• La Commanderie Templière de Coulommiers

    Fondée au XIIème siècle, remaniée entre les XVème et XVIIIème siècles, transformée en ferme après la Révolution... La Commanderie de Coulommiers fait figure de fresque historique sur laquelle les styles architecturaux se côtoient comme pour mieux raconter son histoire.

    L'histoire de la Commanderie de Coulommiers ressemble à celle de la plupart des commanderies implantées en Europe. Les Templiers s'y sont installées au XIIème siècle et y ont construits leur maison (le terme de Commanderie n'apparaît qu'au XVème siècle), c'est à dire un ensemble de bâtiments tenant à la fois du monastère et de la ferme de rapport, et destinés à se procurer des fonds pour financer leurs actions en Terre Sainte (la protection des pèlerins chrétiens)

    Après la suppression de l'ordre en 1312, toutes ses propriétés ont été transmises par bulle papale à l'ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem, et Coulommiers est devenu le siège d'une commanderie de l'Hôpital, jusqu'à la confiscation des biens du clergé à la Révolution.

    Jusqu'en 1966, ce fut une exploitation agricole où les bâtiments formaient la "Ferme de l'Hôpital", nom sous lequel le cadastre la recense encore. Elle fut achetée avec les terres alentours en 1963 par la municipalité de Coulommiers pour étendre le quartier des H.L.M. En 1968, la restauration et l'animation culturelle est confiée aux Amis du Musée du Papier, qui ont signé avec elle un bail emphytéotique de 99 ans, et qui ont entrepris la restauration des bâtiments par des chantiers de bénévole. Depuis 1990, ils en ont confié la responsabilité aux A.T.A.G.R.I.F., Ateliers de Techniques Anciennes du Groupement REMPART Ile-de-France qui poursuit aujourd'hui, une oeuvre d'Education au Patrimoine et à l'Histoire au travers du Centre de Culture et d'Histoire.

    Une commanderie qui renaît à la vie

     

    A la sortie de Coulommiers, vers le nord-est, depuis quelques années s'érige la ville nouvelle. H.L.M. centres commerciaux, espaces verts et ouvrages routiers remplacent progressivement les champs de blé et les jardinets.
    A la limite de ce quartier du XXe siècle, on a la surprise de découvrir un édifice pour le moins inattendu en un tel endroit : des granges aux charpentes massives et respectables enserrent un corps de logis du XIIe siècle au toit élancé, flanqué d'une tour octogonale et d'une chapelle du XIIIe.
    Il s'agit de l'ancienne commanderie des Templiers « sur Coulommiers » et, si l'on pousse la curiosité jusqu'à s'approcher de la barrière de bois qui garde l'entrée de la cour, une nouvelle surprise nous attend : les bâtiments construits par les « pauvres chevaliers du Christ», que de loin on croyait abîmés dans un éternel oubli, résonnent de coups de marteau, d'appels et de rires. C'est que, depuis plusieurs années déjà, des équipes de jeunes sous la direction de responsables locaux, en été surtout, s'emploient à sauver l'édifice et à l'arracher à son isolement.
    Car la vieille commanderie - Il en reste pourtant peu d'intactes en France - était vouée à la destruction. Vers 1964, en effet, la municipalité en étant devenue propriétaire, un plan d'urbanisme prévoyait la mise à bas des bâtiments pour permettre le passage d'une route...

    La richesse des Templiers

    Dès 1128, année du concile de Troyes, les chevaliers entreprirent la construction d'une commanderie à Coulommiers, sur un site fort ancien puisqu'il fut Jadis occupé par un camp romain avant de l'être par un château fort détruit en 978.
    Celle-ci prospéra rapidement et s'enrichit de multiples donations de seigneurs locaux. Ainsi, lorsqu'à l'aube du 13 octobre 1307 les hommes de Philippe Le Bel les arrêtèrent, les Templiers de Coulommiers étaient-ils à la tête d'un bon nombre de fermes, terres, forêts, moulins et étangs. Provisoirement administrée par le prévôt de la ville, la commanderie échut, après le procès, aux Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem qui adjoignirent une tour octogonale au corps de logis. La révolution de 1789 en fit une ferme, ce qu'elle devait demeurer jusqu'en 1964.

