• TRAITE DES MYSTERES


     

     
    PAR SAINT HILAIRE DE POITIERS

     

        Il y a bien des manières d’interpréter l'Écriture... tandis que nous avons l'intelligence de ces figures dans les faits. Mais il suffit à ces gens là d'avoir appliqué à l'interprétation de l'Écriture un semblant de vaine typologie alors que la comparaison doit recevoir son plein achèvement des événements postérieurs et un solide point de départ des événements présentement racontés. Toute l'oeuvre contenue dans les saints Livres annonce par des paroles, révèle par des faits, établit par des exemplaires l'avènement de notre Seigneur Jésus-Christ, qui, envoyé par son Père ; s'est fait homme en naissant d'une vierge par l'opération du saint Esprit. C’est lui, en effet, qui, pendant toute la durée du siècle présent, par des préfigures vraies et manifestes, engendre, lave, sanctifie, choisit, sépare ou rachète l'Église dans les Patriarches : par le sommeil d'Adam, par le déluge de Noé, par la bénédiction de Melchisédech, par la justification d'Abraham, par la naissance d'Isaac, par la servitude de Jacob. Pendant tout le déroulement du temps, en un mot, l'ensemble des prophéties, mise en oeuvre du plan secret de Dieu, nous a été donné par bienveillance pour la connaissance de son Incarnation à venir. Et puisque notre dessein a été de montrer, dans ce petit traité que dans chaque personnage, chaque époque, chaque fait, l'ensemble des prophéties, projette comme dans un miroir l'image de son avènement, de sa prédication, de sa Passion, de sa Résurrection et de notre société. dans l'Église, je ne rappellerai pas à la hâte quelques passages, mais je traiterai de tout, chaque chose en son temps, à commencer par Adam, point de départ de notre connaissance du genre humain, pour qu'on reconnaisse que nous trouvons annoncé dès l'origine du monde en un grand nombre de préfigures ce qui a reçu dans le Seigneur son total achèvement.

    ADAM

    Le nom d’Adam

    Adam, par son nom même, préfigure la naissance du Seigneur ; car lhébreu Adam, qui se traduit en grec par " Gè pyrra " , signifie en latin " Terre embrasée " et c'est une habitude de lÉcriture de donner le nom de terre à la chair du corps humain. Cette chair, née de la Vierge par lopération du saint Esprit dans la personne du Seigneur, changée en une forme nouvelle et étrangère à sa nature, a été rendue apte à partager la gloire de lesprit selon les paroles de lApôtre : " Le second homme est du ciel et est lAdam céleste ", parce que lAdam terrestre " est le type de Celui qui doit venir. "

    En toute sécurité, donc sous une si haute sanction nous tirons du nom même dAdam le sujet de quelque réflexion sur Celui qui doit venir.

    Adam et Eve préfigure du Christ et de lEglise

    Vient ensuite la création dÈve tirée du flanc et dun os dAdam endormi. A son réveil, voici la prophétie que nous trouvons :

    " Voici los de mes os et la chair de ma chair. On lappellera femme, parce quelle a été tirée de son mari, et ils seront deux en une seule chair. "

    Ici, pas de difficulté pour ma thèse ; lApôtre dit en effet, après avoir rappelé cette prophétie :

    " Cest un grand mystère, je veux dire pour ce qui est du Christ et de l'Église ".

    Mais nous lisons quun os seulement a été retiré, à Adam ; comment donc expliquer cette parole " chair de ma chair " ? On pourra expliquer ce fait en accord avec la réalité des événements présents : los en effet que Dieu qui peut tout, après lavoir tiré du flanc dAdam, a vêtu de chair pour en faire le corps de la femme, cet os tiré de la chair et vêtu à nouveau de chair est devenu un corps ; ainsi, on le voit, de même que los a été tiré de los, la chair a été tirée de la chair. Mais le Seigneur dans l'Évangile, lorsque les Juifs le tentèrent sur le droit de répudiation, montre par ces paroles que cette prophétie a été dite par Lui plutôt que par Adam : " Navez-vous pas lu que Celui qui fit lhomme au commencement les fit homme et femme et dit : à cause de cela lhomme quittera son père et sa mère et ils seront deux en une seule chair. " Ceci vient en effet après cette parole "chair de ma chair ". La prophétie est donc une suite de la réalité accomplie en Adam. Lorsque le Seigneur, qui fit lhomme et la femme, a parlé d " os de ses os " et de " chair de sa chair ", il a annoncé lui-même par Adam ce qui avait été accompli tout entier en Adam lui-même. Il na pas enlevé aux faits leur titre de crédibilité et Il a montré que ce qui saccomplissait dans un autre était une préfigure dont il était la source. Puisque le Verbe en effet sest fait chair et que l'Église est membre du Christ, elle qui, du flanc de celui-ci a été engendrée par leau et vivifiée par le Sang, puisque, par ailleurs, la chair dans laquelle est né le Verbe subsistant avant tous les siècles, en tant que Fils de Dieu, subsiste parmi nous sacramentellement, Il nous a enseigné clairement quAdam et Ève étaient le type de sa personne et de son Église, car Il nous fait connaître par la communion de sa Chair que cette Église a été sanctifiée après le sommeil de sa mort. Il nous dit aussi par lApôtre "quAdam ne pécha pas, mais que la femme par son péché appartint à la transgression. Mais elle sera sauvée à cause de la procréation de ses fils, pourvu qu'ils demeurent dans la Foi. " LÉglise est donc composée de publicains, de pécheurs et de gentils ; alors que seul son second et céleste Adam ne pèche pas, elle, pécheresse, sera sauvée en procréant des fils qui demeurent dans la Foi. Dailleurs, il ne convient pas de comprendre que la femme ne soit pas rachetée de son péché par le Seigneur, et quelle sera baptisée en vain, si c'est plutôt par le mérite de lenfantement quelle doit être libérée ; aussi bien nest-ce pas même par la génération de ses fils, quelle sera en sécurité, puisquelle ne sera pas sauvée si ceux quelle a engendrés ne gardent pas la Foi. Et je ne sache pas qu'il soit juste dêtre coupable ou innocent par le péché ou le mérite dun autre.

    Mais, comparant en toute sécurité, les choses spirituelles aux choses spirituelles, nous comprendrons ainsi tout à fait que lApôtre nous dise qu'il rapporte désormais au Christ et à l'Église l'histoire du grand mystère accompli en Adam et Ève. Ces choses, à vrai dire, nous devons bien voir qu'Il les a dites dans un sens spirituel, mais ce n'est pas une raison pour ne pas appliquer aussi ses paroles à lenseignement présent et à la formation de ceux qu'il avertissait. De fait, lui qui, dans la première épître aux Corinthiens, annonçait la multiplicité des ressources de la miséricorde divine dans la sanctification des infidèles par le mariage avec des fidèles, il nous a enseigné ici aussi que la générosité divine concéderait une sanctification du même ordre par la procréation des fils, pourvu qu'ils soient croyants, pour que, de même que la société dun seul fidèle était utile à lépoux infidèle par le mariage, de même la procréation denfants fidèles fût un secours pour des parents infidèles.

