU
    Nous avons déjà présenté succinctement la personnalité de Henry Montaigu et la revue "La Place Royale" qu’il a dirigée.
    L’oeuvre de ce jeune écrivain est déjà considérable, une vingtaine de livres parus. Il appartient indubitablement à
    l’Ecole de l’ésotérisme chrétien. On ne saurait en douter après la lecture de l’article que le Pr. Borella lui a consacré dans
    "Politica Hermetica" n° 2 - 1988. C’est un assez long article, de quatre pleine pages serrées, qui analyse un livre récent de
    H. Montaigu : "La Couronne de Feu - Introduction à la Lecture Symbolique de l’Histoire de France." Dervy 1987. L’année précédente,
    en 1986, H. Montaigu avait publié, sur un sujet analogue : "La Sagesse du Roi Dormant." (Editions de la Place
    Royale).
    Jean Borella se félicite de ce que H. Montaigu ait étudié avec tant de soin les origines et la nature de la monarchie française
    à la lumière de l’ésotérisme. Il félicite l’auteur de "La Couronne de Feu" d’avoir "procédé à une lecture ésotérique de
    l’Histoire de France. En cela dit-il, son livre complète le travail plus proprement historique de Jean Rani "La Royauté
    Sacrée".
    Toute cette école élabore ainsi un légitimisme ésotérique qu’il convient d’observer avec beaucoup de méfiance car il va
    immanquablement aboutir à introduire la gnose à l’origine de l’Histoire de France. Cette même école, nous le savons,
    cherche à introduire la gnose au somment du dogme.
    Ce sujet du légitimisme ésotérique demande à être traité séparément, comme c’est aussi le cas pour le symbolisme.
    LES NON-CHRETIENS
    Jusqu’à présent, nous avons énuméré des écrivains qui allient le christianisme (pratiqué par eux au moins à titre
    exotérique) avec l’ésotérisme, lequel leur sert de doctrine d’approfondissement. C’est du moins le principe que nous
    avons essayé de suive. Dans la pratique nous ne sommes pas allés vérifier la sincérité de leurs convictions chrétiennes.
    Nous avons tenu compte uniquement de ce que l’on peut lire dans les ouvrages qu’ils ont publiés. Il nous a suffit que le
    christianisme soit affiché comme l’une des composantes de leurs doctrines.
    Mais nous avons déjà montré que la limite est extrêmement floue, pour ne pas dire inexistante entre l’ésotérisme dit
    chrétien et celui qui n’a pas cette étiquette. Or il existe toute une série d’ésotéristes non-chrétiens qui ont eu une influence
    capitale sur les chrétiens. On pourrait en citer en grand nombre. Nous en avons choisis trois parmi ceux qui sont le plus
    souvent cités : A.K. Coomaraswamy, Léo Schaya et Alain Daniélou.
    A.K COOMARASWAMY
    Il est né à Colombo, dans l’Ile de Ceylan en 1877. Il est fils d’un juriste d’origine indienne et d’une anglaise. Sa
    formation est mixte, c’est un hindouisme fortement anglo-saxon. Il obtient en 1904 un doctorat de science à l’université de
    Londres. Puis le voilà directeur des recherches minéralogiques à Ceylan. En Inde, il fonde un "Mouvement pour
    l’Education Nationale". Au cours de la guerre 1914-1918, il est appelé au "Muséum of Fine Arts" de Boston (U.S.A.). Il
    s’installe en Amérique et se voit confier la direction du "Département des Arts de l’Islam et du Moyen-Orient".
    A partir de 1930, il entretient une correspondance suivie avec René Guénon. Les deux hommes correspondent, en
    65
    particulier, sur la question du Bouddhisme. R. Guénon considère le Bouddhisme comme une sorte de protestantisme qui
    se serait détaché de l’antique tronc brahmanique.
    Coomaraswamy réussit à lui faire réviser sa position et à lui faire admettre que le Bouddhisme n’a pas quitté la filière
    de la Tradition universelle. A cette même époque, il collabore à la revue "Les Etudes Traditionnelles" dont R. Guénon,
    depuis le Caire, reste le maître à penser.
    A.K. Coomaraswamy était marié à une américaine, Dona-Louisa RUNSTEIN dont il eut un fils. Lui-même est mort à
    Boston en 1947. Il est intéressant de noter que ses funérailles furent célébrées en Amérique selon le rite grec-orthodoxe.
    Mais on célébra aussi en Inde une cérémonie funèbre dans le rite Hindoue.
    Parmi ses nombreux ouvrages, signalons seulement ceux qui ont été traduits en français :
    - 1926 : "Pour comprendre l’Art hindou".
    - 1963 : "Hindouisme et Bouddhisme".
    - 1976 : "Le Temps et l’Eternité".
    Il ne fait pas de doute qu’à partir de 1930, Coomaraswamy a exercé une grande influence sur R. Guénon, mais aussi
    sur tout l’ensemble de l’école de l’ésotérisme chrétien.
