• SULPHUR
    ou
      soufre rouge

                                             les fleurs minérales

    1)- Introduction

    Par soufre, en alchimie, on entend le principe mâle ou fixe (1, 2, 3, 4, 5). Il correspond à la partie métallique du Rebis, au sein du Compost ; c'est lui qui assure la teinture de la Pierre ; le compost représente l'association Rebis-Mercure philosophique. Nous avons étudié les possibilités qui nous étaient offertes pour déterminer la nature du Mercure philosophique (ou dissolvant universel). Les alchimistes ont toujours affirmé qu'un métal et un minéral seuls étaient nécessaires à l'accomplissement de l'oeuvre. Nous avons évoqué le principe Soufre à diverses reprises dans nos études. Il est clair qu'il s'agit d'un métal, à l'état d'oxyde [l'oxyde est évoqué à plusieurs reprise par E. Canseliet quand il parle de l'ionosphère dans ces Etudes de symbolisme alchimique = ioV : rouille]. Ce métal doit être uni à la Toison d'or qui représente la résine de l'or : il s'agit certainement d'une matrice faite d'un mélange d'alumine et de silice (1) ; dans le premier cas, la pierre philosophale doit être un corindon coloré (le rubis ou un saphir paré de l'une des nombreuses nuances de couleur ou encore le spinelle) ; dans le second cas, la pierre philosophale doit être un néso-silicate (topaze orientale, etc.). Nous mettons à part les simples imitations de pierres précieuses où intervient un sel d'or : la pourpre de Cassius dont nous parlons plus bas [cf. aussi la voie humide]. Ces imitations (strass) représentent pour nous la Spagyrie véritable ou archimie.
    Nous avons vu que l'alchimie devait nécessairement entretenir d'étroits rapports avec la poterie, la céramique et la faïence ou la porcelaine. Il nous faut donc essayer d'étudier la poterie et la céramique ancienne afin de voir si les Anciens connaissaient déjà des métaux qui n'étaient, à leur époque, pas encore reconnus comme particuliers : c'est notamment le cas pour le chrome, le manganèse et le magnésium, et également pour l'aluminium, ce dernier étant un cas spécial puisqu'il se trouve naturellement dans l'argile qui est la matière de base des poteries, faïences et porcelaines. Déjà, les poteries grecques et étrusques nous donnent de premiers renseignements : voici l'analyse de la pâte dépouillée de vernis et privée d'eau d'un vase campanien.
    - silice : 63 %
    - alumine : 20 %
    - chaux : 9 %
    - magnésie : 2 %
    - oxyde de fer : 4 %
    - pertes : 2 %
    Les Anciens ignoraient que la chaux, la silice et l'argile, mêlées aux détritus de la matière vivante, formaient la presque totalité de la surface terrestre et que ces substances minérales ne sont que des oxydes, c'est-à-dire des rouilles. La chaux, terre alcaline, n'existe dans la nature que combinée à l'acide carbonique, l'acide sulfurique, la silice, l'alumine (qui était pour les chimistes du XIXe siècle de l'argile pure). La craie correspondait au calcaire et ce mot s'appliquait à des terres argileuses et magnésiennes. La chaux, en latin, se dit calx. Mais, calx, c'est aussi le talon.

    [Ainsi s'explique l'allusion aux talons ailés de Mercure représenté dans les Figures Hiéroglyphiques ; l'ouvrier assurant la bonne marche d'un four à chaux ou chaufournier se traduit par calcarius dont une autre acception est l'expression : tomber de Charybde en Scylla, souvent employée par Fulcanelli et qui se rapporte aux corps dont la fixité n'est pas encore totale. Calceus est la chaussure ou soulier ; les sénateurs portaient une chaussure rouge en cuir souple (aluta = alumen) marquée d'un croissant. Un autre sens de calx est ruer (référence au cheval). La craie se dit creta qui signifie aussi la chaux. Cretatus = vêtu de blanc, candidat à un poste public (consul, etc.) ; creta = acquittés par des cailloux blancs, en opposition avec carbasus (une marque de charbon était l'indice de blâme). Carbunculus = chagrin dévorant mais aussi pierre précieuse (escarboucle) dont la transparence rappelle celle d'un charbon incandescent. On a là encore des références complémentaires qui expliquent les débuts de beaucoup de livres d'alchimie où les Adeptes se désolent, sont emplis de chagrin, etc.]

    Revenons aux métaux : l'étude de la céramique islamique et chinoise va nous apprendre des choses précieuses. Il ne faut pas oublier, en effet, que l'Europe ne connut l'alchimie qu'au travers des Arabes. Retenons d'abord que les glaçures alcalino-calcaires sont les plus anciennes. Les coloris vont du vert au bleu turquoise avec des variantes qui dépendent de la quantité d'oxyde de fer ou de cuivre. Les glaçures plombifères furent adoptées en Orient et leur origine paraît extrême-orientale.
     

    2)- le legs égyptien

    Les Egyptiens, dès le IVe millénaire, réussirent à mettre au point une pâte riche en silice qui avait la propriété de se vitrifier à la cuisson et qui pouvait être colorée en masse. On pense que, poussés par le désir d'imiter des pierres naturelles rares et coûteuses (turquoise, malachite, lapis-lazuli), les potiers commencèrent par l'exécution de perles bleu turquoise avant d'atteindre au XVIe siècle av. J.-C. (Nouvel empire) la maîtrise de ce produit. Les oxydes étaient alors souvent à base de cuivre. C'est à la même époque qu'apparaissent des objets en pâte de verre obtenus par fusion d'une pâte constituée de silice et de carbonate de soude. Ces céramiques frittées seraient une sorte de verre imparfait dont la structure se rapproche de celle des pierres semi-précieuses. Ce procédé a subsisté pendant mille ans avant de disparaître au début de notre ère. C'est à cette époque qu'apparaissent les glaçures intégrées
     


    FIGURE I
    petit vase, décor de type cuerda seca (glaçure cernée par un trait de manganèse, Mésopotamie, VIIe-VIIIe siècle)

    à une matière vitrifiable qu'on applique à la surface de la pièce. Ce procédé était utilisé en Mésopotamie au IIe millénaire et on ne sait toujours pas comment ce type de glaçure plombifère a pu émerger simultanément en Egypte et en Chine. La couleur la plus fréquente est le bleu turquoise obtenu par de l'oxyde de cuivre. Pour en revenir au legs égyptien, les principaux éléments du verre, la silice [grains de sable, roches quartzeuses], et les carbonates de potasse et de soude étant conçus de toute antiquité, il n'est, dès lors, pas difficile de comprendre que l'origine du verre doit être fort ancienne. Depuis longtemps, les Egyptiens avaient chauffé dans des fosses creusées dans le sable, les cendres, plus tard désignées sous le nom de cendres d'Alexandrie. On fabriquait du verre à Thèbes et à Memphis dans le temple de Phtha, probablement longtemps avant que les Phéniciens en eussent établi des manufactures à Sidon. La présence de quelque oxyde métallique dans le carbonate alcalin, donnant naissance à un verre coloré, devait réveiller l'attention des verriers, et donner lieu à la découverte des verres colorés ou des pierres précieuses artificielles. Ainsi qu'on l'a déjà dit [cf. section sur le Mercure], la fabrication du verre coloré est-elle plus ancienne que la fabrication du verre blanc [qui constituait à l'époque un haut secret] car les éléments du verre tel qu'on les rencontre dans la nature, sont presque constamment mélangés avec des oxydes métalliques [c'est-à-dire des Soufres, en terme d'alchimie]. Tous les historiens sont d'accord pour nous apprendre que les Egyptiens fabriquaient de temps immémorial des objets de verreries incolores, ou colorés en rouge, en vert, en bleu, en violet, etc. imitant le rubis, l'émeraude, le saphir, l'hyacinthe, etc. La ville de Thèbes était renommée pour les ouvrages en verre coloré qui sortaient de ses fabriques, et qui s'exportaient au loin par l'intermédiaire des Phéniciens et des Carthaginois. dès les temps les plus reculés, c'était une branche importante du commerce qui se faisait par la mer Rouge. Dans sa Description de l'Egypte pendant l'expédition française [éd. Panckoucke, 1820], M. Rozière nous dit :

    "J'ai souvent trouvé dans les ruines des anciennes villes de la Thébaïde, parmi les fragments de verre coloré dont elles abondent, quelques nouveaux teints de diverses couleurs. Quelques-uns, offrant dans une de leurs parties de belles nuances de pourpre, étaient, je crois, des débris de cet ancien murrhin artificiel...Dans les hypogées, on trouve des métaux mis en oeuvre, de speintures dont les couleurs sont dues à des oxydes métalliques, des frittes, des verres, des émaux, colorés par ces mêmes oxydes..."

    Ces vases murrhins, nous en avons déjà parlé [cf. section sur la réincrudation], étaient certainement constitués de spath fluor ; ce n'est pas l'avis, apparemment, de Ferdinand Hoefer qui nous dit qu'ils n'on été connus à rome que vers la fin de la république. Pline rapporte que :

    "Les vases murrhins n'ont pas beaucoup d'éclat, bien qu'ils soient luisants. On estime ceux qui sont de différentes couleurs, et qui offrent des taches jaunes, rouges ou lactescents." [XXXVII, 2]

    Il devait s'agir en tout cas d'une matière très fusible [ce qui attesterait qu'il s'agit bien de spath fluor ou fluorine]


    FIGURE II

    puisque ces vases ne paraissaient pas pouvoir supporter une température élevée sans se déformer ou même se fondre. Pline parle encore d'une espèce de verre noir, qu'il appelle obsidien, à cause de sa ressemblance avec la pierre qui porte ce nom :

    "J'ai vu des statues massives représentant l'empereur Auguste, qui aimait beaucoup ce genre de verre. On le fabrique dans les verreries où l'on colore le verre. On fabrique aussi du verre rouge de sang, appelé hamatinon, puis le verre blanc, le verre murrhin, le verre qui imite le saphir, l'hyacinthe ; enfin des verres de toutes couleurs. Nulle matière n'est aujourd'hui plus maniable et plus propre à prendre toutes les teintes."

    Dans une contrée de l'Arabie, voisine de l'Egypte, on fait, dit Diodore, du cristal par le moyen du feu divin [upoqeioupuroV]. Ce cristal reçoit différentes couleurs  par le dégagement d'un esprit. On fabrique des émeraudes et des béryls dans des forges d'airain. Toutes les couleurs sont... un effet de lumière. [Diod. Sicil., II, edit. Wesseling]
    Rien, en fait, n'apparaît plus obscur que l'histoire des pierres précieuses. Il est littéralement impossible de se reconnaître dans le déluge des dénominations telles que onyx, sardonyx, chrysoprae, aerizusaz, cyanos, capnias, jasponyx, chryselectron, leucochryse, mélichryse, astros, iris, alectorie, etc. [cf. la liste que donne Pline en terminant son Hist. Nat., chap. 10, livre XXXVII]. Il serait pourtant utile de savoir si l'anneau de Polycrate qui fut retrouvé par un cuisinier dans le ventre d'un poisson, était une topaze ou un saphir, ou si celui de Pyrrhus, sur lequel on voyait gravé Apollon et les neuf muses, était un corindon ou un rubis...
     

    3)- bref aperçu des alchimistes gréco-alexandrins
     

    Marcelin Berthelot dans sa Chimie des Anciens a montré toutes les connexions que l'alchimie avait entretenu avec les arts de l'orfèvrerie de même que Titus Burkhardt [Principes et méthodes de l'art sacré. Lyon, Paul Derain, 1958 - Alchimie sa signification et son image du monde Milano, Arché, 1979] : les alchimistes sont d'abord des orfèvres, verriers ou teinturiers ; ils se livrent à des expériences artisanales ayant trait à la préparation des métaux, des couleurs et du verre.
    La chimie d'alors n'était pas classée par les Arabes avec les sciences ouvertes ou « exotériques » mais parmi les cinq sciences occultes et se trouvait en contradiction formelle avec la parole du Prophète. Cela explique que les textes qui s'y réfèrent aient été rédigés dans un jargon inintelligible et qu'en particulier les écrits attribués à Djabir - pour leur partie alchimique du moins - aient été considérés comme « incohérents ». Or, on sait que la verrerie, la métallurgie et la minéralogie dépendaient aussi de la chimie arabe.  Djabir (le pseudo Geber) fut le premier à pratiquer la séparation des sulfures de l'arsenic et de l'antimoine ; Rhazès découvrit entre autre le peroxyde (sesquioxyde) de fer. Le rapport entre la céramique et l'alchimie est attesté par des travaux de J.M. Rogers qui signale que des céramiques sphéroconiques que l'on trouve en grande quantité près des fours des potiers sont des récipients d'alchimistesdestinés aux travaux de distillation. Ainsi sommes-nous dans le bon chemin et devons-nous considérer que les importantes mutations reflétées par les céramiques abbassides s'inscrivent dans le champ de recherches consacrées à l'alchimie ; cela expliquerait en tout cas que dans l'Orient ancien, les fours de potier aient été construits dans l'enceinte même des temples et des sanctuaires qui dépendaient des prêtres- mages, véritables dépositaires des connaissances scientifiques, alors de nature « ésotérique » et non « exotérique ». Ces « alchimistes de Bagdad » sont inséparables du grand courant de l'alchimie arabe, abordée dans notre prima materia. Comme le souligne Pierre Lory

    [Alchimie et mystique en terre d’Islam, Verdier, 1989 ; cf. encore : Robert Halleux, La réception de l'alchimie arabe en Occident et Georges C. Anawati, L'Alchimie arabe, dans Histoire des sciences arabes, tome 3, Seuil, 1998, Sous la direction de Roshdi Rashed],

     les Arabes l’ont conceptualisée dans une forme qui, après eux, va s’imposer partout. Leur alchimie n’est pas seulement un art de laboratoire, elle se propose aussi de dévoiler les lois cachées de la Création et comporte une dimension mystique et philosophique [il s'agit d'une forme de panthéisme où le Ciel et la Terre sont liés comme l'exprime la Table d'Emeraude, texte d'ailleurs qui semble plus tardif]. Si l’alchimie arabe revendique une origine égyptienne, sa pratique est antérieure à la conquête de l’Égypte par les Arabes en 639. C’est par les Syriens qu’ils ont reçu l’alchimie grecque, mais leurs premiers maîtres dans cet art furent les Iraniens, qui avaient hérité des traditions ésotériques mésopotamiennes. Le premier alchimiste arabe connu, le prince omeyyade Khâlid ibn Yazîd (?-704), fut initié par un Chrétien d’Alexandrie, Morienus [appelé aussi Morien le Romain, cf. Entretiens de Calid à Morien, texte majeur qui nomme le « fiel de verre »]. L’alchimie connaît un rapide succès dans le monde islamique et les traités grecs sont rapidement traduits. La figure la plus illustre de l’alchimie arabe est Jâbir ibn Hayyân (mort vers 815), connu en Occident sous le nom de Djabir. Il va mettre en évidence les concepts fondamentaux du Grand Œuvre

    [cf. Chevreul là-dessus ; il est probable que les écrits alchimiques attribués à Djabir sont apocryphes ; la Somme de Perfectionest l'un des grands classiques de la littérature alchimique est attribuée à Paul de Tarente ; on doit à Djabir l'introduction du concept Arsenic, repris par Paracelse qui en fera son principe Sel ; repris par Fulcanelli qui en fera le « Corps » de la Pierre].

    On lui doit aussi de nombreuses découvertes en chimie. Le « corpus Jâbirien » compterait plus de trois mille traités dont la plupart sont donc apocryphes. Ils sont probablement l’œuvre d’une école qui se forma autour de ses enseignements [cf. prima materia]. L’alchimie arabe connaîtra de nombreux maîtres, dont nous ne citerons que quelques-uns : Abu Bakr Mohammed ibn Zakarya, dit al-Razi ou Rhasès (Xe siècle) ; Senior Zadith, (Mohammed ibn Umail al-Tamimi) ; ibn Umayl, (Xe siècle), Abd Allah al-Jaldakî (XIVe siècle). Leurs textes pénétreront bientôt en Europe par l’Espagne et marqueront profondément l’Occident latin.

    [site consulté sur ce § : http://www.rose-croix.org/histoire/histoire1.html] 

    Festugière résume ainsi le problème des origines de l'alchimie alexandrine :

    « L'alchimie gréco-égyptienne, d'où ont dérivé toutes les autres, est née de la rencontre d'un fait et d'une doctrine. Le fait est la pratique, traditionnelle en Égypte, des arts de l'orfèvrerie. La doctrine est un mélange de philosophie grecque, empruntée surtout à Platon et à Aristote, et de rêveries mystiques. » [La Révélation d'Hermès Trismégiste, vol. IV, Paris, 1944, p. 218]

    Il semble, comme l'explique, Cristina Viano, que :

    « ... la pratique des alchimistes est le fondement de leur appropriation de la philosophie grecque, et non l'inverse. » [in Viano (dir.), l'Alchimie et ses racines philosophiques, la tradition grecque et la tradition arabe, Vrin, 2005 - p.92 et sq.]

    Sur l'apport de Platon à l'alchimie, cf. Chevreul.


     

    4)-  A la recherche du Soufre des glaçures

    Dans les céramiques à décor incisé et jaspé, on relève des glaçures vertes à l'oxyde de cuivre, brun violine à l'oxyde de manganèse et jaune roux à l'oxyde de fer. Les premières faïences naissent du besoin de masquer la pâte de la céramique sur laquelle elles sont appliquées : on intercale un engobe entre les deux matériaux. On sait que les Egyptiens et les Assyriens utilisaient déjà des oxydes opacifiants comme la roméite, le quartz et la cristobalite. L'oxyde d'étain était utilisé seul dans les glaçures alcalines ou plombifères de façon à leur donner un aspect blanc crémeux opaque (l'émail). Ces glaçures stannifères sont à l'origine de la faïence. Le cobalt provenait de la région de Kâchân et dès le VIIIe siècle, les Arabes l'utilisèrent dans les poteries : il était connu sous le nom de « bleu mahométan ». De cette époque naît l'accord parfait entre le bleu du cobalt et le blanc de l'étain. De 890 à peu près datent ces céramiques de l'Iran oriental et notamment des céramiques du Khorassân (allusion hermétique au chien du Corascène d'Artephius). La faune illustrant ces céramiques est originale et laisse perplexe beaucoup d'historiens ; on y voit des oiseaux à tête de lion, des félins mi-ours mi-chien ou à tête d'aigle (griffons), des lions au poitrail


    FIGURE III
    coupe (Aigle héraldique. Iran, région de Garrus, XIIe sècle)

    proéminent ; les aigles héraldiques sont les plus fréquents. Ces animaux sont typiques des symboles alchimiques traditionnels et il serait utile qu'une étude essaye de localiser exactement l'émergence de ces coupes. Cette céramique est appelée « céramique de Garrus », les Iraniens ayant dit aux marchands que ces produits provenaient de la région où vivaient les Guèbres (gabr : incroyant), terme employé dans la littérature persane pour désigner les « adorateurs du Feu » et les sectateurs de Zoroastre. De cette époque datent aussi des coupes de Nichapour (FIGURE III) et de Samarcande (FIGURE IV) où le décor est peint avec un engobe vert contenant des traces de chrome ; il prend à la cuisson un bel aspect jaune moutarde et le chrome fusant légèrement dans la glaçure provoque un effet de lustre par irisation. Faisons un saut dans le temps : voici la céramique seldjoukide (XIIe siècle). On a alors des pâtes siliceuses à base de sable qui permettent d'obtenir des objets à paroi fine, pouvant rivaliser avec les porcelaines importées de Chine. Dans la Syrie du nord, apparaissent des engobes désignés plus tard sous le nom de « bol arménien » et se caractérisant par un rouge dont la tonalité varie du rouge tomate au rouge brique, obtenu grâce à de l'oxyde de fer (pensons à la chienne d'Arménie d'Artephius). Nous voyons ensuite l'Egypte produire vers le XIIIe siècle des imitations parfaites de céladon : pâte dense très siliceuse cuite à 1000°C et glaçure plombifère
     


    FIGURE IV
    jatte campanulée (Xe siècle, Samarcande)

    FIGURE V
    Calice (décor moulé sous glaçure plombifère, Egypte, XIIIe siècle)

    FIGURE VI
    grande coupe creuse, (Xe siècle, Nichapour)

    transparente teintée par un mélange d'oxyde de fer et de chrome, apanage des ateliers mamelouks. Remarquons la présence de l'oxyde de chrome (Figures IV, V, VI) qui montre de façon indubitable que ce métal était utilisé -non reconnu certes en tant que métal particulier avant sa découverte par Vauquelin en 1797- au moins dès le Xe siècle. Résumons nos observations :

    1)- sur les pâtes : elles sont soit siliceuses, soit argileuses ; elles contiennent de la kaolinite, des sépiolites ;

    2)- sur les glaçures : elles sont faites d'oxydes vitrifiants, surtout la silice (SiO2) sous forme de sables siliceux très abondants dans tout le Moyen-Orient et expliquant la raison pour laquelle le verre a été connu très tôt dans cette région ; moins fréquemment on trouve de l'oxyde de bore (B2O3). Les oxydes fondants sont la soude et la potasse, les glaçures plombifères et stannifères comprenant respectivement du plomb et de l'étain sous forme d'oxydes. On trouve aussi des oxydes stabilisants comme la chaux ou la magnésie (le cas le plus fréquent). L'alumine est également présente, plus difficile à dissoudre dans le verre de la glaçure. Le plomb augmente la fusibilité et joue un rôle de fondant qui s'ajoute aux effets de la potasse et de la soude ;

    3)- la coloration des glaçures : la coloration ionique est due à des oxydes colorants qui se dissolvent dans la glaçure comme un sel dans l'eau. On trouve l'oxyde de cuivre, le protoxyde de fer et le peroxyde de fer. L'oxyde de manganèse donne une couleur variant du pourpre et du violet au bleu-vert.  La coloration par pigmentation est donnée par des pigments qui sont dispersés -mais non dissous -dans la glaçure, comme la chromite FeO(CrAl)2O3 ou fer chromé. Des opacifiants sont également trouvés tels que l'antimoniate de plomb, l'oxyde de chrome qui donne le vert et le sesquioxyde de fer, de couleur rouge, dit bol arménien.

