• L'Esotérisme au XXIè siècle

    ÉSOTÉRISME XXIeSIÈCLE
    Autour de René Guénon
    Federico González

    PROLOGUE

       J’avais l’intention d’écrire un livre intitulé comme celui-ci, lorsque je constatai qu’il était déjà écrit. En effet, le panorama que je tentais d’y décrire pour ce XXIème siècle en rapport avec la Métaphysique, englobait tout à la fois les quelques rares groupes et individualités sérieux et de type initiatique qui travaillent en Occident, et l’énorme masse de personnalités, cellules, et enfin sectes, qui pullulent autour de la Science Sacrée en la dénaturant, et qui ont apporté la confusion, le chaos et les errements propres à l’obscurité de tout éon qui s’achève; ce qui rend indispensable un redressement, au moins doctrinal, au nom de la préservation des valeurs traditionnelles, des Idées Universelles sans restriction de temps ni de lieu, directement en rapport avec l’essence du Cosmos et sa constante recréation et, par conséquent avec la conservation de la Vie, la Liberté, et la Connaissance qui rendent possible la régénération.

        Je constatai alors que décrire ce temps présent dans l’Esotérisme revenait à ôter la paille du grain (Cf Saint Matthieu 13, 24-31). En effet, l’ambiance régnant en ce commencement du XXIème siècle, dont témoignent aussi sur la scène ésotérique le mensonge et la tromperie, la falsification et le vol, l’ignorance et la trahison, n’échappe pas aux grandes lignes de la loi qui caractérise les temps modernes. Ainsi, un spécialiste de ces questions devait inclure des informations de première main des sujets traités, ainsi que des rôles joués par les acteurs sur la scène réduite des idées ésotériques contemporaines. Une œuvre de ce genre devait alors réunir une abondante documentation qui enrichisse n’importe quelle investigation dans ce sens et qui ordonne le chemin d’une façon générale.

        C’est alors que je compris que le livre était déjà écrit et qu’il l’était de ma main.

        Ceci vient du fait de diriger la revue SYMBOLOS, dans laquelle j’ai pu rendre compte du panorama ésotérique général des onze années antérieures à la fin du millénaire, ce qui revient au même que de mettre en valeur les éléments qui furent la semence du XXIème siècle, et distinguer entre eux les appartenances à différents ordres, témoignant ainsi de l’existence d’une Science Sacrée, c’est-à-dire d’une Tradition Unanime, si vivante de nos jours, et aussi vraie que ses origines non-créées.

        Nous sommes nombreux à croire que la plus haute autorité de la Science Sacrée en Occident de notre temps (bien qu’il en existe également d’autres auteurs authentiques) est René Guénon; et son œuvre, qui touche plusieurs disciplines, est le témoignage synthétique et global de cette Science en ces temps que traverse la Civilisation Occidentale que beaucoup d’ésotéristes comparent à une Fin de Cycle.

        Mais ce n’est pas seulement l’aspect doctrinal ou ordonnateur de son Travail qui ressort, mais aussi son influence dans les milieux ésotériques, et dans l’Histoire de l’Esotérisme en général, à travers l’autorité qu’il a exercée sur divers groupes, écrivains et lecteurs qui ont considéré sa figure providentielle, morts et vivants qui ont bu à sa source malgré que beaucoup d’entre eux ne le mentionnent qu’à peine, ou bien se soient par la suite retourné contre lui, se joignant au collectif qui ne peut que nier les idées ésotériques, de par leur propre nature qui les rend incompréhensibles pour ceux qui –avec raison– les voient comme contraires à toute logique ou science.

        Et c’est au travers de cette masse de lecteurs qui l’adulent ou le détestent –puisque sa pensée critique eut d’innombrables ennemis depuis le début jusqu’à sa mort– avec toutes les nuances intermédiaires, que la pensée de Guénon s’est diffusée dans le milieu ésotérique, autant pour ses références à la Maçonnerie et à l’Hermétisme, ou aux Religions du Livre, ou à l’Hindouisme, Lamaïsme, Taoïsme ou encore les aborigènes américains, que pour l’esprit irradiant son travail et les aveuglantes analogies qu’il réalise, aliment pour l’intelligence et véhicule pour la compréhension. Et c’est aujourd’hui, cinquante ans après sa mort, ce que l’on peut vérifier en observant combien son œuvre reste vivante, peut-être plus encore que durant sa propre existence temporelle; célébrations, symposiums, numéros de revues, livres, articles, témoignent des divers hommages qui lui sont rendus.

        Ainsi, de façon naturelle, la figure de Guénon devint l’axe de ce livre sur l’ésotérisme au XXIème siècle.

        Pour les mêmes motifs, il s’était institué comme le guide spirituel de la revue SYMBOLOS et du groupe de rédacteurs qui la forment. C’est pour celà qu’il est absolument normal que je publie ici ce que j’ai écrit sur Guénon lui-même, la Maçonnerie et la Tradition Hermétique, ce qui forme de par ses propres caractéristiques un regard sur l’ésotérisme contemporain, puisque en tant que directeur de SYMBOLOS je me devais d’être en contact avec les principales idées et milieux ésotériques de ces derniers onze ans, aussi bien en Europe qu’en Amérique, ainsi qu’avec les auteurs actuels.

        Depuis les débuts de sa publication, cette revue, que nous distribuons parmi les principaux milieux ésotériques, reçut un accueil favorable, spécialement auprès de ceux qui connaissaient ou étaient au courant de l’œuvre de Guénon, avec lesquels nous échangions des exemplaires de nos publications et articles en diverses langues que nous publions dans SYMBOLOS, tout comme plusieurs de nos collaborations furent traduites et diffusées dans ces milieux. A ceci il faut ajouter l’envoi d’une abondante correspondance de Guénon, qui n’avait pas encore été publiée, et d’études de l’auteur qui, ayant été publiées dans des revues de son époque, n’avaient pas été recueillies dans ses livres et que quelques correspondants me firent parvenir aimablement. Il faut également mentionner que, étant donné la qualité des articles initiaux, nous avons reçu de nombreux travaux d’auteurs qui désiraient spontanément se joindre à SYMBOLOS et publier dans ses pages, ce qui se fit vu la valeur de beaucoup des textes envoyés bien que ces auteurs ne participent pas de tout ce qui est manifeste dans ce milieu et n’appartiennent pas au noyau d’écrivains qui forment la rédaction de notre revue.

        Ce qui fit que SYMBOLOS s’institua ainsi, et sans l’avoir prétendu, comme une sorte d’éminence d’où observer le panorama de l’ambiance ésotérique de son époque; un point de vue privilégié puisqu’étant intervenu directement dans les questions dont traite le thème, y compris de forme polémique, tout en rendant compte au moyen de commentaires, recensions, ou encore la reproduction photographique de sommaires –que nous avons conservé ici– du mouvement ésotérique en général; pendant que Guénon, la Tradition Hermétique et la Franc-Maçonnerie, comme moyens d’accès à la Connaissance en particulier, c’est-à-dire comme guides et chemins de réalisation, constituaient le programme sur lequel insistait tout particulièrement notre revue.

        De fait, SYMBOLOS a déjà publié jusqu’à présent plus de 4.000 pages sur des thèmes ésotériques de toutes les grandes traditions, y compris la Tradition Précolombienne, que Guénon n’a presque pas approchée, à laquelle SYMBOLOS consacra plusieurs travaux; ce dernier programme a été éliminé en vue de cette collection qui comprend seulement ceux qui sont consacrés aux voies citées précédemment et à leur vigueur, documentée par les publications et les auteurs qui en témoignent dans un sens ou dans l’autre, car la polémique n’est exclue d’aucune manière, tout en signalant concepts et chemins, symboles et pensées ou points de vue également valides, en rejetant beaucoup d’erreurs dans l’interprétation, presque toujours intéressée, de concepts en rapport avec la doctrine traditionnelle et émanant de sources qui, de nos jours plus que jamais, sont opposées à cette doctrine qu’elles prétendent pourtant manipuler et utiliser à leur profit, qui est le même que celui de l’Adversaire. Dans ce sens, l’on insiste tout particulièrement sur les différences entre religion et métaphysique, exotérisme-ésotérisme et Etre et Non-Etre, qui ont si souvent prêté à des confusions encore aggravées par les personnes et les groupes qui, ou bien par ignorance –qui mène à la haine– ou bien par désir d’hégémonie et pouvoir, ont adultéré la pensée de Guénon déjà de son vivant. Comme par exemple ceux qui s’approprient sa figure et son œuvre à des fins religieuses qui frôlent le fanatisme ou à des fins politiques, dans ce dernier cas des groupes fascistes et traditionalistes du type dur, ralliés aujourd’hui au drapeau de l’“innocente” Nouvelle Droite.

