• LE MYSTERE MARIAL (7)

    Quand l'Église veut essayer de comprendre, de façon plus précise et aussi plus proche, le mystère dont elle est porteuse, toute sa tradi­tion la tourne toujours vers le visage de la Vierge Marie, car l'Église sait qu'en contemplant la Vierge Marie, elle est sûre de trouver de façon juste, exacte le mystère même du Christ, c'est-à-dire le mystère même de notre Rédemption. Lorsque l'Église se tourne vers la Vierge Marie, ce n'est pas tellement le visage de la Vierge qu'elle contemple, mais elle suit le regard de la Vierge Marie, et, avec elle, contemple le visage du Christ.

    C'est cela, en définitive, que nous célébrons aujourd'hui comme à chaque fois que nous célébrons la Vierge Marie. Saint Bonaventure disait que, dans la Vierge Marie, s'était réfugiée toute la foi de l'Église. Et la parole même du Christ nous révèle ce qu'est la foi de l'Église dans la foi même de la Vierge Marie, tant et si bien que celle-ci est vraiment Mère de notre foi.

    Tout à l'heure j'évoquais cette réponse du Christ dans l'évangile à cette femme qui criait : "Heu­reuses les entrailles qui t'ont porté !"et à laquelle Jésus a dit : "Bien plus heureux encore ceux qui écoutent la Parole de Dieu et qui la gardent !" La Parole de Dieu, c'est le Christ fait chair, mais avant qu'il ne se fasse chair, le Christ Parole de Dieu avait écouté, reçu la Parole de son Père. Lorsque, dans le conseil divin, le Père, le Fils et l'Esprit ont voulu "reprendre en mains" sans la manipuler l'humanité pécheresse, qui ne tournait plus sa face vers son Dieu, mais son dos car l'humanité était tournée vers les idoles, le Père, le Fils et l'Esprit ont cherché qui il fallait envoyer pour ramener les hommes dans le cœur de Dieu. Le Père a simplement posé cette question : "Qui enverrai-je ?"Et dans le souffle de la puissance de l'Esprit, le Fils a répondu : "Me voici puisque Tu m'as appelé. Qu'il me soit fait selon ta parole puisque je suis ton serviteur et ton fils !"

    "Qu'il me soit fait selon ta parole !"Avant que la Vierge Marie elle-même ne consente au des­sein de Dieu sur elle, au jour de l'Incarnation, Celui qu'elle allait enfanter avait déjà prononcé cette parole. Il l'avait prononcée dans le secret de la vie trinitaire, dans l'obéissance au dessein de salut du Père qui voulait envoyer le Fils Lui-même, car il n'y avait que le visage du Fils qui pouvait nos propres visages défi­gurés parce que ceux-ci avaient été façonnés "selon son image et à sa ressemblance."Et le Fils a pris chair dans le sein de Marie. Et la Vierge Marie se situe dans la logique même de l'acceptation du Fils, pour accomplir la Parole de Dieu. Et la Parole de Dieu s'est faite chair en elle. Elle a donné sa chair humaine au Fils éternel du Père. C'est le début de la réalisation effective de l'œuvre de la Rédemption. Et le mystère que nous célébrons aujourd'hui ne peut être vraiment compris qu'à partir de ce mystère de l'Incar­nation. On ne peut comprendre, saisir et croire que la chair même de la Vierge Marie a été emportée au ciel, dans la gloire du Christ, que parce que ce Christ est descendu sur la terre et a pris chair dans la Vierge Marie.

    Il y a là un mystère d'un échange profond, probablement indicible, dont les quelques mots que l'Église peut prononcer ne disent que peu de choses Le Christ est venu prendre chair en Marie, et cette chair de Marie, cet être de Marie était sans péché, car le Fils, Dieu Lui-même, n'aurait pu supporter le moindre péché dans sa chair d'homme. Il est venu assumer cette chair pour la sauver, car comme le dit saint Grégoire de Nazianze, "ce qui n'est pas assumé n'est pas sauvé". Et puisque le Christ est venu prendre la chair de Marie, Il l'a sauvée. Il l'a déjà emportée dans le mystère de son Incarnation dans sa propre gloire même si cette gloire n'était pas visible et n'avait pas encore investi toute la personne, tout l'être, toute l'âme, toute la chair de la Vierge Marie.