    Conclusion : au Xe siècle au moins, des éléments tels que le manganèse et le chrome ainsi que le magnésium, sous la forme d'oxydes, étaient utilisés en céramique par les Arabes. De plus, deux régions nommées sont citées aussi par Artephius dans son Livre Secret : le Khorassan et l'Arménie.
     

    5)- La préparation des soufres

    Quest-ce que le Soufre en alchimie ? Certes d'abord, du soufre vulgaire, souvent à l'état de fleur de soufre [cf. section sur la Pierre] ; ensuite de multiples combinaisons à l'état de sulfates simples ou doubles qui entrent dans la préparation des Mercures philosophiques ; au stade actuel de notre travail, les composés alcalins sont à privilégier de même que le borax. L'utilisation de plusieurs composés est probable. Certains Adeptes, dont Fulcanelli, donnent le nom de mercure ou de soufre à une même substance selon son aspect physique selon la période de l'oeuvre en cours ; il parle notamment du double soufre, là où il faut manifestement entendre double mercure. Enfin, le Soufre, pour nous, caractérise la partie métallique de la Pierre, sous la forme d'une rouille [ioV] qui explique parfaitement les étranges commentaires d'E. Canseliet [Alchimie, Etudes de symbolisme alchimique] sur l'ionosphère et les aurores boréales. De même que nous avons étudié les Mercures [cf. section du Mercure philosophique], il nous faut étudier la préparation des soufres, c'est-à-dire des « rouilles » qui s'incorporeront, le moment venu, à l'écrin réalisé par l'alumine ou la silice cristallisée. Dans les chapitres qui précèdent, nous avons vu que l'utilisation de métaux inconnus des Anciens était possible sous forme de traces ; il n'en faut pas plus pour préparer le principe Soufre.

    a)- les émaux : déjà abordés dans le chapitre sur le verre et ses usages [mais sous l'angle du Mercure, i.e. du fondant], nous les revoyons pour le soufre. Nous avons insisté sur le fait que c'est d'abord le verre coloré qui avait été préparé en raison des impuretés que ne manquaient pas de posséder la silice ou les bases. La fabrication des verres de couleur marqua les premiers pas de la verrerie antique : en effet, des oxydes métalliques se trouvent dans le sable et une trace d'entre-eux suffit à donner au verre une coloration plus ou moins intense. Les verres colorés ont surtout trouvés leur usage dans la confection des émaux et des vitraux. Le procédé consistait, pour le peintre verrier, à utiliser des couleurs ; ces couleurs sont composées de matières vitrifiables, d'émaux, qui sont moins fusibles que le verre. Le peintre verrier peint des fragments de verre et ces fragments sont portés dans un four puis chauffés, en sorte qu'il se produise une fusion des couleurs et l'adhérence au verre. Le dessin réalisé par le verrier se compose donc de matières colorantes minérales, fondues et faisant corps avec la substance du verre. En France, les premiers vitraux peints semblent remonter au milieu du XIIe siècle ; c'était le temps où écrivait le moine Théophile [cf. le chapitre sur la verrerie] et nous lui devons la mention et la description des procédés qui servaient à mettre en pratique cet art des émaux, lointain descendant de l'art sacré des prêtres égyptiens.


    FIGURE VII
    (verrière du XVIe siècle, ancienne abbaye de Ferrières, Loiret)

    Le verre blanc peut se colorer par suite de la propriété qu'ont les principaux oxydes métalliques [oxydes de fer, de cuivre, de plomb, d'or, de cobalt, etc.] de se dissoudre dans le verre fondu en formant des silicates qui sont doués d'une couleur propre et qui communiquent cette coloration au verre qui les renferme. 1 à 2 % seulement d'un oxyde métallique mêlés à du verre fondu, suffisent pour lui communiquer une couleur intense

    [les alchimistes ont toujours dit que pour faire l'oeuvre, un minéral et un métal suffisait et que si le Mercure était pluriel, le Soufre, lui, était singulier, c'est-à-dire « seul » = allusion à ioV].

    Le pouvoir tinctorial des oxydes métalliques est même si grand, que la masse vitreuse paraît noire quand elle n'est pas soufflée à une très mince épaisseur. C'en est au point que les verres colorés sont composés de deux lames, l'une de verre blanc sur laquelle est étendue une autre, de verre coloré : il s'agit des verres doubles ou doublés.

    b)- les Soufres de l'antiquité

    La connaissance que les Anciens avaient des couleurs [c'est-à-dire des teintures] est un point d'histoire des Sciences important. On s'accorde à dire que les Grecs et les Romains ont emprunté leur connaissance des couleurs aux Phénitiens et surtout, aux Egyptiens. Cicéron, en parlant de l'école grecque, dit qu'on ne faisait anciennement usage que de quatre teintures. Pline [qui vivait environ 150 ans après Cicéron] remarque que les quatre couleurs dont se servaient les peintres grecs étaient le blanc, le noir, et les ocres jaune et rouge [Hist. Nat., XXXV, 7]. Ce sont les mêmes couleurs que l'on remarque dans les plus beaux chefs-d'oeuvre de Raphaël et du Titien. Le Saint Marc et la Vénus offrent des exemples remarquables de peintures dans lesquelles toutes les teintes foncées sont produites par des ocres jaune et rouge, et par des substances carbonacées [H. Davy, Annales de chimie, t. XCVI]. Passons en revue les teintures antiques et voyons si les Anciens employaient des oxydes de métaux non encore reconnus comme particuliers :

    - les Pourpres : s'il faut en croire Vitruve et Pline, la véritable pourpre d'un rose foncé était contenue dans les vaisseaux d'une espèce de mollusque. On y ajoutait un carbonate alcalin ; la matière colorante est fournie par plusieurs espèces de janthines. On faisait également la pourpre [rouge, violet et rose foncé] avec la garance et une autre plante nommée hysginum. H. Davy rapporte qu'on a trouvé dans les bains de Titus, un vase de terre brisé contenant une matière colorante ou laque d'un rose pâle, qui pendant 1700 ans, s'est très bien conservé, excepté la partie externe qui s'était un peu altérée au contact de l'air. Il résulte d'après l'analyse que cette laque est de nature organique, mêlée de silice, d'alumine et de chaux, elle paraît être une matière organique non azotée. Dans l'ensemble, la couleur pourpre n'était pas assurée par des oxydes métalliques.

    - les Rouges et les Jaunes : le vermillon était employé depuis la plus haute antiquité. Les censeurs de Rome étaient, par leur fonction, obligés les jours de fête, de faire peindre la face de la statue de Jupiter en vermillon ; et les généraux romains avaient la coutume pendant leur triomphe de s'en barbouiller le visage

    [Pline, XXXIII, 7 ; on peut se demander à cette occasion si Varius Avitus Bassianus que Fulcanelli évoque dans les DM, II et dont nous parlons dans la section des Gardes du corps de François II ne serait pas fardé avec du vermillon].

    Le vermillon était également employé pour enluminer des caractères gravés sur de l'or ou sur du marbre. Le minium des Latins [miltoV des Grecs] est tantôt le vermillon [sulfure rouge de mercure], tantôt le véritable minium [oxyde de plomb] ; notons que dans la section I sur les textes, nous avons eu l'occasion de parler de la nielle [rouille du blé, que l'on retrouve ici comme le miltoV].
    Le minium proprement dit - appelé aussi secundarium parce qu'artificiel - était préparé en grillant le minerai de plomb ; Pline savait qu'il constituait une rouille métallique [Hist. Nat., XXXVII, 7]. Parmi les autres couleurs rouges et jaunes minérales, les auteurs nomment les ocres [oxyde de fer jaune ou rouge], l'orpiment et la sandaraque [sulfure d'arsenic]. L'ocre jaune la plus estimée pour la peinture provenait de l'Attique. Ces témoignages sont confirmés par les monuments qui nous restent ; parmi les substances trouvées dans un grand vase de terre contenant des couleurs mêlées avec de la glaise et de la chaux, vase qui fut trouvé il y a 150 ans au moins dans une chambre des bains de Titus, il y avait différentes espèces de rouge qui furent analysées par H. Davy. L'une d'elles, d'un rouge vif, était du minium ou de l'oxyde rouge de plomb ; une autre, d'un rouge pâle, était une ocre ferrugineuse ; une troisième, d'un rouge pourpre, était également une espèce d'ocre ; enfin une quatrième, d'un rouge vif, était du cinabre. Dans un autre pot de terre, il y avait trois espèces de jaune, dont deux étaient des ocres mêlées avec des quantités variables de carbonate de chaux, et le troisième, une ocre jane mêlée avec de l'oxyde rouge de plomb.

    - les Bleus : nous ne parlerons ici que des couleurs bleues d'origine minérale. Ces couleurs étaient à peu près exclusivement fournies par les composés de cuivre et de cobalt et il est important de savoir que ces deux métaux étaient confondus originairement sous la même dénomination. Nous avons déjà parlé du bleu égyptien dans la section chimie et alchimie. Dans une excavation faite à Pompéi, dans le mois de mai 1814, à laquelle H. Davy était présent, on découvrit un petit vase rempli d'une couleur bleu pâle : ce n'était autre qu'un mélange de chaux et de fritte d'Alexandrie. Davy pense que le verre dont parle Vitruve

    [Vitruve assure que l'on avait un moyen d'imiter le bleu indien ou indigo, en mêlant la poudre d'un verre coloré avec de la craie sélinusienne ou annulaire]

    était coloré par l'oxyde de cobalt et que la matière était semblable à notre smalt [arséniure de cobalt]. Les vases d'un verre bleu transparent qu'on trouve dans les tombes de la grande Grèce sont teints avec le cobalt. Tous les verres bleus transparents grecs et romains en contenaient [Davy, Annales de Chimie, t. XCVI].

    - les Violets : Théophraste et Pline parlent d'une sorte de lichen que l'on regarde comme identique avec l'orseille. Il ne s'agit pas d'un oxyde métallique.

    - les Verts : les couleurs vertes minérales des Anciens étaient toutes des carbonates ou des acétates de cuivre.

    - la chrysocolle : cette substance dont nous avons déjà parlé à plusieurs reprises, selon l'opinion de quelques historiens, serait le borax [borate de soude] qui sert à souder les métaux. Vitruve parle dans son livre VII de la chrysocolle qui n'est autre chose que du carbonate de cuivre, qui, mêlé à des phosphates alcalins, servait aux orfèvres pour souder l'or [les phosphates alcalins étaient fournis par l'urine].
     
     


    FIGURE VIII
    (agrégat de chrysocolle, Arizona, USA)

    - les Noirs et les Bruns : Dans un vase antique rempli de couleurs mélangées, Davy trouva différentes espèces de brun ; l'une d'elles avait la couleur du tabac, une autre était d'un rouge brun, et la troisième d'un brun foncé. Les deux premières se trouvèrent être des ocres mêlées d'une matière organique [noir de fumée] ; la troisième contenait de l'oxyde de manganèse ainsi que de l'oxyde de fer. Il est évident [et cela a un intérêt, en alchimie, pour la Pierre dont le Soufre correspond à un manganate] que les Anciens connaissaient les mines de manganèse, d'après l'usage qu'ils en faisaient dans la fabrication des verres colorés. Deux échantillons d'un vase pourpre romain étaient, d'après une analyse faite par Davy, peints avec de l'oxyde de manganèse.

    - les Blancs : Théophraste, Dioscoride et Pline décrivent la céruse [blanc de plomb] et en indiquent l'emploi comme d'une couleur blanche la plus commune. Ils parlent aussi de différentes espèces de craies et d'argiles destinées au même usage. Il semble, pourtant, que Davy n'ait pas rencontré de céruse dans l'analyse des couleurs anciennes.

    c)- les teintures modernes

    Les principaux oxydes métalliques [véritables rouilles] employés pour colorer le verre [mais que l'on retrouve, selon nous, dans le grand oeuvre] sont :

    - pour le bleu-saphir = l'oxyde de cobalt - pour le bleu céleste = le bioxyde de cuivre - pour le vert-émeraude = l'oxyde de chrome - pour le vert bouteille = l'oxyde de fer des battiture, le protoxyde de cuivre ou le cuivre métallique - pour le rouge-pourpre, pour le jaune à reflet verdâtre = le peroxyde d'uranium - pour le jaune-orange = le chlorure d'argent - pour le jaune commun = le verre d'antimoine - pour le violet = le bioxyde de manganèse - pour le rose ou rouge commune = les sels d'or ou l'oxyde de cuivre.
    Quand on veut obtenir une couleur composée, on mélange plusieurs oxydes ; c'est ainsi que le verre noir se produit à l'aide des oxydes de manganèse, de fer et de cobalt mélangés à parties égales ; le verre couleur émeraude, avec les oxydes d'uranium et de cuivre ; le verre couleur d'herbe, avec un mélange d'oxyde de cobalt et d'oxyde de sulfure d'antimoine. M. Péligot, dans ses Douze Leçons sur la verrerie, donne la composition des substances employées pour produire la coloration du verre et du cristal : ces substances constituent donc des Soufres possibles, utilisables dans la préparation de la Pierre.

    a)- bleu : on ajoute au mélange vitrifiable 1 à 3% d'oxyde de cobalt [corps probablement connu des Egyptiens, cf. bleu arménien]. L'addition d'oxyde de manganèse [corps connu des Anciens] donne une masse plus violacée ;

    b)- violet : cette couleur se produit avec 2 à 7% d'oxyde de manganèse et 1% d'oxyde de cobalt ;

    g)- bleu céleste : on ajoute 1% de bioxyde de cuivre à du verre ou à du cristal riche en alcali. Si le verre est très siliceux, la couleur est verte ;

    e)- vert-émeraude : cette coloration est fournie par 2 ou 3 ‰ de sesqui-oxyde de chrome. Cet oxyde n'est dissous par le verre qu'en très petite quantité ;

    z)- vert-bouteille : on se sert des battitures de fer, dont on ajoute 4 à 5 % à la composition ;

    h)- jaune : 4 à 5 % d'oxysulfure d'antimoine [corps qui correspond à la scorie de la calcination du sulfure d'antimoine dont parle Eugène Canseliet, à chaque fois qu'il évoque la stibine], qui est du verre d'antimoine et 1 ‰ de pourpre de Cassius, fournissent le jaune-topaze ; on obtient aussi cette nuance avec les peroxydes de fer [ou fer oligiste, qui fournit l'hématite] et de manganèse ; si ce dernier oxyde prédomine, la teinte vire au brun violacé ; avec l'oxyde de fer employé en plus grande quantité, on a le jaune d'or. Les tubes de verre qui, filés à la lampe d'émailleur, donnent les fils servant à tisser des étoffes de soie et de verre qui ressemblent aux brocards d'or, sont colorés par ce mélange. Le sesqui-oxyde d'uranium donne au verre une belle couleur jaune avec reflets verdâtres [verre dichroïte] mais nous ferons l'impasse sur l'uranium car il est très peu probable qu'il ait pu être utilisé par les anciens alchimistes... Le jaune plus ou moins orangé est fourni par du charbon très divisé ou la fumée qui résulte de l'introduction de l'écorce de bouleau ou de la corne dans la matière en fusion ; à noter que le verre ne doit pas contenir de plomb dans ce dernier cas ; l'argent donne, à la température de moufle, une belle coloration jaune-orangé ;

    q)- rouge et rose : on fond dans un petit creuset du cristal ordinaire avec addition de
    1  ‰ d'or à l'état de chlorure. Le cristal présente l'aspect du cristal ordinaire ; il a seulement une teinte un peu bleuâtre. On produit également la couleur pourpre en appliquant sur des verres très siliceux, sans plomb, du bioxyde de cuivre. Le carbonate de cuivre ou l'oxyde bleu hydraté conviennent très bien pour cet usage ;

    i)- noir : cette couleur résulte d'un mélange d'oxyde de cuivre, de cobalt et de fer. On l'obtient aussi au moyen du soufre intrduit en nature dans la composition. Le verre hyalite qu'on fait en Bohême est ainsi coloré. On ne peut pas dire exactement le rôle que joue le soufre pour produire cette coloration ; elle est peut-être due à la formation d'un sulfure.

    La préparation des verres colorés exige beaucoup de soins de la part des verriers. Certains oxydes métalliques obligent à modifier la composition des mélanges. Le rouge est une des couleurs les plus délicates à reproduire. Les Anciens obtenaient cette couleur avec un éclat extraordinaire. C'est le cuivre qui servait aux peintres-verriers du Moyen Âge à produire le rouge. On admet que ce métal s'y trouve sous forme de protoxyde mais il est probable qu'il existe sous forme métallique. Nous allons à présent dire quelques mots sur les couleurs des émaux et leur préparation, qui se rapprochent davantage des préparations alchimiques par incorporation de Terres :

    - les Noirs : le même oxyde sert pour faire les noirs et les gris. On fait du gris en mettant la couleur mince et du noir en soutenant l'épaisseur. Lorsqu'on précipite par le carbonate de soude [natron] un mélange de sels de protoxyde de fer et d'oxyde de cobalt, et qu'on laisse l'oxydation du comporé s'effectuer sous l'influence de l'air atmosphérique, on obtient une combinaison des oxydes de fer et de cobalt qui, suffisamment calcinée, fournit un oxyde noir de très bonne qualité. On prend :

    - 1 équivalent oxyde noir de cobalt (38 g)
    - g fer métal = 1 équiv. d'oxyde Fe2O3 (56 g).
    On fait dissoudre séparément l'oxyde de cobalt à chaud, le fer métallique à froid, l'un et l'autre dans de l'esprit de sel [acide muriatique ou acide chlorhydrique], les deux dissolutions sont étendues d'eau, filtrées et réunies ; on précipite le mélange par le carbonate de soude en léger excès [natron], on lave à grande eau jusqu'à ce que tout l'oxyde de fer soit passé à l'état de peroxyde de fer hydraté, entièrement jaunâtre ; on dessèche et on triture avec deux fois son poids de sel marin ; on calcine dans un têt à rotir, à une chaleur rouge sombre, on lave à l'eau bouillante et on fait sécher. Enfin, quand l'eau de lavage n'enlève plus rien, on calcine de nouveau dans un creuset à une chaleur très intense. L'oxyde ainsi formé est une combinaison définie qui a pour formule : Fe2O3,CoO.

