• LE UN EN TROIS CHEZ LES CELTES.
    par Daniel Castille

    Lorsque nous parlons des Celtes il ne faut jamais oublier que ceux-ci furent des envahisseurs. Ils poursuivirent les activités exercées sur les lieux cultuels qu’ils avaient trouvé en arrivant sur les territoires conquis. Les nécropoles, les tumulus, les monuments indigènes furent largement réutilisés pour leurs propres sanctuaires.

    En cela la religion gauloise, bien qu’elle ait vu disparaître ses prêtres, perdurera dans le temps, sauvant ainsi ses lieux de cultes.
    L’unité en trois chez les celtes a été signalée à maintes reprises par des auteurs comme Loth, Déchélettes, Renel ou Vendryes qui étudièrent les littératures celtiques au sein de l’illustre Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Je porte à la connaissance de nos membres la teneur de la communication donnée par Vendryes à la séance du 5 juillet 1935 devant la dite académie qui portait sur l’unité en trois personnes chez les Celtes.

    Après un long préliminaire sur l’importance du nombre trois dans de nombreux pays et plus particulièrement en Irlande au travers des textes et autres récits de l’épopée irlandaise, Vendryes se penche, pour terminer sa communication sur les traditions et les légendes de la Gaule dans lesquelles le vieux thème du personnage tricéphale revient fréquemment et dont l’iconographie de la Gaule recèle bien des représentations.

    La religion des Gaulois a depuis longtemps retenu plus particulièrement toute l’attention des archéologues et nombre de monuments figurés se retrouvent dans des répertoires comme celui dressé par Espérandieu dont les volumes II, III, IV, V, VI, et IX sont particulièrement illustrés des trouvailles archéologiques. Mais il faut rappeler que la Gaule indépendante n’avait pas de religion instituée c’est pourquoi personne ne se soucia de mettre par écrit les mythes ou les règlements cultuels, pas même les généalogies divines.
    Il semble que la région de Reims détienne le record des découvertes du dieu tricéphale.

    Les monuments à trois visages présentent tantôt trois faces complètes autour d’un même bloc, tantôt une face centrale à laquelle sont juxtaposées deux moitiés de faces, chacun des deux yeux centraux faisant paire avec un autre oeil situé sur le côté, ce qui est le cas du monument retrouvé à Reims représenté ci-dessus.
    Les monuments à trois têtes se subdivisent en deux séries, la première un dieu à trois visages partant d’un même cou et la seconde dont la tête centrale est figurée avec deux plus petites têtes collées à la hauteur des oreilles, à niveau égal ou différent.
    Il ne semble pas qu’il y ait de différence entre les représentations dans leur conception mythique, tout au plus une approche différente dans l’exécution du monument.

    Certains érudits ont contesté une origine celtique à ces curieux monuments, d’autres sont convaincus du caractère indigène de ceux-ci. Ce caractère indigène se trouve renforcé par le simple fait que ces représentations existent dans certaines régions de la Gaule et pas ou très peu dans d’autres. La plupart sont de provenance septentrionale et une bonne quinzaine de ces dieux tricéphales a pour origine le territoire des Rémi. L’étude de ces dernières permet de dire que ce sont là des représentations archaïques du dieu tricéphale.

    Pour Joseph Vendryes « il est impossible de dire si la figure tricéphale représente une même divinité honorée chez divers peuples de la Gaule, ou si plusieurs dieux différents se cachent sous une même représentation » car parfois la figure est tantôt imberbe, tantôt barbue.
    « Une chose est certaine, ajoute Vendryes, c’est qu’un dieu tricéphale était chez les Rémi en particulier honneur ».

    Deux stèles retrouvées à Metz et à Trèves offrent une disposition contraire. En effet le monument tricéphale chez les Treueri montre une opposition de culte. Le personnage tricéphale est en effet foulé aux pieds par les Matres de Trèves où leur culte était à l’honneur. Je pense qu’il devait exister une sorte de rivalité cultuelle entre les deux tribus.

