• ALCHIMIE


    L'alchimie fait partie du "patch" de l'occultisme, de par son hermétisme aussi bien que
    par son sens. Son hermétisme est là fois présent dans sa doctrine et dans le groupe
    qui la véhicule, ce qui en fait une forme d'ésotérisme. Mais c'est son sens profond,
    sujet à de nombreuses interprétations, qui intéresse ceux qui font appel au Grand
    OEuvre dans leurs "théories". Je parle en particulier de la Franc Maçonnerie. Le fait est
    que l'alchimie telle qu'on l'imagine actuellement, mélange de physique et de
    philosophie, - à tord d'ailleurs - , répondait à la transition de société de croyance à une
    société de science à l'époque des Lumières. Si aujourd'hui, l'alchimie a perdu de ses
    lettres de noblesse auprès du grand public, c'est justement parce que le divorce a été
    consommé entre Eglise et Science, et qu'il n'était pas dans les projets des alchimistes
    se disant tels de faire de la vulgarisation afin de maintenir quelque lien entre les deux,
    et par là même, d'assurer la pérennité de sa doctrine. Cette erreur aboutit au constat
    actuel : les loges maçonniques et autres mouvements se référant à l'alchimie
    n'envisage plus cette dernière comme une forme de recherche, mais plutôt comme un
    amas de doctrines. Ainsi, le mot "alchimie" et ses dérivés semblent morts au présent,
    puisqu'ils s'accompagnent aujourd'hui inévitablement d'une connotation passéiste : le
    XIXème siècle (au mieux), ses forges à l'ancienne, ses toges de Kukux Clan, ses
    outils un peu vieux jeu (l'équerre, le compas et le fil à plomb), et sans doute celui de
    légendes : transformer le plomb en or, la Pierre Philosophale, accéder à l'immortalité.
    Ces quelques mots ont été repris, vulgarisés de force, et déviés de leur sens originel.
    Oui, l'alchimie est devenue immortelle, mais ses créateurs ne la reconnaîtrait pas.
    Je tiens aussi à insister sur un point : le côté exagérément scientifique de l'alchimie.
    En général, pour ne pas dire toujours, nos contemporains saisissent l'alchimie comme
    une préchimie. Le côté spirituel ne rentrant évidemment pas une ligne de compte, un
    peu comme s'il avait été inventé par les détracteurs même des débuts de la chimie,
    c'est-à-dire les religieux eux-mêmes. Je prendrai pour cela un scène d'un film à
    succès, scène qui n'aura choqué personne : dans Angélique Marquise des Anges
    (dans le deuxième film), l'amant de l'héroïne, boiteux et le visage défait par une
    cicatrice, un peu comme ses nains forgerons de l'antiquité, Hephaistos, etc., pratiquait
    l'alchimie, c'est-à-dire une chimie rudimentaire, celle de la fonte des métaux et de
    l'alchimie, c'est-à-dire une chimie rudimentaire, celle de la fonte des métaux et de
    l'extraction de l'or dans ses mines. Quelque chose de fort simple en fait était présenté :
    ne plus avoir besoin de trouver des pépites, mais créer des lingots en partager le
    minerai de fines particules d'or par un procédé "chimique". Ainsi, l'alchimiste n'était
    qu'un précurseur. Ainsi, l'hermétisme de cette science n'était due qu'au procès de
    sorcellerie qui s'ensuivrait si l'homme se retrouvait riche sans raison (et ce qui se
    passa effectivement dans le dit-film). On en revient donc à la sacro-guerre des
    convictions science/religion.
    Ceci n'est pas un cas séparé, mais un exemple représentatif. Il suffirait pour le
    prouver, d'ajouter le plus récent Au Nom de la Rose (inspiré du livre d'Umberco Ecco),
    où les livres sacrés, érudits et interdits, livres d'alchimistes par excellence dans
    l'imagerie, sont des livres de médecine, de botanique, de physique, etc. De science,
    en fait. Des précurseurs, encore une fois occultés par l’Eglise. Ajoutons encore
    quelques films ou livres qui présentent Merlin l'Enchanteur comme un alchmistechimiste,
    et on comprendra que le sujet n'est pas clos. Alors peut-être verra-t-on là le
    début d'une explication du renouveau du secret à notre époque : l'ésotérisme est une
    recherche spirituelle, et en tant que telle, elle ne peut s'inscrire dans la Science
    acceptée; elle doit donc restée cachée.
    Dans le même ordre d'idée, ceux qui s'intéresse à la métaphysique, qui refont la
    synthèse personnelle et contemporaine de leur connaissance, que j'ai nommé SR
    (syncrétisme religieux), ne s'inscrivent pas dans le cliché social d'une science
    positiviste. S'intéresser à un Dieu purement abstrait et totalement coupé du monde est
    acceptable, mais toute autre forme de religiosité - c'est-à-dire la religiosité en tant que
    telle, en tant que pratique - fait "folklore" ou "superstition". Là aussi, les exemples
    abondent : des scientifiques de renom, comme Hubert Reeves (remarquez cependant
    l'image - mythique à défaut d'être mystique - de vieux sage ou de père Noël qu'il
    véhicule), produisent des livres à succès, grands publics, où un Dieu abstrait devient
    une hypothèse favorable, où tout va bien, et même mieux, quand on sépare la Science
    et la Religion : "que chacun fasse son boulot et ne s'occupe pas de l'autre". Cf. Dieu et
    la Science (Claude Allègre, Ministre de l'Education Nationale), L'Infini des Philosophes,
    ...
    On pourrait même aller plus loin, en faisant un pont avec d'autres domaines de notre
    culture - ou en tissant un autre fil, pour garder l'image de toile culturelle. Tout ce qui
    appartient au domaine du mystique, du mal compris, de la réflexion à un niveau élevé,
    de l'hypothétique et du spéculatif, tombe dans le Secret. Je parle ici de la notion de
    complot gouvernementale chez les Américains, de complot Lepeniste en France, de
    complot extra-terrestres pour certains ufologues, etc. La société de médias supporte
    mal le secret : ou elle trouve la vérité, ou elle tourne la chose en ridicule - parfois les
    deux. L'affaire Monica Lewinsky - pour y apporter ma participation - ne réchappe pas à
    la règle : le média cherche le secret, s'en joue, puis le jette. Elle aura quand même
    duré un an, ce qui est rare dans notre société de consommation accélérée. Mais le
    dégoût a très vite eu lieu, de l'opinion même des Américains qui gardent à la Clinton
    plus de 70% de leurs intentions de votes : c'est que le secret s'arrête au niveau du
    tabou, or il s'est confronté à celui de la vie privée. N'oublions pas que la notion de
    famille remonte aujourd'hui de manière phénoménale, alors qu'il s'effrite dans la réalité.
    Dernier sursaut avec l'effondrement final, ou contre-réaction positive? C'est là où je
    voulais en venir : on pourrait dire la même chose de l'ésotérisme, donc de l'alchimie.
    voulais en venir : on pourrait dire la même chose de l'ésotérisme, donc de l'alchimie.
    Notre époque perd ses repères, d'où sursaut ou renaissance de la spiritualité, donc
    aussi de l'ésotérisme. Si on bien suivit, on devrait savoir bientôt si cette remontée était
    éphémère ou fertile. Si elle est fertile, on assistera sans doute à un renouveau de
    l'alchimie, sous une autre forme mais ayant le même but : trouver un terrain d'entente
    entre le savoir scientifique et les principes spirituels. Un nouveau de terrain de
    recherche en somme, pour les alchimistes en herbe ou pour les futurs universitaires.
    Si je dis "bientôt", c'est parce que l'an 2000, ou approximativement l'an 2000, est une
    date phare, comme chacun sait. L'idée d'apocalypse est très connue, mais peu y
    croient. Sauf si la Science s'y met : l'idée d'un météore venant bientôt percuter la terre
    comme elle l'aurait fait il y a quelques millions d'années pour les dinosaures ressort
    souvent dans les magazines, même sérieux (Science & Vie). Au niveau du monde, un
    film américain, grande production, grand acteur, grand succès, n'aurait pas dû nous
    surprendre : Armaggedon, c'est bien de lui dont je parle, suivi de près par Météore,
    n'aborde pas n'importe quel sujet à n'importe quelle époque. Il est, comme Godzilla au
    Japon, la traduction d'une peur traditionnelle, d'un sentiment, ou au moins d'une
    attente. C'est pour cela qu'un "deuxième an 1000" a des chances de se (re)produire,
    c'est-à-dire, une fois la peur passée, un renouveau du religieux (peut-être dû au
    soulagement), aussi apparemment paradoxal que ça paraisse : c'est après l'an 1000
    que l’Eglise a particulièrement prospéré : fidèles, idées, thèmes artistiques, et surtout
    cathédrales. D'ailleurs, à propos de ces dernières, avez-vous bien écouté la chansongénérique
    de Notre-Dame de Paris (complet jusqu'à l'an 2000), je veux parler de Le
    temps des cathédrales. Au début, deux phrases : C'est le temps des cathédrale, et Le
    monde est entré dans un nouveau millénaire. A la fin, deux autres phrases : Il est
    foutu le temps des cathédrales, et la fin de ce monde est annoncée pour l'an 2000. A
    vérifier.
    Mais revenons à notre sujet.
    C'est parce qu'avec le temps, la culture s'adapte, la langue se transforme et les
    époques ne se comprennent plus (d'où la notion d'époques justement), qu'il est
    important d'opérer un retour historique, en particulier sur l'alchimie.
    Histoire de l'alchimie
    Je citerai pour cela l'Encyclopedia Universalis :
    " L'alchimie a longtemps été confondue avec l'occultisme, la magie et même la
    sorcellerie. Au mieux, on la réduisait à un ensemble de techniques artisanales
    préchimiques ayant pour objet la composition des teintures, la fabrication synthétique
    des gemmes et des métaux précieux. Au siècle dernier encore, Marcelin Berthelot ne
    voyait dans les opérations alchimiques que des expériences de chimie, dont l'objet
    principal était la recherche de la synthèse de l'or. Afin d'échapper aux enquêtes de
    police ou pour masquer leurs échecs, les alchimistes auraient usé d'un langage chiffré
    dont seuls les adeptes possédaient la clef. On en faisait ainsi soit des faux-monnayeurs
    soit des imposteurs. La découverte des textes alchimiques chinois, en particulier,
    est venue ruiner cette conception.
    " Ces erreurs d'interprétation des textes et cette méconnaissance des doctrines
    provenaient principalement des difficultés de déchiffrement du langage symbolique
    provenaient principalement des difficultés de déchiffrement du langage symbolique
    des alchimistes. En effet, la lecture de ces traités constituait, à dessein, une épreuve
    initiatique. (...) L'alchimiste a renoncé à la gloire, il devient anonyme. Il recrée et il tente
    de perfectionner par l'art ce qui a été créé avant lui et laissé imparfait par la nature.
    " L'alchimie, aussi bien que l'astrologie et la magie, doit être considérée comme une
    science traditionnelle. Elle doit être définie en fonction de ses rapports avec les
    structures et les valeurs des sociétés et des civilisations de type traditionnel, orientales
    et occidentales, antiques et médiévales où elle est née et où elle s'est développée. Il
    faut donc la considérer en fonction de ses propres critères et se garder de la réduire à
    nos systèmes.
    " L'alchimie ressemble à une science physico-chimique, mais elle est aussi et
    surtout une mystique expérimentale. Sa nature est à la fois matérielle et spirituelle,
    et elle observe principalement les relations entre la vie des métaux et l'âme universelle.
    Elle désire délivrer l'esprit par la matière et délivrer la matière par l'esprit. Par de
    nombreux aspects, elle s'apparente à l'art, mais à un art suprême: le traditionnel
    "Art d'Amour". Elle propose à l'homme de triompher du temps; elle est une recherche
    de l'absolu.
    " Le mot "alchimie" provient de l'arabe al-kimiya, conservé dans le provençal alkimia et
    dans l'espagnol alquimia. Les noms anglais et allemand ont gardé une dérivation
    médiévale, attestée aussi dans les anciens noms français "alquémie" et "arkémie"
    (XIIIesiècle).
    " La signification du substantif préarabe kimiya, précédé de l'article défini al, est encore
    controversée. Littré a rapproché les mots "chimie" et "alchimie" du grec Humia, de
    Humov, "suc", supposant que l'on désignait ainsi primitivement "l'art relatif aux sucs".
    Diels a proposé d'y reconnaître plutôt le grec huma, "fusion", lequel indiquerait le
    caractère métallurgique de ces techniques antiques. Von Lippmann et Gundel ont rejeté
    l'hypothèse de Diels. Le mot kimiya, par l'intermédiaire du syriaque, dériverait du grec et
    il aurait été formé sur l'égyptien kam-it ou kem-it, "noir"; il évoquerait soit la "terre noire",
    nom traditionnel, selon Plutarque, de l'Égypte, pays qui aurait été le berceau des arts
    chimiques et alchimiques, soit la "noirceur" caractéristique de la décomposition de
    certains métaux.
    " L'Encyclopédie de l'Islam mentionne cette dernière hypothèse. Elle rappelle, toutefois,
    que le mot al-kimiya est synonyme d'al-iksir. Le français "élixir" en dérive. Les Mafatihal-
    Ulum ont rapproché kimiya de kama, "tenir secret". Selon al-Safadi, kimiya serait
    d'origine hébraïque et signifierait que cette science vient de Dieu vivant. Dans le corpus
    alchimique de Jabir ibn Hayyan, al-iksir est aussi conçu comme une émanation de
    l'esprit divin.
    " Festugière a rappelé que les plus anciens alchimistes grecs "rapportaient le nom et la
    chose à un fondateur mythique appelé Chémès, Chimès ou Chymès". La première
    mention de cette origine apparaît au IVe siècle après J.-C. dans les oeuvres du
    plus célèbre alchimiste alexandrin, Zosime de Panopolis, selon lequel Chémès
    aurait été un "prophète juif". Cet auteur, selon un procédé fréquent dans la
    littérature hermétique, voile ainsi une précieuse indication philosophique par un
    fait pseudo-historique: la légende a ici son sens premier et révèle exactement "ce
    que l'on doit lire", c'est-à-dire ce que l'initié doit entendre.
    " Ayant vécu longtemps à Alexandrie qui comptait alors de nombreux savants juifs,
    Zosime ne pouvait ignorer qu'en hébreu Chemesch est le nom du Soleil. Afin de
    préciser son propos, Zosime, dans ses Instructions à Eusébie, déclare: "Le grand Soleil
    produit l'OEuvre car c'est par le Soleil que tout s'accomplit." Cet enseignement
    fondamental est confirmé par les derniers mots de la Tabula Smaragdina, la Table
    d'émeraude, célèbre "codex" alchimique attribué à Hermès Trismégiste lui-même:
    d'émeraude, célèbre "codex" alchimique attribué à Hermès Trismégiste lui-même:
    "Complet (achevé, accompli) est ce que j'ai dit de l'Opération du Soleil."
    " Selon ces données traditionnelles, l'indication d'al-Safadi sur l'origine hébraïque de
    kimiya peut d'autant mieux éclairer cette étymologie que le synonyme iksir a conservé
    aussi un nom antique du Soleil, le grec Seir. Enfin, on observera que le turc chems
    signifie également "soleil" et que, dans cette langue, chami désigne adjectivement ce
    qui est d'origine "syrienne". ".
    Cham est aussi le nom d’un des fils de Noé.
    " On peut restituer ainsi au mot "alchimie" son premier sens probable. Les anciens
    savants juifs, grecs, syriens et arabes ont vraisemblablement donné ce nom à un savoir
    sacré, à un ensemble de connaissances ésotériques et initiatiques, à l'antique "art
    sacerdotal" dont l'enseignement était fondé sur les mystères du Soleil, source de la
    lumière, de la chaleur et de la vie. ".
    On m'excusera la longueur de cette définition, mais quand on doit combattre un préjugé, la
    méthode philosophique doit précéder la méthode ethnologique : définir d'abord de quoi l'on parle
    avant d'essayer de le comprendre.
    Ainsi, dans les passages que j'ai surligné, on aura pu s'apercevoir que l'alchimie a une tendance
    universaliste et qu'elle remonte à des sources très anciennes. L'origine même du mot semblerait
    montrer que les Anciens eux-mêmes connaissaient l'étendue de leur doctrine. Ou qu'ils soient les
    auteurs de cette diffusion - les recherches sur l'histoire de l'architecture en Méditerranée ont
    montré que l'antiquité connaissait beaucoup plus de voyages et d'échanges qu'on ne pensait - , ou
    qu'ils en soient les dépositaires - du monde Perse, peut-être - , ou qu'ils ne fassent que partager les
    mêmes intérêts - ce qui serait aussi une preuve de leurs échanges fructueux. Indépendamment de
    la cause, on peut s'interroger sur cet état de fait : pourquoi ce succès ? Pourquoi pendant si
    longtemps ? Peut-être parce que les recherches des premiers alchimistes, les alchimistes de
    l'antiquité, prônaient la domination du spirituel au matériel dans leurs recherches, peut-être aussi
    parce qu'elles s'inséraient dans le courant de pensée religieuse de l'époque. Ces peut-être ne sont
    évidemment que rhétoriques. Il faudrait les remplacer par des sans doute, car l'étymologie même
    de cette "science" nous apporte la preuve : tout tourne autour du mot "soleil". Le dieu-soleil. Chez
    les hellénistes, Apollon, son char et son art, en référence à l'Art d'Amour de l'alchimie, cité plus
    haut. Chez les égyptiens : Rê ou Aton, selon l'époque. Etc. C'est là où le lien ésotérique est flagrant
    : le soleil y joue là aussi un rôle principal. Le soleil est à l'Est, source de la magie positive, et il est
    aussi celui qui "fait se réaliser les rêves dans la réalité". Ce ne sont que des rappels. Ces points
    sont explicités dans une autre partie. Je me contenterai de souligner que nous de parlons pas ici du
    soleil tel qu'on le voit dans le ciel, mais du soleil symbolique, des caractéristiques physiques et
    spirituelles qu'il représente. Certes, ces images peuvent paraître subjectives et incompréhensibles
    d'une époque à l'autre, seulement, n'a-t-on pas appelé, des siècles plus tard, le siècle de la
    Renaissance l'époque des Lumières, de manière tout aussi imagée et subjective? Même les juifs
    comme Zosime le Panopolis sus-cité vénéraient sans le savoir le soleil : l'Ancien Testament utilise
    un nombre de fois incalculable l'analogie dieu-soleil. On retrouve ce "pouvoir dans la lumière" dans
    les premières auréoles, de forme pleines (des disques, par des cerceaux). Ces points communs
    font de l'alchimie une science large, ce qui excuse peut-être le flou de sa définition. En tout cas, ils
    devraient faire sentir au lecteur la nécessité de citer l'alchimie dans tout livre sur l'occultisme.