    - les Verts : l'oxyde de chrome est la base des verts ; on le combine avec l'alumine pour lui donner de la transparence, avec l'oxyde de zinc pour le modifier en jaune, avec l'oxyde de cobalt et l'alumine pour le transformer en vert bleuâtre. L'oxyde de chrome [abordé dans l'Introïtus, VI de Philalèthe] se prépare à l'état de sesqui-oxyde de chrome en enflammant un mélange d'une partie de soufre pour deux parties de bichromate de potasse [alun de chrome]. On place le mélange bien trituré dans un têt à rotir, on fait au centre une petite cavité qu'on remplit de soufre en fleurs [poudre de soufre, cf. section sur la Pierre], et auquel on met le feu. Le produit de la combustion au contact de l'air est de l'oxyde de chrome qu'on lave à l'eau bouillante ; il n'est point nécessaire d'agiter pour renouveler les surfaces du mélange incandescent ; la combustion se propage d'elle-même jusqu'au centre de la masse. L'oxyde de chrome qui résulte de la réduction du chromate de potasse est lavé, séché et calciné de nouveau, pour éliminer un peu de soufre qui n'a pas été brûlé. Il est alors d'un très beau vert. Cet oxyde est combiné avec l'alumine pour préparer un vert-jaune transparent : on prend de l'alumine hydratée ; quand on précipite en présence de beaucoup d'eau par l'ammoniaque caustique de l'alun ammoniacal (1) ou potassique, on obtient un hydrate d'alumine à 62 % d'eau. C'est à cet hydrate que l'alumine est emprunté ; on peut prendre pour le calciner, après porphyrisation :

    - 1 équiv. sesqui-oxyde de chrome vert (76 g)
    - 1 équiv. alumine hydratée Al2O,9HO (135 g)
    on lave à l'eau bouillante pour extraire le chromate de potasse qui se forme aux dépens d'un peu de la potasse retenue par l'hydrate d'alumine, ou conservé par l'oxyde de chrome que les eaux de lavage, même bouillantes, n'en débarassent pas toujours complètement. Il y a là quelque chose d'analogue à ce que Chevreul a désigné sous le nom de phénomène de teinture.
    Le vert bleuâtre s'obtient en suivant la même méthode et d'après les mêmes principes ; on prend à cet effet :
    - 0.5 équiv. sesqui-oxyde de chrome (38 g)
    - 1 équiv. d'oxyde de cobalt (38 g)
    - 1 équiv. d'alumine hydratée (135 g)
    on calcine et on lave à l'eau bouillante ;

    - les Bruns : Lorsqu'on combine les peroxyde de fer et l'oxyde de zinc, en présence de quantités plus ou moins importantes d'oxyde de cobalt et d'oxyde de nickel [inconnu des Anciens], on obtient des oxydes bruns plus ou moins foncés, plus ou moins chauds, qui sont d'une grande utilité dans la peinture sur verre. On prépare ainsi du brun rougeâtre, du brun de bois, du brun-sépia e du brun noirâtre. On prépare séparément, pour les réunir ensuite, les dissolutions suivantes dans l'esprit de sel :

    - 2 équiv. de fer = 1 équiv. sesqui-oxyde de fer Fe2O3 (16 g)
    - 1 équiv. de zinc = 1 équiv. d'oxyde de zinc ZnO (33 g)
    auxquels on ajoute de l'oxyde de cobalt (2 g). On traite comme dit plus haut, si ce n'est que l'on ne pratique qu'une seule calcination. L'oxyde lavé, qui a pour formule Fe2O3(ZnO,CoO) est d'un beau brun rougeâtre et d'un ton chaud. Le brun de bois et les autres bruns nediffèrent que par la quantité d'oxyde de cobalt :
    couleur
    bois
    sépia
    noirâtre
    fer
    56
    58
    56
    zinc
    33
    33
    33
    oxyde (CoO)
    4
    12
    38
    Dans ces préparations, la nuance brune est maintenue par la présence de l'oxyde de zinc ; on obtient avec le fer seul et le zinc le ton qu'on nomme brun-jaune. Ces oxydes exigent du temps et des soins minutieux ; la préparation de certains d'entre-eux était peut-être l'un des secrets des prêtres égyptiens... Lorsqu'on calcine la couperose à un feu assez violent, il reste un oxyde de fer violâtre [cf. la couperose verte dans la section sur chimie et alchimie]. Ce corps n'a plus de transparence et mêlé sur le verre à un fondant, il adhère en faisant office de corps opaque ; il est noir par transparence et sert à faire les ombres des draperies et des chairs ;

    - les Rouges : les carnations s'obtiennent au moyen du colcotar calciné avec précaution en présence de quantités variables d'alun ou de sulfate d'alumine qui lui communique une certaine translucidité. Cette couleur est l'une des plus délicates à obtenir ;

    - Couleur d'or : le précipité pourpre de Cassius [cf. voie humide] sert à obtenir les couleurs dites carmins, pourpre et violet. Le pourpre de Cassius a été traité à fond dans la section consacrée à la voie humide. L'utilisation des chlorures d'étain consttiue, en effet, la base des dissolutins auriques, qui permet d'avoir accès à ce fameux pourpre.

    Préparation du pourpre de Cassius
    Pour préparer le pourpre de Cassius d'une manière certaine, on prend 144 cc d'esprit de sel et 72 cc d'eau forte [aqua sicca]. On les mêle ensemble ; on pèse dix fois 2 g d'étain pur laminé qu'on met en réserve pour les faire dissoudre dans l'eau régale. Pour cela, 120 cc d'eau régale sont répartis dans 10 petites bouteilles, 12 cc chacune ; on étend de 0.5 g d'eau froide pour modérer l'action, et on ajoute par petites fractions l'étain métallique qu'on a fait laminer pour l'avoir plus facilement soluble. Ce qui reste d'eau régale est versé sur 3.2 g d'or pur, et quand la dissolution est complète, on étend d'assez d'eau pour former 500 cc ; 50 cc de cette dissolution sont étendus de 14 l d'eau précipités successivement par chaque dissolution d'étain. Les précipités sont mêlés, lavés à l'eau bouillante, et réunis 5 par 5 sur des filtres pour qu'ils se ressuient. Quand le pourpre est suffisamment raffermi, on étend le filtre sur une glace, le pourpre en contact direct avec le verre ; on essore sur l'envers avec un linge absorbant, et, ramassant le précipité pâteux avec un couteau à palette, on le place dans un vase, et on le recouvre d'eau pour le conserver humide jusqu'au moment où l'on veut le transformer en couleur. On y ajoute alors du fondant et la quantité voulue de chlorure d'argent.

    - les Bleus : le plus beau d'application qu'on puisse faire est tiré du cobalt : c'est de l'aluminate de cobalt. Pour le préparer, on fait dissoudre à l'état de nitrate :
    - 1 équiv. de carbonate de cobalt (60 g)
    - 1 équiv. d'alumine hydratée (180 à 135 g)
    on évapore à siccité et on calcine. Le résidu bleu qui reste au fond du creuset possède une magnifique nuance outremer qu'on peut rendre turquoise en ajoutant au mélange une petite quantité d'hydrate d'oxyde de chrome. L'aluminate de cobalt ainsi formé correspond à la formule Al2O3,CoO.
     
     

    6)- Le sulphur du lapis

    C'est étudier en détail les caractères physiques et chimiques des pierres précieuses, puisque, le lecteur doit le savoir, nous pensons que l'objet des alchimistes était de réaliser des « amalgames ou des alliages philosophiques » qui ne peuvent être que des pierres silicatées et alumineuses s'approchant de certaines gemmes dites orientales.. Entendons-nous bien : le but poursuivi par les alchimistes dignes de ce nom [nous excluons donc les illuminés, les fous, les malhonnêtes et les mercantis] a été d'imiter la nature dans ses oeuvres minérales les plus accomplies que les hommes appellent pierres rares et cristallines, aussi nommées gemmes orientales. Pour arriver à ces synthèses de pierre artificielle [mais pas factices ni frauduleuses] des centaines d'années de travail ont été nécessaires et, ainsi que nous l'avons dit dans d'autres sections, l'alchimie a progressé au cours des siècles.  Le divorce entre la chimie et l'alchimie est intervenu après la mort d'Isaac Newton (1, 2, 3) ; à une époque intermédiaire, Becher a posé les bases de la deuxième alchimie, en supputant l'existence de deux éléments, l'Air et l'Eau et de trois terres : la vitrifiable, l'inflammable et la mercurielle. Stahl s'est appuyé ensuite sur les traavux de Becher pour mettre au point la théorie du phlogistique, laquelle fut définitivement supplantée par les travaux de Lavoisier ; Lavoisier a rendu définitivement caduque la théorie d'Aristote sur les quatre éléments ; dès lors, la possibilité même des transmutations alchimiques s'avérait insoutenable ; pour autant, ainsi que nous l'avons vu dans le chapitre sur les transmutations, certaines opérations réalisées par des alchimistes comme Philalèthe ou par le groupe réuni autour de Lascaris ont donné du fil à retordre à la critique... Nous considérons néanmoins que ces transmutations n'ont jamais été réalisées et qu'il s'agit de chimères ; elles ont permis de voiler le sens exact des opérations alchimiques et le but poursuivi par les alchimistes : la sensation d'être démiurge en réalisant en quelques jours des opérations que la nature met des millions d'années à accomplir. Cela pose bien sûr des problèmes d'ordre historique dans la mesure où les oxydes métalliques des pierres précieuses correspondent souvent à des métaux qui n'avaient pas été reconnus comme particuliers ; nous savons néanmoins que les Anciens ont utilisé le chrome, le zinc et le manganèse de cette manière et c'est ce en quoi nous intéressent tant les études chimiques sur la composition centésimale des céramiques antiques.
    On peut imaginer que certains groupes d'Adeptes aient réuni au fil des années et des siècles des procédés d'obtention de certaines couleurs, aient localisé la provenance des matières premières et aient pu ainsi, en liaison avec leurs connaissances dans l'art du verre et de la poterie, des fondants également, opérer la conjonction de substances dont ils savaient pertinamment qu'il ne s'agissait pas seulement de verre coloré. On le sait, car Pline mentionne bien le fait qu'il était possible de distinguer une pierre artificielle d'une pierre naturelle. Dans ce but, on se servait d'une pierre dure siliceuse, qui devait entamer ou rayer l'une et laisser l'autre intacte, car - ajoute Pline - la matière des pierres imitées est plus tendre. On les distinguait également au poids ainsi qu'à d'autres caractères physiques extérieurs ; Pline assure enfin que toutes les pierres précieuses, vraies ou fausses, sont rayées par le diamant [Hist. Nat., XXXVII, 4]. Ainsi donc, les Anciens étaient-ils capables d'observer si la matière qu'ils produisaient était ou non rayable par le diamant ou le rubis : il est clair qu'à travers des milliers d'expériences, la première fois que la matière n'a pas été rayée par le rubis ou la topaze, les Adeptes pouvaient à bon droit estimer qu'ils avaient réalisé des pierres singulières qui étaient autre chose que du verre coloré ou du cristal coloré. Nous avons déjà parlé un peu des pierres précieuses dans la section chimie et alchimie mais il vaut qu'on s'y attarde tout spécialement ici, puisque c'est la qualité même de ce qui fait une gemme précieuse que nous analysons ici : sa teinture ou si l'on préfère, son Soufre.

    a)- Historique

    L'examen attentif d'une roche brillante, cristalline, a pu faire naître une série d'observations du plus haut intérêt. Mais, ces observations se sont d'abord primitivement arrêtées aux objets qui, par leur éclat et leurs teintes variées, attirent les regards, non seulement des premiers hommes, mais même de certains animaux, tels que les corbeaux, les pies, etc. De façon extraordinaire, mais finalement parfaitement rationnelle, la connaissance des pierre précieuses - comme celle du verre coloré - a donc dû précéder celle des roches communes - et celle du verre blanc -. Il paraît que c'est la branche la plus ancienne de la minéralogie. Il est de fait qu'on éprouve de l'éblouissement simplement à évoquer les pierres précieuses pour la poésie qu'elles inspirent avant de penser à leur valeur vénale. Ce sont, littéralement parlant, les fleurs de la minéralogie, épanouies par un travail extrêmement lent dans les entrailles du globe. Il s'agit, au vrai, des étoiles des régions ténébreuses que l'on compare [surtout dans les allégories alchimiques] aux étoiles du ciel et qui expliquent, pour partie, certaines allusions de la Table d'Emeraude. La première chose à dire, pour ceux qui ne sont pas initiés aux curieux phénomènes de la cristallisation, ce sont les apparences diverses que présentent les corps composés des mêmes éléments et qui ne diffèrent seulement que par la disposition de leurs molécules. Il paraît étrange, à première vue, que les plus gemmes orientales ne soient au fond que du charbon, de l'argile, du sable, en un mot des matière grossières [dont l'origine justifie pleinement les commentaires des Adeptes] que nous foulons aux pieds lorsque nous marchons sur la voie publique. L'allégorie peut-être la plus évidente est représentée par l'emblème XLII de l'Atalanta fugiens de M. Maier que l'on ne se lasse pas d'admirer : la matière première y est en effet figurée par des traces de pas ; l'artiste se doit d'imiter la nature et la suivre à la trace.
     


    FIGURE IX

    Rien pourtant n'est plus vrai ; car la base de toutes les pierres précieuses se trouve dans le carbone ou charbon que tout le monde connait [et que tout le monde ignore aussi] ; dans l'alumine que la terre glaise nous présente presque pure [kaolin], et dans la silice qui pave les rues et que l'on peut voir à profusion sur nos plages. Qui eut cru possible qu'une même substance, la silice, aurait pu un jour constituer l'un des objets les plus précieux des alchimistes en même temps que l'objet le plus précieux de la communication moderne : en effet, sans silice [silicium], pas de micro-processeur possible, pas de transistor possible, pas d'informatique possible...Cela nous engagerait trop loin d'en parler mais on ne peut que tomber sous le charme de cet aspect quasiment magique du monde moderne où le microcosme rejoint de façon si singulière le macrocosme et donne comme raison à la Table d'Emeraude.

    La cristallisation est un des phénomènes les plus curieux que présente la nature : des atomes, des molécules, s'attirent réciproquement et s'unissent pour former, non pas un corps amorphe, mais un corps régulier et symétrique : un cube, un prisme, etc. Les cristaux peuvent être transparents, translucides ou opaques et présenter toutes les couleurs connues [queue de paon]. Les formes cristallines sont très nombreuses mais des rapports essentiels entre ces dispositions existent et ce fut Haüy qui découvrit la loi de symétrie à laquelle sont subordonnées toutes les formes cristallines. C'est Linné qui paraît avoir compris le premier l'importance de l'étude des cristaux et Romé de Lisle publia en 1772 le premier traité de cristallographie ; cependant il ne vit dans les cristaux que des corps isolés. Haüy avait reconnu à Paris, en 1781, presqu'en même temps que Bergmann à Berlin, qu'un certain nombre de minéraux avaient la propriété de se casser suivant des lames, i.e. cliver. Cette découverte est devenue la base de la minéralogie géométrique. Haüy fit de la cristallographie une science rigoureuse et c'est à dater de ses travaux que l'on classe les formes cristallines en six groupes, dont chacun est caractérisé par son système d'axes. On appelle ainsi certaines lignes idéales que l'esprit doit concevoir comme passant dans l'intérieur du cristal et par rapport auxquelles tous les éléments, faces, arêtes, sommets, sont disposés symétriquement ; ainsi, tous les cristaux qui ont les mêmes axes présentent une même symétrie qui constitue le caractère propre au groupe. Nous voyons déjà réapparaître la formule « solve et coagula » propre à l'alchimie dans la façon dont des corps peuvent cristalliser : la dissolution, la fusion, la volatilisation. Le tout est que la réorganisation des molécules du corps se déroule lentement, suivant l'un de ces trois processus.
    - Ainsi, si l'on fait dissoudre un corps dans un liquide, puis qu'on évapore convenablement la dissolution, et qu'on l'abandonne à elle-même, on apercevra bientôt des cristaux se déposer au fond et sur les parois du vase et présenter des facettes d'un poli et d'un brillant si remarquables, qu'on les croirait travaillées par la main d'un lapidaire ;
    - Au lieu de faire dissoudre un corps, on peut le faire fondre dans un creuset et l'abandonner de même à un refroidissement lent et tranquille, et au moment où la surface supérieure commencera à se solidifier, il faudra percer la croûte qui se forme, renverser le creuset sens dessus dessous pour en faire sortir les parties intérieures qui sont encore liquides ; alors nous aurons de même de magnifiques cristaux

    [cela évoque presque mot pour mot certains propos de Fulcanelli sur l'obligation que l'on a de renverser le composé et les allégories sur le renversement des pôles et sur le déluge ; ces allégories sont évoquées à de multiples reprises dans les différentes sections auxquelles nous laisserons le lecteur se référer (1, 2, 3) ; de même cette coagulation de la surface évoque invinciblement la rémore et la salamandre de De Cyrano Bergerac].

    En traitant du soufre de cette manière, par exemple, on verra les parois du creuset tapissées d'une multitude d'aiguilles dorées qui ne sont que du soufre cristallisé ;
    - On peut encore obtenir la cristallisation d'un corps en le réduisant en vapeur dans un vase où cette vapeur puisse revenir à l'état solide par un refroidissement suffisant. Par exemple, en volatilisant de l'indigo, on obtiendra à la partie supérieure du creuset couvert, des cristaux sous forme d'aiguilles d'un bleu magnifique ; la même chose se réalise lors de la volatilisation du zinc, qu'on appelle alors pompholix ou laine des philosophes.
    Toutefois, cette cristallisation n'opèrera pas si elle est contrariée par un refroidissement trop subi, un mouvement étranger. La glace et ces belles arborisations que l'on peut admirer sur les vitraux des fenêtres, n'est autre chose que de l'eau cristallisée

    [cet arrangement cristallin se présente comme des étoiles à six rayons, ressemblant à une fleur à six pétales, formant deux à deux des angles de 60° ; d'autres étoiles s'embranchent de nouveau toujours sous le même angle de 60°, réalisant des structures fractales, que Benoît Mandelbrot fut le premier à formaliser sous l'angle mathématique].

    On connaît un procédé pour garder la trace - ou le squelette - de ces cristaux : on soumet à une basse température une lame de verre, disposée horizontalement et couverte d'une couche mince mélangée à du minium [oxyde de plomb, rouge]. Pendant la congélation, les parcelles de minium sont entraînées par les petits cristaux en formation et l'on obtient ainsi des figures en forme d'aiguilles, d'aigrettes, de feuilles de fougère, etc. La fusion et l'évaporation ultérieure de l'eau laissent le minium en place : il suffit ensuite de vernir la plaque pour conserver indéfiniment les figures obtenues. M. Alban a réalisé des observations microscopiques sur la précipitation des métaux les uns par les autres. Il a été conduit aux deux conclusions suivantes [Comptes rendus Acad. Sci., t. I, XXIV] :
    - toutes les fois où un métal est précipité de ses solutions salines par un autre métal, le métal affecte une forme arborescente, distincte pour chaque métal ;
    - toutes les fois que l'on fait cristalliser un sel dans des circonstances appropriées, la cristallisation affecte une forme arborescente, différente pour chaque sel.

    b)- les cristaux et les Pierres

    La production artificielle des cristaux et des minéraux a été réalisée par les minéralogistes français du XIXe siècle. Pour parvenir à reconnaître les phénomènes chimiques et physiques qui ont présidé à la formation des substances minérales et à leur cristallisation, on a donc cherché à imiter la nature. Nous allons ici nous attacher principalement aux minéraux qui cristallisent et tout spécialement à des roches dites rares : les pierres précieuses. Nous avons déjà abordé cette partie dans la section sur le Mercure et allons spécialement nous attacher au développement du Soufre qui, de toute façon, est congénère du Mercure. C'est Ebelmen qui a eu l'idée d'étendre le procédé par dissolution et évaporation à la voie sèche afin de provoquer la cristallisation de substances conjointes. Des fondants tels que le borax et des phosphates alcalins ont été employés : ils se révèlent être de véritables dissolvants, à une haute température, pour les oxydes métalliques [i.e. les Soufres]. Ebelmen, après avoir dissous de l'alumine dans de l'acide borique, est parvenu à la faire cristalliser en faisant évaporer lentement l'acide à la température des fours à porcelaine de la manufacture de Sèvres et il a obtenu ainsi du corindon cristallisé

    [M. Gaudin était déjà parvenu avant 1848 à faire cristalliser l'alumine et à fabriquer du corindon rubis, en fondant de l'alun ammoniacal au feu de chalumeau à gaz détonnant : en témoigne sa Formation artificielle des minéraux : lentille en cristal de roche fondu, par M. Gaudin, Comptes Rendus Acad. Sci., t. V, 1837].

    On doit à Leblanc, à Gay-Lussac et à Beudant [Sur les causes qui peuvent faire varier les formes cristallines d'une même substance, Annales de Chimie et de Physique, t. VIII], un grand nombre d'observations sur les cristallisations qui s'opèrent dans les laboratoires.Par des expériences multiples, on a reconnu quelques-unes des circonstances et des conditions qui influent sur la forme extérieure des cristaux

    [ainsi : le soufre qui cristallise par fusion sous forme d'aiguilles prismatiques à base oblique, passe en se refroidissant à une autre structure qui appartient à la modification du soufre octaèdre ordinaire].

    Ces causes sont assez nombreuses

    [différents états de concentration de la dissolution, degré de température, température extérieure et pression atmosphérique, nature (++) du dissolvant, matières étrangères contenues dans l'eau mère].

