• Les colonnes jumelées de la

    basilique romane

    Construction des temples et basiliques romains

    La construction des premiers édifices sacrés se faisait selon des principes d'orientation rigoureux dont les dieux ou leurs Maîtres d'oeuvre sur Terre étaient les gardiens.

    • Une fois le site choisi, le Maître d'oeuvre plantait un mât dans le sol symbolisant l'axe vertical du lieu. À partir du pied du mât, il traçait un cercle qui représentait l'horizon.
    • Au lever et au coucher du soleil, le mât projetait deux ombres sur le sol qui coupaient le cercle en deux points. Ces points déterminent un axe orienté est-ouest et appelé “decumanus”. Le tracé de cet axe dépend de la date du relevé du lever et du coucher du soleil qui signe la dédicace de l'édifice.
    • Lorsque le soleil était à son zénith, l'ombre du mât dessinait un deuxième axe sur le sol. Orienté sud-nord, il est perpendiculaire au premier et dénommé “cardo”.
    • La dernière opération consistait théoriquement à relever un deuxième “decumanus” correspondant aux lever et coucher du soleil six mois plus tard. Pratiquement, il suffisait de tracer les symétriques des extrémités du premier “decumanus” par rapport au centre du cercle. Ces deux “decumanus” constituaient deux des côtés parallèles d'un rectangle inscrit dans le cercle. Ses sommets ont dû servir de repères pour la construction de l'édifice.

    La détermination de ce rectangle est en relation avec le mouvement du soleil levant ou couchant le long de l'horizon au cours de l'année.

    Le soleil levant se déplace le long de l'horizon approximativement du sud-est au nord-est entre les solstices d'hiver et d'été et inversement entre les solstices d'été et d'hiver. Le soleil ne se lève précisément à l'est qu'aux équinoxes de printemps et d'automne.

    De même, le soleil couchant se déplace du sud-ouest au nord-ouest entre les solstices d'hiver et d'été et inversement. Le soleil ne se couche exactement à l'ouest qu'aux équinoxes.

    Il s'ensuit que les quatre points associés au lever et au coucher du soleil aux solstices dessinent un rectangle dit “solsticial”. Les dimensions relatives de ses côtés sont fonction de la latitude du lieu de construction.

    Pour un site donné, le rectangle devient de plus en plus “étroit” au fur et à mesure que la date du relevé s'écarte des solstices et se rapproche des équinoxes comme le montre le dessin ci-contre.

    À titre d'illustration, nous nous pencherons sur l'exemple du temple de Janus, le dieu romain dont le symbolisme est étroitement lié au lever et au coucher du soleil aux solstices et à leur célébration.

     
     
     
     

    Le temple romain

    Situé au nord du Forum de Rome, le temple de Janus a aujourd'hui disparu. À défaut d'autres sources, nous nous en tiendrons à la représentation figurant sur d'anciennes pièces de monnaie romaine. Frappées notamment sous Néron, elles montrent le temple sous ses deux faces. La représentation est conforme à la description de l'historien byzantin du VIe siècle, Procope, dans le “Livre des guerres (la guerre des Goths)“:

    “C'est un édifice rectangulaire formé de deux murs longitudinaux surmontés d'une grille; aux quatre coins, une colonne cantonne ce rectangle dont les petits côtés sont entièrement occupés chacun par un portail en plein cintre orné de guirlandes. L'ensemble est à ciel ouvert...Le temple est...juste assez grand pour abriter la statue du dieu, de cinq coudées sur huit, de forme humaine, mais avec deux faces tournées vers l'est et vers l'ouest...Des portes de bronze s'ouvrent en face de chacun des deux visages de la statue.”

    Les représentations sur les pièces anciennes nous donnent un rapport entre le grand et le petit côté du temple de l'ordre de 1,5 proche du rapport des dimensions de la statue égal à 8/5 = 1,6. Or, ce rapport correspond à celui du “rectangle solsticial“, déterminé à partir de la position du soleil levant et couchant aux solstices et fonction de la latitude de la localisation du temple (φ = 41,88°) 1. En conséquence, les proportions du temple concordent avec celles du rectangle “solsticial” qui a vraisemblablement servi de base pour sa construction. Il s'ensuit que tout être se tenant au milieu du temple pouvait, chaque jour de l'année, voir le soleil se lever ou se coucher entre les colonnes lorsque les portes faisant face à l'est ou à l'ouest étaient ouvertes. Tel était le cas de la statue du Janus bifrons (de “janua” qui signifie porte) se tenant au centre du temple.

