• Le Soufisme

     

    Le soufisme remonte, selon les soufis eux-mêmes, au prophète. On trouve en effet un livre qui affirme que les premiers écrits sur le soufisme ne furent rien d'autre que les différentes formes de spiritualité connues par le prophète, ses compagnons et tous ceux qui ont été dans leur prolongement. Le soufisme n'est donc pas né en marge de l'islam, mais il en est suite naturelle avec des expressions multiples qui, toutes, reflètent l'approche réellement spirituelle du prophète, de son enseignement et de sa religion.

    Ibn Khaldûn, l'historien et le fondateur de la sociologie, dans sa Muqaddima (« Les Prolégomènes ») va, lui aussi, aborder cette tradition soufie, mais il le fait également dans un autre livre, plus spécialisé, intitulé Chifâ al-Sâ'il (« La guérison de celui qui le demande »). Il y aborde la question de la place du soufisme au sein de l'islam. Lui aussi va rattacher cette spiritualité à l'origine en insistant sur le fait que la forme de cette spiritualité a beaucoup changé au cours du temps. La forme a été communautaire à l'époque du prophète puis il y a eu des formes d'enseignement spontané autour de certaines personnalités. Ensuite le soufisme s'est développé jusqu'aux formes confrériques plus tardives, jusqu'à des formes un peu plus intellectuelles qui sont mises en question par Ibn Khaldûn. Il s'agit des soufis tardifs comme Ibn ‘Arabî qui produisent une expression philosophico-spirituelle du soufisme d'une grande complexité. Cet andalou était appelé, de son temps, le « fils de Platon », « ibn Aflatûn ». Il a laissé des sommes métaphysiques tout à fait excessives qui n'étaient pas toujours du goût de certaines personnes qui lui préféraient une spiritualité plus commune. Elles donnaient donc par rapport à ces réflexions la priorité à une spiritualité qui s'en tenait au plan du comportement et qui ne visait pas des formes abstruses qui pouvaient susciter certaines confusions.

    Il y a là différentes approches qui semblent en quelque sorte se différencier de l'approche historique classique que l'on peut avoir sur ce sujet. On dira alors que le soufisme apparaît en Iraq au IIe siècle de l'hégire comme un mouvement à part qui se constitue autour d'H'asan Basrî ou de Râbi‘a Al-‘Adawiyya mais aussi d'al-Hârith al-Muhâsibî qui, lui aussi, a laissé des écrits sur la psychologie spirituelle. Puis il y eut les personnalités du Khorasan, une région située au Nord-Ouest de l'Iran, qui fut une importante pépinière de spirituels.

    Toutes ces personnalités vont enseigner le soufisme, la plupart du temps de façon non écrite. Al-Hârith al-Muhâsibî fut une exception à cet égard. Ils le feront aussi de façon non organisée, puisque, à cette époque, la relation entre l'enseignant et ses disciples était très relâchée car on pouvait très facilement passer d'un enseignant à un autre, en recevant ainsi des sapiences, des enseignements lapidaires. La figure la plus emblématique de cette période est celle de Junayd, sans cesse donné comme référence. La caractéristique de son enseignement est qu'il se préserve des critiques ou des réactions que l'on peut s'attendre à avoir lorsqu'on donne cet enseignement.

    Après tous ces personnages, il y aura une autre période, qui sera celle de la recherche des significations éthiques du comportement. Après l'enseignement oral de Basri et d'autres dont on rapporte l'enseignement essentiellement oral ou des poésies mystiques, il y aura une plus grande interrogation sur le sens de cet enseignement et son orthodoxie. Cela va créer une autre période qui commencera avec Muh'ammad ibn al-H'usayn al-Sulamî ou Abû al-H'asan ‘Alî Hujwîrî. Ces personnes vont théoriser l'enseignement soufi et la relation qu'il peut nouer avec l'islam ordinaire.

    La synthèse de tous ces écrits sera faite par Abû H'âmid al-Ghazâlî, lui-même d'origine persane. Il écrira un livre Revivification des sciences de la religion. Dans ce livre, Ghazâlî va expliquer l'importance de cette spiritualité. Il va non seulement la théoriser, mais il écrira aussi un livre autobiographique où il rapportera son propre itinéraire d'érudit, qui alla de la Nidhâmiyya, où il atteint les sommets de la notabilité théologique, au soufisme. Dans un autre de ses livres, Munqidh min al-dâlal (« Erreur et Délivrance »), il expliquera qu'arrivé au sommet de la connaissance théologique, il est entré dans une crise existentielle qui fut celle du doute. Il devint malade et c'est à ce moment qu'il passe de la religion en tant que théologie à la prise de conscience que la religion est d'abord une expérience spirituelle. Et il a fui la ville où il avait sa fonction d'enseignant et de clerc car il était pris dans tout un réseau de relations en particulier avec le sultan. Il va donc quitter cette ville pour apprendre la science du cœur auprès des illettrés. Après onze ans de pérégrinations, il reviendra au savoir mais avec un point de vue complètement différent. Il écrit alors une oeuvre fondamentale où il prend ses distances avec la religion devenue forme d'institution temporelle, celle qui donne des possibilités de carrière à des hommes qui utilisent le savoir comme moyen de pouvoir. Voilà son itinéraire historique.