    Ne quittons pas Coomaraswamy sans dire quelques mots de son fils. Nous emprunterons nos informations au livre de
    Marie-France James intitulé : "ESOTERISME OCCULTISME FRANC-MACONNERIE ET CHRISTIANISME AUX XIXè ET
    XXè SIECLES" :
    "Rama-Ponnambalam Coomaraswamy (né en 1932), après avoir voyagé avec Marco Pallis et rencontré Guénon au
    Caire en 1946, rejoint l’Inde où il poursuit sa formation académique et oeuvre dans les mouroirs de Mère Teresa de Calcuta.
    De retour aux U.S.A. il prépare des études de médecine. Il exerce présentement comme chirurgien à New-York. Converti
    au catholicisme et marié à une demoiselle d’origine italienne, il évolue néanmoins sous la direction spirituelle de FRITHJOF
    SCHUON et apparaît comme l’une des têtes dirigeantes du mouvement intégriste (Monseigneur Lefebvre) de Long Island
    dans la banlieue de New-York. Il collabore par ailleurs à la revue Studies of Comparative Religion."
    LEO SCHAYA
    Il est indispensable de faire figurer Léo Schaya parmi les personnalités de l’ésotérisme chrétien. Lui-même n’est pas
    chrétien mais il exerce, sur les chrétiens de cette école, une influence profonde. Les titres de ses ouvrages, à eux seuls, indiquent
    le sens de cette influence :
    - "Naissance à l’Esprit" Editions Dervy-Livres 1987
    - "L’Homme et l’Absolu, selon la Kabbale" Dervy-Livres 1988
    - "La Création en Dieu à la Lumière du Judaïsme, du Christianisme et de l’Islam" Dervy-Livres 1984
    - "La Doctrine Soufique de l’Unité" 1982.
    On retrouve la signature de Léo Schaya dans beaucoup de publications ésotériques. C’est lui qui a été le premier rédacteur
    en chef de "Connaissance des Religions". Après sa mort il a été remplacé par Michel Bertrand. Juif de naissance, Léo
    Schaya était converti à l’Islam.
    ALAIN DANIELOU
    Né en 1907, Alain Daniélou est un orientaliste très connu et très influent dans les milieux ésotériques. Il s’est très tôt
    fixé en Inde où il s’est complètement familiarisé avec le sanskrit. Il a été professeur à l’Université de Bénarès. Puis, en
    1955, il a été nommé à L’Institut Français d’Indologie à Pondichéry, et ensuite à l’Ecole Française d’Extrême orient.
    Passionné de musique indienne, il a fondé, en France en 1963, l’Institut International d’Etude Comparative de la Musique,
    dont il assura la direction jusqu’en 1979. La liste de ses principaux ouvrages donne une idée de son orientation et de ses
    compétences :
    - "Histoire de l’Inde" - Editions Arthême Fayard - Paris 1971.
    - "Le Temple Hindou" - Editions Buchet-Chastel - Paris 1977.
    - "Shiva et Dionysos" également chez Arthême Fayard - Paris 1979.
    - "Le Polythéisme Hindou" Editions Buchet-Chastel - Paris 1982.
    - "Les Quatre Sens de la Vie - Structure de l’Inde Traditionnelle" Editions Buchet-Chastel -Paris 1984.
    Alain Daniélou n’est pas lui-même chrétien puisqu’il a passé officiellement à l’Hindouisme. Mais il est souvent cité
    par les ésotéristes chrétiens qui saluent en lui le savant et adoptent beaucoup de ses thèses. C’est pourquoi nous le faisons
    figurer parmi les "docteurs" de cette école.
    INFLUENCE EN AVAL
    Nous avons passé en revue quelques unes des personnalités de premier plan de l’ésotérisme chrétien, à savoir les
    "doctrinaires" de la première génération. Or leur action de prospection discrète s’exerce déjà depuis quelques dizaines
    d’années. Elle a commencé à porter ses fruits.
    EN AVAL de ce groupe ancien et fondateur, une nouvelle génération est à l’oeuvre. Seulement son prosélytisme reste
    discret. Elle en est encore à la phase de l’Entrisme. Ces militants, le plus souvent de grande valeur, demeurent difficile à
    distinguer. De cette génération, nous choisirons seulement trois exemples : Yves Daoudal, Yves Chiron et l’Abbé Leschenne.
    66
    YVES DAOUDAL
    Yves Daoudal est un écrivain maintenant bien lancé. Il produit beaucoup. Le lecteur du journal PRESENT peut le lire
    presque chaque matin. Son style vif ne manque pas d’attrait ; la richesse et la sobriété y alternent agréablement. Il sait
    communiquer son émotion . Sa pensée philosophique et religieuse est d’orientation traditionnelle, mais attirée en même
    temps, ce qui n’est pas contradictoire, par l’ésotérisme chrétien. Mais sous ce rapport, ses servitudes journalistiques l’obligent
    à une certaine modération. Il ne veut pas effaroucher son public.
    Toute son oeuvre, déjà importante, serait à étudier dans ce sens. Ne nous engageons pas sur ce chemin ici. Contentonsnous,
    pour l’instant, de montrer que l’on n’exagère rien quand on le range dans cette école dont il est un propagateur discret
    mais efficace.