    Janus, le dieu à double visage, voit, à la fois, la source de lumière s'élever vers l'illumination et disparaître dans les ténèbres et ses mystères. Deux aspects indissociables d'un même cycle journalier semblable aux deux phases du cycle annuel du soleil à son zénith avec son ascension dans la ciel entre les solstices d'hiver et d'été et sa descente entre les solstices d'été et d'hiver. Un mouvement apparent décrit par l'arc en plein cintre surmontant les colonnes encadrant chacune des deux portes. Ces symboles font de Janus le gardien des Portes solsticiales qui donnent accès aux Mystères:

    La Porte associée au solstice d'été et au sud donne accès aux petits mystères qui consistent en une ré-génération psychique complète produisant un individu (“individuum” ou indivisible), c'est-à-dire centré en lui-même et non plus dispersé aux quatre coins de son existence. Cette porte ouvre la voie à l'état proprement humain.

    Toutefois, l'être qui n'est pas parvenu à réaliser la plénitude de l'état humain passera la porte dans l'autre sens et retournera à l'état d'être ordinaire associé à la phase descendante du soleil avant de pouvoir entreprendre une nouvelle ascension. Il restera prisonnier du mouvement cyclique fait de “hauts” et de “bas” tant qu'il n'aura pas réalisé l'intégralité des états humains.

    La Porte en relation avec le solstice d'hiver, le nord et la phase ascendante du soleil donne accès aux grands mystères qui mènent l'individu de l'état humain à l'état supra-humain ou spirituel pour en faire un être total. Le centre de l'individu se fond alors dans le Centre du Monde, résidence de l'Un.

    L'être qui franchit cette Porte la passe définitivement, sans retour en arrière possible. Il quitte à jamais le monde cyclique et rejoint le Centre immobile du Monde.

    Les portes d'accès au temple et les Portes d'accès aux Mystères sont reliées respectivement aux mondes terrestre et céleste:

    • Les portes d'accès au temple sont associées au lever et coucher du soleil le long de l'horizon;
    • Les Portes d'accès aux Mystères sont en relation avec les phases ascendante et descendante du soleil à son zénith dans le ciel.

    Les portes associées aux équinoxes (est ouest) et les Portes en relation avec les solstices (sud nord) sont parfois représentées par un Janus quadrifrons comme dans l'Arc de Janus à Rome (voir le dessin ci-dessus).

    Ce lien architectural entre les mondes terrestre et céleste, symbolisés par les axes équinoxial et solsticial, préfigure la croix qui servira de base à la construction des premières basiliques et des édifices religieux ultérieurs. À noter que l'accès à ces édifices se fera selon l'axe extérieur et terrestre est-ouest tandis que l'accès aux Mystères sera réservé à l'axe intérieur et céleste sud-nord.


    La basilique romaine

    Les premières basiliques chrétiennes datent du IVe siècle et leur structure a dû s'inspirer du modèle civil de la vaste basilique romaine, à la fois tribunal et centre d'affaires. Son plan rectangulaire est semblable à celui du temple.

    Il est possible de se faire une idée de la plus ancienne église chrétienne de Rome, la basilique de Latran, grâce à une fresque antérieure à son remaniement au XVIIe siècle. La reconstitution du plan de l'ancienne basilique est présentée ci-dessous:

    1. Nef;
    2. Bas-côté;
    3. Transept;
    4. Abside.

    Les dimensions du rectangle constitué de la nef (1) et des bas-côtés (2) sont dans un rapport approximatif de 1,4, c'est-à-dire du même ordre de grandeur que celui des côtés du temple de Janus. Prolongé jusqu'aux limites de l'abside, le rectangle reproduit exactement le rectangle solsticial.

    Il n'est pas surprenant dès lors que la basilique soit dédiée aux deux Saint-Jean: Jean le Baptiste fêté le 24 juin et Jean l'Évangéliste fêté le 27 décembre. Ce n'est par hasard que la première basilique chrétienne en appelle à deux saints célébrés aux solstices. La référence à Janus et à son symbolisme est patente.

    Bien que l'entrée principale de la basilique de Latran actuelle soit encadrée par deux énormes colonnes de chaque côté, nous n'avons pas de représentation de la façade frontale de l'ancien édifice. Néanmoins, il existe une reconstitution imagée (d'après K.J. Conant) de la première basilique Saint Pierre, presque aussi ancienne que la basilique de Latran. Elle se présente sous la forme du plan rectangulaire suivant:

    1. Nef;
    2. Bas-côté;
    3. Transept;
    4. Abside;
    5. Narthex;
    6. Atrium.

    L'ancienne basilique Saint Pierre a pu être construite selon un plan conforme à celui des anciennes basiliques civiles qui se limitait à une base rectangulaire réduite à la nef (1) et aux bas-côtés (2). Or, le rapport des dimensions de ce rectangle est du même ordre de grandeur que le rapport correspondant de la basilique de Latran. De plus, le plan ci-dessus (tout comme une représentation en trois dimensions) montre une façade frontale ornée de quatre colonnes.

