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Par metanoia1 le 11 Janvier 2013 à 20:53
DRUIDES, FEES ETCHEVALIERS DANS LA
FORET DE BROCELIANDE.
Marcel Calvez
Université européenne de Bretagne F-35000 Rennes
Université Rennes 2, CNRS, ESO UMR 6590 F-35000 Rennes
marcel.calvez@univ-rennes2.fr
La forêt de Paimpont est située à l'ouest du département de l'Ille-et-Vilaine, aux limites du
département du Morbihan. Elle couvre une superficie d'environ 8000 ha bordés de landes à
l’Ouest. Elle se divise en deux parties : la Basse Forêt, principalement une chênaie-hêtraie sur
un substrat de grès et la Haute-Forêt, principalement une forêt de résineux sur un substrat de
schiste. Au sud, la forêt est bordée par le camp militaire de Coëtquidan, ouvert entre 1907 et
1914, à partir d'un premier champ de tir de 1000 ha installé en 1873. Le camp militaire
représente également une surface le plus souvent boisée de 5300 ha. En Basse-Forêt, un
circuit d'étangs créés aux XVIe et XVIIe siècle alimente des forges qui ont périclité à partir du
XIXe siècle, ont été fermées en 1956 et sont actuellement l'objet d'une réhabilitation dans le
cadre de la valorisation du patrimoine industriel. Au bourg de Paimpont, les restes d'une
imposante abbaye bordent l’étang, avec en arrière-plan la Haute-Forêt. Dans les clairières de
la forêt, une faible activité agricole demeure sur des petites propriétés à côté d'un habitat
résidentiel. En 1875, la forêt a été achetée au comte de Paris par un armateur et industriel
nantais pour son repos et son agrément, selon son expression. Il l’a divisée entre ses enfants
qui se sont alliés à des familles aristocratiques qui continuent d’en détenir la majeure partie.
La propriété publique est peu importante (moins de 700 ha).
La forêt de Paimpont est réputée être l’antique forêt de Brocéliande, théâtre de la geste
arthurienne, ce qu'atteste aux yeux du visiteur les lieux associés aux exploits des chevaliers de
la Table ronde, de l’enchanteur Merlin et des fées Viviane et Morgane. Le long de la RN 24
qui relie Rennes à la côte morbihannaise, un grand panneau, une composition paysagère de
ruines évoquant la chevalerie et une aire de service indiquent aux voyageurs qu'ils sont à
proximité d'une terre légendaire.
La topographie légendaire des Romans de la Table ronde prend forme à partir des années
1820. Elle est consolidée par les pratiques des visiteurs et des touristes qui, en allant à
Paimpont, vont à Brocéliande. Si la topographie se maintient avec ses lieux dédiés, son
organisation d'ensemble connaît des transformations à la mesure des changements de la
pratique touristique ainsi que des politiques d'aménagement du territoire qui se développent
au cours du XXe siècle.
L'objet de ce texte est de présenter cette invention d'une topographie légendaire de la Table
ronde et les transformations contemporaines dont elle a été l'objet L’approche s’inscrit dans la
continuité des analyses développées par Maurice Halbwachs sur la production d’une mémoire
collective1. Brocéliande est un cas intéressant pour examiner comment une forêt est inventée
comme un territoire légendaire et un lieu touristique, et comment ces usages se combinent
avec les droits et les pratiques des autres usagers de la forêt.
1 M. Halbwachs, La topographie légendaire des évangiles en terre sainte. Etude de mémoire collective, Paris,
PUF, 1971 (1ère édition : 1941)
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Manuscrit auteur, publié dans "Festival international de géographie. Programme scientifique, Saint-Dié-des-Vosges : France
(2010)"
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Brocéliande sous Brecheliant
Dans les oeuvres médiévales qui content les aventures des chevaliers de la Table ronde,
Brocéliande est l'une des forêts de la geste arthurienne. Sous le nom de Bréchéliant, elle
apparaît dans le Roman de Rou de Robert Wace qui l’évoque en ces termes : « e cil devers
Brecheliant/donc Breton vont sovent fablant/une forest mult longue e lee/qui en Bretaigne est
mult loee » . Wace cite également la fontaine de Berenton qui jaillit d’un perron sur lequel,
lorsque l’on verse de l’eau de la fontaine, le soleil se change en pluie. Plus tard, chez Chrétien
de Troyes, Brocéliande est le cadre des aventures de Yvain, le Chevalier au lion. D'autres
auteurs, dont les écrits sont exhumés par les érudits du XIXe siècle qui s'intéressent à
Brocéliande et à la geste arthurienne, font également référence à cette forêt merveilleuse.
Mais elle n'a pas de localisation précise, les uns la voient en Bretagne armoricaine, les autres
en Bretagne insulaire.
Au XVe siècle, les Laval, héritiers des Montfort, identifient leurs terres de la forêt de
Paimpont au Bréchéliant de Wace dont ils s'inspirent largement dans les « Usemens et
Coustumes de la foret de Brecilien »2. Ils revendiquent aussi la maîtrise des miracles
météorologiques du perron de la « fontaine de Bellanton ». Mais d'autres familles, dont les
Rohan, revendiquent également une filiation arthurienne attestée par les lieux sur lesquels ils
ont une juridiction, dont le château de Joyeuse Garde près de Landerneau dans l’actuel
Finistère.
Au début du XIXe siècle, Brocéliande continue de désigner une forêt légendaire, sans que
la localisation de cette forêt soit établie. Ainsi Creuzé de Lesser écrit, dans sa préface au
poème La table ronde, dans la première version (1811) : « [Les savants] remarquent que c'est
en Bretagne, dans la forêt de Brocéliande, près de Quintin que Merlin est censé être
enseveli ». Dans ce texte, les savants renvoient à l’abbé de la Rue ; la forêt de Brocéliande est
identifiée à la forêt de Lorge dans les actuelles Côtes-d'Armor3. À la même période,
Chateaubriand écrit que : « Au XIIe siècle, les cantons de Fougères, Rennes, Dinan, Saint-
Malo et Dol étaient occupés par la forêt de Bréchéliant. Wace raconte qu'on 'y voyait
l'homme sauvage, la fontaine de Barenton et un bassin d’or. » (Mémoires d'outre-tombe, écrit
à Dieppe en septembre 1812). En 1825, par les indications topographiques qu’il donne, de
Marchangy situe la « forêt Brocéliande », comme il l’appelle, entre Gaël en Ille et Vilaine et
Bégard dans les Côtes d’Armor. Mais cette forêt est avant tout un cadre littéraire attendu pour
le « merveilleux des temps anciens » et les héros des épopées chevaleresques4.
En 1825, Blanchard de la Musse voit dans une allée couverte au Nord de la forêt de
Paimpont ce tombeau de Merlin, auquel il associe le tombeau de « son épouse Viviane ». Si le
tombeau de Merlin dans la forêt de Lorge et celui de Viviane en forêt de Paimpont sont restés
introuvables, l'allée couverte associée à Merlin s’est inscrite dans la topographie légendaire de
Brocéliande à Paimpont, dont elle constitue un des points centraux. Dans les années de cette
2 Cette identification se trouve en particulier dans R. Le Baillif, Le démostérion de Roch Le Baillif, Edelphe,
Médecin spagiric, Piere le Bret, 1578, in-quarto; dédié à Monsieur de Laval.
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k542533.image.r=Le+d%C3%A9most%C3%A9rion.f6.langFR
3 L’Abbé de la Rue avait découvert Wace et la littérature médiévale lors de son exil à Londres durant la
révolution française. Titulaire de la chaire d’histoire de l’université de Caen à partir de 1808, il a publié deux
ouvrages relatifs à cette littérature : Mémoire sur les bardes armoricains, Caen, 1815 ; Essais historiques sur les
bardes, les jongleurs et les trouvères normands et anglo-normands, ibid., 3 vol. in-8°, Caen, 1834. Il identifiait
Bréchéliant à la forêt de Lorge ; il y plaçait la fontaine de Barenton et le perron de Merlin.
4 L-A de Marchangy, Tristan le voyageur ou la France au XIVe siècle, F-M Maurice & U. Canel, Paris, 1825.
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k28433c.image.r=Marchangy.f3.langFR (sur Brocéliande : tome 2, chapitre
27, p. 187-200)
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désignation, la forêt de Paimpont en vient à être identifiée comme l'unique forêt de
Bréchéliant (ou de Brocéliande dans sa forme moderne), théâtre de la geste arthurienne, ou
bien les vestiges de cette forêt selon l'idée que les peuplements agricoles ont réduit une forêt
primitive qui aurait recouvert toute la Bretagne armoricaine.
Cette identification se retrouve chez le chanoine Mahé (1825) qui, dans son inventaire des
antiquités du département du Morbihan, signale Bréchéliant, Barenton et Concoret (traduit en
Val des fées). Elle est affirmée dans les écrits de Baron du Taya en 1834, et surtout en 1839
où l'on trouve cette conversation entre l'auteur, qui possède quelques terres près des sites de la
forêt de Paimpont qui ont récemment acquis une appellation légendaire, et le duc de Quintin
qui revendique l'appellation de Brocéliande pour sa forêt de Lorge 5.
« -Ce que j'affirme c'est que notre forêt de Paimpont a conservé le nom de Brécilien, et les
auteurs du XIIe et XIIIe siècle en font le théâtre des aventures désenchantement.
-Mais qu'est-ce donc que Brocéliande ? Dit le duc.
-N'en déplaise à M. le duc de Quintin, c'est Paimpont.
-Et la preuve ?
-Monseigneur, j'en ai plus d'une ».
L'auteur invoque la présence de la fontaine de Barenton et du perron de Merlin, cités par
Wace. Cet écrit témoigne que, en quelques années, la topographie a déjà acquis l'évidence de
l’exhumation d'un passé glorieux au détriment des autres lieux qui, en Bretagne armoricaine,
revendiquaient d'être des vestiges de Brocéliande.