    Le mystère que nous célébrons est donc pas simplement celui de la destinée ultime d'une créature absolument unique qui est la Vierge parfaite, la mère du Christ, mais ce que nous célébrons à travers cela c'est la totalité de notre salut. C'est la totalité de cette histoire merveilleuse où, d'une extrême distance, l'homme et Dieu vont devenir proches de façon in­time, de façon inséparable, pas simplement pour le temps mais pour l'éternité, la totalité de Dieu et la totalité de l'être humain, dans la communion éternelle de l'amour de Dieu.

    L'Assomption de la Vierge c'est cet évène­ment de son corps de chair qui, à travers la mort, ne retourne pas à la terre d'où il est venu, mais est em­porté, mystérieusement mais réellement dans la gloire du Christ dans la gloire de son Fils ressuscité.

    La chair de la Vierge Marie, ses restes hu­mains, il n'y en a pas. Aucun tombeau de la terre ne les contient. C'est peut-être quelque chose de difficile à croire, mais la foi n'a jamais été facile, c'est sûre­ment quelque chose d'impossible à démontrer ou à justifier, mais peu importe pour nous puisque "ce qui est impossible à l'homme est possible à Dieu "et que sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus priait ainsi : "Mon Dieu puisque c'est impossible, faites-le vous-même !"

    Dans cette célébration de la gloire de Marie dans sa chair est inscrite toute notre destinée parce que, dans cet événement, est déjà accomplie, pour elle, la totalité de l'acte rédempteur. Le Christ ne vient pas seulement sauver l'âme de l'homme, il ne vient pas seulement orienter son esprit vers la connaissance de Dieu, il ne vient pas simplement prendre son cœur pour le réintégrer dans l'amour de Dieu, le Christ vient prendre la totalité de l'homme, corps et biens, pour la réintégrer dans la communion de Dieu, de façon totale et de façon définitive. Et Dieu n'a de cesse que la totalité de sa création soit emportée ainsi dans sa gloire comme la Vierge Marie a été emportée au jour de sa mort.

    Je sais bien que ces propos peuvent choquer même des chrétiens. Je sais bien, pour les avoir en­tendus, que des chrétiens, s'ils croient encore à la vie éternelle, se prononcent de façon tout à fait négative sur une possible résurrection de la chair, parce que, disent-ils, la science et tout ce que nous connaissons ne peut pas permettre cela. Ce sont là des propos de rationalistes qui n'ont pas grand-chose à voir avec ce que nous célébrons aujourd'hui. Nous célébrons notre destinée future. Cette fête, qui est un dogme de l'Église, qui fait partie de la foi intégrante de l'Église et pas depuis 50 ou 25 ans depuis le jour où Pie XII l'a proclamé, mais depuis toujours. Je relisais ces jours l'acte même de la formulation du dogme et il est ex­trêmement étonnant de voir que toute la piété de l'Église, que toute la foi de l'Église, que les docteurs, les pasteurs de l'Église ont toujours tenu, dans une très grande majorité, que la Vierge Marie avait été emportée avec sa chair, dans la gloire du Christ.

    Nous célébrons notre destinée future, mais cette destinée future est déjà présente aujourd'hui, dans notre propre vie. Nous célébrons un mystère d'espérance, car si la Vierge Marie a été emportée vers le ciel dans son assomption, toute l'Église dont elle est figure sera emportée dans le ciel avec sa chair. Et non seulement l'Église, mais la totalité du monde. Péguy disait : "L'incarnation, c'est une aventure qui est arrivée à la terre tout entière" et pas simplement à une femme et pas simplement à l'Église, mais à la création tout entière. Et dans cet événement repose notre espérance et une espérance d'autant plus forte, d'autant plus invincible, d'autant plus certaine que déjà une des créatures est entrée totalement dans la réalisation de cette espérance puisqu'elle est dans la gloire de Dieu, puisqu'elle est dans le ciel avec la totalité de ce qui a fait sur la terre son être personnel. C'est une espérance qui doit nous faire vivre, c'est une espérance qui doit orienter, qui doit informer toute notre vie terrestre et pas simplement notre esprit, mais notre propre chair et la façon dont nous vivons avec notre chair car elle est destinée à être glorifiée dans la Pâque du Christ comme celle de la Vierge Marie.