    Prenons comme exemple unique (puisque la place désormais nous manque) un article de Yves Daoudal paru dans
    "Présent" du Samedi 14 Février 1987 intitulé "Un livre de Jean Borella, sur la ligne de crête de la pensée catholique - Retrouver
    LE SENS DU SURNATUREL jusqu’à la déification." L’auteur de l’article (Yves Daoudal) fait, de J. Borella, un
    éloge qui dépasse de beaucoup les nécessités du journalisme et qui doit être mis sur le compte de la confraternité d’opinion.
    Le journaliste encense l’écrivain parce qu’ils sont tous les deux "de la même maison". Voici quelques extraits de l’article
    :
    Le Livre de Jean Borella est "un livre d’une extraordinaire densité, d’une rigueur intellectuelle fascinante et d’une profondeur
    d’analyse peu commune."
    "Ces quelques notes n’ont pas pour ambition de rendre compte d’une réflexion dont la richesse est telle qu’on ne comprend pas
    comment elle peut tenir en 160 petites pages... Tout chrétien un tant soit peu conscient de sa destinée divine doit aller y voir de
    plus près. Car ce livre plonge au coeur même de la religion. Et l’on ne peut que saluer les toutes jeunes éditions de "La Place
    Royale" qui ont eu le courage de publier un texte qui assurément paraît erratique dans le climat actuel de décadence généralisée,
    mais demeurera l’un des rares témoins de la persistance, même en cette fin du XXè siècle, de la pensée catholique à son plus haut
    niveau."
    Ce sont là des éloges généraux qui montrent l’adhésion de Yves Daoudal à tout l’ensemble du raisonnement de Jean
    Borella. Or ce raisonnement nous le connaissons : la faculté surnaturelle (le sens surnaturel) que l’homme apporte avec lui
    en naissant, est connaturelle à Dieu ; c’est une fraction de divinité que l’homme possède de par sa nature. Telle est la thèse
    centrale du livre, celle qui justifie son titre "Le Sens du Surnaturel".
    Or Yves Daoudal, dans son compte rendu de "Présent", n’examine pas ce point central de doctrine. Il fait porter son
    examen sur les éléments secondaires dont Jean Borella entoure le sujet principal. A savoir, par exemple, la thèse du triformé
    corps du Christ, laquelle est tout à fait acceptable (à la condition que l’on ne s’en serve pas pour embrouiller la question).
    Yves Daoudal prend en considération, dans l’exposé de Jean Borella uniquement ce qui est acceptable pour un catholique
    traditionaliste normal. Il s’attache visiblement à faire ressortir la COMPATIBILITE de l’ouvrage qu’il analyse avec
    l’orthodoxie. Aussi est-il amené à ignorer le sujet principal du livre qui est précisément inacceptable car, encore une fois,
    l’homme ne possède en lui aucun constituant congénital, fut-il spirituel, qui soit de nature divine.
    Après la mort de l’Abbé Luc Lefèvre, Yves Daoudal a pris une part prépondérante à la Rédaction de "La Pensée Catholique".
    Il est donc à prévoir que cette revue présentera de plus en plus, à ses lecteurs, l’ésotérisme chrétien comme
    COMPATIBLE avec la foi la plus "romaine".
    YVES CHIRON
    Yves Chiron est un jeune écrivain d’une grande activité. Il est né en 1960. Il est professeur d’Histoire dans un collège
    catholique traditionaliste. En quelques années, il a publié une demi-douzaine d’ouvrages qui ont eu un réel succès :
    - "Gaston de Renty - Une figure spirituelle du XVII` siècle" aux Editions Résiac.
    - "Burke et la Révolution Française", aux Editions Téqui
    - "La Vie de Maurras" à la Librairie Académique Perrin
    - "Maurice Barrès, le Prince de la Jeunesse" également à la Librairie Académique Perrin
    - Puis "Maurice Barrès et la Terre".
    - "Padre Pio, le Stigmatisé", aux Editions Perrin.
    Tous ces ouvrages font de lui un écrivain nationaliste et catholique de bonne tonalité. Il s’efforce de rayonner surtout
    dans les milieux traditionalistes.
    Mais on le retrouve aussi dans l’orbite des Editions PARDES (Maison d’Editions ésotéristes par excellence) qui, dans
    leurs annonces, présentent Yves Chiron comme "assurant la rubrique des livres d’histoire et des essais dans différentes
    revues dépendant de cette Maison, notamment dans le revue "REBIS". Il s’agit d’une revue qui est éditée par Pardès et
    qui développe les thèmes ésotériques symbolisés et résumés par l’Androgyne. Rebis est un terme alchimique qui signifie
    "La chose double".
    Yves Chiron dirige aussi la revue "L’Age d’Or - Pour la Révolution spirituelle". Cette publication dépend également des
    Editions Pardès. (Il ne faut pas la confondre avec les Editions "L’Age d’Homme" qui publient les "Dossiers H" ainsi que la
    revue "Politica Hermetica" dont nous avons parlé plus haut).
    C’est également chez Pardès que Yves Chiron dirige la Collection AGNUS DEI. En cette qualité, il a édité, en 1987 : "Le
    Mystère du Yéti, à la Lumière de la Tradition Biblique" (ouvrage de Mordini, traduit de l’Italien). La thèse de ce livre est la
    67
    suivante : "Les Yétis sont, selon Mordini, les descendants de Noéma, donc de Caïn, des hommes retombés à l’état animal."