En 1836, Brizeux, dans ses carnets de mission en Bretagne tient l'appellation légendaire de
Brocéliande pour acquise6. Il invoque le nom d'un des cantons de la forêt, « Brézilien » (en
fait Trécilien), souligne la continuité de l'appellation de Brocéliande. Il va dans un lieu qu'il
appelle « Ber en Dunn » (en fait Barenton), à propos duquel il émet un avis d'expert en
archéologie pour réfuter l'appellation « Tombeau de Merlin » qu'il attribue par erreur à une
dalle appelée « Perron de Merlin ». Il rejette la première appellation en considérant que « les
pierres qui n'étaient pas jointes ensemble ne pouvaient être le tombeau de Merlin, d'ailleurs
la plus grande même est trop petite pour être la pierre tombale ». En 1837, Hersart de la
Villemarqué, qui préparait le Barzaz Breiz7 tient également cette localisation de Brocéliande
acquise : « J'avais tant de fois dans l'enfance entendu parler de Merlin, lu dans nos romans
de chevalerie bretonne de si merveilleuses choses sur son tombeau, la forêt de Brécilien, la
fontaine de Barenton et la vallée de Concoret que je fus pris d'un vif désir de visiter ces lieux
et qu'un beau matin, je partis. »8
5 A. Baron du Taya, 1834, Opuscules bretons. III. Brocéliande, Rennes ; 1839, Opuscules bretons. Brocéliande,
ses chevaliers et quelques légendes. Recherches publiées par l'éditeur de plusieurs opuscules bretons, Rennes,
Vatar, volume III. La famille Baron du Taya est originaire de Quintin. Elle a compté à cette période un de ses
membres maire de Quintin, dont l’un de ses fils fut maire de l'Hermitage, les deux communes sur lesquelles est
située la forêt de Lorge. L’auteur des opuscules bretons doit être le frère de ce dernier, juge à Saint Malo, puis
conseiller à la Cour de Rennes, démissionnaire en 1830, qui est présenté comme archéologue (1783–1850).
6 Son voyage est réalisé dans le cadre de la mission d’inventaire de Mérimée, Inspecteur général des monuments
historiques. Voir L. Cren , « Brizeux, chargé de mission en Bretagne », Bulletin de la société d'histoire et
d'archéologie de Bretagne , XXXV, 1955,105-121.
7 Barzaz Breiz. Les chants populaires de Bretagne. Il s’agit d’un ouvrage de chants populaires bretons collectés
par l’auteur dès 1833 , dont la première version a été publiée en 1839 à compte d’auteur. Un chant aurait été
collecté à Concoret auprès de sabotiers venant de la Bretagne bretonnante. L’authenticité de l’ouvrage a donné
lieu à des polémiques jusqu’à la découverte des carnets de collecte par Donatien Laurent en 1964 (Aux sources
du Barzaz-Breiz : la mémoire d’un peuple, Douarnenez, Editions Ar Men, 1989). T. Hersart de la Villemarqué a
également publié Les contes des anciens Bretons. Précédé d’un essai sur les origines des épopées
chevaleresques de la Table ronde, Paris, W. Coquebert, 1842.
8 T. Hersart de la Villemarqué « Visite au tombeau de Merlin », Revue de Paris, deuxième série, 1837, XLI, 45-
62.
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Par l'entremise de découvreurs du territoire, la forêt de Paimpont devient en quelques
années la seule et unique forêt de Brocéliande, au détriment de tout autre lieu en Bretagne
armoricaine9. Lorsque la pratique touristique se développe, cette identification est acquise et
consolidée dans des lieux dédiés qui constituent la trame de l'itinéraire de visite de la forêt de
Brocéliande.
L'identification de Brocéliande à la forêt de Paimpont
Les Romans de la Table ronde ont été exhumés de l'oubli dans lequel ils étaient tenus
depuis la Renaissance par le Comte de Tressan, membre de l’Académie française, qui, dans
les années 1770, a écrit une version française des romans de chevalerie Artus de Bretagne et
Tristan le léonais, ainsi que du Roland furieux de l’Arioste. Creuzé de Lesser reprend cette
réhabilitation de textes anciens sur un mode poétique en publiant un « poème allégorique »
Les chevaliers de la Table ronde en 1812 et Roland en 181510.
Parallèlement, plusieurs auteurs se préoccupent des origines celtiques de la France, puis de
la Bretagne11. Cette préoccupation se forme tout d'abord autour de questions relatives aux
origines de la langue bretonne, considérée comme la langue mère de l'humanité à une période
où la conception évolutive des langues n'était pas encore formée. À la fin du XVIIIe siècle, la
question des origines se reporte sur les mégalithes qui alors sont considérés comme des
monuments celtiques12. Cet intérêt pour les mégalithes donne lieu au début du XIXe siècle à
l'essor des sociétés archéologiques qui s'efforcent de décrire ces monuments et d'en découvrir
les mystères.
L’identification de Brocéliande à la forêt de Paimpont est à la croisée de ces deux courants
intellectuels. Elle passe par la figure de l’enchanteur Merlin, le précepteur du roi Arthur, qui
permet d'articuler les cultes druidiques et le légendaire arthurien transmis par les Romans de
la Table ronde13. Trouver le tombeau de Merlin en Bretagne armoricaine, c'est assurément
attester les origines celtiques de la légende arthurienne par une preuve irréfutable, d'autant
9 Seule, la forêt du Huelgoat, dans les monts d'Arrée à l'est de Brest, est toujours présentée comme un antique
vestige de la forêt de Brocéliande. Un impressionnant chaos de rochers est désigné comme la grotte d'Arthur et
un oppidum gaulois comme le camp d'Artus. Cette désignation légendaire prend appui sur l'idée d'une forêt
originelle, couvrant la Bretagne centrale, qui est développée par les historiens au XIXe siècle. Elle procède de la
valorisation touristique des lieux qui, à la fin du XIXe siècle, deviennent un site de villégiature. Le chaos de
rochers, les bois, les rivières et les lieux archéologiques sont qualifiés comme une sorte de « Fontainebleau
breton ». La référence à Brocéliande et au roi Arthur enrichit ce lieu de références culturelles en consonance
avec les attentes des visiteurs, en particulier britanniques, habitués aux nombreux sites légendaires arthuriens en
Grande-Bretagne (plus de 300 sites arthuriens répertoriés). Mais cette identification est largement postérieure à
celle de Paimpont que l'on situe entre 1825 et 1835-40.
10 A. Creuzé de Lesser, Les chevaliers de la table ronde. Poème en 20 chants, Paris, Delaunay, 1812. L’ouvrage
sera réédité souss le titre La table ronde sous lequel il figure dans La chevalerie ou histoires du Moyen-Âge.
Poème sur les trois grandes familles de la chevalerie romanesque, Ponce-Lebas éditeurs, Paris, 1839 (p 1-155 :
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1174509.image.r=Creuz%C3%A9+de+lesser.f577.langFR )
11 B. Tanguy., 1977, Aux origines du nationalisme breton, Paris, UGE, coll. . 10-18.
12 Les Celtes sont réputés être les populations les plus anciennes du continent européen qui, à la suite de
différentes vagues de migration, se sont retrouvées dans les confins occidentaux du continent où existent des
mégalithes.
13 Merlin est parfois associé à Guinclan (Guiclan ou Guinclaff) qui était réputé avoir rédigé des prophéties
mentionnées dans les dictionnaires bretons du XVIIIe siècle (Grégoire de Rostrenen et Dom Le Pelletier), et
partiellement reprises Hersart de la Villemarqué. Dom Le Pelletier aurait copié un manuscrit intitulé "An dialog
etre Arzhur, Roue d'an Bretounet ha Guynglaff" (Dialogue entre Arthur, roi des Bretons et Guinclan) ce qui pour
notre propos indique le lien qui est fait dès le XVIIIe siècle entre la figure d’un druide (Guinclan/Merlin) et le roi
Arthur en Bretagne armoricaine (Tanguy, op. cit.).
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que, à la fin du XVIIIe siècle quelques auteurs font naître Merlin à l’île de Sein, une île
réputée être un lieu de culte druidique14. Dans le contexte de l'époque, ce tombeau ne peutêtre
qu'un mégalithe, puisque ces derniers sont réputés être des monuments celtiques.
La première association du tombeau de Merlin à un mégalithe est faite par Poignand, juge
d'instruction au tribunal de Montfort en 1820. Dans une note de bas de page d'un ouvrage
consacré aux Antiquités historiques et monumentales de Montfort à Corseul, il désigne ainsi
une allée couverte située sur la route qui relie la ville de Montfort à Paimpont15. Cette
désignation est reprise par François Blanchard de la Musse en 1824 dans un article consacré à
la ville de Montfort16. En se fondant sur l'autorité du poème publiée par Creuzé de Lesser, il
caractérise les lieux de la façon suivante : « Les deux tombeaux de Merlin et de son épouse
Viviane […] sont en effet au bord de la forêt sur une montagne à main droite en remontant
cette rivière de Mell, laquelle va se perdre dans le lac du Pont des géants, aujourd'hui étant
du pont Domiean, où l'on arrive comme Lancelot, par une forêt très épaisse au très beau
pavillon qu'habitait la fée Morgain, soeur du roi Arthur. »
Le comte Blanchard de la Musse, alors âgé de 72 ans avait été avocat puis conseiller au
Parlement de Bretagne avant la révolution. Poète, il avait également activement participé à la
création de la Société académique de Nantes devenue par la suite Société des sciences et des
arts du département de Loire inférieure. Il publie des poèmes, des comptes-rendus et des notes
dans le Lycée Armoricain, créé en 1823 pour « répandre les connaissances utiles » des
sciences, de la littérature et des Beaux-Arts17 . L'article qu'il consacre à Montfort en 1824
illustre le processus de recomposition symbolique et de nouveau marquage d'un territoire
opéré par les sociétés savantes18. Il défait la ville de Montfort, récemment érigée en souspréfecture,
de son appellation prérévolutionnaire de Montfort-la-Cane, qui renvoie à une
légende locale attestée depuis plus de 300 ans, pour lui substituer une appellation
topographique, en lui adjoignant le nom du Meu, l'une des deux rivières qui la traversent. Le
poème de Creuzé de Lesser lui permet de substituer au marques du passé récent, un héritage
légendaire glorieux. Le Meu devient la rivière Mell. Suivant une identification des noms de
lieux aux noms de héros anciens et glorieux, le Meu ou Mell est associé au chevalier Meliadus
du poème La Table ronde19. Cela le conduit à localiser le théâtre des exploits contés par
Creuzé de Lesser dans une vallée à proximité, le val de la Marette, qu'il dénomme Val sans
retour.
Cet appel à une littérature évoquant un passé glorieux n'a rien d'exceptionnel. La même
année, le chanoine Mahé dans son inventaire des antiquités du Morbihan consacre quelques
14 J. Cambry, Voyage dans le Finistère. ou l’état de ce département en 1794-1795, Paris, Cercle social, AnVII, 3
voL. , D. Miorcec de Kerdanet, Notices chronologiques sur les théologiens, jurisconsultes, artistes, bardes de la
Bretagne, Brest Imprimerie de Michel, 1818. Né en 1793, il était historien, avocat et docteur en droit, exbibliothécaire
de la ville de Rennes. En 1823, il a publié Voyage au château de Joyeuse-Garde près de Brest,
Brest in-18°. Il a publié plusieurs articles dans Le Lycée armoricain (Source : J.M. Quérard, La France littéraire
ou Dictionnaire bibliographique des savants,... 1827-1839)
15 J. Poignand, Antiquités historiques et monumentales à visiter de Montfort à Corseul par Dinan, Rennes,
Duchesne, 1820.