    Ce sont les matières étrangères -apparentées au principe Soufre- auxquelles on va surtout s'attacher (le dissolvant a été vu dans la section du Mercure). Certaines de ces substances étrangères ont pu être entraînées par l'eau mère et retenues dans la cristallisation du sel, tandis que les autres n'ont agi que par leur présence, et sont restées en dehors du cristal qui était en voie de formation. Parmi les substances que contiennent les eaux-mères, et qui peuvent s'incorporer au cristal qui se forme [nous sommes en plein dans notre sujet], on doit distinguer avec Beudant les mélanges mécaniques (I) de particules pulvérulentes, en suspension dans le liquide, et les mélanges chimiques (II) de molécules dissoutes dans ce même liquide. Les matières du premier genre (I) peuvent se retrouver dans le cristal en parties plus ou moins grossières et plus ou moins fines, simplement interposées par couches entre celles du réseau cristallin [comprenez du Sel ou Corps, assimilé à la « résine de l'or »], ou bien retenues comme par une sorte d'affinité capillaire, dans les interstices des molécules. Celles du second genre (II) sont des substances isomorphes, ou tout au moins plésiomorphes, avec la substance principale qui cristallise, qui peuvent entrer, à l'état moléculaire, dans la composition des couches et des files de molécules du cristal même, et qui concourrent ainsi à former une cristallisation mixte.
    - L'influence des mélanges mécaniques (
    I) consiste à diminuer la transparence du cristal, à lui donner une couleur accidentelle [c'est cette couleur ou teinture qui est recherchée en alchimie : elle est identifiée à l'Âme ou principe Soufre], et à rendre généralement sa forme plus simple, et quelquefois plus nette et plus régulière qu'elle ne le serait si le cristal était parfaitement pur [ces impuretés métalliques sous forme de rouilles constituent ainsi l'élément fondamental de la Pierre].
    C'est ce qu'a constaté Beudant sur l'alun et le sulfate de fer [vitriol vert dont nous parlons dans la section chimie et alchimie], en les faisant cristalliser au milieu d'un précipité pulvérulent de sulfate de plomb [voici qui rappelle plutôt les procédés spagyriques].
    Dans la nature, on a remarqué depuis longtemps que les cristaux de quartz hyalin, mélangés mécaniquement d'oxyde de fer ocreux, jaune ou rouge de même que ceux d'axinite mêlés de paillettes de chlorite, et surtout ceux de calcaire, pénétrés de grains de sable quartzeux, ont une forme des plus simples et des plus régulières [ainsi, on voit que l'intrusion de Soufres permet d'obtenir comme un « modelé » de la Pierre qui semble augmenter ou accroître sa capacité cristalline].
    - L'influence des matières qui cristallisent ensemble (II) et qui se mélangent dans une cristallisation commune, n'est pas moins manifeste que celle des particules simplement interposées ; elle est même beaucoup plus sensible. En général, les mélanges chimiques et cristallins agissent moins pour troubler la transparence du corps [il s'agit aussi du Corps, en terme hermétique], mais ils contribuent aussi à modifier sa couleur et ils produisent quelque modification dans la valeur des angles du cristal. Enfin, la nature et les proportions des substances mélangées déterminent ordinairement des changements dans la configuration extérieure, de telle sorte que les mêmes formes correspondent souvent à des conditions de mélange tout-à-fait semblables. On doit à Beudant, Leblanc et Mitscherlich un très grand nombre d'observations sur les mélanges cristallisés des sulfates hydratés de cuivre, de fer et de zinc.
    La nature particulière du liquide, au milieu duquel le cristal s'est formé, produit souvent une modification de forme du cristal, bien que celui-ci ne lui ait emprunté aucun élément étranger. Des sels, dissous dans le liquide, et qui ont refusé de s'incorporer au cristal, ont pu agir par leur présence seule

    [Fulcanelli ne dit-il point que « rien d'étranger » ne doit être ajouté au Mercure ; souvenez-vous aussi que des étrangers étaient sacrifiés au culte d'Artémis ; pensez enfin à la parabole du massacre des Innocents de N. Flamel, etc.].

    Il faut également évoquer la nature des parois des vases qui contiennent les dissolutions salines : ainsi, une solution cristallise plus rapidement dans un vase de terre poreuse que dans un verre ; le poli des surfaces, leur porosité ou perméabilité plus ou moins grande, paraissent être les causes auxquelles on peut attribuer ces différences. De même intervient la position particulière des cristaux déjà formés : Leblanc est ainsi parvenu à faire grossir des cristaux à volonté dans un sens ou un autre, en changeant convenablement et à plusieurs reprises leur position au fond du vase. Enfin, la solution mère oblige le cristal à adapter l'orientation de ses axes : si, d'une dissolution d'alun, qui a donné des cristaux cubiques, on retire l'un de ces cristaux pour le porter dans une autre solution mère, capable de donner des cristaux octaèdriques, on verra le premier cristal se modifier progressivement par décroissance sur les angles, d'une manière conforme à la théorie de Haüy, et parvenir bientôt à la seconde forme, en passant par la forme intermédiaire du cubo-octaèdre. Beudant a observé par ailleurs que pour obtenir des cristaux réguliers d'un sel en dissolution, il fallait que la solution fût dans un état idoine de concentration

    [cela n'est pas sans rappeler le problème du poids de nature et du poids de l'art, que l'artiste doit appliquer : aux dires de fulcanelli, le poids de nature ne peut pas être déterminé par l'homme...].

    Il existe un grand nombre de minéraux que l'on peut reproduire par la voie sèche et qui cristallisent en passant de l'état liquide ou de fusion, ou bien de l'état de vapeur ou de sublimation, à l'état solide. Nous avons évoqué dans la section sur le Mercureles produits cristallisés à partir des scories des laitiers de hauts-fourneaux, qui ont été étudiés par Haussmann et Mitscherlich [on y trouve notamment des oxydes, des silicates et des sels métalliques qui peuvent nous intéresser]. C'est dans ce cadre qu'ont été notamment reproduits le péridot et le pyroxène. MM. P. Berthier et E. Mitscherlich ont réalisé en 1823 un grand nombre d'expériences sur la formation et la cristallisation par voie de fusion ignée des silicates : en mettant dans un creuset les proportions de base et de silice nécessaires pour former un silicate fusible, tel que le pyroxène et le péridot, ils ont bien vu ces substances se produire et cristalliser par le
     


    FIGURE X
    (agrégat d'olivine de l'île de Ténériffe [Îles Canaries], et péridot taillé, Arizona, USA)

    refroidissement [nous avons rendu compte des expériences les plus cruciales dans la section sur le Mercure].
    Parmi les minéraux produits par fusion, on doit d'abord distinguer les résultats obtenus par M.A. Gaudin [Formation artificielle des minéraux ; Comptes Rendus Acad. Sci., t. V, 1837].
    Nous noterons que que l'une des expériences de Gaudin a eu lieu en présence d'un autre savant, Dufrenoy, qu'il relate ainsi :

    «  Dans une expérience qu'il a répétée en ma présence, il a fabriqué des cristaux de rubis, dans lesquels j'ai reconnu la forme rhomboédrique du corindon et son clivage triple. M. Malaguti qui a fait l'analyse de ces cristaux, a constaté qu'ils étaient composés de 97 d'alumine et de 2 de silicate de chaux, composition analogue à celle du rubis. La potasse a été volatilisée par la haute température développée dans cette opération. Les expériences de M. Gaudin remontent à 1837 ; cette date donne la priorité à cet ingénieux physicien, pour la production artificielle du corindon ».

    Ebelmen, dont nous évoquons les travaux dans la section sur le Mercure, a eu l'idée d'étendre à la voie sèche, aux hautes températures, le procédé -très connu aux températures ordinaires-, par lequel on dissout un corps solide dans un liquide, et où l'on fait évaporer lentement le dissolvant. En particulier, en fondant avec du borax de l'alumine mêlée d'un peu de chromate potassique ou un mélange d'alumine et de magnésie [voyez ce qu'en dit Fulcanelli], il a obtenu de beaux cristaux de corindon et de spinelle. En opérant toujours dans les mêmes conditions et en faisant varier la nature des substances mélangées, il a fait ainsi cristalliser -à des températures de beaucoup inférieures à leur point de fusion- un bon nombre de substances insolubles et infusibles parmi lesquelles on peut citer le fer chromé, la cymophane et l'émeraude [cf. section sur le Mercure pour des détails de technique opératoire].

     


     

    Nous allons aborder à présent un point de vue singulier sur la cristalisation présenté par l'un des savants du XIXe siècle ; ce point de vue a paru avoir assez d'intérêt pour qu'il ait pu faire l'objet d'une communication aux Comptes Rendus et qu'il ait débouché sur une publication aux éditions scientifiques Gauthier-Villars

    [L'architecture du monde des atomes dévoilant la structure des composés chimiques et leur cristallographie, Marc-Antoine Gaudin, Gauthier-Villars, 1873].

    Ce point curieux fut controversé à l'époque - il n'a pas été retenu depuis - et représente néanmoins pour nous un élément important à verser au dossier de l'alchimie ; voici ce point : Marc-Antoine Gaudin, que l'on vient d'évoquer dans les expériences de synthèse minéralogiques [cf. section sur le Mercure],  a essayé de démontrer que les atomes des molécules étaient diposés non pas comme on le croyait alors sous une forme sans ordre ou sans harmonie, mais bien plutôt, qu'une symétrie admirable se manifestait dans leur disposition. Il paraît que Gaudin soit arrivé, par la reconnaissance du groupement et la disposition que doivent avoir les atomes dans les molécules, à indiquer des erreurs dans plusieurs analyses chimiques, à les rectifier, et de nouvelles expériences ont donné raison à sa théorie. M. Gaudin a refait la théorie atomique, qu'il a appliqué aux lois de Haüy non plus seulement pour les cristaux, mais à la formation de tous les corps, de manière à faire croire qu'une combinaison chimique quelconque, la cristallisation d'atomes, procédait d'une cristallogénie. Ainsi, même dans les corps supposés amorphes tels que l'opale, l'ambre, c'est-à-dire dans lesquels les molécules sont disposées sans ordre, chaque molécule apparaît comme un cristal ; les atomes qui la composent seraient distribués dans un ordre absolu avec une régularité parfaite, en sorte que chaque molécule formerait pour l'oeil qui pourrait apercevoir cet ordre [on appelle cela une expérience de pensée ; on peut y rattacher le « démon » de Newton ou le « démon » de Maxwell], une figure géométrique des plus harmonieuses, des plus ravissantes.
    M. Gaudin a représenté ces molécules en grand, avec des billes ordonnées symétriquement ; il les a aussi représentées par des gravures et ces travaux furent, en leur temps appréciés à l'Académie des sciences par des savants aussi éminents que Dumas et Elie de Beaumont. Ces expériences, fort controversées, nous le répétons, ne sont pas sans faire rappeler les notions cristallographiques que possédaient les Anciens, à commencer par Pythagore et Platon...
    En quoi la représentation de ces molécules nous intéresse-t-elle dans notre quête de « l'image » de la Pierre philosophale ? Il semble, précisément, que la représentation de la structure cristalline ait une importance capitale ainsi que l'atteste Fulcanelli, E. Canseliet et aussi Jacques Bergier. Or, cette représentation cristalline est intimement dépendante des rapports échangés entre la « résine de l'or », c'est-à-dire la matière siliceuse et/ou alumineuse de la Pierre et l'oxyde métallique [le Soufre] qui va conférer à ce « squelette » des modifications tridimensionnelle dans sa conformation moléculaire -en d'autres termes, c'est l'intrusion du Soufre [assimilé à l'Âme en équivalent alchimique] dans le Sel [le Corps ou résine métallique] qui va déterminer les principales qualités de la Pierre et notamment son architecture moléculaire. La nouvelle idée - ou hypothèse de travail - que nous avons souhaité défendre ici a donc consisté à voir si, dans les travaux portant sur l'isomorphie, on pouvait trouver des indices permettant de fonder une analogie entre la forme extérieure de la Pierre et la molécule cristalline, c'est-à-dire l'élément physique pris en tant que tel. Nous avons donc cru, ici, d'un certain intérêt de nous arrêter sur les travaux de Marc-Antoine Gaudin et sur la représentation cristalline qu'il a conçu des atomes. Nous examinerons d'abord un passage d'un Rapport sur les progrès de la minéralogie, dû à Gabriel Delafosse. Ce rapport, rédigé en 1868, évoquait les relations entre la composition chimique et la forme moléculaire.

    En se fondant sur ce principe que dans les cristaux, la symétrie de la forme extérieure doit être la même que celle de la forme moléculaire , plusieurs savants ont eu l'idée de rechercher la relation qu'on sent bien devoir exister entre cette forme et la composition atomique de la substance ; ces savants ont essayé de construire géométriquement et mécaniquement la formule qui exprime cette composition, en groupant tous les atomes qu'elle donne sous la forme d'un polyèdre, à centre vide ou à noyau central, qu'on puisse regarder comme la forme représentative de la molécule. Enfin, ces savants ont admis que, dans la structure de ce polyèdre, des atomes de même espèce ou des groupes d'atomes semblables, doivent toujours occuper des sommets identiques. La symétrie de la molécule étant celle qui caractérise le système cristallin et qui est connue d'avance, sa forme doit être une des formes mêmes de ce système. Ampère avait essayé de déterminer les proportions atomiques des combinaisons chimiques d'après certains polyèdres symétriques qu'il regardait comme les formes représentatives de leurs molécules...M.A. Gaudin s'est proposé de rechercher, comme lui, la forme des molécules chimiques d'après les seules données de la théorie des atomes et à l'aide de certaines idées qu'il s'était faites a priori sur la symétrie qui leur est propre. La théorie qu'il a ainsi créé, et à laquelle il a donné le nom de morphogénie moléculaire, est fondée sur plusieurs hypothèses et conduit à des conséquences qu'il est bien difficile d'accepter, parce qu'elles paraissent en opposition avec les  principes et les faits généralement admis. La symétrie dont [Gaudin] il parle n'a rien de commun avec celle dont il est question dans les précédentes recherches sur la forme des molécules...M. Gaudin construit ses molécules d'après des règles arbitraires, sans avoir égard à la forme qu'elles prendront en cristallisant, et il essaye ensuite de les accomoder aux exigences des faits cristallographiques. Nous ne dirons rien de plus sur ce travail, qui a occupé son estimable auteur pendant plus de trente années et qui, dans l'ensemble de ses parties, successivement publiées, attend encore la sanction du corps savant auquel il a été présenté...
    Voila un texte assez singulier...Nous ajouterons que M.A. Gaudin était un physicien distingué, lauréat de l'Académie des Sciences et dont les travaux ont trouvé des échos très favorables auprès de personnalités telles que Gay-Lussac et H. Becquerel.
    Et maintenant, nous dira-t-on, quel rapport entre ces travaux cristallographiques et l'alchimie ? Il s'agit de la recherche de structures cristallines préparées à un haut degré de pureté ; ces structures cristallines représentent tout simplement la résultante de la conjonction du principe Soufre [l'oxyde ou chaux] avec le Sel : cependant, la prudence s'impose dans l'analyse des figures que l'on verra plus loin. En effet, l'analyse de ces objets cristallins peut nous renvoyer à des conceptions képlériennes dont la perspective ontologique pourrait se ressentir d'une certaine irrationalité... Précisément, dans l'ouvrage que nous allons parcourir, nous serons amenés à mettre le doigt sur des inconnues dont rien au préalable n'assure qu'elles peuvent accéder à une authentique représentation physique [entendez, la vision réelle de molécules ayant le pouvoir de donner des corps sous forme cristalline] et ces analyses risqueraient de faire croire à l'existence de ce qui en fait n'existe pas. Du moins est-ce pour nous la seule manière de visualiser cette correspondance entre les deux principes [il s'agit du double Soufre dont nous parle Fulcanelli aux DM, ce double Soufre dont il feint de nous faire croire qu'il pourrait s'agir du double Mercure afin de mieux brouiller les cartes...]. En résumé, cet exposé sera l'occasion d'examiner les rapports symboliques et analogiques d'ordre formel de même que les rapports physiques d'ordre factuel que susciteront les commentaires et les images de ce livre absolument singulier et unique en son genre. Mais, revenons d'abord un instant sur Fulcanelli qui va nous donner l'occasion de préciser certaines allégories sur le Soufre que nous n'avons pas révélées jusqu'à présent ; du Soufre  :

    "...après la connaissance du dissolvant universel, -mère unique empruntant la personnalité d'Eve,- il n'en est point de plus importante que celle du soufre métallique, premier fils d'Adam, générateur effectif de la pierre, lequel reçut le nom de Caïn. Or, Caïn signifie acquisition, et ce que l'artiste acquiert tout d'abord c'est le chien noir et enragé dont parlent les textes, le corbeau premier témoignage du Magistère...C'est aussi...le poisson sans os, échénéis ou rémora « qui nage dans notre mer philosophique », et à propos duquel Jean-Joachim d'Estinguel d'Ingrofont assure que « possédant une fois le petit poisson nommé Remora, qui est très rare, pour ne pas dire unique dans cette grande mer, vous n'aurez plus besoin de pêcher, mais seulement de songer à la préparation, à l'assaisonnement et à la cuisson de ce petit poisson »..." [DM, I, p. 322]

    Ce rémora [remora : retard, frein] est l'allégorie du début de la cristallisation ; par diatribw, il indique des substances qui ont été au préalable réduites en poudre, broyées - Caïn est là pour fouet [caio : fouetter = flagro : brûler, être ardent], impliquant un traitement par le feu ; le chien [cunoV], par assonance phonétique [kunoV] renvoie à faire fondre [voyez l'emblème XLVII de l'Atalanta fugiens]. Le terme enragé évoque de l'écume et une substance qu'il faut apprendre à « mater » par le « fouet » mais aussi par le « frein » ; tout cela implique donc la connaissance de l'art de savoir d'une part, porter sous une forme dissoute une substance infusible,  et de savoir d'autre part soit régler le calorique de sorte qu'il n'y ait pas volatilisation immédiate, soit ajouter au mélange un autre corps : c'est là que gît le grand secret de l'alchimie. Il importe donc qu'il existe un médiateur qui apporte la « concorde » entre les deux substances que l'on souhaite conjoindre

    [nous avons longuement parlé dans les autres sections de ce médiateur ou envoyé, ou héraut qui trouve son équivalent hermétique dans la lyre d'Orphée].

    L'allusion à la rareté du rémora trouve son explication par le terme ioV [un seul, un] qui se rapproche de ioV [rouille du fer, vert-de-gris] dont nous parlons dans la section sur les Gardes du corps de François II et qui permet d'expliquer la relation à l'ionosphère qu'évoque E. Canseliet dans ses Etudes de symbolisme alchimique. Le mot ion [violette noire, d'un bleu ou d'un violet sombre] achève de nous édifier sur les rapports entre les chaux et les oxydes, par là nommés. Le reste de la citation de d'Estinguel d'Ingrofont évoque les préparations du 3ème oeuvre, c'est-à-dire les opérations sur le Soufre, qui nous intéressent ici tout particulièrement. La pêche de ce poisson, enfin, nous rappelle l'obligation de disposer du conducteur ou Mercure [agoV], signalé aussi par agraioV [particul. d'Apollon] et Agra [dème attique avec temple à Artémis]. On peut avoir de cette analyse une vision un peu moins prosaïque en nous aidant, d'une part des Etudes alchimiques d'E. Canseliet et d'autre part en lisant cet extrait des synthèses minéralogiques dans un ouvrage sur les Pierres précieuses [J. Rambosson, Firmin-Didot, 1884] :

    Ce qui étonnera bien des chimistes, dit M. Gaudin, c'est que le manganèse et le nickel donnent constamment, l'un et l'autre, la nuance du jaune-orangé.  Le chrome donne, au feu de réduction, un bleu céleste un peu verdâtre, et au feu d'oxydation un vert sombre, pour ainsi dire enfumé, qui n'est que l'ombre du vert émeraude, lequel vert se produit seulement avec le cuivre à un feu tout spécial. A force d'art, on fait du cuivre un Protée, dont on tire toutes les nuances imaginables [in Comptes rendus Acad. Sci., t. LXX].
    Mettons ce texte, écrit par un physicien [M.A. Gaudin était calculateur au bureau des Longitudes ; la somme des travaux qu'il a entrepris semble impressionnante], en parallèle avec celui-ci, de Philalèthe :

    "De là naîtra le Caméléon, c'est-à-dire notre Chaos12, où sont cachés tous les secrets, non pas en acte, mais en puissance. C'est là cet enfant Hermaphrodite, empoisonné dès le berceau par la morsure du Chien enragé de Corascène13, à cause de quoi une hydrophobie permanente, ou peur de l'eau, le rend fou et insensé14; et alors que l'eau est l'élément naturel le plus proche de lui, il l'abhorre et la fuit. Ô Destins !"

    Ce texte est extrait de l'Introïtus, VII avec en annexes des commentaires auxquels on voudra bien se reporter. Qu'est-ce-que ce caméléon représente ? Protée [PrwteuV] : fils de Poséïdon et de Téthys,

    Protée est une divinité secondaire de la mer, chargée de garder les troupeaux de phoques qui appartiennent à son père. Il était surtout célèbre par son pouvoir de divination. Il savait parfaitement indiquer ce qui fut, ce qui est et ce qui doit être. Mais ce « vieillard de la mer1 », peu aimable, se refusait toujours à proférer ses prédictions. Cependant, la légende raconte que quiconque souhaitait apprendre de lui l'avenir, n'avait qu'à venir le trouver vers midi, heure de sa sieste, et à le charger de chaînes2. Surpris et furieux, Protée se métamorphosait en une série de monstres3, tous plus effrayants les uns que les autres. Il prenait même l'apparence  insaisissable de l'eau et du feu4. Cependant, si le consultant tenait bon et ne s'effrayait pas, il reprenait sa forme première et consentait à parler. C'est ainsi que Protée apprit à Ménélas par quels moyens il pourrait retourner dans sa patrie et que, grâce à ses conseils, Aristée5 put repeupler ses ruches détruites par les Dryades.

    1. Il correspond très précisément à la définition du Mercure philosophique ;
    2. par cabale, midi correspond à l'époque de la complète dissolution ; ce midi est donc en alchimie l'éclipse du soleil et la phase de putréfaction [i.e. d'apparente disparition du Rebis dans le compost, hybride du Mercure et des chaux] ;
    3. l'allégorie est claire ; il faut arriver à « domestiquer » Protée afin d'assurer la poursuite du travail hermétique : il faut, au sens propre du terme, le freiner ;
    4. il s'agit d'états intermédiaires : c'est là que nous faisons intervenir E. Canseliet : dans son introduction à l'Alchimie, nous relevons p. 16 cette relation :

    "Pourquoi s'attaquer aux ondes que les anciens philosophes dénommaient, fort justement les eaux célestes et supérieures...Que leur importe...que soit perturbé le fluide qui demeure tellement peu ou mal connu des plus savants de l'heure, mais dont les véritables alchimistes connaissaient  et utilisaient la très étroite affinité avec le sujet minéral, dispensateur du même dynamisme, au sein du microcosme philosophal...les hommes semblent s'appliquer, dans leur jeu diabolique, à faire tourner le monde à l'envers..."


