• L'Alphabet Hébraïque

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    LA LANGUE ET LA LITTÉRATURE HÉBRAÏQUE

     

    L'hébreu appartient au groupe des langues sémitiques du Nord-Ouest, dont il constitue, avec le phénicien et le moabite, le rameau cananéen.

    L'hébreu, aujourd'hui langue nationale d'Israël, représente, en effet, la forme évoluée de l'idiome qui était en usage chez les populations de Canaan antérieurement à l'arrivée des Israélites. Ces derniers ont dû abandonner pour la langue de leurs hôtes, dont la civilisation était supérieure, le dialecte araméen qu'ils parlaient originellement. Les gloses des lettres d'El-Amarna (XVe et XIVe siècles av. notre ère) ont permis de reconstituer la grammaire de cette langue de Canaan, ancêtre de la langue hébraïque

    La littérature hébraïque présente la particularité de s'être développée pratiquement sans solution de continuité depuis plus de trois millénaires. En outre, contrairement à l'évolution que l'on rencontre généralement, c'est le monument historique le plus ancien, la Bible, qui fut et reste considéré comme le modèle parfait, source de toute inspiration future. En conséquence, sur le plan littéraire comme sur le plan linguistique, la langue et la poésie bibliques apparaissent comme plus proches du XXe siècle que l'anglais de Chaucer ou le français du pauvre Rutebeuf.

    Évaluer l'importance relative des diverses époques est difficile, car les documents conservés ne constituent qu'une partie souvent réduite et parfois secondaire d'un ensemble. Certains moments de l'histoire littéraire sont mal connus et d'autres le seraient restés, n'étaient les découvertes retentissantes des manuscrits de la mer Morte en 1947 et de la gueniza du Caire en 1896.

    Les manuscrits de la mer Morte donnent une idée de la période qui s'étend entre la fin de l'époque biblique (env. IVe s. av. J.-C.) et l'époque mishnique (jusqu'au IIIe s.). Les textes, et surtout les admirables poèmes liturgiques découverts dans la gueniza du Caire (dépôt des textes sacrés anciens ou hors d'usage), montrent que les siècles qui se sont écoulés entre la clôture de la Mishna  (Misna ) et l'époque médiévale ont dû être très riches. On en dégagera ici les lignes de force.

    La littérature hébraïque moderne comprend essentiellement l'époque de la Haskala ("les Lumières"), qui dure jusqu'en 1881, celle du "Retour à Sion" chanté comme un souhait ardent, puis réalisé (H. N. Bialik, S. Tchernichovski), la littérature préisraélienne (jusqu'en 1948) et, enfin, israélienne.

    1. L'hébreu

    L'hébreu biblique ou hébreu ancien

    Textes

    L'hébreu biblique est la langue dans laquelle a été rédigé - à l'exception de quelques passages - l'ensemble littéraire qui constitue la Bible juive. Une partie des apocryphes et des pseudépigraphes, qui nous sont parvenus surtout en traduction, furent sans doute composés primitivement dans la langue originale de la Bible. C'est ce que démontrent, par exemple, les fragments hébreux du Siracide mis au jour à Qumrân en 1956 et à Massada en 1964.

    Le domaine de l'hébreu biblique a été considérablement élargi par la découverte, à partir de 1947, dans les grottes du Wadi-Qumrân, au nord-ouest de la mer Morte, d'une collection de textes antérieurs au christianisme, legs d'une secte juive dans laquelle de nombreux savants s'accordent à reconnaître les Esséniens.

    En dehors de ces compositions littéraires, il faut signaler encore divers monuments révélés par l'épigraphie: "calendrier" de Gezer, inscription de Siloé, sceaux, lettres de Lakish, estampilles de jarres, monnaies, inscriptions funéraires.

    Tous ces textes s'échelonnent du Xe siècle avant J.-C. aux abords de l'ère chrétienne.

    Phonétique et alphabet

    Le système phonétique de l'hébreu représente une simplification du système sémitique primitif. Les symboles de l'alphabet hébraïque auxquels correspondent les caractères latins b , g , d , k , p , t , notent, selon qu'ils sont ou non affectés d'un point diacritique, une prononciation dure ou spirante. Les gutturales, moins nombreuses que dans l'état originel, ont une prononciation qui les différencie nettement les unes des autres. L'hébreu biblique possède des consonnes emphatiques, caractéristiques des langues sémitiques. Les trois voyelles fondamentales du sémitique commun, a , i , u , avec leurs variétés longues ou brèves, ont abouti en hébreu ancien à sept voyelles longues, moyennes ou brèves. L'hébreu, comme l'arabe, accentue plus fortement la fin de phrase. Ce phénomène entraîne un allongement de voyelle dans le vocable qui est suivi d'une ponctuation forte. C'est la forme pausale.

    L'hébreu se lit de droite à gauche. L'alphabet hébraïque compte vingt-deux signes qui ne notent que les consonnes. Les Israélites l'ont emprunté aux Phéniciens et s'en sont servis sous sa forme originelle, dite hébréo-phénicienne ou paléohébraïque, jusque vers le milieu du premier siècle avant l'ère chrétienne. À partir de cette époque, l'alphabet hébréo-phénicien cède la place - sauf lorsqu'on veut user, pour divers motifs, d'une graphie archaïsante - aux caractères assyriens ou écriture carrée, dérivés d'une cursive araméenne. Divers systèmes imaginés tardivement, entre le VIe et le VIIe siècle de notre ère, ont permis de noter les voyelles. La notation qui s'est imposée est celle de Tibérias.

    Lexique

    L'hébreu biblique est une langue à la fois archaïque et simple. Disposant d'un matériel lexicologique assez restreint, il le met en ouvre avec une fraîcheur et une délicatesse qui compensent cette relative pauvreté. Comme toutes les langues, il a dû comporter des dialectes: quelques vestiges en subsistent dans la Bible. La langue de la poésie se distingue assez sensiblement de celle de la prose par certains traits archaïques. La versification repose sur le parallélisme des deux ou trois stiques qui constituent le verset et qui expriment la même idée en la formulant d'une manière analogue ou antithétique. De plus, chacun de ces stiques comporte le même nombre de syllabes toniques ou temps forts, sauf dans le rythme de l'élégie qui résulte de l'alternance d'un stique plus long et d'un stique plus court. Le style des prophètes est marqué par une certaine liberté à l'égard du parallélisme.

    Jusqu'à l'époque de la Captivité (586 av. notre ère), la langue hébraïque n'admet que peu de vocables étrangers. Après la Captivité, elle devient plus perméable à l'influence de l'araméen qui prévalait en Galilée, postérieurement à la chute de Samarie (721 av. notre ère), et n'avait cessé de gagner du terrain. Il admet aussi plus volontiers des vocables empruntés au perse et des tournures de la langue populaire. Ces caractéristiques, que l'on relève dans des écrits qui s'efforcent à une imitation consciencieuse des genres et de la langue des ouvres de la période préexilique, annoncent déjà l'hébreu mishnique.

    Morphologie et syntaxe

    Comme toutes les langues sémitiques, l'hébreu a pour éléments de base des racines verbales de trois consonnes qui expriment l'idée fondamentale. Des consonnes préfixées (préformantes) ou suffixées (afformantes) permettent la formation nominale et la constitution de types substantifs aux valeurs déterminées.

