• Lieux sacrés de France (4)

    La Basilique Notre-Dame de Fourvière : son symbolisme

     Fourvière sera le poème de Marie. Ce sera son histoire. Nous ne devons entendre ici que les textes sacrés de la Sainte Ecriture. Bossan fait de la Bible une lecture assidue, les pages du Livre inspiré nourrissent son esprit de ce symbolisme fécond dont il veut enrichir son ouvrage. » Ces lignes de Sainte-Marie Perrin tirées de son livre paru en 1896 « La Basilique de Fourvière, ses origines, son esthétique, son symbolisme » (p.18), souligne une donnée fondamentale : le symbolisme de la Basilique de Fourvière s’enracine dans les textes bibliques, de l’Ancien Testament au Nouveau Testament , de la Genèse à l’Apocalypse.
    Pierre Bossan et Saint-Marie Perrin (Marie, Louis, Jean) sont les deux architectes de ce bel édifice religieux. Pierre Bossan dont les plans ont été approuvés, adoptés en 1852-1853 par le Cardinal de Bonald et la Commission de Fourvière nouvellement créée, sollicite son confrère et ami Sainte-Marie Perrin dés 1871 pour la construction sur le sommet de la colline du vieux Lugdunum de ce qu’il conçoit comme « l’Acropole de la Cité, la Citadelle protectrice, la Sainte Sion ».
    La première pierre est posée, bénie, le 7 décembre 1872, en exécution d’un vœu fait à la Vierge par les Lyonnais en octobre 1870 pour que se retirent les armées prussiennes qui menacent d’envahir la région lyonnaise. La collaboration des deux architectes va durer dix-sept ans. A la mort de Pierre Bossan en 1888, Sainte-Marie Perrin poursuit seule la réalisation de la Basilique dédiée à Marie Immaculée Conception comme en témoigne la lumineuse Vierge dorée du sculpteur Fabisch, placée sur le clocher de Duboys le 8 décembre 1852.
    Dans les années 1850, Pierre Bossan qui selon Sainte-Marie Perrin « était indifférent en religion » vit intérieurement une expérience de conversion radicale qui s’origine dans sa rencontre avec le Curé d’Ars, Jean-Marie Vianney. Il entreprend alors une lecture appliquée de la Bible.
    En 1863, l’architecte est sollicité par le curé de la cathédrale de Valence, l’abbé Didelot, qui devient son conseiller en matière de symbolique chrétienne. Près de la cathédrale, Pierre Bossan va fonder une Ecole d’art chrétien dans laquelle il formera ses principaux collaborateurs.
    Dans cette approche symbolique des Textes sacrés qui selon Maurice Cocagnac « révèle la vie intense et l’ardeur de la Parole qui sauve » (in « les Symboles bibliques » p.8), le Maître approfondit sa Foi et puise une conception personnelle de son art qu’il formule ainsi : « Je saurai briser les liens de la formule archéologique, je ne serai ni plagiaire ni novateur, je serai chrétien » (« la Basilique de Fourvière et son symbolisme », op.cit p.11).