    L’influence égyptienne
    On trouve une autre origine du mot dans un autre livre, d’un autre auteur. L’origine est égyptienne
    et implique nécessairement certaines connotations. Mais le tracée étymologique est le fait d’un
    spécialiste, Idries Shah, et son livre, La magie orientale, est publié à la Petite Bibliothèque Payot,
    spécialiste, Idries Shah, et son livre, La magie orientale, est publié à la Petite Bibliothèque Payot,
    ce qui exclut toute " spéculation " à ses recherches :
    " La pratique de la magie était si florissante en Egypte vers 3000 av. J.C. que le nom
    même du pays devint en notre langue synonyme du mot magie. De même que l’ancien
    mot sémite imga engendra le terme français magie, un des plus anciens noms
    désignant l’Egypte (keml – sombre, noir) fut traduit par " (magie) noire ", au lieu de "
    (magie) égyptienne ". Ce n’est pas à cause du caractère diabolique de sa magie que
    l’Egypte était appelée " pays noir ", mais à cause de la couleur de sa terre qui devient
    noire lorsqu’elle est inondée par le Nil (…). Le deuxième terme, " alchimie ", (en arabe
    al-kimyya), provient également du même nom. En d’autres termes, les deux
    expressions " alchimie " et " art noir " signifient en réalité " Art Egyptien ". ".
    On peut dès lors affirmer que l’Egypte a influencé la formation du nom d’une doctrine qui se voulait
    aussi mystique et puissante que le paraissait cette nation bâtisseuse de pyramides. Mais que ce
    soit ses doctrines magiques qui aient influencé cette autre doctrine, il n’existe pas de preuve
    concrète. Nous laisserons donc cette piste à ce point mort jusqu’à ce qu’un autre la poursuive.
    C’est ce genre de phrase, d’aveu d’impuissance, qui manque à beaucoup d’ésotéristes, mystiques
    et magiciens. Les alchimistes, étrangement, se sont limités à quelques buts et beaucoup de
    méthodes. Ce n’est pas une religion. L’alchimie n’est pas une affaire de croyance mais de pratique.
    Du moins au départ, et dans notre idée de départ. Mais on verra qu’elle sera beaucoup chahutée…
    En annexe : quelques précisions
    L'Encylopedia Universalis, toujours :
    " Marcelin Berthelot fut le premier à entreprendre la traduction et la publication de
    collections manuscrites qui n'avaient pas encore été sérieusement étudiées par les
    historiens des sciences. Ignorant le syriaque et l'arabe, ne connaissant
    qu'imparfaitement le grec, Berthelot fit appel à des collaborateurs érudits. Ceux-ci,
    malheureusement, n'étant point informés de la nature des opérations décrites par les
    textes obscurs et souvent cryptographiques qu'ils devaient traduire, s'en remettaient à la
    seule autorité de Berthelot afin de décider du sens qu'il convenait de donner à des
    passages difficiles. Dans ces conditions, on comprend que divers historiens spécialisés
    et, en particulier, von Lippmann, aient jugé sévèrement la singulière méthode critique de
    Berthelot. Malgré ces réserves, ses célèbres collections publiées voici près d'un siècle
    n'ont pas encore été revues ni corrigées philologiquement ni scientifiquement, et l'on
    continue parfois de tenir pour sérieuses des thèses sur les origines de l'alchimie dont
    les sources documentaires ont été justement contestées.
    " Sans doute la perspective générale de Berthelot avait-elle l'avantage d'être simple et
    claire. Bornée par l'horizon culturel méditerranéen des "humanités classiques", en un
    temps où l'on ne soupçonnait point l'existence d'une alchimie chinoise et indienne
    bien antérieure à celle de l'école d'Alexandrie, l'explication de l'origine de ces
    théories et de ces pratiques se réduisait aisément à l'interprétation de ce que l'on croyait
    avoir été leurs plus anciennes structures.
    " À notre époque, cette interprétation positiviste de l'alchimie est devenue elle-même
    illusoire, historiquement et scientifiquement. Les travaux considérables des orientalistes
    et, principalement, des sinologues ont révélé la haute antiquité et l'universalité des
    théories et des pratiques alchimiques traditionnelles, en montrant leur caractère
    sotériologique fondamental. D'autre part, contrairement aux dogmes lavoisiériens
    enseignés par les universités occidentales au XIXesiècle, les physiciens nucléaires
    modernes ont décomposé tous les corps que l'on croyait simples, et vérifié ainsi la
    théorie alchimique traditionnelle de l'unité de la matière. De plus, la réalisation
    théorie alchimique traditionnelle de l'unité de la matière. De plus, la réalisation
    expérimentale de la transmutation du mercure en or a révélé que la prétendue chimère
    des alchimistes était singulièrement proche de la nature réelle de la structure atomique
    de ces deux métaux qui se suivent dans la classification périodique. Aussi d'éminents
    physiciens, comme Jean Perrin, n'ont-ils pas hésité à reconnaître dans les anciens
    maîtres de l'alchimie "les précurseurs géniaux des magiciens modernes de l'atome".".
    " Toutefois, si l'alchimie n'a pas été une préchimie, elle ne fut pas davantage une
    "préphysique nucléaire". En réalité, les sciences traditionnelles, par leur langage,
    leurs principes, leurs méthodes, leurs critères, leurs moyens et leurs buts, ne
    présentent aucun rapport avec les sciences modernes.
    " L'un des premiers historiens de l'alchimie, Lenglet-Dufresnoy, a dit des maîtres de
    cette science traditionnelle qu'ils sont "les plus illustres rêveurs dont l'humanité ait
    connaissance".
    " Ce monde se donne simultanément pour imaginaire et pour réel, pour spirituel et pour
    matériel, pour subjectif et pour objectif. À la limite, ses symboles se confondent avec
    des phénomènes matériellement observables, si bien que la clef de ce vaste code
    apparemment abstrait est concrète car le seuil d'intelligibilité des textes répond
    rigoureusement au seuil expérimental du Grand OEuvre.
    " En raison des difficultés des problèmes posés par les études alchimiques depuis que
    l'on a mieux discerné la complexité de leurs données, elles en sont venues à constituer
    une discipline historique, philologique et philosophique spécialisée. À partir des années
    vingt, les travaux considérables de von Lippmann, de Ruska, de Holmyard, de
    Thorndyke, les importantes contributions de Singer, de Taylor, de Read, de Hopkins, de
    Hartlaub, ont renouvelé tout l'état des connaissances en ce domaine. Des recherches
    plus générales, comme celles de Jung, d'Eliade, de Needham, ont montré l'intérêt de
    l'alchimie pour la psychologie des profondeurs, pour l'histoire des religions et des
    civilisations.
    " Plus récemment, ces investigations se sont étendues à l'histoire de l'art, de la peinture
    et de la littérature grâce aux analyses critiques et aux thèses de nombreux chercheurs
    parmi lesquels on doit mentionner spécialement de Solier, Combe, Vernet, Sterling et
    Van Lennep. On peut prévoir que l'aspect sociologique de la situation des alchimistes
    eux-mêmes par rapport aux diverses communautés historiques de croyances et de
    valeurs qui, le plus souvent, les exclurent et les condamnèrent, ne manquera pas de
    retenir l'attention de futurs chercheurs. ".
    Le voeu est pieux. Voilà qui est fait.
    Les alchimistes d'hier et d'aujourd'hui
    C'est ici que j'étudie le problème humain de manière diachronique puis synchronique.
    " Les alchimistes ont formé, comme en marge de l'histoire, un groupe humain peu
    nombreux, souvent suspect, ayant son jargon, son code et ses signes, ses mythes et
    ses mystères. Ils se cachaient dans les ermitages, dans les montagnes ou dans les
    déserts. Parfois errants, ces solitaires aimaient se prétendre des "habitants de l'univers",
    des "cosmopolites", et dissimulaient jusqu'à leur nom véritable, rompant ainsi le pacte
    social sacro-saint du domicile fixe et de l'état civil. Dans les temps modernes, les
    alchimistes subsistent encore, perdus en des foules qui n'attendent rien de leurs
    recherches ni de leur industrie et qui leur ont enfin apporté la sécurité que
    procure l'indifférence.
    procure l'indifférence.
    " Dans ces conditions, les biographies des alchimistes, et même des plus illustres
    adeptes, soulèvent des problèmes de critique historique à peu près insolubles. Si, par
    exemple, on sait que Nicolas Flamel a vécu réellement à Paris, rien ne prouve, en
    revanche, qu'il soit l'auteur véritable du traité qu'on lui attribue. Inversement, si
    l'existence d'un moine nommé Basile Valentin est imaginaire, il demeure que le style et
    la science de l'auteur de ses oeuvres suffisent à faire apparaître une personnalité
    originale et attachante.
    " (...) L'alchimie a édifié, au cours des siècles, une puissante synthèse du savoir
    ésotérique et elle représente ainsi, par excellence, une recherche de l'absolu.
    " Peu de systèmes de l'Univers ont témoigné d'une confiance aussi entière et d'un
    espoir aussi constant dans les pouvoirs par lesquels l'homme, en triomphant du temps,
    est capable d'accélérer l'évolution des individus et des espèces, en achevant et en
    perfectionnant sans cesse l'oeuvre de la nature. Mais si l'alchimie, par la voix de l'un de
    ses maîtres, Synésius, a osé prétendre que "rien n'est impossible à la science", en un
    temps où des bûchers s'allumaient encore pour le nier, c'est qu'elle attendait tout de
    l'exemple moral et spirituel du vrai savant, exigeant de ses adeptes l'humilité,
    l'anonymat et le renoncement à la gloire terrestre. En une brève formule, un alchimiste,
    Nicolas Valois, a rappelé cet idéal aristocratique du savoir: "En perdant la pureté du
    coeur, on perd la science.". ".
    On aura du mal à contredire que la science peut être la pire des choses (les guerres, le nucléaire,
    la vache folle, ...). Logiquement, elle pourrait aussi être la meilleure. Il faudrait pour cela réintroduire
    dans les sciences une forme d'éthique qui ne se baserait plus comme aujourd'hui sur la morale
    humaniste, insoutenue car insoutenable. En quelque sorte, il faudrait réintroduire l'alchimie dans la
    chimie. C'est là où les leçons du passé peuvent porter les fruits au présent. Là où la compréhension
    de la Différence peut transformer un sentiment de largesse d'esprit en une largesse effective.
    L'alchimie recherchait l'absolu dans la matière, comme Hermès Trismegiste qui prétendait que ce
    qui est en haut est comme ce qui est bas, comme lorsque Baudelaire cherchait dans Les Fleurs du
    Mal le paradis qui est au bout de l'enfer. Des renversements, somme toute, très taoïstes. Ceci pour
    dire qu'on ne s'éloigne pas vraiment de la pensée archaïque : voir du mystique partout, du
    surnaturel dans chaque chose, du sens dans chaque événement. Je simplifie, bien évidemment,
    mais l'idée est là : accepter l'irrationnel de la pensée humaine et vivre en équilibre plutôt qu'en
    conflit avec 90% de l'espèce humaine. Rappelons que la rationalité sur laquelle de nous basons, la
    rationalité des penseurs grecs, était baigné dans un bain d'irrationalité complètement intégré. Lire
    pour cela les Grecs et l'irrationnel d'E. R. Dodds. Voir notre science ne manière moins scientifique
    connaît déjà quelques tentatives. Hubert Reeves, pour revenir à lui, introduit déjà quelques
    éléments de poésie. Cela pour dire que les alchimistes n'ont pas tout à fait disparus : il existent
    encore, sous la forme de physiciens rêveurs. Souvenons-nous : Einstein, le si grand et si célèbre
    Einstein, était un cancre à l'école. Il passait son temps à rêver...
    L'alchimie chinoise
    " La Chine n'a pas connu de solution de continuité entre le stade technico-magique de
    la métallurgie et l'apparition de l'alchimie.
    " Les confréries de forgerons chinois, détenteurs du plus prestigieux des arts
    magiques, ont exercé, comme l'a montré Granet, une influence directe et profonde
    sur les premières conceptions alchimiques taoïstes. Par leurs principaux aspects,
    ces théories et ces pratiques remontent à la lointaine préhistoire. L'art du feu a formé,
    pendant des millénaires, l'essentiel du savoir humain. Les confréries qui mirent en
    oeuvre les métaux, après celles qui taillèrent et polirent les pierres, s'étaient transmis
    initiatiquement l'héritage magique et technique ancestral. Des pratiques
    protochamaniques de danses mimétiques immémoriales ont été conservées dans les
    exercices étranges des taoïstes qui se proposaient de retrouver la spontanéité première
    en même temps que les pouvoirs perdus par l'homme civilisé. ".
    Ici, le taoïsme, ou la réunion de opposés, accrédite la thèse que j'énonçais ci-avant. Quant au lien
    alchimie-art magique, il ne fait que renforcer le lien alchimie-ésotérisme. Remarquez ce termes
    "confrérie", qui n'est que le synonyme de "loge".
    " Chez les taoïstes, comme le souligne Kaltenmark, "si le fourneau alchimique est
    l'héritier de la forge magique, l'immortalité n'est plus, du moins depuis les seconds
    Han, le résultat d'un sacrifice à la forge, de la fonte rituelle. Elle est acquise à celui qui
    sait produire le "divin cinabre". À partir de ce moment, on eut un nouveau moyen de se
    diviniser: il suffisait d'absorber l'or potable ou le cinabre pour devenir semblable aux
    dieux".
    " (...) Cette solidarité des thèmes fondamentaux apparaît de façon claire dans un
    texte de Sima Qian relatant la recommandation du magicien Li Shaojun à l'empereur
    Wudi, de la dynastie Han: "Sacrifiez au fourneau (zao) et vous pourrez faire venir des
    êtres (transcendants); lorsque vous aurez fait venir ces êtres, la poudre de cinabre
    pourra être transmuée en or jaune; quand l'or jaune aura été produit, vous pourrez en
    faire des ustensiles pour boire et pour manger. Alors votre longévité sera prolongée,
    vous pourrez voir les bienheureux (xian) de l'île Ponglai qui est au milieu des mers.
    Quand vous les aurez vus, et que vous aurez fait les sacrifices feng et shan, alors vous
    ne mourrez pas.". ".
    L'or et l'immortalité : les deux thèmes principaux se retrouvent et en Occident et en Orient. L'or,
    parce que le matériau est pu et qu'il faut devenir pur à son tour. L'or aussi, parce que l'on fait
    référence à l'Age d'Or, une notion grecque inséparable de l'ésotérisme. Quant à l'immortalité, elle
    représente le symptôme de cette transformation, non pas un but en soi. L'immortalité est l'attribut
    de la divinité. La Genèse et les textes babylonien ne disent pas autre chose. Le but est de devenir
    une sorte de dieu, de retrouver cette faculté, ou, par parler de manière clairement ésotérique :
    révéler le Dieu-qui-est-en-soi. Encore une fois, répétons-le : l'alchimie et l'ésotérisme ont des
    manifestations différentes, mais leurs bases sont identiques.
    " Mais, en réalité, le problème est moins de savoir si des intuitions rencontrées à l'état
    élémentaire dans les mythologies et les rites des fondeurs et des forgerons ont été
    reprises et interprétées par les alchimistes, que d'essayer de comprendre pourquoi
    cette interprétation est demeurée relativement stable et cohérente dans une
    société donnée. Seule, la structure féodale permet d'expliquer qu'une distribution des
    valeurs et un mode de cohésion logique typiques d'une représentation des structures de
    l'univers aient été ressentis et expérimentés aussi bien par les premiers alchimistes
    chinois que par les anciens forgerons.
    " Dans la Chine antique, toute ville seigneuriale avait deux fondateurs: l'ancêtre du
    seigneur et le "saint patron" du prévôt des marchands, qui avaient défriché ensemble le
    domaine, à l'imitation du laboureur divin, de l'inventeur de l'agriculture, Shennong. Or ce
    démiurge était aussi un dieu du feu, le "saint patron" de tous les arts du feu et, à ce titre,
    démiurge était aussi un dieu du feu, le "saint patron" de tous les arts du feu et, à ce titre,
    particulièrement révéré par les forgerons.
    " En effet, toute campagne agricole était inaugurée par un incendie et par des travaux
    de défrichement car, selon l'antique technique, "on labourait par le feu et on sarclait
    par l'eau". Les premiers maîtres des confréries métallurgiques s'étaient recrutés
    primitivement parmi ces défricheurs. Ils bénéficiaient ainsi du prestige des fondateurs du
    domaine et, à la différence de beaucoup d'artisans, les forgerons et les charrons
    exerçaient des arts nobles qui étaient indispensables, magico-techniquement, à la
    défense de la seigneurie.
    " (...) Eliade fait observer que les trois éléments à partir desquels l'alchimie chinoise se
    constitue en tant que discipline autonome: les principes cosmologiques, les mythes des
    bienheureux immortels et de l'élixir d'immortalité, les techniques poursuivant à la fois le
    prolongement de la vie, la béatitude et la spontanéité, appartiennent à l'héritage culturel
    de la protohistoire chinoise. Ce serait donc une erreur de croire que la date des
    premiers documents qui les attestent nous livre leur âge. ".