    Noéma et sa famille auraient échappé au désastre du Déluge, lequel ne serait donc plus universel, ce qui n’est pas
    conforme à la Bible sous la lumière de laquelle on prétend se placer.
    Dans la Collection "Agnus Dei" sont également sortis :
    - "Le Mythe Primordial du Christianisme comme source pérenne de Métaphysique", par Attilio Mordini.
    - "La Pistis Sophia et la Gnose, Aspect de l’Esotérisme chrétien" par Dominique Viseux.
    Dans le numéro 4 de la revue "L’Age d’Or", de l’été 1985, intitulé "Julius Evola et le Catholicisme", Yves Chiron se range
    derrière J. Evola concernant la souhaitable réformation du catholicisme. Voici comment il s’exprime :
    "Pour conclure, nous ne pouvons que faire nôtre le voeu d’Evola dans MASQUE ET VISAGE DU SPIRITUALISME
    CONTEMPORAIN, voeu qu’il craint de n’être qu’un songe."
    Citons maintenant le texte de J. Evola que Yves Chiron approuve :
    "Un catholicisme qui s’élèverait au niveau d’une tradition vraiment universelle, unanime et pérenne - où la foi pourrait s’intégrer
    dans une réalisation métaphysique - le symbole dans la voie d’éveil - le rite et le sacrement dans une action de puissance -
    le dogme dans l’expression d’une connaissance absolue et infaillible parce que non humaine et, comme telle, vivante en des êtres
    libérés des biens terrestres à travers une ascèse - où le pontificat revêtirait sa fonction médiatrice primordiale - un tel catholicisme
    pourrait alors supplanter tout spiritualisme présent et futur." (Julius Evola, dans "Masques et Visages du Spiritualisme
    Contemporain" Editions de l’Homme - Montréal, 1972, page 203)
    Il est bien évident que ces quelques lignes de J. Evola résument le programme de réforme religieuse des ésotéristes :
    - La Tradition universelle, passant au dessus de la Tradition Apostolique,
    - La "réalisation spirituelle",
    - L’éveil (cher à Evola),
    - La subordination du dogme à la mystique,
    - Le Pontificat arbitral (et non pas enseignant ex cathedra).
    Yves Chiron déclare donc que dans l’ensemble il adhère à ce plan de réforme. Il confirme, après avoir cité Evola, son
    jugement favorable en écrivant :
    "Dans leur précision et leur grande justesse, ces lignes nous semblent définir parfaitement ce qui pourrait caractériser une restauration
    du Catholicisme."
    Mais cette restauration n’est pas, pour Yves Chiron, une véritable réforme. Il suffirait, pour la réaliser, que l’Eglise revienne
    à ce qu’elle a pratiqué au Moyen-Age et au moment de la Contre-Réforme. Il écrit :
    "Restauration, car le Christianisme du Moyen-Age ou celui de la Contre-Réforme catholique, au XVIIè siècle, n’était pas éloigné
    du voeu d’Evola."
    Bref d’après ce jugement, le Catholicisme du Moyen-Age correspondait déjà au schéma d’Evola. En d’autres termes, il
    était ésotérique spontanément et sans le savoir. C’est exactement, on l’aura reconnue, la position de Pr. Borella.
    Or précisément le numéro 5 de la revue "L’Age d’Or" publie un entretien de Yves Chiron avec le Pr Borella. Les entretiens
    de cette sorte sont faits pour permettre à celui qui est interrogé (le Pr Borella ) d’exprimer et de préciser ses idées.
    Les deux personnages qui conversent ne sont pas forcément du même avis. Dans notre cas d’espèce, on sent dès le début
    un accord doctrinale parfait. Yves Chiron ne pose à son interlocuteur aucune question embarrassante, au contraire. Il
    l’aide à montrer que l’ésotérisme est éminemment compatible avec le christianisme, lequel est déjà ésotérique sans vouloir
    se l’avouer.
    Nous n’hésitions pas à ranger Yves Chiron dans l’Ecole de l’ésotérisme chrétien. C’est certainement là que réside sa
    conviction profonde et son dynamisme.
    L’ABBE LESCHENNE
    Le journal L’Est Républicain du Lundi 30 Juin 1986 a publié le compte-rendu d’une "Première Messe", sous le titre
    "Communauté Catholique de Rite Latin - Première Messe Solennelle pour l’Abbé Leschenne". On y lisait ceci :
    "Ordonné prêtre à Ecône le 27 Juin, l’Abbé Alain Leschenne a chanté hier sa première messe solennelle dans la chapelle
    du Sacré Coeur, rue Maréchal Oudinot... Agé aujourd’hui de 28 ans, Alain Leschenne est entré au séminaire d’Ecône
    en 1979, après avoir effectué son service en tant que surveillant dans une école militaire.
    "Sa vocation, cependant, fut assez tardive. Elle naquit de la rencontre d’un homme et d’une oeuvre, le professeur Jean Borella
    dont l’ouvrage intitulé LA CHARITE PROFANEE a profondément marqué le jeune Alain.
    "Nommé à Dijon, l’Abbé Alain Leschenne aura en tous cas la chance de pouvoir vivre l’ouverture du premier séminaire
    traditionnel français en octobre, à Flavigny-sur-Ozerain, près du Chef-Lieu de la Côte d’Or."
