• LE SAVOIR FAIRE DES BATISSEURS DE CATHEDRALES

    Les sept facettes d'un savoir-faire

    Le miracle de Saint Louis

    "Il est à coup sûr peu de plus belles pages architecturales que cette façade.

    Victor Hugo, Notre-Dame de Paris,1831.

    Depuis le XIIe siècle, les cathédrales gothiques attirent les regards, animent les artistes. François René de Chateaubriand, Victor Hugo, Joris-Karl Huysmans, Charles Péguy, les impressionnistes s'en sont inspirés pour leurs œuvres. Pourtant, le style nouveau de ces cathédrales édifiées en France et en Europe entre le XIIe siècle et le XVIe siècle est décrié à la Renaissance et au XVIIIe siècle. Il faut attendre 1864 pour que Lassus et Viollet-le-Duc achèvent les travaux de Notre-Dame de Paris et redonnent au gothique ses lettres de noblesse. Plus de vingt cathédrales sont alors restaurées. Elles font maintenant partie du patrimoine mondial de l'UNESCO.

    Les questions suscitées par ces chefs-d'œuvre mystérieux sont nombreuses

    De Chartres à Amiens en passant par Lausanne, qui, aujourd'hui, se souvient des couleurs éclatantes qui accueillaient les fidèles à l'entrée et à l'intérieur des cathédrales ? Que signifie ce prolifique décor ? Quel éclairage donnaient les vitraux d'origine, aujourd'hui disparus ?

    Comment ont été érigées, parfois en peu de temps, ces constructions aux dimensions et aux impressionnantes proportions ? Qui peut imaginer l'orgueilleuse flèche de Beauvais au XIIIe siècle atteignant 48 mètres mais qui s'écroula en 1284 ? Quelle impression, quelle émotion pouvait ressentir le fidèle du Moyen Âge qui entrait dans la cathédrale ? Les chantiers de ces cathédrales ne font-ils pas penser à ceux de l'Égypte ancienne, aux chantiers des pyramides ou à ceux de l'Amérique moderne, aux chantiers des gratte-ciel ? Qui sont les commanditaires et les bâtisseurs, qui se cache derrière ces génies créateurs ? Quels sont les techniques et les outils utilisés ? Ces constructions sont-elles l'imitation d'un modèle donné ou le fruit d'une imagination ? Les questions se bousculent au sujet du temps des cathédrales.

     

    Le carnet de Villard de Honnecourt

    Un homme du XIIIe siècle, maître d'œuvre et dessinateur, Villard de Honnecourt, nous a laissé un carnet exceptionnel composé de notes et de croquis. La précision des schémas, la qualité des esquisses, l'exactitude des plans sont remarquables.

    Le Carnet ne traite pas seulement de la construction des cathédrales mais plus généralement des techniques de construction de l'époque ; on y trouve les plans de la tour de Laon, l'élévation intérieure des chapelles absidales de la cathédrale de Reims ainsi que des motifs décoratifs, tels une rose rappelant celle de Chartres ou un pavage vu en Hongrie. Les connaissances techniques se cachent souvent derrière des figures énigmatiques, cavaliers, visages humains ou figures animales qui sont autant de figures mnémotechniques que l'historien et architecte Roland Bechmann s'est appliqué à déchiffrer et à interpréter.

     

    Architecture
    Il est inconcevable que des édifices d'importance aient pu être réalisés sans la prévision et la direction d'hommes de métier expérimentés, les architectes. Si ce titre n'était pas porté, la fonction n'en existait pas moins.

    L'appellation plus répandue de "maître d'œuvre" se confond aujourd'hui avec celle de "maître d'ouvrage". Ce dernier pouvait peser sur certaines décisions ou imposer des "partis". Fréquemment des gens d'Église sont cités à l'occasion de la construction d'une église sans que l'on puisse toujours savoir si leur fonction était celle d'un commanditaire, ou s'ils jouaient un rôle plus important dans la conception ou la conduite du chantier.