    Le Feu et l'Eau, les deux éléments primordiaux desquels découlent les deux autres. Le concept des
    quatre éléments, air, terre, feu, eau, est non seulement commun à l'alchimie et à l'ésotérisme, mais
    au monde occidental et au monde oriental. Sans aller jusqu'à l'universalité, là aussi, on est en droit
    de se demander pourquoi, pourquoi tant de liens et de rapports ? Il semblerait bien que
    l'ésotérisme, d'une culture à une autre, soit bien moins "hermétique" que ces cultures ellesmêmes...
    Apparition et développement de l'alchimie chinoise
    L'histoire et la physique nous apprennent que les mêmes causes engendrent - souvent - les
    mêmes effets. Le développement de l'alchimie chinoise ne fait pas exception. Les recherches
    alchimiques connaissent leur apogée à une époque équivalente en Occident et en Orient, c'est-àdire
    à l'apparition d'une religion révélée, une religion à "salut", chrétienne pour l'une, bouddhiste
    pour l'autre. Je dis "apogée" parce que c'est de cette époque que datent les textes les plus
    anciens. En fait, il serait plus juste de présumer d'une nécessité de la transmission d'un savoir oral
    en savoir écrit, et ce, parce que cette religion à tendance universaliste refuse la "concurrence" de
    pratiques magiques et a fortiori alchimiques. Nous en avons la confirmation orientale ci-dessous.
    Du côté occidentale, on ne rappellera pas la vengeance tardive des premiers chrétiens martyrisés,
    qui, une fois le pouvoir atteint, ont martyrisé à leur tour les détracteurs des cultes minoritaires, dit
    "païens". Menace politique, d'une subjectivité religieuse face à une autre, ou menace plus concrète,
    d'une forme de croyance face à une forme de science ?
    " Les aspects les plus anciens de l'alchimie taoïste participent encore de la nature
    concrète et positive des manipulations magico-techniques des métallurgiques de
    l'époque féodale. Un édit impérial, en 144 avant J.-C., menace d'exécution publique
    tous ceux qui seront surpris en flagrant délit de contrefaire l'or. Taylor donne la
    date de 175 avant J.-C. pour une loi analogue. En 60 avant J.-C., un maître célèbre, Liu
    Xiang, échoua dans sa tentative de préparation d'or alchimique destiné à la prolongation
    de la vie de l'empereur.
    " Mais l'aspect le plus important de l'alchimie taoïste, son intégration à une religion de
    salut, se développa surtout à l'époque où l'antique religion agraire, achevant de se
    dissoudre avec la société féodale, cessa de satisfaire aux besoins des fidèles. Maspero
    a montré comment, en Chine, aux environs de l'ère chrétienne, les longs efforts du
    sentiment religieux personnel pour s'exprimer furent bien souvent analogues à
    ceux de l'Occident, à la même époque. ".
    ceux de l'Occident, à la même époque. ".
    L'apparition, cependant, reste d'origine mystérieuse. D'où tenaient-ils leur savoir métallurgique, et
    leurs opérations sur l'or ? Car on peut imaginer, avec les (re)découvertes récentes, qu'ils aient
    utilisés des bactéries pour dissoudre les minéraux et récolter les fines particules d'or restants dans
    les carrières, par exemple, car c'est une nouvelle technique dont viennent juste d'avoir l'idée
    certains chercheurs - cf. Science & Vie. Ce ne sont évidemment que des hypothèses, mais pour
    revenir à notre "théorème" de départ, rappelons que ces opérations sur l'or, multiplier l'or sur terre,
    fait étrangement référence à l'Age d'Or. De là à y voir une survivance plus concrète que le simple
    symbolisme nostalgique...
    Les miroirs magiques
    Donnons l’exemple d’un mystère scientifique qui apparaît d’emblée comme un mystère alchimique :
    parce qu’il s’agit d’une création de forgeron, parce qu’il utilise le symbolisme de la lumière, de l’or
    et du rond (voir le chapitre sur le SOLEIL), parce qu’il provient de Chine – et du Japon. La date, le
    XIXème siècle, est postérieure à l’alchimie chinoise traditionnelle – celle du moyen-âge – mais ces
    " miroirs magiques ", puisque c’est de ça qu’il s’agit, apparaissent comme des survivances d’un art
    oublié ou caché. Cela rejoint la notion de secret ou d’hermétisme propre à l’alchimie ou à
    l’ésotérisme. Mais puisqu’objet et technique il y a, alors il ne s’agit pas d’ésotérisme, qui reste
    confiné au monde des idées, mais d’alchimie au sens concret du terme. Voici le texte, entièrement
    reproduit, paru dans Science Illustrée :
    " Rien ne distingue dans l’aspect ce miroir d’un autre. Pourtant, lorsqu’il reflète la
    lumière sur un mur, une image apparaît. Le plus souvent, il s’agit du motif sculpté au
    dos de la surface réfléchissante, mais d’autres fois, apparaît une image surgie de nulle
    part. Comment la surface brillante et lisse peut-elle renvoyer cette image ? Venus de
    Chine et du Japon ces miroirs magiques ont connu un vif succès en Europe au XIXème
    siècle sans pour autant qu’ait pu être décelé leur procédé de fabrication.
    " Réalisés dans un alliage de cuivre, de plomb et d’étain, ils sont très soigneusement
    polis ensuite. Comme ils sont relativement minces, l’explication la plus simple consiste
    à penser que le polissage du décor en relief situé à l’arrière de l’objet, laisserait sur la
    surface réfléchissante des marques invisibles à l’oeil nu après son polissage, mais
    suffisante pour que le rayon de lumière se reflète et fasse apparaître le motif. Une autre
    possibilité serait que les miroitiers asiatiques aient pu imprimer le motif qu’ils
    souhaitaient voir se réfléchir dans le miroir avant le polissage. Il ne resterait alors rien de
    visible mais le métal réfléchissant refléterait la lumière différemment à l’endroit de
    l’empreinte du tampon imprimant. Ces explications ne sont que des suppositions. Rien
    ne prouve que les miroirs chinois étaient fabriqués de cette façon. ".
    Passons sur les tentatives d’explication et intéressons-nous à ce qui aurait dû sauter aux yeux,
    l’expression même de " miroirs magiques ". Il semblerait qu’un procédé de fabrication inconnu allié
    à un effet spectaculaire ne trouvent d’explication que dans la " magie ". Nous ne connaissons
    malheureusement pas le nom que les chinois et les japonais leur donnaient. Si lien avoir la " magie
    " il y a cependant, on pourrait imaginer que l’alchimie primordiale était celle de forgerons, et que les
    buts magiques (de l’or à profusion) ou spirituels (l’immortalité) n’aient été que postérieures,
    inventés par le peuple ou par les " alchimistes " soucieux de préserver leur secret – ou même par
    les deux à la fois. Précisons que ceci n’est conforté par aucun élément supplémentaire. Ce n’est
    donc qu’un hypothèse de travail – sans doute condamnée à en rester là.
    Refermons la parenthèse et intéressons-nous à ces " buts dérivés " où les éléments abondent.
    Nous avons déjà parlé de l’or, nous parlons à présent de l’immortalité.
    Une constante théorique de l'alchimie chinoise : l'immortalité
    La quête de l'immortalité est une spécificité du monde antique. Alors que dans nos cultures
    modernes, on entend de plus en plus parler du carpe diem, de vivre peu, mais vivre intensément,
    de "vieillir jeune" en somme, l'époque préindustrielle – toutes les époques préindustrielles - était
    dominée par des mythes et des divinités tournant autour de l'idée de l'immortalité.
    En Grèce, la seule différence entre les dieux et les hommes semblaient être la force et l'immortalité
    des premiers, mais leur comportement ne laissait rien à envier aux mortels. Les mythes
    babyloniens, d'une façon toute aussi frappante, font valoir la plante d'Immortalité dans la quête de
    Gilgamesh, le Noé babylonien. Les dieux, là aussi, se comportent comme des êtres humains gâtés
    par le pouvoir. Les Egyptiens se momifiaient pour être immortels. Pourtant, ils n'étaient que des
    hommes. Etc. L'immortalité semble concrétiser le lien humain/divin. Il est à la fois la récompense et
    la preuve d'une certaine maîtrise. Etre immortel, ou revenir à la vie, c'est avoir terminé son initiation
    ou sa quête, obtenir un certain statut que ne nierait pas Jésus-Christ. On lit en effet dans l'Evangile
    que si Jésus n'était pas revenu, et qu'on avait pas pu lui parler, le toucher, il serait toujours resté un
    doute parmi ses disciples.
    En ces temps où l'on pouvait mourir jeune, pour mille raisons différentes, le désir de vivre
    longtemps s'était transmué en désir de vivre toujours. C'est du moins ce qu'on pourrait supposer si
    ce désir n'était pas si intégré dans les mythes, et surtout si spirituellement intégré. Durant
    l'antiquité, l'immortalité semblait réalisable. Il était une promesse des dieux. On avait même des
    "alchimistes" pour cela.
    Revirement de situation avec la diffusion des religions à salut. Car le salut est dans l'au-delà, pas
    sur Terre. Dans la Genèse, on lit bien que l'Eden contient et l'arbre de la connaissance, celui du
    futur serpent, et l'arbre de l'immortalité, tout aussi interdit. Dieu dit même, texto, qu'il aurait été
    mauvais que l'homme goûta à ce fruit, sans quoi il serait devenu comme nous. On ne polémiquera
    pas sur ce célèbre "nous", mais disons simplement que les dieux semblaient avoir changé d'avis.
    Même chose dans le bouddhisme. Avant de s'attaquer à la religion traditionnelle du Tibet, il quitta
    l'Inde qui ne voulait pas de lui pour faire croire aux asiatiques que les dieux aussi étaient une
    illusion, que le samsâra était une mauvaise chose, et qu'il ne restait plus qu'une chose à faire :
    sortir du cycle infernal des morts et des renaissance et ne plus revenir. L'immortalité devint la pire
    des choses. On comprendra mieux alors pourquoi l'alchimie fut combattue ici comme là-bas. Elle
    était une émanation plus technique d'un désir d'Immortalité que prônaient les mythologies
    anciennes. L'alchimie, vu sous cet angle, serait comme l'adaptation, ou la survivance sournoise -
    selon le point de vue - de la religion précédente. Elle pouvait s'intégrer à la nouvelle religion et si
    coller sans trop faire de remous, puisqu'elle ne véhiculait plus d'idées, mais seulement un désir...
    " Cependant les taoïstes, à la recherche de la "Longue-Vie", ont conçu l'immortalité de
    façon spécifiquement chinoise, c'est-à-dire sans la moindre discontinuité entre le corps
    et l'esprit vivants. Ainsi, la conservation et la prolongation de l'existence physique
    furent-elles toujours considérées par les taoïstes comme le moyen normal d'acquérir
    l'immortalité spirituelle. Il suffisait donc de remplacer un corps mortel par un corps
    immortel obtenu en "nourrissant le corps" matériellement, et en "nourrissant l'esprit" par
    l'unification de ses puissances, grâce à la concentration et à la méditation. En effet, à la
    différence de ce que nous appelons l'âme, cet esprit, formé de l'essence et du souffle
    universels, est temporaire. À la mort, il se dissout par la séparation de ses deux
    universels, est temporaire. À la mort, il se dissout par la séparation de ses deux
    principes constituants. On peut donc le renforcer, le "cristalliser", en quelque sorte, en
    accroissant le souffle et l'essence par des pratiques adéquates. Alors, on ne meurt pas,
    on "monte au ciel en plein jour".
    " Les procédés qui permettent de détruire les causes de la décrépitude et de la mort,
    ainsi que de créer l'embryon du corps immortel, sont nombreux, mais on peut les
    répartir tous en trois classes: alimentaires et hygiéniques, respiratoires et mimétiques,
    alchimiques. Ces derniers sont considérés comme les plus puissants. Au IVesiècle de
    notre ère, Ge Hong déclare formellement que sans l'alchimie on arrivera peut-être à
    prolonger la vie, mais jamais à la rendre éternelle. Ultérieurement, la difficulté et les prix
    des opérations alchimiques diminuèrent l'importance pratique, sinon théorique, de ces
    techniques. ".
    Revenons à l'ésotérisme. La description de ce corps immortel, émané de l'esprit, ressemble
    quelque peu au "corps spirituel" qu'utilisent les voyageurs astraux et autres médiums. Les Tibetains
    voyagent eux aussi dans de tels corps. Les chamans, pas moins. Les témoins de NDE (Near Dead
    Expérience) affirment eux aussi avoir vu leur corps flotter, au-dessus de leur corps mort, mais
    heureusement relié par une sorte de cordon ombilical. L'alchimie tente de faire de ce corps une
    réalité. Ce qui ne choquera pas les lamas, les bouddhistes tibétains (héritiers de l'ancienne religion
    Bon), pour qui il est possible de visualiser un être et de le rendre réel, puisque tout est illusion.
    Même système et même logique pour ceux qu'on dit avoir vu à plusieurs endroits au même
    moment. Même principe aussi, peut-être, pour la téléportation de manière non scientifique. Je
    n'affirme rien et ne cherche pas à démontrer ; je constate seulement que l'ésotérisme, dans son
    ensemble, historique, culturelle et théorique, reste dans une logique intérieure qui ne faillit pas. Une
    logique dont l'alchimie est une soeur partisane.
    Une similitude flagrante
    Le texte parle clairement :
    " Elles étaient, en effet, compliquées et dispendieuses, en dépit de leur simplicité
    apparente : la préparation et l'absorption du cinabre (dan), un sulfure naturel
    rouge de mercure. À vrai dire, l'expression même de cinabre mâle (yangdan) qui
    désignait le procédé alchimique par différence avec le nom de cinabre femelle (yindan),
    donné aux procédés alimentaires et respiratoires, suffit à montrer que l'on doit se méfier
    d'une traduction chimique sommaire du mot dan. Taylor a observé que si les
    instructions données pour la préparation de l'"élixir d'immortalité" sont obscures,
    on peut constater, en revanche, que la progression des couleurs observée par les
    alchimistes chinois au cours des opérations est la même que celle de la
    préparation de la "pierre philosophale" par les alchimistes occidentaux et qu'elle
    passe du blanc au rouge. De même, la notion d'une substance dont une quantité
    infime transforme en or ou en argent une masse importante de métal ordinaire et,
    principalement, de mercure, est commune à la Chine et à l'Occident. De plus, l'une
    et l'autre alchimie ont décrit de façon similaire les effets de l'absorption de la
    "médecine universelle", autre nom de l'élixir. La comparaison de l'éloge de cette
    drogue par Wei Boyang, en 142 après J.-C., et par un alchimiste occidental, Salomon
    Trismosin, au XVIesiècle de notre ère, est caractéristique de ces analogies. Le premier
    dit: "Le vieillard ramolli devient un jeune homme plein de désirs", et le second: "Car
    vieux estoient les philosophes qui l'avoient. Pourtant, en leurs vieux jours, ils jouirent
    encore de leurs amours...". ".
    Ces points communs sont à l'origine de l'utilisation commune du mot "alchimie" pour l'Occident et
    l'Orient. Nous avons déjà débattu des raisons de cette origine sans trouver de solution efficace - je
    veux dire : "avec des preuves". On peut cependant arguer que le commun de leur origine ne se
    trouvait pas éloigné dans le temps, et ce au regard de l'évolution, ou plutôt de la dégradation de
    l'alchimie au cours des âges pour en arrivant au point mort où elle en est aujourd'hui. Oui, vous
    avez bien lu, le point mort pour une recette de l'immortalité. Qui a dit que l'Histoire n'était pas
    ironique ?
    " L'évolution de l'alchimie chinoise se déroula de façon comparable à celle de l'alchimie
    européenne, à des époques différentes. À partir du VIesiècle après J.-C., l'alchimie
    taoïste s'orienta vers un mysticisme fort éloigné des pratiques positives et concrètes de
    ses premiers maîtres. On interpréta les textes anciens comme des allégories
    concernant des vérités purement intérieures. Un texte cité par Stein, et qui
    appartient au taoïsme moderne syncrétiste, est significatif: "C'est pourquoi le
    (Buddha) Rulai (Tathâgata), dans sa grande miséricorde, a révélé la méthode du travail
    (alchimique) du feu et a enseigné à l'homme de pénétrer de nouveau dans la matrice
    pour refaire sa nature (véritable) et (la plénitude de) son lot de vie."
    " Eliade a proposé de voir dans ce "retour à la matrice" le développement d'une
    conception archaïque : la guérison par un retour symbolique aux origines du monde,
    c'est-à-dire par une "réactualisation de la cosmologie".
    " Quand l'alchimie mystique s'est orientée, au XIe siècle après J.-C., dans une
    direction contemplative et s'est transformée, au XIIIesiècle, en une technique
    ascétique, principalement sous l'influence du bouddhisme zen, cette élaboration
    relativement tardive fut l'oeuvre de pieux lettrés et elle ne présente plus, dès lors, les
    caractères traditionnels de l'alchimie chinoise archaïque. ".
    Répertorions dans ce texte les ennemis de l'alchimie traditionnelle (chinoise) : la taoïsme, le
    bouddhisme, le zen, le mysticisme, le symbolisme, les pieux lettrés (les membres du clergé officiel,
    les représentants du Pouvoir en somme), les contemplatifs, et pour finir en beauté... le syncrétisme.
    Le SR peut se réaliser du moment où une culture (religieuse) en crise a la capacité de s'ouvrir sur
    d'autres. Les termes susnommés sont justement ceux de notre SR actuels : le mysticisme des
    sectes, les contemplatifs du Yoga et de toute la tendance New Age, le Dalaï-Lama et le
    bouddhisme à la mode (c'est-à-dire ce qu'on appelle le Grand Véhicule, la religion du peuple), les
    livres ésotériques ou prétendument "alchimiques"... La dégradation du savoir ancien a commencé
    depuis longtemps et ne s'est pas achevée. Les mêmes facteurs, donc les mêmes effets. CQFD.
    Pas étonnant, dans cette perspective, que la réalité du mot "alchimie" ait pris un sens galvaudé
    dans l'imaginaire des générations qui ont suivi. Le mot, certes, lui, n'a pas disparu. Il s'est adapté,
    ou il a été adapté aux besoins et aux désirs de cultures et d'époques différentes. Les alchimistes
    sont avant tout des hommes, et ils ont eux aussi suivi le fleuve du temps... et ils se sont perdus
    dans ses remous.