    Ainsi cet article annonçait au grand public, avec l’accord actif de l’intéressé, qu’un converti au catholicisme ésotérique
    de "La Charité Profanée" accédait au poste de "Prieur de Dijon".
    Quelques années plus tard, dans un article paru dans Fideliter, l’Abbé Leschenne montre lui-même qu’il est apte à propager
    à son tour l’ésotérisme qu’il a appris du Pr Borella et probablement aussi de Jean Hani, comme on va le voir. C’est
    un article consacré à L’Offertoire de la Messe. L’auteur en montre l’importance irremplaçable dans l’ancien rite. On peut
    souscrire aussi à ce qu’il dit sur le symbolisme des rubriques et sur celui des oblats. Tout n’est certes pas à rejeter dans ces
    quatre pages denses et très travaillées. Néanmoins une radioscopie un peu attentive de tout ce raisonnement fait apparaître
    plusieurs points de doctrine qui sont typiquement gnostiques quoique bien enrobés dans un vocabulaire glissant.
    Nous en examinerons seulement un, faute de place.
    Vient un paragraphe, en effet, où se mêlent deux doctrines, l’une orthodoxe, l’autre ésotérique. L’auteur écrit d’abord
    68
    et répète avec force que les prêtres renouvellent et reproduisent l’acte unique du Christ mourant sur la Croix et il ajoute :
    "La Messe réitère le sacrifice salvateur OU PLUTOT la consécration manifeste visiblement un ACTE ETERNEL". C’est là que
    réside la charnière de son raisonnement. On nous dit d’abord que la messe réitère le sacrifice salvateur, donc le Sacrifice
    HISTORIQUE de Notre-Seigneur Jésus-Christ : très bien, c’est en effet la saine doctrine. Mais ensuite on fait état d’un acte
    ETERNEL que la consécration manifesterait visiblement.
    Quel est donc cet acte éternel. L’Abbé Leschenne va nous l’expliquer, mais sans toutefois y mettre la clarté que nous aurions
    aimée. Il s’exprime en ésotériste, à mots couverts. Cet "acte éternel" c’est un
    "Acte immobile et immuable, un et identique à soi à travers ses manifestations aux modes divers. - Acte liturgique de la messe,
    acte originel du Fils de l’Homme exalté sur la croix, acte éternel de Dieu où le Père engendre son Fils et, en Lui, produit l’univers. Sacrifice
    rituel de l’autel, sacrifice fondateur du Calvaire, sacrifice éternel de l’Agneau immolé."
    Cette longue énumération demande à être clarifiée car c’est en elle que réside le mélange ou plutôt l’alternance de l’orthodoxie
    et de la gnose. - Que veut-on nous montrer ? On veut nous montrer qu’un certain "acte immuable", mais de nature
    sacrificielle, se manifeste en modes divers ; plus exactement en mode historique et en mode éternel. - Extrayons
    d’abord les manifestations de cet acte immuable en mode HISTORIQUE. Nous obtenons ceci :
    - Acte liturgique de la messe
    - Acte originel du Fils de l’Homme exalté sur le Croix
    - Sacrifice rituel de l’autel
    - Sacrifice fondateur du Calvaire.
    Isolons maintenant, dans tout ce contexte, les manifestations de ce même "acte immuable" en mode ETERNEL. Nous
    obtenons alors :
    - Acte éternel de Dieu où le Père engendre son Fils et, en Lui, produit l’univers
    - Sacrifice éternel de l’Agneau immolé.
    Comparons à présent les termes de ces deux modes de manifestations. Il en résulte que l’Acte éternel de Dieu où le Père
    engendre son Fils et, en Lui, produit l’univers est un Sacrifice éternel, dont celui de la Croix, est une modalité historique. Si
    donc, la messe est la réitération du Sacrifice du Calvaire, le Calvaire lui-même est la réitération de ce qu’il faut bien appeler
    le SACRIFICE DE LA CREATION.
    On aura reconnu les théories que développe le Pr Borella dans "La Charité Profanée" et dans "Le Sens du Surnaturel"
    et plus encore celles de Jean Hani dans "La Divine Liturgie".
    Il est évident que tout cela demanderait à être étudié avec beaucoup plus de détails. Car ce sont finalement des questions
    très graves. Nous sommes obligés de condenser car nous avons déjà dépassé les limites d’un simple article. Tous ces
    problèmes devront être repris ultérieurement pour ne rien laisser dans l’ombre.
    L’offertoire de la Messe
    Dernière page de l’article.