    La création dEve type de la résurrection de la chair

    Il faut considérer aussi dans le sommeil dAdam et la création dÈve la révélation figurée du mystère caché qui avait pour objet le Christ et l'Église ; cette révélation nous offre en effet des motifs de croire à la résurrection des corps en même temps que sa figure. De fait, dans la création de la femme, ce n'est plus du limon qui est pris, la terre n'est plus modelée pour prendre la forme dun corps, le souffle de Dieu ne transforme plus la matière inanimée en une âme vivante ; mais la chair croît sur los, la perfection du corps est donnée à la chair et la force de lesprit sajoute à la perfection du corps. Cette ordonnance de la résurrection, Dieu la annoncée par Ézéchiel, enseignant à propos des réalités à venir ce que peut sa puissance. Tout en effet y concourt : la chair est là, lesprit vole, aucune de ses oeuvres n'est perdue pour Dieu qui, pour lanimation du corps humain qui est son oeuvre a trouvé présentes ces choses qui nétaient pas. Or, daprès lApôtres c'est un " dessein caché en Dieu depuis lorigine des siècles" que " les Gentils soient cohéritiers et membres du même corps et participants de sa promesse dans le Christ ", " qui a la puissance, daprès le même Apôtre, de réformer le corps de notre humilité à la ressemblance du corps de sa gloire ". Ainsi donc, après le sommeil de sa Passion, lAdam céleste, au réveil de sa Résurrection, reconnaît dans l'Église son os, sa chair non plus créés du limon et prenant vie sous le souffle, mais croissant sur los et, de corps fait corps, atteignant sa perfection sous le vol de lesprit. Ceux en effet qui sont dans le Christ ressusciteront selon le Christ en qui dès maintenant est consommée la résurrection de toute la chair, parce que Lui-même naît en notre chair avec la puissance de Dieu en laquelle son Père la engendré avant les siècles. Et puisque le Juif et le Grec, le barbare et le Scythe, lesclave et lhomme libre, lhomme et la femme, tous sont une seule chose dans le Christ, étant donné que la chair est reconnue comme issue de la chair, que l'Église est le Corps du Christ et que le Mystère qui est en Adam et Ève est une prophétie concernant le Christ et l'Église, tout ce qui a été préparé par le Christ à l'Église pour la consommation des temps a déjà été accompli en Adam et Ève au commencement du siècle présent.

    CAÏN ET ABEL

    Première interprétation spirituelle

    Lhistoire de Caïn et Abel vient après la première préfigure du Christ et de lEglise. Leurs personnes préfigurent la diversité de deux peuples et par leurs noms et leurs activités mêmes ils offrent le type des moeurs et des désirs de l'un et de lautre. Caïn, en effet, cultivait la terre et Abel paissait les brebis. Chacun fit à Dieu une offrande tirée des fruits de son labeur ; mais Dieu regarde les offrandes d'Abel sans porter ses regards sur celles de Caïn. Or, le jour et le lieu du sacrifice ne sont pas différents pour l'un et lautre, et pour Dieu qui voit tout, comment une chose peut elle être sous son regard, une autre hors de son regard ? Mais par cette figure, il nous est enseigné que le regard de Dieu est la marque des objets qu'il a agréés et que, bien que toutes choses Lui soient soumises, son regard ne va quà celles qui en sont dignes. Rien navait été dit précédemment des moeurs de Caïn qui pût rendre son sacrifice désagréable à Dieu. Mais dans les événements qui suivirent, se découvre la prescience de Dieu qui ne reçoit pas le sacrifice de celui qui devait marcher contre son frère. En effet, c'est la science que Dieu a du futur qui confère aux faits leur crédit ; celui qui devait tuer n'est pas digne du regard de Dieu comme s'il avait déjà tué. Or, la culture de la terre porte le signe des oeuvres de la chair et tout fruit de la chair consiste en vices qui, dans lhorreur quen a Dieu, écartent deux son regard. Il n'y a pas de regard pour le sacrifice qui est tiré des oeuvres de la terre, et seules parmi les graisses sont agréées les prémices des brebis, entendons que le sacrifice du fruit intérieur et de notre moi lui-même est agréable, toutes choses qui, parmi les prémices des brebis, attirent sur elles par leur agrément le regard de la volonté divine. Puisque en effet " les prémices c'est le Christ ", " premier-né des créatures, premier-né dentre les morts ", prince des prêtres, " afin qu'il occupe en tout la première place ", brebis Lui-même et selon sa naissance corporelle une parmi les brebis, le sacrifice d'Abel est déjà agréable sous la figure de l'Église qui par la suite devait offrir, tiré des prémices des brebis, le sacrifice du saint Corps. Celui dont le sacrifice na pas été reçu en veut à celui dont le sacrifice a été reçu, et, contrairement au décret de Dieu qui l'avertissait de s'apaiser le réprouvé tue l'approuvé. Convaincu, l'interrogation divine le pousse à avouer pour se repentir ; mais, aggravant son crime, il nie ; désespérant de la résurrection, il pense qu'il sera anéanti par la mort, mais gémissant et tremblant, il est réservé au jugement d'une septuple vengeance et est maudit par toute la terre qui recueille le sang de son frère. Or, le nom de Caïn signifie " éclat de rire " ; celui d'Abel " larmes ".

    Le crime de Caïn préfigure de la Passion

    Est-ce que ces faits passés ne sont pas accomplis dans les peuples ? L'oblation du plus jeune a été agréée, le peuple juif en veut au peuple chrétien ; vainement averti par les prophètes, il brûle de le massacrer. Il ne cherche même pas à obtenir le pardon par l'aveu qui mène au repentir, mais, impudent, il nie le crime commis contre Dieu. Sans espoir de relever sa gloire et tombé, après la prise de Jérusalem, au pouvoir de ses vainqueurs, gémissant et tremblant il est réservé, au jugement de la vengeance, séparé d'avec les saints par la signification même des noms puisque le Seigneur dit : " Malheur à ceux qui rient car ils pleureront ! " Et encore " Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés " Et pour enseigner que tout s'accordait à la préfigure de l'un et l'autre peuple, le Seigneur a dit : " Voici que je vous envoie des prophètes, des sages et des scribes : vous tuerez les uns dans vos synagogues, vous persécuterez les autres de cité en cité, si bien que viendra sur vous tout le sang juste qui a été répandu sur la terre depuis le sang d'Abel le juste jusquau sang de Zacharie fils de Barrachiel que vous avez tué entre le temple et lautel."... Le sang d'Abel ainsi est réclamé, à celui qui, d'après ce qui avait été préfiguré en Caïn, a persécuté les justes et a été maudit par la terre qui, ouvrant sa bouche, a recueilli le sang de son frère. Dans le corps du Christ, en effet, en qui sont les Apôtres et l'Église, c'est le sang de tous les justes que leur race et leur postérité tout entière a pris sur elle selon leurs propres cris : " Que son sang soit sur nous et sur nos fils "