    De fait, on est en droit de se demander si d'autres termes de l'ésotérisme n'ont pas subi le même
    sort. Si l'ésotérisme d'aujourd'hui est bien l'ésotérisme d'hier, SR mis à part, et si des théories,
    aussi farfelues soit-elles, ne cacheraient pas quelque réalité antique et universelle - ou presque. On
    tentera d'y répondre plus loin, mais le débat reste ouvert.
    L'alchimie indienne
    J'ai surligné les habituels points communs, car il est désormais inutile de les nommer : on aura
    compris que ces similitudes sont la raison même du mot "alchimie" diversement employé.
    " Bien que l'alchimie, comme technique spirituelle fondée sur des pratiques
    physiologiques particulières, principalement tantriques, semble avoir été connue de
    l'Inde antique, peut-être à une époque plus ancienne que celle où elle le fut en Chine, le
    problème de ses origines historiques n'a pas encore reçu de solution définitive.
    On a supposé que ces théories et ces pratiques indiennes auraient une origine arabe,
    mais un traité de Nâgârjuna, traduit en chinois par Kumârajîva trois siècles avant l'essor
    de l'alchimie arabe, fait état de la transmutation en or par deux procédés distincts, soit
    par la puissance des drogues, soit par la force développée par le yoga.
    " Mircea Eliade a bien montré ces convergences entre le yoga, surtout le Hatha-yoga
    tantrique et l'alchimie: "C'est tout d'abord l'analogie évidente entre le yogin qui opère sur
    son propre corps et sa vie psycho-mentale d'une part, et l'alchimiste qui oeuvre sur les
    substances, d'autre part: l'un comme l'autre visent à "purifier" ces matières impures, à
    les "perfectionner" et, finalement, à les transmuer en "or". Car l'or, c'est l'immortalité,
    répètent les textes indiens; il est le métal parfait et son symbolisme rejoint le
    symbolisme de l'Esprit pur, libre et immortel, que le yogin s'efforce, par l'ascèse,
    d'extraire de la vie psycho-mentale, "impure" et asservie."
    " Ainsi l'alchimiste, selon Eliade, espère-t-il arriver aux mêmes résultats que le yogin en
    "projetant" son ascèse sur la matière: "Au lieu de soumettre son corps et sa vie psychomentale
    aux rigueurs du yoga, pour y séparer l'Esprit (purusha) de toute expérience
    appartenant à la sphère de la substance (prakriti), l'alchimiste soumet les métaux à des
    opérations chimiques assimilables aux "purifications" et aux "tortures" ascétiques. Entre
    le plus vil métal et l'expérience psycho-mentale la plus raffinée, il n'y a pas de solution
    de continuité."
    " Dans les deux cas, Tantra-yoga et alchimie, le processus de la transmutation du corps
    "mortel et corruptible" en un "corps parfait" (siddha-deha), incorruptible et "divin" (divyadeha),
    corps du "délivré dans la vie" (jivan-mukta), comporte une expérience de mort
    et de résurrection initiatiques. On serait ainsi fondé à voir dans le tantrisme et dans
    l'alchimie un enseignement parallèle, ayant pour but d'affranchir l'homme des lois du
    temps, de "déconditionner son existence" et de conquérir la liberté absolue.".
    Avant de continuer notre lecture suivie, remarquons ici ces expériences de mort et de résurrection.
    Ce n'est pas uniquement chrétien. C'est bien plus ancien et universel. Je n'ajouterai pas "presque"
    ici, car c'est réellement universel. Les chamans du monde entier connaissent ce type d'initiation.
    Etre déchiqueté par les esprits pour être mieux reconstruits par eux. C'est un travail de désossage :
    les membres, puis les nerfs, puis les os. C'est très méthodique, presque... alchimique. Tous les
    mythes de l'antiquité ont aussi leur héros qui va mourir, qui jusqu'aux Enfers, pour faire un pacte,
    revenir à la vie ou tenter de ramener l'Anima personnifié, la femme de leurs rêves. Ce sont là les
    mystères d'Orphée et d'Eleusis, pour ne citer qu'eux.
    " Cette thèse d'Eliade est irréfutable en ce qui concerne l'alchimie sotériologique, c'està-
    dire celle qui s'est élaborée en tant que technique mystico-religieuse du salut ou de la
    "délivrance". En revanche, elle ne rend pas compte de l'alchimie magico-expérimentale
    archaïque à laquelle il semble que ces considérations métaphysiques subtiles aient été
    étrangères. ".
    L'alchimie était peut-être unique dans la pratique, mais elle répondait à un esprit des religions, une
    façon de voir et de penser, très spirituelle ou très inconsciente, qui n'a presque pas changé durant
    des millénaires. Remarquable.
    Les textes alexandrins
    On observera ici deux choses capitales. Premièrement, l'alchimie alexandrine ne domine le monde
    de l'alchimie que du point de vue occidental - ce qui n'étonnera personne. En réalité, l'alchimie qui
    nous est parvenue de ces sources provient d'une autre alchimie, plus précise dans ses termes,
    plus ancienne et peut-être étrangère. Deuxièmement, décadence et industrie des faux du monde
    antique des premiers siècles après Jésus-Christ ont touché la culture alchimique et perturbé ses
    doctrines. On remarquera encore l'effet néfaste d'une certaine vulgarisation des connaissances. Ou
    les théories deviennent floues et disparates, ou les pratiques deviennent de la pure technique, vite
    oubliée au vue des techniques nouvelles et de leur plus grande efficacité. L'alchimie telle qu'elle a
    été reprise et modifée par le peuple, ses désirs et ses besoins, n'est donc pas celle que
    connaissaient les Initiés ou Alchimistes. Il ne faudrait donc pas parler de l'alchimie, mais des
    alchimies.
    " Loin d'être l'origine de l'alchimie, comme l'a cru Berthelot, la Grèce égyptienne,
    entre le IIIème siècle et le VIIIème siècle après J.-C., n'a connu que la fin de
    l'évolution des communautés alchimiques et métallurgiques de la haute Antiquité.
    Ruska souligne les traces sensibles de cette décadence déjà chez Zosime de
    Panopolis, l'auteur le plus fécond de la littérature alexandrine hermétiste, au IVesiècle.
    " Cette littérature est indigente et pompeuse, dénuée de cohérence, même sur le plan
    allégorique et symbolique. Les noms d'Agathodémon, d'Hermès et de Thot, d'Isis,
    d'Osiris et d'Horus, d'Orphée, d'Ostanès ou de Moïse, de Marie la Juive ou de
    Cléopâtre, de Démocrite ou d'autres, témoignent assez clairement de son origine
    culturelle probable : la bibliothèque d'Alexandrie. L'industrie des faux a été
    pratiquée, avec virtuosité parfois, pendant toute l'histoire de la littérature alchimique. Ce
    fut l'une des principales ressources des scribes antiques et médiévaux.
    " La décadence de l'alchimie grecque reflète, en réalité, un phénomène plus général :
    celui de la lente dissolution des structures religieuses et sociales du monde
    antique. Quand l'ordre des institutions et des valeurs change, la cohésion logique des
    représentations scientifiques de l'univers se modifie.
    " La société grecque du IIIesiècle accueillait le mysticisme pseudo-alchimique avec
    intérêt précisément parce qu'il était pseudo-religieux et pseudo-philosophique, comme
    elle-même était pseudo-hellénistique. Ces contrefaçons exotiques et syncrétistes
    s'accordaient avec son cosmopolitisme, ses confusions et ses curiosités
    culturelles. Elle voulait savoir parce qu'elle ne pouvait plus croire; elle se fiait au
    miracle, car elle doutait de sa propre réalité.
    " Aussi l'élaboration alchimique littéraire de l'"hermétisme" alexandrin ne peut-elle
    être confondue avec la gnose alchimique islamique : synthèse universelle opérée
    par des conquérants et pour des conquérants, "guerre sainte" pour la délivrance de
    l'âme, dont l'aspect historique était transcendé par une quête spirituelle,
    essentiellement chevaleresque. ".
    Les noms cités sont de nature purement syncrétique. Hermès est un dieu grec, Osiris un dieu
    égyptien, Moïse un personnage juif (mais égyptien aussi, il est vrai), et Marie chrétienne ou judéochrétienne.
    Dieux et héros s'entremêlent. Malheureusement, il n'est rien dit de l'utilisation de ces
    noms, du contexte et du sens qui leur est donné. Dans la vision de l'Encylopedia Universalis, le
    syncrétisme est un signe de décadence. De là l'idée que le syncrétisme est décadence en luimême,
    il n'y a qu'un pas qui est vite franchi dans la recherche des origines, des "pures" origines de
    la tradition ou de l'Age d'Or. C'est là où l'ethnologue a le droit, le devoir et j'espère le pouvoir de
    la tradition ou de l'Age d'Or. C'est là où l'ethnologue a le droit, le devoir et j'espère le pouvoir de
    s'interposer, car les différences ont la capacité innée de nous enrichir. Offrir une comparaison avec
    l'autre, l'étranger, permet de changer son regard sur le monde dans son entier, sur notre propre
    société, sur nous-mêmes et notre vision des choses. C'est pourquoi la recherche des sources ne
    doit pas oublier qu'elle est aussi recherche syncrétique par excellence, puisqu'elle compare les
    connaissances actuelles ou connaissances antiques, la vision d'une époque à la vision d'une autre
    donc. Obtenir des informations est intéressant, mais quelque peu futile si c'est pour les garder
    enfermées. Le SR propose de faire travailler les doctrines sur leurs points communs. La
    "décadence" n'est pas à nier, elle est juste plus subtile que susnommée : ce n'est pas le
    syncrétisme qui est nuisible, c'est de vouloir considérer l'alchimie que du point de vue théorique -
    afin d'être plus malléable dans le monde des idées, plus facilement comparables avec d'autres
    philosophies et d'autres alchimies. L'alchimie est un tout. Un Tout comparable, mais dans une
    comparaison correcte, il est nécessaire de garder la mesure de chaque chose. On ne peut pas se
    permettre de ne comparer que l'aspect théorique sans comparer l'aspect technique. Cette primauté
    du monde des idées au monde physique n'était pas un hasard : il est dans la philosophie
    platonicienne du monde grecque, et donc alexandrin. Ainsi, ce n'est pas seulement l'alchimie qui a
    perdu de son unité, et donc de son sens logique, mais aussi le syncrétisme, en tant que méthode
    efficace ou enrichissante. Or, c'est justement le terrain sur lequel j'entends me battre.
    L'alchimie arabe et persane
    Les Arabes aussi développèrent l'alchimie, ce faisant c'est devenu une alchimie arabe à part
    entière. Mais il semble que l'alchimie grecque passa aux Arabes par l'intermédiaire des Persans. Il
    faudra donc chercher la source ailleurs.
    " Les travaux de Ruska ont établi que les Syriens n'ont pas été les seuls médiateurs
    entre la science grecque et la science arabe. Ils ont joué, sans doute, un rôle important
    et même capital en philosophie et en médecine, mais, en fait, les Persans (les Iraniens)
    furent les premiers maîtres des alchimistes et des hermétistes islamiques.
    " On peut situer cette transmission entre 750 et 800. L'ancêtre de la dynastie des
    Abbassides, qui régnaient alors, portait le titre héréditaire de grand prêtre d'un temple
    bouddhiste de Balkh, "la mère des cités", qui fut réédifié magnifiquement en 726. Là
    s'étaient conservées des traditions grecques et chrétiennes nestoriennes, mais aussi
    des traditions zoroastriennes et manichéennes. ".
    Le SR n'est pas récent. Il existait déjà en Chine et en Perse antiques. La mythologie iranienne
    possède beaucoup de corrélations avec celle de l'Inde. C'est ce qu'on appelle l'aire indoeuropéenne.
    De nature beaucoup plus abstraite, les religions qui s'y sont développées étaient les
    premières à développer l'idée d'un dieu unique, créateur et tout-puissant. De manière toute aussi
    originale, le syncrétisme s'y est développé dans la tolérance - qui trouve moins son explication
    dans la domination de la Perse que dans son aspect de "plaque tournante" de l'Europe à cette
    époque. Un exemple historique qu'une telle société est possible, même si elle est éphémère. Mais
    époque. Un exemple historique qu'une telle société est possible, même si elle est éphémère. Mais
    ce qui nous intéresse est cette ouverture aux croyances étrangères et cette tendance à vouloir
    réunir et comparer celles-ci, sans pour autant vouloir en faire les preuves de l'universalisme de sa
    religion et de ses dieux, comme on pu le faire César et plus tard les évangélistes. L'alchimie, de
    même, a pu servir d'outil à la conquête romaine, et plus tard donner un exemple de paganisme
    infernal (alchimie = forges = feu = enfer).
    La situation est différente en Perse : les alchimies qui y sont recueillies reforment peut-être cette
    alchimie primordiale dont l'esprit et la méthode avaient été séparés.
    La gnose alchimique islamique
    Entre parenthèses : ici encore, on utilise de manière péjorative ce douteux syncrétisme, alors qu'il
    n'est justement rien d'autre que cette complexité d'apports et d'influences.
    " Cette complexité d'apports et d'influences a fait de l'alchimie arabe une gnose
    ésotérique et initiatique d'une ampleur et d'une profondeur que l'on ne saurait
    comparer au douteux syncrétisme de l'hermétisme alexandrin.
    " On doit éviter de rapporter à des origines grecques ou égyptiennes littéraires un
    ensemble de connaissances transmises à la chrétienté médiévale et dont les origines
    initiatiques sont incontestablement islamiques. En effet, si la partie magicoexpérimentale
    de l'alchimie est archaïque, si elle remonte à la protohistoire, sa
    partie gnostique, telle qu'elle a été conservée par la tradition occidentale, est
    relativement récente puisqu'elle ne saurait être antérieure à l'élaboration de la gnose
    jâbirienne. ".
    Ici s'installe l'idée d'une coupure entre le monde protohistorique et l'antiquité. Dans le premier,
    l'alchimie est essentiellement magique, dans le second, elle devient bien plus abstraite. C'est peutêtre
    le seul défaut du syncrétisme : à trop y regarder les points communs et à comparer les
    systèmes, on en oublie les détails, et parmi eux, des points qui ne sont peut-être pas moins
    systèmes, on en oublie les détails, et parmi eux, des points qui ne sont peut-être pas moins
    importants que des articulations logiques en grammaire. C'est la différence entre l'autodidacte et
    l'expert. On passe ainsi de l'alchimie des praticiens à l'alchimie des théosophes. Même si l'idée est
    extrême, l'idée est là. Les alchimistes persans ont eu le recul suffisant pour comprendre et
    expliciter les phénomènes dont ils étaient témoins, mais de fait, ils en ont - en toute probabilité -
    perdu la pratique et donc la maîtrise. De la perte de maîtrise, on en vient à la nécessité de spéculer.
    De la spéculation, on arrive aux erreurs de jugement. Jusqu'à aujourd'hui.
    " C'est à Geber (Abu 'Abd Allah Jabir ibn Hayyan al-Sufi), "roi des Arabes et prince des
    philosophes", que l'alchimie arabe a dû son renom extraordinaire, pendant tout le
    Moyen Âge. Les incertitudes d'attribution de ces oeuvres à un auteur mettent en
    évidence le fait caractéristique d'une chaîne initiatique située sous un "saint patronage
    gnostique". Corbin a bien montré que, parmi les rédacteurs possibles du corpus
    jabirien, "chacun avait à reprendre, authentiquement sous le nom de Jâbir, la geste de
    l'archétype". ".
    Ce côté initiatique est le propre de l'ésotérisme : un cercle fermé, qui se poursuit dans le temps, et
    qui garde autant qu'il pratique. Dans d'autres textes, le mot "ésotérique" est d'ailleurs utilisé, et ce
    sont toutes ces alchimies postérieures, fausses et décadentes qui rejoignent le domaine de
    l'exotérisme.
    La science de la Balance jabirienne
    Trois mille traités. Voici ce qu'aurait écrit à lui seul l'Arabe Jabir - héritier du savoir persan. Ce serait
    ignorer qu'il est coutumier de voir un nom célèbre repris par ses successeurs - anonymes. On a vu
    ce phénomène pour des noms de seigneurs, pour des noms de héros, pour toutes les grandes
    figures en fait. Les prénoms célèbres ont donné les prénoms d'aujourd'hui. Un alchimiste
    occidental pris même le nom de Geber à une époque - Geber étant le nom latin de Jabir.
    Evidemment, rien est impossible, surtout quand on parle d'immortalité. Que Jabir ait écrit trois mille
    traités est quelque part possible, mais il est encore plus probable que ce nombre participe du
    mythe - ou du message que veut faire passer le mythe.
    " L'oeuvre considérable de Jabir ibn Hayyan, Geber en latin, compterait trois mille
    traités, s'il fallait en croire la tradition et même certains orientalistes. On a supposé que
    Jabir dont la naissance et la mort se situent, approximativement, entre 730 et 804,
    aurait été le nom choisi par les Ikhwan al Safa, les "Frères de la Pureté et de la
    Fidélité", qui eurent leur centre à Basra et y rédigèrent, au Xème siècle, une
    encyclopédie. Traduite en persan et en turc, elle eut une influence considérable sur les
    penseurs et les mystiques de l'Islam. On retrouve, chez les Frères, la tendance à élever
    la conception néoplatonicienne des "nombres-idées" au rang d'un principe
    métaphysique, nommé la "Balance" (mizan), bien que, chez Jabir, cette notion soit, à
    vrai dire, plus complexe, et plutôt ésotérique que philosophique. Ce mot est l'origine
    d'un ancien nom de l'alchimie, en langue franque, maza, cité par Berthelot, devenu
    massa, dans le Theatrum chymicum. ".