     

    1ère Partie

    CHAPITRE I

    RELIGION ET MÉTAPHYSIQUE À LA FIN DU CYCLE *

     

        De fait, non seulement notre Revue n’est compromise avec aucune religion –en précisant que nous appelons religions les trois branches: judaïsme, christianisme, islamisme, dérivées du monothéisme abrahamique– mais elle est areligieuse, c’est-à-dire qu’elle a un support et un but métaphysique et n’adore pas de divinités personnifiées ni possède de vision anthropomorphique, ou individualisée, de l’Identité Suprême.1 La Tradition Hermétique, comme Enoch-Hermès dont elle tire son nom, est évidemment préchrétienne mais surtout antédiluvienne, c’est-à-dire qu’elle survit aux catastrophes de divers mondes. C’est pour cela que l’étude des cycles est extrêmement productive dans le travail de la Connaissance, puisqu’elle nous oblige à nous passer d’une vision religieuse, c’est-à-dire exotérique donc historique, rattachée à n’importe quel cycle, pour nous placer après d’épuisantes épreuves et travaux dans une position beaucoup plus ample, de type polaire, où les différences entre les religions et les religions mêmes sont réduites à néant face à la Majesté de l’Être Universel et ses divers états, à la lumière duquel toute querelle s’amoindrit voire disparaît dès que ces passions (nées de la dualité, donc d’un dualisme qui doit recourir à un monisme radical pour résoudre son conflit) se dissolvent à cause de leur genre religieux dans le fondamentalisme, l’intégrisme, ou le sionisme,2 et sont un véritable obstacle pour la Connaissance, c’est-à-dire la Gnose, comme l’indique l’un des sous-titres de SYMBOLOS. Nous tenons pour acquis que cette attitude nous a déjà causé des problèmes avec les religions émanant du Livre. Nous nous référons notamment à quelques escarmouches que nous avons dû essuyer avec des juifs et des islamiques radicaux peu disposés à respecter la Tradition Hermétique, leurs dieux et déesses, ceux qu’ils ont eu l’opportunité de connaître ou même assimiler dans leur corps exotérique en tant que Noms de Pouvoir, Archanges, Anges, etc.; les hébreux ont à la base des problèmes avec Guénon –notre référence intellectuelle– parce qu’il est mort en Islam, sans remarquer que ce dernier cite à plusieurs reprises leur Kabbale, c’est-à-dire leur Tradition.

        Paradoxalement nous en avons trouvé d’autres, très irrités, pour nous accuser –nous-mêmes et Guénon– d’être hébraïsants. Il y a également des groupes islamiques traditionnels, de ceux qui prient, qui croient à leur façon à la guerre sainte et se consacrent systématiquement à la provocation (aussi puérile que d’aller prier à la manière islamique dans la cathédrale de Cordoue ou aussi sérieuse que d’émettre leur propre monnaie à Grenade), accaparent des groupes d’études, spécialement de jeunes ou de faibles ayant besoin de secours religieux, et autres broutilles réalisées par des individus n’ayant en réalité aucun niveau de Connaissance en dépit de leur appartenance à des groupements traditionnels, donc dérivant directement du prophète, ce qui est, dit-on, différent de l’irrégularité de Schuon et sa secte qui depuis des années nous molestent de toutes les manières possibles, essayant concrètement de nous assimiler au satanisme et utilisant même le mensonge et les moyens les plus vils pour nous détruire. Précisons que pratiquement tous les martyrs soufis ont trouvé la mort aux mains d’autorités fanatiques religieuses ou légalistes littérales, toutes convaincues d’avoir raison et de représenter officiellement l’Islam; de fait celui-ci répète constamment cette fragmentation et regroupement de structures particulières, s’opposant parfois les unes aux autres, –ce qui rend difficile savoir laquelle est intégriste, fondamentaliste, ou traditionnelle– et font que de sa propre dynamique leur réseau continue de s’étendre vers les quatre points de l’espace.

        Nous avons gardé pour la fin la religion dans laquelle sont nés la totalité des rédacteurs de SYMBOLOS, la religion catholique, qui nous disqualifie pour notre appartenance à l’Ordre Maçonnique. Ceci est particulièrement outrageant du fait que ces officiaux, qui depuis des siècles ont trahi leur fondateur et son héritage, son Évangile, dans lequel se consignent ses enseignements, se consacrent en revanche aujourd’hui à des questions "sociales" à l’abri de la science, qu’ils bénissent, s’efforçant ainsi d’assurer leur part de pouvoir et d’influence dans la grande escroquerie institutionnalisée, de laquelle ils ont été –et prétendent continuer d’être– l’un des piliers. Inutile de préciser que ces gens ne croient à aucune sorte d’ésotérisme, voire même ne semblent pas donner crédit à leurs propres dogmes, comme l’on a pu le vérifier auprès de quelques fonctionnaires du Vatican avec lesquels nous avons conversé il y a quelques années à Rome.

        Quoi qu’il en soit, nous pensons que ces mouvements radicalisés ne montrent que la crispation et la rigueur qu’ils annoncent, ne survivent que brièvement à la mort d’un être vivant, et ne sont rien de plus, bien que leurs membres intégrants se sentent bien supérieurs (saints héroïques qui défendent la cause de Dieu), ce qui est souvent ainsi d’un point de vue dissolvant, au contraire de ce qu’ils imaginent et prétendent... Dans ce sens il faut souligner l’attitude opposée de la Tradition Hermétique, qui accueillit à Alexandrie toutes les gnoses, et intégra hébreux et chrétiens sous son égide païenne et polythéiste, qui a tellement enrichi l’Occident et aussi cette humanité adamique, de laquelle elle est en fait l’esprit aussi bien que l’âme, malgré que son cheminement subisse les constantes interférences de prétentions religieuses fondées sur le monisme d’une croyance qui dénie à son Dieu la possibilité de Non-Être.

        En dernier recours et en appliquant cet exposé général au cas de SYMBOLOS avec une perspective vraiment Universelle, c’est-à-dire depuis le pôle, où les mouvements passionnés du cœur-soleil ne sont plus seuls à être perçus et où l’on voit clairement la porte ouverte sur d’autres États de l’Être Universel, nous dirons que ceux-là ne sont pas exclusivement affirmatifs ou ontologiques, mais aussi complètement différents de ce que signe n’importe quelle détermination. Nouvelle réalité dans laquelle on vit seulement par la Grâce de Dieu, qui nous limite par le numéro, et nous donne ainsi la possibilité de transcender le cosmos au moyen d’un véhicule à notre portée.

        Autrement dit, dans l’humanité où nous devons vivre, c’est-à-dire dans le segment de l’Être Universel que constituent cette Création et son Grand Faiseur (et non pas son assistant, le Démiurge, seigneur du feu et du souffle, pris comme le Dieu des religions). La possibilité nous est alors offerte de nous identifier à lui, tout comme lui-même s’identifie à l’éon, ou Manu, et à son tour ce dernier s’identifie avec le Manu des Manu qui englobe la totalité des créations, des mondes et des humanités dans ses possibilités et développements indéfinis, et, encore plus stupéfiant, dans une parfaite simultanéité, dans l’instant. C’est alors que survient la question: si nous ne savons rien, et même il n’y a rien à savoir, qui sait véritablement pour qui il travaille?

        Nous ne sommes antireligieux d’aucune façon, mais il convient de savoir où sont tombées les traditions dégénérées par leurs tendances exotériques et les agissements d’individus, depuis des siècles usurpateurs du pouvoir, et s’étant institués officiers dogmatiques de ces religions qu’ils utilisent à leur profit, ce qui est évident dans le catholicisme et sa pompe.