    Les zones d'opacité qui entourent le personnage de Villard sont trop importantes pour pouvoir affirmer à coup sûr qu'il fut un expert en construction. Cependant, l'adresse introductive de son Carnet, ses plans de chœurs d'église, ses dessins de la tour de Laon, du projet de rose pour Lausanne, de l'élévation des chapelles de Reims pourraient le suggérer.
    Pour permettre de tailler d'avance et avec précision les pierres d'un arc, d'une voûte ou d'un mur, les constructeurs gothiques ont développé "l'art du trait", d'où est issue la stéréotomie, science de la coupe des pierres qui s'applique également à la coupe des bois destinés aux ouvrages de charpente.
    Certains dessins du Carnet dévoilent l'étendue des connaissances de Villard de Honnecourt dans cet art de la coupe des pierres. Soucieux de ne pas divulguer ses méthodes à des profanes, il n'y indique que l'essentiel. Pendant cent cinquante ans, ces petits croquis ont paru sans intérêt aux commentateurs du manuscrit qui n'en comprenaient pas la signification. Et pourtant, ces dessins énigmatiques proposent des recettes pratiques pour faciliter et optimiser la taille des pierres ou indiquent comment disposer les joints d'une colonne, comment tailler les pierres d'un arrachement, ou encore celles d'une voûte biaise.

     

    constructon de la cathhédrale Saint Denis

    Le compagnonnage
    Certains dessins rappellent de façon frappante les rituels des compagnons du Devoir.
    Quelques indices, dans l'Histoire, tendent à démontrer que, malgré l'opposition - attestée par des édits - des autorités civiles et religieuses de l'époque, il existait des associations ouvrières qui pratiquaient la solidarité, se transmettaient une tradition initiatique et partageaient des signes de reconnaissance.
    Elles seraient les ancêtres des compagnons du Devoir actuels qui, par un esprit de rigueur dans le travail comme dans le comportement, maintiennent une tradition de l'ouvrage bien fait. Les francs-maçons, dont les traditions et les rituels sont souvent analogues, revendiquent également une filiation avec le monde du travail du Moyen Âge.

     

    engin de guerre;le trébuchet

     

    Homme de chantier et ingénieur

    Pour mener à bien un chantier tel que celui d'une cathédrale, un constructeur du XIIIe siècle devait être polyvalent. Il devait non seulement pouvoir tracer les implantations, rechercher la pierre, le bois, la chaux ou le sable, les faire transporter sur le chantier, mais aussi coordonner les différents corps de métier et gérer les finances.
    De même, il devait faire construire non seulement les échafaudages ou les cintres, mais aussi tous les engins nécessaires au chantier. Cela l'amenait à s'intéresser à la mécanique.
    Certains dessins du manuscrit de Villard révèlent des préoccupations qui seraient familières à un ingénieur d'aujourd'hui, telles que l'économie de la force humaine, la standardisation des éléments et les méthodes de construction, le souci de l'entretien et de la sécurité des bâtiments.
    Le Carnet témoigne à sa manière de l'effort de vulgarisation des techniques qui se manifeste au XIIIe siècle. La publication, depuis le siècle précédent, de traités techniques et de géométrie, ainsi que le développement de grandes universités ne sont sans doute pas étrangers à l'effervescence intellectuelle de l'époque.
    Pendant que certains - que Villard appelle les "maîtres" - débattent du mouvement perpétuel et de la façon de "faire tourner une roue par elle seule", nombre d'inventions de l'époque sont dues à de modestes artisans, dont l'histoire n'a pas conservé les noms.
    De même, l'une des inventions exposée dans le Carnet - la chaufferette - est peut-être la véritable origine de la suspension dite "à cardan", qui maintient horizontaux les compas de marine et qu'on attribuait jusqu'ici à l' inventeur italien qui lui a donné son nom au XVIe siècle…
    Outre des mécanismes susceptibles d'impressionner le public - dont un oiseau assoiffé qui buvait le liquide d'une coupe puis roucoulait, ou encore un ange sur le sommet d'une église qui suivait la trajectoire du soleil -, le Carnet recense d'autres inventions que Villard a pu observer ou qu'il a conçues lui-même, comme son trébuchet.

     

    le tombeau du Sarrasin

     

    Inventions et automates
    L'historien des sciences Guy Beaujouan estime que, vers l'an mil en Occident, seules cinq ou six personnes étaient capables de faire une division et qu'aucune ne savait faire une démonstration géométrique correcte.

    En Europe, au XIIIe siècle, si les Éléments d'Euclide ne sont encore connus que sous des formes incomplètes, les connaissances en matière de géométrie se sont manifestement étendues. Les constructeurs, qu'ils soient autodidactes ou éduqués comme Villard de Honnecourt, ne connaissaient les ouvrages théoriques qu'à travers leurs contacts avec des ecclésiastiques.

