• Le chemin initiatique de St. Jacques

    Delia Steinberg Guzmán  
    Parler du mystère de Compostelle, du chemin de Saint-Jacques, c'est rappeler toutes les traditions, toutes les légendes et les très riches mythes qui entourent cette importante source spirituelle, non seulement espagnole, mais mondiale.

    Que recèle Compostelle, que recèle Saint-Jacques, que recèle le chemin en lui-même, qui rende possible malgré tout, en ce siècle de matérialisme et d'incroyance où l'on préfère les choses concrètes et pratiques, la persistance d'une grande dévotion à ces symboles ?

    Nous essaierons de dessiner brièvement, à grands traits, le mystère de ce chemin traditionnel, et de ce sommet qu'est Compostelle.

     
    Histoire et mythe

     

    Il existe une histoire traditionnelle, avec quelques dates et données habituellement acceptées - parce qu'à notre portée - mais qui suscitent plus d'interrogations qu'elle n'apportent d'éclaircissements.

    La première énigme est la personnalité propre du dénommé saint Jacques le Majeur. Ce Jacques, fils de Zébédée et de Marie Salomé, est considéré comme le frère de saint Jean l'Evangéliste et comme étant avec le Seigneur dès le commencement de ses prédications. Après la crucifixion du Christ, saint Jacques se voue à l'enseignement ; il va d'abord en Judée et en Samarie, puis est amené à voyager en Espagne. Certains disent que, dans ce milieu totalement hostile, où presque personne ne l'écoute, dix disciples le suivent ; d'autres disent sept, d'autres trois, et d'autres - les plus pertinents, peut-être - que l'unique disciple qui accompagne saint Jacques dans ses premières prédications en Espagne n'est autre qu'un chien. Ce chien qui accompagne saint Jacques en permanence dans ses pérégrinations est un point-clé, comme nous le verrons à plusieurs reprises en essayant d'approfondir ce sujet.

    Comme saint Jacques n'a pas de succès en Espagne, il retourne en Judée où il tombe entre les mains d'Hérode Agrippa qui le fait décapiter. Quelques rares disciples fidèles qui l'ont suivi en Judée, préservent le cadavre du Maître, le placent dans une barque sans gouvernail et laissent le destin conduire la barque là où elle doit aller. Cette barque suit une route pratiquement invraisemblable et va néanmoins s'échouer dans un golfe de Galice, au royaume de la "Louve", près d'une ville que les Romains appelaient Iria Flavia, aujourd'hui connue comme Padron, à quelques kilomètres de l'actuel Saint-Jacques de Compostelle. Selon certaines versions, les disciples débarquent avec la dépouille de leur Maître, la placent sur un chariot tiré par des boeufs qu'ils laissent aller afin que, semblablement à la barque, il suive son cours. Après avoir parcouru un bout de chemin, les boeufs refusent d'aller plus loin ; ils décidèrent donc que là était le lieu idéal pour enterrer le Maître.

    Mais il existe des versions plus complexes qui racontent que les disciples se présentent, avec la dépouille de leur Maître, devant une étrange reine qui règne à Lugo à cette époque : la Reine Louve, dont le nom est en accord avec la symbolique de cette même région de Lugo. Ils prient la Reine Louve qu'elle leur permette d'enterrer la dépouille du Maître, celui-là même qu'elle avait connu durant ses prédications en Espagne. La reine leur tend un piège et les envoie en un lieu où, au lieu de boeufs pacifiques comme ceux qui tirent le chariot, se trouvent des taureaux féroces. Les fervents disciples arrivent avec leur chargement et, simplement à l'aide de symboles magiques, de leur foi et de leur seule présence, domestiquent les taureaux qui se trouvent transformés en paisibles boeufs. Ils les attachent à leur chariot et choisissent un endroit pour enterrer leur Maître. Certains disent que ce fut sur un mont sacré, le mont Aro ; d'autres pensent que ce fut dans le palais même de la Reine Louve, laquelle était tout à fait consternée de voir que ceux qu'elle croyait avoir envoyés à la mort étaient de retour et lui affirmaient que son palais était l'endroit choisi.