    Pierre Bossan déjà épris de style roman et gothique, découvre lors d’un voyage à Rome puis à Palerme, l’art antique gréco-romain et l’art byzantin. Ainsi fait-il de la Basilique de Fourvière, une symphonie architecturale qui parle au cœur du visiteur à travers la beauté des lignes, des formes, de l’iconographie, nimbées dans la lumière dorée des mosaïques.
    Les trois fonctions du Symbole (du grec « sumbolein » : mettre ensemble), fonction de médiation (du visible à l’invisible), fonction d’unification (de l’individuel à l’universel), de socialisation (mise en communication), sont repérables dans l’architecture et l’iconographie de la Basilique. Ces fonctions du Symbole s’organisent autour de trois thématiques :
    - L’Alliance de Dieu avec l’Humanité
    - La victoire du Bien sur le Mal
    - Le Salut de l’Humanité en Christ,
    Qui sont autant d’expressions de l’Amour divin pour chacun de nous. La tendresse, la miséricorde de Dieu passe ici par Marie.
    A l’image du Métier à tisser, les thématiques forment une trame dont les fils conducteurs passent à travers une chaîne tendue entre deux supports : l’Ancien Testament personnalisé par la Citadelle protectrice, le Nouveau Testament développé à l’intérieur de la Basilique comparé au Palais d’une Reine. Sur cette chaîne se dessine le visage de Marie, Vierge promise et Vierge donnée. Sainte-Marie Perrin commente ainsi cette vision : « Notre Basilique doit exprimer la défense mystique de la ville qu’elle domine et chanter la pureté virginale, la force et les gloires d’une Femme pleine de grâces » (« La Basilique et son Symbolisme », op.cit p.19).
    Visiter la Basilique c’est faire un pèlerinage à la suite de Marie sur un « Chemin de Foi » au bord duquel nous rencontrons des balises iconographiques qui deviennent « Chemin de Vie ».
    Ainsi au thème de l’Alliance est associée la Parole de Dieu. Sur la façade principale, nous découvrons au dessus de la Vierge de miséricorde un arc en ciel dans lequel on peut lire cette inscription « J’ai mis mon arc dans la nuée. Il deviendra un signe d’alliance entre moi et la terre » (Genèse 9,13).
    Sur les deux vantaux de la Porte en bronze massif, à l’entrée, le thème de l’alliance est évoqué par les anges qui portent l’Arche de Noé (Gn.1, 13) d’un côté, et l’Arche des Tables de la Loi (Exode 20, 1-21/34,10-27) de l’autre côté.
    Conjointement, la Parole de Dieu « Parole de Vie » nous est présentée sous la forme du Tétramorphe « les quatre Evangélistes », une belle réalisation du sculpteur Charles Dufraine. Ces quatre personnages ailés ayant figure d’homme, de lion, de taureau, d’aigle sont annoncées dans la vision du « Char de Yahvé qui va dans toutes les directions » en Ezéchiel (1,5-12) et par les quatre Vivants de l’Apocalypse qui « clament la Sainteté de Dieu » (4,6-8).
    Dans le chœur de la Crypte dédiée à Saint Joseph, les huit anges des Béatitudes accompagnent les symboles eucharistiques développés sur les vitraux d’une grande finesse de Lucien Bégule. En effet, l’esprit des béatitudes (Bienheureux les doux, les purs, les pacifiques...) « chemin de vie » nous introduit dans le mystère de l’Eucharistie « chemin de foi ».
    En haut du Vestibule Saint Joseph, la Sagesse, belle figure féminine avec quatre ailes, assise devant une porte entourée du feuillage d’or d’un olivier, est personnifiée sous une forme allégorique comme elle le fût après l’exil des Hébreux, dans le Cantique des Cantiques. Elle s’exprime ainsi : « Demeurez en mon conseil…j’ai des choses importantes à vous dire… ». Outre le symbolisme de la Porte (Porte du Paradis, du Jugement dernier, Porte étroite du dépouillement intérieur, « la Porte, c’est le Christ »-Jean 10, 9-), ou de l’Olivier symbole de paix ou de la couleur « Or » couleur divine, les quatre ailes sont la caractéristique des Chérubins, anges chargés de faire connaître la Sagesse de Dieu. Cette œuvre de Dufraine nous rappelle, avant d’accéder à l’Eglise supérieure, la nécessité de se laisser pénétrer par l’Esprit de Sagesse pour entrer dans la connaissance et l’amour de Dieu.
    La Sagesse intervient encore dans la Coupole de la première travée de la Nef principale réservée à « Marie, Fille du Père », petite fille agenouillée sur la main de Dieu Père. Dans les pendentifs, des anges portent des banderoles sur lesquelles sont inscrites les Paroles de la Sagesse que l’Eglise prête à la Vierge dans son Office de L’Immaculée Conception « Le Seigneur m’a possédée dés le commencement. Dés l’Eternité j’ai été établie » (Proverbes 8,22-30).
    La Sagesse est également présente dans l’ornementation de la Basilique. Elle est comparée à l’explosion printanière de la végétation car « comme les arbres elle s’enracine, pousse et grandit, répand un parfum ; étend ses racines pour abriter » (Les symboles bibliques, op.cit p.142).
    Pierre Bossan s’est inspiré du très poétique Discours de la Sagesse en Siracide 24,13-21 pour orner la Basilique d’une iconographie végétale qu’il associe souvent à des scènes bibliques. Ainsi en est-il des « Femmes dans la Bible » sculptures de Joseph Belloni sur les murs extérieurs Nord et Sud de la Basilique. La feuille d’acanthe entre autres imprègne tout particulièrement la décoration de notre édifice. Plante méditerranéenne épineuse, elle est symbole de dépouillement intérieur, du passage de la mort à la vie, utilisée sur les chapiteaux corinthiens des monuments funéraires de l’Antiquité comme elle l’est sur les chapiteaux des colonnes de la nef supérieure.