16 F. U. Blanchard de la Musse, « Aperçu sur la ville de Montfort-sur-le-Meu, vulgairement appelé Montfort-la-
Cane », Le lycée armoricain, 1824, 4, 22, 300-314.
17 Tout comme Blanchard de la Musse, Poignand fait partie des premiers souscripteurs de la revue et y publie des
notes et comptes-rendus.
18Ainsi, la société académique de Nantes organise à plusieurs reprises un concours sur la mise en valeur des
terres vaines et vagues et les biens communaux, dans la perspective de développer l'agriculture. Parmi les
réponses: de Lorgeril, Mémoire sur la nature et le défrichement des Landes de Bretagne, 1819; Nadaud ;
Mémoire sur les terres vaines et vagues et des biens communaux, 1826.
19 Chez Roch le Baillif (op.cit.), l’Armorique est associée à Armoreus dont les origines proviennent de la Guerre
de Troie.
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pages à la description des monuments mégalithiques de Tréhorenteuc à l'ouest de la forêt.
Pour attester leur caractère celtique, il se réfère aux Poèmes d’Ossian de MacPherson, publiés
en 1773 : « Il n’y a qu’Ossian qui nous fournisse quelques lumières ». En mobilisant des
oeuvres littéraires se rapportant à un passé lointain aux confins des légendes, ces découvreurs
de territoire s'approprient symboliquement des lieux et des monuments au statut alors indéfini
et à l'histoire inconnue pour produire un territoire nouveau en consonance avec leurs
aspirations culturelles.
La lecture de textes aux références identiques et aux expressions comparables suggère la
circulation des références littéraires et des identifications locales dans les milieux d'érudits
provinciaux, juges et archéologues en particulier, qui fréquentent des sociétés savantes sans
doute en relation les unes avec les autres. C'est ainsi que l'on peut comprendre que, à partir de
1825, l'identification de Brocéliande à la forêt de Paimpont est acquise parmi les antiquaires
et les notables qui s'intéressent au passé légendaire arthurien. Les autres identifications de
Brocéliande figurent de moins en moins dans les écrits.
Après celle de Poignand, les désignations faites par Blanchard de la Musse dans l'arrièrepays
de Montfort servent de catalyseur pour développer la topographie légendaire de
Brocéliande. Une fontaine, lieu d'un culte religieux local, devient ainsi la fontaine de
Barenton célébrée dans le Roman de rou ; une dalle à côté, le perron de Merlin. De proche en
proche, tout au long du XIXe siècle, la topographie se précise et s'enrichit d'anecdotes et de
lieux nouveaux.
Quelques lieux légendaires changent de place. Le plus notable est le Val sans retour qui,
autour de 1850, est déplacé de son implantation première dans le val de la Marette près du
tombeau de Merlin vers l'ouest de la forêt de Paimpont, près de Tréhorenteuc, une commune
déjà remarquée pour l’abondance de ses mégalithes20. Au cours de ces années, un bâtiment
métallurgique avait été construit dans la vallée de la Marette, ce qui allait à l’encontre des
représentations d'un lieu sauvage et impénétrable propice aux légendes. En 1854, une
description de cette vallée exprime cette dissonance entre le territoire et les légendes: « En
place de tours enchantées, de châteaux merveilleux, de prieurés et d'abbayes, de religieux et
de dames, [le visiteur] trouvera une usine métallurgique dans laquelle le minerai se
transforme non plus sous la baguette d'une fée, mais sous le souffle de puissantes machines,
sous le poids des normes marteau que l'industrie, fée de nos jours fait marcher à son gré. »21
L'appellation est alors attribuée à une vallée rocheuse près du village de Tréhorenteuc :
quelques rochers deviennent le siège de Merlin ; une allée couverte devient l’hotié de Viviane,
maintenant séparé de son époux, selon l'expression de Blanchard de la Musse.
À la fin du XIXe siècle, la topographie légendaire est définitivement établie par Felix
Bellamy, professeur de chimie à l'École de Médecine et de Pharmacie de Rennes. Il
commence à s'intéresser à Brocéliande en analysant les eaux de Barenton, dont il donne la
teneur dans un ouvrage publié en 1868. Il aborde alors la question des appellations diverses de
Brocéliande en remarquant que : « On sait aujourd'hui d'une façon certaine que la forêt de
Brécilien, à une époque très ancienne, s'étendait depuis Montfort et Guichen jusque dans la
paroisse de Paule (arrondissement de Guingamp) dont un village porte encore le nom de
Brécilien. On peut donc dire sans exagération qu'elle occupait au centre de la Bretagne un
espace de 30 lieues de long sur 12 à 15 de large »22. Cette affirmation est cohérente avec
l'idée d'une grande forêt centrale au coeur de la Bretagne armoricaine, alors promue par
Arthur de la Borderie, historien de la Bretagne. Cette conception très large de Brécilien
20 M. Calvez, Brocéliande et ses paysages légendaires, Ethnologie française, XIX, 1989, 3, 215-226.
21 A. Fouquet, Guide des touristes et des archéologues dans le Morbihan, Vannes, A. Cauderan, 1854.
22 F. Bellamy, La Fontaine de Barenton. Légendes, État actuel, analyse des eaux, Nantes, V. Forest, 1868, in 8°.
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comme forêt originelle ne l'empêche pas, dans son ouvrage de 1896, d’en établir une
topographie légendaire exhaustive limitée à la forêt de Paimpont et à ses alentours dont il
inventorie les sites et rejette certaines appellations qui lui semblent douteuses ou incohérentes.
Il explique ce changement de la façon suivante : « Je me plais à reconnaître la science,
l'érudition, en un mot l'incontestable compétence de l'Abbé de la Rue en ce qui concerne la
littérature du Moyen Âge […] Mais je me refuse à admettre que lui, étranger à la Bretagne,
en ait connu la topographie mieux que des gens, tels que M. Poignand, nés dans le pays, y
ayant passé leur vie en s'adonnant aussi au même genre d'études. Et puisque M. Poignand de
Montfort, ainsi que d'autres personnages fort habiles dans la question (Baron du Taya, etc.)
affirme que la forêt de Paimpont ou de Brécilien est le coeur encore battant, bien que les
membres en aient été séparés, de la grande et vraie Brocéliande, que là se trouvent encore les
merveilles qui lui valurent le renom de forêt enchantée, j'adopte leur avis plutôt que celui de
M. de la Rue. » 23
De l'espace légendaire à l'espace touristique
La valorisation touristique de la forêt de Paimpont est contemporaine de l'arrivée du train à
Rennes en 1861. Dans les années suivantes, les guides touristiques mettent en valeur le lieu au
sein d'itinéraires de visites. Le Guide Joanne (1867), ancêtre du Guide bleu, place la forêt de
Paimpont « célèbre sous le nom de Brocéliande » sur l'itinéraire de Rennes à Vannes. La
courte notice indique Merlin, la fontaine de Barenton, Eon l'étoile, l'église de Paimpont24. Ce
guide régional a pour objet de qualifier l'ensemble des lieux touristiques de la région, de faire
valoir leur intérêt pour des visiteurs extérieurs qui s'adonnent à la pratique touristique et de les
organiser dans des circuits de visite. La topographie légendaire est désenchantée, réduite à
quelques « choses à voir »25 dans le cadre du temps limité dont disposent les visiteurs.
Le réenchantement touristique et légendaire est l'oeuvre des guides locaux qui mettent en
valeur la diversité des lieux et proposent des itinéraires de visite détaillés. Le premier guide
local de Brocéliande est publié en 186826. Il se veut « être utile à cette classe de touristes,
grâce à Dieu de jour en jour plus nombreux, qui avant de visiter l'Allemagne, la Suisse ou
l'Italie, croit bon de connaître la France ». Le guide propose un itinéraire pédestre de deux
journées pour faire connaître, « l'un des cantons de Bretagne les moins visités et qui méritent
cependant de l’être », selon une rhétorique qui vise à créer l'intérêt de lieux déjà singularisés
par les guides nationaux. Il compare Paimpont à la forêt de Fontainebleau, la matrice des
espaces forestiers d’agrément pour cadre de référence: « Nous osons même dire qu'en ce qui
concerne le petit coin de Bretagne qui nous occupe, il nous paraît soutenir parfaitement la
comparaison avec quelques-uns des sites aussi vivant de la forêt de Fontainebleau ». Il met
en avant l’attrait de ses sites et de ses paysages pour les membres des classes oisives qui
s'adonnent au tourisme : « Nous croyons qu'après avoir vu des forges de Paimpont, Comper,
les panoramas des hauteurs de Barenton, de Beauvais […], les vallons encaissées et ombreux
23 F. Bellamy, La forêt de Bréchéliant. La Fontaine de Barenton. Quelques lieux alentour. Les principaux
personnages s'y rapportant, Rennes, Plihon &Hervé, 2 vol., 1896 (citation : vol. 2, p. 216).
24 A. Joanne, itinéraire général de la France. Bretagne (avec 10 cartes et plans), Paris, Hachette, 1867.
25 H.M. Enzensberger, Une théorie du tourisme. Culture ou mise en condition ?, Paris, Julliard, Lettres nouvelles,
1965,151-174.
26 Dubois de Pacé [DB], Brocéliande en deux journées. Guide du touriste à la forêt de Paimpont, Rennes, Leroy,
1868.
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du Val sans retour, de Lorgeril, le peintre, le poète, le rêveur ne regretteront pas l'emploi de
leur temps et de leur journée »27.
Dans son guide de 1919, Delalande, délégué du Touring-club de France, s'adapte à la
population touristique changeante et réorganise la forêt en un itinéraire de visite de deux
journées pour les cyclistes et les automobilistes28. Cet itinéraire est ponctué de points de vue,
parfois agrémentés d'un banc du TCF comme au Val sans retour, d'où se déploient aux yeux
du visiteur des panoramas, objets esthétiques qui créent le charme des lieux. La première
journée, en Basse-Forêt, fait connaître les édifices religieux et les témoignages d'une activité
industrielle en voie d'extinction : les forges et les étangs qui les alimentent en constituent des
sites clés. Le paysage type est composé d'un premier plan aquatique qui s'ouvre sur la forêt
dans le lointain. Le second itinéraire, en Haute–Forêt, emprunte des chemins de crête en vue
d'accéder à certains lieux légendaires. Les parcours sont marqués par des points de vue à
partir desquels le panorama forestier s'envisage d'un seul coup d'oeil. Les perspectives
paysagères privilégiées par ces sites ont pour support une succession de vallons qui se perdent
dans la forêt.