    Cependant, selon la tradition la plus ancienne, quand les disciples débarquent, ils laissent leur Maître adossé à un énorme rocher, et le corps, qui a cependant conservé une grande force et une magie formidable, fait fondre la roche comme si elle était de beurre, laissant un creux en forme de corps humain, la roche se trouvant ainsi changée en sarcophage. Cette tradition raconte également que non seulement le sarcophage de pierre deviendra un symbole, mais aussi que les disciples, alors qu'ils soulevaient le corps de leur Maître,virent leurs pieds se couvrirent de petits coquillages : ceux-ci constitueront le symbole de celui qui a fait un trajet unique et a trouvé le lieu où se reposer.

    L'histoire ne donne pas plus de renseignements jusqu'à huit cents ans plus tard, pour le moins. On perd toute trace, jusqu'en l'an 813, année où un ermite nommé Pélage commence à voir quelques lumières étranges, des étoiles, des flamboiements, en haut d'un monticule ; se gardant de prendre des décisions par lui-même, il invite l'évêque d'Iria Flavia, Teodorimo, à venir voir de quoi il s'agit. L'évêque déterre ce qui se se trouve là et, quelle ne fut pas sa surprise en reconnaissant saint Jacques le Majeur...

    Comment est-il possible que ceux qui le trouvèrent au bout de huit siècles aient, compte-tenu du temps écoulé, parfaitement reconnu saint Jacques le Majeur ? On éleva néanmoins une petite chapelle en hommage au miracle qui s'était produit et, depuis lors, saint Jacques va réaliser une série de prouesses qui influeront puissamment sur la mentalité de tous les peuples pyrénéens. A partir de ce moment, ces peuples vont se rendre en pèlerinage jusqu'au lieu de la découverte, comme si ce lieu avait une force suffisante pour offrir aux hommes un peu de sa force, un peu de sa magie.

    La bataille de Clavijo contre les Maures en 844, voit réapparaître un saint Jacques montant un fantastique cheval blanc, se battant furieusement avec sa fameuse épée que l'on appelle aujourd'hui la "Croix de Saint-Jacques". Cette épée, qui est en même temps une croix, est le symbole avec lequel saint Jacques lutte contre tous ses ennemis.

    En 899, Alphonse III bâtit une basilique à Saint-Jacques ; cette basilique ayant été rasée par Almanzor, on commence à ériger la vraie cathédrale, une fois éliminé le danger des Maures vers la fin de la première décade de l'an mil ; l'ancienne basilique reste enterrée à l'intérieur comme une crypte profonde. L'évêque de Saint-Jacques, Diego Gelmirez, se voue corps et âme à toute la tradition et au sens magique du pèlerinage, et il obtient même que l'année 1100, année où la fête de saint Jacques tombe un dimanche, soit décrétée "Année de Saint-Compostelle" par le pape Calixte II.

    La cathédrale de Saint-Jacques n'est pas construite selon une ligne droite, mais présente une légère déviation vers le nord et vers la gauche, infléchissement que l'on constate également sur son portail. Cette déviation, qui correspond à l'inclinaison de l'axe terrestre, se retrouve jusqu'à la fin du Moyen-Age dans presque toutes les églises ; elle est caractéristique de la majorité des dolmens mégalithiques précédés d'allées couvertes.

    Les années passant, la cathédrale offrait un portail trop étroit pour la grande quantité de pèlerins qui arrivaient ; on a alors chargé Maître Mateo - autre personnage énigmatique - de l'élargissement du portail occidental ; ainsi est né le portail de Gloire. A sa partie inférieure, apparaissent les symboles du monde animal ; puis vient le monde humain de l'Eglise avec les prophètes de l'Ancien Testament à gauche, et les apôtres à droite, tandis qu'en haut de la colonne centrale se trouve saint Jacques. Enfin, à la partie supérieure, on voit le Christ et les quatre évangélistes.