    Ces éléments que nous venons de survoler permettent de croire, que ce soit au travers des représentations figurées ou au travers des textes irlandais « à l’existence chez les Celtes, d’une conception mythique suivant laquelle un même être, unissant trois individus en sa personne, était en même temps le dieu protecteur, peut-être le chef ou en tout cas le symbole de la tribu » (Vendryes).

    Pour la petite histoire rappelons que le dieu tricéphale se retrouve dans l’Inde védique ainsi que dans l’art chrétien.
    Somme toute une universalité du symbole.

    Et Vendryes de conclure « que ce personnage se laisse interpréter comme l’incarnation de l’être triple en un, qui a été reconnu comme appartenant au vieux fonds de la mythologie celtique ».

    Omnia solus et ter unus.

    Il n’est pas inutile de rappeler que ce type de monument figuré se retrouve dans l’art religieux et pas seulement sous le marteau des compagnons livrés à leurs fantaisies. Les moines pouvaient laisser le compagnon exprimer sa conception de Dieu, pas les chanoines pour qui la collégiale était un lieu de prière.
    C’est ainsi que la collégiale Notre-Dame-en-Vaux, achevée en 1217, avec son style intermédiaire entre le roman et le gothique, située au centre de la ville de Chalons-en-Champagne (51), possède une des plus belle figure tricéphale sur le mur intérieur de la chapelle nord près du chœur. Pour la voir il faut, après avoir longé le déambulatoire, prendre un petit passage privé de lumière et avant de déboucher sur la chapelle lever la tête vers la droite. Le visage triple est là, quatre yeux, trois nez, trois bouches. La cathédrale de Bayeux possède aussi une très belle représentation tricéphale visible par tous, pour peu qu’on lève les yeux vers le triforium.

    Notice sur une inscription gallo-romaine et sur un autel gaulois à divinité tricéphale trouvés à Auch. Emile Taillebois (extrait du bulletin de la société de Borda, offert le 9 avril 1881 par Coffinet à la bibliothèque de Troyes réf. cart.1912).
    Communication faite à Dax le 15 février 1881.

    L’autel gaulois à dieu tricéphale.

    Lorsque je reçus les quatre morceaux qui composent cette portion d’autel, je crus d’abord à un monument funéraire, et je pensai avoir les têtes d’un Gaulois et de sa femme qui auraient été sculptées sur leur tombeau. Mais après un nettoyage complet, j’eus la satisfaction de découvrir la tricéphalie d’une des figures, et dès lors je fus éclairé sur le véritable caractère de ces sculptures. J’étais en présence d’un de ces monuments si curieux et si rares (puisqu’il n’en existait encore que quatorze jusqu’à la découverte de celui-ci), autel et ex voto, érigés par nos ancêtres les Gaulois en l’honneur d’Esus, le dieu tricéphale, et de deux autres divinités formant la triade. La tête de gauche (…). La tête de droite (à droite de l’autel) est imberbe ; elle a les yeux durs et cruels, les cheveux retombant en frange sur le front.
    C’est le dieu tricéphale, car sur sa joue on a sculpté un nez et une bouche qui font une deuxième tête placée de profil ; la joue droite manque malheureusement presque totalement sans quoi on y verrait la troisième tête du tricéphale adaptée comme la seconde. (…) Il est probable que, outre la divinité tricéphale et le dieu barbu qui l’accompagne, cet autel représentait encore une troisième divinité placée à droite ou à gauche, qui complétait la triade car jusqu’à présent, on n’a jamais rencontré le tricéphale que seul ou faisant partie d’une triade (…).
    Peut être si on reprenait les fouilles au Cap d’ou Caillaou (…) trouverait-on le reste de l’autel enchâssé sans doute dans ce mur renversé (…) car c’est à cet endroit précis que l’autel a été retrouvé.
    Mais pour en revenir à notre autel je dirai que rien n’indique si les têtes surmontaient les corps ou si elles étaient seules ; il est tout aussi bien permis de croire l’un que l’autre, d’autant plus que sur les quatorze autres tricéphales connus, dix sont sans corps et quatre seulement appartiennent à des personnages entiers. Mais si le doute existe pour le bas, il ‘en est pas de même pour le haut où le monument parait complet ; il devait y avoir seulement une petite corniche qui aura été brisée. En outre des trous carrés ont été aménagés dans la pierre, au-dessus des têtes, de chaque côté des oreilles ; serait-ce pour sceller le monument ? Ou ne serait-ce pas plutôt pour y mettre des cornes comme M. Alexandre Bertrand le fait remarquer pour la statuette d’Autun.
    Cette sculpture a été faite par un artiste du pays, avec la pierre qui se trouvait sous sa main (…) Quoique grossièrement faites, ces figures ont beaucoup d’expression (…)Il n’est pas inutile de dire quelques mots de ces autels tricéphales sur lesquels Alex. Bertrand, le savant conservateur du musée de Saint-Germain, a lu en 1879 à l’Académie des Inscriptions, un mémoire (…) auquel nous empruntons ce qui suit.