    La vocation des Gentils

    Ainsi, les faits ont vérifié, par leur accomplissement ce qui avait été préfiguré dans l'histoire de Caïn, et ceux sur lesquels a été poursuivie la vengeance du même crime ne peuvent être séparés de lexemplaire que nous offre cette préfigure. Or, dans cette parole : " Nest-il pas vrai que si tu offres droitement, mais que tu ne divises pas droitement, tu as péché ? ", outre la réalité présente, le type du futur est contenu ; ne plaisent en effet à Dieu que la communion, le partage et lamitié. Ainsi donc, bien que le peuple qui attend par la Loi les promesses de Dieu, offre droitement ses sacrifices à Dieu en observant les préceptes, cependant, s'il ne met pas en commun avec lensemble des nations cette Loi même de Dieu, qui est " lombre des choses à venir ", il a péché. Ne divisant pas droitement, il est convaincu de crime. Caïn de fait en jalousant son frère navait pas eu part à la grâce du sacrifice regardé, par Dieu et, parce qu'il ne divisait pas droitement, il fut constitué pécheur. En accord avec cet exemplaire, si ceux qui sont sous la Loi ne partagent pas les sacrifices agréables à Dieu des fidèles venus des nations, même sils observent droitement la Loi, ils sont coupables.
     

    LAMECH

    La prophétie de Lamech

    Lhistoire de Lamech n'est pas non plus étrangère au type du futur. On rapporte qu'il fut le mari de deux femmes aux noms desquelles est ajouté celui d'une troisième femme, libre pourtant envers lui du lien conjugal; il est écrit que ce même Lamech prononça ces paroles : " Lamech dit à ses femmes Ada et Sella : " Écoutez ma voix, femmes de Lamech, faites attention à mes paroles, car jai tué un homme pour ma blessure et un jeune homme pour ma meurtrissure, car on tirera sept fois vengeance de Caïn, mais de Lamech septante fois sept fois. " Et quel est cet homme plus juste que le juste Abel dont la mort doit être vengée par un châtiment tellement plus grand ? On ne nous dit pas le nom de celui qui fut tué, la blessure est rapportée non à celui qui fut tué mais à son assassin et nous apprenons que la meurtrissure appartient au meurtrier, non à la victime. Le meurtre du jeune homme est annoncé aux femmes ; bien que les noms de trois femmes soient indiqués, la parole n'est adressée quà deux. Limpie prophétise et accumule pour le meurtre qu'il a commis une vengeance qui dépasse le châtiment de Caïn.

    Interprétation spirituelle

    Ces choses ne doivent pas être écoutées en passant mais il faut y chercher la figure du futur. Lamech porte le type du prince des prêtres qui, avec laccord des Juifs et des Gentils, cloue le Seigneur à la Croix ; en effet, de la maison du prince des prêtres, le Seigneur fut conduit chez Hérode sans que la foule des croyants ait part à ce crime, et ainsi le prince des prêtres se glorifie du meurtre du jeune homme pour ainsi dire devant deux compagnes et deux épouses. Et parce qu'il n'y avait aucun motif de châtier ce dernier, le prince des prêtres reçut sur lui les blessures et la meurtrissure de linjustice et du crime. Il parla même sous linspiration prophétique ; alors, en effet, il prophétisa sans le savoir comme il est écrit dans lEvangile : "Lun dentre eux, appelé Caïphe, comme il était grand prêtre de cette année-là, leur dit : vous ne savez pas et vous ne comprenez pas qu'il nous est utile quun seul homme meure pour le peuple et que la nation tout entière ne périsse pas. Il ne dit pas cela de lui-même, mais comme il était grand prêtre de cette année-là, il prophétisa." Il y a donc complet accord entre les personnes, les faits, le résultat, et la réalité des événements historiques renferme en elle le type du futur. Le nombre du châtiment porté contre Caïn et Lamech n'est pas écrit non plus sans quelque sens figuré. Alors en effet que selon les prophètes une septuple peine était en vigueur contre les injustes, Pierre, sur qui le Seigneur édifiait son Église comme sur un fondement vivant, demande s'il doit selon la Loi pardonner sept fois à celui qui pèche contre lui ; le Seigneur lui répondit de pardonner septante fois sept fois, enseignant par cette figure que même la peine de sa Passion devait être remise à ceux qui croiraient, puisque dans la même mesure où le châtiment de ce crime était multiplié, dans la même mesure à son tour le pardon abonderait.

    SETH

    Puis c'est la naissance de Seth et en lui une nouvelle postérité se lève à la place d'Abel qui avait été tué, selon ce que dit Ève : " Dieu a fait lever pour moi une autre postérité à la place d'Abel que Caïn a tué. " Or le nom de Seth signifie " fondement de la Foi ". Et puisque Abel est le juste et que Seth a été engendré à la place du juste, on comprend que la génération des saints, toujours réservée par Dieu et renouvelée dâge en âge, c'est l'Église qui est destinée à soutenir la Foi par les fondements solides quelle a en Pierre.

    NOÉ

    Prophétie sur la naissance de Noé.

    Quant à l'histoire de Noé, on ne peut nier quelle ne soit pleine des manifestations de la puissance de Dieu et des exemplaires des réalités à venir. Quel que soit en effet le degré de faiblesse de lintelligence ou de répugnance de la volonté à embrasser la vérité, il y a ici des paroles et des faits capables de contraindre même ceux qui se refusent à reconnaître la vérité. Et, pour faire saisir en chaque événement sa valeur prophétique, il faut brièvement mettre en lumière les termes de comparaison. Noé, en effet, préfigure lhomme que le Seigneur assuma du sein d'une Vierge, et pour bien le reconnaître daprès les paroles de lEcriture elle-même, il faut savoir en quels termes Lamech son père prophétisa à son sujet : " Et Lamech engendra un fils et lappela Noé, disant : Celui-ci nous fera reposer de nos travaux et de la peine de nos mains et de la terre que le Seigneur Dieu a maudite. " Mais, à mon avis, cette prophétie ne peut sappliquer pleinement au Noé dont on parle. Quel repos en effet apporta-il au genre humain et de quels travaux marqua-t-il la fin ? Bien plus, c'est de son vivant que lensemble du genre humain est détruit et que le déluge se déverse ; la terre est rendue à ses regards, mais le reste de sa vie sécoule au milieu de prodiges plus terribles encore ; et où voyons-nous Noé donner le repos ? Mais c'est à celui qui devait assurer le repos que le pouvoir de le donner est ici attribué. Il ne convient pas dailleurs à la nature de lhomme, et nous ne trouvons nulle part écrit, ni la réalité historique ne nous découvre que Noé ait rien fait de tout cela, mais lÉcriture tout simplement nous a fait connaître la plupart des faits propres à la vie de Noé : son agrément auprès de Dieu, sa justice, l'ordre de construire larche, son entrée dans larche, lenvoi du corbeau, le retour et le deuxième envoi de la colombe, sa sortie de larche, la plantation de la vigne, livresse qu'il tire de ses fruits et sa nudité, la dérision de Cham, la conduite de Sem et de Japhet qui le couvrent, la malédiction portée contre lun, lordonnance et le genre de la bénédiction donnée aux deux autres. Ces faits doivent être compris tels qu'ils ont été accomplis par lui.