    C'est à cette époque que M. Jean Schelstraete intervint dans la destinée de l'ancienne commanderie. M. Schelstraete s'occupe de recherches dans les sélections de semences pour une coopérative agricole, mais il s'est toujours intéressé à l'art et passionné pour les recherches archéologiques dans cette région de la Brie.
    Ayant appris que la destruction de la «ferme de l'hôpital », comme on appelle la commanderie dans le pays, était envisagée, il contacta Georges Goetz, réalisateur du Musée d'arts et de traditions populaires de la Brie, et tous deux entreprirent de sauver le monument. Justement, Georges Goetz cherchait un édifice pour y installer un musée du papier : la commanderie était tout indiquée...

    Du fumier dans la chapelle

     

    Finalement, M. Schelstraete parvint à faire entendre raison à la municipalité : sauvegarder la commanderie était indispensable. Il obtint même plus : l'autorisation de l'utiliser pour abriter une ‘exposition provisoire’ de la première collection du ‘Musée du Papier’. En trois semaines, les scouts de la ville réussirent à aménager les salles du rez-de-chaussée. En octobre 1966, le musée ouvrait et, en moins de trois semaines, il enregistrait plus de 2.500 entrées payantes. Aussitôt, naissait l'Association des amis du Musée du Papier dont le président devait être M. Bertrand Flornoy.
    Pour M. Schelstraete et ses amis, les difficultés ne faisaient que commencer. Tous les dimanches, régulièrement, et avec des moyens de fortune, ils s'attaquèrent aux travaux de première urgence, déblayant par exemple la chapelle Sainte-Anne qui jusqu'alors avait servi d'étable et dont le sol était recouvert d'une épaisse couche de fumier...
    Déjà, des jeunes participaient au sauvetage, des jeunes de Coulommiers auxquels vinrent bientôt se joindre des équipes d'étudiants venus de divers horizons. Parallèlement, bien sûr, tous les moyens étaient bons pour réunir les fonds nécessaires à cet effort. Des jeunes réalisèrent un petit journal « Sauvetage Commanderie » et le vendirent dans la ville. Une plaquette fut pareillement diffusée.
    Mais l'idée la plus intéressante revient à Mme Françoise Bibolet, conservatrice de la bibliothèque de Troyes, qui prêta à M. Schelstraete des bois du XVIIème siècle. Celui-ci, en compagnie du directeur général de l'usine Brodait et Taupin de la ville, passa de nombreuses soirées pour retrouver le procédé d'impression au « frotton », en usage au XVe siècle. Il en résulta environ soixante-dix exemplaires de sept gravures anciennes qui, elles aussi, furent vendues au profit de l'Association.
    Enfin, tous ces efforts furent couronnés de succès. Au début 1969, l'Association des Amis du Musée du Papier et la municipalité de Coulommiers signèrent un bail par lequel la première partie devenait locataire de l'ancienne commanderie pour une durée de 99 ans, pour un loyer de... 1 franc par an. De l’autre part la ville gardait à sa charge l'entretien des terrains et de la clôture alentour. Enfin, le bail, qui peut être considéré comme un modèle en la matière, prévoit la création d'une maison des jeunes dans une aile du bâtiment.
    Juste récompense, en reconnaissance de l'utilité de l'œuvre entreprise, les Amis du Musée du Papier reçurent à plusieurs reprises des prix au concours annuel de la Caisse nationale des Monuments historiques.

    La commanderie revivra

    Sauver le monument posait un problème technique qui venait s'ajouter aux diverses tracasseries administratives et financières. Un architecte, René Gutton, fut chargé d'effectuer un relevé de plans et d'établir les divers projets.
    On s'en doute, les objectifs sont multiples. Pour cette raison, les jeunes qui viennent travailler à la commanderie, en provenance des horizons les plus divers, se divisent en équipes travaillant par roulement.
    Le principal effort est bien entendu porté sur la chapelle Sainte-Anne. Les murs de celle-ci ont été recrépis jusqu'aux voûtes avec un enduit ocre qui reproduit la teinte d'époque et dont il a fallu retrouver la composition, et peu à peu on s'emploie à en reconstituer les vitraux. Cette chapelle a d'ailleurs donné lieu à de très intéressantes découvertes, des fresques par exemple, dès le début des travaux. Puis, plus récemment, des symboles purement templiers, autour des clefs de voûtes principalement, un Saint-Georges terrassant le dragon, un agneau et une couronne royale, une annonciation où un ange ailé se présente à la Vierge qui se tient à côté d'un pot contenant des fleurs de lys, etc…
    Il a fallu également remettre en état les toitures des granges en clouant du lattis avant de poser de nouvelles tuiles, aménager la cuisine et les locaux d'hébergement, poser des canalisations pour l'écoulement des eaux.