La localisation des itinéraires touristiques fait de la forêt l’arrière-plan des lieux
légendaires et touristiques. Le visiteur du XIXe siècle n'accède pas à la forêt, mais il la
contemple comme une composante du paysage à partir de lieux qui lui sont accessibles. Au
moment de l'invention de la topographie légendaire, l'exploitation forestière intense en vue
d'alimenter les forges de Paimpont a largement réduit la forêt (on évoque une surface de
moins de 6000 ha) et l’a transformée en taillis, objets d'une coupe rase tous les dix ans29. Les
landes sont extrêmement étendues en périphérie de la forêt ; elles sont une composante
essentielle des finages agricoles auxquels elles offrent des espaces pour le pacage du bétail, la
production fourragère et le chauffage, avant que la révolution agricole n'arrive dans ces
contrées. On comprend que les premiers récits des découvreurs de territoire évoquent
beaucoup plus les landes que la forêt qui reste un paysage d'arrière-plan. La topographie
légendaire de la forêt de Brocéliande, que la tradition littéraire dépeint le plus souvent comme
une forêt impénétrable, a ainsi pour support des paysages de landes et de taillis. Ces paysages
ouverts sont regardés comme des lieux naturels, dans lesquels se trouvent des rochers
affleurant et des mégalithes qui en évoquent l’antiquité. Pour des visiteurs lettrés en quête
d'un passé glorieux, ils sont aptes à une transfiguration légendaire parce qu'ils correspondent
aux représentations attendues des lieux de ces légendes.
Lorsque le tourisme prend forme, l'intense activité forestière est terminée ; la forêt gagne
sur les taillis. Les landes communales ont été partagées en 1859 et 1860 ; les paysans en
défrichent une partie. C'est donc un paysage très différent de celui qui existait au moment de
l'invention légendaire que découvre le touriste du XIXe siècle. La forêt et les landes sont
l'objet d'une exploitation productive, mais le visiteur voit le plus souvent dans les lieux qu'il
découvre les vestiges d'un espace naturel préservé. Ainsi, Bellamy traverse des landes qu’il
27 La reprise de l'ouvrage de Dubois de Pacé en 1897 indique les voies de communication pour accéder à la forêt
de Paimpont : la ligne de chemin de fer La Brohinière-Ploërmel-Questembert (qui permet de rejoindre le réseau
Nord de la compagnie de l'Ouest au réseau Sud de la compagnie d'Orléans), le tramway de Rennes à Plélan qui
accède aux forges de Paimpont, et le chemin de fer de Guer, près de Coëtquidan. Le guide ajoute : « [Il] sera
précieux pour une catégorie de touristes et non des moins intéressés à le consulter, celle des officiers de l'armée
d'actives, de la réserve et de l'armée territoriale des garnisons de Rennes et de Vannes qui viennent chaque
année passer plusieurs semaines au camp de Coëtquidan pour leurs s écoles à feu. Pour eux, bien que l'attrait
principal reste la forêt de Paimpont, on a complété le guide. » (p. 12)
28 H. Delalande, Guide du touriste dans la forêt de Paimpont. Itinéraires cyclistes et circuits automobile, Rennes,
1919 [Deuxième édition augmentée, 1926]
29 Sur l’histoire productive de la forêt de Paimpont, M. Denis, Grandeur et décadence d’une forêt. Paimpont du
XVIe au XIXe siècle, Annales de Bretagne, 1957, Tome LXIV, 3, 257-273.
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décrit désertes à un moment où de nombreux troupeaux de bovins et ovins s'y trouvent. Le
paysan, le pâtre et ses troupeaux se fondent dans le paysage découvert par le visiteur jusqu'à
disparaître ou figurer comme des éléments naturels, au même titre que les landes et les
rochers.
L'idée d'une fragilité des lieux que l'industrialisation détruit s’ancre dans ces
représentations touristiques. Bellamy évoque ainsi l'aspect désert de la grande lande à l'ouest
de la forêt : « Néanmoins, sans grande clairvoyance, à certains signes, on pressent que dans
quelques siècles, il pourrait n’en être plus ainsi et cela n'est pas sans éveiller en vous par
commisération un sentiment de tristesse. Comment ! Viendrait donc un temps où cette belle
lande serait envahie par le faubourg empuantit d'une bourgade, d'une ville, une sorte de
Batignolles avec un nom de pareille saveur ! Heureusement pour elle et pour nous, elle reste
encore aujourd'hui la terre déserte que ne fréquente guère l'homme du XIXe siècle. » Après la
première guerre mondiale lors de laquelle la forêt a été l'objet d'une exploitation importante,
un auteur écrit : « Les coupes se font de plus en plus larges et mettent des plaques de lumière
dans le vert sombre des taillis. D'immenses espaces sont tondus ras comme tête de fantassins
[…]. Que restera-t-il bientôt de cette mère sylvestre ? Pauvre Brocéliande ! »30
Le thème de l'espace fragilisé par l'industrialisation est au coeur de la représentation de
l'espace touristique de Brocéliande, comme il est dans de nombreux autres lieux fréquentés
par les classes de loisir. Il est l'avers de l'esthétique des lieux élaborée à partir d'une
transfiguration de la forêt et des landes comme une nature archaïque préservée.
La topographie légendaire et les traditions locales
À mesure que l'espace légendaire se consolide, le paysan et l'usager ancien disparaissent
du paysage. Brocéliande est alors conçue comme une nature plus en consonance avec l'image
de vestige d'un passé ancien qui se prête aux légendes et aux mythes. Si l’habitant a
symboliquement disparu dans une nature valorisée par les légendes, il demeure pratiquement
présent dans les lieux, susceptibles d'informer le visiteur. Le problème qui se pose alors aux
inventeurs de Brocéliande est de parvenir à attester l'authenticité des lieux, non seulement par
la qualité des paysages, mais en donnant aux traditions locales un sens convergent avec le
légendaire.
Les relations des populations locales au corpus légendaire arthurien sont l'objet
d'appréciations successives différentes. La première mention de traditions populaires locales
figure dans Les veillées d'Armor (1857), dédiées à de la Villemarqué. L'auteur, Du Laurens de
la Barre, présente une légende qui a pour cadre les landes de Gautro, près du Val sans
retour31. Elle raconte l’histoire d'un bossu qui aide les korrigans à rallonger le chant de leur
ronde et qui, en guise de remerciement, est délesté de sa bosse. Ce conte se retrouve avec
quelques variantes sous le titre « Les Korils de Plaudren » dans un recueil de contes de Émile
Souvestre publié en 184432. La structure du texte de 1857 conduit à penser qu'il a été repris du
texte de Souvestre. Pour comprendre cet emprunt, il convient de se rappeler que l'implantation
du Val sans retour près de ces landes est alors récente. Par sa désignation légendaire, cette
vallée et ses hauteurs à usage agricole deviennent des sites remarquables dotés d’un potentiel
légendaire. Pour attester l’authenticité bretonne, les korrigans doivent y être présents, même
30 De Kermène, « Brocéliande fin de guerre », Buhez Breiz, 1919, 214-219 ; 237-240
31 E. Du Laurens de la Barre, Les veillées d'Armor, Vannes, Cauderan, 1859. L'auteur a une formation de droit ;
il exerce comme juge de paix (Il est juge de paix dans la commune proche de Tréhorenteuc à partir de 1874).
32 sous le titre Tortig ha Balibousig, dans Le foyer breton , 1844. Souvestre a une formation d'avocat.
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s'ils sont très éloignés de la légende arthurienne. Par l’implantation légendaire, le Val sans
retour devient ainsi apte aux stéréotypes qui organisent la représentation culturelle de la
Bretagne33.
Lorsque les premiers touristes qui viennent à Brocéliande rencontrent des habitants de la
région, ils se posent sans doute la question de savoir ce que ces habitants qui vivent dans un
espace pour eux exceptionnels, gardent de la mémoire des légendes réputées anciennes qui
motivent leur visite. Mais la mise en valeur du légendaire arthurien est récente, tout comme la
topographie légendaire qui la prolonge. Le visiteur de Brocéliande risque d'être désappointé
par la méconnaissance populaire de ce qui est annoncé comme un authentique héritage ancien.
Les guides touristiques locaux anticipent cette discordance en mettant en avant l'amnésie
culturelle des habitants. « Le paysan de l'Ouest, disons-nous, a oublié les contes de fées et les
histoires de sorcières dont sa mère le berçait jadis. Il est fort surpris qu'on vienne de loin voir
le tombeau où la fontaine d'un certain Merlin qui ‘vivait […] Il y a peut-être bien 400
ans’. »34 Il est donc inutile d'interroger les habitants locaux sur quelque chose qu’ils ne
connaissent pas ; seul le paysage est authentique.
La question de la perpétuation des légendes fait de la forêt et de ses environs un lieu
intéressant pour les collecteurs de traditions populaires et folkloristes de la fin du XIXe siècle.
Ils sont conduits à considérer les traditions populaires dans un autre cadre de référence que
celui qui préside à la visite touristique. Foulon-Ménard indique avoir recueilli en 1859, auprès
de Véronique Paris, 74 ans, repasseuse de coiffes, un conte populaire relatif à Merlin : « Nous
avons eu la chance de retrouver, sur le territoire de Brocéliande sur les marges de la forêt
actuelle de Penpont [sic], un conte essentiellement populaire dont Merlin est le héros.[Nous
l'avons] recueilli directement, au moment peut-être où il allait s'éteindre, de la tradition orale
qu'il a perpétuée jusqu'à nos jours et cela dans le pays même de Barenton que notre conte
mentionne avec le titre de royaume comme théâtre des principales aventures dont se compose
le récit. Notre conte est donc un nouveau fragment du cycle légendaire de Merlin en
Armorique ; il a sa place naturelle auprès des fragments déjà publiés ou indiqués par le
savant auteur du Barzaz Breiz »35 À propos du tombeau de Merlin, Paul Sébillot note en 1886
que « une tradition populaire assure qu'il [Merlin] dort sous ces pierres en attendant sa muse
Viviane. Il serait à désirer que cette légende fut recueillie avec soin et que l'on s'inquiéta de
son ancienneté »36. Adolphe Orain qui recueille les contes et légendes de la Haute Bretagne,
remarque à propos de Brocéliande : « Quiconque voudra s'en donner la peine, recueillera des
comptes et légendes tant qu'il voudra dans cette partie d'Ille-et-Vilaine et du Morbihan qui
n'a pas encore été explorée par les folkloristes »37. Selon lui, la possibilité de recueillir des
contes suppose des relations avec les populations locales autres que celles qui prévalent dans
le tourisme de Brocéliande : « Le paysan ne dit pas ses histoires au premier venu. Il faut vivre
dans son intimité, s'asseoir à son foyer, l'entretenir des choses du temps passé et provoquer
ses confidences. Lorsque sa langue est déliée, il ne tarit pas ; mais ce n'est pas toujours facile
et c'est ce qui est sans doute arrivé à l'auteur de « Brocéliande en deux journées. »38.