    La préfigure du Christ.

    Mais ces événements contiennent une grande figure du Noé à venir et nous allons examiner chaque chose à sa place, dautant plus qu'il faut comparer entre eux événements et personnes. Nous comparerons à Noé Notre Seigneur, qui " de Verbe sest fait chair ", et qui a dit dans l'Évangile : " Venez à moi vous tous qui êtes fatigués et qui êtes accablés et je vous soulagerai. Prenez mon joug sur vous et faites-vous mes disciples, parce que je suis doux et humble de coeur, vous trouverez le repos pour vos âmes. Mon joug, en effet, est doux et mon fardeau léger." Cest donc Lui qui fait reposer et c'est Lui qui procure le repos aux âmes ; à cause du jugement tout proche, Il abrite dans larche de sa doctrine et de son Église ses fils, ceux qui le sont par la naissance et ceux qui le sont par le nom ; Il leur donne lEsprit-Saint, Il meurt, on se moque de Lui, Il ressuscite, et Il institue pour le genre humain le châtiment et la sanctification des actes justes ou pervers. Et dans les ordres que Noé reçoit dentrer dans larche ou den sortir, il faut considérer la figure de la sanctification de l'Église. Il est écrit, en effet : " Tu entreras dans larche toi et tes fils et ta femme et les femmes de tes fils. " Et la seconde fois : " Le Seigneur Dieu dit à Noé : Sors de larche toi et ta femme et tes fils et les femmes de tes fils. " A lentrée dans larche, chaque sexe est groupé à part, les hommes avec les hommes, les femmes avec les femmes ; c'est évidemment le signe que ceux qui veulent entrer dans l'Église doivent pratiquer la continence, chacun devant recevoir par la suite la faculté de se marier...

    Deuxième et troisième mission de la colombe.

    Ce que préfigure le second envoi est bien clair. La colombe revient portant un rameau dOlivier couvert de feuilles ; il ne faut plus la prendre avec la main, elle revient en volant. Cela fut accompli lorsque les soixante-dix disciples envoyés en mission pour prêcher l'Évangile, après avoir reçu le saint Esprit, reviennent en portant la gloire de sêtre soumis les esprits impurs, - car le saint Esprit rapportait les fruits de la miséricorde divine, dont lolivier est la figure - et lorsque labandon postérieur du Seigneur par les disciples lempêcha de trouver dès ce moment un lieu de repos. La colombe revint à Noé avec des fruits pour figurer dans ce second retour les fruits rapportés par lEsprit Saint dans la soumission des démons et limpossibilité où le mettait labandon du Seigneur par les disciples de trouver dès lors un lieu de repos. Le troisième envoi préfigure son habitation chez le croyant, car une fois envoyé, le saint Esprit demeure éternellement dans lâme des fidèles.

    Livresse de Noé type de la Passion du Christ.

    Livresse que tira Noé du fruit de la vigne qu'il avait plantée est le type de la Passion. "Le Seigneur, en effet, a apporté la vigne dÉgypte et la plantée. " Et encore : " La vigne du Seigneur des armées, c'est la maison dIsraël. " Car sa Passion fut causée par les oeuvres de son peuple qu'Il avait transporté et planté. Si par hasard quelquun juge que livresse de Noé na pas de rapport avec le type de la mort du Seigneur, il sera convaincu par les événements qui viendront puisque dans l'Évangile le calice bu par le Seigneur montre quelle mort Il devait souffrir. Or, sur les trois fils, l'un se moque de la nudité de son père, les deux autres la couvrent; mais bien que tous deux laient couverte dun même accord, après la malédiction du troisième, une bénédiction différente leur est accordée en récompense d'une même oeuvre. Ces trois fils représentent lensemble du genre humain : ceux qui vivent sous la Loi, ceux qui sont justifiés par la Grâce, et les païens.

    Parmi eux, les païens se moquent de la mort du Seigneur et du corps nu de Dieu ; tandis que les deux autres qui couvrent cette nudité figurent la Loi et la Grâce.

    Le séjour de Japhet dans les demeures de Sem est la figure des nations qui ont été introduites à la Foi ; Sem tient le rôle du peuple dIsraël...
     

    ABRAHAM

    Sarra est le type de l'Église, Agar de la synagogue or, il montre que la descendance appelée en Isaac est le Christ ; en lui aussi nous est offerte une préfigure de la Passion, lorsqu'il est appelé par son père au sacrifice, lorsqu'il porte le bois du sacrifice, lorsquun bélier se présente pour la consommation du sacrifice

    Les noms d'Abraham et de Sarra.

    La lettre ajoutée au nom d'Abram représente le chiffre un (entendons la lettre A), celle ajoutée au nom de Sara le chiffre cent (cest-à-dire le R). Et le Sauveur, " laissant les quatre vingt dix-neuf autres brebis dans les montagnes, sen alla chercher celle qui sétait égarée". Ainsi donc, le chiffre un est ajouté dans la lettre au nom d'Abram. Il n'y a en effet quun seul Seigneur, Jésus Christ, né de la Vierge, et par Lui seul tous les péchés des croyants sont effacés. Ainsi, Il préfigure en Abraham ce qu'Il devait Lui-même accomplir : celui-ci, par laddition du chiffre un, est proclamé père des nations ; Lui, en assumant lunité, est fait père et Rédempteur des nations parce qu'Il a rendu la centième brebis à Sarra, cest-à-dire à l'Église, prémices de la Jérusalem céleste.
     

    ISAAC

    Rébecca figure de l'Église.

    Rébecca a une double figure, celle du mariage et celle de lenfantement, et dans celle du mariage,elle porte le type de l'Église ; elle donne à boire aux chameaux, cest-à-dire aux nations soumises au Christ ; par ses boucles doreilles elle enseigne laudition de la Foi ; dans les bracelets de ses bras, elle montre la parure des bonnes oeuvres ; interrogée sur son mariage, elle répond à la manière de ceux qui doivent être unis au Christ pour arriver à la vision ; elle sort de la maison de son père pour montrer que, si on ne renonce pas à ses vices et à ses concupiscences, on ne pourra être esclave du Christ. De deux nations elle fait le signe de deux peuples.
     