    Les quatre sommets du rectangle à la base de construction de l'édifice étaient repérés par des poteaux préfigurant les futures colonnes. Cela est patent dans le cas du temple de Janus offrant deux ouvertures: l'une à l'est, l'autre à l'ouest. Dans le cas des basiliques où l'entrée ne se fait plus que par l'ouest, les colonnes situées à l'est n'avaient plus de raison d'être. Dès lors, les colonnes associées à l'ouverture orientale ont été jumelées avec celles de l'ouverture occidentale pour rappeler aux fidèles la signification des portes.

     
     

    Les colonnes jumelées

    L'architecture du temple de Janus était déterminée à partir du rectangle solsticial du lieu de construction, associé au relevé du lever et du coucher du soleil aux solstices d'été et d'hiver.

    De même, l'édification des basiliques romaines et romanes a dû s'appuyer sur le dessin d'un rectangle en rapport avec les lever et le coucher du soleil à six mois d'intervalle. La date choisie pour le relevé du lever et coucher de soleil (dédicace) ne nous est pas connue pour les premières basiliques, mais les colonnes frontales ou jumelées faisaient sûrement référence à la base rectangulaire utilisée pour leur construction.

    Dans nombre de basiliques anciennes, la signification des colonnes jumelées est encore davantage soulignée par les deux voussures ou arcs en plein cintre qui relient chacune des deux colonnes situées de part et d'autre du portail; elles évoquent les deux portes du temple de Janus.

    Les colonnes jumelées ne représentent pas seulement des aspects opposés comme pourrait le laisser penser les colonnes séparées du temple de Janus, mais également des facettes complémentaires de l'Unité symbolisée par Dieu:

    • Concernant les portes d'accès au temple: lever/coucher, est/ouest, jour/nuit, lumière/obscurité etc.
    • Quant aux Portes d'accès aux Mystères: descente/ascension, sud/nord, été/hiver, chaleur/froid etc.

    Or, l'alliance de la lumière de l'Intelligence et de la chaleur du Coeur porte l'être au plus haut des Cieux. D'où le rapprochement à la fois symbolique et physique des colonnes du portail des basiliques. Cette complémentarité se retrouve en particulier dans la signification chrétienne des Portes donnant accès aux divers états de l'être.

    Dans le tympan du portail des basiliques figure souvent une scène représentant soit le Christ donnant l'Esprit Saint aux apôtres (Vézelay) soit le Jugement Dernier opposant les élus du monde d'en haut et les damnés du monde d'en bas (Autun):

    Dans la première représentation, la scène est associée au symbolisme solaire de Janus et à la Porte Janua Coeli qui donne accès au monde extra-cosmique, au Soleil spirituel. C'est la voie la plus difficile, la porte étroite, le trou de l'aiguille selon l'Évangile: “Je vous le dis encore, il est plus facile à un chameau de passer par le trou d'une aiguille qu'à un riche d'entrer dans le royaume de Dieu” (Saint Matthieu XIX.24).

    Dans le Jugement Dernier, la représentation est en relation avec le symbolisme lunaire de Janus et les deux Portes Janua Coeli et Janua Inferni qui ouvrent respectivement sur les états supra-humains et les états humains du monde cosmique. À défaut d'accéder aux états humains, l'être franchira la Porte Janua Inferni dans l'autre sens et sera condamné à vivre sa condition d'être ordinaire en proie aux tourments du monde ici-bas.

    Pour plus de détails sur le symbolisme des Portes, voir par exemple, le symbolisme du croissant sur ce site.

    Les colonnes jumelées rappellent à celui qui pénètre dans le lieu de culte les deux portes du temple de Janus ouvrant sur l'obscurité et la lumière et les deux Portes donnant accès aux états humains et supra-humains. Ce dernier aspect est encore renforcé dans la basilique de Vézelay où deux portails semblables ouvrent respectivement sur le narthex (vestibule où errent les âmes en peine) et la nef (qui ouvre l'être au voyage intérieur vers les états supérieurs).

    Les colonnes jumelées ne sont ni identiques ni opposées, mais complémentaires. Tel est le sens véritable de la gémellité où les jumeaux représentent des images en miroir et leur union une image de l'Un sur Terre.





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