    Nous entrons ici dans les détails de la "science" jabirienne. Le mot "science" est ici employé au
    sens prémoderne du mot, et entendu dans le sens moderne. Car il serait péjoratif d'utiliser une
    sens prémoderne du mot, et entendu dans le sens moderne. Car il serait péjoratif d'utiliser une
    expression comme "pseudo-science", même s'il est vrai qu'on ne peut pas considérer des traités
    de "métaphysique appliquée" comme une science.
    " Selon la "science de la Balance", à toute genèse correspond une exégèse. Au "Livre
    du Monde", le Liber Mundi qu'est l'univers créé, matériel, élémentaire, répondent des
    "niveaux de signification". À partir de ceux-ci, de proche en proche, l'exégèse
    spirituelle (ta'wil), en découvrant la relation qui existe entre le manifesté, l'exotérique
    (zahir) et le caché, l'ésotérique (batin), en "occultant l'apparent et en faisant
    apparaître l'occulté", en s'élevant des sens au Sens, ouvre enfin le "Livre du Glorieux"
    (Kitab al-Majid) et s'éveille à Sa Splendeur. Là, seulement, la transmutation du
    monde s'achève en transfiguration.
    " Ainsi l'opération alchimique, réellement accomplie sur une matière réellement
    donnée, faute de quoi l'ascension ultérieure ne serait ni comprise ni fondée, n'est pas
    allégorique mais exégétique.En répétant une genèse, non seulement elle l'explique
    vraiment, mais encore elle est guidée hors de cette première genèse vers une seconde
    naissance : elle y trouve l'initiation. ".
    On trouve ici un système de correspondances entre l'âme et le métal. L'un participe du domaine de
    l'invisible, l'autre du visible. Au niveau théorique, c'est l'invisible qui prime, puisque les liens
    unissant les deux parties sont eux aussi du domaine de l'invisible. Mais au niveau pratique, c'est la
    transmutation du métal qui permet la seconde naissance de l'âme, et non pas l'inverse, même si le
    lien est étroit. L'immortalité n'est donc pas un but, mais un effet. C'est la découverte du sens de
    l'univers via la matière qui importe, et au final, l'application de cette découverte sur soi-même.
    Au fil de notre avancée, l'alchimie perd son sens en français, où l'on entend précisément le préfixe
    arabe "al" et le mot "chimie". Or, les Arabes ne sont que les dépositaires de l'alchimie (comme ils
    l'ont été du 0 découvert par les Chinois avant eux) - même si c'était pour l'améliorer ensuite comme
    le fit Jabir - , et la chimie est un terme réductif, surtout au vu de la chimie moderne, scientifique et
    industrielle. C'est ce qu'en linguistique, on serait en droit d'appeler un "faux ami".
    " Mais la force même (quel que soit le nom qu'on lui donne) de cette opération n'a pu
    s'en dégager que parce qu'elle était déjà engagée dans son sujet matériel, réel, qui,
    nécessairement, ressentait un désir d'interpénétration entre ses propres qualités et les
    natures élémentaires primordiales. C'est du désir éprouvé par l'âme pour les éléments
    que dérive le principe qui est à l'origine des Balances (mawazin).
    " Les phases du retour de l'âme à elle-même sont donc aussi légitimement décrites par
    les étapes et les états de la progression matérielle de l'OEuvre, qui peuvent,
    inversement, mesurer à tout moment les divers degrés de ce retour. On voit qu'il s'agit
    bien d'une subtile "Balance" et d'une mystique positive et presque quantitative, ce qu'a
    souligné Corbin: "La Balance de Jabir était alors la seule algèbre qui pût noter le degré
    d'"énergie spirituelle" de l'Âme incorporée aux Natures, puis s'en libérant par le
    ministère de l'alchimiste qui, en libérant les Natures, libérait aussi sa propre âme.".
    " Les alchimistes arabes ont développé une véritable énergétique de l'âme du monde.
    Leur conception des déséquilibres métalliques, analogues à des maladies guérissables,
    n'est pas absurde scientifiquement, car ils l'ont fondée sur de patientes observations
    des gîtes miniers. Selon l'impureté des matrices, les accidents de leur milieu naturel, les
    métaux, "vils" par leur naissance première, pouvaient devenir "nobles" par leur mort et
    leur résurrection. ".
    Nous répertorions ici, dans le sacro-saint de l'alchimie, les thèmes communs à l'ésotérisme en
    général : les natures élémentaires (Feu, Eau, Air, Terre), la mort et la résurrection, et plus loin un
    lien avec l'astrologie. Ces rapports thématiques sont bien plus intéressants que les précédents
    rapports de forme. Ils nous donnent à penser : l'alchimie ne serait-elle pas la branche coupée d'un
    grand arbre théorique et magique que nous appellerons Esotérisme ? Si cet arbre n'est en pas
    l'origine, il se pourra, à l'inverse, qu'il en soit sa finalité, espérée à défaut d'être accomplie.
    " Ce fut dans une direction bien différente de la gnose jabirienne, sinon opposée, que
    s'orienta l'oeuvre alchimique de Muhammad ibn Zakariyya Razi (en latin Rhazes), né en
    864 à Razy, près de Téhéran, mort vers 932. Ce médecin et philosophe, opposé au
    prophétisme et farouchement hostile à toute idée d'élection divine, professant un
    irréductible égalitarisme, confiait seulement aux philosophes la charge d'éveiller les
    âmes et de les délivrer de leurs erreurs. Ses oeuvres alchimiques, nettement
    préchimiques, mentionnent la préparation de l'acide sulfurique, du zinc, de l'eau-devie,
    des aluns (qui sont, en réalité, des sulfates, des "atraments") et des sels. D'après
    Abou Obaiah, Rhazès aurait composé 226 volumes dont la plupart sont perdus. C'est
    Rhazès qui a donné à l'alchimie, semble-t-il pour la première fois, le nom
    d'"astronomie inférieure" ou terrestre, afin de montrer ses rapports avec l'astronomie
    "supérieure" ou céleste : l'astrologie. ".
    Précision sur le dénommé Rhazès : sans doute influencé par les notes persanes désignant les
    éléments chimiques, il fonda ou participa à une alchimie exotérique de type préchimique. Il est
    important parce qu'il est Persan et qu'en tant que tel, il avait accès à de nombreux manuscrits, il
    l'est moins parce qu'il ne connaissait pas tout et qu'il a reformulé non seulement les termes de
    l'alchimie, mais l'alchimie elle-même. Vouloir son nom, c'est vouloir laisser sa trace, donc être
    original, nouveau et ce faisant réformateur des idées anciennes, donc "périmées". Cette
    déformation, même légère, est un risque fréquent quand on obtient un nom, surtout quand il est
    célèbre, à une époque où l'on n'avait pas l'habitude de signer ses textes. C'est pour cela que
    l'alchimie originelle, les mythes, les rituels et les chansons populaires sont toutes anonymes. Peutêtre
    aussi pour cela que la tradition orale primait sur l'écriture, et que l'écriture symbolique
    (pictogrammes, hiéroglyphes, ...) primait sur l'écriture alphabétique, et ce à des époques très
    tardives. Enfin une explication plausible des l'hermétisme des écrits et des symboles alchimiques.
    Les premiers textes de l'alchimie occidentale
    " On admet généralement que, comme en médecine, en mathématiques, en astronomie,
    les premiers monuments de l'alchimie occidentale ont été des traductions d'ouvrages
    arabes, par exemple, le Livre des Septante de Geber, ou la Turba philosophorum.
    " Les connaissances métallurgiques étaient cependant plus développées en Occident
    avant le XIIème siècle, époque probable de l'apparition de l'alchimie arabe, que les
    historiens ne semblent le supposer. Ganzenmüller a rappelé que le célèbre traité,
    Schedula diversarum artium, du moine Théophile, contient la plus ancienne formule
    connue d'alchimie occidentale. Ce recueil technique, l'un des plus précieux du Moyen
    Âge, date de la fin du XIème siècle. Il mentionne le traitement des métaux pour
    fabriquer l'or "arabe" et l'or "espagnol". À vrai dire, ce procédé n'est point "alchimique",
    comme le dit Ganzenmüller, mais chimique: il s'agit d'alliages. Néanmoins cela prouve
    que ce genre de recherches a été connu par les artisans, bien longtemps avant les
    premières traductions d'ouvrages arabes. "
    Ne retombons pas dans la confusion : le travail des artisans n'a rien avoir avec le travail des
    alchimistes. Ne collons donc pas cette étiquette à des gens qui ne connaissaient pas encore mot -
    puisqu'il est d'origine arabe, justement.
    Les trois branches structurales de l'alchimie
    On précise ci-dessous "occidentale", mais en même temps, on fait référence à Rhazès (Perse), à
    Jabir (Arabe), et à la tradition chinoise archaïque. Soit parce qu'il y a des rapports universels en
    alchimie, soit parce qu'il y avait des contacts et des échanges anciens dont nous n'avons pas gardé
    trace - il suffirait qu'avant, tout se transmette uniquement par l'oralité et dans un certain secret.
    J'emploie ici le mot "universel", car parler, de manière positive ou négative, de l'existence de
    l'alchimie chez les mayas, par exemple, est inutile, étant donné le peu d'informations dont nous
    disposons au sujet des civilisations méso-américaines - même si nous savons qu'ils connaissaient
    la métallurgie.
    " L'alchimie occidentale peut être divisée en trois branches principales. La première,
    aristotélicienne, a développé les applications de la théorie antique des quatre
    éléments à la transmutation des métaux. Préchimique et relativement rationnelle, elle
    se rattache plutôt à la tendance expérimentale de Rhazès. La seconde, concevant le
    monde comme un vaste organisme animé, reprenant les théories des stoïciens sur la
    sympathie et l'antipathie des êtres, a recherché les relations entre la vie des métaux et
    l'âme universelle, assimilant ainsi les manifestations inorganiques aux phénomènes
    biologiques. Une seule gnose, l'"Art d'Amour", dominait cette philosophie de la nature.
    Son orientation la rapproche plutôt de la gnose jabirienne. C'est la voie traditionnelle la
    plus importante et la plus généralement suivie par les maîtres de l'alchimie occidentale.
    " La troisième branche, à peu près inconnue, non seulement des historiens, mais de la
    plupart des alchimistes eux-mêmes, n'a laissé aucune trace écrite. Transmise toujours
    oralement, elle n'est pas essentiellement différente de la tradition chinoise
    archaïque. Elle n'est ni préchimique, ni philosophique, ni mystique. On peut la nommer
    "magique", à condition d'admettre qu'il existe une magie "naturelle" et qu'elle ne
    présente pas de rapports avec la sorcellerie. La source arabe la plus proche de cette
    tradition secrète est l'oeuvre de Ya'kub ibn Ishak ibn Sabbah al-Kindi, le Liber de radiis
    stellicis, traité dans lequel le mouvement des étoiles et "la collision de leurs rayons"
    (Thorndyke) produisent, selon cet auteur, une infinie variété de combinaisons. Le
    feu, la couleur et le son émettent aussi des radiations. Ces théories furent connues de
    Roger Bacon. Elles semblent avoir été ignorées d'Albert le Grand. Bacon y fut initié
    oralement par un adepte inconnu qu'il nomme "le maître des expériences" et que
    Humboldt a supposé être Pierre Pérégrin de Maricourt. ".
    Répertorions les trois branches de l'alchimie, les alchimies :
    1. La transmutation des métaux et les quatre éléments (tendance persane)
    2. L'alchimie de la Nature et de l'Amour (tendance arabe)
    3. L'alchimie magique et astrologique (tendances chinoise et arabe)
    Il semblerait que la dernière, par son étendue, son ancienneté et son oralité répondent aux critères
    auxquels devraient répondre une alchimie originelle. Le côté "magique" du procédé précédant plus
    logiquement les procédés techniques, chimiques ou physiques des deux autres. Une autre
    possibilité serait évidemment que les trois alchimies ci-dessus soient considérés comme les
    épiphénomènes d'une alchimie protohistorique, d'une théorie sous-jacente aux trois conceptions,
    desquelles elles sont nées, et dans laquelle on peut retrouver les particularités de chaque
    desquelles elles sont nées, et dans laquelle on peut retrouver les particularités de chaque
    tendance. A bien y regarder, elles participent toutes d'une vision ésotérique du monde. La théorie
    des quatre éléments comprend effectivement une évolution entre eux comme dans la transmutation
    des métaux; Nature et Amour sont des thèmes récurrents de la mystique et de la religion en
    général; l'astrologie est une base comme à l'ésotérisme et à toutes les constructions anciennes
    (celtes et égyptiennes). On a là non seulement les bases de l'alchimie, mais les bases de
    l'ésotérisme, et peut-être même de la religion. Ou il faut considérer l'alchimie comme l'une des ces
    bases, ou comme un mode d'expression de celles-ci. Avoir la réponse à cette question serait avoir
    la réponse de son ancienneté.
    En fin d'article, on trouve deux noms importants. Roger Bacon et Albert le Grand. Ils sont tous deux
    considérés comme des "Maîtres de l'Occultisme" et relativement célèbres dans ce milieu -
    relativement car c'est un milieu hétéroclite. On se référera pour plus les détails aux Maîtres de
    l’occultisme (Les Compacts, Bordas). Contentons-nous de signaler que premier appartient à la
    branche de l'alchimie. Savant du XIIIème siècle, il était un des promoteurs de la méthode
    expérimentale. Quant à Albert le Grand, il vécu au XIIème siècle où il rassembla les fonctions de
    théologiste, de philosophe, de savant, d'astronome et d'alchimiste. Il est l'auteur de traités
    ésotériques, forts connus sous le titre : les Secrets du Grand et du Petit Albert, dans lequel on
    trouve magie blanche et magie noire, mais surtout de la magie noire. Cet ouvrage ne traite
    effectivement pas d'alchimie. Mais l'alchimie, il est vrai, n'a rien à voir avec la magie noire...
    Les trois techniques utilisées
    " Ces trois orientations distinctes de l'alchimie occidentale correspondirent à des
    techniques différentes. La première, ayant pour but principal la transmutation
    métallique, utilisa les fours d'usage courant, de fondeur ou de verrier, le chauffage au
    charbon de bois, à la lampe à huile, pour de petites quantités de matière; au fumier
    fermenté, pour obtenir de longues "digestions" à une chaleur égale ; ou même
    l'exposition à la chaleur solaire des récipients "lutés", scellés "hermétiquement".
    D'autres appareils de chimie étaient déjà en usage chez les Arabes, et avaient des
    formes analogues chez les préchimistes alexandrins : l'aludel, appareil à distillation en
    verre épais, décrit par Geber ; l'alambic, la cornue, lesquels, combinés, devinrent la
    retorte. Au XIème siècle, Avicenne compare déjà le corps humain à un alambic, le
    ventre étant la cucurbite et la tête formant le chapiteau en rassemblant les humeurs qui
    s'écoulent par les narines. La racine grecque du mot arabe, le nom ambix, figure dans
    l'Athénée de Dioscoride.
    " C'est à cette première branche de l'alchimie occidentale qu'il faut réserver le
    nom de "chimie du Moyen Âge". Elle n'a pas été ignorée des véritables alchimistes.
    Elle présente plus de valeur et d'intérêt scientifique et technique qu'on ne l'a dit, parce
    qu'on n'a pas répété ces fastidieuses expériences, mais elle n'a pas de rapport profond
    avec la théorie et la pratique véritables du Grand OEuvre. ".
    Cette alchimie de nature préchimique est très "occidentale" : elle insiste sur l'aspect technique et
    utile de la matière; elle prépare les révolutions scientifiques et industrielles à venir. Mais cette
    "alchimie de la recherche" n'est pas une "alchimie de la transformation". Ce n'est donc pas la
    catégorie la plus pertinente pour notre exploration des fonds communs de l'alchimie et de
    l'ésotérisme.
    " La deuxième orientation, principalement philosophique et mystique, avait pour but
    l'élaboration de la "pierre philosophale" et ses opérations "symbolisaient avec" une
    l'élaboration de la "pierre philosophale" et ses opérations "symbolisaient avec" une
    transmutation d'ordre spirituel. Matériellement, elle était fondée sur un "archétype
    expérimental" qui consistait à "purifier" et à "animer" puis à "exalter" un sujet métallique
    et minéral, complaisamment décrit par tous les adeptes qui, en revanche, ont caché son
    nom, sa préparation principale et l'agent essentiel de son "animation". Cette première
    matière, considérée comme l'"Adam métallique", était jugée "impure" et "vile" dans son
    état naturel. Mais l'art pouvait la porter à un degré de perfection et de pureté très
    supérieur à celui de l'or lui-même. Elle devenait alors un "soleil terrestre", un "corps
    glorieux", "ressuscité d'entre les morts", qui fut comparé par les alchimistes chrétiens au
    Messie sortant du tombeau. Ce "Christ métallique" pouvait ainsi "racheter ses frères
    imparfaits", sous la forme de "poudre de projection", en les transmuant en or, accélérant
    ainsi leur évolution, ou bien guérir les maladies, sous la forme de "médecine
    universelle". Son élaboration révélait en outre à l'adepte la vérité universelle et positive
    des mystères de la foi, le sauvant ainsi du doute et de la damnation. ".
    On observera que l'hermétisme des expressions se base sur une analogie chrétienne qui n'avait
    pas cours aux siècles précédents JC. Ce n'est donc pas dans cette vision des choses qu'il faut
    considérer l'alchimie véritable, même si la méthode de création et les utilisations de la "pierre
    philosophale" n'ont sans doute rien d'inventé mais de répété : transmuer en or, guérir les maladies,
    et la "médecine universelle", la plus grande guérison étant évidemment guérir de la mort,
    l'immortalité en somme. Tout ce que nous avons déjà vu.
    " La troisième orientation, principalement magique, ressemblait, techniquement, à
    la précédente, mais à vrai dire, elle commençait là où l'autre se terminait. La " pierre
    philosophale " était, en quelque sorte, la matière première de cette " haute
    science " dont les multiples applications s'étendaient à l'ensemble du savoir
    humain. En ce sens, son but était, symboliquement, l'Absolu ou l'Universel. ".
    Ici, l'alchimie n'est plus la simple corrélation d'une théorie ésotérique et d'une pratique préchimique.