    Pierre Bossan conçoit la Basilique de Fourvière selon le modèle de la basilique antique romaine, un édifice rectangulaire terminé par une abside avec une grande nef et deux petites nefs collatérales, une forme architecturale nommée « Plan basilical », propre à l’art byzantin.
    La symbolique des formes explore le mouvement ascendant de la terre vers le ciel. Le rectangle avec ses quatre points cardinaux représente la terre. Le cercle ou demi-cercle qui couronne les coupoles symbolise le ciel avec Dieu en son centre : en clef de voûte du chœur du sanctuaire, l’Esprit Saint est identifié sous l’apparence de la colombe.
    La spirale formée par les rinceaux de feuillages exprime la rotation qui créée la croissance.
    Des lignes horizontales et verticales surgit une symbolique d’une grande profondeur théologique.
    La ligne horizontale qui relie l’Occident à l’Orient représente la marche de l’Humanité. Elle va de l’obscurité vers la lumière, de la mort vers la vie. A Fourvière, la Vierge de miséricorde, Vierge au manteau auquel s’accroche l’humanité en souffrance, victime des atteintes du Mal, et qui se trouve au dessus de la Porte d’entrée, reçoit en écho la Vierge qui délivre Adam et Eve de leurs chaînes et fait d’eux des êtres sauvés, heureux. Cette Vierge est représentée à la base de l’Autel du sanctuaire. Cette ligne horizontale conduit le pèlerin de la Jérusalem terrestre à la Jérusalem céleste.
    La ligne verticale est à double sens : ascendant et descendant. La verticalité ascendante est cet itinéraire qui monte de la crypte vers l’église supérieure, de l’obscurité vers la lumière, de notre recherche de Dieu dans notre intériorité profonde à la vision contemplative et béatifique d’un Dieu qui se donne.
    La verticalité descendante est cette ligne voulue par Pierre Bossan, qui symbolise la victoire du Bien sur le Mal. Elle part de l’Archange Saint Michel terrassant le dragon au dessus de l’abside, passe par le chœur du sanctuaire où sont représentés l’Esprit Saint puis la vierge de l’Apocalypse tenant l’Enfant Jésus dans ses bras, écrasant le serpent et les hérésies. Cette ligne pénètre ensuite dans le chœur de la crypte, traverse la voûte qui porte les vertus de saint Joseph et enfin anéantit les péchés capitaux inscrits sur les mosaïques du sol.
    Les deux lignes horizontales et verticales se rejoignent dans la Croix, symbole de médiation qui relie le ciel et la terre, met en relation le point, le cercle, le rectangle ou le carré, en somme l’ensemble des éléments du Cosmos. La Croix est essentiellement symbole de Rédemption, de Salut, de lumière.
    Pierre Bossan dans la composition artistique de son œuvre a respecté ce mouvement ascendant qui va de la terre au ciel. Il instaure une progression toute théologique autour du rôle de Marie dans l’Histoire du Salut. Dans la nef principale, au premier niveau, les huit chapelles relatent la vie terrestre de Marie. A un niveau supérieur les six mosaïques, pour la plupart de Charles Lameire, évoquent Marie dans la vie de l’Eglise : Eglise de France (arrivée de Saint Pothin à Lugdunum…), Eglise universelle (Concile d’Ephèse au cours duquel Marie est proclamée « Théotokos » Mère de Dieu…). Plus haut les six vitraux de Georges Décote représentent Marie dans sa vie céleste, « Marie Reine du Ciel » : (vitrail des patriarches, des prophètes…).
    Dans les trois coupoles qui finalisent ce mouvement d’élan vers le haut, l’architecte donne à contempler la Sainte Trinité, Dieu en trois Personnes, fondement de la foi chrétienne, à travers le prisme de la triple vocation de Marie « Fille du Père », « habitée par l’Esprit », « Mère de Dieu ».
    La dualité entre la mort et la vie, le péché et le Salut, apparaît d’une manière très concrète dans les sculptures au dessus des portes latérales du baptistère et du carillon sous le porche.
    Au niveau de la porte du baptistère, nous observons deux scènes en antinomie : d’une part Adam et Eve chassés du Paradis, condamnés à une vie de travail et de souffrance, d’autre part la Croix d’où jaillit l’eau d’une fontaine dans laquelle se régénèrent des petits poissons, symbole du Baptême qui nous introduit dans une vie nouvelle.
    Au niveau de la porte du carillon, la mort nous est signifiée par le meurtre par Caïn de son frère Abel. En contraste, une cloche entourée de rinceaux de palmes et de colombes, psalmodie « Ma voix appelle le enfants des hommes ».