    Cette offrande, l’Église la présente «en mémoire de la passion, de la résurrection et de l’ascension de Jésus-Christ,
    Notre Seigneur». Il ne s’agit pas, bien entendu, d’un pieux souvenir, d’une simple commémoration, humaine et inefficace,
    mais il s’agit d’une mémoire rituelle. Une énergie céleste, étrangère au monde humain, surnaturelle et divine,
    une puissance vivifiante a été confiée par le Christ, vrai homme et vrai Dieu, à ses disciples. Il les a investis du pouvoir
    de consacrer le pain et le vin «en mémoire de Lui». Désormais, ils renouvellent et reproduisent pacte unique du Christ
    mourant sur la Croix, comme aussi l’oeuvre unique du salut opérée par toute sa vie, et tout spécialement par sa Passion,
    sa Résurrection et son Ascension. Le Christ est la Victime, la victime pure et sans tache, la victime agréée par le
    Ciel. La messe réitère ce sacrifice salvateur, ou plutôt la consécration manifeste visiblement un acte éternel. Acte immobile
    et immuable, un et identique à soi à travers ses manifestations aux modes divers. Acte liturgique de la messe,
    acte originel du Fils de l’Homme exalté sur la croix, acte éternel de Dieu où le Père engendre son Fils et. en Lui, produit
    l’univers. Sacrifice rituel de l’autel, sacrifice fondateur du Calvaire, sacrifice éternel de l’Agneau immolé.
    «Si le Christ naissait mille fois à Bethléem sans naître une fois dans ton coeur, tu ne serais pas sauvé» affirme un
    saint. De même, si le sacrifice du Christ n’est pas aussi le tien, cela ne te sert de rien. C’est pourquoi le prêtre, après
    avoir baisé l’autel, se tourne vers les fidèles et, ouvrant largement ses mains chargées de bénédictions, il invite solennellement
    l’assemblée à ne pas assister passivement au drame liturgique, mais à s’introduire dans le grand mouvement
    du sacrifice eucharistique. Car deux choses sont bien certaines. La première, c’est que le sacrifice est le seul accès
    à la vie divine. La seconde que, seul le sacrifice du Christ est agréable à Dieu. Dieu est saint et infiniment parfait,
    l’homme pécheur et limité. Deux mondes quasi incommensurables qui ne communiquent que par la porte étroite du
    sacrifice. Il faut mourir pour entrer en une vie plus haute. Mais il ne suffit pas de mourir, il faut mourir avec le Christ,
    avec celui dont la mort est une victoire et un pont jeté sur l’abîme. C’est pourquoi l’Église réclame des fidèles qu’ils
    s’offrent avec le Christ, que leur corps et leur coeur soient présentés avec le Christ en une hostie spirituelle, qu’avec
    grand sérieux, ils fassent vraiment leur le sacrifice de la Croix et de l’autel.
    Tel se présente l’offertoire de la messe, prélude à la mystérieuse consécration. L’Église y enseigne ceux qui veulent
    bien l’entendre. Puissent s’ouvrir les oreilles et les coeurs des sourds et que tous, persuadés que la Messe est un Trésor,
    y puisent un coeur nouveau pour honorer Dieu en esprit et en vérité. Car là où est ton Trésor, là aussi est ton Coeur.
    Abbé Alain LESCHENNE
    CONCLUSION GENERALE
    69
    Il ne fait aucun doute qu’il existe aujourd’hui, en France et probablement aussi à l’étranger, une école de pensée, de
    formation relativement récente, tout entière occupée à faire pénétrer l’ésotérisme dans la Religion chrétienne. Nous n’en voulons
    pour preuve que le titre donné, par Fr. Chénique et J. Borella, à la compilation posthume de l’Abbé Stéphane : "Introduction
    à l’Esotérisme Chrétien". En composant ce titre ils ont, de toute évidence, voulu désigner une doctrine à laquelle
    ils souscrivent eux-mêmes, qu’ils cherchent à faire connaître, et dont ils savent également qu’elle est déjà partagé
    par un certain nombre de partisans.
    Nous n’avons pas inventé le nom de cette doctrine et de cette école de pensée puisqu’il est déjà proclamé par l’un des
    plus cultivés et des plus actifs de ses membres, le Pr. Borella.
    Cette école ne se satisfait pas de l’état actuel du christianisme et, en cela tout au moins, elle serait comparable au Mouvement
    traditionaliste qui a surgi, au cours des années 60 et 70, contestant la validité et les. productions du Concile et refusant
    d’accepter la nouvelle liturgie de la Messe qui en est le fruit le plus amer.
    - Le Mouvement traditionaliste voit un remède à la crise post-conciliaire dans le recours à la Tradition apostolique et à
    l’enseignement constant du Magistère romain.
    - L’école de l’ésotérisme chrétien invoque, elle aussi, une "tradition", mais ce n’est pas la même. Cette école se réfère à
    ce qu’elle nomme la Tradition universelle et primordiale, laquelle est précisément chargée de notions ésotériques.
    - Car l’ésotérisme chrétien n’est pas seulement une attitude d’esprit. Il véhicule un incontestable CONTENU NOTIONNEL,
    dont les éléments constitutifs ont fait, un à un, l’objet de la présente étude. Reprenons, une dernière fois, les
    principaux concepts développés dans les ouvrages de l’ésotérisme chrétien
    - La théorie des trois mondes.
    - Celle (qui lui est connexe) des deux âmes humaines dont l’une est une parcelle divine.
    - Celle de "l’Au-delà" de Dieu (Hyperthéos).
    - Le "Sacrifice in Divinis" de nature ontologique et indépendant de la Rédemption.
    - La théorie des Cycles cosmiques (éternel recommencement).
    - Le mythe de l’Androgyne.
    - La Tradition universelle immémoriale.