    Elle devient l'aboutissement concret de l'ésotérisme, puisqu'elle procure un outil magique
    mais palpable : la pierre philosophale. Un outil pour se changer et pour changer le monde. Donnezmoi
    un levier et je soulèverai la terre, en quelque sorte.
    Précisions sur la deuxième voie de l'alchimie
    La deuxième branche structurale, ou la deuxième technique de l'alchimie, tentée de morale et de
    religion, est la forme qui a survécu de la naissance de l'humanisme jusqu'à notre époque. Qu'on se
    rappelle de l'alchimie comme d'une transmutation de l'or et de la recherche de la pierre
    philosophale n'est pas innocent. Faute de pouvoir garder le fond spirituel qui était le sien
    auparavant, l'alchimie a dû s'adapter, se concentrer et finalement diffuser l'image de la technicité, le
    côté "matériel". Les thèmes humanistes sont venus combler ses lacunes, mais n'en ressortent que
    les préoccupations d'une époque, non plus d'une recherche d'une transcendance. Je cite pour
    exemple un texte sur "la vraie et la fausse alchimie" tiré du Dictionnaire mytho-hermétique de dom
    Pernety :
    " La vraie consiste à perfectionner les métaux, et à entretenir la santé. La fausse à
    détruire l'un et l'autre.
    " La première emploie les agents de la nature et imite ses opérations. La seconde
    travaille sur des principes erronés et emploie pour agent le tyran et le destructeur de
    la nature.
    " La première, d'une manière vile et en petite quantité, fait une chose très précieuse. La
    seconde, d'une manière très précieuse, de l'or même, fait une matière très vile, de la
    fumée et de la cendre.
    " Le résultat de la vraie est la guérison prompte de toutes les maladies qui affligent
    l'humanité. Le résultat de la fausse sont ces mêmes maux, qui surviennent
    communément aux souffleurs. ".
    Le manichéisme est hérité de la religion, et l'insistance de la coupure est symptôme d'un
    changement social. C'est l'alchimie des Lumières et elle mourra avec elles.
    On trouvera cependant étrange l'insistance faite sur les dangers de cette pratique. Cela annonce
    peut-être les dangers auxquels s'expose et s'exposeront les premiers chercheurs. J'en veux pour
    preuve le cas de Pierre et Marie Curie et de leurs recherches - accidentelles - sur les radiations
    naturelles. Cas exemplaire, car il ouvre la voie à la puissance nucléaire puis aux déchets toxiques.
    Pierre Curie est mort renversé par une carriole, peu après sa découverte, et sa femme a été
    imprégnée de radiations, ce qui a détruit sa santé et a fini par la tuer. Le texte est prophétique. On
    pourrait donc supposer que les "éclairs de génie" - l'expression est amusante - , tout comme les
    bonnes idées, ne meurent pas avec leur auteur ou leur époque, mais perdurent jusqu'à leur
    réalisation. Ce serait d'ailleurs le même lien qui unit la génétique à l'évolution, à en croire les
    biologistes : les mutations sont parfois dues au hasard, mais les plus importantes, les mutations
    viables, sont déjà marquées quelque part dans notre génome, de la même façon que nos maladies
    graves sont déjà préprogrammées - une découverte qui date d'une dizaine d'années. Si cette
    supposition est juste, ainsi que l'ordre de la nature sous-jacent à ma comparaison, alors, et alors
    seulement, l'alchimie n'est pas morte. Elle est en latence et attend son heure.
    Ces remarques sur la deuxième alchimie et son lien avec l'Histoire introduisaient l'étude de son
    évolution temporelle, dans sa réalité comme dans son image, jusqu'à son état actuel. C'est éclairci
    à la fois l'origine de nos préjugés et le mécanisme de leur formation. Mais c'est surtout tenter de
    comprendre l'alchimie en tant que telle, et à travers elle, l'évolution des l'ésotérisme à travers le
    temps. Car l'alchimie à ceci de très représentatif qu'elle ne s'est jamais présentée comme une
    doctrine complète et achevée. Elle était suffisamment diverse pour se morceler selon les besoins,
    et suffisamment ouverte aussi pour s'adapter aux nouveaux courants de pensée. C'est justement le
    point que nous cherchions à relever. L'alchimie est un syncrétisme.
    L'évolution historique de l'alchimie
    D'une source relativement confuse, on peut remonter jusqu'à l'alchimie moderne de manière de
    plus en plus suivie et de plus en logique. Logique parce que les éléments allaient s'agencer pour
    précipiter l'alchimie dans la décadence - pour ne pas dire mort - qu'elle connaît aujourd'hui. Le
    terme d'évolution aurait pu être remplacé par celui de régression, s'il n'avait certains remous de
    l'histoire où l'alchimie réapparaissaient parfois, sous des formes bâtardes certes mais bien
    vivantes.
    " (...) Ésotériquement et initiatiquement enseignée à une élite occidentale, à l'époque
    des premiers établissements des ordres chevaleresques en Orient, cette gnose
    pouvait être légitimement transposée, pour ainsi dire, en diverses langues, sans
    s'opposer à la variété ni à l'originalité des croyances religieuses dont elle se proposait,
    au contraire, d'établir la transcendante unité, fondement qu'elle jugeait indispensable à
    l'ordre futur du monde. Ainsi prit naissance l'"hermétisme chrétien", dans les
    premières années du XIIème siècle. ".
    Simple question : l'alchimie ne serait-elle pas une forme d'ésotérisme primitive? Ce, avant que ne
    se ressentent, la séparation corps/esprit et le début de l'abstraction, de la spéculation (scientifique)
    et de la supériorité de l'intelligence sur la force. Les nouvelles techniques en agriculture, la charrue
    plutôt que le socle, le cheval plutôt que l'homme, étant peut-être à l'origine de ce changement de
    valeurs. N'oublions pas que l'ethnologie nous apprend justement que tous les éléments de la
    culture sont liés. Quand on touche à l'un de ses aspects, même mineur, c'est finalement toute la
    culture qui va finir par se recomposer, les métiers, puis la famille, puis les valeurs à la génération
    suivante.
    Autre question : la chevalerie n'avait-elle pas un code d'honneur hermétique, ésotérique et
    finalement alchimique? Tout comme les samouraïs obéiront à l'apogée de leur gloire - et donc peu
    avant la chute - à un code d'honneur et de morale très stricte, mêlé à de nombreuses analogies
    spirituelles et religieuses. Cela était possible dans les deux cas puisque la guerre et la religion se
    trouvaient liées par l'exercice du pouvoir. On peut donc présumer de liens plus étroits entre la
    chevalerie et des cercles ésotériques où se pratiquait cet hermétisme chrétien.
    " Il est vraisemblable, d'ailleurs, que ces connaissances ont été diffusées seulement
    dans des cercles restreints pour éviter d'imprudentes divulgations et aussi en raison
    de l'accès difficile de ces doctrines. Dès la fin du XVème siècle, elles semblent déjà
    oubliées. On constate, en revanche, le développement de deux tendances entre
    lesquelles l'intuition analogique des symboles avait maintenu longtemps un équilibre
    systématique : l'expérience physico-chimique et la spéculation philosophique
    alchimique.
    " Le renversement des perspectives du symbolisme alchimique médiéval s'est effectué
    au XVIème siècle, principalement, comme l'a souligné Ganzenmüller, dans la partie de
    l'oeuvre de Paracelse qui s'est attachée à mettre en relief les aspects naturalistes
    et médicaux de l'alchimie. Techniquement, Pagel a rappelé que la pharmacie
    traditionnelle reposait sur la composition des ingrédients, alors que la pharmacie
    paracelsique est fondée sur la séparation des vertus particulières, les "arcanes", qui
    exercent leur action spécifique sur une ou plusieurs maladies. C'est alors qu'apparut la
    spagirie, "l'art qui sépare et qui unit", source positive et certaine de la chimie moderne
    qui s'est développée, au XVIIème siècle, à partir des recherches médicales et
    pharmaceutiques iatrochimiques, c'est-à-dire des applications de la chimie à la guérison
    des maladies.
    " La décadence de l'alchimie, déjà sensible au XVIIIème siècle, fut accélérée, au
    XIXème siècle, par la théorie des "corps simples". Les métaux étant reconnus,
    depuis Lavoisier, comme indécomposables, la théorie alchimique de la transmutation
    se trouva niée dans son principe. Jusqu'aux dernières années du XIXème siècle, la
    chimie positive condamna ou dédaigna les "rêveries superstitieuses" des alchimistes.
    L'apparition de l'"occultisme", à la même époque, a contribué au discrédit de
    cette science traditionnelle. ".
    On aurait pu rajouter : il aura fallu attendre le XXème siècle pour réussir à créer de l'or en
    laboratoire (cependant, la quantité était trop infime par rapport à la masse d'énergie utilisée pour
    que l'opération fût rentable). Les corps simples ne sont pas si simples : ils se composent de
    nombreuses particules (protons, quartz, etc.). Il suffit d'une force suffisante, comme celle des
    accélérateurs de particules, pour les briser, et peut-être les recomposer.
    En tout cas, cette décadence est datable. Paracelse en a été l'outil malheureux. Car celle-ci
    semblait inévitable. Il existait un risque pour que l'aspect matériel de l'alchimie détruise cette
    dernière. Il suffisait pour cela que des nouvelles techniques - ou découvertes - soient inventées et
    qu'on tente, comme Paracelse, de les incorporer à l'alchimie. De fait, les analogies qui équilibraient
    les techniques avec les symboles, et vice-versa, n'étaient plus assez nombreuses pour faire coller
    les nouvelles techniques à des théories qui étaient toujours les mêmes et en même nombre.
    les nouvelles techniques à des théories qui étaient toujours les mêmes et en même nombre.
    Soudain, la science pesait lourd dans la balance. La balance jabirienne était-elle à ce point
    prophétique, et l'expression "science de la Balance" a ce point ironique? Pour la suite, on aura
    compris : la science resta et on oublia les théories. Mais les oublia-t-on vraiment? Ne pourraientelles
    pas former, comme nous l'avons suggéré plus haut, l'avant-garde de ce qui allait devenir
    l'ésotérisme actuel, ou du moins l'un de ses aspect principal : l'ésotérisme des analogies, des
    symboles et des talismans? Ceci, l'histoire ne nous le dit pas.
    La littérature alchimique
    " La littérature alchimique, l'une des plus vastes qui soient, compte, en Occident, en
    Orient et en Extrême-Orient, des milliers d'ouvrages dont la plupart n'ont été ni traduits,
    ni imprimés ni même recensés exactement. Des centres alchimiques importants,
    Prague, par exemple, en Europe, Fez et Le Caire, en Afrique, ont conservé de précieux
    manuscrits anciens qui sont encore ignorés des historiens.
    " Quand, vers 1910, le père Wieger compulsa les collections de la patrologie taoïste du
    Pai-yunn-koan, à Pékin, et du Zushoryo, à Tokyo, il ne supposait pas que les traités
    alchimiques ainsi découverts allaient changer toutes les conceptions généralement
    admises, depuis Berthelot, sur les origines et l'évolution de l'alchimie.
    " Des textes fondamentaux, ceux du corpus alchimique traditionnel, comme L'Entrée
    ouverte au palais fermé du roi d'Eyrenée Philalèthe, ou Le Triomphe hermétique de
    Limojon de Saint-Didier, ne pouvaient être consultés que dans des éditions anciennes,
    souvent fautives, sans le moindre éclairage critique. On comprend d'autant moins l'état
    d'abandon dans lequel on a laissé ce domaine que ces oeuvres, souvent admirablement
    illustrées, présentent une aussi grande importance pour l'histoire de l'art que pour
    l'histoire des sciences.".
    Oui, pourquoi?
    La diversité des oeuvres
    Il eut autant de confusion dans la signification de l'alchimie que la classification de ses traités. Le
    second participant sans doute au premier. La prolifération des ouvrages nuit à la qualité. C'est un
    second participant sans doute au premier. La prolifération des ouvrages nuit à la qualité. C'est un
    précepte connu en édition. Mais la surinformation tue l'information, c'est aussi un vérité du XXème
    siècle que connaissaient déjà les agents secrets de la Guerre Froide et que nous redécouvrons
    avec Internet. Il n'y a donc pas besoin de censuré pour qu'il y ait censure. De même, il n'eut pas
    besoin de cacher les choses pour qu'elles se cachent d'elles-mêmes. C'est justement le
    phénomène inverse qui a tendance à se produire : le refus entraîne l'envie. C'est une autre "loi"
    qu'on retrouve dans le comportement infantile, dans les conseils de séduction et dans le succès
    des clubs privés. L'hermétisme peut être une forme de camouflage, mais il est plus souvent "oubli
    et désintérêt du corps social" et plus souvent encore "évidence qui devrait sauter aux yeux". C'est
    un peu le gag de l'homme qui cherche les lunettes qui sont sur son nez...
    La classification donnée fait appelle à des noms. Il y aurait aussi eu la possibilité de commencer à
    classifier ces noms. C'est cette dernière que j'ai choisi et qu'on pourra lire dans la partie qui leur
    correspond.
    " Dans l'état actuel de nos connaissances, il est donc plus utile de tenter d'éclairer et de
    préciser les méthodes d'approche et d'examen de la littérature alchimique que d'en
    dresser un inventaire qui serait souvent inexact ou superficiel. On la divisera, dans les
    limites de l'alchimie occidentale, en quatre catégories d'ouvrages :
    " 1. Les oeuvres attribuées à des adeptes, c'est-à-dire à des maîtres auxquels la
    tradition reconnaît l'autorité d'un enseignement théorique fondé sur l'élaboration
    expérimentale du Grand OEuvre et sur la possession réelle de la pierre philosophale.
    L'ensemble de ces traités constitue ce que nous nommons le corpus alchimique
    traditionnel.
    " 2. Les ouvrages ayant pour objet l'étude des transmutations métalliques. Certains
    ont été attribués à des alchimistes; d'autres ont pour auteurs des chimistes anciens, par
    exemple, Kunckel et Becher.
    " 3. Les ouvrages pharmaceutiques et médicaux fondés sur l'interprétation
    iatrochimique des théories alchimiques et sur l'application de ces doctrines à la
    préparation des médicaments et à la guérison des maladies.
    " 4. Les ouvrages littéraires et philosophiques inspirés par la gnose alchimique et par
    son langage symbolique.
    " Entre ces quatre catégories, trop souvent confondues entre elles par les historiens des
    sciences, existent des différences importantes. La première, la plus évidente, est
    quantitative. Le corpus alchimique traditionnel compte seulement une vingtaine
    d'auteurs parmi lesquels nous citerons les noms mythiques ou réels d'Hermès (La
    Table d'émeraude, et les commentaires d'Hortulain), d'Arnauld de Villeneuve, de
    Geber, d'Artéphius, de Roger Bacon, de Raymond Lulle, de Nicolas Valois, de Bernard
    le Trévisan, de Thomas Norton, de George Ripley, de Michael Sedziwoj (Sendivogius),
    de Venceslas Lavinius de Moravie, de Basile Valentin, de Jean d'Espagnet, de Limojon
    de Saint-Didier, d'Eyrenée Philalèthe. À notre époque, les alchimistes ont ajouté à cette
    liste le pseudonyme déjà célèbre d'un adepte inconnu : Fulcanelli, dont l'oeuvre
    majeure, Les Demeures philosophales, publiée en 1930 dans sa première édition, a
    éclairé profondément les études alchimiques traditionnelles.
    " Les trois autres catégories d'ouvrages, en revanche, comptent plusieurs milliers
    d'auteurs et de titres. Borel et Lenglet-Dufresnoy, voici plus de deux siècles, en fixaient
    le nombre à six mille. D'autres collections mentionnent vingt mille titres. Si l'on y ajoute
    la difficulté d'accès de ces textes, dont la plupart sont rédigés en latin "scientifique",
    c'est-à-dire dans une langue assez différente du latin classique, on comprend aisément
    que les historiens soient fort loin de connaître tous ces ouvrages dont la lecture,
    souvent fastidieuse et décevante, exige une inlassable patience.
    " Certains auteurs classiques, comme, par exemple, Bernard Trévisan, appelé parfois
    "le Trévisan", ou "le bon Trévisan" parce qu'on le jugeait "plus charitable", c'est-à-dire
    moins obscur et moins "jaloux de sa science" que d'autres adeptes, n'ont pas caché le
    temps considérable qu'ils consacrèrent à leurs recherches. Ayant commencé à lire
    Rhazès à l'âge de quatorze ans, "le bon Trévisan" avoue qu'il ne découvrit le sens
    véritable du corpus traditionnel qu'à l'âge de soixante-treize ans.
    " Le cas du Trévisan n'est pas exceptionnel. La littérature alchimique a fait de la lecture
    même de ses oeuvres une épreuve initiatique et c'est là, sans doute, son caractère le
    plus déconcertant, le plus étranger au moins à nos méthodes didactiques actuelles.
    Aussi convient-il d'essayer de comprendre les structures cryptographiques originales de
    ces textes dans la généralité de leurs propos et de leurs fonctions. ".
    Voici une originalité de l'alchimie, qu'on ne retrouve pas aussi prononcée dans les oeuvres dites
    religieuses. L'alchimiste cherche à décrypter le Verbe avant de décrypter la Réalité de la Matière.
    Dans le premier cas, il utilisera la clef des symboles. Dans le second cas, ce sera la pierre
    philosophale. Dans le premier encore, il est obligé de s'initier pour comprendre quelle est cette
    initiation; tandis que dans le second, il doit transmuter le métal pour se changer lui-même.
    L'ouvrage alchimiste ressemble de près à l’oeuvre de l'alchimie. L'ensemble forme un Tout. C'est
    parce point qu'il diffère de l'ésotérisme. Pourtant, la méthode reste la même : en ésotérisme aussi
    on cherche à décrypter. C'est même là le rapport avec le SR : il tente d'appliquer une symbolique à
    des livres sacrés, livres sacrés qui ne s'étaient pas nécessairement basés sur une codification. On
    a l'impression que le syncrétiste est un initié ayant perdu l'objet de sa quête. La diversité du
    syncrétisme - dont fait partie l'ésotérisme - serait justement dû à cet échec : vouloir ouvrir la
    mauvaise porte, et croire qu'on s'est trompé de clef. L'absence de constat serait peut-être dû à la
    peur de l'échec. L'initié insiste, puisqu'il sait que ça doit être long, de quatorze ans à soixante treize
    ans. Parfois, on obtient des résultats, mais ce n'est jamais le résultat complet - nécessairement.