        Dans le catholicisme, l’étymologie même du mot religion perd son sens puisque les voies sont brisées, et le pont (pontifex) qui unissait l’être individuel à l’Être Universel par le biais de la Connaissance n’existe pas, cette dernière ayant été abandonnée et remplacée par une Foi aveugle –dont le contenu changeant peut être une chose ou l’autre–, c’est-à-dire en complète contradiction avec la Science Sacrée.

        L’on pense parfois, erronément, que cette fin de cycle voit des forces obscures s’attaquer aux religions, lorsque c’est précisément le contraire qui se passe: celles-ci sont tellement corrompues et adultérées qu’elles ont de ce fait pratiquement perdu toute connexion avec le Principe; elles doivent donc être considérées dans toute leur imposture, et dépassées une fois pour toutes par tous ceux qui aspirent à la Sagesse. En réalité les monothéismes tels qu’ils se présentent actuellement demeurent des systèmes incomplets, de type unidirectionnel fondé sur la dévotion, qui n’apportent pas de solution au problème du mal, et sont incapables de dépasser la sphère du démiurge.

        Nous voudrions apporter ici quelque argument plus favorable aux religions, puisque nous sommes loin de vouloir leur faire mal ou de les nier en quelque sorte –comme le rite exotérique– bien que nous ne voulions pas non plus être complices par notre silence d’une chose qui nous préoccupe. De plus, n’oublions pas que la perspective d’un hermétiste est de voir les credo nier sa Tradition, aussi authentique qu’une autre, qui est même présente parmi les religions du Livre, bien que ces dernières n’admettent pas de chemin ou voie de réalisation qui ne passe par leur intermédiaire; dans quelques cas, les esprits religieux les moins étriqués "acceptent" officiellement quatre autres traditions orientales considérées à tort comme des religions. Tout ceci sans mentionner l’importance nulle qu’ils attribuent à la Tradition précolombienne, et aux traditions archaïques en général, dont les vestiges culturels et spirituels n’ont pas encore complètement disparu.

        La raison en est que, bien qu’en relation étroite, la métaphysique et la religion appartiennent à deux milieux distincts. Et même en considérant, comme le prétend l’Islam, qu’il existe un ésotérisme dans la religion, dans le meilleur des cas il s’agit toujours d’un ésotérisme solaire (bien que l’Islam soit rattaché au lunaire, ce que met en évidence son emblème du Croissant et de l’étoile), alors qu’elle doit obligatoirement contenir des dogmes exotériques pour assumer sa fonction en opposition avec la réalisation polaire, strictement métaphysique.

        Tant que notre groupe fut fermé, c’est-à-dire lorsque nous travaillions seulement en nous-mêmes au moyen des méthodes hermétiques, Tarot, Kabbale, Alchimie, Arithmosophie, etc., ou même avec la Cyclologie, nous n’eûmes pas de plus graves problèmes, bien qu’il soit connu que ne manquent pas les malheureux dont l’œuvre soi-disant pour le bien public est l’un des travestissements, par le biais d’une supposée vertu inventée pour justifier leur ignorance et leur désir de contrôle et pouvoir. Néanmoins, nos ennemis ne faisaient encore que montrer une part infime de ce qui s’est déchaîné par la suite mettant en évidence le degré élémentaire des ces "initiés" et leurs qualités inexistantes, voire une profonde ignorance devant être occultée derrière le fanatisme religieux, sujets qui n’ont rien à voir avec la Connaissance –et le Jnâni yoga- et la rapidité du mercure et la malléabilité de l’or présents dans la Tradition Hermético-Alchimique, dans laquelle un grand dieu, celui qui a fabriqué la lire d’Apollon, le grec Hermès descendant de l’égyptien Thot, est à la fois messager, psychopompe et héros culturel; le dieu des diplomates et des commerçants. Signalons en outre que, notre pensée étant métaphysique, c’est-à-dire propre aux "Grands Mystères" et d’incarnation ontologique au travers de la cosmogonie et du symbole, donc du plan intermédiaire, elle fut immédiatement repoussée par les fausses hiérarchies abrahamiques, ignares en ce qui concerne la Science Sacrée, comme l’attestent leur petitesse et l’extrême limitation de leur vision. Ces violentes dissensions sont illustrées par les guerres qui opposent ces religions, ou de leurs noyaux, qui se produisent même dans les soi-disant sociétés initiatiques, ou ésotériques, comme certains les nomment bien que, au lieu de s’occuper de la Connaissance implicite dans leur Tradition, elles ne traitent que de leur expansion quantitative, c’est-à-dire leur nombre de fidèles ou la mesure du pouvoir qu’ils possèdent, quand ce n’est pas des revers infligés aux adversaires osant discuter leur hégémonie, ou l’autorité absolue destinée à imposer leurs vues. Y a-t-il plus grande imposture que de laisser la religion supplanter l’initiation?

        Cette engeance est de fait totalement périmée et si certains croient en la "pauvreté" et le "sacrifice" comme un bien en soi, c’est-à-dire que leur croyance trouve sa source dans les œuvres humaines et non dans la grâce du Seigneur, nous trouvons surprenant qu’il subsiste encore une ignorance aussi cristallisée que les orthodoxies, tant religieuses que politiques; les gens sont las de ces alternatives aussi fausses qu’arbitraires où se trouve plongé l’homme moderne, et malgré une certaine relation superstitieuse avec la religion, le peuple semble s’en être oublié et se révèle agnostique, sauf lors de grandes catastrophes ou de certaines "apparitions" mariales et de saints niées par l’Église; les juifs, repliés sur eux-mêmes, attendant la ronde du rabbin collecteur d’impôts... Ceci n’est pas complètement valable dans le cas de l’Islam, en plein essor religieux contemporain, bien que son fondamentalisme même, y compris le terrorisme, trahit sa faiblesse et rencontre un fort rejet parmi les fidèles, ce qui est très clair en Afrique du Nord.3

        La vie du Prophète et l’Histoire de l’Islam sont pleines d’exemples d’intervention divine directe, ce qui illustre qu’il n’est nul besoin des obscures manœuvres et des manigances, ni des "poussées" et "coups de coude" de ceux qui ne constituent, au mieux, que l’un de ses groupements, sans compter les diverses Traditions, qui affronteront plus ou moins consciemment la Fin des Temps. De notre côté nous ne cherchons pas à gagner quoi que ce soit, et encore moins une guerre, puisqu’il y a des années que nous avons accepté notre défaite la plus complète devant les inévitables circonstances cycliques.

        L’on pourra comprendre l’étonnement ressenti cependant lorsque l’on entend dire que l’Islam n’est pas seulement une religion, ni signifie uniquement soumission, mais que ce nom indique la pureté essentielle de toute religion ou connaissance, antérieure ou postérieure. C’est-à-dire qu’il rend islamique par décret n’importe quel penseur, de n’importe quelle époque. Ce fait devient parfaitement clair en lisant dans S. H. Nasr (Vida y pensamiento en el Islam, Herder, Barcelone 1985, p.9) que l’Islam n’est pas seulement le Coran et le Hadith, donc l’héritage reçu il y a quatorze siècles, sinon que "L’Islam comporte, en plus de cette essence, son déploiement dans le temps et dans l’espace et tout ce qu’il a absorbé selon son génie propre et a fait sien par son pouvoir de transformation et synthèse." Le choc est d’autant plus fort que, au chapitre IX de cette œuvre, l’on parle d’Hermès et des écrits hermétiques dans l’Islam, et que l’on y commente l’influence exercée sur ce credo par Hermès Trismégiste (le prophète islamique Idris) par l’intermédiaire des hermétistes sabéens (héritiers de Balkis, reine de Saba, en rapport étroit avec Salomon et son temple), certains d’entre eux ayant été islamisés par la suite ou ayant dû cohabiter par la force avec cette religion et loi, comme ce fut le cas de nombreux sages et martyrs parfois revendiqués à posteriori. Il semble en tout cas pour le moins curieux qu’une tradition comme la Tradition Hermétique, qui est demeurée vivante en Occident jusqu’à nos jours, et qui fut connue des islamiques eux-mêmes (Mohamed c.571-631) plusieurs siècles après son avant-dernière irradiation importante, à Alexandrie (nous gardons la dernière pour Florence et son postérieur développement rose-croix et franc-maçon), fasse aujourd’hui partie de la doctrine islamique, ce avec quoi ne peuvent être d’accord ni les hermétistes ni aucune personne sérieuse, sans compter que ceux-ci ne veulent se soumettre à aucune obligation religieuse puisqu’il n’y en a aucune nécessité, selon les impératifs de leur propre Tradition, dont le patron est le dieu Hermès Trismégiste et le Livre est le Corpus Hermeticum.4