    Le sémitique commun possédait une déclinaison à trois cas principaux. Il n'en reste que des vestiges en hébreu. Ce qu'on appelle la flexion d'un substantif hébraïque n'est autre chose que l'ensemble des modifications vocaliques affectant le thème consonantique de ce substantif, selon qu'il est employé à l'état absolu du singulier ou du pluriel (c'est-à-dire lorsqu'il ne régit aucun complément déterminatif), ou à l'état construit du singulier ou du pluriel (c'est-à-dire lorsqu'il est déterminé par un complément), ou enfin avec l'adjonction d'un suffixe possessif.

    Le nom hébreu connaît deux genres et trois nombres, les objets qui vont par paires, comme les membres doubles, etc., étant au duel.

    Le verbe hébreu possède sept formes que prend la racine suivant qu'il s'agit d'en exprimer l'idée fondamentale (forme légère ou simple) ou certaines nuances particulières (formes lourdes ou augmentées). Chacune de ces formes comporte un indicatif à deux temps. Cinq formes ont, en outre, un mode volitif: impératif pour la deuxième personne; cohortatif pour la première et, à une forme seulement, jussif pour la troisième. La forme simple admet quatre noms verbaux: infinitif absolu et infinitif construit, participe actif et participe passif. Deux formes augmentées sont dépourvues d'infinitif construit. Toutes, en dehors de la forme simple, n'ont qu'un seul participe, de valeur active ou passive selon la signification propre à chaque forme.

    Les temps de l'hébreu envisagent le procès non pas sous l'angle chronologique, mais selon son aspect, c'est-à-dire selon qu'il est accompli (parfait) ou en train de s'accomplir (imparfait). La consonne vaw  (vaw  conversif) préfixée à un parfait ou à un imparfait donne à chacun de ces temps la valeur du temps qui lui est respectivement opposé.

    Les personnes sont marquées par des désinences (parfait) ou des préformantes (imparfait), débris de pronoms ou éléments à valeur démonstrative. Aux deuxième et troisième personnes, l'hébreu exprime les genres par des formes spécifiques.

    Les accidents phonétiques auxquels sont exposées les consonnes qui constituent la racine verbale commandent la répartition des verbes hébraïques en verbes forts ou sains, verbes à gutturales, et diverses catégories de verbes faibles. Tous les verbes peuvent recevoir des pronoms personnels suffixés sujets ou, surtout, objets.

    La construction de la phrase hébraïque est paratactique plutôt que syntactique. Elle procède par courtes propositions coordonnées par la conjonction we  ("et") qui reçoit des valeurs variées, selon le contexte. La simplicité de ce système n'empêche pas l'hébreu d'exprimer à peu près toutes les nuances de la subordination. Néanmoins, la langue ressent, dès la Bible, la nécessité de se constituer des conjonctions de subordination composées.

    L'hébreu mishnique

    L'hébreu mishnaïque ou mishnique, que l'on appelle souvent aussi, avec une insuffisante précision, néo-hébreu, représente la langue quotidienne que les Juifs de Palestine parlaient depuis le IVe siècle avant notre ère et dont ils ne devaient cesser de faire usage, concurremment à l'araméen, qu'après la ruine définitive de l'État national en 135 de l'ère actuelle. L'hébreu devient alors langue religieuse et savante et s'efface, en tant que vernaculaire, devant l'araméen, ou peut-être même le grec.

    À la dernière phase de l'hébreu vivant, l'idiome populaire accède à la qualité de langue littéraire. L'ouvre principale qui en fait usage et qui lui donne son nom est la compilation de la Mishna (IIe siècle de notre ère).

    L'hébreu mishnique se distingue de l'hébreu biblique par des particularités philologiques notables. Le lexique s'est ouvert aux influences extérieures: il admet assez largement des vocables empruntés à l'araméen, au perse, au grec et au latin. Il innove par rapport à la Bible non seulement en donnant à certains noms des valeurs sémantiques nouvelles, mais aussi par l'introduction de formations nominales inédites. Certaines des formes classiques tombent en désuétude dans quelques catégories de verbes, tandis que des formes nouvelles, souvent quadrilitères, apparaissent. Les temps reçoivent une valeur plus temporelle. Le participe donne naissance à un présent. Les constructions périphrastiques deviennent fréquentes. L'état construit tend à être remplacé par la particule relative de forme se  avec la préposition l  suffixée. Les prépositions et les conjonctions se multiplient. La construction de la phrase est très différente. L'hébreu mishnique ne doit pas être considéré comme une langue artificielle ou dégénérée. C'est un idiome dru et concis, pittoresque et souvent d'une limpide élégance.

    Le néo-hébreu ou hébreu médiéval

    Nous réservons le nom de néo-hébreu à l'hébreu tel que le pratiquent les lettrés juifs, du début du IIIe siècle de notre ère à la seconde moitié du XIXe siècle. Langue essentiellement livresque, le néo-hébreu s'efforce d'imiter les modèles littéraires du passé, de la Bible à la Mishna. Il comporte des variétés assez nettement différenciées selon qu'il s'agit de prose ou de poésie, selon les époques et selon les genres traités. En prose, la langue des Midrashim et celle du Code  de Maïmonide continuent l'hébreu mishnique. Chez les commentateurs du Talmud, l'hébreu mishnique se charge d'éléments araméens empruntés à la grande compilation babylonienne. La langue des philosophes est celle dans laquelle sont rédigées les traductions d'ouvres philosophiques ou scientifiques arabes. La nécessité de faire exprimer à l'hébreu les idées abstraites de leurs modèles oblige les traducteurs à des innovations qui affectent la sémantique, la formation nominale, la syntaxe et sont souvent des calques serviles de l'arabe. L'hébreu médiéval utilise volontiers une cursive dérivée de la forme carrée: la graphie dite rabbinique ou de Rashi.

    À partir du dernier quart du XVIIIe siècle, en liaison avec le mouvement de la Haskala qui s'efforce, en Allemagne, de libérer du Moyen Âge les Juifs et de les adapter au monde moderne, le style de la "rhétorique" ou melitsah  tente, avec un succès assez médiocre, de revenir à la pureté de l'hébreu biblique en rompant complètement avec l'hébreu mishnique et l'hébreu médiéval.

    La prétention d'exprimer les réalités modernes par l'antique idiome de l'Écriture, figé dans le rôle de norme linguistique, aboutit à la constitution d'une langue solennelle et maladroite, pourvue d'une syntaxe sclérosée et contrainte de multiplier les périphrases pour désigner, d'une façon parfois peu intelligible, les notions et les choses. Bien qu'il soit l'instrument d'un mouvement d'émancipation, l'hébreu de la melitsah , par son caractère, appartient au passé de la langue hébraïque plutôt qu'il n'en annonce l'avenir.

    La poésie liturgique comporte souvent la rime, mais non le mètre. Sa langue est fondée sur celle de la Bible. Toutefois, tandis qu'à sa première période elle recourt très volontiers à des innovations d'ordre morphologique, elle finit par renoncer à la plupart d'entre elles, cependant qu'elle accueille plus largement des expressions talmudiques.