    JACOB

    Le droit daînesse dÉsaü préfigure de lélection dIsraël.

    (pour Ésaü, il est facile de comprendre) le sens propre de son nom, puisque lÉcriture elle-même linterprète. "Ésaü dit à Jacob : Fais-moi goûter de cette nourriture que tu prépare, car je défaille. A cause de cela on lappela Edom." Après cela, il vendit son droit daînesse pour de la nourriture, disant : " Voici que je meurs, et à quoi me sert mon droit d'aînesse ? " Chez les anciens, le droit d'aînesse comportait cette dignité que l'aîné obtînt l'héritage de la maison de son père, tandis que ses frères plus jeunes lui étaient soumis. Ainsi donc, puisque, pour ceux qui vivent dans un corps, la dignité du droit daînesse que, sous la préfigure du peuple infidèle, Ésaü vendait à cause des désirs de sa chair, sapplique à cette vie, ce n'est pas des honneurs immédiats du droit d'aînesse qu'il désespère lorsqu'il dit : " Voici que je meurs, et à quoi me sert mon droit d'aînesse?", car avant sa mort ce droit daînesse, qui est des hommes, lui restait acquis ; mais il désespère parce que, aîné lui-même par la loi, il portait en lui le type dun peuple. Ce peuple, en effet, avait été élu le premier pour l'héritage de Dieu, mais il déchut de l'espoir de la résurrection et de la Gloire de Dieu, en proie aux désirs du corps, il proclama qu'il désespérait de l'honneur quen qualité daîné il lui convenait despérer après la mort.

    Bénédiction de Jacob.

    Esaü désespérant de son droit daînesse, le reste des événements est conforme à la réalité historique et à la puissance de la préfigure. Isaac avait la vue faible ; il avertit Ésaü selon la coutume de lui préparer un plat des produits de sa chasse et de venir recevoir sa bénédiction avant sa mort. Rébecca layant appris exhorte Jacob à préparer promptement à son père un plat avec deux chevreaux et à revêtir la robe dÉsaü ; parce quelles sont lisses, elle donne à ses mains et sa nuque en y liant la peau des chevreaux une apparence trompeuse. Par ce stratagème, il prévint la bénédiction qui avait été préparée à Ésaü. Voici les termes de la bénédiction : " Lodeur de mon fils est comme l'odeur dun champ fertile que le Seigneur a béni. Que le Seigneur te donne de la rosée du ciel et de la fécondité de la terre labondance du blé et du vin ! que les nations soient tes esclaves ! Les princes tadoreront et tu régneras sur ton frère et les fils de ton père tadoreront ; celui qui te maudira sera maudit, et celui qui te bénira sera béni. "

    Sens spirituel.

    Lévénement comporte ses effets présents pour Ésaü et pour Jacob, mais la préfigure spirituelle garde sa place. Poussé par les désirs du corps, laîné avait vendu son droit daînesse, car il désespérait des honneurs de son droit daînesse futur, à cause de sa cupidité des biens présents, tandis que le cadet lacheta au prix dun renoncement aux biens présents. Les événements spirituels de l'ordre futur ne succèdent-ils pas à ceux qui se sont passés corporellement ? Les infidèles pensent que le bien suprême réside dans le plaisir et le premier peuple perdit l'honneur de la résurrection par leffet des désirs de la chair ; les croyants, au contraire, renoncent aux joies présentes, et placent toute leur espérance dans les joies de la vie future ; en pratiquant à cause de cette espérance la continence du coeur et du corps, ils préviennent les biens destinés à laîné. Jacob, en effet, revêt la robe dÉsaü qui, selon lexégèse ordinaire, représente le vêtement de limmortalité même dans l'Évangile, où le frère cadet, lui qui a dilapidé le patrimoine paternel qu'on lui avait donné, a reçu la robe de laîné. Et parce qu'il devait passer du péché à léclat de linnocence, Jacob se revêt de la peau des chevreaux, voulant imiter réellement lextérieur de son frère. Mais parce que, de pécheur qu'il était, il devait recevoir la dignité de la bénédiction dont il semparait, il prend la figure du pécheur sous la peau de bêtes mortes.

    La préfigure du peuple chrétien.

    La manière dont est donnée la bénédiction et la force des termes montrent qu'il n'y a rien à comprendre ici daprès les événements présentement racontés. La bénédiction promet en effet à Jacob que de la rosée du ciel et de la fécondité de la terre lui viendront en abondance le vin et le blé. Mais au contraire, il souffrit de la faim et acheta du blé en Égypte. Les nations lui sont soumises en esclavage : c'est lui, bien plutôt, qui avec toute sa maison se livra au pouvoir de Pharaon. Il est dit que les princes doivent ladorer mais sous la domination de Laban, il subit un long esclavage. Il reçoit la domination sur son frère ; pourquoi donc rendit-il à son frère les honneurs dus à un maître ? Puisque lÉcriture ne peut risquer de mentir, bien que ces paroles aient été adressées à Jacob, leur signification et leur accomplissement concernent pourtant le peuple qu'il préfigurait. Toutes ces choses, en effet, conformément aux promesses des prophètes et de l'Évangile, sont réservées aux fidèles, je veux dire à ceux qui jugeront le monde et les anges et qui sont destinés au partage du Royaume céleste.

    Enfin, le début même de la bénédiction ne concerne pas les événements présents, mais ceux qui seront accomplis dans le futur. Il dit en effet : " Voici que l'odeur de mon fils est comme l'odeur dun champ fertile que Dieu a béni." Lodeur, c'est la prescience de lesprit, le champ fertile, la maturité des fruits. Or le champ, comme lenseigne l'Évangile, désigne le monde ; il faut donc penser que nous avons là la figure dun monde béni, non assurément de celui qui sera détruit et nexistera plus, mais de celui qui est éternel et fertile en fruits parfaits. Or, puisque l'odeur de Jacob est la même que celle dun champ fertile et que, dautre part, dans l'ordre naturel l'odeur représente la prescience de lesprit, puisquon reconnaît à l'odeur la nature de chaque chose, Isaac signifie qu'il a reconnu à l'odeur, cest-à-dire qu'il a su d'avance en esprit, que cette bénédiction sadressait dans lavenir au peuple cadet et au monde éternel, ce monde et ceux qui en jouiront étant également éternels.

    La bénédiction dÉsaü.