        Il demeure que l’intérêt envers les institutions religieuses, voire même pour les "grandes" religions, s’est affaibli5 et c’est précisément ce qu’elles savent et se refusent à accepter, motif pour lequel elles tentent de se rendre plus attirantes (de la façon la plus élémentaire et grossière, à la ressemblance des sectes) afin d’essayer de canaliser les fortes tendances qui existent envers la Connaissance. Car il existe une véritable soif de savoir et un esprit "religieux" –une fureur que connurent les païens– plus en rapport avec la Cosmogonie, le Symbole et la Métaphysique et de nombreuses autres alternatives opposées à toute forme d’orthodoxie religieuse, de dictature intérieure, de menace, censure ou fanatisme, soit tout leur entourage ordinaire, au sein duquel leurs us et coutumes, leurs tabous, phobies et obligations devant être imposés à autrui, ne les rendent bien entendu pas très attirantes aux yeux des habitants de cette fin de cycle. A tout ce qui précède –et qui est rejeté des nouvelles générations– il faut ajouter que cela se trouve être représenté par des individualités aux visées limitées: historiques, idéologiques, sans aucun doute passionnelles, régies par la haine qu’engendre l’envie de ce que l’on n’a pas et que l’on devine qu’on ne le possédera jamais.

        Dans l’Islam, ce qui est nommé loi islamique correspond évidemment à l’exotérisme; ce que l’on appelle ésotérisme –disons-le une bonne fois– est en propre un point de vue religieux, généralement rattaché à la piété-dévotion-sentimentalisme ou même à des doctrines philosophiques, ou plus exactement théologiques, à l’instar du christianisme, quoique celui-ci nie toute possibilité d’ésotérisme et conforme avec sa doctrine la solide orthodoxie d’une force armée, soit une loi religieuse définie par un groupe possédant le contrôle, ou par des mafias possédant une force de pression suffisante pour l’exercer de différentes positions.6

        Dans les deux cas la masse des fidèles, ou la presque totalité de ses affiliés, demeure dans la plus profonde ignorance comme c’est le cas du judaïsme, bien que personne ne puisse nier le rôle éducateur et ordonnateur des religions, les consolations qu’elles apportent, les morales qu’elles propagent, c’est-à-dire les règles de leurs us et coutumes; il faut également préciser qu’elles furent en d’autres temps le siège de sages et de mages, véritables hommes de Connaissance, et paradoxalement comptent encore aujourd’hui de nombreux initiés.

     

    *

        Nombreux sont ceux qui ont essayé et essayent depuis des années d’intervenir de bonne foi au sein même des religions abrahamiques, pour que celles-ci comprennent leurs desseins et origines authentiques, et puissent ainsi remplir les fonctions pour lesquelles elles ont réellement été créées. Au moins depuis l’époque où Guénon publiait son œuvre, les tentatives ont été totalement infructueuses, et en particulier beaucoup d’entre nous ont recherché le dialogue avec prêtres et fidèles catholiques de toute tendance durant plus de deux décennies, avec les résultats les plus aberrants et toujours négatifs. D’autre part, des personnages de responsabilité marquée ont essayé et essayent que les autorités religieuses mondiales comprennent qu’elles se trouvent au bord de la fin des temps, donc qu’elles nous expliquent, malgré leur impuissance, ce qui est réellement en train de se passer, ce qui arrivera et à quoi devons-nous nous attendre; en définitive, qu’elles répondent à présent aux questions éternelles de l’être humain, comme le font leurs livres sacrés et le firent leurs prophètes et sages herméneutiques. Car dans l’essence, à l’origine même des religions, se trouve le message révélé par la voix de leurs envoyés, mais aujourd’hui il est inutile de le rechercher dans le temple "réel", dans celui du quartier ou auprès des autorités ecclésiastiques. Il semblerait que personne ne veuille se rendre compte que, si une pierre est lancée du haut d’une tour sa vitesse augmente de façon géométriquement proportionnelle à la distance parcourue, et c’est ce qui est en train de se passer temporairement de nos jours, alors que nous atteignons le millénaire. L’homme pourra ajouter une nouvelle illusion à un monde qui s’efface (de par la logique des cycles) et peut-être songer dans ce cas à la projection historique et quantitative d’une guerre –sainte ou non– qui mettra dans sa main tous les atouts, et régnera puérilement sur les autres. Pour combien de temps? C’est la question que nous nous posons étant donné la situation cosmique. De plus, cette querelle même nous place spécifiquement en Méditerranée, c’est-à-dire dans une zone géographique réduite qui –si l’on nous passe l’expression– est un cadre plutôt local, presque une bagarre de rues pour ces religions qui prétendent posséder toute Universalité et se limitent à des chicanes à Jérusalem, même s’ils en arrivent peut-être à utiliser des armes atomiques. Et s’il est vrai, comme nous le remarquions, qu’à l’origine elles émanent de la Divinité, le processus cyclique les en a tellement éloignées qu’un futur Homme de Connaissance devra vraiment s’y opposer –même au sein de son propre credo– pour la corruption et le poison moral implicites qu’elles portent, pour avoir renié leurs origines sacrées afin de nous offrir leur version détachée du Principe et liée à des opinions personnelles, parfois basées sur des thèmes traditionnels, mais forgées avec la complicité du groupe et imposées avec la ferveur et le fanatisme de crânes rasés, héros communistes ou "fachos", ou fondamentalistes religieux.7 C’est un symbole que ces extrémismes –et surtout la "spiritualité" qui les motive– se traduisent par le terrorisme, quoique d’idéologies opposées. Seuls les ennemis de Dieu sont capables d’échanger son Éternité contre l’appui prétendu à une guerre régionale ou mondiale, simple escarmouche comparée à elle. Ni arbitraire ni casuel, c’est seulement ce qui découle du niveau où l’on place la déité: si le degré est métaphysique un tel problème n’existe pas; étant religieux, l’adéquation est toujours insuffisante, puisqu’il s’agit d’une déité personnelle, donc individuelle, ou d’un dieu personnalisé, deux formes analogues inhérentes à ce point de vue toujours rattaché à la possession, ou la matérialisation de ce qui est spirituel comme une chose pouvant être acquise, reniant la grâce, à base de génuflexions ou commerce de faveurs et rémunérations avec de soi-disant esprits, dénaturant ainsi l’idée de sacrifice. Dans ce cas, l’on peut arriver à justifier certaines critiques gnostiques envers le judaïsme où l’on assimile Jéhovah, non pas avec la figure de l’Être suprême, mais avec son second, le Démiurge.

        Quant aux collaborateurs de SYMBOLOS, nous dirons que nous sommes entraînés à la concentration, où la coexistence de différents points de vue, même opposés (mais aussi complémentaires dans leurs multiples –et étranges– relations, donc pouvant se conjuguer indéfiniment), n’est jamais le fruit d’une fixation a priori sur une seule voie de l’esprit, sur laquelle se plaque toute la volonté forgée par des raisons prises comme credo, à l’exclusion de toute forme de conciliation des opposés ou d’exercice du libre arbitre, refusant ou compromettant la reddition à l’intelligence, déesse aussi fuyante que réelle. C’est par l’angoisse du doute, par la vérification de notre rien qui est à chaque fois encore moins, donc grâce aux instruments du cabinet alchimique de l’âme, que l’on perçoit la simultanéité des éons et la perpétuelle naissance de la création.

        Pour nous –et pour bien d’autres– la déité ou la conception que nous en avons, ne se forme pas à différents niveaux et n’adopte aucune couleur, religieuse ou non; donc il importe peu quel intérêt quantitatif ou historique, lié à des notions de compétition et de triomphe (un point de vue presque sportif), est soutenu par ces groupes antagoniques et extrêmement limités. Et aussi parce que, même dans le meilleur des cas, si nous devions incarner une entité destinée à vaincre l’Antéchrist à Jérusalem, cela nous laisserait complètement froids vu que cela nous semble mineur, quand bien même cette situation surviendrait-elle de façon symbolique, ou serait déjà évidente.