    Mais l'opération la plus dure, bien que la plus passionnante sans doute, a consisté à déblayer une crypte de la boue et des dépôts multiples qui en avaient élevé le niveau du sol jusqu'au chapiteau de l'unique colonne centrale qui soutient la voûte. Hélas, ces travaux, après des heures et des heures d'efforts, durent être abandonnés, du fait des infiltrations d'eau impossibles à éliminer et qui se faisaient de plus en plus abondantes à mesure que l'on creusait.

    L’ombre du trésor

     

    Une fois le sauvetage mené à bien, l'ancienne commanderie des Templiers pourra être considérée comme un chef-d'œuvre du genre. En effet, dépassant le cadre d'intérêt purement historique et architectural, l'Opération Sauvetage Commanderie sera à l'origine d'un véritable petit complexe social et culturel, ce qui ne semble guère éloigné de ce qu'a pu être l'idéal des « pauvres chevaliers du Christ ». Déjà, en plus du Musée du Papier, unique en France et qui, présentant de remarquables pièces de collection, attire de nombreux visiteurs dans la région, des manifestations sont déjà organisées dans le cadre de la vieille commanderie.
    Cette entreprise, et ce dès maintenant, présente un intérêt certain sur un tout autre plan, et des découvertes passionnantes pourraient bien se produire, peut-être dans la crypte au pilier central où les travaux ont dû malheureusement être interrompus, s'il était toutefois envisageable de les reprendre bien entendu.
    En effet, les anciennes propriétés templières ont toujours été, dans l'imagination populaire, auréolées du plus profond mystère. Les bonnes gens parlent de trésors, parfois « du » trésor des Templiers, mystérieusement disparu déjà lorsque les troupes de Philippe Le Bel investirent les commanderies de France, le 13 octobre 1307.
    La commanderie «sur Coulommiers» n'échappe pas à la règle. Depuis des générations, les Columériens se répètent que des souterrains la reliaient à d'autres maisons des chevaliers situées dans la ville même, c'est-à-dire à deux kilomètres environ, et que, durant la messe de la Passion, une pierre de la chapelle Sainte-Anne s'entrouvrait mystérieusement pour la durée de la lecture de l'Evangile. L'audacieux qui n'hésitait pas à s'engager dans le conduit et effectuer le voyage aller et retour jusqu'à destination revenait couvert d'indulgences. Par contre, s'il n'était pas revenu avant la fin de la lecture, la pierre basculait de nouveau et il était muré irrémédiablement.
    Légende à clef? Enseignement ésotérique? Ce n'est certes pas impossible. On imagine très bien le postulant s'engageant dans le couloir de la quête et, son but atteint, se trouvant couvert « d'indulgences » mais condamné s'il s'égare en chemin et ne peut revenir en arrière à temps...
    Certains, en tout cas, n'ont pas manqué d'accorder crédit à ces ‘superstitions’ - sur un autre plan néanmoins! - et sont venus jadis effectuer des fouilles clandestines, dans la fameuse crypte justement !
    D'ailleurs, tout n'est pas que légendes dans le domaine souterrain de la « ferme de l'hôpital ». Un historien local, dans une étude publiée en 1853, rapporte qu'au début du XIXe siècle, le propriétaire de l'ancienne commanderie avait pénétré dans une galerie, assez profondément « pour que les lumières s'éteignent sans qu'on puisse les ranimer ». Malheureusement, vers 1820, une épizootie décima les animaux de la région, et on jeta les trop nombreux cadavres dans cette galerie dont l'orifice fut ensuite comblé de terre.
    Aussi, n'est-il pas déraisonnable d'espérer des découvertes, un jour ou l'autre, à Coulommiers, surtout autour de cette fameuse crypte -qui sait ?- dans laquelle une porte murée, laissant logiquement supposer l'existence d'autres salles souterraines, avait déjà été localisée lors des premiers travaux. Et à propos de cette crypte qui, contrairement à toute attente, ne se trouve pas sous la chapelle mais sous une grange, on ne peut s'empêcher de rêver en évoquant l'article 7 des statuts secrets rédigés par le mystérieux Templier Roncelin du Fos : « Ayez dans vos maisons des lieux de réunion vastes et cachés auxquels on accédera par des couloirs souterrains pour que les frères puissent se rendre aux réunions sans risque d'être inquiétés »...
    Quant à M. Schelstraete, il estime que la découverte d'un trésor ou autre vestige extraordinaire, constituerait une surprise aussi merveilleuse qu'inespérée, une sorte de récompense suprême. Mais, pour l'instant, ses objectifs sont tout autres : faire revivre une des rares commanderies templières encore intacte en France, et lui assigner une nouvelle vocation culturelle dans notre société du XXe siècle.