    Pour que nous apercevions labondante miséricorde de Dieu dans la préfigure des événements futurs sous les événements présents, tout a été raconté et écrit avec tant de soin quun seul et même enchaînement historique convient aux événements présents et à lespérance de ceux à venir. Sur le point, en effet, de bénir Jacob à la place dÉsaü, Isaac sinquiète dêtre la dupe de quelque erreur ; car Jacob disait que cétait lui Ésaü. Comme Isaac était aveugle, il disait : " Approche-toi de moi, mon fils, et je te toucherai pour voir si tu es bien mon fils Ésaü ou non. " Bien que celui-ci ait revêtu la robe dÉsaü et qu'il ait pris faussement lapparence de ce dernier en se couvrant des peaux, son père aveugle le toucha pourtant avec méfiance. Il dit en effet après lavoir touché : "La voix est la voix de Jacob, mais les mains sont les mains dÉsaü. " Cet incident nous apprend que le coeur d'Isaac allait à Ésaü. Lorsquun peu plus tard ce dernier revient des champs et de la chasse et qu'il se présente à son père en qualité daîné pour recevoir sa bénédiction, Isaac ne manifeste aucune émotion, même en découvrant que sa bénédiction a été prévenue ; il confirme au contraire la bénédiction qu'il a donné à Jacob en disant : " Si jen ai fait ton maître et que jaie fait de ses frères ses esclaves, si je lui ai promis labondance du blé et du vin, que faire pour toi, mon fils ? " Bien plus, comme Ésaü, avec des gémissements et des larmes, le suppliait de le bénir, il lui dit : " Voici, tu ne jouiras pas de la fécondité de la terre et de la rosée du ciel, tu vivras des fruits de ton épée et tu seras lesclave de ton frère. Mais un temps viendra où tu enlèveras son joug de ton cou. "

    Doù vient donc cette conversion de sa volonté ? Et pourquoi laffection de cet homme se dément-elle, sinon parce que le langage de lÉcriture est accordé à la fois à laccomplissement des événements présents et à lattente de lespérance ? La méfiance envers celui qui lui demandait sa bénédiction tenait à laffection du père, le refus de changer la bénédiction à la connaissance de lesprit. Là il accomplit une oeuvre naturelle, ici il observa lordonnance de la préfigure ; là le père est préoccupé de la sanctification de son fils aîné, ici, poussé par lesprit prophétique il confirme la bénédiction du peuple cadet :

    lhistoire raconte lévénement présent et son ordonnance laisse place à lespérance préfigurée. Mais la démarche prophétique ne sen tint pas là chez lui ; le peuple pécheur et aîné pouvait espérer sa part de la bénédiction du peuple cadet, s'il accédait à la Foi. La porte du salut est ouverte à tous, et ce ne sont pas ses propres difficultés, qui assurément nexistent pas, qui rendent pénible le chemin de la vie, mais lusage de notre volonté. Car le retard à obtenir les effets de la miséricorde divine tient à la volonté humaine, ce que nous font comprendre les paroles adressées ici à Ésaü. Celui-ci, en effet, avait demandé à être béni. Mais son père, poussé par lesprit, labandonna au monde, lui concéda le droit duser de lépée et lattacha au service de son frère. Toutefois, pour que leffet de ces décisions ne fût pas éternel et nexclût pas tout repentir, il reporta leffet de la bénédiction qu'il demandait au temps où il aurait enlevé de son cou le joug de son frère qui devait dominer sur lui. Il est laissé maître de déposer ce joug, car chacun dispose librement de sa propre volonté dans laccès à la Foi : il sera digne de la bénédiction lorsqu'il aura passé de la servitude de limpiété à la liberté de la Foi
     

    MOISE

    Limitation.

    Lhistoire de Moïse observa lordonnance de la préfigure commencée depuis Adam. Cest une chose digne de la miséricorde de Dieu que l'histoire de tous ses patriarches ait imité en quelque mesure la perfection de ce qui devait saccomplir en Notre Seigneur. Car ce qui sest accompli par Lui seul et en Lui seul, les types, les époques et les générations en offrent une première ébauche. Et en effet si l'imitation de tant de siècles na pu égaler la vérité qui est en Lui seul, cependant tout a été accompli en eux ou par eux de telle manière que ce qui, par la suite, sest accompli par Lui et en Lui devait pour ainsi dire expliquer l'imitation quen offraient les événements présentement racontés.

    Naissance et sauvetage de Moïse.

    Moïse, né en un temps où Pharaon avait ordonné de tuer tous les nouveaux nés du sexe masculin, flottant sur les eaux grâce à un berceau de bois, est réservé comme chef pour le peuple. Est-ce que, au temps où Notre Seigneur naquit selon lhumanité, cette haine et cette crainte du roi néclatèrent pas de la même manière contre lhomme, identique à nous, que, par le mystère du bois et de leau Il assuma en Lui et pour Lui, qui était réservé à la gloire céleste et constitué roi des nations ? En se baignant dans le fleuve, la fille de Pharaon recueillit Moïse. Comme la soeur de lenfant se trouvait là, elle alla chercher une nourrice chez les Hébreux. Ce fut sa mère quelle présenta : elle se chargea de le nourrir et le rendit à la fille de Pharaon qui ladopta pour fils.

    Moïse préfigure du Christ dans son enfance et son adolescence.

    Rapprochez les personnes, comparez les événements, considérez les faits : vous retrouverez la vérité des événements à venir dans l'imitation quen présentent ceux dont nous parlons.

    Sous la figure de la soeur de Moïse, en effet, la Loi a suivi le Christ jusquaux signes sacrés du bois et de leau. La fille de Pharaon est la figure des nations, elle qui, bien quelle nait vu selon le récit historique quun petit enfant, acquit cependant par la portée de ce symbole une valeur prophétique. La Loi, en effet, présenta à l'Église, comme à la fille de Pharaon, la synagogue comme nourrice et comme mère du petit enfant et ainsi l'ordre spirituel se trouve déjà dans cette histoire. Cest par la Loi, en effet, elle-même nous lenseigne, qu'il convint que le Christ fût nourri selon la chair, mais c'est par l'Église qu'il fallait qu'il fût adopté. Devenu grand, Moïse cherche ses frères retenus dans lesclavage. Puis il tue un Égyptien qui tyrannisait et brutalisait l'un deux, et par la suite il est accusé par celui qu'il avait vengé de lÉgyptien. Est-ce que le Christ, lorsquIl a atteint lâge dhomme, ne visite pas son peuple, ses frères selon la chair ? Il vint en effet " aux brebis perdues de la maison dIsraël ". Na-t-il pas abattu et vaincu le diable qui dominait sur eux ? Car, personne ne détruira les biens de lhomme fort, s'il na dabord enchaîné lhomme fort. Nest-il pas accusé par ceux-là même qu'Il avait vengés du diable et qu'Il avait délivrés de lesclavage ? Ainsi, l'imitation que nous trouvons chez le promulgateur de la Loi est conforme à la consommation dans le Dieu de la Grâce.

    Le buisson ardent.

    Le buisson brûle sous les yeux de Moïse et pourtant ne se consume pas : c'est l'Église évidemment qui est embrasée des flammes des persécutions et des attaques des pécheurs selon ce que dit lApôtre : " Bien que supportant des angoisses et souffrant la pauvreté, nous ne sommes pas abandonnés ; nous sommes abattus et nous ne mourons pas, portant dans notre corps les souffrances de Jésus pour que la vie aussi du Christ-Jésus soit manifestée dans notre corps. " Ainsi, les incendies de toutes les iniquités font rage contre nous sans nous brûler.