     
    Symboles

     

    Nous commencerons par analyser la dénomination de Santiago (Saint-Jacques) de Compostelle. Le mot Compostelle offre plusieurs voies d'interprétation. La plus connue dit que "Compostelle" provient de Campus Stellae (Champ de l'Etoile), faisant ainsi référence aux luminescences, aux étoiles apparues sur la tombe du saint, avant qu'elle ne soit découverte au IXe siècle. Cette version semble assez probable car tout le Chemin de Saint-Jacques, de Jaca à Compostelle, est jalonné de villes, de localités et de cols portant la dénomination "d'étoile", comme si le Chemin de Saint-Jacques était un itinéraire stellaire devant se terminer en un point particulier : le Champ de l'Etoile, avec le Mont de l'Etoile et le Saint de l'Etoile.

    Une autre explication du nom naît du latin compositum, cimetière ; étant donné que c'est là qu'on a trouvé le Saint, cela fait de Compostelle un cimetière sacré.

    Une autre possibilité est de faire dériver le nom d'un terme alchimique : compost ; en réalisant le Grand OEuvre, en travaillant dans le chaudron magique, une "étoile" apparaît au-dessus du mélange, pour peu que l'OEuvre soit bien réalisé.

    Nous pouvons encore citer la version de Charpentier, selon laquelle Compostelle pourrait dériver du vocable Compos qui signifie Maîtres dans les langues anciennes ; Compostelle signifierait ainsi le Maître de l'Etoile.

    En tout cas, quelle que soit la version, le site de Compostelle est hautement symbolique et n'obéit pas au hasard.

    Quant au nom de Santiago, on en trouve peut-être plus facilement le symbole en français qu'en castillan, ces deux langues ayant des racines communes. En français, Santiago est "Jacques", et cette dénomination a été utilisée durant très longtemps, non pas comme nom propre, mais comme adjectif pour désigner des hommes particulièrement savants en tout ce qui se rapportait aux constructions, aux mesures mathématiques, à la connaissance de l'architecture sacrée.

    Tous ces savants étaient "jacques" ou "yago", comme ce fut prononcé petit à petit en espagnol. De même on a conservé un terme basque : jakin, qui continue à signifier "savant" et qui a une racine identique à Jacques et à Yago. Pour compléter le symbolisme du nom Jacques ou Yago, nous voyons qu'il désigne non seulement les savants architectes mais qu'il va être en relation avec une façon particulière de prononcer ganso, en français, "jars".

    Ainsi Santiago peut être San Yago, comme on le dirait en espagnol, car on ne prononcerait jamais San Santiago. Que ce soit en français, en basque, en anglais, en espagnol, l'important est que ce nom désigne quelque chose de plus qu'une personne ; il semble se référer à un ensemble d'êtres, c'est un adjectif qui s'applique à beaucoup de personnalités jouissant des mêmes caractéristiques, tout comme les noms génériques de "Ménès", "Zoroastre", etc.

    Cependant, nous devons nous étonner de ce qu'il existe une catégorie de "Jacques" ou de "Santiago" en relation avec des personnalités d'hommes particulières : des constructeurs, de savants architectes, des hommes connaissant les profonds secrets de la Nature ; ce qui n'élimine absolument pas l'existence première de Saint Jacques l'Apôtre ou Saint Jacques le Majeur, sur lequel le christianisme appuie tout le pèlerinage sur le Chemin. Et nous ne devons pas oublier le nom de Jaca, le "Jacques" qui ouvre le Chemin en Espagne.