33 C. Bertho, 1980, L’invention de la Bretagne. Genèse sociale d’un stéréotype, Actes de la recherche en sciences
sociales, 35, 45-62.
34 Dubois de Pacé, op. cit. , p. 8
35 Dr J. Foulon Ménard, « La tradition de Merlin dans la forêt de Brocéliande ». In : Mélanges historiques,
littéraires, bibliographiques. Publiés par la société des bibliophiles bretons. Tome 1, 1878,3-21. L'explication la
plus vraisemblable de cette référence à Merlin la rapporte à l'identification des terres de la forêt de Paimpont au
Bréchéliant de Wace qui a été faite par les Laval au XVe siècle.
36 P. Sébillot, « Quelque héros populaire de la Bretagne ». Congrès archéologique de France (Nantes, 1886),
Caen, 1887, 332-337.
37 A. Orain, Les contes de l'antique forêt de Brocéliande, Revue de Bretagne, de Vendée et d’Anjou, 26,19 101.
38 Ibidem. Il fait référence à Dubois de Pacé. Voir note 34.
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À défaut de prendre du temps et de développer une empathie pour les habitants, le visiteur
les ignore et sollicite son imaginaire pour faire correspondre l'espace réel et la forêt
légendaire. Bellamy considère que « le souvenir des légendes passées y est toujours vivant ».
Comme les habitants du lieu ne peuvent pas attester l'authenticité du marquage légendaire,
seule une approche esthétique permet d'accéder à Brocéliande : « Rien ne pourra effacer [les
souvenirs des légendes] de nos coeurs, surtout des coeurs sensibles et éléments [qui]
dédaignant les basses vulgarités de ce monde de passagers, sont portés sur les ailes du
rêve ». Les lieux sont évoqués sur le mode d’un passé qui aurait miraculeusement été
préservé. En 1921, Reignier de Saint-Aignan écrit à propos du Val sans retour : « Lorsqu'on
visite encore maintenant le fameux ‘ Val sans retour’, il nous semble que l'imagination aidant
voir se dresser devant nous la gracieuse silhouette de la fée Viviane… » 39 Par absence
d'ancrage dans les traditions locales, la forêt de Brocéliande se résume à l'espace sensible du
visiteur lettré.
La recomposition de la topographie légendaire
L’organisation des lieux touristiques et légendaires se modifie après la seconde guerre
mondiale. Sous l'impulsion de l'abbé Gillard son recteur, Tréhorenteuc, un village du
Morbihan à l'ouest de la forêt de Paimpont que le touriste du XIXe siècle découvrait de loin
en visitant le Val sans retour, est transformé en centre de la forêt de Brocéliande. La carte
suivante40 illustre la transformation qu’il a opérée et la centralité qu'il a conférée à
Tréhorenteuc dans sa topographie de la forêt de Brocéliande
Illustration 1: La topographie de la forêt de Brocéliande selon l'abbé Gillard (1953)
39 E. Reignier de Saint-Aignan, Merlin et Arthur dans Brocéliande et le Val enchanté. Esquisses littéraires,
Rennes, Simon, 1921.
40 H. Gillard (le recteur de Tréhorenteuc) « Les mystères de Brocéliande » (première édition 1953)
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De la topographie légendaire de la forêt de Paimpont issue du XIXe siècle, il ne reste que
Barenton et le Val sans retour qui sont des prolongements respectifs de Folle Pensée et de
Tréhorenteuc. De l’itinéraire touristique en Basse-Forêt, demeurent les forges et les étangs,
qui placés à la périphérie de la forêt de Brocéliande de l’abbé Gillard. Le tombeau de Merlin a
cédé la place à la tombe du docteur Guérin, l'inventeur du pansement ouaté, membre de
l'Académie de médecine et conseiller général du canton de Mauron. La forêt de Brocéliande
s'étend maintenant sur des terres agricoles du Morbihan. Tréhorenteuc est le centre vers lequel
tous ces lieux convergent.
Dès son arrivée à Tréhorenteuc en 1942, l'abbé Gillard s'attache à remettre en état une
église délabrée. En 1943, il fait installer dans le choeur un vitrail illustrant la Table Ronde et
le Saint Graal. En 1945, il emploie deux prisonniers allemands, un peintre et un charpentier
qui vont travailler jusqu'en 1947 à la remise en état de l'église. Il commande au peintre, la
réalisation d'un chemin de croix dont les paysages figurent les environs : Jérusalem est
Tréhorenteuc, le Golgotha est le Val sans retour. Le peintre réalise également quelques
tableaux se rapportant aux légendes de la Table ronde. Dans les années suivantes, l'église
s'enrichit d'un grand vitrail qui figure le Saint Graal et Joseph d’Arimathie, ainsi que d'une
mosaïque qui reprend la thématique du cerf entourés de quatre lions, figurant Jésus et les
quatre évangélistes. Les aménagements de l'église sont achevés au cours de ces années.
Les travaux entrepris sous la direction de l’abbé Gillard transforment l'église du village en
un musée de la Table ronde. Ils donnent à voir des représentations figuratives du légendaire
arthurien, alors que celui-ci s’appréhendait auparavant à partir de sites forestiers, de
belvédères et de paysages. L’aménagement de l’église modifie la structure de l'espace
touristique et la relation des visiteurs à la topographie légendaire en créant un équipement
collecteur c'est-à-dire un lieu drainant un public avide de découvrir en un temps restreint
l'univers légendaire de Brocéliande. Le Val sans retour devient une illustration de cet univers.
Cette conception nouvelle est déjà en oeuvre dans le chemin de croix. Elle est également mise
en scène par l'abbé Gillard qui accueille les visiteurs dans l'église, puis qui les conduit au Val
sans retour et qui s’institue ainsi comme guide de Brocéliande.
La valeur légendaire de cet espace est reconnue en 1951 par la tenue d'un Gorsedd des
druides barde et ovates de Bretagne qui se tient au Val sans retour, après une messe devant
l'église et une procession dans des chars à boeufs. Le public peut assister à cette cérémonie de
l'autre côté de la vallée sur les landes de Gautro dont les usages agricoles sont en voie de
disparition. L'organisation de la cérémonie reprend la structure de l'espace touristique. :un
espace accessible aux gens ordinaires d'où ils découvrent de loin le mystère de Brocéliande,
comme ils découvrent des paysages lointains de la forêt. La valeur du site est également
reconnue par la Société internationale arthurienne qui tient son quatrième congrès
international à Rennes en 1954. Les congressistes vont écouter l'abbé Gillard dans son église
et visiter le Val sans retour, contribuant ainsi à lui donner un label légendaire41.
41 Lors du 14e congrès international à nouveau à Rennes en 1984, ils visitent le Val sans Retour, mais pas
l’église de Tréhorenteuc. A la demande de Michel Rousse, professeur de littérature médiévale à l’université
Rennes 2, je guide les congressistes dans la vallée et les landes pour leur expliquer l’implantation légendaire et
l'histoire des anciens lieux agricoles sur lesquels est localisé le Val sans retour. Lors du 22e congrès à Rennes en
2008, une visite de fin de congrès est proposée à Brocéliande et Josselin, en concurrence avec une visite du
Mont-Saint-Michel. L'événement majeur est l'inauguration de l'exposition «Arthur de Bretagne. Roi passé. Roi
futur » dans l'espace culturel « Les champs libres ». Cette exposition présente des manuscrits anciens enluminés
relatifs à la légende arthurienne.
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Au cours des années après-guerre, malgré l’état précaire du réseau routier, un nombre
croissant de visiteurs viennent à l'église de Tréhorenteuc, écoutent l'abbé Gillard puis le
suivent au Val sans retour. Une compagnie rennaise de transport par autocar organise des
voyages dominicaux à Tréhorenteuc. Comme les usages agricoles de la lande entourant le Val
sans retour disparaissent, elle demande à l’un de ses chauffeurs de défricher des chemins
avant l'été. Dans un entretien publié en 1959, l'abbé Gillard évoque la notoriété croissante de
son église : « Généralement pour mes prédécesseurs, Tréhorenteuc n'avait été qu'un lieu de
passage, une brève mission. Pour moi, il en est autrement. Serai-je oublié de mes supérieurs ?
Mes fonctions apostoliques remplies, que faire ?... Songer. J'ai donc songé. Ainsi est venu le
désir de transformer la modeste chapelle que j'ai trouvée en arrivant... Le résultat ? Vous
l'avez vu. Désormais mon église est célèbre. On vient la voir le dimanche. Si nombreux sont
les fidèles que je dis la messe dans une église trop petite... On vient de loin, de Rennes, de
Paris, de l'étranger même. Des journaux, des revues de la capitale ont déjà parlé du recteur
et de l'église de Tréhorenteuc. » 42
La fréquentation de Tréhorenteuc par les nouvelles catégories de touristes de l'après-guerre
valide le territoire que l'abbé Gillard a inventé à partir de la topographie légendaire de
Brocéliande. Lorsque qu’il quitte Tréhorenteuc en 1962, cette nouvelle organisation
touristique est établie. Elle n'abolit pas la topographie précédente, mais elle la complète et
draine une nouvelle population qui accède à Brocéliande à partir de Tréhorenteuc ou qui se
contente dans une courte visite du site constitué par l'église et le Val sans retour. Alors que, en
1891, dans le guide Joanne, Tréhorenteuc est mentionné sur l'itinéraire de Vannes à Dinan,
avec la mention suivante : « Nombreux mégalithes (butte et jardin aux tombes), célèbre par
ses rochers pittoresques, ainsi que le tombeau et le culte de Sainte Onenne (VIIe siècle) », le
village devient un passage obligé de la visite à Brocéliande, ce que l'on retrouve par exemple
dans le guide La Bretagne aujourd'hui publié en 1973 : « Grâce à son recteur aussi érudit
qu'imaginatif et passionné on ne différencie plus le légendaire du réel, on abandonne de
Paimpont pour Brocéliande. L'étape de Tréhorenteuc devient une initiation à un monde où,
parfois étrangement, se mêlent à l'histoire chrétienne réminiscences païennes et récits
fabuleux. »43
De Brocéliande au pays de la Table ronde
En 1963 et 1964, le canton de Mauron auquel appartient la commune de Tréhorenteuc, est
l'objet d'une opération pilote d'aménagement rural. L'une des conséquences de cette opération
est la mise en oeuvre d'actions de développement du tourisme en mobilisant une image
associée à la Table ronde. L'église de Tréhorenteuc et le Val sans retour occupent une place
centrale dans cette réorganisation du territoire. Un syndicat d'initiative est créé en 1968 ; des
équipements d'accueil touristique sont réalisés sur le canton ; des campings sont aménagés au
nord-ouest de la forêt de Paimpont. Grâce à ces équipements le canton obtient le label
« Station verte de vacances » en 1974 sous l'appellation de « Pays de la Table ronde ».