        Tout ceci est minime, notre déité est à présent, maintenant même, comme elle a toujours été, jamais conditionnée par aucune détermination; hors de la Réalité il n’y a rien. Le signe que nous attendons est non-humain, et ce n’est pas l’intervention d’une religion, malgré que l’on nous dise que celle-ci ou celle-là n’est pas une religion de plus, sinon La Religion, ou bien que l’on nous rappelle que l’humain révèle le non-humain, ou que l’on nous demande de quelle façon ce dernier pourrait-il s’exprimer si ce n’est au travers de l’homme ou du groupe. Une supercherie dangereuse puisque mettant l’accent sur l’aspect le plus lointain de la déité : l’être individuel déplacé, inversé, jouant le rôle de l’Être Universel avec lequel on le confond.

    *

        Qu’attend-on encore, que désire-t-on, quelle pourrait être la récompense, quelle serait la gloire ! Devant quel autre serait-ce quelque chose sinon devant soi, face à face maintenant –et toujours– avec Soi-Même ? Il est difficile en vérité de comprendre quelle serait la "satisfaction" de l’élu, quel sceptre, quelle couronne, quel pouvoir, par rapport à quoi ou à qui ? Et quelle serait la relation de tout ceci avec l’Identité Suprême, avec le Principe indifférent, étranger au schisme sur quel sera le vainqueur de cette guerre sainte ou de l’autre ?

        La Volonté du Ciel ne partage pas les vicissitudes cycliques et le Manu de chaque manvântara fait tourner la Roue de l’Existence Universelle, et précisément sans participer à ce mouvement dont cependant il est involontairement à l’origine. Il n’y a donc pas besoin de s’efforcer, ni rien conquérir sur personne, mais réintégrer la Grande Paix, l’immobilité du Pôle, la totale renonciation de l’Homme Universel tandis que s’accomplissent toutes les prophéties, dont énormément sont étrangères au flux des religions abrahamiques, aujourd’hui franchement décadentes. Il faudrait ajouter à tout ce qui précède l’inaptitude à reconnaître la déité lorsqu’elle se manifeste d’innombrables manières éloignées de la pompe religieuse actuelle (par ailleurs adultérée), tout comme le savaient les peuples "primitifs" et les sages de l’antiquité, à commencer par les taoïstes et tantristes orientaux et les païens occidentaux.

        La religion est pour beaucoup, ou peut-être a été, une forme adaptée du sacré, une forme simplifiée afin d’être comprise par la majorité, qu’elle commande par une loi morale qui devient en définitive un ensemble d’us et coutumes, et ainsi se perpétue dans un groupe considérable suivant les préceptes d’un dirigeant pour le bien de la société. Il suffit d’obéir à l’instar de braves bœufs patients –et castrés– et d’avoir la foi ; cette attitude est préférable à toute tentative de Connaissance, qui pourrait même arriver à mettre en conflit ou tourner en ridicule n’importe quelle autorité religieuse.

        La supériorité de niveau de la métaphysique vient de sa propre nature, c’est-à-dire de son Origine et son Objectif, tout comme la limitation exotérique de la religion, ses dogmes et ses transports, ne peut dépasser un certain degré. Ces deux formes sont apparentées au Sacré, malgré que par les temps qui courent la religion pourrait bien être qualifiée de profane, puisqu’elle refuse la véritable intellectualité, son authentique spiritualité confondue avec les adhésions d’intensité variable –d’une piété incertaine au fanatisme exclusif, descendants directs de l’émotionnel, qui va et qui vient.

        Mais ce n’est pas tout car, comme nous le remarquions, ces deux formes du sacré se trouvent sur des plans distincts, et la méconnaissance de la métaphysique et sa substitution par la religion, qui la supplante, équivaut à une négation. Ce pour quoi l’on peut confondre aujourd’hui –de bonne ou de mauvaise foi– la métaphysique avec le profane, (notez l’inversion) à force de toujours associer la religion et le sacré. Les différents credo abrahamiques tels qu’ils sont exprimés actuellement doivent être plutôt pris comme des entraves aux nombreuses formes de Connaissance, ou Science Sacrée, en accord avec leurs limitations. Surtout en ce qui concerne le plus haut stade, paradoxalement le seul à donner un sens à l’échafaudage religieux, étant donné que sa révélation dénaturée et ses conceptions sont des erreurs nées de l’ignorance de ce qui est intimement sacré –ou métaphysique– et de sa substitution par les valeurs morales, pieuses et sentimentalistes auxquelles nous nous référions qui se réduisent à des questions minuscules, qui se manifestent à leur tour par des comportements étriqués qui, bien qu’allégoriques, ne dépassent pas le niveau des tabous comme celui concernant l’ingestion de viande de porc. En définitive, la religion prise comme l’une des expressions de la métaphysique a perdu sa signification par sa plongée jour après jour dans la corruption, fait inévitable par ses propres caractéristiques dans un monde en train de succomber. Le Messie, Le Christ Intérieur, Le Mahdi, vient pour restaurer la Connaissance, le Règne de la Métaphysique, et non pour promouvoir ni consacrer une aucune religion en particulier dont la description de la réalité n’est pas de nos jours différente de celle de la science profane, et ce traduit en obnubilations sportives plutôt propres de "hooligans". La religion, liée dans le meilleur des cas avec le salut, est l’obéissance à une méthode déterminée pour obtenir la "libération", tandis que la métaphysique est la Liberté même, en lettres majuscules ; ainsi donc, c’est la Libération du concept de "libération". De nos jours, la Connaissance et la Métaphysique ne passent pas par la Religion, qui s’identifie au monde moderne dans tous ses aspects, pour le simple motif, déjà mentionné, que cette dernière n’appartient même plus au domaine sacré, sinon plutôt au social, encore qu’il existe bien sûr quelques exceptions individuelles, presque aussi rares que celles d’initiés solitaires rattachés à nul appareil religieux, bénéficiaires donc de plus amples points de vue et d’une conception plus universelle, souvent liée à la sacralisation de la Nature incarnée entre autres par Éros et Dionysos qui n’ont jamais été oubliés dans les cosmogonies traditionnelles ni par les peuples archaïques. Quoi qu’il en soit nous ne voulons pas terminer cette note sans revenir sur ceux qui se disent traditionnels et qui, de façon contre-initiatique, prétendent parer de caractéristiques suprêmes leur vague religiosité (qu’ils élèvent à la catégorie de vérité transcendante officielle et qu’ils nomment ésotérisme ou même religion perpétuelle), constituant une scandaleuse dénaturation, aussi bien de la Métaphysique que de la Racine de toute religion monothéiste.

        C’est justement en cette fin de cycle qu’il faut exposer toute la vérité, à commencer par la révélation de l’authentique cosmogonie, le modèle de l’Univers, les Secrets connus des sages de tous les temps, et démasquer les desseins de l’imposture "religieuse", ses fausses théologies et ses "saints" maîtres dont les exposés littéraux sont éminemment inspirés du profane et arrivent à l’extrême de renier leurs propres livres sacrés en détournant leurs contenus ou même les utilisent en leur propre bénéfice. Si le moment n’est pas venu de remettre à leur place ces tentatives contre-traditionnelles, apparemment acceptées au sein des religions abrahamiques et par des groupes mystico-ésotériques dont le trait est l’hypocrisie face aux authentiques valeurs morales, jusqu’à quand attendrons-nous ?

        L’initiation est la subtile nourriture des dieux et exige autosacrifice et stoïcisme, tandis que la religion est comme une boisson light, dans le fond un bouillon aussi conventionnel que non-transcendental, en dépit de prendre des formes guerrières, mystiques ou miraculeuses.

        Il est évident que l’initiation est une action à contre-courant déterminée par l’étrangeté de certaines terribles épreuves avec lesquelles se certifie la qualité de l’Amour. La religion actuelle, en revanche, n’est que complaisance envers la bonté d’un système qui se considère valide et l’égotisme satisfait de se distinguer en l’accomplissant. La première se rapporte à la magie et à la grâce, la seconde au travail, au devoir, à la routine et la rigueur de la loi.