    Le mot « soufi » vient de « çûf » qui veut dire laine. Cela représente des hommes qui s'adonnent à des exercices spirituels. Ghazâlî dit que, loin d'être des marginaux, ils sont au centre de la religion car ils en donnent le sens même.

    À partir de là, de ces mouvements individuels ou marginaux, il va y avoir, mais beaucoup plus tard, la constitution des confréries qui vont mailler la société et devenir de plus en plus importantes. Les œuvres de Ghazâlî seront brûlées à Marrakech et en Andalousie. Les jurisconsultes se sentaient en effet touchés par les thèses de Ghazâlî. Cela s'est produit au XIIIe siècle, à l'époque des Almoravides. Et cela est d'autant plus surprenant que les Almoravides sont issus d'un mouvement soufi, mais avec le temps, il arrive ce qui arrive dans tout mouvement de ce type, il y a passage vers une aspiration plus temporelle et une institutionnalisation du pouvoir. Et cet ordre du pouvoir est soutenu fortement par les jurisconsultes. Les critiques de Ghazâlî contre les carriéristes de la religion toucheront donc ces hommes qui vont le considérer comme un hérétique. Cela aura des conséquences sur tout l'Occident de l'islam et sur le Maroc en particulier.

    Malgré toutes ces réactions, il va y avoir une organisation confrérique communautaire qui se développera avec l'effondrement du califat abbasside et de l'état des Seldjoukides. Les premières confréries vont naître à cette époque, et elles seront rapidement de plus en plus codifiées. Elles vont apparaître, au départ, à Bagdad en Iraq. Et l'un des premiers fondateurs en est Moulay ‘Abd el-Qâdir al-Jilanî, originaire de la ville de Guilan, située en Iran. Cet homme va vivre à Baghdad, y étudier, y enseigner et former les premières communautés confrériques qui auront une prospérité extraordinaire car elles essaimeront dans tout le monde musulman. On les trouvera en effet en Chine, en Afrique noire et en Orient. Se développeront donc la qadiriyya puis la naqchabandiyya.

    Des hommes comme Rifâ‘îi ou Suhrawardî seront les codificateurs des confréries spirituelles soufies. Ce dernier écrira un livre, Exposition des savoirs, qui est la codification de l'adâb, des comportements nécessaires pour pouvoir poursuivre un enseignement spirituel et se rattacher à une voie. Le rôle du maître et du disciple y est précisés. Cet homme a eu une relation particulière avec le calife abbasside Nidham, qui lui a demandé d'écrire une codification de la chevalerie spirituelle, la Futuwwa, à l'usage des gens du pouvoir qui étaient ainsi invités à appliquer certains principes spirituels. La Futuwwa insiste sur la vigueur de la jeunesse, qui est la vigueur de l'âme ou de la spiritualité. C'est ce qui donne une force qui peut amener un certain comportement, une certaine façon d'être dans la société et dans la relation aux autres. Ce fut là quelque chose d'assez exceptionnel dans l'histoire musulmane. Les hommes chargés de l'organisation sociale ont décidé de faire promulguer une charte spirituelle définissant le comportement idéal.

    Mais ce projet n'a manifestement pas tenu à cause de l'invasion mongole qui a tout remis en cause. Par la suite, il y eut des confréries proches ou éloignées du pouvoir. Mais si cette expérience n'a duré qu'un temps, elle s'est perpétuée à travers une autre forme de Futuwwa qui s'est manifestée dans les guildes de métier. Les corporations de métier se sont en effet constituées en corporations initiatiques comme dans le compagnonnage européen. Le métier devient inséparable d'une formation spirituelle. Cela va avoir des formes multiples en Iran, en Asie centrale, dans le Caucase ou en Anatolie où les corporations de métier turques joueront un rôle important et cela jusqu'au XIXe siècle.

    Il y aura aussi des relations avec le soufisme et là, je ferai une petite parenthèse pour éviter des confusions multiples. Dans beaucoup de pays musulmans, on en est arrivé à croire que le soufisme est une espèce de marginalité pure et simple, une ascèse excessive qui n'a plus rien à voir avec le monde. Cette perception historique n'est pas née par hasard. Mais les choses sont autrement plus subtiles et plus complexes. L'ascèse et le soufisme sont des choses totalement différentes. Le soufisme ne propose pas l'ascèse mais des détachements intérieurs, ce qui est très différent. Il y eut deux mouvements représentatifs de cette difficulté de lire, la Futuwwa mais aussi la malâmatiyya, la voie du blâme.