    Cela rejoint aussi notre théorie exposée plus haut d'un ésotérisme qui serait le descendant spirituel
    - purement abstrait - de l'alchimie, auquel il manquerait le côté "concret" pour se "concrétiser",
    justement.
    Le langage alchimique
    Si clef alchimique il y a, elle n'est évidemment qu'une clef. La langage alchimique permet juste de
    formuler. Ensuite il faut comprendre, assimiler et faire le travail "sur soi". Toutes ces sécurités sont
    autant de possibilités d'échec. Peu-être aussi ce qui fit l'échec l'alchimie à notre époque.
    Pour changer, citons Michel Butor, dans la revue Critique de 1953 :
    " Tant qu'une transmission orale était la règle, écrit-il, ces livres ont pu être des sortes
    d'aide-mémoire, chiffrés de façon très simple. Pour avoir un exposé de la suite des
    manipulations prévues et des transformations cherchées, il suffisait de décoder, de
    même qu'il suffit de savoir un peu de latin pour découvrir dans un missel quels sont les
    gestes qu'accomplit le prêtre chrétien à l'autel et les paroles qu'il prononce, en laissant
    entre parenthèses la signification théologique de tout cela. Mais, au fur et à mesure que
    cet enseignement oral devenait l'exception, les maîtres se sont mis à faire des livres qui,
    de plus en plus, suffisent à l'initiation. Ce sont des documents chiffrés, mais qui invitent
    le lecteur à venir à bout de ce chiffre. [...]. L'alchimiste considère cette difficulté d'accès
    comme essentielle, car il s'agit de transformer la mentalité du lecteur afin de le rendre
    comme essentielle, car il s'agit de transformer la mentalité du lecteur afin de le rendre
    capable de percevoir le sens des actes décrits. Si le chiffre était extérieur au texte, il
    pourrait être aisément violé, il serait en fait inefficace. Le chiffre employé n'est pas
    conventionnel, mais il découle naturellement de la vérité qu'il cache. Il est donc vain de
    chercher quel aspect du symbolisme est destiné à égarer. Tout égare et révèle à la fois.
    " (...) Le langage alchimique est un instrument d'une extrême souplesse, qui permet de
    décrire des opérations avec précision tout en les situant par rapport à une conception
    générale de la réalité. C'est ce qui fait sa difficulté et son intérêt. Le lecteur qui veut
    comprendre l'emploi d'un seul mot dans un passage précis ne peut y parvenir
    qu'en reconstituant peu à peu une architecture mentale ancienne. Il oblige ainsi au
    réveil des régions de conscience obscurcies. ".
    L'initiation emprunte donc le processus inverse de l'initié, puisqu'à l'inverse de la "science de la
    Balance" de la gnose jabirienne qui dit À toute genèse correspond une exégèse, la tradition écrite
    fait que ce soit de l'exégèse que dépend la genèse.
    Revenons à l'Encylopedia Universalis :
    " Ce processus de concentration illuminative n'est pas moins évident dans d'autres
    disciplines ésotériques et mystiques. On le retrouve dans le bouddhisme zen, dans le
    yoga, dans les oraisons hésychastes de l'Église d'Orient, dans le dhikr du soufisme
    islamique. Le monoïdéisme centre l'intention du coeur sur l'objet du désir. "Pour visiter
    les jardins du souvenir, enseignent les maîtres, il faut frapper à la même porte jusqu'à
    s'user les doigts."
    " Toutefois, cette explication psychologique ne doit pas être considérée comme seule
    capable de rendre compte des structures cryptographiques de l'alchimie. Il ne faut pas
    négliger leurs raisons positives. Pour en donner quelque aperçu, imaginons que nos
    physiciens aient décidé de se communiquer leurs expériences sur la radioactivité
    artificielle, sans les révéler ni à la majeure partie de leurs collègues ni aux pouvoirs
    publics, tout en laissant à une élite la possibilité d'accéder à leurs connaissances.
    " D'une part, craignant la perspicacité des autres savants, ils auraient été dans
    l'obligation de leur tendre des pièges plus ou moins subtils en laissant subsister de
    constantes équivoques sur leurs buts véritables comme sur leurs procédés
    expérimentaux. D'autre part, dans la mesure où la poursuite de leurs recherches
    exigeait des crédits, il leur aurait été indispensable de les justifier par l'importance
    extraordinaire des résultats pratiques et, par exemple, financiers, que l'on en pouvait
    attendre. Enfin, comme ils se seraient souciés, néanmoins, de transmettre à de futurs
    chercheurs leurs observations sur les propriétés réelles des corps qu'ils venaient de
    découvrir, ils auraient marqué la différence de ces éléments artificiels avec les éléments
    naturels par quelque procédé simple et discret, les nommant, par exemple, "notre"
    plomb, "notre" mercure, "notre" or, comme l'ont fait constamment les alchimistes.
    " Cependant, les ressources ordinaires de la cryptographie auraient été insuffisantes si
    l'on s'était borné à laisser dans ces messages une clef qui pouvait être imaginée par le
    décrypteur. En revanche, si cette clef était elle-même la structure caractéristique de l'un
    de ces corps radioactifs artificiels, les messages présentaient un seuil d'intelligibilité qui
    se confondait pratiquement avec le seuil des expériences décrites, et leurs lecteurs ne
    pouvaient être, dès lors, que des "réinventeurs".
    " Le seul danger auquel s'exposait ce système était le hasard qui, on le sait, a joué un
    rôle considérable dans l'histoire des sciences. Mais les probabilités de reconstituer un
    processus expérimental pondéralement rigoureux, comprenant des opérations
    successives et qui dépendent, en outre, de conditions cosmologiques strictement
    successives et qui dépendent, en outre, de conditions cosmologiques strictement
    déterminées, comme dans le cas de l'élaboration de l'oeuvre alchimique, sont
    pratiquement négligeables. ".
    Ainsi, il s’avérerait que toutes, ou pour ainsi dire toutes les religions et les mystiques ont
    utilisé un système de clef, utilisant les particularismes de leur langage pour transmettre
    d'autres notions. C'est faire là une nouvelle place à l'importance du Verbe dans les
    religions. En d'autres termes, toutes ces religions sus-citées partageraient une part
    d'ésotérisme. Voilà qui ressemble fort à un syncrétisme, même s'il porte sur la forme
    plutôt que sur le fond.
    La quête de l'impossible
    Il semblerait que très tôt, l'alchimie se soit trouvé devant un paradoxe. Partager ses expériences
    pour aider certains hommes tout en le divulguant à ceux qui n'adhéraient pas à leurs conceptions
    intellectuelles, morales et spirituelles. La solution résidait donc là où était le problème : dans la
    transmission du savoir, c'est-à-dire le langage.
    " On voit ainsi que le vrai problème aurait été celui de l'ouverture d'un tel système plutôt
    que celui de sa fermeture. Et c'est là que les alchimistes ont fait preuve d'un véritable
    génie cryptographique. Ils ont utilisé le principal piège qu'ils tendaient aux avides et aux
    ignorants pour ouvrir à leurs disciples la porte de leur jardin. Ils ont compris, en effet,
    que, seule, la quête de l'impossible, de l'irréalisable, était capable de mobiliser
    toutes les ressources intellectuelles, morales et spirituelles de certains hommes,
    jusqu'à ce point critique d'une illumination, qui leur livrerait, selon l'admirable expression
    d'André Breton "l'ombre avec sa proie fondues dans un éclair unique". (...) Car il
    savaient, par leur propre expérience, qu'ils ne devraient craindre aucune
    divulgation de la part de ceux qui auraient payé si chèrement leur accès à la
    "haute science". L'histoire a justifié leurs prévisions. Depuis plus de vingt siècles, les
    secrets expérimentaux du Grand OEuvre n'ont jamais été dévoilés, selon ce
    qu'enseignait déjà l'adage de Lao-Tseu : "Celui qui parle ne sait pas; celui qui sait ne
    parle pas". Martyrisé, un adepte, Alexandre Sethon, auquel l'Électeur de Saxe voulut
    arracher par les tortures le secret des transmutations qu'il venait d'opérer publiquement,
    garda dans les tourments le même silence qu'il avait opposé auparavant à l'avide
    curiosité du prince et à ses promesses.
    " L'idéal scientifique et philosophique de l'alchimie traditionnelle forme ainsi un frappant
    contraste avec les buts des recherches désordonnées des "souffleurs", pseudoalchimistes,
    charlatans et faussaires qui, à toutes les époques, ont trouvé, dans les
    sciences anciennes, obscures et généralement ignorées, de nouveaux moyens d'abuser
    de la crédulité publique. La différence de qualité littéraire entre les textes classiques de
    l'alchimie et les compilations de recettes et de procédés que les historiens des
    sciences nomment abusivement "alchimiques" n'est pas moins évidente. Le
    symbolisme véritable ne s'imite point, car sa cohérence profonde, pour ainsi dire
    musicale, défie les plus ingénieux procédés de composition. On voit, d'ailleurs, sur des
    gravures alchimiques et sur des motifs décoratifs de "demeures philosophales", la
    représentation assez fréquente d'instruments qui évoquent l'"Art de Musique", ancien
    nom de l'alchimie.
    " Les rapports entre la métallurgie et la musique sont mentionnés déjà par Strabon, par
    Solin et par Plutarque. Selon Aristide Quintilien, la musique désigne, en général, "ce
    Solin et par Plutarque. Selon Aristide Quintilien, la musique désigne, en général, "ce
    qui régit et coordonne tout ce que la nature enferme dans son sein". Ptolémée, dans
    ses Harmoniques, assimile les mouvements astronomiques aux phénomènes musicaux.
    Ces correspondances symboliques étaient encore bien connues à l'époque médiévale.
    Près des mines de Kutná-Hora, en Tchécoslovaquie, dans l'ancienne église, une
    fresque du XIVème siècle montre, dans sa partie supérieure, des anges musiciens,
    dans sa partie inférieure, la fabrication de la monnaie et ses diverses opérations
    minières et métallurgiques. Certains ouvrages alchimiques et, par exemple, l'Atalanta
    fugiens, de Michel Maier, aux célèbres gravures, contiennent aussi des partitions
    musicales. ".
    Ici, preuve est fait que le syncrétisme n'est pas uniquement ésotérique. Il peut aussi prendre des
    formes plus "officielles", comme dans la comparaison que nous propose cet article de l'Encylopedia
    d'une variante de nom alchimique avec des extraits littéraire de la Grèce antique et une ancienne
    église de Tchécoslovaquie.
    L'univers symbolique du Grand OEuvre
    " L'instrument de cette extraordinaire navigation intérieure était spécialement composé
    pour un tel usage et seulement par ceux qui l'avait accomplie déjà jusqu'à son terme.
    C'est pourquoi le livre alchimique traditionnel est inimitable techniquement, car sa
    composition complexe et, surtout, l'énergie subtile et l'influence spirituelle dont il est
    chargé en font à la fois un véhicule "hermétiquement clos" et un message substitué
    magiquement à la présence même du maître. En ce sens, on doit rapprocher la fonction
    initiatique de ces traités du rôle du mandala tibétain, cercle magique et diagramme de
    projection d'un panthéon symbolique, dont le but est de servir de support à la
    concentration illuminative. Le mandala, le plus souvent, est dessiné sur la terre, de
    même qu'étaient tracés sur le sol les emblèmes de l'ancienne maçonnerie opérative
    avant l'ouverture des travaux; ils étaient effacés après la fermeture rituelle. Les
    modernes "tapis de loges" de la maçonnerie spéculative n'ont pas d'autre origine. On
    voit par cet exemple que l'impression des représentations symboliques a fixé sous les
    formes stables du livre ce qui, primitivement, devait être reconstruit entièrement avant
    d'être déchiffré et aussi afin de pouvoir être véritablement compris. En d'autres termes,
    nos civilisations ont substitué l'exégèse intellectuelle ou spéculative à l'exégèse
    opérative, avec les avantages et les inconvénients que comporte cette évolution qui n'a
    pas été assez attentivement analysée.
    " Au terme de son pèlerinage alchimique, le néophyte, ayant découvert la mystérieuse
    "matière première" du Grand OEuvre, symbole de la Terre sainte, trouvait aussi le livre
    des livres, "la mère du Livre", et, de nouveau, il devait, comme un enfant, lui demander
    de l'instruire. Ce microcosme "minéral et métallique", selon le témoignage unanime
    des adeptes, n'est pas une abstraction métaphysique ni un pieux artifice imaginé pour
    les besoins d'une philosophie occulte purement contemplative.
    " L'univers alchimique est à la fois subjectif et objectif, imaginaire et réel, spirituel et
    matériel. C'est, selon la juste expression d'Henry Corbin, un monde "imaginal". Pour
    entendre ce terme, il faut admettre l'existence de la perception imaginative de structures
    dont l'ordre et la cohérence dépendent de lois non quantifiables, mais aussi certaines
    que celles qui régissent les structures du monde des phénomènes perçus par nos sens
    que celles qui régissent les structures du monde des phénomènes perçus par nos sens
    et par leurs instruments. Cette hypothèse peut sembler aventureuse. Pourtant, le
    simple bon sens suffit à la justifier. Tout art, en effet, s'il est génial, nous montre que
    le "beau est la splendeur du vrai" et que les structures "imaginales" existent
    éminemment puisqu'elles répondent à une intensité de la perception à laquelle, sans
    l'artiste, nos sens n'atteindraient jamais. Si paradoxale que semble cette proposition,
    l'art est une physique expérimentale non moins objective que la physique quantifiable,
    et qui dépend seulement de lois bien trop complexes pour être réduites dans l'état
    actuel de nos connaissances à des systèmes rationnels, ce qui, d'ailleurs, ne prouve
    nullement qu'elles soient irrationnelles. ".
    Qu'on relise la conclusion précédente. Ce texte n'en est que la preuve et la continuité. Ce passage
    atteint le summum de la subjectivité. Il emploit en outre des termes ou expressions, microcosme,
    non quantifiable, nos sens n'attendraient jamais, s'il est génial, ainsi que des "raisons", hypothèse,
    paradoxale, bon sens, ne prouve nullement qu'elles soient irrationnelles, que je signalais
    précédemment concernant le langage ésotérique. Il frôle l'hermétisme. Cet état de fait s'ajoute à
    l'idée d'un ésotérisme "dilué" à partir de ses origines, ésotérisme dont on retrouve le style à défaut
    de l'idée dans des encyclopédies, par exemple.
    Le règne de l'homme
    " L'exemple de l'art, en effet, éclaire tout le problème de la nature matérielle et spirituelle
    de l'alchimie. Demande-t-on à un peintre s'il est vrai qu'il utilise des couleurs palpables
    et des métaux comme le chrome et le cobalt? Et s'il répond que son problème consiste
    à trouver un certain jaune, et un bleu qui l'obsède, devra-t-on en déduire que la peinture
    n'est qu'une préchimie des colorants? On doit rappeler que l'alchimie a été nommée "art
    sacré", "art sacerdotal", que ses adeptes portent le nom d'"artistes", et que ce n'est pas
    sans de pertinentes raisons que leur travail a été désigné par l'expression
    caractéristique de Grand OEuvre.
    " Or tout art est inconcevable sans une matière, et c'est pourquoi la notion d'alchimie
    "spirituelle" ou purement "psychologique" est aberrante, car elle méconnaît la
    fonction principale de l'alchimie : délivrer l'esprit par la matière en délivrant la matière
    elle-même par l'esprit. Cette mutuelle délivrance ne peut être accomplie que par l'art
    suprême, le traditionnel "Art d'Amour" de la chevaleriede tous les temps. Loin de
    refuser ou de nier l'incarnation, non seulement l'alchimie l'affirme car elle la contemple,
    mais encore elle la glorifie. La délivrance n'est pas une évasion, c'est une nouvelle
    naissance, une seconde genèse; celle du règne de l'homme qui achève par l'art
    l'oeuvre de la nature, ce qui confirme aussi son entière et lourde responsabilité
    terrestre. Aucun roi n'est innocent. L'homme est à la fois la matière et l'alchimiste du
    Grand OEuvre de l'histoire. Presque tous ses drames naissent de ses erreurs
    d'interprétation des enseignements qu'il a reçus à un âge où il ne savait presque rien,
    et qu'il lui faut réinventer. C'est ce qu’annonce un vitrail alchimique où l'on voit Dieu
    créant le monde et l'homme, et où l'on peut lire ces mots : "Comment fut fait notre
    premier père, en belle et due image de Dieu. Comment il nous le faut refaire". ".
    L'ésotérisme explicité. On a toujours le syncrétisme d'une comparaison alchimie-peinture, après
    alchimie-musique, et toujours aussi des expressions comme chevalerie de tous les temps ou des
    idées comme Presque tous ses drames naissent de ses erreurs d'interprétation, ce qui est le
    propre de la gnose ésotérique qui dit que les malheurs de l'homme proviennent de son ignorance.
    L'analogie finale entre l'alchimie artistique et la consécration de l'homme se mêle à une déduction
    L'analogie finale entre l'alchimie artistique et la consécration de l'homme se mêle à une déduction
    logique : donc, l'homme doit se réaliser dans la réalité. Mais à ésotérologue, ésotérologue et demi :
    encore faut-il savoir de quelle "réalité" on parle.