        Confondre religion et métaphysique –ou religion et sacré– revient à prendre la santé pour le moral, ou la bienfaisance pour de l’amour. Il se passe la même chose lorsque l’on substitue la loi à la justice, l’érudition à la Connaissance, ou que l’on prend les polyglottes pour la culture, bien que l’on n’aille généralement pas jusqu’à confondre "sainteté" et sagesse.

        Pour terminer nous mentionnerons une nouvelle catégorie : celle du ressac pseudo-ésotérique, les inséparables de ceux que nous avons déjà nommés au point de pouvoir les identifier. Il s’agit encore de fanatiques obsédés par leurs devises en dehors desquelles rien n’a de valeur, ou même pire: est mauvais ou suspect tout ce qui dépasse leurs étroites limites. En réalité ces personnages résiduels ne se sont jamais intéressés à la Connaissance, sinon que leur position est liée au pouvoir et à la politique,8 donc à des commerces douteux. Le paradoxe est que ces individus se dénomment "traditionnels", alors qu’ils sont en réalité "traditionalistes" et que leur domaine est l’action et la violence –l’action et la violence per se– et ignorent tout de ce que sont la cosmogonie et la métaphysique qui leur importent peu, nonobstant leurs tentatives d’utiliser à Guénon lui-même à leurs fins, bien qu’ils ne sachent ni d’où ils viennent, ni qui ils sont, ni où ils vont, et encore moins que le mot tradition tel qu’ils l’emploient n’a rien à voir avec la Tradition à laquelle se réfère le métaphysicien français. Ils sont encore plus loin d’imaginer qu’ils sont dirigés politiquement par des meneurs occultes et concrets, partisans de la confusion et de l’erreur –qu’ils ne peuvent bien entendu pas déceler par eux-mêmes en raison de leur manque de préparation– leur rayon d’action visant les milieux ésotériques au travers de critères religieux voire même comme guerre religieuse. Ces gens n’ont seulement jamais entendu parler de la plus haute forme de Connaissance, et ne pourront donc jamais rêver l’atteindre, et entretiendront leur frénésie dans les aspects les plus positifs et "populaires" de la déité, qu’on leur présente de façon exclusivement affirmative ou même grossière, presque matérielle. Certains d’entre eux adhèrent au catholicisme ou à l’islamisme en rêvant à un Moyen-Âge imaginaire dans lequel ils seraient de nobles chevaliers –en dépit de leurs actions délictueuses– encore que leur adhésion se limite à se signer à l’entrée d’une église, ou à roter clairement après manger, et l’on dit que d’aucuns sont à l’aise dans l’Islam pour rosser les Juifs (qui à leur tour cognent sur les Palestiniens) ou battre ceux qui ne partagent pas leur propre médiocrité. L’origine de cette engeance se trouve dans la massification et la perversion instaurées en Europe et Amérique par des régimes totalitaires s’abritant derrière un vague messianisme et portant pareillement la haine et l’envie ; ou alors, ce qui revient au même, le manque de générosité et charité les pousse au métier de terroriste et à des agissements aussi abjects qu’intéressés, donc tout le contraire de la pureté du geste gracieux. Inutile de souligner que ces disciples de Léo Taxil ne connaissent rien de la Tradition Hermétique qu’ils pourraient découvrir, s’ils s’y intéressaient, comme étant la plus ancienne Tradition subsistant encore et par-là la plus traditionnelle selon leurs critères étroits.

    NOTES

    * Ce texte ne fait pas référence à la religion telle que la définit l’Histoire des Religions, ou lorsque le terme est pris au sens générique (“ce qui est religieux”), sinon aux religions abrahamiques dans leur état actuel, et concrètement à leur ton pieux-moral-dogmatique, sceau du fanatisme promoteur de la dissolution.

    1 En Occident, même les adeptes de traditions orientales les interprètent aussi de façon religieuse.

    2 Dans l’État d’Israël actuellement, les sionistes ont été remplacés par les ultra-orthodoxes, totalement politisés. Nous venons de lire, dans les mémoires de Y. Rabin, se référant à un groupe de fanatiques ultra-nationalistes : "... groupe sauvage, un cancer à l’intérieur de la démocratie israélienne, qui se réclame d’un mandat divin et impose la terreur dans les rues." Il s’agit d’une nouvelle orthodoxie ultra-religieuse de type radical qui a pris à divers degrés chez les jeunes –et pas tant que cela– ou dans d’autres parties du monde, et qui peut même être terroriste et s’identifier à l’assassinat, comme le cas bien connu d’Yitzac Rabin –un homme de paix– ayant trouvé la mort des mains des plus fanatiques. Ce sont les mêmes qui sont les auteurs des crimes commis envers le peuple palestinien.

    3  Certains jetteraient les hauts cris si on leur disait que la religion n’est pas à la mode actuellement. C’est cependant l’Éternité qui est toujours à la mode, tandis que les religions passent.

    4  D’autre part, au sujet de la citation de Nasr sur l’annexion de toute chose à l’Islam, elle peut avoir plusieurs lectures parmi lesquelles celle de l’appropriation des biens privés, c’est-à-dire la confiscation de toutes les possessions et la négation de tous les droits, à commencer par les droits de l’homme. L’on peut y ajouter l’accent mis exclusivement sur des phénomènes d’ordre quantitatif, comme le milliard d’islamiques qu’il y a dans le monde et leur progression invincible –et celle de leur loi (la shariyah)– dans tout l’univers, comme si cela était réellement de nature spirituelle (et ce sont là les arguments décisifs de l’œuvre de Hossein S. Nasr) et non pas exactement marqué du sceau de la quantité, c’est-à-dire d’une fausse spiritualité ou, pour reprendre les mots de Guénon, d’une spiritualité à l’envers.

    5  L’on peut cependant observer parallèlement à ce rejet de la religion, un courant inverse qui s’est fait remarquer ces dernières années, en particulier dans l’islam, mais aussi parmi de jeunes juifs qui reviennent à leurs croyances et cérémonies, spécialement au Talmud, et de nombreux jeunes qui sont attirés par le catholicisme, dans ses variantes fraterno-chrétienne, social-léniniste, opus-déiste, ou fanatisme religieux rattaché à tout autoritarisme fasciste et inquisitorial.

    6  Il semblerait cependant aujourd’hui que ce qui était contrôlé par ces maffias est en train de leur échapper, et que les hiérarchies ne paraissent pas au courant de ce qu’il se passe. Ainsi, dans un journal du 10 juin 1997, l’on apprend que le cardinal J. Ratzinger, l’un des plus proches collaborateurs du Pape, révéla que les églises protestantes ont financé dans les années 60-70 des mouvements subversifs latino-américains. En vérité, cette accusation rétrospective nous semble incroyable aux habitants d’Amérique du Sud, où beaucoup des délinquants ayant pris les armes sont ou ont été prêtres, tout comme les agitateurs qui encouragent les invasions de la propriété privée, le vol et la mise à sac “pacifiques” selon eux, tout ceci sous les auspices de l’Église et le consentement des évêques qui nient hypocritement tout contact avec la Théologie de la Libération. En Amérique du Sud, n’importe qui peut le constater et cela paraît quotidiennement dans les journaux. D’autre part, il n’y a pas de village, pour éloigné qu’il soit, qui ne subisse le samedi durant toute la nuit, les lamentations assourdissantes des prières protestantes et des chants dissonants au maximum de volume, afin que les voisins soient forcés de les entendre et ne puissent dormir, pour des motifs confessionnels, de pouvoir, et d’agression à la communauté tout entière. Ces nuits représentent de véritables tortures pour le voisinage, surtout lorsque les catholiques ripostent avec la même méthode. Dans le journal d’aujourd’hui aussi, l’on informe que le patriarche orthodoxe Alexis II ne se réunira pas avec le pape. Motif: la prétendue influence souhaitée par le catholicisme dans les pays de l’ex-U.R.S.S. Pendant ce temps, la Tchétchénie a imposé la shariyah, ou loi islamique, dans laquelle comme on le sait, la femme est mutilée dans sa plus intime essence de fille de Dieu et le voleur se voit couper la main.

