• Le soufisme iranien

    Le soufisme iranien


    Marie-Françoise Touret  
    L’'Iran a disparu des destinations touristiques depuis quelques décennies. Son histoire récente, marquée par l’emprise d’un clergé rétrograde sur la société, se conjugue avec son passé, comme berceau d’un courant spirituel ouvert et riche en mysticisme : le soufisme.
     
     Le chiisme iranien et la naissance du soufisme islamique

     

    Ce n’est qu’environ un siècle après la révélation du Coran à Mahomet, que l'Islam a été codifié avec ses règles et ses dogmes. Le prophète n'a laissé aucun testament pour désigner ses successeurs, ce qui a engendré un conflit entre les partisans de son gendre Ali, fondateur du chiisme et ceux d’Abu Baker, membre de la tribu de Mahomet qui s’est converti le premier à l’Islam, fondateur du courant majoritaire de l’Islam, le sunnisme.

      Le soufisme, grand mouvement mystique, apparenté au chiisme iranien, est apparu très tôt dans l'Islam, en réaction contre le dogmatisme et le formalisme islamique des successeurs de la tribu de Mahomet. L'orthodoxie islamique croit à l'étude à la lettre du Coran et des paroles de Mahomet, comme seule voie de révélation possible, tandis que les Soufis croient que l'être humain porte en lui les moyens d'accéder directement au divin et à la révélation de la vérité. Cette divergence doctrinaire a été la cause de nombreuses persécutions de mystiques islamiques jusqu'à ce qu'Abu Amid al Ghazali, docteur iranien en législation islamique devenu soufi (1059-1111), réunifie les deux voies d'approche de l'Islam, celle de l'intuition et celle de l'étude formelle.

      On peut être soufi sans être musulman. Le soufisme est en relation directe avec le coeur même de l'Islam. Mais un soufi se permet de transcender toutes les limites sans jamais sortir de l’Islam. La tradition soufie iranienne est basée sur "tariqa" qui signifie la voie et non sur "sharia", la loi islamique. Il n’impose aucune prière ou obligations religieuses formelles, pas plus qu’il ne fait des distinctions de classes, races ou religions. On trouve dans le soufisme une grande diversité d'influences pré islamiques iraniennes, qui a rejeté le système de classes sociales et les traditions religieuses strictement hiérarchisées, et a intégré les concepts de lumière, de l'ancien culte iranien de Mithra, quelquefois assimilé au feu sacré de la tradition zoroastrienne (première religion de l'Iran avant l'arrivée de l'Islam).

     
     Qui sont les soufis?

     

    On pense que le mot soufi est tiré de l'arabe "suf" qui signifie laine. Il désigne celui qui porte de grossières étoffes de laine contrairement aux beaux habits des chefs religieux. D'autres en attribuent l'étymologie au mot arabe "safa", la bonté et la clarté dans les actes. En Iran, on substitue souvent le terme "aref" au mot soufi. "Aref" veut dire sage, et on appelle parfois le soufisme "erphan".

      La voie du soufi est celle de l'unité. Tout ce qui existe est la manifestation d'une seule et même réalité. Un des grands soufis iraniens du treizième siècle, Mawlânâ Djala-Oddin Mohammed (plus connu sous le nom de Rumi) écrit :

      “ En vérité, nous sommes une seule âme, moi et toi.
    Nous apparaissons et nous nous cachons, toi dans moi, moi dans toi
    Voilà le sens profond de mon rapport avec toi
    Car il n'existe, entre moi et toi, ni moi, ni toi. ”
    Rûmi Robâ' yât. Trad Assaf Hâtet Tchelebi

      Le soufi cherche toute sa vie à atteindre individuellement et intérieurement cette ultime unité cosmique, en s'approchant toujours plus de la conscience et de la vérité éternelles, par la voie de l'amour universel et inconditionnel de l'existence dans sa totalité, du beau et du repoussant, des amis et des ennemis.

      “ Écoute la flûte de roseau
    Depuis que j'ai été coupé de mon oseraie natale
    J'aspire à lui être réuni.
    J'ai un coeur déchiré par la soif,
    Par la nostalgie… ”
    Rumi, dans son livre Masnavi, considéré comme le livre sacré de l'’Iran.

      Les expériences mystiques des soufis apportent la révélation du grand Etre vivant, de la totalité qui se manifeste au plus profond de soi, dans chaque grain de sable, dans chaque goutte d'eau, dans les ailes des plus petits insectes. Cette vision est comparable à la vision holographique du monde de la physique actuelle. Chaque composante de l'hologramme contient la totalité !

    Les soufis reconnaissent et respectent toutes les créatures vivantes, depuis les plantes jusqu’à l’être humain. Vivre l'unité est une expérience intérieure qui se reflète dans les comportements et les actes quotidiens, et mène à l'illumination. C’est par la connaissance de soi que l'on s'approche de l'ultime réalité.

      La première étape du voyage du soufi est l'affranchissement de la conscience du moi ou ego "fana" de sa recherche illusoire de sécurité et de reconnaissance. Lorsque les illusions ont été balayées et la subjectivité détruite, l’âme est délivrée et le Soi universel peut alors émerger.

      Contrairement à l'image que l'on se fait du mystique solitaire, les Soufis se sont toujours sentis profondément et socialement responsables et ont consacré une bonne partie de leur vie à combattre les démons du fondamentalisme racial et religieux, à rejeter tout pouvoir arbitraire et à guider les gens vers la vérité de l'unicité... Leurs enseignements rédigés sous une forme littéraire ou poétique, son encore reconnus de nos jours comme le fondement unique des programmes éducatifs en Iran.