    Tout le Chemin de Saint-Jacques ne fait que refléter sur la terre un miracle bien plus grand ayant lieu dans le ciel. Tout comme la Voie Lactée dessine un trajet stellaire, on a prétendu, avec le Chemin de Saint-Jacques, reproduire ce tracé sur la terre, pour les hommes. Tout comme la Voie Lactée débouche dans la constellation du Grand Chien, dans le Chemin de Saint-Jacques, celui qui précède le saint arrivant à la montagne sacrée est un chien. Tout comme la Voie Lactée était connue dans l'Antiquité comme l'arc-en-ciel du dieu Lug chez les Celtes, sur tout le Chemin de Saint-Jacques on trouve une mythologie mêlée à celle du dieu Lug, qui est tantôt un loup, tantôt semblable à un chien, et parfois à un corbeau (l'oiseau messager).

    Lug est un dieu obscur, il est noir, comme le pelage d'un loup la nuit, ou les plumes d'un corbeau. Mais il y a un double mystère : quand Lug est sur terre, quand il avance sur le Chemin de Saint-Jacques, le loup est un chien ; quand il avance sur le Chemin fantastique du ciel, Lug est un corbeau, il a des ailes et peut guider, montrer la route dans l'espace.

    Depuis les époques préhistoriques, l'homme a eu conscience de l'existence sur la terre de lieux d'énergie particuliers. Tout comme notre corps présente des endroits où nous pouvons mesurer le pouls vital, il se trouve sur terre, grand corps vivant, des endroits où le pouls vital interne, les forces telluriques, battent avec une force beaucoup plus grande. En utilisant ces lieux, on avait l'habitude, dans l'Antiquité, de baliser des chemins semblables aux veines et aux artères par lesquelles circule notre sang.

    De cette façon, l'homme qui sillonnait ces chemins voyageait pour une soif mystique et pour arriver au but, tout en passant par des lieux vitaux.

    Il se peut qu'un des symboles les plus anciens de la croix soit celui dans lequel elle se résume en une force horizontale qui relie les points vitaux de la terre, et en une force verticale qui, venant des étoiles, irradie également de l'énergie sur la terre. Il y aurait ainsi des lieux terrestres doublement favorisés. D'un côté, toute l'énergie terrestre qui jaillit comme un fleuve énorme, d'un autre côté, l'énergie cosmique qui tombe au même endroit ; nous nous trouvons ainsi devant le point central de la croix où l'on peut installer un temple.

    Il est curieux de constater - et Compostelle n'est pas une exception - que là où se trouvent des cathédrales, des temples, ou des lieux de pèlerinage tout au long des temps, il n'y a pas seulement un temple, mais qu'à mesure qu'on creuse, apparaissent des constructions plus anciennes et que généralement l'excavation coïncide avec des sources sacrées, des grottes sacrées ou de petites cavités dans la montagne. Compostelle n'est pas une exception, car sous la cathédrale très ancienne, il y en a une autre plus ancienne, quelques restes de temple romain et une source celtique.

    Évidemment, le choix d'un lieu, le fait de choisir toujours le même lieu pour élever un temple, obéit sans doute à ce secret des forces telluriques combinées aux forces stellaires. Tel est le cas particulier de Compostelle, y compris le cas du Chemin qui a toujours été considéré comme sacré.

    Le Chemin de Compostelle n'est pas le seul allant d'est en ouest ; il suit presque à la perfection le quarante-deuxième parallèle terrestre. D'autres chemins existent plus au nord : l'un parcourt la France selon cette direction, et un autre parcourt l'Angleterre, également selon la même orientation. Il est intéressant de constater que les villes du chemin français et celles du chemin anglais présentent de nombreuses similitudes tant dans les noms que dans les symboles ou encore dans les constructions. Tous ces chemins passent par des lieux couverts de dolmens, par des villes faisant référence au loup ou au chien ; tous ces chemins aboutissent à l'ouest, à la mer, dans des baies, en des sites escarpés et difficile d'accès mais, en même temps, faciles à défendre au cas où une embarcation viendrait à y pénétrer.

