• LA GNOSE

    CHRÉTIENNE


    Pierre SOISSON
    Le mot gnose provient du grec gnosis qui signifie
    connaissance. Il qualifie une connaissance de la divinité,
    provenant non d'un enseignement quelconque, d'une étude
    intellectuelle, mais d'une intuition profonde, de ce que Bergson
    appellera une « prise immédiate de conscience » 1 qui nous
    permet de saisir les mystères aptes à assurer notre salut.
    Toutes les religions, à ce titre, connaissent une gnose.
    C'est une connaissance existentielle qui, science en même temps
    que sagesse, modifie la croyance et le comportement, transforme
    l'homme dans son ensemble.
    Les textes sacrés peuvent être compris de deux
    manières : ou bien on s'en tient au sens littéral, ou bien on
    considère qu'ils ont un sens symbolique, caché. C'est là une des
    différences entre religions ésotériques et religions exotériques.
    Dès les premiers temps de l'homo sapiens, dès que les
    représentants archaïques de notre espèce se sont posé des
    questions sur l'origine de l'univers et sur le rôle de l'homme en ce
    monde, comme sur ses fins dernières, autrement dit, dès la
    naissance de la conscience interrogative, la réponse religieuse
    s'est imposée. C'est ce qu'exprime Schopenhauer quand il écrit
    que l'homme est un animal essentiellement religieux nous
    pensons, pour notre part, qu'il ne l'est qu'existentiellement c'est
    ce qu'Auguste Comte a bien observé, découvrant ce qu'il appelle
    « l'état théologique ». À partir de ce moment, une tradition
    mythique se crée et certains hommes cherchent à inscrire audelà
    des mots des vérités essentielles. D'où le rôle considérable du
    symbolisme dans toutes les mythologies. D'où, dans des temps
    plus proches de nous, la naissance d'une gnose égyptienne, d'une
    gnose juive, d'une gnose iranienne, d'une gnose chrétienne, d'une
    gnose islamique. Évidemment, dans notre propos, c'est la gnose
    chrétienne qui nous intéresse particulièrement et, si nous devons
    1 Henri BERGSON, Les deux sources de la morale et de la religion.
    46
    faire référence à des gnoses d'autres origines, c'est uniquement au
    regard des influences qu'elles auraient pu avoir sur le
    christianisme.
    Les Pères de l'Église considèrent la gnose chrétienne
    comme une hérésie, bien que Tertullien écrive : « L'hérésie est
    toujours postérieure à l'orthodoxie » 2 et que la gnose chrétienne
    soit bien antérieure au Concile de Nicée qui a jeté les bases de
    l'orthodoxie chrétienne. C'est ce qui a dû faire dire à Hippolyte :
    « Les premiers Chrétiens ne s'appelèrent pas Nazaréens car
    l'hérésie nazaréenne existait avant le Christ et ne le connaissait
    pas ». Une hérésie antérieure au dogme ? Bizarre… mais la
    logique et les Pères de l'Église ne font pas toujours bon ménage.
    La gnose chrétienne se situe dans le grand courant qui
    réunit Platon et Plotin, Hermès Trismégiste (IV ème siècle avant
    notre ère) et Philon d'Alexandrie, Clément d'Alexandrie et
    Origène. S'il existe d'autres gnoses comme celle de la Merkhaba,
    comme celles des différents écrits apocalyptiques de la Bible,
    comme celle de la vision d'Ézéchiel ou de la Kabbale, en ce qui
    concerne le judaïsme, si le manichéisme ou le mandéisme,
    comme certaines tendances islamiques, relèvent de la même
    tournure d'esprit, la gnose chrétienne plonge ses racines dans la
    tradition grecque. Renan l'a fort bien remarqué lorsqu'il écrit,
    comparant le christianisme gnostique et le christianisme
    catholique : « La grande différence consiste essentiellement en ce
    que les conceptions gnostiques représentent une sécularisation
    portée à son plus haut point, une hellénisation radicale et
    prématurée du christianisme avec rejet de l'Ancien Testament ; le
    système catholique, au contraire, une sécularisation d'une
    hellénisation qui s'est faite graduellement et en conservant
    l’Ancien Testament ».
    Notre point de vue diffère cependant de celui de
    Renan. Celui-ci pose en effet comme postulat de base
    que le christianisme a pour origine le judaïsme et qu'il
    s'est hellénisé par la suite, brutalement dans le cas de la
    gnose, graduellement en ce qui concerne le catholicisme.
    Nous pensons plutôt que le christianisme, d'origine
    2 TERTULLIEN, Apologia.
    47
    païenne, a subi, à un moment donné, une judaïsation. La
    gnose représente un refus partiel de cette judaïsation,
    alors que le catholicisme l'a acceptée.LA GNOSE CHRÉTIENNE
    Pierre SOISSON
    Le mot gnose provient du grec gnosis qui signifie