    FIGURE XI
    (Typus Mundi, Antverpiae)
    (légende d'E. Canseliet : Sous l'impulsion de la discorde, l'humanité dans son jeu infernal,
    fait tourner le globe la tête en bas)

    Il s'agit donc du globe crucifère - ou antimoine saturnin d'Artephius dont les lecteurs apprendront le nom vulgaire - revêtu d'animaux variés, personnifiant Protée. Les ondes [aestus], nous les avons déjà évoquées dans la section sur les Gardes du corps. Nous ajouterons seulement qu'elles correspondent -ainsi qu'en témoigne l'image- à une époque troublée où l'ardeur du feu le dispute à l'agitation des flots ; l'allusion à la racine aes [airain, bronze, cuivre] est évidemment purement fortuite...les ondes, c'est aussi cuma

    [qualité de ce qui est en fusion, un mélange de plusieurs sucs dont l'un aurait peut-être quelque acidité, en ce qu'il est comparé par Canseliet au suc des abeilles, i.e. ioV ; nous y verrions volontiers le borassoV dont nous parlions plus haut]

    et l'on peut en rapprocher atoV [insatiable, rusé, cf.  Introïtus, VI]. Fulcanelli évoque ainsi Protée  :

    "C'est aussi le fameux vitriol vert, oleum vitri, que Pantheus décrit comme étant la chrysocolle, d'autres le borax ou atincar ; le vitriol romain, parce que Pwmh, nom grec de la Ville éternelle, signifie force, vigueur, puissance, domination ; le minéral de Pierre-Jean Fabre, parce qu'en lui, dit-il, l'or y vit (vitryol). On le surnomme également Protée, à cause de ses métamorphoses pendant le travail, et aussiCaméléon (Camailewn, lion rampant) parce qu'ils revêt successivement toutes les couleurs du spectre." [ DM, I, p. 249]

    Cette remarque de Fulcanelli est en parfait accord avec nos observations. Le lecteur doit tout de même savoir, qu'en langage vulgaire, le caméléon est une porcelaine à base de rubis artificiel, qui change de coloration suivant les angles sous lesquels on la regarde. Il n'est là encore qu'une coïncidence, d'observer que dans le ciel de l'hémisphère austral, le Caméléon est une constellation située entre le pôle [l'étoile polaire, celle sur laquelle le timonnier - l'artiste - doit diriger le travail] et le Navire [le bateau Argos, qui est un compendium du 3ème oeuvre]. Le Typus de la FIGURE XI est ici homonyme - par cabale phonétique - de TijuV, le pilote des Argonautes et donc, le pilote de l'onde vive.
    5. le fils d'Aristée a un destin semblable au Mercure : petit-fils d'Apollon et de Cadmos, il se nommait Actéon et devait périr, changé en cerf par Artémis et dévoré par des chiens. Cette allégorie se rapporte à cette époque du 3ème oeuvre où le Mercure se sublime, laissant alors les colombes de Diane.

    Il s'agit donc ici de coaguler l'eau mercurielle en sorte de « prendre au filet » pour les coaguler, les poissons dont parle Lambsprinck dans son De lapide philosophorum : c'est de cette coagulation progressive que procède la cristallisation du Soufre et du Sel que l'on veut conjoindre et dont nous avons vu plus haut que l'un des moyens d'y parvenir consistait à volatiliser lentement le « conducteur » ou double Mercure. La préparation du bain mercuriel [balaneiw] nécessite par conséquent la présence d'un agent de liquéfaction qui n'est autre que le dissolvant universel, voilé sous l'arcane du chêne

    [balanoV, dont l'une des acceptions possibles est la datte ; nous renvoyons ici le lecteur à ce que nous a inspiré le dattier et le figuier dans notre commentaire du Verbum Dimissum de Bernard de Trévise] ;

    l'action de ce borassoV [dont le lecteur connaît à présent le nom vulgaire] aura comme effet de liquéfier les principes immédiats de la Pierre [drosoV = liquide, gelée blanche, rosée] ; à une époque ultérieure, et par la juste application du calorique, le borassoV, largement volatilisé
     


    FIGURE XII
    (caisson n°3 de la 5ème série)

    [pthsimoV : ailé, qui peut s'envoler, proche par cabale de : pthssomai : j'effraie, j'épouvante qui nous rappelle évidemment la légende d'un phylactère de l'un des caissons du château de Dampierre-sur- Boutonne]

    laissera intact la rosée condensée [droso-paghV] qui est cette cristallisation [pagoV] tant recherchée. Dans cette opération, c'est la « résine de l'or » qui aura servi de filet, dans les mailles [brocoV] duquel les « petits poissons gras » d'Isaac Newton et de Jean d'Espagnet [1, 2] se seront fixés [pagiV]. Fulcanelli, plus loin, nous donne de plus amples détails sur ces « violettes pourpres » ; d'abord, il semble préférable de ne point l'extraire du milieu qu'il habite en lui laissant au besoin assez d'eau pour entretenir sa vitalité [comprenez : c'est une chaux qui doit être hydratée] et d'autre part :

    "C'est un corps minuscule, -eu égard au volume de la masse d'où il provient, - ayant l'apparence extérieure d'une lentille bi-convexe, souvent circulaire, parfois elliptique. D'aspect terreux plutôt que métallique, ce bouton léger, infusible mais très soluble, dur, cassant, friable, noir sur une face, blanchâtre sur l'autre, violet dans sa cassure..."

    C'est un puzzle spirituel, que cette lentille : elle correspond au Caput qu'évoque cette gravure de Lambsprinck lorsque le chevalier s'apprête à la décapitation, c'est-à-dire à une véritable « réduction »
     


    FIGURE XIII
    (De Lapide Philosophorum, seconde figure - Putréfaction)

    légende

    Ici prenez garde diligemment à la bête sauvage noire dans la forêt

    texte (extrait)

    La noirceur est nommée tête de corbeau - Bientôt après qu'elle aura disparu - Se montrera la couleur blanche - A juste titre alors on la nommera chose privée de tête - Lorsque le nuage noir aura disparu, croyez-moi, - De ce don les Philosophes donc, - Se réjouissent en leur âme-...

    Il est clair que cette réduction, par laquelle on prépare le principe soufre [Âme], n'est autre que ce corps minuscule dont parle Fulcanelli. L'aspect terreux nous dévoile qu'il a rapport avec la chaux [qui est une rouille du calcium], la couleur violette dans la cassure signe sa forme oxydée. Les couleurs blanche et noire expriment la même idée que l'on trouve dans le texte de Lambsprinck, annexé à la figure XII. Enfin, cette lentille se révèle être l'expression d'un jeu de mots en grec

    [jakoV : objet en forme de lentille = jakioV : du pays des lentilles, ethnique dérivé par jeu de mots de jakoV, au lieu de PaiosV : de Chypre, avec un temple à Aphrodite, renvoyant donc à une pyrite de fer ou de cuivre].

    Sur le Soufre :

    "Tout l'art se résume à découvrir la semence, soufre ou noyau métallique, à la jeter dans une terre spécifique, ou mercure, puis à soumettre ces éléments au feu, selon un régime de quatre températures croissantes..." [DM, II, p. 118]

    Ce noyau métallique renvoie à os [cendre] et, au vrai, il s'agit bien là d'une cendre métallique. L'action exercée sur la materia prima est donc par le feu approprié [puroV], de faire fondre la substance et d'en extraire le noyau [purhn] ou cendre métallique. Le régime des quatre températures nous rapelle l'écusson qui orne la cheminée du château de Fontenay-Le-Comte et dont nous avons parlé plusieurs fois (1, 2, 3). A un autre passage, Fulcanelli nous dévoile pratiquement l'arcane :
     

    "C'est ainsi, par exemple, qu'un kilogramme d'excellent fer de Suède, ou de fer électrolytique, fournit une proportion de métal radical, d'homogénéité et de pureté parfaites, variant entre 7 grammes 24 et 7 grammes 32. Ce corps, très brillant, est doué d'une magnifique coloration violette...analogue, pour l'éclat et l'intensité, à celle des vapeurs d'iode." [DM, II, p. 287]

    Il est clair que c'est d'un oxyde qu'il est question ici ; le terme radical employé par Fulcanelli est ambigu, parce qu'il s'agit précisément d'un métal auquel on a retiré l'oxygène. Rien n'est plus curieux que de comparer, à cet égard, les idées des chimistes des XVIIe et XVIIIe siècles, sur ce phénomène de l'oxydation : au XVIIe siècle, on considérait ce phénomène comme une transformation du métal en chaux ou terre métallique, en vertu de la fixation de l'air ; au XVIIIe siècle, on pensait que les métaux perdaient par la chaleur un principe appelé phlogistique et se convertissait, par cela même, en terre métallique : les métaux semblaient donc formés de terre métallique et de phlogistique. Lavoisier, dans son Traité élémentaire de chimie écrit d'ailleurs afin d'éviter une confusion facheuse :  

    "Les anciens ont donné le nom de chaux, non-seulement aux métaux amenés à cet état, mais encore à toute substance qui avoit été exposée long-tems à l' action du feu sans se fondre. Ils ont fait en conséquence du mot chaux un nom générique, et ils ont confondu sous ce nom, et la pierre calcaire, qui d' un sel neutre qu' elle étoit avant la calcination, se convertit au feu en un alkali terreux, en perdant moitié de son poids, et les métaux qui s' associent par la même opération une nouvelle substance dont la quantité excède quelquefois moitié de leur poids, et qui les rapproche de l' état d' acide. Il auroit été contraire à nos principes de classer sous un même nom des substances si différentes, et sur-tout de conserver aux métaux une dénomination si propre à faire naître des idées fausses. Nous avons en conséquence proscrit l' expression de chaux métalliques,et nous y avons substitué celui d' oxides..."

    Le phénomène de réduction était ainsi compris par les chimistes du XVIIe siècle : ils pensaient qu'il s'agissait de la revivification des métaux [Fulcanelli emploie le terme de réincrudation] ; ils disaient que les principes révivificateurs [réducteurs] enlèvent l'air aux chaux métalliques [oxydes] ; ces chimistes disaient aussi que les principes réducteurs sont ormés en grande partie de phlogistique ; que celui-ci, enfin, se combine avec les chaux métalliques et les change en métaux. Voici par exemple ce que l'on pouvait dire au XIXe siècle sur les Soufres ou chaux métalliques. Nous avons ajouté au texte des notes concernant les pierres précieuses, non intégrées dans la section chimie et alchimie

    Soufres du fer :

    On connaît trois oxydes de fer :

    - l'oxyde ferreux FeO
    - l'oxyde magnétique ou pierre d'aimant Fe3O4
    - l'oxyde ferrique Fe2O3

    L'oxyde ferreux FeO est obtenu en soumettant à une réduction partielle du peroxyde de fer. Pour cela, on chauffe cet oxyde dans un courant de gaz, formé de volumes égaux d'oxyde de carbone et d'acide carbonique. Il reste une poudre noire qui est l'oxyde ferreux.

    Fe2O3 + CO --> 2FeO + CO2

    L'oxyde ferrique est trouvé dans la nature à l'état anhydre dans l'hématite rouge, dans le fer
     
     

     


    FIGURE XIV
    (hématite ou fer oligiste, Île d'Elbe, Italie)

    oligiste et dans le fer spéculaire. On le prépare par cristallisation du vitriol vert. Ce sel, après avoir perdu son eau, se décompose au rouge en anhydride sulfurique, gaz sulfureux et peroxyde de fer.

    2SO4Fe --> SO2 + SO3 + Fe2O3

    On obtient ainsi une poudre rouge bien connue sous le nom de colcothar. Ce corps est amorphe tandis que le fer oligiste est cristallisé en rhomboèdres aigus. H. Deville est parvenu récemment à convertir l'oxyde ferrique amorphe en oxyde cristallisé, en chauffant le premier au rouge au milieu d'un courant très lent de gaz chlorhydrique. La rouille est un hydrate ferrique, combinaison d'oxyde ferrique et d'eau qui possède ordinairement la composition :

    2Fe2O3 + 3H2O

    Un tel hydrate se rencontre aussi dans la nature. Un autre hydrate naturel, Fe2O3 + H2O, est connu sous le nom de goethite.

    extrait du Cours de chimie de Wurtz
    Corrélat alchimique  = le Soufre du fer donne la teinture de certaines variétés de rubis, de saphir, de spinelle, du péridot ou de la chrysolite [olivine], de la tourmaline. Cet hydrate ferrique correspond peut-être à ce que Fulcanelli appelle «humide radical métallique » ; nous avions, en effet, évoqué dans la section sur le Mercure la posibilité que cette expression ait été réservée à l'hydrogène sulfuré. Il nous paraît à présent qu'elle serait plus appropriée pour définir un oxyde hydraté.
     
     


    FIGURE XV
    (rubis sur quartz, norvège et rubis taillé, Birmanie)

    Le corindon - du mot corund - nom que lui donnent les Indiens, est composé d'alumine presque pure. Il est la base de toutes les pierres précieuses dites orientales, les plus belles et les plus estimées après le diamant. Il peut présenter toutes les couleurs connues ainsi que les nuances intermédiaires. Au XIXe siècle, M. Gaudin, Ebelmen, H. de Sainte-Claire Deville, Caron sont parvenus à produire de petits cristaux ayant tous les caractères du genre corindon [cf. section du Mercure]. Le beau rubis oriental est plus rare et plus cher qu'un beau diamant. C'est un corindon coloré par l'oxyde de fer. Pour être parfait, il doit être d'un rouge éclatant et foncé ; il y en a de couleur gelée de groseille et de violets. Il est souvent altéré par des reflets laiteux. Le rubis oriental a la réfraction double et subit la plus grande violence du feu sans altération de forme et surtout de couleur.
    La tourmaline est une pierre précieuse qui s'appelle aussi aimant de Ceylan, aphrisite ; elle est composée de silice, d'alumine et d'oxyde ferrique, avec des quantités notables d'acide borique, de potasse et de magnésie. il en existe plusieurs variétés : les rouges que l'on appelle rubéllites ; les bleues, indicolites ; les vertes, émeraudes du Brésil. Les tourmalines deviennent électriques quand on les échauffe et elles présentent alors un fait remarquable : une de leurs extrémités s'électrise positivement, tandis que l'autre s'électrise négativement. elles polarisent la lumière et les physiciens en font usage pour étudier la nature de la double réfraction dans les cristaux.

    Soufres du chrome

    Nous avons déjà parlé du chrome dans d'autres sections (1, 2, 3) en raison de l'importance suscitée par ce métal dans la composition de certaines gemes orientales.


    portrait de Vauquelin

    Le chrome a été découvert par Vauquelin en 1797 ; les alcalis fixes, leurs carbonates et leurs nitrates l'attaquent par la voie sèche et le convertissent en acide chromique. Le protoxyde de chrome est d'un beau vert d'herbe ; l'oxyde de chrome ne se combine pas très fachlement avec les flux vitreux, et souvent, il reste disséminé dans les verres en grains pulvérulents ; avec le borax, il fond difficilement et donne un verre d'un beau vert-émeraude. Le chromate acide ou bichromate de potasse [alun de chrome] cristallise en larges tables rectangulaires. Il est d'un très beau rouge-orange. il se fond sans s'altérer au rouge naissant, puis à une chaleur plus forte, il se décompose en partie et il s'en sépare de l'oxyde de chrome sous forme de paillettes micacées d'un vert intense. Chauffé dans un creuset brasqué, sans addition, à 1500°C, il donne un culot caverneux d'oxyde de chrome d'un vert foncé, enveloppé d'une pellicule de chrome métallique. Le bichromate de potasse se fond facilement à la chaleur rouge avec du carbonate de chaux : il se forme des chromates doubles ; ces composés sont d'un jaune bleuâtre et renferment une certaine quantité d'oxyde de chrome. On fait [au début du XIXe siècle] un très grand usage des chromates alcalins dans la teinture, surtout de bichromate de potasse. On les prépare avec les minerais qui portent le nom de fer chromé et qui sont des composés d'oxyde de chrome, de peroxyde de fer, d'alumine et de silice.
    Le protoxyde de chrome natif est d'un vert-poireau un peu grisâtre ; on ne le trouve en petites quantités qu'au Couchet, dans le département de Saöne-et-Loire, dans l'arkose [sorte de grès] et en Dalécarlie, dans un porphyre.
    La wolkonskoïte d'Okhusks, à Pern en sibérie, paraît être une sorte d'écume de mer colorée par de l'oxyde de chrome. Ce minéral se trouve en veines minces et en nids dans un grès. Sa couleur est le beau vert d'herbe.
    Le spinelle rouge ou rubis est un minéral rare. M. Vauquelin l'a trouvé composé de  :

    Alumine.................0.8247
    Magnésie..............0.0878
    acide chromique....0.0618


    FIGURE XVI
    (rubis, Inde)

    L'émeraude : celle qui contient de l'oxyde de chrome est d'un très beau vert-poireau et ordinairement transparente ; celle qui ne contient pas de chrome est d'un vert pâle ou même incolore, transparente ou opaque. L'émeraude est composée de  :

    silice....................0.685
    Glucine................0.125
    oxyde de chrome..0.03
    oxyde de fer.........0.001

    Les serpentines, enfin, sont des pierres qui ne renferment ordinairement que des traces d'oxyde de chrome.

    extrait des Essais par la voie sèche de Berthier

    Corrélat alchimique = teinture du corindon aboutissant au rubis spinelle. M. Gaudin a communiqué à l'Académie des Sciences un important mémoire sur la formation de ces gemmes. C'est vers 1838 qu'il a obtenu des rubis artificiels au feu du chalumeau oxy-hydrogène. Ces rubis étaient identiques aux rubis naturels sous le rapport de la composition chimique, de la dureté et de la couleur ; mais ils manquaient de limpidité en raison d'une cristallisation partielle que le savant chimiste n'avait encore pu éviter pour les gros globules. A cette époque, il obtint aussi une géode de corindon discernable à l'oeil nu ; elle avait été produite en fondant avec un chalumeau en platine dans un creuset de noir de fumée, un fragment d'alun potassique. 500 g du même alun qu'il avait remis à M. Brongniart, pour le calciner dans le four à porcelaine de Sèvres, s'étaient transformés, au grand étonnement du célèbre minéralogiste, en une masse pesante, à particules brillantes, qui était un véritable corindon compact artificiel. M. Gaudin a voulu aussi produire des cristaux isolés en évaporant partiellement le dissolvant ou en provoquant un refroidissement lent, propre à accroître les cristaux suspendus dans un liquide pâteux. Pour produire ces cristaux, il introduit dans un creuset ordinaire, brasqué avec du noir de fumée, parties égales d'alun et de sulfate potassique, préalablement calcinés et réduits en poudre. En cassant le cruset, 15 min. après, on trouve dans le creux de la brasque une concrétion hérissée de points brillants composée de sulfure de potassium, empâtant les cristaux d'alumine. Ce procédé, toutefois, ne permet pas d'obtenir des pierres colorées, à cause du pouvoir destructeur du carbone, qui transforme en globules métalliques tous les oxydes colorants. Les cristaux sont d'autant plus gros que l'on agit sur de plus grandes masses et avec une durée de calcination plus longue. La limpidité de ces cristaux est extrême ; avec un microscope de 300 diamètres, les bases de rhomboèdre montrent des triangles équilatéraux formés par des lignes d'une pureté exquise, et dans un de ces triangles, on voit quelquefois trois cents pierres de couleur entables hexagonales qui sont séparées de la abse par une marge très pure. D'après les recherches de M. Gaudin, c'est le sulfure de potassium qui devient un disolvant de l'alumine ; car on obtient les mêmes cristaux en plaçant dans la brasque de l'alumine calcinée avec du sulfure de potassium [cf. la section sur la Pierre]. En conséquence, les sulfures, les fluorures, c'est-à-dire les composés binaires résistant considérablement à la décomposition, à la volatilisation, pourraient nous forunir les moyens d'obtenir une foule de cristaux insolubles. Il semble même que Gaudin ait été sur la voie du diamant de synthèse, puisqu'il est parvenu en plaçant dans la brasque du sulicate de potasse avec du sulfure de potassium, à obtenir un verre enfumé exempt d'alumine et de bore, qui raye le rubis.