    Dans le Sanctuaire s’achève notre itinéraire de conversion. Dans l’avant chœur, les représentations du paon symbole de résurrection, d’immortalité, et de l’aigle symbole de contemplation nous invitent à pénétrer dans le mystère de l’Eucharistie.
    Dans le chœur où trône la Vierge de l’Apocalypse « ayant le soleil pour manteau, la lune sous ses pieds, une couronne de douze étoiles sur la tête » (Apocalypse 12, 1-12), nous accédons à la Jérusalem céleste « cité sainte, ciel nouveau, terre nouvelle » annoncée par Isaïe (65,17), et « où sont célébrées les noces de l’Agneau avec l’Eglise » (Ap.19, 7-9).
    Ancienne Alliance et Nouvelle Alliance apparaissent en ce lieu, dans une continuité et une complétude évidente. Le serpent rusé de la Genèse (3,1) précède le dragon à sept têtes de l’apocalypse (13,1). La prédiction d’Isaïe (11,1-3) « un rejeton sortira de la souche de Jessé et sur lui reposera l’Esprit de Dieu », concrétisée dans la voûte du chœur, trouve son accomplissement dans l’Enfant Dieu qui bénit dans les bras de Marie.
    Dans le chœur du Sanctuaire, les trois thématiques qui ont jalonné notre chemin de Foi « Alliance de Dieu avec l’Humanité », « Victoire du Bien sur le Mal », « Salut de l’Humanité en Christ », se retrouvent dans une parfaite symbiose.
    Le nom de Yahvé inscrit en hébreu YHWH dans la voûte du Ciborium rappelle que le Christianisme s’enracine dans le Judaïsme.
    Dans le sanctuaire, la mission de Marie nous est donnée à voir dans ses trois dimensions :
    - Marie « nouvelle Eve », dans la Vierge immaculée
    - Marie « Mère des vivants » qui délie l’humanité de ses chaînes
    - Marie « Mère de l’Eglise » qui détruit les hérésies inscrites dans les mosaïques du sol.
    Le Concile Vatican 2 dans sa Constitution dogmatique sur l’Eglise « Lumen Gentium » du 21 Novembre 1964, clarifie le rôle de Marie dans l’Histoire du Salut. Le Texte conciliaire en son chapitre 8 précise que « nous n’avons qu’un Médiateur entre Dieu et les hommes, l’Homme Christ Jésus » (article 60) et présente l’action de Marie en ces termes : « La noble Mère du divin Rédempteur, associée du Seigneur, …a collaboré, …a coopéré à l’œuvre du Sauveur par son obéissance, sa Foi, son Espérance et son ardente Charité » (article 61).
    Le Texte conciliaire rappelle cette formule de Saint Irénée : « La mort nous est venue par le moyen d’Eve, la vie par celui de Marie », et il mentionne « les Pères de l’Eglise appellent Marie, Mère des vivants » (article 56). Enfin concluent les Pères conciliaires « La Mère de Dieu est la figure de l’Eglise » (article 63).
    Le chœur du Sanctuaire est irradié par l’Esprit de Sagesse, Esprit de Dieu.

    Tout au long de notre parcours nous avons cheminé avec la Sagesse. Présence invisible qui relie entre eux les éléments de la construction architecturale et théologique de la Basilique, l’Esprit de Sagesse, telle une sève, donne vie et sens à la marche en avant du pèlerin en quête d’un Dieu d’Amour, guidé par Celle qui est « Toutes Grâces », la Vierge Marie.
    Cette présentation du Symbolisme de la Basilique de Fourvière n’est pas exhaustive. Il demeure d’autres thèmes, d’autres chemins à explorer.
    La Basilique Notre Dame de Fourvière constitue un véritable trésor de Foi, de Culture, d’Art, dans lequel le visiteur n’a jamais fini de puiser.

    Colette Tempere
    Guide de la Fondation Fourvière (Licenciée en Théologie)

    20 Avril 2009

    Sources  :
    - SAINTE-MARIE PERRIN, La basilique de Fourvière, ses origines, son esthétique, son symbolisme, imprimerie Vitte, LYON, 1896, 68 pages.
    - SAINTE-MARIE PERRIN, La Basilique de Fourvière, son Symbolisme, Librairie Vitte, LYON, 1912, 40 pages et 32 planches.
    - Maurice COCAGNAC, Les Symboles bibliques, Edition du Cerf, PARIS, 2006, 429 pages.
    - Jean CHEVALIER, Alain GHEERBRANT, Dictionnaire des Symboles, Edition Robert Laffont/Jupiter, PARIS, 1997,1060 pages.
    - THEO, L’Encyclopédie Catholique pour tous, Edition Droguet-Ardant/Fayard, PARIS, 1993.