Le canton de Mauron est institué en zone spéciale d'action rurale par le décret du 16 juin
1961, dans l'objectif de mener une opération pilote d'aménagement rural. Tout en élaborant
des orientations de développement pour le canton, cette opération vise à définir des
procédures pouvant servir à la programmation d'actions d'aménagement pour les cantons du
centre Bretagne et, de façon plus générale, pour les zones rurales défavorisées. À la fin des
42 A. Delaunay, « Or, dit le conte... », Aesculape, 1959
43 J. Hureau, La Bretagne aujourd’hui, Paris, Editions Jeune Afrique, 1973
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années 1950, le canton de Mauron est excentré ; la population est en décroissance ;
l'agriculture connaît des difficultés d'adaptation ; l'exode agricole entraîne une dévitalisation
des campagnes. Le choix de ce canton pour y affecter des moyens importants d'aménagement
rural résulte de l’influence politique de Henri Thébault (1921-1986). Alors que plusieurs
cantons du centre Bretagne, voire d'autres régions, auraient pu prétendre être une zone
expérimentale pour l'aménagement rural, il obtient que le canton de Mauron soit choisi. Il se
sert de ce plan pour développer une carrière politique locale morbihannaise et renforcer le
réseau politique de M. Marcellin, président du conseil général du Morbihan à partir de 196444.
Des moyens importants sont affectés à ce plan pilote. L'ingénieur en chef du génie rural du
département du Morbihan anime le secteur et coordonne l'ensemble des services extérieurs de
l'État qui sont mobilisés. Un ingénieur agronome est employé pendant deux ans et dirige les
études auprès de la population. Un questionnaire de plus de 30 pages est rempli par un
enquêteur auprès de chaque ménage du canton. Des études transversales sont menées. Des
réunions rassemblant les habitants et les représentants des administrations départementales
sont tenus dans chacune des communes. Un groupe cantonal associant les élus et les
représentants d'organisations professionnelles traduit ces demandes en programme de
rénovation. Parmi les objectifs de l'aménagement, l'accent est mis sur la transformation de
l'agriculture par la diffusion d'innovations techniques et la restructuration foncière ; la création
d'une zone industrielle est souhaitée ; la vocation touristique de la région est affirmée. Cette
procédure de consultation à l'échelle d'un canton conduit les politiques locaux à envisager la
création d'un syndicat intercommunal à vocation multiple (SIVOM) en vue de coordonner
l'application du programme de développement du secteur. Classiquement, ce programme
passe par le remembrement foncier, la rénovation routière, et la création de zones d'activités
qui sont mises en oeuvre par le SIVOM.
Les procédures de consultation organisées à Tréhorenteuc ne font pas apparaître la mise en
valeur du Val sans retour comme un axe prioritaire. Les demandes principales des familles
concernent le remembrement (16 fois mentionné pour 26 familles d'agriculteurs), l'adduction
d'eau (15 fois), la création d'emplois (16 fois). Seules quatre familles émettent le désir d'un
« développement du tourisme avec aménagement du Val sans retour ». Lors de la réunion
communale de concertation, le remembrement est considéré comme un objectif lointain. En
revanche l'organisation touristique figure au rang d’objectif prioritaire : « La région de
Tréhorenteuc présente un agrément certain pour les touristes. Le site du Val sans retour
pourra être mis en valeur lorsque la route reliant Tréhorenteuc à la route de Beauvais-
Trécesson aura été construite. Le Conseil général [du Morbihan] a prévu lors de sa session
de 1963 l'étude de ce projet à réaliser ultérieurement au titre du programme des chemins
touristiques départementaux. Un terrain de camping pourra être équipé par la commune, ce
qui présenterait l'avantage de retenir les touristes et procurerait quelques débouchés aux
commerçants et agriculteurs locaux. » La consultation permet d'imposer une conception du
44 Originaire de Mauron, il construit une carrière politique après la guerre en Charente, en 1955, il devient maire
d'Angoulême, fonction qu'il exerce jusqu'en mai 1970 avec une courte démission en 1959. Il a également été
conseiller général de la Charente (1949 - 1961) et député de la Charente entre 1956 et 1958. Il a eu un rôle
important en tant qu'animateur du RPF, même s'il s'en éloigné par la suite, soutenant le gouvernement Guy
Mollet, se rapprochant des poujadistes, puis du CNIP. Henri Thébault semble s'être toujours intéressé au centre
Bretagne. En 1950, il est nommé délégué du RPF dans les Côtes-du-Nord. Mais, contre l'avis du général de
Gaulle, il rentre en Charente en 1951. Il se sert de ce plan pour développer une carrière politique locale
morbihannaise. En 1964 il est élu conseiller général de Mauron, alors qu'il est toujours maire d'Angoulême. En
1972, il se présente sous l’étiquette UDR contre le député sortant de la 4ème circonscription, M. du Halgouet élu
en 1958. Leurs querelles permettent à M. Bouvard, un candidat réformateur alors dans l'opposition, d'être élu
député, mandat qu'il continue d'assurer.
Sources : http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/biographies/IVRepublique/thebault-henri-10031921.asp
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Val sans retour comme dispositif d'accueil touristique, d'où l'importance accordée aux
équipements et à l'accessibilité. Au plan cantonal, l'accent est mis sur le tourisme en milieu
rural avec deux objectifs : le développement de la pêche et un tourisme populaire ne
nécessitant pas d'équipements lourds. C'est dans ce cadre que la réalisation de campings
autour de la forêt de Paimpont et l’aménagement de plans d'eau sont envisagés. Sans doute
influencé par l'ingénieur du génie rural, le plan d'aménagement rural promeut la conception
d'un espace rural à valoriser tant au niveau agricole qu'au niveau touristique. Le potentiel que
représentent la topographie légendaire de Brocéliande et son actualisation par l'abbé Gillard
n'est guère pris en compte.
Le syndicat d'initiative, créé en 1968, est l'aboutissement au plan cantonal d'une
organisation du tourisme qui rassemble les six cantons de l'est du département du Morbihan,
ainsi que la commune de Paimpont, dans une « Association touristique des Pays de la table
ronde ». L'initiative de cette association, créée en 1963, revient au député, M. du Halgouet,
qui rassemble les élus locaux et des personnes intéressées par la promotion du tourisme dont
l'abbé Gillard. L'association s'appuie sur la référence aux légendes de la Table ronde pour
mettre en valeur des intérêts historiques et architecturaux des quatre villes du territoire
(Josselin, Malestroit, Ploërmel, Mauron)45. Elle procède à un recensement des points d'intérêt
qu'elle organise au sein de circuits touristiques branchés sur les grands axes routiers. Le Val
sans retour et Tréhorenteuc font partie de deux circuits historiques (circuit de La Trinité-
Porhoët- Mauron d'une part ; circuit de Ploërmel d'autre part), mais ils sont exclus du circuit
de Paimpont plus centrée sur la forêt. Le Val sans retour est ainsi dissocié des autres lieux
légendaires et rattachés aux sites du Morbihan, où il permet de justifier la référence à la Table
ronde46.
Le syndicat d'initiative du canton de Mauron réalise un guide qui recense les différents
points d'intérêt des communes du canton47. Le style d'écriture de l'abbé Gillard dans ses
premières brochures, se retrouve dans les mentions relatives à Tréhorenteuc :
L'église de Tréhorenteuc : « Le grand vitrail du Saint Graal domine l'autel. Les
tableaux du coeur, les vitraux de la nef, la splendide mosaïque qui décore le fond de
l'église, tout est couleur locale, symbolisme et enseignement. La sacristie est un
véritable musée.»
Le Val sans retour : « On y accède soit par le bois de Gautro (départ près du
manoir), soit par le chemin du moulin de la vallée. Un peu plus loin, le Miroir aux fées,
le fauteuil de Merlin, l'enchevêtrement des vallées profondes et encaissées, tout cela est
émerveillement. ».
Contrairement aux guides touristiques nationaux, le propos est peu marqué par l'emphase.
Il s'agit moins de faire venir le visiteur extérieur en lui faisant miroiter le légendaire que, une
fois ce visiteur arrivé, de le faire accéder aux lieux touristiques. Le guide fait ainsi référence
aux points ordinaires d'ancrage de la pratique touristique : un musée, des tableaux, un lieu
auquel sont associés des signifiants légendaires et une indication d'accès.
Le syndicat d'initiative cantonal ouvre quatre permanences estivales, dont l'une dans la
sacristie de Tréhorenteuc. L'objectif de cette permanence est de faire connaître le lieu, mais
45 D'où l'intérêt stratégique de la présence de la commune de Paimpont comme point d'ancrage de Brocéliande
dans un territoire du Morbihan, sans site de la topographie légendaire à l'exception de Tréhorenteuc et du Val
sans retour.
46 En 1967, l'Association touristique des pays de la table ronde donne naissance au syndicat intercommunal du
Centre-Est Bretagne, où ne figurent pas les communes de Paimpont et de la Gacilly, dont le maire est l'industriel
Yves Rocher depuis 1962. Il obtient des crédits du Commissariat à la rénovation rurale en 1971 et joue alors un
rôle de Comité de développement. En 1975, il bénéficie de l’un des premiers contrats de pays en France.
47 Syndicat d'initiative de Mauron, Au pays de la table ronde. Station verte du pays de Mauron. (slnd)
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aussi d'orienter les flux de visiteurs vers des lieux moins connus du canton grâce à des cartes,
des brochures et des conseils. L’accès à l’espace touristique de Tréhorenteuc et du Val sans
retour est facilité au terme du remembrement de Tréhorenteuc en 1971 - 1972. Au bas du
bourg, un parc de stationnement est aménagé ; il donne accès à deux chemins qui mènent au
Val sans retour, l'un par les landes, l'autre par la vallée.
L'office touristique de Brocéliande et le pays de la Table ronde
L'organisation touristique de l'ouest de l'Ille-et-Vilaine est postérieure à celle de l'est du
Morbihan qui lui est adjacent. C'est en 1972, à l'initiative du conseiller général maire de
Paimpont que se constitue l'Office touristique de Brocéliande qui regroupe des quatre cantons
à l'ouest du département d'Ille-et-Vilaine. L'office s'est transformé en Pays d'accueil
touristique de Brocéliande en 1985.