    Soufres du cuivre :

    Il existe dans la nature du cuivre natif mais le principal minerai de ce métal est un sulfure double de cuivre et de fer. Ce minerai est d'abord soumis à un grillage qui transforme le sulfure de fer en oxyde de fer et anhydride sulfureux. L'oxyde de fer passe dans les scories siliceuses à l'état de silicate fusible. Le produit de cette première opération se nomme matte. 
    La matte, soumise à un traitement identique à celui que nous venons de décrire, achève de se dépouiller de fer et donne ce que l'on appelle une matte blanche. En grillant ensuite la matte blanche, on obtient le cuivre brut : le sulfure de cuivre se transforme, en effet, en anhydride sulfureux et oxyde de cuivre, et ce dernier oxyde réagit sur le sulfure non encore décomposé, en donnant naissance à du cuivre et à de l'anhydride sulfureux.  En grillant le cuivre brut dans un four siliceux, on détermine la formation d'une certaine quantité d'oxyde qui achève d'éliminer le soufre en même temps que les oxydes des métaux étrangers s'unissent à la silice du four et forment des silicates qui passent dans les scories...
    Le protoxyde de cuivre CuO peut être obtenu en chauffant du cuivre à l'air ; en calcinant l'azotate de cuivre ; en chauffant l'hydrate cuivrique ; en recueillant les scories et en les traitant à part. Le protoxyde de cuivre est une poudre noire et amorphe qui résite à une très haute température sans se décomposer ni se fondre. Lorsqu'on la chauffe trop fortement, toute la masse se réunit en un seul bloc, qui présente une extrême dureté et qui, lorsqu'on la concasse, a une couleur jaunâtre. Cet oxyde paraît être dans un état allotropique. Cet oxyde forme avec l'eau un hydrate qui se précipite sous forme d'un magma épais, bleu clair, lorsqu'on ajoute de la potasse à une solution cuivrique. Soumis à l'ébullition avec de l'eau, cet hydrate se convertit en oxyde anhydre brun. On s'en sert dans l'industrie pour colorer le verre auquel il donne une teinte verte.
    extrait des Cours de chimie de Ad. Wurtz et de A. Naquet

    Corrélat alchimique = le soufre du cuivre intervient dans la teinture de la malachite, de la turquoise et dans l'imitation de l'émeraude.


    FIGURE XVII
    (turquoise sur matrice, Nevada, USA)

    La turquoise est une pierre précieuse d'un bleu opaque ; au Moyen Âge, on lui avait donné le nom de turchis, ou pierre de Turquie. On en distingue de deux espèces :
    -la turquoise de vieille roche, que l'on appelle aussi turquoise pierreuse ou calaïte ; on la trouve en rognons ou en petites veines ; elle se compose de phosphate d'alumine, coloré par un peu d'oxyde de cuivre. L'autre espèce, que l'on appelle turquoise de nouvelle roche, turquoise osseuse ou odontolithe, provient des dents ou des os de mammifères enfouis dans le sein de la terrre, et accidentellement colorés en bleu verdâtre. On imite parfaitement la turquoise par des émaux.
    Concernant l'émeraude, nous estimons qu'elle était hors de portée des anciens alchimistes mais elle vaut la peine qu'on s'y arrête car nous aurons des choses intéressantes à dire au sujet de la cause de sa coloration. En effet, Vauquelin, après avoir découvert l'oxyde de chrome, a attribué à cet oxyde la couleur verte de cette pierre ; mais M. Leroi, en 1858, a publié des recherches concernant le gisement, la formation et la composition des émeraudes de Muso, dans la Nouvelle-Grenade [île des Petites-Antilles]. Il a attribué la coloration verte de cette émeraude, et en général des émeraudes, à la présence d'une matière organique volatile qui paraît être un carbure d'hydrogène dont la quantité semble croître et décroître avec l'intensité de la nuance. Cette nuance serait absolument inexplicable par la quantité infiniment petite d'oxyde de chrome, et tout à fait disproportionnée à l'énergie colorante que cet oxyde porte dans d'autres composés minéraux, comme dans certaines variétés de grenat. Dans son rapport sur les Progrès de la Géologie expérimentale, G. Delafosse parle de la coloration des minéraux et aborde le cas de l'émeraude :

    Depuis l'époque de Haüy on supposait généralement que les couleurs accidentelles des minéraux pierreux, et notamment des gemmes ou pierres précieuses, étaient dues à l'interposition de molécules d'oxydes métalliques, tels que les oxydes de chrome, de fer, de manganèse, etc. et on attribuait à ces couleurs une assez grande fixité. Mais déjà plusieurs savants avaient fait la remarque que beaucoup de ces couleurs sont altérables par l'action de la chaleur, qui les modifie ou les fait complètement disparaître, et que par conséquent elles doivent avoir pour principe colorant une matière d'un caractère fugace. Dans son mémoire sur les émeraudes de colombie [Recherches sur la formation et la composition de l'émeraude, Comptes rendus Acad. Sci., t. XLVI, 1858], M. Léwy avait rapporté à une matière organique la couleur verte de ces émeraudes, que depuis Vauquelin on attribue uniquement à l'oxyde de chrome. Il avait eu recours à l'intervention de cette matière, après avoir constaté sa présence dans toutes les émeraudes qu'il avait analysées, et après avoir reconnu que sa proprotion croissait avec l'intensité de la couleur, tandis que celle-ci n'était nullement en rapport avec la quantité de l'oxyde, toujours très petite, même dans les émeraudes de nuances très foncées. M. Léwy avait aussi observé la décoloration des émeraudes vertes par l'action de la chaleur, quand elles sont chauffées jusqu'au rouge. Ce fait a été contesté ; mais s'il est des émeraudes chez lesquelles la couleur verte résiste au feu, il en est d'autres où elle subit des altérations, comme l'a reconnu M. Fournet...[M. Fournet] a publié, en 1860, dans les Comptes rendus de l'Académie des sciences [t. LVIII], une suite de notices dont le but est de rejeter, au moins comme prépondérante, l'influence des oxydes métalliques dans la coloration des pierres, et de faire intervenir pour l'expliquer, à côté des oxydes, des principes d'une nature moins stable, qui seraient le plus souvent la véritable cause de cette coloration. Il admet en conséquence la diffusion, dans un grand nombre de minéraux et de roches, d'une matière organico-minérale du genre des bitumes et des pétroles, et c'est elle qui remplirait le plus souvent le rôle de principe colorant dans les émeraudes, les zircons, les topazes, les tourmalines, les quartz, les micas, etc. il pense qu'avec cette seule matière, retenue par affinité capillaire entre les molécules des cristaux, la nature peut obtenir les nuances les plus variées, non seulement dans la même espèce, mais encore dans le même échantillon. Il existe en effet des minéraux qui peuvent recevoir artificiellement une teinture organique de ce genre, et qui par conséquent auraient pu la devoir à des causes naturelles. Les observations microscopiques de MM. Brewster et Sorby sur les cristaux guttifères nous ont appris d'ailleurs que beaucoup de substances [les quartz, les topazes, les béryls, etc.] réputées anhydres contenaient dans leur intérieur de très petites cavités remplies d'eau et de matières volatiles qui ne se dégagent qu'à une très haute température. Plusieurs [les tourmalines et les quartz] montrent des couleurs variables et mobiles au gré du lapidaire ; et dans certains minéraux, comme les micas et les béryls, la matière colorante forme des nébulosités qui se résolvent sous le microscope en une multitude de petites cavités vésiculaires.
    extrait d'un Rapport sur les Progrès de la minéralogie, Gabriel Delafosse
    Ce texte est du plus grand intérêt car il nous donne de nouvelles pistes à la recherche des Soufres tinctoriaux des aluminates et des silicates qui méritent de plus amples recherches ; ainsi, n'y aurait-il pas que les rouilles des métaux qui seraient responsables de la coloration des pierres précieuses qui fascine tant l'esprit...

    Soufre du magnésium

    L'oxyde de magnésium MgO peut se préparer en calcinant l'hydrate, le carbonate ou l'azotate de ce métal. C'est surtout à partir du carbonate qu'on le prépare. Ce carbonate est lui-même préparé à parit du sulfate de magnésium. Ce dernier corps s'obtient à partir de la dolomie, double carbonate de magnésium et de calcium qui abonde dans la nature. On traite ce minerai par de l'huile de vitriol. Il se dégage de l'anhydride carbonique et il se forme à la fois des sulfates de calcium et de magnésium. On les sépare facilement par cristallisation du fait que le sulfate de magnésium - contrairement au sulfate de calcium - est très soluble. Lorsqu'on précipite la solution du sulfate de magnésie par un carbonate alcalin, il se dégage de l'anhydride carbonique et l'on obtient un précipité qui, lavé, desséché et mis sous forme de cubes, est vendu sous le nom de magnésie blanche, Magnesia alba. L'oxyde de magnésie préparé à partir du carbonate est extrêmement léger : c'est un corps blanc, infusible aux plus hautes températures. Il se dissout facilement dans les acides.
    Extrait du Cours de chimie de F.J. Malaguti
    Corrélat alchimique = On utilise le Soufre du magnésium pour la teinture du péridot et de la chrysolithe [olivine] en association avec le Soufre du fer, dans les grenats et la spessartine, la serpentine, le spinelle.
    Le grenat, employé en bijouterie come pierre fine, est essentiellement composé de silice et d'alumine ; mais ces substances y sont souvent unies au fer, à la chaux, au manganèse et à la magnésie. Les grenats doivent leur nom à la couleur de feu de la fleur du grenadier [punica granatum], sont en général opaques ; ils sont en général bien plus fusibles que la silice, fait remarquer M. Gaudin, et ils donnent facilement des fils d'une grande ténuité et d'une remarquable flexibilité. Les grenats sont pour la plupart rouges vifs et vermeils ; quelquefois coquelicots, orangés, jaunâtres, verdâtres et bruns-noirs. Certains grenats couleur de sang brun, exposés à la lumière, paraissent comme des charbons


    FIGURE XVIII
    (almandin sur micaschiste du Zillertal, Autriche)

    embrasés ; le grenat violacé est regardé comme le plus parfait et c'est aussi le plus estimé. Les grenats de bohême sont d'un rouge vineux, de couleur forte, qu'ils ne perdent que très difficilement par le feu. On ne sait au juste si celui qui est d'un rouge de feu très vif, est l'escarboucle [carbunculus] des Anciens, qui, à ce qu'ils prétendaient, étincelait de lumière dans l'obscurité. il est de fait que le rubis [de ruber, rouge], de tout temps fort estimé, a été compris dans l'antiquité, parmi les escarboucles, carbunculi, nom appliqué à toutes les pierres précieuses dont la transparence rappelle celle d'un charbon incandescent.

    Soufre du manganèse

    Il s'obtient à partir du minerai naturel de manganèse, soit la pyrolusite que l'on rencontre abondamment dans la nature. Ce bi-oxyde de manganèse est aussi appelé savon des verriers parce qu'il enlève au verre des restes de charbon et le décolore. Il se présente sous la forme d'une masse d'un brun noir brillant. Chauffé au rouge, il se convertit en oxyde rouge. On connait au manganèse 6 combinaisons possibles avec l'oxygène. L'oxyde manganeux (MnO) se présente sous la forme d'une poudre verte. Il prend feu au contact d'un corps incandescent et se convertit alors en poudre rouge brun qui est l'oxyde rouge de manganèse (Mn3O4). Il est analogue à l'oxyde magnétique de fer ; il constitue le minéral que l'on nomme haussmannite. L'oxyde manganique (Mn2O5) se rencontre dans la nature à l'état cristallisé : c'est la braunite. Il est isomorphe avec l'alumine et le sesqui-oxyde de fer.
    extrait du Cours de chimie de Ad. Wurtz
    Corrélat alchimique = le Soufre du manganèse est utilisé comme teinture dans le grenat spessartine, l'améthyste, l'agate.
    L'améthyste vient du grec amequstoV, parce que les Anciens attribuaient à cette pierre la propriété de préserver de l'ivresse ; c'est pour cela qu'ils gravaient sur les coupes luxueuses faites avec ce précieux minéral les formes de Bacchus et de Silène. L'améthyste est une gemme appartenant au quartz transparent, coloré par l'oxyde de manganèse d'une belle couleur violette-pourprée ; elle est d'un éclat splendide, d'une teinte admirable qui porte à une rêverie douce et mélancolique ; elle est susceptible d'un très beau poli et est très estimée. Elle se montre dans les filons, unie au quartz et à l'agate. Elle se taille presque toujours de forme ovale très épaisse. Cette gemme était une des douze pierres qui composaient le pectoral du grand prêtre des Juifs, le nom d'Issachar y était gravé. Sa couleur est aussi le signe distinctif de la dignité des Evêques de l'église chrétienne ; elle est adoptée pour orner leur anneau pastoral, ce qui l'a fait nommer pierre d'évêque [l'évêque renvoie en alchimie au Mercure philosophique].


    FIGURE XIX
    (partie d'une druse d'améthyste, Brésil)

    L'agate (qui doit aussi sa coloration à l'oxyde de fer), est une pierre translucide, étincelant sous le briquet, rayant facilement le verre, ornée de couleurs riches et variées. Elle a pour base la silice. C'est une variété de quartz renfermant tous ceux qui n'ont pas l'aspect vitreux. Son nom vient d'Achates, fleuve de Sicile, sur les bords duquel on trouvait ces gemmes. Les agates prennent différents noms, suivant la diversité d leurs couleurs. Lorsqu'elles affectent la belle nuance de rouge-cerise, on les appelle cornalines ; la couleur orange plus ou moins foncé leur fait donner le nom de sardoines. La sardoine est très anciennement connue : Mithridate en avait une collection de quatre mille ; elle était également très estimée : on raconte que Polycrate, tyran de Samos, en jeta une à la mer comme ce qu'il avait de plus précieux, afin de faire un sacrifice à la Fortune, qui l'accablait de ses faveurs. cette pierre fut, paraît-il, retrouvée dans les entrailles d'un poisson [voila un point où l'histoire rejoint l'allégorie alchimique...]. Lorsque les agates sont colorées en vert tendre, elles prennent le nom d'aphrases ou de chrysophrases ; en vert foncé, celui d'héliotropes ; en bleu de ciel, celui de saphirines ; on leur donne le nom de calcédoines lorsqu'elles sont nébuleuses, blanchâtres, laiteuses ou bleuâtres. On les appelle herborisées ou arborisées lorsqu'elles offrent dans l'intérieur de leur pâte des représentations d'arbres ou d'herbes, et mousseuses lorsqu'elles semblent renfermer de la mousse. Ces phénomènes sont produits par différents métaux à l'état d'oxyde, tels que le fer ou le manganèse, qui, dissous dans un fluide, ont pénétré lentement ces agates lors de leur formation. Cette gemme se rencontre quelquefois en boules pleines de quartz hyalin [cristal de roche], de diverses nuances. Sciées transversalement, elles représentent des espèces de bastions, que leur régularité a souvent fait rechercher pour les collections. L'agate se trouve aussi en boules creuses, dont les parois sont tapissées de cristaux colorés ou remplies d'une substance terreuse, ou renferment un noyau solide de craie. On désigne cette variété sous le nom de géode. D'autres fois, ces boules creuses sont remplies d'eau. On appelle onyx [d'un mot grec qui veut dire ongle] une variété d'agate dont la couleur approche de celle de l'ongle. On donne aussi ce nom à celles qui sont remarquables par la vivacité de leurs
     


    FIGURE XX
    (agate avec cavité centrale, Mexique)

    couleurs et par la régularité de leurs zones. Quelquefois, la disposition des zones leur imprime une grande ressemblance avec la prunelle de l'oeil, et lui fait donner le nom d'agate oeillée. sous la main des graveurs, ces variétés servent à faire les plus beaux camées. Les Anciens, qui ont excellé dans la gravure sur pierres fines, se sont surtout servi de magnifiques onyx, qu'ils faisaient venir de l'Arabie et de l'Inde. L'extrême dureté et la finesse de ces pierres leur ont fait mériter le titre d'onyx oriental. L'art est parvenu à décolorer ces pierres : on les blanchit en les plongeant dans de l'acide muriatique que l'on porte au degré de l'ébullition ; on peut les colorer par deux procédés. Le premier est dû aux Indiens [ce peut être un détail de technique à remployer en pratique alchimique]. Les Indiens colorent les agates en les faisant bouillir dans de d'huile, et ensuite, dans de l'huile de vitriol. L'ébullition a pour effet de chasser l'air contenu dans les pores, et l'huile qui s'y est introduite étant brûlée par l'huile de vitriol, il se développe une belle couleur noire qui règne dans les veines opaques, tandis que les veines transparentes restent sans altération, et que d'autres passent à une blancheur plus éclatante ; d'où résultent des contrastes qui ajoutent tant à la valeur de ces gemmes. Les veines opaques se trouvant seules colorées, il paraît qu'elles sont beaucoup plus poreuses que les autres, qui s'opposent à l'introduction de toute couleur. Le deuxième procédé est moderne et nous ne le détaillerons pas ici.

    Soufre du zinc

    [Nous avons déjà longuement abordé le zinc dans d'autres sections].

    La blende (sulfure de zinc) se transforme en oxyde par oxydation. Le protoxyde de zinc est préparé directement par la combustion directe du métal. Dans les fours, l'oxyde produit, calciné avec du charbon, donne du zinc métallique. L'appareil qui est destiné à cette réduction peut être tel que le métal fonde et s'écoule à mesure qu'il devient libre : on dit que l'on emploie la méthode per escendum ; mais on peut aussi faire usage d'appareils dans lesquels le zinc se réduit en vapeurs et distille : c'est ce qui constitue la méthode per ascensum [ces méthodes ont ét décrites par Djabir]. L'oxyde de zinc est produit par la combustion directe du métal. a cet effet, on chauffe du zinc jusqu'à ce qu'il répande des vapeurs et on l'enflamme ; la fumée est entrainée par un courant d'air dans une série de chambres où l'oxyde de zinc se dépose. L'oxyde de zinc ainsi préparé se nommait autrefois lana philosophorum, nihilum album, fleurs de zinc, pompolix. L'oxyde de zinc est blanc à la température ordinaire ; il jaunit lorsqu'on le chauffe et reprend sa couleur première en se refroidissant. Lorsqu'il provient de la calcination du métal, il est léger et floconneux ; lorsqu'il a été préparé à l'aide du bisulfite, il présente un aspect spongieux et est également très léger.

    extrait du Cours de chimie de F.J. Malaguti

    Corrélat alchimique = le Soufre du zinc est employé comme teinture dans la gahnite, la hyacinthe (zircon). Le zircon, incolore, bleu, brun, orangé, rouge [hyacinthe] ou jaune [jargon] possède une dispersion élevée provoquant un scintillement coloré.


    FIGURE XXI
    (cristaux de zircon dans une roche mère, Oural, Russie)

    Nous mettrons à part des pierres précieuses dont nous pensons qu'elles étaient réellement hors de portée des alchimistes : tel est le cas -bien que nous en ayons longuement parlé- du rubis coloré par de l'oxyde de chrome, de l'émeraude et de la topaze [elle nécessite du fluorure d'aluminium : il faudrait croire que les alchimistes aient eu l'idée de mélanger de la fluorine, spath fluor, et du kaolin]. Nous n'avons pas, ici, détaillé la « résine de l'or » dont il apparaît qu'elle est formée d'alumine dans beaucoup de cas, pratiquement toujours mêlée à de la silice [cf. section sur le Mercure].

    Néanmoins, nous considérons à ce stade de notre quête, que le Soufre violet, à l'instar du Lion de pierre, garde encore son secret ! Il est temps, à présent, d'aborder cet ouvrage de Marc Antoine Gaudin dont nous avons parlé tout à l'heure.
     

    7)- Rencontre entre alchimie et minéralogie : la cristallogénie

    Cet ouvrage, L'Architecture du monde des Atomes dévoilant la structure des composés chimiques et leur Cristallographie, a été rédigé par Marc Antoine Gaudin en 1873 et publié chez Gauthier-Villars. De l'introduction de ce travail, nous retiendrons cette remarque :

    "...les mouvements d'un atome chimique sur notre terre sont la résultante mathématique de toutes les ondulations éthérées qui lui arrivent avec le temps des abîmes de l'espace infini..."