    1° La statuette trouvée à Autun dont la tête ressemble beaucoup à celle du dieu barbu de l’autel d’Auch, mais avec cette différence que le dieu d’Autun est tricéphale ; il porte deux autres petites têtes accolées au-dessus des oreilles de la figure principale.

    2° L’autel de Beaune sur lequel est sculpté une triade composée d’un tricéphale à trois têtes distinctes montées sur des cous d’une longueur démesurée et de deux autres divinités dont une portant des cornes de la plus belle dimension. D’après Alex. Bertrand, ces trois personnages de la triade seraient le dieu tricéphale, Apollon et Pan.

    3° L’autel de Dennevy, conservé au musée d’Autun, est également occupé par une triade avec dieu tricéphale. La combinaison de cette triade serait l’association de Hadès-Pluton avec Proserpine et Mercure.

    4° Le tricéphale du musée Carnavalet trouvé à Paris dans le libage du nouvel Hôtel-dieu en 1871. Ce monument ne contient qu’une seule divinité que MM. Henri Martin et Alex. Bertrand reconnaissent comme étant Esus (…). Sa triple tête est dans le style de celle d’Auch, mais avec cette différence toutefois que cette dernière est imberbe (…).

    5° La triade de la Malmaison (Aisne) appartenant au musée de Saint-Germain, surmontée d’une tête tricéphale grossièrement sculptée.

    6° Sept stèles trouvées à Reims (…) chacune d’elle est ornée d’une seule tête tricéphale dans le genre de celle d’Auch .

    7° La colonne tricéphalique trouvée à Reims, elle est ornée de trois têtes distinctes juxtaposées.

    8° Une tête à trois faces d’un style grossier découverte à Nîmes appartenant au musée de Lyon.

    Ces quatorze monuments appartiennent comme provenance, savoir :
    3 aux Aedui
    1 aux Bellovaci
    1 aux Parisii
    8 aux Rémi
    1 aux Volscoe Arecomici
    1 (le quinzième) aux Ausci.
    (…) Les auteurs anciens sont muets sur ces triades et ces tricéphales dont l’origine ne se retrouve qu’en Orient, c’est également par suite des traditions orientales que plusieurs autels gaulois représentent des divinités à attitude bouddhique et que beaucoup de leurs dieux sont cornus. Les personnages des triades gauloises, d’après l’opinion de Alex. Bertrand, ne sont pas fixés et la composition varie constamment ; le dieu tricéphale lui-même qui apparaît sous un aspect sur un monument, est figuré d’une façon différente dans une autre localité. Ces différences tiennent à ce que Esus, le dieu tricéphale, n’était pas un dieu particulier mais bien le dieu un réunissant tous les autres dieux dans sa personne et affectant par conséquent toutes les formes divines .
    Après avoir compulsé amplement les sources diverses traitant peu ou prou de la religion des Celtes je me suis rendu à l’évidence que je partageais l’opinion de George Dottin sur bien des points.
    « Tous les renseignements directs que nous pouvons recueillir sur la religion des Celtes proviennent des écrivains de l’Antiquité et des monuments épigraphiques. »