    La malâmatiyya est un mouvement qui dit que toute évolution spirituelle, si elle n'est pas contrôlée, est la recherche de la notoriété sociale. Le mystique est alors plus préoccupé par les images que les autres se font de lui que par sa progression. À partir de là, les malâmatis pensent que tout peut être faussé, y compris dans le soufisme. Il faut donc tout faire pour être déconsidéré par les autres. Cette voie va à l'encontre de l'ego et libère du poids de l'opinion d'autrui. La voie de la malâm, du blâme, va apparaître. On va susciter le scandale et traiter de fous les autres. Pire, il y a ceux qui vont pousser le blâme contre eux-mêmes jusqu'à attirer l'indifférence la plus totale de la part des autres. On ne les voit plus. Ils n'existent plus pour la société. Ibn Arabî avait ainsi reconnu un marchand de henné comme étant d'une très grande spiritualité. Personne ne s'apercevait de sa valeur. Chez lui, le détachement avait été poussé jusqu'à l'invisibilité, exactement comme chez certains malâmatis. Voilà une attitude qui peut se comprendre du point de vue de la spiritualité, mais qui est aussi improductive du point de vue social. Que peut-on faire en effet pour la société ?

    Répondre à cette question engage à explorer d'autres possibilités. À l'inverse de la malâmatiyya, il y aura la Futuwwa, qui est par excellence le choix d'un acte social. Et il y a une perspective spirituelle dans cet acte. L'exemple est donné par un persan qui, un jour, rencontre un groupe qui entourait Junayd, un grand maître spirituel. Ce Persan, Haddad, ne parlait pas l'arabe. Néanmoins, les habitants de Baghdad entourant Junayd lui ont demandé une définition du terme de droiture. Haddad a répondu qu'ils étaient plus compétents que lui. Cependant Junayd proposa une définition et il demanda à Haddad d'en faire de même. Il répondit que la droiture, c'est essayer d'être droit sans exiger des autres qu'ils le soient. Et Junayd répondit que cet homme avait donné une définition qui était insurpassable.

    C'est cela, la Futuwwa. Il faut essayer de faire que l'art soit pur et libéré de tout conditionnement, ce qui est extrêmement difficile. On attend en effet souvent une reconnaissance des autres et l'on devient même exigeant envers eux. C'est cela qui donne une liberté dans l'action. C'est cette philosophie de l'action qui est à l'œuvre dans la Futuwwa ou dans le code d'honneur des artisans, lorsqu'il s'agit de déterminer le juste prix pou de définir le travail bien fait. On a ici toujours l'opposition entre la nécessaire visibilité pour irriguer la société et la retraite, l'anticonformisme social, lui-même, aussi absolument nécessaire à l'évolution de cette société car toute société peut mourir de « bien-pensance », de conformité.

    Il y eut ensuite d'autres personnages que l'on trouvera tout au long de l'histoire du soufisme, même si cela a aujourd'hui un peu diminué, ce sont les mejdoub-s ou les extatiques. Ces personnages sont issus de la société traditionnelle et sont très respectés. Ils sont tellement noyés dans leur spiritualité qu'ils sont déconnectés de la vie sociale. Ils peuvent avoir des attitudes inattendues et imprévisibles. Car leur voie est de bannir toute convention. Ils ne se laissent pas enfermer dans des formes données.

    Il serait difficile de faire un exposé détaillé de toutes les confréries qui ont existé dans le monde musulman. On ne peut que citer quelques noms dans l'aire de l'Iran ou de l'Asie centrale. Un saint extatique tel qu'Abû Yazîd al-Bistamî fut un personnage central. Lui aussi faisait des choses dérangeantes. Najd al-dîn Kubra est un homme qui a vécu au XIIIe siècle en Iran. Mais il y eut ensuite d'autres évolutions. Simnanî et Sayf al-dawla Hamdânî ont créé des tariqa, dans le cas de ce dernier au Cachemire. Il y eut souvent une sorte d'accord, durant les périodes mongoles, mamloukes et ottomanes, entre le pouvoir et ces confréries dont le but n'était pas temporel. Leurs membres vont réformer et conseiller la société. Mais leur objectif n'est pas la prise du pouvoir. Aussi des hommes comme les Bektachis sont acceptés et sont donc présents dans toutes les sphères du pouvoir.

    Je crois qu'il ne serait pas d'un très grand intérêt de citer un grand nombre de noms. Il y a, bien évidemment, des noms très importants. On pourrait par exemple parler, dans le Maghreb et en Espagne, de l'école d'Almeria, avec Ibn al-‘Arîf et signaler, au XIIIe siècle, l'apparition d'un maître qui deviendra une référence fondamentale, qui n'est pas seulement un maître de communauté, mais aussi le concepteur d'un système de pensée. Il s'agit d'ibn ‘Arabî, surnommé le « chaykh al-Akbar », « le plus grand docteur », à qui l'on attribue 400 ouvrages et dont la somme fondamentale est le livre Futûhât al-makkiyya (« Les illuminations mekkoises »). Ce livre continue à faire des remous jusqu'à aujourd'hui. Un livre d'Osman Yahia consacré à cet auteur a fait l'objet d'une interpellation au Parlement d'égypte. Et cela nous conduirait aux intégristes et aux relations entre ce monde soufi et le monde de l'intégrisme moderne.