    C'est une espérance dans la foi, ce n'est pas une illusion, ce n'est pas une consolation, ce n'est pas une façon d'expliquer l'inexplicable. L'espérance est une réalité d'aujourd'hui, même si elle est invisible. Et la preuve, c'est que cette réalité est complètement vraie pour la Vierge Marie qui est une créature, comme vous et moi, sauf par le péché. Cette espé­rance appelle notre collaboration. Cette collaboration, le Christ Lui-même en est l'exemple parfait : "Père ! Qu'il m'advienne selon ta parole ! Père ! Que ta vo­lonté soit faite !" Le mystère de notre rédemption repose déjà dans le cœur du Christ par son obéissance à la Parole de son Père. Et c'est pour cela que la Vierge Marie ne pouvait pas dire une autre parole que celle-là même que son fils avait dite au Père au mo­ment de sa venue sur la terre. Et elle ne fera que ré­péter, que redire, que laisser jaillir dans son cœur de croyante ce que son fils qu'elle va enfanter a dit au Père, dans la force de l'Esprit Saint : "Qu'il me soit fait selon ta parole ! je suis la servante de ta parole !"

    Cette espérance appelle notre obéissance au dessein de Dieu et la Vierge Marie est parfaite dans cette obéissance. Elle-même s'est laissée envahir par la Parole de Dieu faite chair en elle, pour que dans cette incarnation, elle puisse répondre librement, to­talement, joyeusement au dessein de Dieu et à la vo­cation à laquelle elle était appelée. Saint Augustin di­sait que Marie était beaucoup plus heureuse parce qu'elle avait cru que parce qu'elle avait conçu. Mais elle a cru cela même qu'elle allait concevoir, l'accom­plissement de la Parole de Dieu.

    Alors, frères et sœurs, pour que cette espé­rance de vivre un jour totalement dans la gloire de Dieu puisse devenir, au-delà de notre propre mort, au-delà de la mort cosmique au dernier jour de la vie terrestre, pour que cela puisse devenir notre bonheur il faut que nous nous placions dans cette soumission à la Parole de Dieu, dans cette obéissance. Il faut que nous puissions "épouser" cette Parole de Dieu c'est-à-dire y puiser notre bonheur, notre vie, nos raisons de vivre, nos raisons de croire, nos raisons de mourir. Et notre vie chrétienne, en définitive, c'est cela parfaite­ment accompli et parfaitement proposé dans la Vierge Marie. Nous sommes soumis à la Parole de Dieu et si nous sommes en dehors de cette Parole de Dieu, elle ne pourra pas se réaliser en nous. Nous lui ferons une sorte d'opposition. Or cette Parole de Dieu va se faire chair dans l'eucharistie, nous allons la recevoir dans notre propre chair pour qu'au jour de notre pâque, notre propre chair devienne eucharistie, action de grâce, accomplissement de la Parole de Dieu, et que nous entrions, avec la Vierge Marie, dans cette gloire du ciel. Ensemble, prions la Vierge Marie, pour qu'elle soit sur notre route difficile, le modèle, celle qui nous entraîne, la mère de notre foi et de notre espérance, la mère de notre obéissance à la volonté de Dieu pour qu'avec elle, dans l'Église rassemblée, avec tous les hommes rachetés, nous puissions chanter cette gloire du Christ mort, ressuscité, qui dans sa résurrection entraîne avec Lui toute chose, tout esprit et toute chair.

     

    AMEN