    Il fallut que je me rende à l’évidence que, bien que la liste soit longue, les antiques n’en savaient pas plus que nous sur la civilisation celto-gauloise et tout autant en ce qui concerne la religion de nos ancêtres, fussent-ils celtes que gaulois.
    Dans toutes les études, un fait apparaît, comme une malédiction pour le chercheur, qui est celui du manque de références sûres et non discutables. En effet, les antiques « pérégrinateurs » citaient souvent de mémoire ou se copiaient et recopiaient les uns les autres avec les dérives inévitables, les oublis et les interprétations abusives ou non. Enfin comme le fit si justement remarquer Dottin, les récits rapportés par les anciens s’étalent sur plusieurs siècles, sur plusieurs contrées celtiques, ce qui fit passer des récits d’un endroit à un autre, des époques dans d’autres, etc. selon l’inspiration ou les besoins du narrateur. Il est en effet impensable que des croyances cultuelles n’aient pas évoluées dans le temps et dans l’espace et que, selon Dottin, les pratiquent fussent demeurées immuables.
    C’est pourquoi les récits doivent être regardés avec raison et scepticisme, prudence et analyse.
    Si le temps a fait son oeuvre dans la disparition de nombreux textes ou monuments, le christianisme fit nombre de ravages qu’il est inutile de commenter. Les divinités celto-gauloises sont devenues des simulacres chrétiens ou des objets de récupération dévotionnels.

    De nos jours il est devenu difficile de trier ce qui appartient essentiellement aux Celtes, aux Gaulois indigènes, aux chrétiens envahisseurs. Les invasions guerrières ou marchandes ont contribuées aux changements de la symbolique cultuelle ou monumentale et la maigre collection épigraphique ne suffit pas pour tirer du passé les enseignements. C’est ainsi que dans les textes et autres inscriptions nous ne sommes pas certains qu’il s’agit de divinités celtiques et plus les textes sont tardifs (littérature irlandaise ou du Pays de Galles) plus notre affaire se complique, quant aux noms des lieux…