    La poésie métrique, introduite au Xe siècle, comporte deux variétés ou deux styles. Dans le style espagnol, la langue est essentiellement celle de la Bible, quoiqu'on y décèle l'influence du style philosophique de la prose et celle de l'arabe. À la fin de la période du néo-hébreu, le style allemand de la melitsah  a plus de pureté que de vigueur.

    L'hébreu moderne

    La période moderne de l'hébreu commence dès la seconde moitié du XIXe siècle avec la prédominance du style russe. L'éveil de la nationalité juive et son aboutissement politique transforment la langue forgée par les grands auteurs du judaïsme russe en vernaculaire: l'hébreu vivant actuel ou israélien.

    La nécessité d'exprimer les réalités complexes de la vie contemporaine avait contraint l'hébreu des auteurs russes à faire appel à toutes les ressources du vocabulaire hébraïque au lieu de se cantonner, à la façon de la melitsah , dans le lexique de la Bible. Prolongeant et systématisant cet effort de rénovation linguistique, E. Ben Yehuda publie, dans la deuxième décennie du XXe siècle, un Thesaurus totius hebraitatis  qui joue un rôle décisif dans la formation de l'hébreu actuellement parlé dans le nouvel État national. Ben Yehuda n'hésite pas à préconiser même des emprunts à certaines langues vivantes, dont l'arabe. Redevenu langue quotidienne, l'hébreu ne cesse désormais, comme tous les idiomes vivants, d'enrichir son dictionnaire au gré des contingences historiques. Si bien que le Thesaurus  de Ben Yehuda, tout en restant aujourd'hui encore l'ouvrage de base, est sensiblement dépassé par la langue actuelle.

    Sur le plan de la grammaire, l'hébreu moderne est marqué par deux tendances opposées. Certaines de ses particularités continuent l'évolution qui avait transformé l'hébreu biblique en hébreu mishnique. Ainsi en phonétique où l'on note le recul de la prononciation spirante, réduite aux seules consonnes b , k , p , et, sauf chez les Juifs arabophones, l'usure à peu près complète des gutturales. Surtout, l'hébreu moderne fait un usage plus large que l'hébreu mishnique de la subordination et de constructions de phrases complexes. Selon l'autre tendance, l'hébreu moderne marque sur certains points de morphologie une rupture avec l'hébreu mishnique et un retour à l'hébreu biblique.

    Enfin, par des développements originaux tels que l'abandon à peu près total de la forme pausale et l'usage généralisé du discours indirect, l'hébreu moderne se distingue à la fois de l'hébreu biblique et de l'hébreu mishnique.

    La prononciation de l'hébreu moderne est conforme à celle des Juifs orientaux, ou Sephardim. La prononciation des Juifs d'Europe, ou Ashkenazim, est conservée parfois en poésie. La graphie courante est une cursive qui procède des caractères carrés de l'imprimerie.

    Encore en devenir, à certains égards, l'hébreu moderne est d'ores et déjà un idiome harmonieux, apte à exprimer avec élégance et naturel, à l'instar de n'importe quelle autre langue de culture, toutes les réalités du monde moderne et toutes les nuances de la pensée. 

    2. La littérature hébraïque

    De la Mishna à Rabbi Loeb

    La période mishnique (env. Ier s.-230)

    Le retour de captivité, la révolte des Asmonéens et l’indépendance retrouvée, puis perdue (70 apr. J.-C.), favorisent l’éclosion des sectes juives, se réclamant toutes du patrimoine spirituel de la Bible (sadducéens, pharisiens, esséniens, zélotes). Seul le judaïsme pharisien survécut (face à une autre secte issue du judaïsme acceptant pour messie Jésus de Nazareth: les chrétiens).

    Outre la grande floraison du judaïsme alexandrin, le monument littéraire de cette période fut sans contexte la Mishna  (d’une racine hébraïque signifiant répétition, étude – de la Loi).

    Le propos de la Mishna  est donc d’expliquer la "Loi et les prophètes". Hillel l’Ancien (fin du Ier s. av. J.-C.) formula les premières règles d’herméneutique, qui furent reprises et complétées par Rabbi Ismaël (IIe s.).

    Au début du IIIe siècle, Rabbi Juda le Saint mit par écrit la Mishna , se basant sur quelques recueils antérieurs mais surtout sur la loi orale transmise de maître à disciples, de génération en génération. On trouve dans la Mishna , à côté de l’enseignement juridique dans toute sa rigueur, un enseignement éthique (maximes des Pères de la Synagogue) et religieux d’une grande valeur:

    Ben Zoma disait: Qui mérite le nom de sage? Celui qui trouve quelque chose à apprendre de chaque homme.
      Qui mérite le nom de héros? Celui qui dompte ses passions.
      Qui mérite le nom de riche? Celui qui est satisfait de son sort.
      Qui jouit du respect? Celui qui témoigne considération envers les créatures de Dieu.

    On possède également des recueils de midrashim  (explications allégoriques). Certains sont très anciens, tels le Sifra  (commentaire sur le Lévitique) ou le Sifre  (commentaire sur les Nombres ou le Deutéronome); d’autres, plus tardifs, tel le Midrash Rabba  (commentaire allégorique sur le Pentateuque).

    Après la clôture de la Mishna , on assiste très rapidement à une dégradation de la situation linguistique, et l’hébreu cesse d’être une langue parlée pour devenir exclusivement une langue liturgique et une langue littéraire, et cela jusqu’au début du XXe siècle.

    La Guemara (commentaires) vint s’ajouter à la Mishna  au cours des trois siècles qui suivirent. Ces commentaires sont à la fois d’ordre juridique, exégétique, moral. Mishna  et Guemara  constituent ensemble le Talmud (l’Enseignement). Enfin, cette époque a conservé les prières les plus anciennes du culte synagogal, postérieur à la Bible.

    Avant d’être créé, j’étais l’indignité même.
    Maintenant que j’existe, je suis comme si je n’avais [pas été créé.
    Durant la vie, je suis poussière;
    Combien plus, à ma mort!...
    Que ce soit ta volonté, Seigneur, de faire en sorte [que je cesse d’être un pécheur
    Et daigne effacer les fautes
    que j’ai commises devant Toi
    et cela en ton infinie miséricorde,
    et non par des châtiments.
    (Prière
     , époque talmudique.)

    La littérature hébraïque à l'époque médiévale

    Après la lente désagrégation du judaïsme palestinien (IVe-Ve s.), le centre de gravité du judaïsme s’est déplacé vers la Babylonie, et les maîtres des académies talmudiques de ce pays (les geonim) devinrent les chefs spirituels du judaïsme tout entier, cela jusqu’au XIe siècle. De toute la Diaspora, on se tournait vers eux pour résoudre les problèmes difficiles de jurisprudence. Toutefois, le judaïsme palestinien n’était pas complètement détruit: les massorètes (de massora , "tradition") ont fixé définitivement au IXe siècle, à Tibériade, la prononciation de l’hébreu biblique et élaboré le système de points-voyelles encore en vigueur aujourd’hui. Les notes massorétiques sont d’une grande importance pour la compréhension de la Bible.