    Les trois signes.

    Vient ensuite comme signe de la Foi le changement de la baguette en serpent et du serpent en baguette. Mais ce changement concerne l'affermissement de la Foi, non un bouleversement de l'ordre naturel. Puisque la baguette renferme le pouvoir souverain et que le serpent représente le diable, nous sommes avertis de croire en celui qui alors qu'Il était Dieu des siècles a été pris pour Béelzebul, puis de Béelzebul, dont on lui donnait le nom et pour qui on le prenait, reconnu par le changement de la Résurrection pour Dieu des siècles, ce qu'Il était effectivement. Le signe suivant, en saccordant en même temps à lespérance et au présent a achevé détablir la foi en cette réalité en en proposant une imitation. En effet, lorsque la main qu'il avait plongée dans son sein prit léclat de la neige, elle signifie que nous devons être illuminés en reposant dans le sein de nos pères, cest-à-dire d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, la nature de notre corps étant absorbée dans la nature de la gloire et de la splendeur. Mais lorsque la main, de nouveau plongée dans son sein, revient à son état antérieur, il nous est enseigné que ce que le signe préfigurait nexistait pas encore à ce moment-là. Lorsque, dans un troisième signe, de leau tirée du fleuve est répandue sur la terre et changée en sang, une figure des rites sacramentels est mêlée à ces signes, puisque ceux qui ont été lavés par leau doivent en arriver à la connaissance du sang.

    Encore limitation.

    Cest une grande merveille que dans l'histoire des patriarches les événements rapportés soient tels que dans ce qui a été accompli plus tard dans le Seigneur, rien ne soit en discordance avec eux ni pour le lieu, ni pour le temps, ni pour le mode. Cest en Lui, en effet, que l'imitation qui La précédé atteint la forme de la vérité absolue et se présente, comme limage du modèle quelle sefforce dimiter. Les événements, certes, ont leur propre réalité, qui résultait dactions naturelles ; mais cette réalité des actes humains était elle-même l'imitation de lopération divine, et cela pour former véritablement en nous lespérance et la foi, puisquon ne trouve rien dans les oeuvres de Dieu qu'on ne voie avoir été préparé d'avance dans les époques, les moeurs et les actions des hommes. Et bien que nous ayons montré précédemment que jusquà la sortie du peuple dÉgypte les actes de Moïse saccordent aux actes accomplis dans ou par le Seigneur, cependant, maintenant encore l'imitation spirituelle est liée à la réalité corporelle.

    La figure du bois.

    Le peuple, en effet, eut soif dans le désert, leau est amère, on murmure contre le chef ; mais Dieu montre un morceau de bois et par son contact leau devient douce ; par là sont manifestés la justification, les jugements et la tentation. On arrive ensuite aux douze sources et aux soixante-dix palmiers, et on sarrête près des eaux. Bien que lardeur de nos ennemis en détourne leur esprit et que légarement des infidèles ferme leur intelligence par le sceau de la désobéissance, ils ne pourront cependant ignorer la portée dun tel miracle. Quel secours constituait le bois, ou quelle puissance contenait la matière inanimée pour faire disparaître lamertume, pour engendrer la douceur, pour conférer ou enlever des qualités naturelles en rendant douce au goût lamertume qui lui répugnait ? Et puisque, dans lévénement présent, toute l'efficacité venait de la puissance divine changeant une chose en une autre, il faut bien estimer qu'il navait pas besoin des services du bois au point de ne pouvoir conférer aux eaux ce changement que par son intermédiaire.

    Mais parce que Dieu pouvait tout, Il commence a esquisser dans lévénement présent loeuvre mystérieuse réservée pour laccomplissement des temps. Pour le peuple qui vivait dans le désert, leau était inutile, et en vérité nous trouvons souvent que les peuples sont désignés sous le nom deaux, lorsqu'il est dit : " Les eaux tont vu, ô Dieu, et elles ont tremblé " ; et encore : " Eaux, battez toutes des mains. " Or, laction sanctifiante du bois change en douceur soit lamertume naturelle des eaux, soit lamertume contractée par le peuple, à la suite des murmures provoqués par son esprit de revendication, durant son séjour dans le désert, en voyant qu'il nétait pas encore sur le point dobtenir la terre de la promesse. Et il n'y a pas seulement disparition de létat premier, mais changement en un état meilleur qui dépasse ce que réclame lusage ; leau, en effet, ne cessa pas seulement dêtre amère, elle devint douce. Le bois donc opère présentement sur leau, et, par laction sanctifiante de sa puissance, est utile aux peuples désignés sous le nom deaux.

    Cest à ce bois que chez Moïse la vie de tous les hommes est suspendue, lorsqu'il dit : " Vous verrez votre vie suspendue sous vos yeux nuit et jour et vous aurez peur et vous naurez pas foi en votre vie. " Chez Jérémie ce bois est mis dans le pain : "Ils délibérèrent à mon sujet et dirent : Venez, mettons du bois dans son pain. " Cest de cette matière quest faite la baguette qui triomphe des magiciens, qui effraie Pharaon, qui ravage lEgypte, qui divise la mer, qui en ramène les flots, qui fait jaillir une source, qui fait disparaître lamertume, qui donne la douceur ; c'est en effet par laction sanctifiante du bois que les coeurs des infidèles sont amollis et passent de lamertume du péché et de limpiété à la douceur de la Foi. Et de peur que tous les événements de cette période ne saccordent pas avec les effets du mystère encore caché, lÉcriture ajoute: "Cest là que Dieu mit la justification et le jugement et c'est là qu'Il le tenta. " En disant " là " elle ne désigne pas le lieu, mais lévénement. Nous ne connaissons pas, en effet, quen cet endroit aient été disposés ni justifications, ni jugements, ni tentations.

    Au contraire, dans laction sanctifiante du bois, où a été pendu Notre Seigneur et où Il a attaché avec Lui tout ce qui sopposait au salut du genre humain, nous trouvons la justification parce que le juste est de la Foi, et le jugement, parce que " celui qui ne croit pas est déjà jugé ", et la tentation, parce que le salut sopère par le scandale de la Croix ; " la Croix, en effet, est folie pour ceux qui se perdent, mais elle est force de Dieu pour le salut de ceux qui croient. " Ainsi, puisque lopprobre de la Croix est la tentation de la Foi, puisque linfidélité est la cause du jugement, puisque la Foi est le prix de la justification, c'est à juste titre que laction sanctifiante du bois, qui fit passer leau de lamertume à la douceur, contient et la justification et le jugement et la tentation.

    Les douze sources et soixante-dix palmiers.