    Si ces chemins coïncident avec des parallèles qui marquent des circuits particuliers d'énergie dans la terre, une question est presque inévitable : qui a tracé ces chemins, qui a fait le choix de ces itinéraires aussi anciens que le chemin chrétien de Saint-Jacques ? Pourquoi ce chemin est-il déjà tracé quand débutent les pèlerinages de Saint-Jacques ? Pourquoi tous les villages ont-ils déjà leur nom d'étoile, de loup, d'oie ou de corbeau quand on découvre Jacques le Majeur au neuvième siècle ? Qui a eu l'habileté fantastique d'arriver à déterminer un chemin sur un parallèle terrestre presque sans aucune erreur ? Qui a pu réunir autant de symboles et les refléter dans tous les noms qui jalonnaient ce chemin ?

    Les chercheurs ont découvert une série d'éléments intéressants ; la majeure partie des symboles des chemins allant vers l'ouest, vers la mer, sont des symboles marins. La coquille Saint-Jacques est une symbole marin. Un autre symbole marin important est celui de l'oie. Depuis les époques légendaires, chez les Celtes et les pré-celtes, existe un symbole sacré de reconnaissance privilégiée entre les confréries et fratries : celui de l'oie ou du jars - plus spécialement de la patte d'oie ou de jars - qui, en marchant, laisse imprimée une marque très semblable au trident de Poséidon, qui fut déterminant dans toutes les cultures considérées comme atlantes. Le Chemin des Étoilés coïncide avec le Chemin de l'Oie et de la Coquille.

    Tous ces peuples, tous ces chemins, en plus d'avoir la patte d'oie et la coquille - qui, regardée avec attention, est aussi une patte d'oie - comme symbole, possèdent également une série de traditions de marins. Ces marins seraient arrivés de quelque part et durent débarquer sur des lieux élevés de la terre, fuyant un grand cataclysme, une grande inondation. Nous croyons que les traditions des Celtes répètent celles de l'Egypte ancienne, de l'Inde et de la Grèce : le grand cataclysme de l'Atlantide et les survivants qui, avec leurs connaissances, leurs traditions et leur façon de vivre, choisirent les lieux les plus élevés à leur portée pour continuer leur oeuvre.

    N'est-il pas possible qu'ils aient choisi les monts Cantabriques, les Pyrénées, les monts Atlas en Afrique, qu'ils aient prolongé leur course jusqu'au Caucase et jusqu'au Tibet ? Ce qui est certain, c'est que lorsqu'on localise des foyers de civilisations anciennes, ceux-ci se présentent toujours comme des centres situés en montagne, coïncidant avec les mémoires ancestrales.

    L'un des principes que recelaient ces antiques villages correspondait au symbole du labyrinthe, ou en d'autres termes, à celui du chemin. Qu'est-ce qu'un labyrinthe, sinon un chemin ? Le plus connu est sans doute celui de la Grèce antique, le labyrinthe de Crète qu'on devait parcourir à l'aide d'une formule magique et duquel il n'était pas si facile de sortir. Mais il n'est pas de peuple n'ayant pas de labyrinthe. L'Egypte a son labyrinthe - dont Hérodote nous parle - mais qui n'a jamais été découvert. Les Celtes aussi en possédaient mais pas seulement : ils apparaissaient gravés sur toutes les pierres du Chemin de Compostelle et des Chemins situés plus au Nord, en France et en Angleterre.

    Qu'est donc ce labyrinthe ? En tant que symbole du Chemin, il est ce qui oblige l'homme à avancer, ce qui l'arrache à un état statique, c'est un symbole d'initiation. Toutes les civilisations qui prétendent faire progresser l'homme, l'obligent à faire un premier pas, à passer par un chemin, un labyrinthe, à surmonter une série d'épreuves.