    Maintenant si nous écoutons les chantres du néo-druidisme, pour autant qu’il existe, nous entrons de plain-pied dans le merveilleux, le démesuré, le moins authentique. Pour s’en convaincre, il suffit de se souvenir des études de Villemarqué qui prit parfois pour de merveilleux poèmes des textes simples (Dottin).
    Cet intérêt pour le panthéon celtique vient aussi de la découverte du personnage tricéphale représenté dans de nombreuses religions, signe d’une unicité cultuelle primordiale, des Celto-gaulois aux contrées asiatiques. Nous en reparlerons un peu plus loin car nous avons sans doute à faire à une « trinité » avant l’heure, un dieu trois en un universel.
    Dans cette étude la critique est de rigueur et un exemple suffira à le prouver.
    Prenons donc l’exemple d’Héraclès (Hercule) que l’on ne présente plus.
    Lucien nous apprend que chez les Celtes, Héraclès porte le nom d’Ogmios représenté sous les traits d’un vieillard décrépi vêtu d’une peau de lion et tenant dans une main une massue et dans l’autre un arc. L’assimilation Héraclès/Ogmios est abusive car Ogmios n’est autre que le dieu de l’éloquence et qui n’a pas compris que les « chaînes » qui relient la langue du vieillard aux oreilles des « captifs » ne sont autres que la représentation symbolique des paroles d’un enseignement dispensé n’a rien compris de la représentation figurée. L’erreur la plus commune, nous dit Dottin, que l’on relève chez nombre de chercheurs est « qu’on établit entre (les) deux divinités un rapport fondé uniquement sur un attribut symbolique ».
    Il nous faut donc nous garder des écrits des anciens comme de ceux de César souvent inexacts et interprétés subjectivement à la mode romaine et pourtant la société gauloise nous est connue, pour l’essentiel, dans le tableau qu’en donne, par exemple, César dans la Guerre des Gaules. Il s’agit bien souvent d’un tableau composite et contradictoire.
    En effet bien des dieux et des déesses sont antérieurs à l’arrivée des Celtes en Gaule. Peu ont une réelle origine celte, voir un nom celte. Il est probable que les Celtes ont, comme tant d’autres envahisseurs, récupéré et assimilé les panthéons locaux ou nationaux et les ont intégrés dans le leur.
    Ce qui est spécifique au culte celtique n’est autre que la triade divine qu’il ne faut en aucun cas confondre avec la Trinité des premiers chrétiens, ni avec le personnage tricéphale qui peut figurer dans ces triades. Le tricéphale, même inclus dans ces triades, reste une énigme.
    «Le dieu tricéphale lui-même semble une représentation réduite de la triade » nous dit Dottin. Je ne suis pas Dottin dans cette analyse réductrice. Le personnage tricéphale peut en effet être une représentation de la triade, c’est une hypothèse de travail intéressante, cependant que dire lorsque l’on voit sur les monuments figurés le tricéphale encadré de deux autres dieux.
    On ne peut plus parler ici de triade car la triplicité n’est plus respectée. Teutatès, Esus et Taranis forment une triade, mais un dieu tricéphale ne représente pas, à ma connaissance, l’unité de ces trois dieux. Les chrétiens l’ont bien compris qui ne firent jamais une « trinité tricéphale. »
    Il semble donc, comme le confirment les recherches, que le panthéon celte était aussi varié que l’étaient les tribus et les Romains eurent bien du mal à mettre sur ces dieux et déesses une appellation certaine. Teutatès, Esus et Taranis sont souvent cités et mis en avant lorsqu’il faut pour un auteur parler des triades sacrées. Il en existe d’autres mais celle-ci apparaît comme la plus représentative car l’histoire en a retenu l’existence. C’est Lucain qui mentionne dans son texte appelé « La Pharsale » (I. 445.446) l’existence de ces trois divinités panceltiques. Ce texte fut par la suite repris et commenté par de nombreux historiens. H. Martin dans son histoire de France, tome 1, dira d’Esus que c’est le vrai dieu de nos aïeux qu’il « est le Jéovah des Gaulois ». Esus n’est pourtant dans l’acception habituelle qu’un dieu mineur, celui des bateliers de Lutèce et il est soit représenté sous les traits d’un dieu barbu soit sous ceux d’un bûcheron représentant d’un culte rendu à un aspect de la nature (nous disons un aspect car il est difficile d’associer un coupeur d’arbres au culte animiste soit dit en passant). La représentation monumentale la plus connue de ce dieu est celle qui figure sur le pilier des Nautes découvert à Paris sous le parvis de Notre-Dame et qui date semble-t-il du 1° siècle. On dit de lui, dans les textes qu’il est un dieu sanguinaire.

    Teutatès est aussi un dieu sanguinaire. Il revêt de multiples formes et possède des avatars féminins. Comme on le retrouve partout, il est probable que le nom teutatès ait été un nom de guerrier divinisé. On peut voir une représentation de ce dieu sur le chaudron de Gundestrup.
    Quant à Taranis il s’agit du dieu du tonnerre et des forces cosmiques représenté nu, barbu, tenant dans une main la foudre et l’autre reposant sur une roue de type solaire.