    Daniel REJU

     
    Travaux de restauration dans le chapelle

    Ce texte date de 1971. Depuis ce temps, le site en question a été restauré et est devenu l'objet de la considération des autorités. De nombreuses activités culturelles se déroulent dans les vénérables murs des pauvres chevaliers du Temple… Si on ne peut qu'applaudir à ces démarches et remises en valeur remarquables, il serait intéressant de savoir ce qu'il en est de cette piste qu'avait retrouvée D. Réju à propos de cette crypte et d'une galerie devenue un charnier pour les restes d'animaux. La chronique, nous l'avons vu, fait mention d'infiltrations d'eau s'écoulant dans cette cavité soutenue par un seul pilier. Daniel poursuivait certaines pistes lorsque la Camarde le faucha. Il nous avait fait remarquer, au demeurant, que personne n'avait souligné que ce local souterrain avait été édifié par des hommes maîtrisant parfaitement les réseaux hydrauliques… et qu'il en était d'autant plus étonnant encore que plus tard cette crypte se remplisse inexorablement d'eau ! D'après Réju, le système permettant l'inondation de certaines parties discrètes, sans doute enclenché au moment de larrestation des Templiers, ne pouvait être inversé à notre époque, faute d'en connaître le mécanisme oublié ! Mais ce n'est pas tout. Au moment des premières restaurations, d'autres parties souterraines, dites alors « inutiles et sans fondement » ont été discrètement… mais rapidement comblées sans que les maîtres d'ouvrage en soient à propos… On peut se demander, là encore, pourquoi ces silences et actes d'effacement de vestiges réputés… inutiles et sans fondement. Le plus curieux reste que personne, jamais, ne s'est inquiété ou insurgé des raisons ou prétextes de cette hâte à effacer… rien du tout. On ne peut pas non plus dire que personne ne savait ou ne s’occupait de ce vestige puisque plusieurs sites internautiques font état de cette commanderie comme un modèle de rénovation et de conservation des mémoires templières… Etrangement, sur ces sites, rien de bien considérable sur le sujet ! C'est donc pour nous un devoir de mémoire rendu à D. Réju d'avoir soulevé ces interrogations. Notre ami avait poursuivi seul ses investigations sur le sujet. Il avait pu, dans la proche périphérie des bâtiments templiers, découvrir de nombreux détails dont nous n'avons jamais trouvé traces ailleurs que dans ses travaux. De ce constat, il nous reste deux possibilités amusantes. La première est que ces prétendus spécialistes en matière templière n'auraient jamais pu accéder à ces détails, pourtant sous forme d'archives, documentaires et sur site… et c'est bien curieux pour des spécialistes ! La seconde est encore pire et viendrait à dire que ces mêmes personnages ne font pas mention de ces éléments car ne les jugeant pas (et sur quels critères ?) assez pertinents pour être mis à la disposition des lecteurs ou du public.
    On sait qu'effectivement au moins deux galeries desservaient les sous-sols de la vieille place templière. Et la réalité est que Réju les a visitées, certes dans des conditions difficiles et inconfortables, mais sur invitation d’habitants locaux… que personne, jamais, n'a voulu entendre et tenir compte de leur savoir. Ce genre de conduite est des plus insolites, voire inquiétant, de la part des autorités et personnes intervenant dans la sauvegarde du site. Il est vrai qu'ensuite il est plus simple de dire qu'il n'y a rien de fondé dans de ridicules légendes… surtout après le décès des témoins devenus très âgés… et en évitant prudemment d'interroger un journaliste en possession de photographies et proposant de conduire sur place ceux qui le voudraient. Aujourd'hui, nous détenons le dossier de notre défunt ami et nous ne manquerons pas, le moment venu, d'en faire état…





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