    Le Chemin de Saint-Jacques, avec son parcours presque rectiligne de Jaca à Compostelle n'est pas à proprement parler un labyrinthe ; il s'inscrit cependant dans un gigantesque labyrinthe double - dont une moitié est en France et l'autre en Espagne - avec tout un ensemble de cités qui répondent, par leur dénomination, au principe du labyrinthe et qui répondent également au principe du dieu Lug ou du Corbeau. Le symbole du labyrinthe nous permet de voir que le Chemin de Saint-Jacques a quelque chose de plus que le simple fait de conduire au but, jusqu'à Compostelle. Arriver à Compostelle n'était pas aussi important que "faire" le Chemin ; le plus important était d'être sur le Chemin et de vaincre ses épreuves. Les sept portes de la montagne, les sept cols ou les sept épreuves qu'il faut franchir pour surmonter le Chemin ne sont pas des hasards non plus.

    De même, il ne faut pas s'étonner que Compostelle soit située en un lieu qui coïncide avec des traditions très anciennes comme, par exemple, le débarquement d'Hercule ou de Noé en Galice. Peut-être s'agit-il de légendes et de mythes ?

    Bien qu'il soit un peu illusoire de parler du débarquement d'Hercule en Galice, on persiste toujours, dans la région, à faire le récit de l'arrivée d'Hercule sur cette terre, après qu'il eût domestiqué les Boeufs de Géryon.

    Quant au débarquement de Noé en Galice, il ferait partie du très riche et universel mythe du déluge, qui fait référence à l'engloutissement de l'Atlantide et de ses derniers vestiges, il y a quelques douze mille ans. Il est naturel que des marins durent débarquer quelque part... On admettra également que le nom de Noé - comme tant d'autres - est un nom générique qui peut avoir désigné de nombreux marins, lesquels parvinrent en différents points de la côte de Galice, après la catastrophe.

    Nous citerons une curieuse coïncidence : Noé arrivant en Galice, au niveau du fleuve de "Noya", rappelle un autre Noé, mentionné par les Mayas, lequel, après une grande catastrophe en mer, apporta avec lui toute une série de connaissances que les Mayas ne possédaient pas. Qu'apporta-t-il ? l'agriculture, l'élevage, la construction... Ce Noé, qui débarqua parmi les Mayas, connaissait le raisin, le vin ; or les Mayas nomment toujours le raisin et le vin "noé".

    En général, ces survivants essayèrent de transmettre toutes leurs connaissances à ces différents peuples. Comment le firent-ils ? Pour transmettre, les anciens utilisaient un procédé particulier : celui des choses qui ne s'altèrent pas, des formules de construction, de la pierre taillée, du signe ouvré dans la pierre de façon que ni le temps ni les tourmentes ne puissent l'effacer. Ce procédé fut assez bon puisque, aujourd'hui encore, on continue à lire ces signes, même si parfois on ne comprend pas ces anciennes langues.

    En ce qui concerne le Chemin de Saint-Jacques, il existe une explication qui nous permet de revenir à cette très ancienne tradition des hommes qui arrivent de la mer et apportent leurs connaissances en partage ; des hommes qui, bien qu'installés chez ces nouveaux peuples, semblent perpétuellement regretter leur monde perdu en mer et en Occident, et tracent continuellement des chemins vers l'ouest, vers la mer, comme pour retrouver leurs aïeux.

    Ces hommes ont vécu des milliers d'années avec ces souvenirs et croyances. L'Espagne, particulièrement, a toujours eu la grande caractéristique de conserver, de collecter des symboles, des mythes, des traditions pour les christianiser ensuite avec un tel naturel et une telle fraîcheur d'esprit que cela semble la chose la plus simple du monde.