    Le plus célèbre gaon fut Saadia (882-942): théologien et philosophe, il est l’auteur des Kitab al-Amanat w‘al-I’tiqadat  (Croyances et convictions ), le premier ouvrage de théologie juive; il fut également lexicographe, grammairien, poète religieux, exégète, traducteur de la Bible en arabe (le Tafsir’ ) et polémiste (il sut faire front aux attaques violentes des karaïtes, secte juive niant la valeur du Talmud et de la tradition orale et mettant l’accent sur la nécessité de "scruter diligemment le texte de la loi écrite").

    Le statut des juifs d’Europe changea de nature lorsque la partie la plus importante du peuple juif passa de la "diaspora d’Ésaü" (la chrétienté) à celle d’Ismaël (l’islam). Certes le juif est un dhimmi  (citoyen de second ordre), pourtant l’islam sut se montrer plus tolérant pour ceux (juifs et chrétiens) que le Coran appelle "le peuple du Livre". La domination musulmane en Espagne a permis l’éclosion de l’âge d’or du judaïsme dans tous les domaines: en politique (Hasdaï Ibn Chaprut fut le vizir d’Abdul Rahman III), en médecine et en astronomie, mais aussi et surtout en littérature.

    L’âge d’or de l’Espagne dura plusieurs siècles; la Reconquista eut de terribles conséquences sur le sort des communautés juives. La première synagogue postérieure au dur exil de 1492 fut inaugurée en décembre 1968!

    La littérature hébraïque en terre d’Espagne fut d’une étonnante richesse. Après les polémiques des rabbanites contre les karaïtes, illustrées par Saadia et portant sur l’interprétation de la Bible, de savants grammairiens formés à l’école arabe fondèrent véritablement la science grammaticale et lexicologique juive. Citons entre autres Menahem Ibn Saruq, auteur d’un "recueil" (dictionnaire de racines hébraïques) et son adversaire Dunash Ibn Labrat, Hayyug (auteur de la théorie de la "trilitéralité" des racines hébraïques), Ibn Jannah, Abraham Ibn Ezra (grand érudit qui est à la fois, comme Saadia, grammairien, exégète et poète), la famille des Qimhi, en particulier David Qimhi (RaDaQ).

    Ce fut l’apogée de la poésie hébraïque. Depuis les temps bibliques et jusqu’à la fin du XIXe siècle, rien qui soit comparable au talent poétique et à la magnifique langue de Salomon Ibn Gabirol (XIe s.), de Moshé Ibn Ezra, de Juda Hallévi (XIe-XIIe s.). Ce dernier, auteur des immortelles Sionides , fut le chantre par excellence de l’amour d’Israël (désignant à la fois le peuple et la terre d’Israël):

    N’es-tu pas inquiète, ô Sion! du sort de tes captifs,
    Alors qu’ils se tourmentent du tien, eux, les
      [rescapés de ton troupeau? [...]
    Pour plaindre ta détresse, je hurle comme les
      [chacals, mais quand je rêve
    Du retour de tes captifs, je suis une cithare toute
    [vibrante de tes hymnes.

    La philosophie juive est fortement imprégnée de culture arabe et, à travers elle, de culture grecque. Le plus grand philosophe fut sans conteste Maimonide, né en 1134, mort en 1205. Ses ouvrages, rédigés en arabe, furent traduits en hébreu par Samuel Ibn Tibbon (de la grande famille provençale des Tibbonides qui traduisirent les ouvrages de philosophie juive les plus importants).

    En raison de la décadence du gaonat, le soin de "trancher" la Halakah revint aux "décisionnaires", auteurs de nombreux recueils de Responsa : Rabbenu Gershon, "Lumière de l’Exil" (Xe s.), Rabbi Asher ben Yehiel (XIIIe s.-début du XIVe s.), son fils Jacob, auteur de Arba‘ Tourim  (Les Quatre Rangées ), enfin l’auteur du célèbre Shulhan Aroukh  (Table dressée , code sur lequel est fondé le judaïsme traditionnel de nos jours), Joseph Qaro (XVIe s.), et son "annotateur", Moshé Iserlès.

    Tout au long des siècles, l’exégèse biblique et talmudique constitua une part importante de l’activité littéraire des juifs. Les plus célèbres commentateurs furent sans conteste Shelomo Ishaqi (Raši , Troyes, XIe s.), ses disciples, puis Abraham Ibn Ezra et Mose ben Nahman (XIIIe s.).

    À la fin du XIIe siècle se développe un mouvement mystique dans la région rhénane, dont les personnalités marquantes furent Juda le Pieux et Éleazar de Worms. La kabbale, se nourrissant aux mêmes sources mystiques, en diffère profondément. Le mouvement kabbaliste, naquit en Provence vers la fin du XIIe siècle, sur la base d’enseignements ésotériques anciens, tel Sefer ha-Bahir  (Le Livre lumineux ). Le Zohar , ou Livre de la splendeur , fut le texte kabbaliste essentiel.

    La transition

    Le XVIe siècle fut un siècle de transition. L’expulsion des juifs d’Espagne fit éclater cette communauté vers les pays musulmans d’une part, le Maghreb et la Turquie, d’autre part vers l’Italie, les Balkans, et vers l’Europe centrale et orientale. L’invention de l’imprimerie permit au peuple du Livre d’étendre la diffusion des textes de base.

    Les grandes figures de ce XVIe siècle furent ‘Azaria de Rossi en Italie, auteur de Méor Eynayim  (La Lumière des yeux ) et surtout le Grand Rabbin de Prague, le célèbre Maharal (le Haut Rabbi Loeb)..., humaniste juif, fondamentalement attaché à la tradition, moraliste, philosophe, exégète et kabbaliste éminent. Ses écrits ont fait récemment l’objet d’études remarquables. La situation matérielle des juifs était alors peu brillante, les "ghettos" imposés conduisaient à une mentalité de repli sur soi, les persécutions et les brimades de toutes sortes ne créaient guère les conditions favorables à l’épanouissement d’une littérature.

    Le renouveau du XVIIIe

    Le renouveau vint d’Italie où le sort des juifs était bien meilleur. Moshé Hayyim Luzzatto (1707-1746), éminent kabbaliste, fut également dramaturge: Migdal ‘oz  (La Tour de puissance ), Lišarim Tehila  (Louange aux hommes vertueux ) sont les premières pièces qu’ait produites la littérature juive depuis de longs siècles; il fut encore moraliste (Mesilat yešarim , Le Sentier des justes ) et polémiste. Il abandonna l’hébreu "secondarisé", où tout se formulait au moyen de citations bibliques ou rabbiniques; il introduisit une clarté de conception et d’expression dans une langue alors en pleine léthargie.

    Moïse Mendelssohn (1729-1786) et N. H. Viesel (1725-1805) sont considérés, avec Luzzatto, comme les pères de la littérature moderne. Forçant les portes du ghetto, le premier surtout prit une part active à la vie culturelle allemande et ouvrit la voie à l’émancipation des juifs. Mendelssohn, après Luther, traduisit la Bible en allemand, accompagnant sa traduction d’un béour  (interprétation) en hébreu. Cinq siècles après Maimonide, il osa confronter la pensée juive à la philosophie du temps. Cette confrontation avec la culture extérieure, cette renaissance des lettres et de la science juives s’épanouiront durant tout le XIXe siècle.