    - La complémentarité de l’ésotérisme et de l’exotérisme.
    - L’alchimie spirituelle.
    - Le légitimisme ésotérique.
    Ce ne sont là que les thèmes les plus fréquents. On peut y joindre un certain nombre de VECTEURS, comme le mythe
    du Graal, qui servent à véhiculer tout ce contenu notionnel sous des formes poétiques.
    - Les thèmes ainsi développés par l’ésotérisme chrétien ne sont pas autre chose que ceux du vieil OCCULTISME dont
    ils ne diffèrent que par le soin qui est mis à les présenter comme COMPATIBLES avec le dogme catholique.
    - En somme l’ésotérisme chrétien fait pénétrer à l’intérieur de l’Eglise tout un arsenal d’occultisme qui, jusqu’à présent,
    lui demeurait extérieur.
    - Mais il faut bien comprendre que l’ésotérisme chrétien est un occultisme de HAUT DE GAMME. En cela il entretient
    une véritable rivalité, presque une hostilité, avec l’occultisme de BAS DE GAMME lequel est construit sur deux idées
    principales
    - La recherche des Pouvoirs magiques.
    - La Réincarnation des âmes.
    L’occultisme de "Bas de gamme" tend au syncrétisme des religions qui est une uniformisation par voie de réduction à
    un consensus minimum. C’est le cas, par exemple, du New-Age.
    - Tandis que l’ésotérisme chrétien tend au pluralisme qui laisse subsister une certaine spécificité exotérique des diverses
    confessions, l’unité se réalisant "par le haut" (Titre du livre de Fr. Schuon : "L’Unité Transcendante des Religions").
    Bien des ésotéristes chrétiens sont persuadés qu’ils rendent service à l’Eglise en la mettant à l’abri d’un syncrétisme de
    bas étage qui la détruirait, alors que leur pluralisme lui conservera son individualité.
    - L’école de l’ésotérisme chrétien est très opposée au MONDE MODERNE et à son matérialisme. Elle reprend contre
    lui les arguments mis au point par R. Guénon et J. Evola. Elle crée ainsi, à son bénéfice, une présomption favorable dans
    tout le public traditionaliste. D’où les succès, d’ailleurs relatifs, qu’elle remporte.
    - Cette école, ainsi définie, est d’apparition récente, mais elle n’est évidemment pas sans antécédents, (antécédents,
    qu’il faudra un jour étudier eux aussi). Les doctrines enseignées dans l’ésotérisme chrétien se retrouvent, dès son origine,
    dans la MAÇONNERIE SPECULATIVE, c’est-à-dire non pas dans sa partie encyclopédiste et humaniste, mais dans sa partie
    "religieuse". Quelle est en effet la grande ambition de la maçonnerie si ce n’est de pénétrer l’Eglise et de la dominer?
    - Est-ce à dire que les écrivains actuels de l’ésotérisme chrétien soient tous des maçons officiellement initiés ? Assurément
    non. Cependant ce que l’on peut affirmer sans se tromper c’est qu’ils sont surveillés et sans doute aussi influencés
    par des maçons spiritualistes, lesquels ont une longue expérience de la pénétration de l’Eglise (technique préférentielle :
    compliquer le dogme et le relativiser afin de le faire voler en éclats).
    - Lorsque, dans ces textes le plus souvent érudits et brillants, on cherche à suivre le fil de la pensée, on prend conscience
    qu’ils contiennent plus de lyrisme que de logique, mais aussi, plus de grandiloquence que de véritable mystique. Les parties
    les plus gnostiques de ces textes sont rédigées dans un style insaisissable qui entoure de brouillard tous les sujets qu’ils
    traitent. Ils étonnent et inquiètent mais ils ne portent pas à la dévotion. Et alors un verset de la Vulgate vient immanquablement
    à l’esprit
    Que le Seigneur retranche toutes les langues flatteuses. La langue qui discourt avec jactance. Ceux qui disent : Par no70
    tre langue nous sommes forts. Nous avons avec nous nos livres. Qui serait notre maître. (Ps XI - Vulg. 4) : Disperdet Dominus
    universa labia dolosa. Et LINGUAM MAGNILOQUAM...
    - L’école de pensée que nous étudions est suffisamment homogène pour mettre en oeuvre une STRATEGIE véritablement
    organisée. Cette stratégie est fondée sur la dualité ou plutôt sur la COMPLEMENTARITE DE L’ESOTERISME ET
    DE L’EXOTERISME. Elle met en application l’idée guénonienne selon laquelle, pour être capable de bien approfondir
    l’ésotérisme, il faut commencer par pratiquer ponctuellement les rites de sa religion exotérique (quelle qu’elle soit). Les
    ésotéristes chrétiens vont donc se présenter comme des pratiquants exemplaires. C’est au for interne seulement, donc en
    secret, qu’ils émettront une dogmatique "approfondie" en accord avec la "tradition immémoriale et universelle". Leur
    stratégie consiste à réformer l’Eglise "de l’intérieur". Ils ne sont pas les premiers à mener ce type de combat. C’est la vieille
    méthode du "Larvatus prodeo", j’avance masqué.