    Ainsi, quand les premiers chrétiens commencèrent à cohabiter avec les Espagnols des Pyrénées, ils rencontrèrent des hommes possédant déjà de profondes traditions et qui parlaient d'un Chemin, d'un Champ de l'Etoile auquel on parvient par un labyrinthe qu'on doit parcourir pour se renouveler intérieurement. Ces vécus ne peuvent être extirpés, on est donc obligé de les christianiser. Deux ordres vont s'en charger : celui de Cluny et celui du Temple qui, à partir de l'an mil, s'occupent de toutes les constructions, tandis que les symboles commencent tout de suite à prendre une signification en totale conformité avec le christianisme.

    Diverses hypothèses expliquent la provenance du "signe" fantastique qui jalonne tout le Chemin de Saint-Jacques, cette étoile à six pointes formée par un X et un P (initiales du nom du Christ). On croit également qu'avec deux pattes d'oie, l'une tournée vers le haut, l'autre vers le bas on obtient le X et la barre qui le coupe verticalement ce qui, d'autre part, est l'un des nombreux symboles rencontrés au coeur du labyrinthe, au lieu fantastique où celui qui aura parcouru le Chemin pourra enfin recevoir ce qu'il était allé chercher.

    C'est ainsi que nombre de ces anciens symboles : l'étoile, la coquille, la patte d'oie, le corbeau, le loup, le chien se transforment en symboles chrétiens et s'adaptent au pèlerinage chrétien.

    Les ordres religieux qui traduisent les symboles pour le christianisme vont constituer de véritables confréries et fraternités de constructeurs : "les fils de Maître Jacques". Un Maître Jacques dont on ne sait s'il est celui qui arrive en barque, celui qui lutte contre les Maures, ou s'il s'agit seulement d'un mythe symbolique. Les fils de Maître Jacques possèdent un talent : ils savent graver leurs symboles et, autre point fondamental, ils savent se reconnaître entre eux. Chacun des symboles qu'ils laissent dans la pierre est une signature, une formule de fraternité, de reconnaissance. On voit encore ces signes gravés dans la pierre dans beaucoup de cathédrales et de châteaux en Espagne.

    Ces fraternités se créent sur la base d'une nouvelle signification du travail et apparaissent comme une des voies mystiques les plus importantes : celle de l'oeuvre, de ce qui se fait avec les mains, ce qui se grave en profondeur, ce qui perdure et qu'il est possible de transmettre.

    Et l'OEuvre continue à vivre... Le Chemin de Saint-Jacques enflamme toujours l'imagination des hommes par ses symboles et ses mystères. Il est ainsi possible de ranimer ce sens de l'aventure spirituelle, du renouveau intérieur qu'on acquiert au long du Chemin. Il y en a encore qui rêvent de se transformer et ramènent leurs pas avec confiance vers ces lieux de la terre où les énergies se sont conjuguées pour former un véritable trait d'union entre les hommes et Dieu.

    Il faut encore vaincre, une fois de plus, la plus grande des épreuves : la peur de l'inconnu, la peur de la mort, représentée par le soleil qui tombe et disparaît à l'ouest, là où se termine le Chemin... Il faut se risquer, comme les hommes anciens qui survécurent à de terribles catastrophes, survivre en ce moment historique de ténèbres. Il faut oser marcher vers l'occident, là où chacun perd son nom illusoire pour trouver son être véritable ; les Initiés aussi ont perdu la vie pour gagner la Vie...

    A la fin du parcours du Chemin de Saint-Jacques, nous attendent d'étranges tumulus et des monuments de sépulture, à Noya, presque en bord de mer. A-t-on affaire à de véritables tombes ou à des pierres sacrées dont les inscriptions rappellent les vieilles marques de reconnaissance initiatiques ? Le voyageur reste là, seul, et la fatigue ouvre des portes inconnues à l'esprit et aux sentiments ; les yeux se perdent parmi les pétroglyphes, cherchant l'ancien signe de l'homme pèlerin du Mystère, anxieux de retourner vers sa patrie céleste.




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