    Les Maskilim: espoirs et illusions perdues

    Le mouvement général des idées qui, en Europe occidentale, avait mis en avant les notions de liberté, de fraternité humaine, d’égalité, de progrès..., trouva un écho immédiat chez les intellectuels juifs, si complètement privés de tout ce qui constituait leurs aspirations les plus ardentes, depuis des siècles, et pourtant si avides de tout étudier, de tout apprendre. Cette "soif de connaître", dont parlait déjà le prophète Amos, s’était emparée des jeunes du ghetto.

    La Haskala ("les Lumières") comporte trois périodes: rationaliste, elle devint assez vite romantique; puis les déboires, les échecs et les pogroms l’amenèrent au réalisme et au désespoir. Cependant ces trois éléments ne furent jamais exclusifs l’un de l’autre; la Haskala chante l’homme maskil : le juif idéal, intelligent et raffiné, attentif à autrui, intensément amoureux de cette nature dont le ghetto le prive si douloureusement; plus encore, le maskil  doit sortir de son ghetto spirituel, s’ouvrir à d’autres valeurs que celles du judaïsme traditionnel. Il n’est par conséquent pas surprenant que les attaques contre la religion juive, dans ce qu’elle a de contraignant, contre son immixtion dans les moindres actes de la vie, se fassent si violentes et, très souvent, si injustes.

    J. L. Gordon, le poète de la Haskala, prône la nouvelle devise: "Sois juif dans ta demeure, sois homme hors de chez toi."

    S. D. Luzzatto (1800-1865), comme son lointain parent, excella en de nombreux domaines. Son œuvre est nettement teintée de romantisme:

     Quand donc le monde a-t-il vu apparaître des découvertes aussi merveilleuses qu’à notre génération? Est-ce que, pour cela, on a vu diminuer les guerres, les assassinats, les rapts et les vols, le paupérisme et la misère, les malheurs, la jalousie et la haine, les cris des malheureux et les gémissements des affligés, les morts prématurées?...
    (Préface aux Fondements de la Loi
     .)

    H. N. Krochmal (1785-1840), natif de Galicie, foyer traditionnel du hassidisme, infléchit l’évolution de la pensée religieuse juive du XIXe siècle. Son More Neboukhe Hazeman  (Guide des égarés de notre temps ) réalisa, au moins partiellement, les visées de l’auteur. C’est au milieu du siècle que la Haskala atteignit son apogée en Europe centrale et en Russie; tous les genres littéraires y fleurissent, le théâtre toutefois avec quelque retard. Il y eut d’abord des traductions d’ouvrages de science et surtout d’auteurs classiques (de Homère à... Eugène Sue, dont Les Mystères de Paris  connurent, grâce à la traduction de C. Schulmann, un immense succès).

    En Russie, I. B. Levensohn (1788-1860) prit, en hébreu, la défense de l’instruction moderne et d’une remise à jour de la pensée juive. La poésie lyrique, quant à elle, connut un grand essor, grâce à A. B. Lebensohn [Adam Hakohen] (1784-1880) et, surtout, à son fils Micha Yoseph, ou Michal (1828-1852). D’une vaste culture, à la fois juive et profane, admirateur de Schiller, excellent traducteur de La Chute de Troie , tirée de L’Énéide , ses poèmes puisent leur inspiration tant dans l’histoire biblique et juive que dans la contemplation de la nature ou dans l’expérience intime d’une foi profonde.

    J. L. Gordon (1830-1892) fut sans conteste le poète type de la Haskala. Il fut tour à tour lyrique, fabuliste avec Mishlé Yehudah , puis auteur satirique. Il s’attaque férocement au judaïsme traditionnel, et les rabbins qu’il dépeint sont l’objet de toute sa verve ironique. Rabbi Vafsi Hakuzari (Qoso šel yod , Le Jambage du yod ) a l’âme aussi noire que le Kuzari  ("Tatare") dont il descend sans doute: pour un minuscule jambage de yod , il refuse de valider un acte religieux, causant ainsi un nouveau malheur à une pauvre juive abandonnée par son premier mari. La pauvre Sarah (’Ašaqa derispaq , Pour un moyeu de char ) voit son foyer détruit, sur l’intervention du rabbin, pour avoir commis le crime de laisser tomber par inadvertance un grain d’orge dans la soupe de la soirée pascale. Dieu lui-même, qui assiste sans une larme au martyre d’une pure jeune fille qui, comme des milliers d’autres, préférera la mort à l’apostasie lors de l’expulsion d’Espagne, n’échappe pas aux reproches du poète (Bimsulot yam , Dans les profondeurs de la mer ). Mais pour "être homme hors de chez soi", semblable à ses concitoyens, prenant part à leur vie, à leurs efforts, à leur culture, encore faut-il être accepté! Après les pogroms de Kichinev (1881), dans Lemi ’ani ‘amel  (Pour qui est-elle , la peine que je prends? ), Gordon se désespère:

    Suis-je le dernier des bardes de Sion?
    Êtes-vous, vous-mêmes, mes derniers lecteurs?

    A. Mapou (1808-1868) puisa son inspiration dans l’histoire antique d’Israël, et, dans ’Ahavat Šion  (Amour de Sion ), en 1853, il dépeint les amours d’Amnon (pâtre de Judée, sous le roi Ézechias, à l’époque du prophète Isaïe) et de Tamar. Dans un hébreu volontairement réduit au vocabulaire biblique (dans ce roman pastoral n’apparaissent que deux noms de fleurs: la rose et le lys, car la Bible n’en cite pas d’autres!), au style et à la syntaxe du Livre des livres, Mapou célèbre le paysage de la Terre sainte, la pureté des mœurs de ses habitants. Que la vie "selon la nature", dans un pays indépendant où chacun jouit des fruits de son travail, était belle comparée à celle du ghetto étouffant, obscurantiste!

    Mais le juif du ghetto sut trouver ses défenseurs. Des auteurs tels Mendele Mokher Sforim (pseudonyme de S. Y. Abramovitch, 1836-1918), Y. L. Peretz (1851-1915) et Shalom Aleichem (pseudonyme de S. Rabinovitch, 1859-1916) étaient pleins de tendresse pour sa piété exemplaire, sa simplicité, sa douceur, son humour si particulier, son courage tranquille, sa foi inébranlable... Le rabbi fanatique qu’avait vu Gordon se révèle sous leur plume un saint homme, dont la vie n’est faite que de spiritualité, dont les jours et une bonne partie des nuits sont consacrés à l’étude de la Loi. Tévié, le laitier (cf. la pièce moderne Un violon sur le toit ), parle la langue de la Bible et des rabbins, et accepte les épreuves et les malheurs qui fondent sur lui avec une foi et une résignation admirables. Le shtetl , la bourgade juive, est le lieu où s’épanouit le judaïsme. La langue de ces auteurs ne renonce pas aux richesses de l’hébreu postbiblique et rabbinique. Plus encore, le yiddish, langue parlée par tous les juifs d’Europe centrale et orientale, composée d’hébreu, de haut-allemand, de slave..., devient, comme la "langue sacrée", l’un de leurs moyens d’expression. Le populisme juif aura trouvé, en ces auteurs, ses dignes représentants.