    7  “Les ‘ennemis’ de l’Islam devraient être égorgés sans merci, ‘depuis le nouveau-né jusqu’au vieux au bord du tombeau’, déclare un chef du Groupe Islamique Armé (G.I.A.) dans le bulletin clandestin de l’organisation diffusé en Europe, en justifiant les tueries en Algérie”. “Nous ne faisons ici qu’appliquer les préceptes de Dieu et son prophète”. “Lorsque vous entendez parler d’assassinats et de gens égorgés dans une ville ou un village, sachez qu’il s’agit de partisans du pouvoir ou que l’on exécute les ordres (des chefs du G.I.A.) de faire le bien et combattre le mal” (de la section internationale du journal ABC, Madrid, début octobre 1997, à partir d’un interview intitulé “Notre position” publié dans le numéro 13, de juin 1997, de “Al Yamaa”, qui “se présente comme ‘l’organe officiel du G.I.A. en Occident’.”).

    8  Qu’ils nomment cyniquement méta-politique.

     

    CHAPITRE II

    ÉSOTÉRISME ET FIN DE CYCLE

     

        Un fait courant chez les lecteurs de René Guénon est que, sous l’influence directe de la vérité et la beauté de ses textes, ils désirent à un moment donné rendre effectif tout ce qui est en train de se produire en eux et, à l’exemple de leur guide intellectuel, qui leur dit que lui-même n’est pas un maître et qu’il y a besoin d’un lien avec une tradition, qu’ils veuillent formaliser ce qui est encore virtuel dans le long cheminement vers la Connaissance. Il est reconnu que le métaphysicien français désigne les grandes Traditions de l’humanité –y compris les trois religions monothéistes– comme de possibles vecteurs de la réalisation intellectuelle. De fait, cette possibilité conduit des personnes mal informées à croire que ces voies religieuses sont les seules disponibles pour l’accès et postérieure incarnation de la Sagesse; la cause en est l’amalgame vulgaire entre religieux et sacré et la confusion –pour qui entame un chemin aussi nouveau que surprenant– entre religion et métaphysique. C’est-à-dire entre ésotérisme et exotérisme, équivoque diffusée par plus d’un semeur de désordre par ignorance ou mauvaise foi, toutes deux nuancées d’un certain fanatisme propre à cette fin de cycle.

     

        Quoi qu’il en soit, comme nous le savons bien et avons déjà mentionné, la confession officielle catholique renie tout type d’ésotérisme ; d’autre part, il n’existe dans aucune autre religion que l’Islam une aussi grande différence entre exotérisme et ésotérisme.9Quant au judaïsme actuel, ce qu’il entend par Kabbale –qui signifie Tradition comme nous le savons– est en gros un ensemble d’us et coutumes cérémoniels, marqués par les préjugés et l’intolérance, attributs que partagent les deux autres confessions déjà citées. Il ne faut bien entendu pas oublier la valeur et le bien qu’ont apportés à l’ensemble de l’humanité ces religions civilisatrices, particulièrement dans le passé.

     

        De nos jours cependant elles constituent presque une entrave à toute initiation, ce qui ne veut pas dire qu’il ne s’agisse pas d’authentiques révélations et que leur message le plus pur, concrètement leurs livres sacrés où se trouve l’héritage premier de leurs envoyés, ne constitue pas un guide, au moyen de la Parole, sacrée et symbolique, expression d’un Logos Archétypique et donc support de la Connaissance. Mais, fruit de l’ignorance et signe des temps, le fait est que le rite et l’enseignement ont dû être "arrangés" par l’appareil théologique ou légal et par les mauvaises intentions de soi-disant prêtres et prétendues autorités qui ont dénaturé à leur gré l’essence de ces théophanies. Malgré cela, l’on peut encore y découvrir une voie de réalisation spirituelle, à la condition qu’elle puisse s’accomplir en accord avec les principes énoncés ici, avec une vocation transparente, libre de toute intention ou manipulation intéressées ; comme c’est le cas de ces livres de sagesse qui constituent la Bible, en particulier ceux de Moïse pour les juifs et les chrétiens et surtout les Évangiles pour ces derniers. D’autre part les islamiques possèdent le Coran et d’autres textes sacrés complémentaires, tout comme les deux autres monothéismes. Il est clair en tout cas que toute la Connaissance se trouve là, pour qui pourrait la dévoiler, et cette source vive existe pour ceux qui pourraient l’incarner, et ce serait erroné, voire monstrueux de nier cette évidence. Quant aux rites et cérémonies exotériques, ils peuvent parfois nous accompagner avec profit dans notre voyage vers l’Unité Centrale et nous signalerons comme méthode le travail avec l’Arbre Séphirotique de Vie de la Kabbale hébraïque, mais celui-ci n’est pratiquement pas connu dans l’exotérisme juif ; or, il serait tout aussi erroné de penser que la Connaissance serait exclusivement patrimoine des religions abrahamiques, et encore davantage par les temps qui courent, inévitablement marqués par la chute et la corruption de toutes les institutions.10

     

        Ceci dit, il s’agit de respecter plusieurs autres alternatives ou voies d’accès au Centre où l’on sait que se conjuguent les contraires et d’où la Volonté du Ciel se répand aux quatre coins de la planète, embrassant dans leur totalité tous les êtres humains se trouvant disposés à s’éveiller conduits par un appel de cette nature. Dans ce cas, il faut compter non seulement les traditions d’Orient ou d’Extrême-Orient, encore vivantes de nos jours, mais aussi de nombreuses autres, certaines d’entre elles archaïques qui, étant donné le moment cyclique crucial que nous devons vivre, ressurgissent avec toute leur puissance vitale.11

     

        De toute manière, pour les habitants des villes d’Occident, rares sont les chemins initiatiques ouverts à la réalisation qui soient en accord avec les possibilités qui nous sont données par les limitations du milieu où nous devons vivre. L’on sait que le processus de la Connaissance est un sentier inversé par rapport à la vision du monde que nous octroient nos sens et se décrit comme une ascension de l’âme allant dans un premier temps de la multiplicité vers l’Unité, et dans un second de l’Être au Non-Être, ou Suprême Identité (En Soph de la Kabbale) ; ce qui fait que se retourne la conception ordinaire, puisque ce qui n’Est Pas est l’origine aussi de l’Être Universel, dès lors que celui-ci est une affirmation du précédent. Sans aucun doute, le monde actuel ignore et nie cette possibilité qu’est la Métaphysique et n’accepte que la Religion dans le meilleur des cas, et il va de soi que ces deux modalités ne sont pas incompatibles, sauf si l’exotérisme coupe ses attaches avec "les racines des plantes", ce qui malheureusement se passe si souvent dans la culture européenne comme dans l’américaine et sa zone d’influence qui s’étend de nos jours dans le monde entier. Pour l’Occident, René Guénon a signalé tout spécialement deux institutions où l’on pourrait trouver des vestiges pour faciliter cette Initiation à la Connaissance : la Franc-Maçonnerie, qui est comme nous le savons une association ésotérique qui, malgré la dégradation des institutions contemporaines, conserve encore vivante l’Initiation dans certaines Loges, et –à contrecœur– l’Église Catholique –comme emblème du christianisme en général–, bien que cette dernière ait souffert de grandes modifications depuis la mort de Guénon, en particulier dans sa liturgie, malgré que l’on puisse encore y déceler quelques noyaux ésotériques, spécialement dans les ordres monastiques bénédictins et cisterciens (pas uniquement, en fait) ; ceci doit s’étendre aux églises orthodoxes grecque et russe tout comme à d’autres ramifications du christianisme ; il ne faudrait pas non plus oublier certains kabbalistes, encore que ceci ne soit pas valable pour la grande majorité des rabbins, à l’instar de ce qui se passe avec les prélats chrétiens. La pauvreté des religions, en général, est actuellement évidente, et ici doit se joindre l’exotérisme islamique, soit la troisième branche des traditions du Livre, qui de la même manière nient dans leur doctrine, ou en pratique, toute possibilité d’initiation. C’est là un triste panorama offert à l’homme et la femme moyens dans l’aire d’influence de la culture Occidentale, sauf s’ils adhèrent à quelque Tradition de l’Orient, comme l’Hindouisme, le Bouddhisme, le Zen, le Taoïsme, ou même celle d’une rarissime Tarîqah authentique.