L'Office touristique de Brocéliande réalise un répertoire pour mettre en valeur les
différents sites légendaires, historiques et naturels de la forêt. Il établit un circuit touristique
fléché de 66 km au départ de Plélan-le-Grand, ville par laquelle passe la RN 24 qui relie
Rennes à la côté morbihannaise. Ce circuit reprend en très grande partie les itinéraires de
visite du début du siècle qu'il adapte aux nécessités du transport automobile. Les
Le guide touristique publié en 1979 cherche à dissocier l'ancrage légendaire et les
traditions populaires en remettant ces dernières en valeur : l'objectif assigné au guide est de
« distinguer entre ce qui est réellement issu du peuple et une imagerie conçue par des
intellectuels »48. À l'étape de Tréhorenteuc, le guide expose brièvement le cycle arthurien et
présente l'église. Il invite à une visite du Val sans retour où il utilise l'emphase et la démesure
dans une description de la topographie des lieux: « Du haut du rocher des Faux amants, vous
jouissez à quelques 170 m d'altitude d'un paysage chaotique extraordinaire, celui d'un monde
encore au stade de la genèse. Le Val est un profond ravin, buriné par l'érosion dans les
schistes pourpres et sur lequel se greffent trois vallées annexes venus du sud. Il est parcouru
par le ruisseau de Rauco qui descend de la Haute-Forêt et se termine dans un petit lagon : le
Miroir aux fées ou étang du moulin de la vallée. Le promeneur prendra le temps de parcourir
la lande de Gautro qui constitue deux kilomètres de crête bien dégagée. » Le corpus
légendaire, mobilisé au XIXe siècle pour qualifier la vallée, a disparu profit d'une
transfiguration morphologique et esthétique des lieux. L'appellation maintenant établie de
Miroir aux fées est relativisée par une appellation réputée locale, qui décrit les fonctions de
l’étang. Le paysage de la vallée et des landes est à nouveau l'objet d'une recomposition
symbolique qui abolit le marquage légendaire, récent au regard du stade de la genèse que ces
lieux évoquent au rédacteur du guide.
L'impact des recompositions politiques est déterminant dans la structuration du territoire de
Brocéliande à partir de 1960. Elles conduisent à la dissociation entre Brocéliande en Ille et
Vilaine, et le pays de la Table Ronde dans le Morbihan. Le Val sans retour se trouve d’un côté
et Tréhorenteuc de l’autre. Comme ils sont associés par l’oeuvre de l’abbé Gillard, ils sont le
point d’articulation des deux territoires des politiques départementales d'aménagement. Les
appellations générales et la localisation des circuits s'expliquent par les jeux d'alliances qui se
nouent entre les élus à l'intérieur des cadres départementaux en vue de se saisir des ressources
que les politiques d'aménagement du territoire offrent. C'est à l'intérieur de ces cadres que les
acteurs locaux développent des signifiants touristiques et légendaires.
48 Office touristique de Brocéliande-Syndicat d'initiative de Brocéliande, Guide touristique et culturel de
Brocéliande, Rennes, 1979.
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Les légendes de la Table ronde offrent une image de marque pour valoriser un territoire
plus étendu dans le Morbihan. Ce territoire d’action politique est porté par les notables
locaux, dont certains exercent une activité commerciale en lien avec le tourisme.
L’appellation de la Table Ronde ne se substitue pas à celle de Brocéliande, qui reste associée
à la forêt, mais elle la complète et la concurrence dans la captation des flux de visiteurs.
La valorisation du site de Brocéliande en Ille-et-Vilaine correspond à une autre dynamique
politique, dont la recomposition est plus tardive. Elle permet à une nouvelle génération de
promoteurs du tourisme de valoriser le territoire sous une autre forme : les cultures populaires
sont prises en compte de même que l'espace naturel, ceci au détriment de l'épaisseur
touristique et légendaire ancienne. L'influence des formations en aménagement du territoire et
en développement touristique est indéniable dans cette façon d'appréhender les lieux, de la
même façon que le renouveau des cultures populaires (ici la culture gallèse) au cours des
années 1970.
Aux notables du Morbihan qui enchantent leur territoire par les références à l’imaginaire
médiéval et aux monuments historiques, s’opposent les responsables d’associations locales
qui désenchantent Brocéliande et impulsent une nouvelle approche du territoire prenant appui
sur son potentiel naturel, la richesse de ses sites et ses traditions populaires. Ils regardent avec
beaucoup de distance, sinon de dédain, l’imaginaire associé au légendaire arthurien.
L'aménagement du Val sans retour dans les années 1980 est l'occasion d'une confrontation
entre ces deux modèles.
La sauvegarde du Val sans retour
Le développement de l'accessibilité des lieux légendaires par la création d'accès routier
remet en cause leur appropriation symbolique qui s'était cristallisée depuis le XIXe siècle.
Ainsi, en 1972, Yann Brékilien, vice-président de la confrérie des druides, barde et ovates de
Bretagne, vitupère contre la transformation des lieux et la perte du signifié légendaire : « Des
technocrates technocratisant n'avaient ils pas été, il y a quelques temps, jusqu'à décider la
création d'une route d'accès au Val sans retour dans l'antique forêt de Brocéliande, avec
l'inévitable parking au bord de ce haut-lieu hanté par le souvenir de la fée Viviane et de
l'enchanteur Merlin ? Tout l'intérêt du site réside dans son caractère sauvage et même un peu
mystérieux, dans la difficulté à le découvrir, dans l'impression d'être un peu perdu. Il fallait
vraiment avoir le génie de l'administration pour le rêver au lieu et place de fantômes de
chevaliers, victimes de la magie des fées, d'automobiles, de transistors et de saucissonneurs
du dimanche. » 49
Le développement touristique se réalise dans un site où les usages agricoles, qui
contribuaient de fait à entretenir le paysage, ont disparu. Cet abandon est attesté par le
débroussaillage des chemins opéré par la compagnie de transports dès 1955. Une végétation
propice aux incendies se développe. Le Val sans retour est l'objet d'incendies en 1959, 1967,
1976, puis 1984 et 1990. Les incendies de 1976 s'étendent sur plus de 1000 ha de landes à
l'Ouest de la forêt entre avril et septembre ; ils concernent également des plantations
forestières.
49 Y. Brekilien, 1972, La Bretagne qu'il faut sauver, Quimper, éditions Nature et Bretagne. Brékilien
(Brocéliande en breton) est le nom de plume d'un président au tribunal de Vannes, par ailleurs druide dans la
Confrérie des druides, bardes et ovates de Bretagne.
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En 1979, Paul Anselin, récemment élu maire et conseiller général de Ploërmel, crée une
« Association pour la sauvegarde du Val sans retour et de son environnement ». Elle
rassemble des élus locaux (maires, conseillers généraux) d'Ille-et-Vilaine et du Morbihan déjà
engagés dans les deux associations touristiques, les responsables des associations touristiques
ainsi que le directeur de la station biologique de Paimpont (université Rennes 1). L'objectif de
« sauvegarder le Val sans retour par l'étude de sa remise en état et de son aménagement, puis
la réalisation des conclusions de l'étude, cet aménagement comprenant le Val et ses
environs ». Cette initiative est engagée en accord avec M. Marcellin, président du conseil
général qui souhaite mettre en valeur la partie est du Morbihan central autour de deux sites, le
Val sans retour et la chapelle Saint-Jean aux limites de la forêt de Paimpont et du camp de
Coëtquidan. L'argumentaire de la convocation à l'assemblée constitutive de l'association est le
suivant : « le Val sans retour fait partie du patrimoine culturel et légendaire de la Bretagne. Il
constitue un atout important pour notre région. Comme vous le savez, à la suite des
malheureux incendies de 1976, le Val et ses environs sont dans un état déplorable. Il est donc
impératif de tout entreprendre pour assurer sa sauvegarde. »
Le Val sans retour offre au maire de Ploërmel un ensemble de ressources qui peuvent être
valorisées dans sa stratégie politique50. En tant que site légendaire, il donne accès au
patrimoine culturel de Brocéliande qui peut contribuer à son image au plan national. Dès
1980, il sollicite l'architecte en chef des bâtiments de France pour étudier une mise à en l'état
de la chapelle Saint-Jean. Le projet qu’il envisage consiste à aménager des lieux pour y
projeter des spectacles audiovisuels inspirés des légendes arthuriennes. Ce projet ne voit pas
le jour, mais un projet semblable est développé en 1984 au Val sans retour, où une fois les
aménagements faits, il sollicite Jean Markale pour mettre en scène un spectacle sur les thèmes
légendaires51. Il réussit également à faire revenir les télévisions nationales pour présenter ses
projets. Une seconde ressource renvoie à la maîtrise réseaux locaux de pouvoir. Du fait de la
localisation du Val sans retour sur la frontière départementale, un aménagement d'importance
suppose la coopération entre des instances politiques et administratives des deux
départements. Enfin, les incendies ayant détruit les lieux, en réalisant une opération de
préservation des lieux, il peut se prévaloir d'être un défenseur de la nature dans un contexte où
la préoccupation écologique se développe. La collaboration avec des chercheurs de
l'université Rennes 1 et du CNRS, dont le directeur de la station biologique de Paimpont, est
un élément de la mise en scène de soi comme homme politique à même de bousculer ce qu'il
qualifie de conservatismes locaux et qui représente un réseau politique qu'il convoite.
50 Ancien saint-cyrien, Paul Anselin a passé 20 ans dans l'armée, puis il est devenu attaché d'administration
centrale. Il a travaillé comme chargé de mission dans de nombreux cabinets ministériels ; il a été sous-préfet,
puis, dans les années 1980, il a rejoint la mairie de Paris. Il se prévaut d'être un ami proche de Jacques Chirac
avec qui il a été dans un bataillon en Algérie. Élu à Ploërmel en 1977, il mobilise les réseaux politiques locaux et
les ressources parisiennes dont il dispose pour développer sa carrière politique, à la suite de M. Thébault, dont il
été l’élève à Angoulême et le suppléant lors de sa candidature à la députation en 1972. L'un de ses objectifs est le
contrôle du syndicat Centre-Est Bretagne, issu de l'Association de la Table ronde et présidé par l'ancien député
M. du Halgouet. Il critique la dispersion des crédits attribués dans le cadre du contrat de pays et souhaite les
rassembler pour polariser le développement local autour de la ville dont il est le maire. L'échec à contrôler le
syndicat l’amène à privilégier des actions de développement autour de Ploërmel en mobilisant les réseaux qu'il
s'est constitué dans les cabinets ministériels et les cercles politiques parisiens.