    La littérature proprement religieuse n’est pas absente au XIXe siècle. Le Malbim (1809-1879) composa un commentaire traditionnel de la Bible qui devint vite populaire. Mais surtout, la science du judaïsme (Wissenschaft des Judentums) se développa: l’histoire (H. Graetz, 1817-1891), la littérature médiévale (L. Zunz, 1794-1886; A. Geiger, 1810-1874; et A. Berliner, 1833-1915), la bibliographie (M. Steinschneider, 1816-1907), la philosophie médiévale (S. Munk, 1803-1867) suscitent des études du plus grand intérêt, qui, pour nombre d’entre elles, restent encore valables de nos jours.

    La réforme religieuse fait également son apparition en Allemagne, essaimant ensuite aux États-Unis et en France (A. Geiger). Par contrecoup, la néo-orthodoxie va s’affirmer avec éclat (S. R. Hirsch, 1808-1888). En Italie, le rabbin E. Bénamozegh (1823-1900) confrontera Morale juive et morale chrétienne  et étudiera les rapports entre Israël et l’humanité . Cependant, tous ces auteurs, si fins hébraïsants qu’ils fussent, n’utilisaient pas l’hébreu mais essentiellement l’allemand (accessoirement le français) pour développer leurs thèses savantes!

    La renaissance: pogroms et sionisme

    Deux événements vont marquer la littérature hébraïque entre 1880 et 1917: les pogroms de Russie (1881...) et l’apparition du mouvement des Amants de Sion avec le sionisme politique et culturel.

    L’ambition déçue de la Haskala, réussir l’émancipation des juifs et en faire des Européens (de confession ou d’origine juive), cède la place à une volonté inébranlable de réussir l’"auto-émancipation" (Avtoemansipatsia ), de prendre en main les destinées du peuple juif et de les assumer pleinement. Cet amour de Sion doit cesser d’être une nostalgie, un thème de roman ou de poème, pour trouver sa réalisation.

    Ahad Haam (pseudonyme d’A. Ginsberg, 1856-1927) s’attachera surtout à définir le contenu d’un sionisme culturel. Il écrira et publiera en 1889 Lo zo haderekh  (Ce n’est pas la bonne direction ), pamphlet qui le rendit justement célèbre.

     Nous devons, nous aussi, devenir majoritaires dans un pays unique au monde [...] sur lequel nos droits historiques sont indubitables [...] Alors notre existence nationale pourra se développer en accord avec notre génie [...] Alors seulement, le reste de notre peuple, malgré sa dispersion dans tous les pays, pourra espérer que notre foyer national l’imprégnera de son esprit en lui insufflant de sa vie, lui donnera la force de vivre, même privé de ses droits nationaux dans les pays où il se trouve...

    La Halusiut (l’œuvre et l’esprit des pionniers) a prouvé le mouvement en le réalisant. Le grand théoricien de la "religion du travail" fut A. D. Gordon (1850-1920). Y. Arikh (né en 1907), D. Maletz (né en 1900), A. Barash (1889-1952), Y. Yaari (né en 1900) en prose, et Rahel (1890-1931), D. Shimoni (1886-1956) et Y. Lamdan (1899-1954) en poésie l’ont également célébrée.

    Antagoniste d’Ahad Haam, M. Y. Berditchewsky (1865-1921), "nietzschéen" de tendance, traite tout au long de son œuvre du juif déraciné et de son inquiétude. Tenant de l’"esthétisme", il rejette avec force la primauté du spirituel dans la vie juive et réclame pour l’homme la liberté d’obéir à ses passions et à ses instincts naturels.

    L’hébreu de l’un comme de l’autre annonce déjà la langue contemporaine. La clarté et la concision, la précision et l’art de bien choisir le mot juste expliquent aisément la profonde influence qu’ils ont eue sur leurs successeurs directs et, partant, sur l’évolution de l’hébreu. Ces deux grands polémistes ouvrent la voie à la littérature nationale.

    Dans la même mouvance que Berditchewsky, d’autres écrivains tels Brenner (1881-1921), Berkovitch (1885-1967), Gnessin (1879-1913), feignent l’intellectuel juif déchiré entre son village natal aux traditions ancestrales et la grande ville étrangère et hostile où il tente désespérément de survivre dans un monde sans Dieu. Feierberg (1874-1899) illustre ce thème dans son court roman au titre évocateur Léan? (Où aller? ).

    H. N. Bialik (1873-1934) et S. Tchernichovski (1875-1943) sont les grands maîtres de la génération du "Passage" (Ma‘abar), celle qui transférera le centre de la littérature hébraïque d’Europe orientale en Erets Israël (terre d’Israël), nom que porte la Palestine dans tous leurs écrits, jusqu’à l’indépendance de l’État d’Israël en 1948. Avec nombre d’écrivains de leur génération ils ont vécu cette émigration qui porte en hébreu le beau nom de ‘Aliya ("Montée").

    Bialik, surnommé "le poète national" par excellence, commencera par célébrer sa yešiva  (collège d’études talmudiques); dans Hamatmid  (Le Studieux ), il dépeint le jeune étudiant qu’il fut, penché sur ses gros in-folio, sachant résister à la nature qui le tente, qui l’appelle. Dans ‘Ir haharega  (La Ville du massacre ), il pleure ses frères torturés, assassinés. Le poète sioniste apparaît dans Mete midbar  (Les Morts du désert , que ressuscitent les pionniers), et l’hymne fameux Tehezaqna  (Que reprennent courage ...) est dédié au premier congrès sioniste. Les trésors de la littérature classique lui sont restés chers. Avec son ami Y. H. Ravnitsky, il publie le livre de la Haggadah , anthologie des textes allégoriques, de morale, de théologie, du Talmud et du Midrash. De même que Tchernichovski, il a traduit de nombreux classiques.

    Néanmoins, ces deux écrivains sont fort différents. Alors que Bialik puise son inspiration dans une identification permanente avec le peuple d’Israël, historique et contemporain, Tchernichovski apparaît, dans ses poèmes, moins spécifiquement juif: il chante la nature, la joie de vivre, l’homme juif, plus que le juif. Il n’est pas loin de penser que ce sont les "prophètes de mensonges" (’El nevi’e hašeqer ) qui avaient raison contre les prophètes bibliques! C’est "face à la statue d’Apollon" qu’il prie!

    1917 marque un tournant dans la littérature hébraïque: la révolution d’Octobre donne un coup de frein brutal à l’émigration des juifs de Russie, qui s’était considérablement accélérée depuis les pogroms de la fin du siècle, essentiellement vers les États-Unis ou vers la Palestine. L’autre événement, encore plus important, est la déclaration Balfour (2 nov.), qui reconnaît solennellement le droit des juifs à un "foyer national" en Palestine et promet l’aide du gouvernement anglais en vue de la réalisation de ce projet. Le rêve sioniste devient réalité, symbolisée par Tel-Aviv, ville bâtie sur des dunes en 1909 et qui compte, de nos jours, plus d’un million d’habitants! La littérature hébraïque se partage dorénavant entre trois foyers: l’Europe orientale (la Pologne compte alors trois millions de juifs), les États-Unis, la Palestine.