    - Quant à nous, dans tout ce travail, nous avons été très INCOMPLETS. Nous n’avons fourni qu’une contribution. La
    prospection de cette école de pensée n’en est encore qu’à ses débuts. Il faudra que d’autres comblent les vides que nous
    laissons.
    - Nous avons voulu seulement attirer l’attention sur le problème de l’ésotérisme chrétien qui semble jusqu’à présent
    ne pas être perçus par les traditionalistes. Nous n’avons pas eu d’autre ambition que d’opérer un premier DEGROSSISSAGE
    du sujet, avec tout ce que cela comporte d’hypertrophie en certains endroits et d’atrophie dans d’autres.
    - Quelle a été notre position tout au long de ces analyses ? Elle s’est bornée à faire constater l’INCOMPATIBILITE de
    ces doctrines occultistes et gnostiques avec l’orthodoxie romaine. Un vieil adage nous a servi de base dans nos appréciations
    : LA RELIGION CATHOLIQUE EST LA SEULE VRAIE RELIGION DU SEUL VRAI DIEU. Cette Religion est aujourd’hui
    dans une situation humainement désespérée, c’est la conviction profonde de tous les traditionalistes. Mais ils
    savent aussi que cette épreuve aura sa fin. Il est évident que ce n’est pas la gnose qui est promise à la victoire mais le
    dogme. Et plus généralement L’EGLISE INSTITUTIONNELLE, non pas remaniée mais restaurée.
    JEAN VAQUIE, mai 1992
    71
    TABLE DES MATIERES
    L’ECOLE MODERNE DE L’ESOTERISME CHRETIEN
    LA POSITION DU PROBLEME
    Chapitre I : L’ABBE STEPHANE
    INTRODUCTION
    LES SOURCES D’INSPIRATION
    LA DOCTRINE DE L’ABBE STEPHANE
    L’Orthodoxie de l’Abbé Stéphane
    L’Esotérisme de l’Abbé Stéphane
    Définition de l’Exotérisme
    Définition de l’Esotérisme
    Le Vocabulaire de l’Abbé Stéphane
    La Mystique de l’Abbé Stéphane
    L’Anti-Dogmatisme
    L’Absolu Indifférencié
    L’Origine du Mal
    Le Germe divin dans l’Ame humaine
    L’Alchimie spirituelle
    La Théorie des Trois Mondes
    Sur L’Initiation
    L’Androgyne
    La Théorie des Cycles
    La Théorie du Samsara
    La Doctrine Chrétienne des Fins dernières
    Sur la Messe
    CONCLUSION
    La Stratégie de l’Abbé Stéphane
    Chapitre II FRANCOIS CHENIQUE
    PARTICIPATION AU COLLOQUE BOUDDHISTES-CHRETIENS
    Conférence de Fr. Chenique
    Symboles et Sacrements
    Création et Emanation
    Informations Complémentaires
    Chapitre III JEAN BORELLA
    PRÉFACE au Livre de l’Abbé Stéphane
    POSTFACE
    LA CHARITE PROFANÉE
    Eléments de Catholicisme Authentique
    Quelques traits caractéristiques
    La Religiosité
    La Volubilité
    Le Contenu Notionnel de l’Esotérisme Chrétien
    Les Trois Mondes
    Les Deux Ames de L’Homme
    La Déification par Nature
    Le Thème Alchimique
    L’Androgyne
    Une Opposition Apparente
    Gnose et Gnosticisme
    Le Christianisme est à la fois Exotérique et Esotérique
    La Théarchie Suressentielle
    La Signature Rosicrucienne de la Charité Profanée
    Sept Articles de la "Pensée Catholique"
    Le Corps Ethérique d’Adam
    L’Hebdomade Cosmogonique
    L’Inévitable Androgyne
    La Caution de l’Abbé Lefèvre
    LE SENS DU SURNATUREL
    LES TRAVAUX DU Pr. BORELLA SUR LE SYMBOLISME
    72
    LA COLLABORATION DU Pr. BORELLA A DES PUBLICATIONS PERIODIQUES 110
    La Pensée Catholique
    Les Etudes Traditionnelles
    La Place Royale
    Connaissance des Religions
    La Revue Krisis
    Politica Hermetica
    Les Dossiers "H"
    PARTICIPATION A DES COLLOQUES
    Colloque de Cerisy-la-Salle
    Colloque Karma-Ling
    CONCLUSION DU CHAPITRE III
    Chapitre IV : QUELQUES PERSONNALITES DE L’ESOTERISME CHRETIEN
    Frithjof Schuon
    Jean Hani
    TRANSITION
    Jean Tourniac
    Jean Phaure
    Marie-Madeleine Davy
    Maurice de Gandillac
    Paul Barba-Negra
    Henry Montaigu
    LES NON-CHRETIENS
    A.K. Coomaraswamy
    Léo Schaya
    Alain Daniélou
    INFLUENCE EN AVAL
    Yves Daoudal
    Yves Chiron
    L’Abbé Leschenne
    CONCLUSION GENERALE
    Document réalisé
    par les Amis du Christ Roi de France.
    Nous soumettons
    tous nos documents
    aux lois du copyright chrétien :
    nos documents peuvent être
    librement reproduits et distribués,
    avec mention de leur provenance.
    A.C.R.F.
    www.a-c-r-f.com
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