    L'œuvre d'ibn ‘Arabi a eu des influences et sera critiquée. La doctrine de la « wah'dat al-wujûd », ou « unité de l'être », sera discutée. « Mon cœur, disait ibn ‘Arabî, est capable de toutes les formes », ce qu'il veut dire qu'il peut prendre toutes les formes de croyance, qu'elles soient chrétienne, juive ou même autre, et il ajoute : « en quelque direction que se tournent ses montures, l'amour est ma religion et ma foi ». Une telle oeuvre va déclencher des polémiques. Mais elle aura une influence considérable. Cet homme n'est donc pas seulement un penseur à part qui a créé une œuvre. Il a eu une postérité considérable, même chez les Ottomans et au plus haut degré du pouvoir comme chez l'émir ‘Abd el-Qâdir.

    Et cela est peu connu. Ce dernier, en effet, n'était pas seulement un résistant mais aussi un très grand mystique. Ses Mawâqif ont été traduits partiellement par Michel Chodkiewicz. L'émir Abdelqader a aussi écrit des poésies métaphysiques d'une très grande profondeur. L'émir ‘Abd el-Qâdir a demandé à être inhumé auprès d'ibn ‘Arabî à Damas.

    On peut aussi citer, dans une autre aire et plus tardivement, Jalâl al-dîn Rûmî qui vécut en Anatolie. Cet homme est issu de Balkh. De là, il émigrera en Anatolie où il fondera la tariqa des derviches tourneurs. Son livre, le Mathnawî, est une oeuvre en persan qui porte sur la sagesse et le soufisme. Il y prône l'amour universel. Dans sa zâwiyya, on trouve ces vers gravés : « Même si tu as trahi ta patrie mille fois, viens ici, c'est la demeure de la sécurité ». Son enseignement manifeste aussi un très fort humour. C'est un des moments forts de l'esprit du soufisme qui a essaimé sur cette aire géographique et au-delà.

    Car il y aura les échanges qui se feront entre l'Orient et l'Occident. Un des chaykhs qui aura une influence particulière sera Châdhilî. Ce sera aussi le cas du saint patron de l'égypte, Ahmed Badawî. Il y eut, entre ces aires, des échanges très importants et cela, à cause du pèlerinage qui demandait beaucoup de temps et occasionnait beaucoup de rencontres. Les villes de Médine et de la Mekke étaient des centres où convergeaient les mystiques de toutes les confréries du monde. Et c'est là que se produira quelque chose qui aura une influence sur l'avenir du monde musulman. Car un traumatisme énorme se produira avec la révolution réformiste wahhabite en Arabie saoudite. Le fondateur de ce mouvement de pensée, au XVIIIe siècle, va, en effet, déclencher une vague d'opposition totale aux confréries soufies. Cela va inspirer beaucoup de mouvements nationalistes ou le salafisme, dérive de ce wahhabisme, sera présent. Ce seront deux mondes qui resteront en confrontation et cela jusqu'à aujourd'hui. Il y a, d'une part, le monde traditionnel irrigué par le soufisme et le monde de la réforme politique. Cependant, il faut ajouter qu'il y a d'énormes difficultés à percevoir, de l'extérieur, à quel point ce monde traditionnel est encore présent, car il ne s'exprime pas. Le monde réformiste est récent et occupe le devant de la scène. Mais il manque de racines et n'en est pas moins superficiel.

    Les lieux sacrés du Maroc

    Ce qu'on appelle des hauts lieux religieux, ce sont d'abord des sanctuaires, des endroits où les saints prolongent leur médiation au-delà de la mort. La parole du prophète n'a pas de médiateur dans l'islam. Il faut donc entendre par ce terme de « médiateur » non celui qui pense ou qui agit à la place d'un autre, mais seulement celui qui ouvre la voie.

    Le soufisme est né en marge de la société mais aussi en quelque sorte comme le témoin d'un certain dévoiement, d'après les soufis, du spirituel vers le temporel. Les soufis sont des personnes, femmes et hommes, qui se sont distinguées par le fait de porter des habits très simples de laine brute. Ce n'était pas du tout ce qu'on avait coutume de porter, dans cette période de l'extension de l'islam, à l'époque des émirs abbassides et ommatidies. Il y avait en effet, à ce moment, des modes de vie très raffinés. Les soufis sont apparus avec la volonté, non pas d'être contre cette civilisation nouvelle, mais contre la temporalisation et l'instrumentalisation de la religion. Les premiers cercles informels du soufisme se sont constitués autour de personnes autour desquelles venaient des groupes de disciples. Ceux-ci recevaient un enseignement par le moyen de questions et de réponses à la manière socratique. On s'intéressait à la guidance des âmes, à la connaissance de soi, mais on souhaitait aussi réajuster sa sincérité spirituelle et aborder également d'autres questions.

    Il y a eu des grands noms dans cette science du cœur ou des états spirituels. On peut citer Râb‘â al-‘Adawiyya, Hassan Basrî, al-Muhâsibî ou les gens du Khorassan, d'Iraq, d'Iran ou de l'Asie centrale, et même parfois venus de bien plus loin. Il y avait donc là les premiers éléments de cet enseignement qui va prendre une forme idéale avec Junayd qui représentera l'enseignement soufi par excellence. De là, ce mouvement va essaimer, dans une deuxième période, et des groupes prendront une forme communautaire de plus en plus organisée. En même temps, on assiste à la naissance des premiers manuels écrits qui vont décrire cet enseignement, le justifier par rapport à ses détracteurs extérieurs et essayer de comprendre pourquoi il est plus important d'être dans l'esprit que dans la lettre de la religion.