    [" une autre plaque également exposée représentait un groupe moins réussi, mais intéressant, dans lequel on retrouve Lerebours, associé de Secrétan, célèbres opticiens de cette époque; Martens, l'inventeur de l'appareil panoramique ; Marc-Antoine Gaudin, calculateur au Bureau des Longitudes, et Adolphe Martin, professeur de physique dont les recherches scientifiques contribuèrent aux progrès de l'optique et de la chimie photographique; cette épreuve appartient à Mme Darlot. Pour toutes les informations concernant Gaudin frères, vous pouvez consulter avec profit Gaudin Frères, Pionniers de la Photographie - 1839-1872, par Denis Pellerin, édité en 1997 par la Société des Amis du Musée Nicéphore Nièpce, à Châlon-sur-Saône. " - Marc-Antoine Gaudin, le seul à porter la barbe, est assis à droite sur ce daguerréotype -]
     

    Gaudin veut dire par là à peu près ce que la cosmologie moderne a mis en évidence, par le biais du « big bang » ; à l'instant t = 0, il existait une singularité d'un milieu quantique dont une fluctuation [fluctuation du vide quantique] est sans doute à l'origine de notre univers ; d'une certaine façon, on peut donc affirmer que toutes les particules, tous les atomes sont issus d'entités tels que les quarks, qui se sont formés au tout début de l'univers, bien avant la 1ère seconde de son existence. Cela nous entrainerait trop loin d'en discuter ici. L'éther, nous le savons à présent, est une chimère mais Gaudin envisageait par là notre espace-temps, courbé au voisinage de masses graves, stellaires et planètaires : ces masses sont animées d'un mouvement décrit par les lois de la gravitation universelle selon les Principia d'Isaac Newton ; la courbure de l'espace-temps au voisinage de ces masses présente des rapports avec la théorie de la relativité d'Einstein, qui a englobé la théorie de Newton. Nous n'en dirons pas plus sur le sujet.

    a)- chaux métalliques

    De son chapitre IV : Qu'entend-on par atomes chimiques, nous en venons [par notre entendement, bien sûr] aux Soufres métalliques : de tout temps, on a remarqué que les métaux vulgaires, le plomb, l'étain, l'antimoine, etc., se mêlaient ensemble en toute proportion pour produire ce qu'on appelle des alliages ; mais la transformation de ces métaux en une autre substance, de tout point différent par son aspect et ses propriétés, fut un phénomène, au premier abord surnaturel [et qui doit être à l'origine des transmutations métalliques], qui demeura longtemps inexplicable. Cette transformation s'opérait surtout en chauffant les métaux, sans qu'on se doutât que l'air ambiant

    [dont on s'aperçoit ainsi que les anciens alchimistes, surtout Philalèthe, avaient peut-être eu la pré-science du gaz oxygène ou du moins la connaissance d'un agent de type « oxydant »]

    était pour beaucoup dans la transformation. On constata d'abord une augmentation de poids

    [régulièrement observée lors des soi disant transmutations métalliques ; nous avons eu ailleurs l'occasion de montrer que nombre de rapports de ces phénomènes devaient cacher des points de processus opératiques]

    constamment proportionnelle au poids du métal transformé ; ce qui finit par donner la certitude que le métal s'était uni à une nouvelle matière, faisant partie de l'air lui-même. On dit d'abord que la matière pulvérulente d'un métal transformé était la chaux de ce métal, dénomination bien profonde, car, rigoureusement parlant, on ne pourrait pas dire [au XIXe siècle] que c'est autre chose, la chaux proprement dite étant une transformation d'un métal, ayant la même origine. Heureusement, qu'on remarqua bientôt qu'un même métal était suceptible de donner plusieurs chaux, d'aspect et de propriétés tout à fait différentes, qui se succédaient l'une à l'autre avec une augmentation de poids de plus en plus grande ; et, chose singulière, pour le même poids d'un métal, ces augmentations de poids successives étaient multiples l'une de l'autre, suivant un rapport très simple

    [que le lecteur ne pense pas que l'on s'égare ici : car, il l'aura compris, ces chaux ne sont autre chose que des oxydes, c'est-à-dire les principes Soufrés qui constituent notre sujet : l'intérêt du travail de M.A. Gaudin a consisté à donner une vision que l'on pourrait qualifier de néo-képlérienne de l'infiniment petit en étendant aux constitutions atomiques des raisonnements qui s'avèrent conduire à des proportions que n'auraient pas désavouées un Giordano Bruno ni un Kepler].

    De ce que dans la chaux d'un métal, on ne pouvait plus distinguer la moindre parcelle métallique, on pensait bien que le métal y avait pris un état de grande division ; mais il fallut une oeuvre de génie pour atteindre la vérité. C'est Dalton, physicien anglais, qui a supposé que la combinaison avait lieu entre des particules ultimes auxquelles il appliqua la dénomination d'atomes. Ainsi, en pesant avec le plus grand soin les chaux obtenues successivement avec un même métal, on reconnut avec satisfaction, par exemple, pour le plomb, que son oxyde d'un beau rouge [le minium] accusait une augmentation de poids une fois et demie aussi grande que pour le premier degré de transformation, qui donnait la litharge, dont la poussière était jaunâtre comme la brique liée

    [il y a là matière à réflexion concernant les définitions que nous a données Fulcanelli concernant les poids « de nature » et poids « de l'art »].

    Le corps emprunté par le plomb ayant été reconnu un gaz contenu dans l'air, et nommé oxygène, on admit que la première combinaison, ou oxydation, avait eu lieu entre un atome de plomb et un atome d'oxygène, et par conséquent la seconde, le minium, comprenait deux atomes de plomb et trois atomes d'oxygène

    [voila pour le poids « de nature » ; c'est la seule définition rationnelle qu'on en puisse donner, du moins au stade actuel de notre quête].

    Pour les corps ne donnant lieu qu'à un seul oxyde, on crut d'abord que le composé était un oxyde  du premier degré ou protoxyde [on disait aussi avant oxydule]. Mais plus tard, on arriva par d'autres moyens à connaître leur rang dans la série des oxydes. Par exemple, les oxydes se combinant les mieux avec les acides furent reconnus être des protoxydes, et peu à peu, on finit par démêler la vérité, dans les combinaisons les plus complexes, après avoir établi prélablement le poids relatif des atomes.
     

    Exemple

    Ce poids relatif des atomes est simple à obtenir, dès lors qu'il s'agit, par exemple, d'un atome de métal se combinant à un atome d'oxygène, si le phénomène a lieu pour une masse tout entière ; car alors, le poids de l'atome du métal est au poids de l'atome d'oxygène comme le poids total du métal ayant subi le premier degré d'oxydation est au poids de l'oxygène ajouté pour produire cette oxydation. Par exemple, 10 g de plomb produisent invariablement 10.773 g de litharge, et par conséquent le poids de l'atome de plomb est au poids de l'atome d'oxygène comme 10 g est à 0.773 g, c'est-à-dire près de 13 fois aussi pesant [référez-vous supra à l'arcane que dévoile pratiquement Fulcanelli]. Une fois en possession de cette clef, on s'aide d'un autre moyen, basé lui sur les combinaisons qui se produisent entre les corps gazux et qui ont été reconnues se faire à volumes égaux, ous sous-multiples de deux ou trois fois ; ainsi donc, on raisonne selon le fait qu'un volume renferme le même nombre de molécules de tous les gaz, à la même pression et à la même température [on appelle cela une mole d'atomes, depuis les travaux d'Avogadro].

    Gaudin, ensuite, envisage des arrangements d'atomes en se basant d'abord sur leurs dimensions, considérées du point de vue des particules « d'éther »

    [on sait à notre époque que l'éther est une chimère mais que par contre, l'espace-temps d'Einstein, que Newton assimile en substance au « Sensorium de Dieu », n'en est pas moins prégnant en toute chose],

    sont beaucoup plus gros que ces dites particules

    [qu'on peut aussi assimiler à notre époque au milieu sub-quantique qui avait été envisagé par David Böhm ; il faut tout de même savoir que c'est à partir d'un article de ce physicien, vers 1952, que Louis de Broglie avait été conduit à reformuler sa théorie de la « double solution » concernant le problème de l'interprétation probabiliste de la mécanique ondulatoire]

    et que donc, ces atomes chimiques sonr formés de particules d'éther agglomérées

    [c'est presque vrai, puisqu'on sait à présent depuis plus de 100 ans que le noyau des atomes est formé de neutrons et protons : or, ces particules sont elle-mêmes consituées de sous-unités, dénommées quarks -par référence, soit dit en passant au Finnegans Wake de James Joyce, et ce seraient ces quarks qui seraient les véritables briques de la « matière »].

    b)- les polyèdres magiques

    Gaudin pense que ces atomes peuvent s'agglomérer selon des édifices suivant des polyèdres réguliers, avec, successivement le tétraédre régulier centré, l'octaédre régulier centré, le cube centré, le dodécaédre régulier centré, qui répondraient respectivement à 5, 7, 9 et 15 particules réunies entre elles ; puis, on aurait des agglomérations basées sur le réseau pentagonal de la sphère et sur le diviseur de sa surface en points de plus en plus rapprochés. Gaudin pense [et c'est avec raison, puisqu'on sait que l'atome d'hydrogène est constitué d'un électron et d'un seul proton] que c'est l'atome d'hydrogène qui s'agglomérerait en nombre de plus en plus grand pour former des atomes de plus en plus pesants [Gaudin ne pouvait pas imaginer le neutron, mais l'idée de base s'avère, au sens conceptuel du terme, absolument exacte]. On ne peut pas ne faire la relation aux polyèdres exprimant les Quatre Eléments que Platon analyse dans son Timée. Nous avons évoqué cela dans l'Idée alchimique, à propos de l'Atlas des Connaissances humaines de Chevreul. La série des poids atomiques qu'il envisage ensuite préfigure ce qui allait constituer la classification périodique de Mendéléïv. L'idée de base qui a guidé Gaudin a été cette déclaration de principe :
     

    "...que dans toute combinaison les atomes des corps composants se mettaient en commun, pour s'équilibrer à nouveau et former invariablement un polyèdre géométrique symétrique..."

    Ces polyèdres sont agencés en éléments atomiques linéaires à 3, 5 et 7 atomes placés parallèlement entre eux. Il se trouve que, par coïncidence, ces trois chiffres se retrouvent très souvent dans le symbolisme hermétique, et plus précisément alchimique ; nous avons vu plus haut et dans d'autres sections le danger qu'il y avait à faire des spéculations dont les conclusions étaient uniquement de nature symbolique et n'avaient pas prise directe avec la matière. Certes, ces chiffres pris en eux-mêmes [3-5-7] recèlent un contenu symbolique très puissant et ont été étudiés par les hermétistes de toutes les époques, en débutant par les astrologues, en passant par les numérologues, les kabalistes et en finissant par les devins et les sorciers...Ce que nous voulons faire toucher du doigt ici, est la possibilité que ces chiffres renvoient à des symboles alchimiques dont la correspondance matérielle [c'est-à-dire avec la matière minérale ou organique] puisse être dévoilée. Ainsi, le chiffre 3 renvoie-t-il, selon nous à la lettre C qui donne l'initiale du sujet des Sages [on consultera à cet égard la section des Gardes du corps de François II]. Cette lettre C peut être renversée et représenter alors la lettreG [7ème lettre], qui donne encore l'initiale du sujet des Sages [Gaïa]. La somme des trois chiffres [3+5+7] donne 15, dont Fulcanelli nous dit qu'il trouve aussi sa correspondance dans le nom du sujet des Sages. Il se trouve que la 15ème lettre de notre alphabet est O [oxygène]...
    Entendons-nous bien : il ne s'agit pas ici de verser dans un ésotérisme qui - selon nous - ne pourrait mener à rien de tangible, mais au contraire d'essayer une nouvelle fois, ainsi que nous l'avons réalisé dans les sections se rapportant aux textes, de retrouver par une autre voie, un autre chemin, des allusions à des phénomènes chimiques authentiques, faisant intervenir soit des théories, soit des faits précis. M.A. Gaudin a développé une théorie du modèle atomique où se retrouve -qu'on le veuille ou non- un profil épistémologique typique de Pythagore ou de Kepler ; la suite sembla avoir montré que la formulation de Gaudin était d'une part exacte, au sens où il arrivait à réaliser des prévisions de composition moléculaire ou à redresser des erreurs dans les formulations chimiques qui découlaient des recherches des chimistes et des minéralogistes ; mais d'autre part trompeuse puisque les relations qu'il établissait entre les atomes de ces molécules étaient pour le moins fantaisiste : en somme, il parvenait à des résultats exacts en se basant sur des poids faux. C'est là sans doute où se révèle l'intérêt hermétique de l'étude de la morphogénie cristalline des molécules de Gaudin : elles donnent à voir une représentation du réel qui s'appuie sur de pures vues de l'esprit et qui, bien qu'étayée de relations erronées, n'en conduit pas pour autant à des résultats inexacts, du moment qu'il s'agit de mettre, littéralement en balance, des rapports pondéraux de corps réputés simples dont les valeurs doivent être comprises de manière relative. Or, il en était strictement de même pour les anciens alchimistes, disons de l'époque du pseudo-Artephius, ou bien même de l'époque d'Isaac Newton où seules comptaient les proportions des matières à mêler.
    Le juste poids de ces proportions, dont l'exactitude toutefois se dérobe à l'entendement, renvoie à un opérateur d'une portée très générale et qui trouve dans l'astrologie et dans l'alchimie deux de ces applications : il s'agit du concept d'harmonie. Cet opérateur peut, loin de rester une idée vague ou de produire des inepties, être l'objet d'élaborations mathématiques et symboliques extrêmement poussées. Précisément, Jean Kepler, dans ses cinq livres de l'Harmonie du monde exprime dans le premier, sa vision géométrique, qui traite de la démonstration des figures règulières engendrant les rapports harmoniques et le second traite de la géométrie figurée et de la congruence des figures régulières dans le plan et l'espace. Le troisième aborde l'origine des rapports harmoniques à partir des figures régulières. Ce n'est pas autrement que Gaudin, en somme, conçoit sa vision du modèle moléculaire et met ainsi le doigt, sans doute à son insu, sur la pierre de touche de la philosophie hermétique. Car, ces rapports harmoniques cachent un mélange de magie, de philosophie et de poésie : c'est exactement de la sorte que fonctionnait la pensée d'un Giordano Bruno, par exemple, à un point tel que l'on rapporte l'épisode suivant : alors qu'il était en Angleterre, un des docteurs d'Oxford s'en fut chercher le De vita coelitus comparanda de Marsile Ficin, pour confronter Bruno à ses sources [il s'agissait d'une question liée à la discussion du modèle héliocentrique et du modèle géocentrique] : en résumé, Bruno venait d'affirmer que Copernic disait non pas que la lune tourne autour de la terre, mais que toutes deux suivent le même épicycle. Bruno se trompait, évidemment, mais la vérité est surtout que pour Bruno, le diagramme de Copernic


    FIGURE XXII
    (De revolutionibus orbium coelestium, Nuremberg, 1543)

    que l'on voit ci-dessus est un véritable hiéroglyphe, un sceau hermétique derrière lequel se cachent de puissants mystères divins dont il a pénétré les secrets. On le voit, l'idée qui guide Bruno est fausse mais elle le conduit à une conclusion exacte : si son imagination édifie, à partir de la théorie copernicienne, une image métaphysique du monde, il est le seul, de son époque, à assigner comme base à la théorie de la nature les exigences d'un univers infini. Seul Albert Einstein pourra expliquer à un peu moins de quatre siècles de distance cette phrase qui est textuellement écrite dans le Corpus Hermeticum XII : « d'Hermès Trimégiste ; sur l'intellect Commun, à Tât » :

    "... seule de tous les êtres elle [la Terre] est à la fois sujette à une multitude de mouvements et stable..."

    C'était par là affirmer que les mouvements de la Terre ne pouvaient être perçus que relativement à un ou plusieurs corps célestes, non moins qu'affirmer qu'il était impossible d'assigner à la Terre un mouvement, considérée en elle-même : c'est l'expérience de Morley et Michelson sur le vent d'éther, incapables de mettre en évidence le mouvement absolu de la Terre [in G. Holton, l'Invention scientifique, PUF, 1982, pp. 289-413].

    Plus loin, Gaudin définit les symboles qu'il utilisera dans les images des molécules ; ainsi définit-il par une croix de Saint-André X l'atome métallique des sesquioxydes, de l'alumine, du fer, du chrome, etc. Cet X, nous l'avons bien souvent rencontré : c'est cette inconnue dont parle Fulcanelli, c'est cet entre-croisement qui se remarque à la surface du dissolvant « canoniquement préparé ». Nous trouvons ensuite les premières représentations moléculaires, et en particulier celle de l'ammoniaque :
     


    FIGURE XXIII

    Ce triangle exprime ce que Kepler appelle la « congruence » des figures : il désigne par ce terme l'aptitude de ces figures à s'accoupler et à engendrer dans le plan ou dans l'espace d'autres formes géométriques ; dans le plan, dit-il, il y a congruence quand les angles de plusieurs figures concourent en un seul point de telle sorte qu'il ne reste aucun hiatus [c'est-à-dire pas de solution de continuité]. Il s'agit en somme d'arpentages de carreleur dont Kepler recherche les lois géométriques et que Gaudin applique à la formation des molécules. Dans l'espace, il y a congruence quand les angles, appartenant à plusieurs figures planes constituent un angle solide, et qu'une fois mutuellement en contact, ces figures régulières ou semi-régulières

    [Kepler entend ainsi une figure plane dont tous les côtés, mais non tous les angles, sont égaux : la plus simple est le rhombe],

    il ne reste là encore aucun hiatus qui ne puisse être comblé par une figure de même espèce que celles qui sont présentes, ou au moins par une figure régulière. On verra la disposition de ces figures ci-dessous :


    FIGURE XXIV
    (la congruence, in Kepler, astronome - astrologue, G. Simon, Gallimard, 1979)

    Comme on le voit, la molécule d'ammoniaque est représentée par l'image n°3 en partant du bord droit supérieur de la figure XXIV en allant vers le bas. Elle correspond, au plan hermétique, avec le symbole du feu. C'est l'oxyde de fer magnétique Fe3O4 qui a fait l'objet du premier exercice de Gaudin. Son image est représentée -toujours sur la figure XXIV- par le n°4 en partant de la n°1 du bord gauche supérieur et en allant vers la droite. Comme on le voit, les 4 atomes d'oxygène sont disposés en carré orange, au centre duquel vient se disposer un atome de fer, figuré en noir. Les 2 autres atomes de fer peuvent être placés de chaque côté de l'atome de fer central, à égale distance de celui-ci, dans une droite perpendiculaire au carré formé par les 4 atomes d'oxygène : on obtient ainsi un octaèdre à base carrée (double pyramide quadrangulaire) ; avec ce solide, on engendre l'octaèdre régulier.

     

    Cette conformation est confirmée par les spinelles [aluminate de chrome et de fer] qui sont une combinaison d'un sesqui-oxyde avec un monoxyde où l'on a, au centre, l'atome métallique du monoxyde placé entre les deux atomes métalliques du sesqui-oxyde, comme il l'est entre les 4 atomes d'oxygène mis en commun pour former un carré perpendiculaire à l'axe des atomes métalliques ; leur cristallisation s'effectue en octaèdre régulier, ce qui montre de plus que l'oxyde de fer magnétique [dont on voit ici l'image sur la figure XXV] est un spinelle, où le fer joue le rôle de monoxyde et celui de sesqui-oxyde.
     


    FIGURE XXV

    Donc, nous voyons que c'est de manière directe la présence du fer qui est à la base de la conformation moléculaire, c'est-à-dire la présence du principe Soufré ou oxydule. On peut ajouter cette remarque de Gaudin qui consitue une sorte de théorème d'équilibre des atomes entre eux :
     

    "1 atome d'une espèce, placé entre 2 atomes d'une autre espèce, dans une même droite ; ces atomes étant à une égale distance les uns des autres, et formant des lignes de croisement sous un angle de 90° ou de 60°, en engendrant des polyèdres géométriques symétriques à 3, 4 et à 6 côtés, pour les molécules cristallisables..."

    Ce sont par conséquent des conditions de stricte symétrie par rapport à plusieurs axes qui assurent les conditions d'un équilibre rigoureux ; cet équilibre exige surtout que si un atome d'une espèce (ici, le fer) se trouve d'un côté de l'axe, il doive exister un autre atome de la même espèce, de l'autre côté de cet axe, dans une même droite passant par le centre. Et maintenant, nous dira-t-on, quel rapport avec l'alchimie et la pierre philosophale ? A cela, nous répondrons afin de rappeler nos prises de position et notre hypothèse : 

    - la pierre philosophale s'offre à nous comme une substance cristallisée, formée d'un squelette silicateux-alumineux [Corps], animé, c'est-à-dire teint, par un oxyde [Âme] qui détermine la forme cristalline du Corps ; cette conjonction -sous forme cristalline- de ces deux principes exige un médiateur qui se présente à nous comme une substance pulvérulente ou « eau sèche qui ne mouille point les mains » à une température ordinaire ; cette substance a le pouvoir de se liquéfier à une haute température, en sorte de pouvoir tenir en dissolution des corps infusibles aux plus hautes températures des fourneaux [au XIXe siècle]. Cette substance est ordinairement nommée Esprit dans le langage hermétique et tel est le cas, puisque cet « Esprit » est appelé à disparaître par volatilisation ainsi qu'en témoigne les travaux de Jacques-Joseph Ebelmen. L'Esprit volatilisé laisse alors la Pierre apparaître, souvent empâtée dans les résidus mercuriels, qu'une digestion par de l'esprit de sel ou de l'huile de vitriol permettra d'isoler en un corps cristallin parfaitement pur. C'est l'Âme -c'est-à-dire la nature de la « chaux » ou oxyde- qui va réellement « orienter la Pierre » en imposant à ces molécules une forme cristalline particulière, forme dont la base sera en général le rhombe [cf. figure XXV]. 

    - cette cristallisation ne peut intervenir qu'entre atomes qui aient entre eux quelque affinité : par exemple, les atomes des métaux se mêlent en toutes proportions mais ne se combinent jamais entre eux dans des proportions définies ; ils conservent donc leur caractère métallique. Au lieu de quoi, d'autres atomes qui, en masse, ne présentent pas l'apparence métallique, s'avèrent être des agents minéralisateurs : c'est avec ces atomes que les atomes des métaux ont une grande tendance non pas à se mêler mais à se combiner, dans des proportions définies et variées. D'une façon générale, les corps binaires sont astreints dans leur composition à certaines règles : ils forment ainsi une série d'échelons qui sont gravis par certains corps ; en nommant A l'atome d'une espèce et B l'atome de l'autre espèce, la série des combinaisons est successivement : 2A + 3B - 2A + 5B - 2A + 7B ; l'aluminate, par exemple, ne subit jamais que la combinaison 2A + 3B [A= Al ; B= O]. 

    - les molécules cristallisables considérées comme des équivalents « vulgaires » de la Pierre philosophale constituent donc des polyèdres géométriques symétriques qui, pour former des cristaux et pouvoir remplir l'espace avec régularité, doivent être à 3, à 4 et à 6 côtés : les polyèdres à 5 et à 7 côtés appartiennent à des corps incristallisables.
     