    connaissance. Il qualifie une connaissance de la divinité,
    provenant non d'un enseignement quelconque, d'une étude
    intellectuelle, mais d'une intuition profonde, de ce que Bergson
    appellera une « prise immédiate de conscience » 1 qui nous
    permet de saisir les mystères aptes à assurer notre salut.
    Toutes les religions, à ce titre, connaissent une gnose.
    C'est une connaissance existentielle qui, science en même temps
    que sagesse, modifie la croyance et le comportement, transforme
    l'homme dans son ensemble.
    Les textes sacrés peuvent être compris de deux
    manières : ou bien on s'en tient au sens littéral, ou bien on
    considère qu'ils ont un sens symbolique, caché. C'est là une des
    différences entre religions ésotériques et religions exotériques.
    Dès les premiers temps de l'homo sapiens, dès que les
    représentants archaïques de notre espèce se sont posé des
    questions sur l'origine de l'univers et sur le rôle de l'homme en ce
    monde, comme sur ses fins dernières, autrement dit, dès la
    naissance de la conscience interrogative, la réponse religieuse
    s'est imposée. C'est ce qu'exprime Schopenhauer quand il écrit
    que l'homme est un animal essentiellement religieux nous
    pensons, pour notre part, qu'il ne l'est qu'existentiellement c'est
    ce qu'Auguste Comte a bien observé, découvrant ce qu'il appelle
    « l'état théologique ». À partir de ce moment, une tradition
    mythique se crée et certains hommes cherchent à inscrire audelà
    des mots des vérités essentielles. D'où le rôle considérable du
    symbolisme dans toutes les mythologies. D'où, dans des temps
    plus proches de nous, la naissance d'une gnose égyptienne, d'une
    gnose juive, d'une gnose iranienne, d'une gnose chrétienne, d'une
    gnose islamique. Évidemment, dans notre propos, c'est la gnose
    chrétienne qui nous intéresse particulièrement et, si nous devons
    1 Henri BERGSON, Les deux sources de la morale et de la religion.
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    faire référence à des gnoses d'autres origines, c'est uniquement au
    regard des influences qu'elles auraient pu avoir sur le
    christianisme.
    Les Pères de l'Église considèrent la gnose chrétienne
    comme une hérésie, bien que Tertullien écrive : « L'hérésie est
    toujours postérieure à l'orthodoxie » 2 et que la gnose chrétienne
    soit bien antérieure au Concile de Nicée qui a jeté les bases de
    l'orthodoxie chrétienne. C'est ce qui a dû faire dire à Hippolyte :
    « Les premiers Chrétiens ne s'appelèrent pas Nazaréens car
    l'hérésie nazaréenne existait avant le Christ et ne le connaissait
    pas ». Une hérésie antérieure au dogme ? Bizarre… mais la
    logique et les Pères de l'Église ne font pas toujours bon ménage.
    La gnose chrétienne se situe dans le grand courant qui
    réunit Platon et Plotin, Hermès Trismégiste (IV ème siècle avant
    notre ère) et Philon d'Alexandrie, Clément d'Alexandrie et
    Origène. S'il existe d'autres gnoses comme celle de la Merkhaba,
    comme celles des différents écrits apocalyptiques de la Bible,
    comme celle de la vision d'Ézéchiel ou de la Kabbale, en ce qui
    concerne le judaïsme, si le manichéisme ou le mandéisme,
    comme certaines tendances islamiques, relèvent de la même
    tournure d'esprit, la gnose chrétienne plonge ses racines dans la
    tradition grecque. Renan l'a fort bien remarqué lorsqu'il écrit,
    comparant le christianisme gnostique et le christianisme
    catholique : « La grande différence consiste essentiellement en ce
    que les conceptions gnostiques représentent une sécularisation
    portée à son plus haut point, une hellénisation radicale et
    prématurée du christianisme avec rejet de l'Ancien Testament ; le
    système catholique, au contraire, une sécularisation d'une
    hellénisation qui s'est faite graduellement et en conservant
    l’Ancien Testament ».
    Notre point de vue diffère cependant de celui de
    Renan. Celui-ci pose en effet comme postulat de base
    que le christianisme a pour origine le judaïsme et qu'il
    s'est hellénisé par la suite, brutalement dans le cas de la
    gnose, graduellement en ce qui concerne le catholicisme.
    Nous pensons plutôt que le christianisme, d'origine
    2 TERTULLIEN, Apologia.
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    païenne, a subi, à un moment donné, une judaïsation. La
    gnose représente un refus partiel de cette judaïsation,
    alors que le catholicisme l'a acceptée.





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