    Ces ouvrages vont devenir des classiques de cet enseignement et un ouvrage deviendra la synthèse de tous les autres, c'est celui de Ghazâlî, Ihya ‘ulûm al-dîn (« La Revivification des sciences de la religion »), ouvrage très important du fait même qu'il provient d'une sommité théologique qui remet en cause tous les savoirs théologiques s'ils ne sont pas liés à une véritable expérience spirituelle. En conséquence Ghazâlî quitte ses liens sociaux de Baghdad et va chercher l'initiation auprès de gens très simples, artisans et illettrés, qui lui enseigneront une autre forme de science, qui n'est pas livresque. Il s'agit de la science des goûts et des saveurs spirituelles qui s'apprend par une expérience personnelle. Et sans cela, la religion est une forme vide qu'on peut instrumentaliser d'une façon ou d'une autre.

    Ce XIIe siècle a donc été important car Ghazâlî va donner l'arrière-fond, l'expression doctrinale du soufisme alors qu'il se constitue en voies, les t'uruq, avec un enseignement initiatique et ses centres soufis d'alphabétisation et finalement d'accueil des gens qui étaient dans la nécessité. Le soufisme a d'abord eu une fonction spirituelle et celle-ci va prendre des formes de plus en plus communautaires et sociales.

    Au Maroc, ce livre de Ghazâlî va être reçu avec de grandes réticences et même une hostilité totale de la part des Almoravides, les tenants du pouvoir, eux-mêmes originaires d'un ribat soufi qui s'est temporalisé. Ali ben Yûsuf ben Tâchfîn organise un autodafé des oeuvres de Ghazâlî, aussi bien à Cordoue qu'à Marrakech. Il s'ensuivra une véritable persécution et une inquisition contre tous ceux qui pouvaient détenir des feuilles de cette oeuvre de Ghazâlî. Et pourtant, cela ne va nullement empêcher le soufisme d'essaimer.

    Et il y aura à ce propos des récits qui rapportent la vie des fondateurs de ce mouvement à travers certaines personnalités qui ont joué un rôle très important. Il faudrait citer, à cet égard, deux personnalités, Sayyidî Abû al-H'asan ‘Alî ibn Ismâ‘îl Muh'ammad ibn ‘Abd Allâh ibn H'irzihim et Abû Madyân. Ibn H'irzihim (dont le nom vernaculaire est Sidi Harazem) n'est pas très bien connu. Il a introduit une voie du soufisme qui préserve le secret comme chez les malâmatiyyn. La tradition populaire a gardé le récit suivant : Sidi Harazem était au nombre des théologiens qui avaient prononcé l'interdiction des oeuvres de Ghazâlî. Mais Sidi Harazem aurait fait un rêve. Il aurait eu une vision dans son sommeil. Il aurait vu un tribunal avec le prophète où on lisait les oeuvres de Ghazâlî page par page et le prophète acquiesçait à ce qui y était écrit. À la suite de cela, Sidi Harazem a été condamné. Ce récit est devenu extrêmement populaire. Ce fut une victoire de l'œuvre de Ghazâlî au travers d'un homme très important. Les réactions des fuqahâ' furent virulentes.

    Toutefois cela n'empêcha pas la diffusion populaire de cette spiritualité de s'accomplir. Abû Madyân fut un ghawt enterré dans la région de Tlemcen. Il a reçu l'enseignement de Sidi Harazem à la Qarawiyyn de Fès. Il était lointainement originaire de Séville, en Andalousie. Il accomplit le pèlerinage, qui fut un élément important d'échange. En effet, il aurait rencontré ‘Abd el-Qâdir Jilânî au cours de ce voyage, un des saints les plus populaires de l'islam dont le sanctuaire se trouve à Baghdad. Puis il est revenu pour devenir un très grand enseignant du soufisme. Il constitue en quelque sorte la source à laquelle remontent beaucoup de courants du soufisme marocain.

    On peut donner quelques exemples. Abû Madyân aurait été le maître d'Ibn ‘Arabî bien que cela ne soit pas reconnu par ce dernier. Il s'agit du « doctor maximus » de l'islam, un très grand soufi qui a laissé des oeuvres métaphysiques d'une très grande ampleur, et que l'on appelait le « fils de Platon » en Andalousie. Ibn ‘Arabî a fait plusieurs voyages au Maroc, notamment à Fès. Par la suite, il voyagera vers l'Orient et mourra à Damas où il est enterré. Une autre lignée d'Abû Madyân est celle d'Abdesslam ben Mchich. Son sanctuaire est un des plus importants du Maroc. Il est situé dans le jbel ‘Alâm. C'est un sanctuaire qui est la destination d'un pèlerinage spirituel. ‘Abd al-Salâm ben Mchich est un chérif descendant de Moulay Idriss, le fondateur du Maroc et de Fès. Sa postérité fut extrêmement importante.