    On le voit bien au travers de ces courtes explications que ces trois dieux n’ont rien en commun. Ils sont comme dans toutes les religions des dieux particuliers en charge de leur secteur théocratique. Dans son ouvrage d’ethnologie gauloise (tome III), Roget de Belloguet affirme que « cette triade fut le fondement de toute la religion extérieure des druides. Ce qui le prouve et jette en même temps un trait de lumière sur l’unité originelle de ces trois dieux, c’est qu’ils disparaissent tous les trois avec le culte public du druidisme. » « Ils (les druides) n’eurent pas, dans le principe, d’autres dieux que les trois représentants de l’ancien Etre suprême des peuples indo-européens (…) ces dieux étaient les seuls auxquels les druides sacrifiaient des victimes humaines. »
    Voilà qui est intéressant car nous apprenons que ces dieux sont des dieux issus du vieux fonds panceltique, indo-européens et donc asiatique. Ils seraient donc le trois en un dont nous entendons parler au détour des religions asiatiques et moyen-orientales et non pas une triade classique qui alors apparaît comme tardive. Cependant si les druides sont arrivés avec les envahisseurs celtes à la fin du IV° siècle et le début du III° siècle avant J.C , le tricéphale se révèle bien être une survivance plus ancienne qui effectivement va disparaître avec le culte public du druidisme. Mais une fois de plus rappelons que les croyances populaires nous demeurent quasiment inconnues chez les Gaulois.
    Cela ne veut pas dire qu’elles sont inexistantes, nous les retrouvons dans les chants des bardes, simplement elles nous sont connues dans les compilations qu’en ont faites les bardes. Lejay dans son édition du premier livre de la Pharsale, en 1894, dit que « la triade mentionnée par Lucain est celle des dieux méchants, des dieux de l’ignorance, de la mort et de la nuit. Ils sont les fils ou, si l’on veut, les doublets de Cernunnos, le dieu cornu qui porte à son front le croissant de la lune, dieu fondamental de la nuit et de la mort. » Mais si nous regardons de plus près ce dieu cornu, nous nous apercevons qu’il a tous les attributs du dieu des animaux indo-européen et donc qu’il n’est autre que la représentation d’un très vieux mythe que nous rencontrons dans les civilisations animistes.

    Il est probable que les trois grands dieux repris et cités par Lucain ne soient simplement que des dieux locaux au vu de la rareté épigraphique et dans ce cas, Esus, Teutatès et Taranis ne seraient pas des représentations panceltiques, pas plus qu’ils formeraient une triade.

    Parmi les animaux divinisés il y a le taureau que nous retrouvons dans divers cultes, plus particulièrement chez les Crétois. Le taureau gaulois présente quelques particularités assez curieuses qui peuvent nous donner une clef permettant la lecture du tricéphale. Sur le pilier des nautes figure le taureau aux trois grues, le tarvos trigaranus. En songeant qu’il y a dans la mythologie gauloise un dieu tricéphale et que d’un autre côté nous connaissons un taureau ç trois cornes, il est permit de penser que l’épithète trigaranus n’était peut-être qu’une déformation de « trikaranos », aux trois têtes, et que le taureau primitivement adoré était un taureau tricéphale, en rapport avec le dieu tricéphale, Cernunnos (prototype du diable au Moyen Age).
    Le dieu tricéphale Cernunnos est d’une interprétation difficile. Comme il a généralement un serpent prés de lui, un serpent à tête de bélier, on est tenté de voir une divinité chthonienne. Certains bas-reliefs qui montrent Cernunnos aux prises avec Mercure-Teutates laissent penser que nous avons là un combat entre la force radieuse et celle des témébres. Mais parfois Cernunnos a auprès de lui de lui un bovidé, aussi certains érudits se sont demandés s’ils n’avaient pas ici une relation avec le Géryon grec, le triple Géryon (dit aussi le mugissant) possesseur d’un troupeau de bœufs magnifiques.
    L’historien Ammien Marcellin mentionne deux rois tués par Hercule : Géryon en Espagne et Tauriscus en Gaule. Le Géryon gaulois, le tricéphale, ne se serait-il pas appelé Tauriscus ? Nous avons la pierre de Meigle (Edinbourg) sur laquelle le dieu est représenté avec une tête de taureau, des jambes serpentiformes se terminant en queue de poisson. Voilà encore une belle énigme.

    Dans la mythologie germanique nous retrouvons le tricéphale que l’on peut admirer sur le déroulé de la corne d’or de Gallehus qui tient dans une main une hache et dans l’autre un lien qui tient captif un bouc (ou du moins un animal cornu). Selon Axel Olrik, savant danois ce serait la représentation de Thor. C’est, à ma connaissance, la meilleure explication.

    Etude 2003 Castille Daniel.
    Groupe Ile-de-France de mythologie
    française (Paris).





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