    " Ils arrivèrent à Elym et il y avait là douze sources et soixante-dix palmiers. Ils sinstallèrent près des eaux. " Léconomie spirituelle se trouve accomplie dans les événements à venir ; car de Merra, le lieu de lamertume, on arrive à Elym où il y avait douze sources et soixante-dix palmiers. Une fois connue laction sanctifiante du bois, on recherche le séjour de la foi apostolique et de la prédication de l'Évangile, auprès de soixante-dix prédicateurs, dont lombre est temporaire, et des douze apôtres, sources qui jaillissent dans léternité. Mais parce que les soixante-dix prédicateurs choisis dans l'Évangile se montrèrent par la suite infidèles, bien qu'ils aient rapporté les fruits de la Foi après sêtre soumis les esprits impurs, tandis que les Apôtres persévéraient dans la prédication de la Foi, malgré la mention des soixante-dix arbres en même temps que des douze sources, au témoignage de lÉcriture on ne trouve de repos que près des eaux.

    La manne.

    Quelle figure encore, et combien exacte, des réalités spirituelles, trouvons-nous dans la chair des cailles et dans laliment de la manne ! Le peuple qui avait été tiré dÉgypte murmure contre ses chefs ; il a le regret, de la viande dont il avait coutume de se nourrir en Egypte. Un vol de cailles arrive le soir et couvre le camp ; le peuple se nourrit de leur viande. Au matin, on trouve la manne. Sans distinction dâge ni de sexe, la même mesure est attribuée à chacun : celui qui en ramasse plus nen a pas plus, celui qui en ramasse moins nen manque pas. Ce qui dépasse les besoins, les vers sy mettent. Ce qui restait de manne dans la plaine, se desséchait à la chaleur du soleil. Le sixième jour, on ramasse une double mesure sans quelle se corrompe ; le septième jour, il n'y a pas de manne malgré la vaine attente de certains. Enfin, un gomor, la mesure attribuée à chacun, enfermé dans un vase d'or est conservé en témoignage pour les générations à venir.

    Il faut aussi considérer que la manne est donnée en tentation : par lobservance des règles prescrites pour son usage chacun sera mis à lépreuve pour savoir s'il est apte à suivre les préceptes de Dieu. Il est écrit, en effet : " Le Seigneur dit à Moïse : Voici que je vais faire tomber sur vous du haut du ciel une pluie de pain et le peuple sortira et il ramassera chaque jour la mesure dun seul jour pour que je sache en le tentant s'il suivra ma Loi ou non. " Il est dit par ailleurs de la viande : " Le soir, vous mangerez de la viande et le matin vous serez rassasiés de pain." La nourriture du soir est de viande, mais la nourriture du matin est désignée dans la figure de la manne. Ce qui concerne la viande, c'est le fait que le peuple, dans son séjour au désert, est tenu par le regret de ses habitudes précédentes ; en effet il regrette la viande d'Égypte. Il mange cette viande le soir, cest-à-dire que le peuple, infidèle à Dieu et n'ayant pas la patience d'attendre la réalisation de ses promesses devait continuer jusquà la consommation du siècle présent qui est figuré dans le soir à user des désirs du monde qui est ordinairement figuré dans l'Égypte. Enfin, le peuple n'eut qu'une fois de la viande, pour nous enseigner quelle n'était pas donnée en vue dun usage nécessaire, mais pour signifier une préfigure. La manne représente la tentation : par elle en effet le peuple est éprouvé pour savoir s'il obéira à Dieu, cest-à-dire s'il sera digne de manger le vrai pain du ciel, et le sens de cette tentation doit être cherché dans ce qui suit.

    Cest au matin qu'on trouve la manne, car c'est au jour de la Résurrection du Seigneur que vient le moment de recevoir la nourriture céleste. La même mesure est attribuée à tout âge et tout sexe ; la nature humaine exige le contraire - quand en effet le petit enfant et l'adulte ont-ils besoin de la même quantité de nourriture ? - mais, selon la préfigure spirituelle, il est très convenable daccorder à tous à égalité la nourriture céleste ; car l'efficacité de cette nourriture ne se divise pas en parties - je parle en effet à des gens qui sont instruits du sacrement - personne n'est dans l'abondance s'il en mange plus ni dans l'indigence s'il en mange moins puisque tous évidemment sont également rassasiés de cette nourriture qu'ils ont reçue divisée en parties. Ce qui est ramassé en plus de la mesure et qui reste le matin, en un mot ce qui est livré aux vers et à la pourriture, s'applique sans aucun doute à ceux qui accumulent sans profit au delà du don céleste et de la doctrine spirituelle : ce qu'ils ont accumulé est fétide à sentir, cest-à-dire séparé de la vérité par la corruption, bouillonnant des vices des démons, autant dire troublé par les vers, et sera réduit en eau par la chaleur du soleil, cest-à-dire par le Christ, qui est le soleil de justice, lorsqu'il reviendra pour le jugement.

    La double mesure de manne ramassée le sixième jour en vue du repos du septième nous avertit que la préparation des oeuvres spirituelles s'accumule pour ceux qui jouiront au temps du repos, des biens qui leur ont été préparés. Enfin, ce qui reste du sixième jour ne se corrompt pas, alors que ce qui, les autres jours, dépasse la mesure se gâte. Ainsi, la corruption est d'avance réservée à ce qui sort de la prescription. Il faut donc faire pendant notre vie des oeuvres dont nous puissions jouir dans le repos. Le temps de ce sixième millénaire est celui qui est désigné par le chiffre du sixième jour, puisque le prophète dit : " Mille ans aux yeux du Seigneur sont comme un jour." Le peuple se nourrit donc le septième jour, cest-à-dire le jour du repos du Seigneur, d'une nourriture amassée la veille et use de ce qu'il avait préparé, car il ne trouvera pas le septième jour de quoi se nourrir, bien que beaucoup savancent dans la plaine sans rien trouver ; ce qui signifie quaprès la fin des siècles, nous ne trouverons plus rien pour lusage de notre repos que ce que nous aurons auparavant préparé et amassé.

    Vient ensuite l'ordre de conserver en présence du Seigneur dans un vase d'or un gomor de manne pour les générations à venir. Mais où est ce vase, où est la manne qui y a été mise, après les nombreuses captivités du peuple ? Après la double destruction de la ville et du temple, rien ne reste de ce qui y a été déposé. Eh quoi ! pensons-nous que Dieu ait ignoré que la manne ne pouvait être conservée pour les générations futures ? Non certes, on ne doit pas croire qu'Il l'ait ignoré alors qu'Il connaît les pensées futures des hommes, mais, sous la figure du vase d'or et de la manne qui y a été mise sous les yeux de Dieu et qui a été conservée pour les générations futures, Il montre que celui qui aura conservé dans son corps comme en un vase d'or la manne qu'il a reçue sera précieux et éternel pour Dieu qui porte ses regards sur le réceptacle sans souillures de cette nourriture céleste qui nous est donnée.

     





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