    Il a eu comme disciple un grand théologien, qui eut la même histoire que Ghazâlî. En effet, il ne voulait pas se contenter du savoir livresque : il s'agit de Châdhilî. Il émigrera, lui aussi, en Orient, passant par la Tunisie puis par l'égypte où sa voie se répandra de façon extraordinaire. Il n'a pas un seul disciple au Maroc, mais sa postérité est considérable en Orient. La confrérie châdhiliyya reviendra de l'Orient vers l'Occident.

    A partir de ces deux personnalités, Abû Madyân et Châdhilî, on peut faire dériver toutes les confréries spirituelles que connaîtra le Maroc. Abû Madyân est à l'origine du développement de la qadiriyya et de la caducifolié, deux groupes qui ont produit toutes les voies qu'on connaît au Maroc actuellement. Leur postérité est véritablement une pépinière de saints.

    La ville de Fès a connu un grand nombre de confréries, qui vont depuis celle qui est apparue dans le jbel ‘alâm jusqu'à la Darqâwiyya. En effet, un très grand nombre de voies vont essaimer à travers le Maroc et elles vont influencer la culture de ce pays. Nous avons un proverbe : « si l'Orient est le pays des prophètes, le Maroc est le pays des saints ». Et ces spirituels ont joué un rôle très important dans la vie quotidienne de ce pays.

    Le rôle de la zâwiyya est à la fois spirituel et directement utilitaire car il joue un rôle dans la socialisation qui est très important. Tous les artisans appartenaient à une confrérie ou à une autre. Cela a créé cet esprit qu'on retrouve dans le compagnonnage. Je crois qu'on ne mesure pas assez cela. Il y a eu un vrai travail d'acculturation qui s'est fait durant des siècles, une réelle coopération culturelle entre le spirituel et le social et ce fut un choix fondamental. Cela a pu concerner des milieux sociaux très divers. Cela a touché à la fois des artisans, des illettrés et même des hommes du pouvoir. Ces saints désignés ont toutefois été parfois désignés par terme devenu péjoratif de « maraboutisme ». étymologiquement, ce terme désigne celui qui vit dans un « ribat », dans un centre soufi.

    Ces saints passaient leur temps à régler des conflits entre tribus. Par leur sagesse même, leur crédibilité, ils parvenaient à le faire. Ils étaient efficaces aussi grâce à leur position de neutralité et d'impartialité. Ils ont joué, tout au long de l'histoire du Maroc un rôle clé dans la résolution des conflits qui pouvaient exister dans ce bas-monde.

    On voit toujours, dans les villages, des coupoles blanches, cachées ou juchées sur les hauteurs qui signalent à l'attention ces saints qui ont joué des rôles sociaux fondamentaux. Cela nous fait comprendre, et c'est un point très important, de quelle manière il y a une sorte de décalage entre l'islam vécu, l'islam de la sérénité, et des courants beaucoup plus tardifs d'idéologie politique. Si on ne sait pas cela, on a du mal à comprendre ce qui se passe dans les sociétés musulmanes, où l'on trouve une superposition de deux couches très différentes de religiosité qui donnent l'illusion de n'en former qu'une seule.

    L'éducation spirituelle n'est pas forcément livresque. Il y a un très grand saint soufi berbère qui ne parlait pas l'arabe. Il s'agit d'Abû Chûa‘ib d'Azemmour. Sa vie montre comment des gens très simples pouvaient recevoir une relation du cœur, de la générosité du comportement, de la droiture, ensemble de choses qui nourrissaient cet enseignement de la spiritualité. Cela représente quelque chose qui est loin d'être marginal dans le monde musulman et qui a constitué cet islam traditionnel et non idéologique.

    Et l'on peut se demander ce qui va se passer dans l'avenir. Il y a eu le phénomène du passage à l'ère moderne et, à partir du XVIIIe siècle, des événements ont marqué ce passage, on peut citer la naissance de la doctrine wahhabite dans le Hijaz, en Arabie saoudite. Or antérieurement, La Mekke et Médine furent des hauts lieux des confréries, car ces villes connaissaient la présence de maîtres et d'écoles différentes.

    Mais il y eut aussi la naissance d'un mouvement nationaliste, puriste, réformiste et intégriste. Puis les Anglais ont surgi en Orient avec Lawrence d'Arabie. Il y eut la volonté de la part de ce nationalisme de créer un mouvement sécessionniste par rapport à l'empire ottoman. Ce mouvement fut encouragé par les Anglais et par la figure de proue que fut Lawrence. Cet épisode s'accomplit dans l'épicentre même de l'islam. Il y eut donc une volonté d'imposer une seule vision totalisante et totalitaire de l'islam. Il y eut aussi la volonté de combattre toutes les confréries soufies et le soufisme sous toutes ses formes. C'est cela qui va créer un islam à deux niveaux, l'islam traditionnel qui s'observe toujours dans le comportement et les valeurs de la plupart des musulmans et un islam politique et idéologique, celui-ci est l'arbre qui cache la forêt.