51 Jean-Markale (1928-2008) fut un auteur prolixe sur les choses celtiques et arthuriennes. Il se présentait
volontiers comme l'héritier spirituel de l'Abbé Gillard qu'il a rencontré pour la première fois lors de ses séjours
estivaux chez sa grand-mère à Mauron au cours de la seconde guerre mondiale. Par la suite, il l’a fréquenté
régulièrement, lui faisant connaître des musées, des bibliothèques qui ont inspiré les ouvrages de l’abbé sur le
symbolisme. Dès 1948, il écrit un article présentant l'oeuvre de l'abbé Gillard et intitulé « Tréhorenteuc et le Val
sans retour », ce qui est sa première publication dans le domaine du légendaire arthurien. : « Tréhorenteuc, perdu
aux confins des pays dits civilisés et du monde de la légende. Et cela commence avec l’église paroissiale ».
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Le président de l'association parvient à rassembler des fonds publics pour mettre en oeuvre
des travaux qui passent par la réfection de la digue du Miroir aux fées, le curage de l'étang, le
débroussaillement du fond de vallée, ainsi que l'aménagement des abords. Les travaux
commencent à l'automne 1981. Ils donnent lieu à des oppositions diverses. Dès 1980, des
bruits circulent sur des projets de villages vacances, de bar crêperie et autres lieux de
consommation touristique. L'opposition majeure vient d’un réseau de personnes qui se sont
installées localement et qui contestent l'ancrage légendaire au nom des traditions populaires
de la région de Paimpont qu’elles collectent et qu'elles cherchent à valoriser. Ces oppositions
restent malgré tout de faible importance. Une seconde opposition provient des propriétaires
forestiers de Paimpont qui voient d'un mauvais oeil le développement de la fréquentation
touristique et négocient des conventions d'accès public contre la prise en charge d'un plan de
lutte contre les incendies.
Les incendies qui ont lieu en 1984 ne remettent pas en cause les aménagements qui ont été
faits, mais conduisent à envisager de nouveaux aménagements, en particulier la remise en état
d'un étang pouvant également servir de réserve d'eau, et le carrossage de chemins d'accès pour
les pompiers. En 1990, de nouveaux incendies viennent détruire la partie la plus fréquentée
par le public. Cela conduit le président de l'association à développer des opérations
médiatiques pour obtenir des fonds d'aménagement. Il sollicite François Pinault et Yves
Rocher, dans l'entreprise duquel il travaille alors comme directeur des ressources humaines,
pour financer le reboisement de ce secteur. Les fonds recueillis permettent d'installer un
monument composé d'un tronc de châtaignier doré à la feuille d'or installé au milieu de pierre
en schiste.
« L'arbre d'or » devient vite l'attraction du Val sans retour, point de passage obligé des
visiteurs avant une promenade plus ou moins longue sur les landes, d’où ils aperçoivent la
forêt au lointain. Cette implantation contribue à augmenter la fréquentation et à l'organiser
selon un itinéraire régulier. La conséquence en est une érosion importante des sols qui laissent
de plus en plus voir leur soubassement rocheux.
L'augmentation de la fréquentation touristique est également notable à Tréhorenteuc. Grâce
à des fonds européens, le bourg est rénové. Un élevage porcin à proximité de l'église est
déplacé pour faire place à un parc de stationnement et à une aire d'accueil. Une nouvelle
permanence du syndicat d'initiative est installée en 1995. Ouverte tous les jours, elle compte
cinq salariés en été. Le presbytère a été transformé en gîte d'accueil. Les alentours de l'église
sont aménagés. Une statue de l'abbé Gillard est dressée devant l'église.
Brocéliande dans les dynamiques politiques
Dans les années 1990, l’association de sauvegarde du Val sans retour est utilisée comme
point d’appui pour promouvoir des projets de coopération touristique dans la région de
Brocéliande52 A l'initiative du maire de Ploërmel, en collaboration entre l'association de
sauvegarde53, le centre socioculturel de Mauron, l'écomusée de Montfort et le Centre de
l'imaginaire arthurien, une étude est menée par un cabinet rennais pour organiser des
animations sur Brocéliande et pour labelliser les animations existantes. Ce projet reste à l'état
d'étude.
52 X. Kanaieva, 2001, Politique touristiques et leadership territorial. L'exemple de la forêt de Brocéliande.
Mémoire pour le D. E. A. Action publique et territoire en Europe, IEP de Rennes.
53 Qui est alors dénommée « Association de sauvegarde du Val sans retour et de la forêt de Brocéliande »
(souligné par moi)
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Deux ans plus tard, le maire de Ploërmel, alors vice président du conseil régional de
Bretagne lance une nouvelle étude préalable à la création d'un parc naturel régional de
Brocéliande. M. Lalonde ancien ministre de l'environnement est invité à participer à la
coordination de la pré-étude. Mais le projet n'obtient pas l'accord des différentes parties
prenantes. La personnalité du maire et son action tous azimuts cristallisent de nombreuses
oppositions qui empêchent les projets auxquels il est associé de déboucher, même si par
ailleurs il parvient à obtenir le soutien des promoteurs du légendaire comme le Centre de
l’imaginaire arthurien. Après 2004, la défaite électorale de certains de ses soutiens les plus
importants, puis sa propre défaite offrent l'occasion d'une nouvelle configuration relative à
Brocéliande dans le cadre des communautés de communes existantes54.
A distance de la dynamique politique impulsée par l’ancien maire de Ploërmel, des projets
sont à l'heure actuelle en discussion en Ille-et-Vilaine dans la perspective de constituer une
maison de Brocéliande associant les différents partenaires impliqués dans l'organisation du
territoire (élus, membres d'associations locales, acteurs du développement touristique,
forestiers). L'objectif est de réorganiser l'espace touristique à partir de la basse forêt de
Paimpont, et des forges qui sont en cours de réaménagement. Les lieux principaux de la
topographie légendaire continuent d’être aménagés en vue d’accueillir les flux de visiteurs, ce
qui conduit à des périmètres de protection comme au tombeau de Merlin. Les attraits des lieux
se sont diversifiés pour être en consonance avec les intérêts des visiteurs attendus, comme en
témoigne la valorisation du Val de la Marette, où fut tout d’abord localisé le Val sans Retour.
La référence arthurienne devient l’anecdote locale d’un lieu de détente et d’intérêt géologique
« de renommée mondiale » (selon l’expression d’un dépliant touristique).
Les actions engagées par l’ancien maire de Ploërmel mettent en évidence que la frontière
départementale continue de séparer deux modes d'approche de l'espace touristique parfois en
complémentarité, mais le plus souvent en tension, l'un ancrée dans un territoire forestier,
l'autre dans un corpus légendaire.
Conclusion
Un territoire permet d'ancrer des pratiques et des représentations diverses et de leur donner
une cohésion ; cet ancrage leur donne une réalité. Au cours du XIXe siècle, par les usages
productifs qui y prévalaient, la forêt de Paimpont et ses alentours de landes et de friches ont
représenté, pour les érudits et les oisifs qui les fréquentaient, des espaces d’inculture et des
lieux indéterminés. Ils ont constitué des terrains propices à la cristallisation de représentations
à partir de récits légendaires et d'attentes paysagères que portait le tourisme naissant. Ces
nouveaux usages ont investi les lieux, les ont saturé de significations culturelles sans en
modifier durablement l'agencement. Ils ont fait de la forêt de Paimpont un espace naturel et
légendaire.
Un regard sur deux siècles d'invention d'une topographie légendaire et de sa transformation
en espace touristique permet de montrer comment les acteurs sociaux modèlent de l'espace en
fonction de leurs préoccupations du moment et parviennent à l'institutionnaliser au travers de
différents dispositifs, l'attribution de noms à des lieux choisis, la création de paysages
indissociables des lieux à partir desquelles ils se découvrent, l'aménagement d'équipements
d'accueil des visiteurs (musées, itinéraires touristiques, parc de stationnement des voitures).
Ces espaces résultent de conflits symboliques pour imposer un point de vue légitime sur les
54 Il est battu aux élections du conseil général en 2007 et aux élections municipales en 2008.
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lieux ; mais les marquages dominants qui en résultent n'abolissent pas d'autres façons
d'appréhender les lieux et d'en produire des significations culturelles. Ces espaces sont aussi le
moyen de produire de la domination politique et administrative sur le territoire. L'analyse de
la fabrication du territoire de Brocéliande montre la nécessité de cette lecture à plusieurs
niveaux, des pratiques des inventeurs, du travail de leurs continuateurs, de l'ancrage par les
visiteurs, de la dynamique politique qui sous-tend la production de l'espace .
Les acteurs de la fabrication de Brocéliande sont nombreux. Parmi eux, émergent plusieurs
figures, dont le comte Blanchard de la Musse, le professeur Felix Bellamy et l'abbé Gillard.
Si les premiers ont inventé et codifié la topographie légendaire de Brocéliande, l’abbé a
incontestablement transformé l'espace légendaire en faisant de Tréhorenteuc à un des points
d'accès, si ce n'est la porte d'entrée à Brocéliande. C'est à partir de cette reconfiguration que
les territoires actuels du tourisme sont recomposés au sein de dispositifs d'aménagement et de
coopération intercommunale. L'attention qu'il a portée aux légendes de la Table ronde est
allée de pair avec une ignorance des traditions populaires de la région.
À la faveur de la réorganisation du tourisme dans les années 1970, ces traditions sont
valorisées par des acteurs locaux, membres d'associations, connaisseurs de la forêt et de ses
environs. Elles viennent contrebalancer l'héritage légendaire qui s'était imposé comme regard
touristique légitime de la forêt de Paimpont. L'importance de cette valorisation locale est
perceptible en Ille-et-Vilaine où la forêt continue de se réinventer et où ses représentations
s’ajustent à l’esprit du temps. .
En revanche, dans le Morbihan, les décideurs qui ont façonné l'espace touristique ont
principalement mobilisé le corpus littéraire des références légendaires, et l’ont dissocié de la
forêt pour l’ajuster au territoire de leurs activités politiques. Ils ont ainsi prolongé le regard
des notables du XIXe siècle sur un espace qui leur était extérieur. Ils l’ont étendu pour
valoriser des territoires touristiques plus étendus selon le modèle des équipements collecteurs
de flux de visiteurs qui ont été développés à partir des années 1960 à mesure que le tourisme
de masse prenait de l'ampleur.
Les divergences entre la forêt de Brocéliande et le pays de la Table ronde que la frontière
départementale sépare s'inscrivent ainsi dans le temps long de l'invention d'une topographie
légendaire, des enjeux de pouvoir qu’elle recèle et organise, et des relations qu’elle entretient
aux habitants de la forêt et ses environs.
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