    FIGURE XXVI
    (files d'atomes ou éléments linéaires à 3, 5 et à 7 atomes)

    Dans une multitude d'atomes, l'individualité d'une formule disparaît ou du moins se coonfine dans une ligne droite ; de là résulte la formation de files d'atomes à 3, 5 et 7 atomes qui forment les pierres avec lesquelles toute l'architecture atomique est établie. ainsi, le membre (a) est-il le sesqui-oxyde : on remarque trois fois l'existence d'un atome d'une espèce, placé entre deux atomes d'une autre espèce dans une même droite et à égale distance des centres entre eux ; le membre (b) correspond au spinelle où l'on distingue 3 « pierres semblables » [les gros atomes]. Le membre (d) a, paraît-il, occupé Gaudin pendant vingt ans et correspond à la réunion d'une molécule de silice avec deux molécules de monoxyde : il joue un grand rôle dans la construction de la molécule de grenat. D'après Gaudin, tous les groupements atomiques des deux règnes résultent de l'assemblage de ces éléments linéaires à 3, 5 et 7 atomes, parallèlement entre eux ; de manière à réaliser, dans n'importe quelle région d'une molécule, l'élément à 3 atomes, A entre deux B dans le sens vertical, horizontal, et dans une ligne faisant un angle de 45° avec l'axe principal. En raison de ces principes, il règne dans chaque molécule une harmonie et un ordre admirables qui se retrouvent dans leurs groupements en cristaux. Ces proportions rappellent le carré magique de 9 qui fournit la clé de l'énigme. Depuis toujours, astrologues et mathématiciens chinois [The Antiquity of Alchemy, H.E. Stapleton, Ambix, 5, 1953, 1-43] avaient spéculé sur ce carré pour lequel les chiffres rangés dans les cases sont tels que la somme obtenue soit toujours 15, qu'on la fasse horizontalement suivant les lignes, verticalement suivant les colonnes, ou suivant les diagonales. Djabir mentionne ce carré magique dans le Livre des Balances et l'attribue à Belinous, c'est-à-dire à l'auteur du Traité du Secret de la Création des Etres.
     

    4
    9
    2
    3
    5
    7
    8
    1
    6

    Il saute aux yeux que les nombres d'atomes observés par Gaudin [3-5-7] sont disposés en ligne droite, que l'on prenne le carré tel qu'il apparaît où qu'on lui fasse opérer une rotation de  P/2.

    Nous pouvons passer à des molécules plus complexes que celle de l'oxyde de fer de la figure XXV, telles qu'en réalisent certains sulfates de soude. La molécule des sulfates avec 13 molécules d'eau est représentée par une table en croix, qui est couverte de hachures, les 4 axes principaux étant 2 vis-à-vis des molécules d'acide sulfureux ; la molécule totale avec 20 ou 21 molécules d'eau serait celle du sulfate de soude.
     


    FIGURE XXVII

    Il est évident que la structure tabulaire centrale évoque par l'entre-croisement la figure du X, souvent rencontré ; il n'est pas sans intérêt de remarquer [cf. section sur le Bain des astres] que le sulfate de soude intervient dans la préparation du natron [carbonate de soude]. Le concept du « poids de nature », évoqué par Fulcanelli, intervient singulièrement dans la grosse question de la composition des corps cristallisables : les substances solubles dans l'eau ont des compositions assez bien définies mais il n'en est pas de même pour les minéraux composés de silice, d'alumine et de monoxydes, avec ou sans eau de combinaison. Comme l'affirme Gaudin :

    "Pour un grand nombre, tout ce qu'on a pu faire a été de déterminer le rapport qui existe entre les quantités d'oxygène afférentes à chaque corps oxydé..."

    Gaudin prend ici le cas de l'idocrase

    [silicate hydraté naturel d'aluminium, de calcium, de magnésium et de fer, quadratique, dont une variété bleu de ciel est la cyprine = vésuvianite].

    Par le fait que ce corps cristallise en prisme carré, il considère que la molécule est quadrangulaire et qu'elle doit renfermer au moins 4 ou 5 molécules de silice ; la figure suivante montre une image de ce prisme carré parfait qu'envisage Gaudin.
     


    FIGURE XXVIII

    Nous laissons à l'appréciation du lecteur l'examen de cette molécule dont on aperçoit la vue en perspective sur la figure XXVIII. Selon Gaudin, il serait tout-à-fait impossible de trouver une autre solution répondant aux données du problème. Pour aider le lecteur, nous donnons sur la figure ci-dessous un schéma de la composition d'une demi-molécule d'idocrase
     


    FIGURE XXIX
    (partie supérieure de la molécule d'idocrase, selon Gaudin)

    En rouge sont figurés 4 atomes de silice ; en bleu, 5 atomes de métal ; en vert foncé, 1 atome d'aluminium ; en vert clair 4 atomes d'oxygène des oxydes. La formule chimique de l'idocrase est : Ca10Al4(MgFe)2 Si9O34(OH)4. Cette molécule pourrait être accessible à la synthèse chimique. Gaudin traite ensuite des aluns sur lesquels on s'est déjà souvent arrêté. En grec, l'alun est assimilé à une Terre astringente [stupthrioV]. Ces corps remarquables tirent leur nom de l'alumine qui entrent dans leur composition ; en substituant à la molécule d'alumine [qui est un sesqui-oxyde Al2O3], d'autres sesqui-oxydes, l'oxyde vert de chrome, l'oxyde rouge de fer, Fe2O3, Cr2O3, lesquels oxydes isolés cristallisent en rhomboèdres comme l'alumine, c'est-à-dire sont isomorphes.

    L'alun [cf. sections sur la Pierre et les trois schémas de synthèse 1, 2, 3] intervient dans la constitution du squelette de la Pierre ; par les exemples précédents, nous avons montré aux lecteurs les possibilités qui résultaient de l'emploi de polygones réguliers, pour des molécules relativement simples. Avec les aluns, nous passons à une molécule en comptant plus d'une centaine. La molécule des aluns résulte de la combinaison du sulfate d'alumine avec le sulfate de potasse, renfermant dans son domaine un très grand nombre de molécules d'eau, au nombre de 24 ; et comme chaque molécule d'alumine, dans son sulfate, est alliée à 3 molécules d'acide sulfurique, il s'ensuit que l'ensemble de la molécule d'alun comprend : - une molécule de potasse - une molécule d'alumine - quatre molécules d'acide sulfurique - 24 molécules d'eau. Les atomes principaux sont au nombre de 7, qui sont l'atome de potassium de la potasse, les 2 atomes d'aluminium de l'alumine et les 4 atomes de soufre de l'acide sulfurique, et nous avons, pour le centre, l'atome de potassium qui, placé entre les 2 atomes d'aluminium, forme l'axe, tandis que les 4 atomes de soufre forment un carré perpendiculaire à l'axe. ainsi, ces 7 atomes réalisent-ils déjà la formule AB2C4 des spinelles ; ils ne peuvent faire qu'un octaèdre à base carrée ; et, placés entre eux à deux distances d'atomes, ils forment la charpente de la molécule d'alun autour de laquelle tous les autres atomes se groupent avec symétrie. Les figures ci-dessous montrent pour (a) la molécule d'alun potassique en projection, sur un plan horizontal et pour (b) la même molécule vue selon une coupe verticale.
     


    (a)

    (b)

    (c)

    (d)
    FIGURE XXX

    Cette molécule d'alun, essentielle dans la synthèse de la Pierre, contracte d'étroits rapports hermétiques : elle est formée, abstraction faite des atomes d'aluminium et d'oxygène extrêmes que l'on voit bien de part et d'autre du plan central en (b) de cinq massifs semblables, de même hauteur, formant la croix (U). Les cinq massifs sont formés de l'assemblage de trois réseaux d'atomes superposés à une distance d'atome : un réseau médian que l'on aperçoit en (c) et deux réseaux supérieur et inférieur vus en (d), les deux dernières figures étant considérées dans un plan semblable à (a). On remarquera que l'élément linéaire à 7 atomes est représenté non seulement par l'axe, mais encore deux fois dans le plan du réseau médian, dans deux directions se croisant à angle droit. En menant à la surface de ces réseaux des lignes obliques à 45°, on rencontre un grand nombre de fois l'élément linéaire à 5 atomes A2B3. Dans ce massif formant la croix, on reconnait non seulement les éléments linéaires à 3, 5 et à 7 atomes, mais encore des réseaux verticaux formés d'éléments linéaires triatomiques rangés par 3, par 4, par 5 et par 7 dans un même plan. Enfin, les cinq massifs eux-mêmes représentent deux fois un massif d'une espèce, placé entre deux massifs d'une autre espèce ; et si l'on prend à chaque extrémité l'atome d'aluminium avec son atome extrême d'oxygène pour un massif, la molécule entière est formée de 7 massifs AB2C3, formant dans leur charpente, ou essence, un octaèdre à base carrée qui est la forme dominante des cristaux d'alun. Le chrome ou le fer ne font que se substituer à l'aluminium, au rang pénultième des 7 atomes formant l'axe. En résumé, nous voyons que la molécule totale d'alun ammoniacal est formée d'éléments linéaires, à 3 et à 7 atomes parallèles entre eux et à l'axe de la molécule. Nous restons entièrement dans notre sujet car ces atomes pénultièmes sont précisément les éléments Soufrés sans lesquels la molécule ne saurait exister. Enfin, Gaudin précise la formation des cristaux d'aluns : cela le conduit à proposer la figure suivante qui réalise toujours un octaèdre régulier.
     


    FIGURE XXXI

     

    Nous allons à présent revenir à Fulcanelli ; on n'a pas oublié que, dans Myst. tout comme dans les DM, l'étoile est évoquée très souvent, de même que son caractère brillant, éclatant qui « signe » véritablement la noblesse de son extraction :

    "C'est la fleur (anqemon) métallique et minérale, la première rose, noire en vérité...C'est d'elle, cette fleur des fleurs (flos florum), que nous tirons d'abord notre gelée blanche (stibh)...c'est elle encore qui, unie à l'or philosophique deviendra la planète Mercure (Stilbwn), le nid de l'oiseau (stibaV), notre Phénix et sa petite pierre (stia)..."

    A cela, nous ajouterons que anqemon signifie aussi les fleurs d'orichalque et d'or et aussi la fleur du lys rouge (= corail) ainsi que par anqemouroV, celui qui exploite les fleurs, c'est-à-dire les abeilles, sans oublier le fard [stilbwtron]. Mais, par cabale, le rapprochement le plus intéressant et qui rejoint notre propos est stilbwn que l'on peut rapprocher de la stilbite, qui est un aluminosilicate hydraté naturel de calcium, du groupe des zéolites

    [les zéolites ont des propriétés physico-chimiques remarquables, liées à la mobilité de leur peau, dite zéolitique, et de leurs cations qui en font des échangeurs de bases].
     

    les zéolites

    Il s'agit de substances qui se gonflent et bouillonnent lorsqu'on les expose à la flamme du chalumeau ; ils ont été pour la plupart distingués et déterminés par Haüy. Leur composition comprend de la silice, de l'alumine, une ou plusieurs bases, chaux, potasse, soude et baryte et une quantité d'eau variable ; leur couleur est généralement blanche ; ils sont faciles à décomposer en silice pulvérulente par l'acide chlorhydrique. La stilbite cristallise selon un prisme rhomboïdal droit. Les zéolites sont des matériaux poreux capables de retenir des molécules piégées au sein de la structure. La forme des pores va dépendre du type de polyèdres utilisés pour construire le réseau ; selon la forme adoptée, on obtient le réseau de la lazurite [lapis-lazuli]. Actuellement, depuis 1950, les zéolites sont utilisés pour comparer les indices d'octane des carburants.

    Voici la structure que propose Gaudin pour la stilbite
     


    FIGURE XXXII

    L'intérêt représenté en alchimie par la stilbite réside dans sa composition chimique puisqu'elle permet de dévoiler pratiquement toutes les substances utilisées ou préparées dans le 2ème et le 3ème oeuvre :
     


    (d'après Des Cloiseaux)

    Le relevé de l'analyse centésimale se passe de commentaire et met « en lumière » [stilbw] les principes qu'il faut employer. A propos de l'aspect en croix observé dans plusieurs des figures moléculaires qui forment une cristallisation, il n'est pas sans intérêt de remarquer les relations phonétiques, en grec, entre le Christ, le cristal et l'action d'enduire [à la chaux] : un mélange de plâtre ou de chaux se dit, par exemple, crisma de même que l'onction pour consacrer [l'Oint du Seigneur Jésus-Christ] ; par ailleurs, le Christ se dit cristoV et le lierre, krissoV (kissoV) renvoyant à Apollon (couronné de lierre), que nous savons être le représentant de l'un des composants du dissolvant ou feu secret.
    Tous ces jeux de mots, basés sur des assonances phonétiques -nous le rappelons- sont du ressort de la « cabale hermétique » ou « langue des oiseaux ». Cette méthode pour voiler des secrets ne date pas d'hier et le pseudo-Artephius au XIe siècle, Fulcanelli nous l'assure, disait que «notre art est entièrement cabalistique ». Il faut ici soigneusement distinguer l'exotérisme qui se manifeste lorsqu'on arrive effectivement à dévoiler un « tour de main » de technique chimique ou physique de l'ésotérisme compris, par exemple, au sens de la théosophie, qui ne peut - selon nous - mener strictement à rien, si ce n'est à cultiver l'art pour l'art ; là n'est pas notre domaine mais nous ne voulons, ici, porter aucun jugement péjoratif car toutes les formes de pensée, pourvu qu'elles s'expriment sans agressivité et sans sectarisme, ont droit de cité sur le Net.

    Nous terminerons notre revue des structures cristallines Soufrées par l'examen de l'épidote ; il s'agit d'un alumino-silicate hydraté de calcium et de fer ; nous mettons côte à côte trois figures qui résultent de la faon que Gaudin trouve de placer les atomes qui constituent la molécule :
     


    (a)

    (b)

    (c)
    FIGURE XXXIII
    (molécule d'épidote et prisme de 8 molécules, selon Gaudin)

    La coupe (a) est une vue en projection d'une molécule ; elle montre 4 carrés formés par 9 molécules de silice. Au milieu de chaque carré est implantée 1 molécule d'aluminate de monoxyde, composée de 7 atomes coomme dans les feldspaths ; au centre et au-dessus comme au-dessous (b), il existe 1 molécule de monoxyde d'où résultent un axe à 7 atomes d'un nouveau genre qui représente la formule AB2C4. L'atome central est un atome de silicium et les 2 atomes pénultièmes sont des atomes de métal, mais non les atomes d'un sesqui-oxyde. Le prisme rhomboïdal est représenté sur la coupe (c). La figure suivante est un échantillon d'épidote.
     


    FIGURE XXXIV
    (épidote, Baja, Mexique)

    Nous arrivons au terme de notre étude -vue sous l'angle d'un hermétisme original, nous l'espérons- de cette étude des formes cristallines. Elle aura permis de montrer que de nombreuses substances cristallines co-existent, dans leur formulation du XIXe siècle, avec des nombres que l'on retrouve tout spécialement dans le symbolisme hermétique : 3 - 5 - 7 - 15.

     


     

     

    On mesure donc l'étonnante transformation subie par les produits de la nature, due à un imperceptible changement de disposition de leurs éléments. Les Anciens aimaient beaucoup, nous l'avons dit, les pierres de couleur et le livre de Job nous fait voir combien, dans ces temps reculés [XVIIIe siècle av. J.-C.] le corps précieux étaient connus et recherchés :

    Le fer est tiré du sein de la terre, l'airain est arraché à la pierre ;
    L'homme recule les confins des ténèbres ; il a découvert jusqu'à ces pierres ténébreuses qui avoisinent les ombres de la mort ;
    Là croît le saphir, là se forme l'or
    L'homme brise les rochers, renverse les montagnes jusqu'à leurs racines ;
    Il ouvre un passage aux fleuves, à travers la pierre et découvre leurs trésors les plus cachés ;
    Mais où trouver la sagesse ? Où est le séjour de l'intelligence ?
    L'or d'Ophir n'en égale pas le prix ; elle surpasse l'onyx et le saphir ;
    Le cristal, l'émeraude ne sont rien auprès d'elle, ni les ornements les plus beaux.
    Le corail et le béril s'effacent en sa présence ; elle l'emporte sur les perles de la mer.
    On ne la compare pas à la topaze d'Ethiopie ; on ne l'échange pas pour les tissus les plus précieux.

    On croirait se trouver face à un texte crypté...Mais cela doit être un effet de notre imagination. Nous retiendrons donc avant tout de ce texte que la sagesse est le bien le plus estimable qui existe en ce bas monde. Il reste quelques pierres précieuses dont nous n'avons pas encore parlé, en particulier le lapis-lazuli et l'aventurine.
     
     

    On l'appelle vulgairement pierre d'azur ; c'est une pierre précieuse d'un bleu magnifique, souvent parsemée de taches d'or, produites par des parcelles pyriteuses. Elle se compose d'alumine, de soude et de silice, avec une petite quantité de soufre. Elle est opaque, à grains serrés ; elle raye le verre et étincelle sous le briquet. Elle provient principalement
     


    FIGURE XXXIII
    (lapis-lazuli brut, Afghanistan)

    de la Perse. La partie colorante de cette pierre donne le beau bleu, appelé d'outre-mer, parce qu'on l'apportait du Levant. On l'obtient par une préparation chimique qui est une sorte de savonnage. Cette gemme, exposée à l'action d'un grand feu, se fond en une masse d'un noir jaunâtre ; si elle est seulement calcinée, elle se décolore par les acides minéraux énergiques et forme alors une gelée.

    Il s'agit d'une variété de quartz grenu, demi-transparente, colorée en rouge brun ou en jaune, offrant dans l'intérieur des points brillants qui ont l'apparence de paillettes d'or. Il y en a également dont le fond est blanc-rougeâtre, grisâtre ou verdâtre ; cette dernière offre des points blancs. On distingue deux espèces d'aventurines naturelles. L'une dont les étincelles sont produites par des paillettes de mica jaune, bien connu sous le nom de talc de Moscovie : c'est la plus commune. On la rencontre dans certaines mines de Silésie, en Bohême, en France et en Sibérie. La seconde espèce qui est la plus estimée, se rencontre en Espagne et en Ecosse. Les points lumineux qu'elle présente sont plus petits et plus brillants et ne sont point formés par des parcelles de mica répandues dans la pâte, mais par une multitude de petites fentes, de petites fissures fonctionnant comme celles de l'opale, et n'effleurant que la surface de la pierre ; elles n'ont qu'une seule réflexion et ne présentent que la couleur jaune d'or. On a également donné le nom d'aventurine à une variété de feldspath présentant les mêmes caractères extérieurs que la précédente.
     


    FIGURE XXXIV
    (aventurine)

    Beaucoup d'essais ont eu lieu pour arriver à produire des aventurines artificielles, surout depuis que Venise a connu le secret d'en faire de magnifiques. Venise devait son aventurine à l'heureuse maladresse d'un ouvrier qui laissa tomber, par aventure, un peu de limaille dans un creuset contenant du verre en fusion. Il fut séduit par l'éclat de ce mélange qu'il appela aventurine ; nom que l'on a donné depuis au genre de pierres naturelles qui ont de l'analogie avec l'aventurine artificielle. Le secret de cette fabrication était religieusement gardé et se transmettait de génération en génération. Cependant, un français, Lebaillif, essaya de l'imiter mais il n'y parvint qu'incomplètement. Miotti fut plus heureux dans ses essais et il obtint une pierre qui rivalisa avec celle de Venise. M. Riboglio, de Venise, après d'incessantes recherches, est arrivé à composer une aventurine. MM. Frèmy et Clémandot ont obtenu de beaux échantillons d'aventurine en chauffant pendant 12 heures un mélange de 300 parties de verre pilé, de 40 parties de protoxyde de cuivre, et de 80 parties d'oxyde de fer des battitures, puis en laissant refroidir très lentement ce mélange. Une autre aventurine a été découverte par Jules Pelouze (1807-1867) et est comparable à la plus belle aventurine de Venise. Le verre est étoilé de cristaux du brillant le plus vif. Les innombrables paillettes ont des lumières métalliques de l'effet le plus éclatant. Plus dure que l'aventurine de Venise, elle raye et coupe facilement le verre. Voici la formule préconisée par cet académicien des sciences : 250 parties de sable, 100 de carbonate de soude, 50 de carbonate de chaux et 40 de bichromate de potasse. Le verre qui est obtenu de ce mélange contient 6% d'oxyde de chrome dont la moitié environ, est combinée avec le verre, et l'autre moitié reste à l'état libre, sous forme de cristaux en paillettes étincelantes.

    [ce mélange aurait pu être à la base d'une pierre philosophale si de la silice avait été ajoutée ; nous rangerons cette aventurine artificielle à la limite entre l'alchimie et la spagyrie car les composés du dissolvant universel sont réunis ; il manque les éléments adéquats du squelette silicato-alumineux].

    Il semble que la principale difficulté à vaincre, dans cette opération, est d'avoir le tour de main qui répartit également la multitude des paillettes dans toute la masse, aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur, en évitant les agglomérations partielles.
     

    Bibliographie

    1. La Céramique Islamique. Le guide du connaisseur. Jean Soustiel, Office du Livre, Fribourg, 1985
    2. Traités de chimie divers et de minéralogie : cf. bibliographie générale 
     

     





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