    Une des figures, qui représente bien cette difficulté de lecture, est celle de l'émir ‘Abd el-Qâdir, qui est à la fois un éminent soufi, un très grand métaphysicien, un poète mystique, un disciple posthume d'ibn Arabi, mais aussi un homme politique. Mais il n'a rien à voir avec les formes de crypto-wahhabisme qui se sont développées après la naissance des nationalismes. Au Maroc, nous avons connu plusieurs figures analogues à celle de l'émir ‘Abd el-Qâdir. Ma al-Ainin fut ainsi une grande figure, de tout autre ampleur que celles que l'on a connues dans le nationalisme étriqué et intégriste. Malgré la période de la colonisation, les confréries ont continué à mailler la société et à être présentes sur le terrain de manière extrêmement forte.

    Lorsque des gens ont l'occasion de rencontrer des personnes pratiquant un islam tolérant, généreux, hospitalier, ils sont en face de cet islam. Mais dans les médias, on trouve un autre islam. Ce double niveau est vécu par les gens eux-mêmes de façon conflictuelle et ils ne comprennent pas ce qui se passe. Ils ne savent plus ce qu'est le sens du mot « islam » et ne maîtrisent pas le glissement de sens de ce terme qui passe du sens qu'il avait jadis dans les confréries à celui qu'il a aujourd'hui dans l'islam politique. Cela s'était déjà passé au Maroc avec le sultan Moulay Slimane ? Ce fut alors la première rencontre avec le wahhabisme, la première rencontre avec Ibn Saoud. Ce souverain marocain envoya en Arabie une délégation de théologiens qui rencontrèrent des théologiens wahhabites.

    Mais alors on passe de la réalité à l'idéologie. Ces théologies d'Arabie demandent à leurs confrères de revenir au « premier islam ». Ils leur demandent de faire des prêches dans les mosquées pour amener les gens au wahhabisme. Aussitôt, ce fut une rébellion quasi générale dans le pays. Moulay Slimane fut immédiatement déposé. Il y a donc une difficulté à gérer ces deux niveaux en même temps. Et les choses continueront à aller dans ce sens à l'époque coloniale et post-coloniale, où le mouvement d'inspiration wahhabite prendra de plus en plus d'ampleur avec les pétrodollars et l'appui des états-Unis.

    Par la suite, les Américains donneront leur appui aux taliban-s au détriment du chah Massoud, qui était un authentique spirituel. Cette forme d'intégrisme se nourrit de l'ignorance qu'on a de la situation actuelle. L'utilisation de messages primaires par les islamistes fera qu'ils seront interviewés partout dans la presse. Le journaliste est en effet toujours tenté d'aller voir le barbu du coin. Or cet homme est quelqu'un de complètement ignoré dans son milieu. Il va devenir une star internationale et partout on constate, à cause de la presse, cette sorte de prophétie auto réalisée. Le journaliste annonce que les islamistes vont parvenir au pouvoir et ils parviennent au pouvoir. C'est ainsi que l'islamisme a beaucoup d'adeptes.

    La presse a besoin de vendre et cette surenchère politique et médiatique contribue au développement de l'islam politique. On aurait toujours intérêt à bien réfléchir sur ce phénomène car nous sommes, à cette heure, dans le processus de la mondialisation. Nos sorts sont liés, et inversement ce qui se passe en Europe intéresse les autres. C'est le moment d'aller au fond des choses et à faire un effort pour connaître objectivement notre satiation. Car c'est le seul antidote contre cette fuite en avant et la surenchère. Il faut établir la connaissance de ce qui se passe. Car c'est sur cette ignorance que se construit l'idée du choc des civilisations qui n'est rien d'autre que le choc des ignorances. Là aussi, il y a un risque de voir une prophétie s'autoréaliser. Il ne faut pas que nous soyons les jouets de nos peurs, de nos appréhensions, de la nécessité pour les médias de faire des scoops, mais il nous faut aussi participer à la production de la connaissance. Il y a un proverbe qui dit qu'un arbre qui tombe fait plus de bruit qu'une forêt qui pousse. On ne se connaît plus que par les médias interposés. Jadis, on se connaissait par des échanges réels et cela était fondamental.

    Discussion

    - Le chaykh Yassine prétend que sa formation vient de la tarîqa boudchichiyya. Considérez-vous cet homme comme un soufi ?

    Faouzi Skali : - La tentation d'aller du spirituel vers la politique n'est pas un fait nouveau dans le soufisme. Nous avons connu plusieurs cas et le cas le plus patent est celui d'Hassan Bannah, le fondateur des frères musulmans. Il y a là une sorte de glissement et de dévoiement. Cela est souvent dénoncé par le soufisme car la tentation du pouvoir existe. Elle consiste à vouloir utiliser à son profit une certaine mobilisation spirituelle, à poursuivre des fins politiques et non plus religieuses. Il y a là une sorte d'instrumentalisation du religieux. Chaykh Yassin, comme Abû Mah'allî qui fut son modèle, tombe sous les critiques formulées jadis par Abû ‘Alî al-H'asan al-Yûsî. Celui-ci avait sans cesse attiré l'attention sur les dangers de ce glissement vers le politique. On assiste à quelque chose qui est du même ordre et cela n'a plus rien à voir avec le soufisme. L'intégrisme n'est pas compris par les Marocains eux-mêmes pour ce qu'il est. On ne comprend pas cette sorte de glissement. Quand on dit, lors des campagnes électorales, aux gens : « votez pour l'islam », il y a un glissement dans le sens du mot « islam », qui n'a plus rien à voir avec l'islam de culture, dont l'histoire est très ancrée dans la conscience collective. Il y a là un glissement sémantique qui n'est pas perceptible par le commun des mortels. C'est la même chose avec Yassine. Cet homme n'a plus rien à voir avec le soufisme originel.