    On remarquera cependant cette phrase qui ne fait que confirmer mon hypothèse - encore : c'est
    pourquoi la notion d'alchimie "spirituelle" ou purement "psychologique" est aberrante. En rappel :
    l'ésotérisme comme la face théorique du visage que serait l'alchimie. C'est la même différence qui
    existe entre la transcendance et l'incarnation utilisée dans le texte. Ou encore : entre un Dieu
    abstrait, hors-du-monde, dans l'au-delà, et un ou plusieurs dieux, hybrides ou anthropomorphes,
    sur Terre ou dans un monde des esprits juxtaposé à la réalité. Comparaison de caractéristiques qui
    conduit à une nouvelle hypothèse : et si l'ésotérisme était né avec le monothéisme? Pour cela, on
    se référera au chapitre EGYPTE, où l'on aura développé une idée où l'ésotérisme des bâtisseurs
    rappellera étrangement l'alchimie par ses rapports avec la construction des cathédrales. Ce ne sont
    évidemment que des hypothèses supplémentaires qui demanderaient d'abord qu'on réponde à la
    première. C'est du moins ce qu'imposerait la logique occidentale.
    " Dans cette perspective, le sujet du Grand OEuvre minéral et métallique portait aussi
    le nom d'"Adam". En quelque sorte, il enseignait mystérieusement à l'alchimiste les
    principaux changements de la condition humaine, par une double analogie de cet
    "archétype expérimental" avec le processus initiatique et de l'initiation elle-même avec
    l'histoire universelle. Là encore, le problème des structures imaginales se pose, car
    elles perturbent, dans ce cas, nos conceptions logiques du temps. Nous ne pouvons
    guère attendre qu'une expression comme celle de "niveaux de temps" nous éclaire, et
    cependant son contenu peut nous aider à comprendre le temps et ses profondes
    modifications dans l'univers alchimique. Cet espace fermé, ces labyrinthes, ces lueurs
    soudaines, ces ténèbres, cette galerie de miroirs entre lesquels circulent des rois, des
    dragons, des enfants, des déesses nues, des couples d'amoureux, des musiciens, tout
    un peuple d'acteurs qui, cependant, ne montre point leur vrai visage, cette machinerie,
    ce théâtre, ces palais déserts, peu à peu, désorientent, troublent, égarent le voyageur
    par leurs interférences comme par l'absence de tout critère extérieur de réalité.
    " Si l'on imagine l'effet produit par des dizaines d'années de méditation quotidienne sur
    ces thèmes symboliques, on voit que l'alchimiste, comme le moine tibétain devant
    son mandala, était, en quelque sorte, transféré finalement dans le cercle magique d'un
    autre "espace-temps" où il risquait d'être absorbé sans retour. Dans ces conditions, le
    travail matériel et les manipulations expérimentales des arts du feu, qui ne tolèrent
    aucune faute d'attention, étaient indispensables à l'équilibre des puissances intérieures
    engagées dans la quête alchimique.
    " Ce fut là, sans doute, l'un des aspects didactiques les plus originaux et les plus
    dignes d'intérêt de cette science traditionnelle. Les alchimistes ont exigé de leurs
    disciples qu'ils complètent les travaux du laboratoire par l'oeuvre de l'oratoire, et qu'ils
    éprouvent la réalité de leur foi comme de leurs théories par l'observation "des choses
    qui ne savent pas mentir". Par cette double discipline, "les plus illustres rêveurs dont
    l'humanité ait connaissance" nous montrent qu'il ne faut exclure ni la sagesse ni le bon
    sens du profond royaume de leurs songes. ".
    La dernière phrase est particulièrement éloquente, dans les deux sens du terme. Elle rappelle que
    le fond ne se sépare jamais de la forme, et vice versa. De même, les songes ne sont que
    l'anticipation d'un désir de réalisation - ce dont Freud serait tout à fait d'accord. Ainsi, l'alchimie veut
    appliquer à la sagesse spirituelle une sagesse de la matière, qui en serait à la fois sa démonstration
    et sa manifestation. C'est linguistique même : le signifié est la théorie et le signifiant la
    transmutation. Le lien devrait être arbitraire si les auteurs de cet arbitraire n'avaient pris soient de
    ne trouver une parfaite concordance entre la déclinaison du langage mental et celui du monde
    physique. Cette concordance se nomme symbolisme et ce symbolisme se décline dans le
    syncrétisme. Pourquoi est-ce possible ? Mystère.
    Mais ceci est une autre histoire...
    Un oubli de l'Encyclopedia Universalis
    Les alchimistes ont travaillé dans les cathédrales, comme le prouvent de nombreuses structures et
    de nombreux vitraux. On se référera aux nombreuses photos d'églises et de cathédrales, en plans
    internes et externes, qui parsèment la réédition du livre initiatique de Fulcanelli (début du XXème
    siècle), Le Mystère des cathédrales. Un autre alchimiste (XIVème), Nicolas Flamel, a reproduit ces
    mêmes représentations à la fois théologiques et alchimiques dans son Livre des figures
    hiéroglyphiques où il explique chacun des points de vue - et soulève de nouvelles questions. On
    peut aussi aller voir les figures qu'il a fait dessiner au cimetière des Innocents à Paris.
    Les alchimistes, enfin regroupés, ont fini par prendre le nom de francs-maçons. Les idées et les
    représentations sont du moins si ressemblantes qu'ils s'en sont nécessairement inspirés. Dans les
    deux cas, c'est un ordre qui prône la spiritualité au travers de l’oeuvre. Or la franc-maçonnerie est
    passée à l'étape suivante, puisqu'elle a dirigé la construction même de cathédrales. Nous aurons
    une preuve de cette filiation dans la fameuse Notre-Dame de Paris, dans la série de bas-reliefs du
    porche central qui est consacrée au Grand OEuvre. Nous tenons peut-être là, avec la francmaçonnerie,
    l'aspect technique de l'alchimie - à l'inverse de l'ésotérisme qui préféra approfondir la
    voie de l'abstraction.
    Ajoutons que certains historiens ont établi un lien entre la doctrine spiritualiste des Francs-Maçons
    et la doctrine religieuse des Templiers, en prenant pour passerelle les deux points communs
    principaux que sont le goût du secret et l'or à profusion.
    Ces hypothèses sont beaucoup plus probables maintenant que nous connaissons l'ancienneté de
    l'alchimie. Mais comme cette science (de sapere, savoir) dépasse le cadre de l'Occident, n'est-il
    pas possible d'imaginer quelque autre société secrète ou groupement religieux qui ait préservé les
    "habitudes" alchimiques à défaut du nom et des doctrines précises, en Orient ou au Moyen-Orient ?
    L'image de l'alchimie ou les symptômes de la modernité
    Nous avons déjà parlé au tout début de l'image erronée de l'alchimie : préchimie d'un côté,
    monopole occidental de l'autre. Enfin, nous avons pu déduire au fil du texte que l'alchimie se
    référait à un système plus vaste de correspondances et s'appuyait sur la croyance partagée avec
    l'ésotérisme d'une possibilité, un devoir même, d'évolution spirituelle de l'homme. C'était un préjugé
    sur l'ampleur.
    Mais il y en a certains autres que nous n'avons pas abordé. Ceux-là sont tout aussi répandus mais
    peut-être moins perceptibles puisque pour celui qui arrive à les extraire hors de leur contexte, ils
    dévoilent sans peine leur origine. Ce ne sont pas des clichés, mais bien des préjugés. Ils relèvent
    d'une vision du monde et de certains tabous. Nous tenterons de saisir lesquels.
    Pour commencer, je citerai une autre Encyclopédie, plus ancienne puisqu'elle date de 1967. Ses
    lecteurs étaient les enfants du babyboom. Ils forment aujourd'hui la majorité en France. C'est donc
    un préjugé datant d'une vingtaine d'années qu'elle leur aura transmis. Mais ce chiffre, vingt ans,
    trente ans, est celui de toutes les modes et de toutes les vulgarisations scientifiques. C'est aussi
    l'espace entre deux générations. Or, pour paraphraser un philosophe, signalons qu'il n'est pas
    l'espace entre deux générations. Or, pour paraphraser un philosophe, signalons qu'il n'est pas
    besoin de convaincre, il suffit d'attendre la génération suivante qui elle sera née avec l'idée. De là
    l'importance de sa diffusion, quelqu'en fût l'effet. De là aussi l'auto-évaluation que vous serez
    amené à opérer, puisqu'à la lecture des extraits suivants, vous saurez si vos idées sont celles
    d'hier ou d'aujourd'hui - ce qui n’entraîne aucun jugement de valeur. Vous serez donc mis dans ce
    même rapport au texte qu'ont pu connaître les apprentis alchimistes des temps passés: faire l'effort
    de lire et opérer sa propre relecture. Voici le texte :
    " Pseudo-science pratiquée dans l'Antiquité et le Moyen Age et dont certaines
    branches ont graduellement mené à la chimie moderne. (...) Au sens propre, l'alchimie
    est donc l'art de transformer les métaux : ces ouvriers travaillant, outre les métaux
    ordinaires, des métaux nobles comme l'or, il est naturel que certains d'entre eux aient
    tenté de faire de l'or. ".
    L'idée commune - ou cliché - est confirmé par un texte de référence. Mais pseudo-chimie n'est pas
    seulement une explication "chimique" de l'alchimie, mais un mot à caractère péjoratif par son
    préfixe. L'alchimie ne mériterait pas le nom de "science" car elle a participé à créer la chimie
    moderne, mais comme la chimie moderne n'avait pas encore atteint la maturité, on a le droit de la
    critiquer. La critique du futur sur le passé, en somme. Ce serait exactement pareil, dans ce point de
    vue, si on nommait un enfant un "pseudo-homme". Mais ne pouvoir parler de l'alchimie qu'en
    fonction de l'alchimie, c'est oublier ses particularités. C'est un peu faire d'un frère plus grand que
    l'autre l'aîné, ou pire, le père du premier. Ca ne veut rien dire. Ce n'est pas plus logique, si on doit
    employer ce mot, de dire que l'astronomie est l'aboutissement de l'astrologie. La survivance de
    cette dernière est là pour le nier. Qu'il en soit le parent scientifique, certes, mais qu'on n'essaie pas
    d'interpréter sans preuve, en employant ces mots, il est naturel que certains d'entre eux, par
    exemple. C'est a-scientifique. Mais puisque preuve il faut, preuve on trouve dans le jeu de
    l’étymologie. Alchimie viendrait du grec cheo, je verse, dit-on plus loin. Malheureusement, on
    apprend en histoire des langues, une branche de la - scientifique - linguistique, que la plupart des
    mots n'ont pas d'origine certaine. L’étymologie est construite à partir de tâtonnements et, faut-il le
    croire, d'analogies. Voilà qui rejoint presque l'ésotérisme. Pour donner une image, disons que
    l’étymologie n'est pas une science plus exacte que la météorologie. Le vrai chercheur, pour
    reprendre une expression ci-dessous, ne devrait donc pas chercher à confirmer ses préjugés dans
    une recherche étymologique, mais s'ouvrir entièrement sur son objet de recherche, en ignorant
    l'ensemble du combat idéologique dont il peut être aux prises. La suite nous en apprend plus sur la
    nature de ce combat.
    " (...) Comme dans bien d'autres domaines, la chute de l'Empire romain avait
    provisoirement rompu les traditions entre l'alchimie grecque et l'Occident. Mais, aux
    XIème et XIIème siècles, les contacts avec le monde arabe firent revivre l'intérêt pour
    l'achimie, de nombreux ouvrages furent traduits dans un esprit plus scientifique que
    mystique et les travaux entrepris par de vrais chercheurs donnèrent lieu à
    d'importantes découvertes dans le domaine de la chimie. (...) Malheureusement, le
    côté mystique de l'alchimie devait, à partir de cette époque, l'emporter sur la rigueur
    scientifique et la séparation s'accroître jusqu'à nos jours entre les esprits scientifiques
    qui évoluèrent vers la chimie et les esprits mystiques qui glissèrent vers la magie pour
    devenir, dans les pires des cas, la proie des charlatans. ".
    Science et Mystique se retrouvent opposés. L'un domine l'autre et cherche à l'écraser. L'alchimie
    appartient au passé et aux charlatans. La science, par-contre, ne connaît et n'a jamais connu de
    charlatans, c'est évident, et ce parce qu'elle fait appel à la sacro-sainte expression rigueur
    scientifique. Il y aurait beaucoup à dire sur cette mauvaise foi. Elle rappelle en son temps
    l'Inquisition. Il devrait pourtant exister un juste milieu, mais ce milieu-ci ne pourrait plus alors
    s'appeler, ni science, ni mysticisme - ou religion, puisque c'est ce mot qu'il cache. Il s'agirait d'un
    nouveau domaine qui n'est pas encore né. Peut-être existe-il cependant dans la foisonnante
    sphère de l'ésotérisme, si riche en syncrétismes, mais ce dernier-né refusera sans doute
    d'admettre son hérédité. Il est bien ancré dans notre culture, et a fortiori dans nos esprits, que
    l'ésotérisme a quelque chose avoir avec la maladie mentale (sous le règne de la science) ou le
    l'ésotérisme a quelque chose avoir avec la maladie mentale (sous le règne de la science) ou le
    pacte diabolique (sous le règne de la religion). Que l'ésotérisme survit est chose étonnante. Il
    donne cependant espoir au renouveau de l'alchimie. Non pas sous la forme de la réapparition des
    alchimistes, mais sous celle d'une redécouverte de celle-ci. Tout combat pour la vérité est aussi un
    combat contre les préjugés. Cette recherche, si elle se fraie un chemin jusqu'au grand jour, ne peut
    donc être qu'un point positif pour notre regard sur une science étrangère et pour la tolérance de
    notre société en général.
    Nous avons vu que l'alchimie avait un lien étroit et répété avec l'ésotérisme. L'image
    ne fait pas exception. Alchimie et ésotérisme partagent la même "aura négative". Mais
    à l'accusation de charlatanisme du second, le premier répond par l'historicisme, c'està-
    dire l'inscription irréversible de la doctrine dans l'époque, les lieux et les individus qui
    l'ont fait naître. L'alchimie serait morte parce que ce ne serait plus l'époque sousentend
    qu'il y a une différence qualitative des idées, donc une forme d'évolutionnisme.
    Cela serait peut-être vrai pour une science purement expérimentale, donc la condition
    même de sa progression consiste à rendre caduque ce qui l'a précédé. Mais l'alchimie
    n'est pas une science, ou n'est pas qu'une science. La spiritualité qui l'accompagne est
    à la fois une valeur et une conception, toutes deux humaines. Si l'alchimie s'est
    éteinte, c'est parce qu'il n'y avait plus de combattants, non pas parce que la guerre
    était perdue. On peut évidemment lier la disparition de la vocation à des contextes
    socioculturels, mais cela ne retire en rien de l'importance présumée des idées et de
    l'art alchimique. Importance présumée, car à l'instar de ses préjugés, l'alchimie renvoie
    par son hermétisme les peurs ou les désirs qu'on se forge sur l'inconnu. Encore un
    point commun avec l'ésotérisme: l'hermétisme.
    On pourrait donc conclure par ceci : l'alchimie s'est forgée ses propres préjugés. Elle a
    choisi une image et s'en est fait une carapace. Seuls les initiés capables étant
    capables de trouver "l'entrée", on peut se demander, au vue de sa totale "fermeture",
    où sont passés les initiés? Manque de temps ou manque de foi, l'alchimiste des temps
    modernes a été doublé par une nouvelle notion : l'invention collective. Il n'existe plus
    de chercheur en solo, il n'existe que des laboratoires en collaboration. Dans cet
    optique, avoir sa propre forge, faire un travail sur soi-même, c'est se rendre asocial.
    Or, devenir fou pour les autres, c'est être déjà à moitié fou. Car l'homme est un être
    social. C'est là où le paradoxe enterre l'alchimie : cette science n'était pas faite pour
    aliéner, mais pour libérer. Continuer à exister dans un monde qui ne voulait plus de
    ses méthodes, c'était nier ses propres buts. L'alchimie cessa donc.
    Mais l'ésotérisme survécut. Il survécut car l'ésotérisme n'utilise pas les méthodes de
    l'alchimie mais ses idées : le règne de l'homme, l'Art d'Amour, les correspondances,
    l'hermétisme, l'initiation, le langage symbolique, la progression spirituelle, etc.
    Symptôme, peut-être encore, d'une société athée qui privilégie l'intellect au manuel.
    Symptôme, peut-être aussi, d'une influence religieuse qui place l'âme au-dessus du
    corps, les dieux loin du monde, et la réalisation dans l'au-delà plus souhaitable qu'ici et
    maintenant. Mais société et religion sont liées, puisqu'elles font parties d'une même
    culture. La cause de cet état de fait n'est ni dans l'une, ni dans l'autre, mais peut-être
    dans le mystère même de la réponse. C'est par le secret que l'alchimie a pu se
    transmettre, et c'est peut-être dans le secret qu'elle a pu survivre. Rappelons cette
    notion orientale de " Grand Véhicule " (Mayahana) et " de Petit Véhicule " (Théravada)
    : il y a la religion du peuple, faite de dieux, de saints et d'idoles, et il y a la religion des
    initiés, grands prêtres ou grands maîtres, quelque soit le nom que le peuple leur
    initiés, grands prêtres ou grands maîtres, quelque soit le nom que le peuple leur
    donne. Ce qui est valable pour Bouddha et ses condisciples, l'est sans doute pour
    Jésus et ses disciples, pour Vishnu et ses avatars, etc. Les gourous tibétains cultivent
    le silence et le secret; l'école de Platon portait la mention à l'entrée : "Nul n'entre ici qui
    n'est géomètre"; les temples et les pyramides des Egyptiens étaient protégés par des
    malédictions; et la liste est longue. Leurs points communs ? Le mysticisme et le secret.
    Tout ce qui est mystique aboutit au secret. Tout ce qui est important aboutit au secret,
    dirait-on aujourd'hui. Même si ces secrets ne sont rien, ou rien que des évidences,
    l'aura du secret est une aura d'importance. Le savoir mystérieux est comme l'être
    mystérieux : il devient intéressant. C'est psychologique. Ainsi des alchimistes peuventils
    encore exister, comme ils se sont succédés à travers les siècles, mais tandis que
    ces derniers se succédaient aussi, il n'est plus resté à leurs doctrines que le secret. En
    définitive, l'alchimie était peut-être morte depuis longtemps. Notre intérêt pour
    l'alchimie ne serait donc qu'un intérêt pour le secret.





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