    Émergence d’un théâtre

    La Pologne, entre les deux guerres mondiales, aura donné à la littérature hébraïque un grand dramaturge, M. Shoham (1897-1937). Le théâtre n’a jamais été un genre très en vogue; cependant les pièces de Shoham, bien que puisant, elles aussi, leur inspiration dans la Bible, firent une profonde impression en raison de l’actualité des thèmes choisis et du talent de l’auteur. Sur virušalayim  (Tyr et Jérusalem ) oppose le prophète Élie (Jérusalem) à la reine Jézabel (Tyr); l’homme des idéaux, de la morale, de la spiritualité, opposé à la païenne, avide de plaisirs et dénuée de sens moral... Elohe barzel lo ta‘ase lakh  (1934, Tu ne feras pas de dieux de métal ) oppose Abraham l’Hébreu à Gog le sanguinaire.

    En 1918 est créée en U.R.S.S. la célèbre troupe Habimah, qui "montera" à son tour en Palestine en 1932. La troupe Hakameri voit le jour en 1945. Sa création constitue dans une certaine mesure une réaction contre sa prestigieuse sœur aînée dont elle rejette le caractère trop "culturel" ainsi que la langue littéraire et figée qui ne convient pas aux sabras (nés dans le pays). Hakameri veut intéresser le public par des sujets empruntés à la société israélienne en pleine formation. De nouveaux auteurs se révèleront qui écriront un théâtre vivant et actuel.

    Béréchite
    "En un commencement de..."

    Béréchite (La Genèse) 1, 1 - 6, 8

    La Torah commence par la lettre Béit du mot Béréchite, qui est la seconde lettre de l'alphabet hébraïque, et qui est aussi le chiffre 2 dans la langue hébraïque.
    Ainsi, tout le créé est basé sur le 2. Le Middracha Rabba l'explique: D.ieu a tout créé sous forme de couples".
    Un des lieux, à l'échelle de l'homme, où il peut travailler à ce que le monde ne soit pas le tohou vohou destructeur ni la dictature du "1" usurpateur, c'est le couple ou la relation.

    Par contre, Haqqaddoche baroukh Hou est Un; et Il nous place dans un monde qu'il base sur le 2. Dans ce monde, la perversion continue sera de nous prendre pour le Un ou d'élever au niveau du Un, qui est la place seulement de Hachém, toute autre valeur étant vérité partielle.

    Cette proposition du Créateur apparait dans le béit (2) du mot béréchite mis en gros caractère. Allez le vérifier.

    Que se joue-t-il dans le 2, dans le couple ? ou dans la relation humaine de base dès le début de la Tora ?
     

    L'effort constant de l'homme pour réduire l'amour

    Le psaume 62, 12 de David dit : 
    A'hate dibbér Eloqim, chétayim-zou chamâti ki ôz lé Eloqim.
    "Une fois a parlé Eloqim, deux fois cela je l'ai entendu, c'est que la force appartient à Eloqim". (Lire ce texte).

    Un commentaire de nos Sages précise : Eloqim a dit toutes les 10 paroles en une seule expression mais Israël, dans sa faiblesse humaine, n'a pas entendu vraiment de ses oreilles et n'en a saisi que les deux premières... Il est dit dans Chir haChirim : "il m'embrassera des baisers de sa bouche", mais ils ont réduit ce pluriel à deux, aux deux premières paroles, car ils ne pouvaient en supporter plus (miôut rabim chnaïm... léfi ché lo yékholou lisbol).

    Les Sages nous font remarquer là cette triple vérité constante du comportement humain : 

    1) nous réduisons toujours l'essentiel, 

    2) cet essentiel de la Torah est le don que fait Hachém,

    3) cet essentiel, c'est l'amour. 

    C'est un processus de restriction, de miôut, de blocage, de repli, de refoulement, de surdité volontaire ou spontanée. 
     

    L'effort constant de l'homme pour réduire le duo au 1
    Dans le même sens, nous voyons que la vie sociale est une lutte acharnée et violente pour réduire l'autre à soi-même, à notre pouvoir, à notre argent, à notre idéologie, à notre idéal, à nos besoins ; il en est ainsi dès le jeune âge dans la fratrie ou dans la relation enfant-parents ; il en est ainsi dans le couple : l'amour et le beau programme sont toujours mis à l'épreuve quotidienne de la non-écoute de l'autre justifiée par la fatigue, les soucis, les préoccupations, les tâches. On ramène le 2 au "1" qui est "moi". C'est une idolâtrie où nous sommes le centre de la Création. 

    Il faut souvent de cruels échecs et une analyse psychologique de ces échecs, pour prendre conscience de ce processus ; beaucoup ne parviennent pas à le modifier en eux-mêmes et sont à leur insu des tyrans domestiques ou des égoïstes qui définissent le bonheur de l'autre en fonction de leurs besoins. Il faut souvent un travail psychologique lent en présence d'un professionnel qui protège chacun pour améliorer lentement cette situation.
     

    Quel est le centre de la Tora ? Ahava
    Dans ce contexte, posons-nous la question :
    "quel est le centre et l'essentiel du message de la Torah ?" ;
    il y aura mille réponses (l'étude, la prière, la fidélité, la croyance, les mitsvotes, le peuple, la terre, etc) alors que l'essentiel est ahava, amour, ce mot constitué en hébreu de lettres qui sont tout un enseignement. 

    En effet, l'obligation de répéter chaque jour le chéma Yisraël nous montre bien que l'amour est le centre de la Torah.

    Dans ce Chémâ, le mot Un (é'had) est 13 en guématria comme ahava, et ce mot é'had y est entouré du mot ahava avant et après ce verset ; il y a donc là un enseignement sur la primauté absolue de l'amour dans le message de la Tora. Le Un divin est amour et, à notre niveau, toute unité doit être soumise au 2 de l'amour. Cela est clair, centré, précis, dévoilé, il n'est pas besoin de nombreux commentaires pour le comprendre. 

    C'est ce que disent là nos Sages quand il poursuivent directement en nous disant cette phrase : "il est dit dans Chir haChirim : il m'embrassera des baisers de sa bouche". 

    Et la fin du psaume 62 (verset 13) le confirme : "ou lékha adonoute 'hésséd, et à Toi Adonoute est la bonté".
     

    L'impossible effort
    La plénitude des 10 paroles divines reçues nous est difficilement accessible en une synthèse. Notre enjeu de l'unité se jouera particulièrement dans l'aventure du deux. 

    Ce deux est la structure de l'amour, le lieu où l'un a besoin de tout l'autre et réciproquement. Il est important que le Créateur ait fait la nature pour que nous voyions et entendions par deux yeux et par deux oreilles : en effet, notre contact avec la réalité est ainsi marqué ontologiquement par la réalité du deux, du complément, par la rencontre de l'autre ; moi, un être unique, je suis deux ou, plus exactement formulé, je suis à la fois un et deux, et la véritable nature de ce lien au réel n'est pas une structure mathématique ou formelle mais la relation d'amour. C'est pour cela qu'il est dit qu'il faut entendre avec les oreilles (qui sont deux et non une) et il faudrait se laisser entendre en chaque dire la dualité de ce qui envoyé. Dieu a créé l'homme en une unité double : masculin-féminin ; cela est structural, intangible.