    - Quel rôle le soufisme peut-il jouer pour la recherche de la paix ?

    Faouzi Skali : - Le soufisme pourrait jouer un grand rôle dans la recherche de la paix. Car il est lui-même un mouvement multiforme et subtil. Si on veut jouer sur l'opinion, comme la presse ou les organes de propagandes des partis le font, il est nécessaire d'avoir un discours très schématique et très simpliste. Les médias imposent à leurs interlocuteurs de dire « oui » ou « non ». C'est un danger extrême et il faut vraiment réfléchir à cela. L'islamisme entre dans cette logique qui pourrait s'appeler le « terrorisme de l'audimat. Il profite pleinement de cette approche. Il faut réfléchir sur cela, avoir le recul nécessaire pour comprendre cette connivence objective entre islamisme et média. Dans la presse actuelle, on n'a pas de temps à perdre à essayer de comprendre. Cet aspect existe et il est très important. Les islamistes sont en réalité une prédiction qui s'autoréalise. A force de dire qu'ils sont importants, ils deviennent importants. Car ils sont importants dans les médias. C'est d'autant plus dangereux que cela ne correspond pas au socle du terrain qui est plus complexe. Car ce qui est réel, c'est l'islam de l'universalité et de la générosité. C'est pour cette raison qu'il y a une intelligibilité à retrouver pour le soufisme d'aujourd'hui.

    - Il y a aujourd'hui des percées islamistes dans les pays du Sud de la CEI. Or ces pays connurent des mouvements soufis très vivants.

    Faouzi Skali : - En Ouzbékistan, les soufis ont assez bien résisté au communisme. Il y avait, dans ce pays, un soufisme de l'élite et d'autres formes plus populaires. Mais l'islamisme a néanmoins fait une belle percée dans ce pays et on peut dire que les média ont, là-bas aussi, stabilisé ce qui n'était initialement que de simples poussées. Ces islamistes ont commencé par s'occuper des dames d'un certain âge, ce qui était une tactique assez claire. Au Kazakhstan, on reprochera aux voisins ouzbeks d'avoir laissé les islamistes passer d'une existence très discrète et d'une emprise seulement montagnarde au champ politique.

    - Que pensez-vous des élections au Maroc?

    Faouzi Skali : - Je pense que le Maroc est en train de devenir un grand terrain d'expérimentation. Notre pays est certes l'héritier de cette tradition spirituelle soufie, mais aussi de tous les problèmes récents qui ont engendré l'islamisme. Il y a une expérimentation qui consiste à vouloir réintégrer cette expérience dans une culture ouverte. Le Maroc a peut-être une chance de pouvoir le faire car il a toute une histoire derrière lui, avec une identité naturelle qui fait qu'il a tendance à être ouvert et à remettre ces mouvements islamistes dans le circuit de l'acculturation et de les faire sortir de l'idéologie pour les faire entrer dans l'action. Il y a là un véritable enjeu. Mais il faut dire que notre pays n'a pas vraiment d'intégristes violents. Il y a seulement quelques groupes que l'on peut qualifier de tels, en tour de 300 à 400 personnes. Saura-t-on trouver les médiations pour réussir l'expérience en cours ? C'est le défi que s'est lancé notre pays. On ne peut pas prévoir l'avenir.

    - Les soufis marocains exercent-ils une influence sur les orientations politiques du pays ?

    Faouzi Skali : - Je pense que le mouvement soufi, sans se présenter comme un mouvement politique, peut donner des conseils de sagesse. C'est là un rôle qu'il a souvent joué dans l'histoire. Suhawardî a ainsi reçu une demande du calife d'écrire un code de comportement pour les hommes de l'empire. Je pense que de tels conseils de sagesse pourraient être utilisés sous une forme directe ou indirecte. On assiste actuellement à un renouveau des confréries soufies, ce qui peut amener des jeunes à avoir une autre approche de leur religion. Et ceci est la vraie vocation du soufisme.

    - On vient de décider d'attribuer d'autorité 10 % des sièges aux élections à des femmes. Pourquoi cette surdité ou cette myopie ?

    Faouzi Skali : - J'ai constaté qu'il n'y avait pas de pavoisement dans la presse après les récentes élections, et cela même chez les socialistes. Il faut accepter d'attendre. Les choses prendront leur temps.

     

    - Que pensez-vous des images que la presse donne du Maroc ?

    Faouzi Skali : - Les musulmans ne se reconnaissent pas dans les images qu'on donne d'eux-mêmes. Toutes les images satellites sont piratées. Et cela est un problème. C'est une part de la réalité qui est réfléchie comme étant la réalité elle-même. Et cela est grave pour ceux qui sont à distance. Pour ces derniers, l'image diffusée par les médias est la réalité. Ce problème est réel et ce n'est pas que l'affaire des musulmans et de leurs amis. C'est l'affaire de tout le monde.

     





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