    Pour s'assurer de la valeur générale d'une méthode de calcul ou d'une construction géométrique, ils procédaient par des expériences concrètes. Certaines méthodes empiriques, dont on a le reflet dans le manuscrit, peuvent nous paraître sommaires ou primitives. Et pourtant, ces modestes dessins techniques révèlent qu'en matière de géométrie appliquée à la coupe des pierres, le niveau des connaissances qu'on trouve dans le manuscrit de Villard correspond sensiblement à ce que dévoila, dans la deuxième moitié du XVIe siècle, Philibert de l'Orme dans ses traités d'architecture. Cela explique comment furent possibles les réalisations spectaculaires des constructeurs des cathédrales gothiques.

     

    machines,engins,automate

     

    Mnémotechnique
    Quatre pages du Carnet concernent ce que Villard nomme "l'art de iométrie".
    Les précédents commentateurs du manuscrit avaient pensé que cet ensemble de représentations pouvait constituer un système grossier pour faciliter le dessin des figures. Or, il fallait inverser l'idée, en s'appuyant sur l'existence d'une tradition mnémonique qui apparaît non seulement en astronomie mais également dans des traités de géométrie de l'époque.
    Les constructeurs devaient se rappeler les opérations nécessaires pour construire ou vérifier un angle droit, dessiner un triangle équilatéral, un carré, un "rectangle d'or", un pentagone, un décagone, un heptagone, retrouver le développé d'un arc de cercle, comparer des surfaces et des volumes dans des figures semblables.
    Ces croquis de Villard sont là pour aider l'homme de chantier à se remémorer les constructions géométriques, lorsqu'il en a besoin, de la même façon que les figures d'animaux, d'objets, de personnages reproduits sur la carte du ciel permettaient de se souvenir de la disposition des étoiles dans les constellations et de les reconnaître. C'est ce que Villard souligne en écrivant qu'elles sont utiles pour "œuvrer".

    tracés géométriques et mnémotechniques

     

    Stéréotomie

    Pour permettre de tailler d'avance et avec précision les pierres d'un arc, d'une voûte ou d'un mur, les constructeurs gothiques ont développé "l'art du trait", d'où est issue la stéréotomie, science de la coupe des pierres qui s'applique également à la coupe des bois destinés aux ouvrages de charpente. Certains dessins du Carnet dévoilent l'étendue des connaissances de Villard de Honnecourt dans cet art de la coupe des pierres. Soucieux de ne pas divulguer ses méthodes à des profanes, il n'y indique que l'essentiel. Pendant cent cinquante ans, ces petits croquis ont paru sans intérêt aux commentateurs du manuscrit qui n'en comprenaient pas la signification. Et pourtant, ces dessins énigmatiques proposent des recettes pratiques pour faciliter et optimiser la taille des pierres ou indiquent comment disposer les joints d'une colonne, comment tailler les pierres d'un arrachement, ou encore celles d'une voûte biaise.

    tracés de construction

    Géométrie

    L'historien des sciences Guy Beaujouan estime que, vers l'an mil en Occident, seules cinq ou six personnes étaient capables de faire une division et qu'aucune ne savait faire une démonstration géométrique correcte.

    En Europe, au XIIIe siècle, si les Éléments d'Euclide ne sont encore connus que sous des formes incomplètes, les connaissances en matière de géométrie se sont manifestement étendues. Les constructeurs, qu'ils soient autodidactes ou éduqués comme Villard de Honnecourt, ne connaissaient les ouvrages théoriques qu'à travers leurs contacts avec des ecclésiastiques.

    Pour s'assurer de la valeur générale d'une méthode de calcul ou d'une construction géométrique, ils procédaient par des expériences concrètes. Certaines méthodes empiriques, dont on a le reflet dans le manuscrit, peuvent nous paraître sommaires ou primitives. Et pourtant, ces modestes dessins techniques révèlent qu'en matière de géométrie appliquée à la coupe des pierres, le niveau des connaissances qu'on trouve dans le manuscrit de Villard correspond sensiblement à ce que dévoila, dans la deuxième moitié du XVIe siècle, Philibert de l'Orme dans ses traités d'architecture. Cela explique comment furent possibles les réalisations spectaculaires des constructeurs des cathédrales gothiques.

     

    études et tracés géométriques