    La vie en commun et l'étude sont une même dynamique qui nous apprennent à découvrir la dualité essentielle qui est la seule unité accessible à l'homme. Comme le dit le psaume, cela se fait d'abord par l'écoute. Un long apprentissage en est nécessaire.
     

    La durée de l'écoute
    Bien entendu, alors, dans la conscience limitée qui caractérise notre nature humaine, il n'est pas possible de formuler immédiatement tout ce que nous avons reçu et entendu de l'autre mais il importe de savoir recevoir, de laisser la vibration mise en mouvement faire entendre tous ses harmoniques. Il faut continuer à entendre dans le temps ce qui a été émis par l'autre en une seule émission de voix ; cela en toute audition, a fortiori envers celui ou celle qui nous concerne ou que l'on aime. 
    Il faut continuer à goûter ce qui a été dit et entendu, comme un bonbon qui révèle progressivement ses goûts différents et non pas l'engloutir rapidement dans la gorge en l'évacuant déjà ; il faut entendre la parole de l'autre comme un parfum qui, s'il est écouté, va développer progressivement une note de tête, puis une note de coeur, et enfin beaucoup plus tard une note de fond. 

    Et quand l'autre perçoit qu'il est ainsi écouté, il se sait aimé.

    L'écoute de cette multiplicité des sens et des niveaux inclus dans une seule émission par la parole d'autre ou par son attitude, est ce que j'ai appelé : "écouter le rêve" de l'autre. 
    L'être aimé se sait alors "nombreux", riche, et pas seulement aimé au premier degré du désir ou du confort ; il n'est pas "possédé" ni limité, enfermé, restreint, il existe et se développe par cette parole placée dans l'écoute et l'amour : et il faut toutes les images du Cantique des Cantiques pour ouvrir alors l'éventail de ce mot ahava qui est modèle-contenu-relation de Son propre être que Hachém essaie de dire à Sa créature : avec les rapprochements et les éloignements-silences. 

    Si cela se joue dans le duo Créateur-Israël selon l'interprétation stricte de Rachi dans le Cantique des Cantiques, et puisqu'Il a créé l'homme à Son image et à Sa ressemblance, combien cette dynamique se joue également entre les êtres dans toute relation et, spécialement, dans la relation de couple.
     

    Confirmation du message par le chiffre
    La Torah sait que des humains seront plus sensibles à la forme imagée du message, d'autres à la forme d'un récit historique, d'autres à la forme des lettres et d'autres à la forme des chiffres. C'est pourquoi elle transmet son message par toutes ces voies.
    Reprenons toute cette méditation par le chiffre.

    Ce message est si essentiel que, pour le mettre en valeur, les commentaires expliquent en ce sens le fait que toute la Torah commence par la lettre béit (2) et non pas par la lettre aleph (1).

    Le béit est la deuxième lettre de l'alphabet hébraïque et sa valeur de chiffre est 2 dans les calculs (car on n'utilise pas les "chiffres dits arabes qui sont en réalité hindous" pour compter en hébreu mais les lettres hébraïques) ; c'est cette règle de vérité du 2 qui est ainsi montrée comme étant toute la structure réelle de l'univers et des relations

    Au contraire, le 1 n'a de sens qu'au plan divin. Au niveau humain, l'usage du 1 est fallacieux, illusoire et mensonger; ce sont les idées sûres d'elles-mêmes et préconcues, les jugements simples et catégoriques, les théories mensongères, l'assurance de l'information, le pouvoir politique qui s'attribue le droit et le pouvoir sur autrui par tous les artifices pseudo-logiques. Seulement au niveau de Dieu, le 1 est juste. Quand l'homme le revendique pour soi, il est dans le chéqer, le mensonge. 

    Pour bien montrer que toute la Torah dit cela, les commentaires font remarquer que, dans le premier verset de la Torah, après cette ouverture sur le béit, 2, les lettres finales des trois premiers mots composent le mot vérité, éméte dont la guématria (1+4+4 en compte simple sans les zéros des dizaines) donne la somme de 9, tandis que le mot chéqér, mensonge, a pour guématria simple 6 (soit 3+1+2).

    Continuons cette démonstration
    Quand on base tout l'ordre des lettres hébraïques sur le 2, cette justification absolue de la vérité du multiple est encore mise en valeur :

    l'addition des lettres de tout l'alphabet par groupes de trois à partir de la lettre beit y forme alors toujours un total de 9 qui est le chiffre de la vérité, éméte (1+4+4 = 9). En effet, voici cette suite : 

    • béit guimél dalét (2+3+4 = 9)
    • hé vav zayine (5+6+7 = 18 soit 8+1 = 9)
    • 'hét tét youd (8+9+10 = 27 soit 2+7 = 9)
    • kaf laméd mém (2+3+4 = 9)
    • noun samékh âyine (5+6+7 = 18 soit 8+1 = 9)
    • pé tsadé qof (8+9+1 = 18 soit 8+1 = 9)
    • réiche chine tav (2+3+4 = 9)

    Par contre, si on commençait selon l'ordre alphabétique, à tout baser sur l'ordre du 1, à partir de la lettre aléf, l'addition des lettres par groupes de trois formerait toujours un total de 6 qui est le chiffre du mensonge, chéqér (3+1+2 = 6) : 

    • aléf béit guimél (1+2+3 = 6)
    • dalét hé vav (4+5+6 = 15 soit 1+5 = 6)
    • zayine 'hét tét (7+8+9 = 24 soit 2+4 = 6)
    • youd kaf laméd (1+2+3 = 6)
    • mém noun samékh (4+5+6 = 15 soit 1+5 = 6)
    • âyine pé tsadé (7+8+9 = 24 soit 2+4 = 6)
    • qof réiche chine (1+2+3 = 6).

    Cela n'est pas une preuve par le chiffre, mais l'hébreu a cette particularité de montrer et démontrer une logique complète entre le contenu du sens véhiculé par la Tora avec les formes mêmes de la langue, d'une part, et avec les structures de l'organisation du récit, d'autre part. Cela nous est transmis par la tradition en ses maîtres reconnus, uniquement. Et non pas par des logiciels informatiques qui peuvent toujours faire sortir n'importe quoi sur n'importe quel texte par la multiplication des tentatives les plus alléatoires.

    Il ne s'agit donc pas là de concordances facultatives ou de jeux, mais la lecture éclairée et transmise montre ces correspondances dont chacune complète le message global. La tradition transmet les correspondances de ces sens dans les différents langages du mot, du chiffre et du contenu. Il ne peut s'agir de constructions personnelles fantaisistes, ni par des codes obtenus par jonglages informatiques. Ceci est un enseignement de la tradition. Le commentaire du Tour est un exemple de cette approche.

    L'avoir fait ressortir ainsi, par cette justification du chiffre, correspond à l'importance du fondement de toute la Torah sur la structure du 2, de la lettre béit qui ouvre toute la Torah ; cela met bien en évidence le verset de ce psaume 62, 12 : 

    "Une fois a parlé Eloqim, deux fois cela je l'ai entendu, c'est que la force appartient à Eloqim".


     





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