     

        Étant donné que –soit pour la difficulté de connexion avec ces vrais centres traditionnels, soit pour l’impossibilité de s’attacher effectivement à des cultures, us et coutumes parfois diamétralement opposés aux siennes– cette sombre situation est la réalité présente, il convient de se demander quelles sont les autres possibilités qu’a l’homme actuel de trouver sa véritable identité et de rendre effective sa réalisation intellectuelle-spirituelle par les temps qui courent.

     

        Dans ces circonstances et au vu des écueils qui les jalonnent –qui pourraient bien être pris pour les premières épreuves de l’apprenti– il n’est pas surprenant qu’il se produise aujourd’hui des initiations solitaires, c’est-à-dire sans l’appui d’un maître vivant, même dans des traditions archaïques ou apparemment mortes, et l’on doit tenir compte que ces cas, rares jadis, doivent être de plus en plus fréquents par l’impossibilité de pouvoir s’unir à ceux qui seraient capables de nous guider dans notre cheminement, ou celle d’avoir accès à des groupes ésotériques traditionnels comme certaines loges maçonniques.

     

        Dans un article paru dans la revue Vers la Tradition et remanié pour le numéro 9-10 de SYMBOLOS, Roland Goffin expose dans ce sens la possibilité de l’initiation individuelle dans le monde actuel (pour sa propre irrégularité) en écrivant : « L’importance reconnue par René Guénon à la connaissance ‘théorique’ des principes métaphysiques et cela en dehors de tout rattachement initiatique, semble trop souvent être perdue de vue par bon nombre de guénoniens ». D’autre part, Guénon a aussi traité dans ses études le sujet des afrâd : « Une autre question, qui se rapporte aussi au rattachement initiatique, a encore été soulevée en ces derniers temps ; il faut d’ailleurs dire tout d’abord, pour qu’on en comprenne exactement la portée, qu’elle concerne plus particulièrement les cas où l’initiation est obtenue en dehors des moyens ordinaires et normaux. Il doit être bien entendu, avant tout, que de tels cas ne sont jamais qu’exceptionnels, et qu’ils ne se produisent que quand certaines circonstances rendent la transmission normale impossible, puisque leur raison d’être est précisément de suppléer dans une certaine mesure à cette transmission. Nous disons seulement dans une certaine mesure, parce que, d’une part, une telle chose ne peut se produire que pour des individualités possédant des qualifications qui dépassent beaucoup l’ordinaire et ayant des aspirations assez fortes pour attirer en quelque sorte à elles l’influence spirituelle qu’ils ne peuvent rechercher par leurs propres moyens, et aussi parce que, d’autre part, même pour de telles individualités, il est encore plus rare, l’aide fournie par le contact constant avec une organisation traditionnelle faisant défaut, que les résultats obtenus comme conséquence de cette initiation n’aient pas un caractère plus ou moins fragmentaire et incomplet. »12

     

        Néanmoins, ce n’est pas la peine d’aller si loin et de chercher des cas spéciaux, puisque Guénon lui-même reconnaît la validité de la Tradition Hermétique.

     

        En effet, à diverses occasions au cours de son œuvre et dans sa correspondance, le métaphysicien français traite de la Tradition Hermétique comme d’une Initiation liée aux Petits Mystères, c’est-à-dire à la restitution de l’être adamique : donc la naissance du véritable état humain.

     

        Il n’explique cependant pas de quelle manière peut s’obtenir cette initiation, placée sous l’invocation du dieu Hermès (Hermès Trismégiste), à laquelle se rattache cette transmission qui n’inclut aucun rite autre que le sentier de la Connaissance, l’étude, la méditation et la transmutation qui s’effectuent par cette voie –appelée en Inde Jnânî-Yoga–, où se produit l’illumination en vertu de l’identité entre sujet et objet de la connaissance. Quoi qu’il en soit ce fait n’est absolument pas surprenant, car il ne mentionne pas non plus dans ses écrits ne serait-ce qu’une insinuation au sujet d’une autre "méthode" ou obtention de "résultats" dans le parcours initiatique, à part désigner comme vecteurs le symbole ou des pratiques universellement reconnues, comme peuvent l’être la respiration, le chant et la danse, la prière, le silence et la solitude, etc.

     

        Nous sommes chrétiens, spécifiquement catholiques, nous avons été baptisés et confirmés ; nous connaissons les sacrements de la confession et la communion et même l’un d’entre nous a eu la vocation religieuse. Nous avons également baptisé nos enfants –parfois d’une façon personnelle– et nous ne leur avons pas refusé l’instruction de caractère religieux. Mais en fait nous ne pouvons nous identifier ni avec la Théologie officielle, ni avec l’Église de Rome, et encore moins avec l’ignorance, l’hypocrisie, la corruption voire la délinquance du clergé de nos jours. D’un autre côté, le milieu dans lequel nous sommes nés, la culture qui nous a nourris, sont chrétiens et par-là contenant un arrière-fond juif et païen, bien que vus sous l’angle de la programmation et le conditionnement historique octroyés gracieusement par l’Église romaine, nuancés de nationalisme, intolérance et dictature, exercés dans ce siècle même dans les pays de langue castillane. L’on peut observer comment nous avons dû nous dépouiller peu à peu de nos entraves et tabous, beaucoup sur le plan religieux et moral, ce qu’a dû faire l’Église elle-même, pour ses besoins et ceux des fidèles qui sont malgré cela un peu moins nombreux chaque jour. Dans ce siècle-ci, le catholicisme a en fait totalement modifié les rites, la théologie, la conduite et la piété de ses ouailles et de leurs pasteurs. En honneur à la vérité, il nous faut répéter que, pour des raisons de rythme touchant la fin de cycle, toutes les institutions sont également corrompues. En dépit de quoi nous, rédacteurs de SYMBOLOS, sommes demeurés totalement fidèles aux enseignements évangéliques, ainsi qu’à ceux de l’Ancien Testament. A la doctrine de l’Église aussi, si elle ne s’écarte pas de la pensée traditionnelle, énoncée en Grèce par Pythagore et Platon, postérieurement exprimée par les néoplatoniciens et les gnostiques (chrétiens ou pas), le Corpus Hermeticum, ou encore Proclus, et manifestée plus tard par Denys l’Aréopagite, cristallisant ainsi les structures du Moyen-Âge, et ce qui en suivit (Scot Erigène, l’école de Chartres, les Saint-Victor, Albert le Grand, aussi plusieurs aspects de l’aristotélicien Thomas d’Aquin, Eckhart, Suso, et encore tant d’autres) jusqu’à la Renaissance: Gémiste Pléthon, le Cardinal Bessarion, Marsile Ficin, Pic de la Mirandole, Nicolas de Cuse, Guillaume Postel, etc., etc. et leurs prolongations jusque dans le monde moderne. Telle est la doctrine qui nous intéresse car elle est identique à la base métaphysique de l’authentique christianisme originel. Et nous devons reconnaître que cette conception nous est parvenue au travers de l’Occident, et donc de la chrétienté, et bien sûr de son mode de vie et ses us et coutumes, qui sont les nôtres, pour une grande part, nous le répétons, d’origines juives et païennes.

     

        Nous devons y ajouter que la Bible est jusqu’à présent le Livre Sacré de notre Loge –ouverte au commencement de l’Évangile selon saint Jean–, en dépit de l’excommunication dont nous a frappé l’Église Catholique, ce qui nous importe guère, vu le parcours pour le moins accidenté de cette institution, au long des cycles de son existence, donc de la civilisation occidentale, et l’état de corruption dans lequel elle se trouve à ce jour.

     

        Mais si la proximité de la Fin de Cycle s’observe particulièrement au sein des religions et dans les groupes ésotériques, elle se constate aussi dans d’authentiques organisations ésotériques, comme la Franc-Maçonnerie ; il nous faut cependant remarquer que le fait est des plus flagrants chez les "adeptes" de Guénon, et plus spécialement chez trois de ses "héritiers" : F. Schuon, M. Pallis et J. Reyor. A ces derniers se joignent les "traditionalistes guénonniens de stricte observance" qui sont pour la plupart plus royalistes que le roi, et sont tenus par une sorte de rigueur qu’ils associent à la vision religieuse, la morale, la politique inquisitoriale et une présomption inversement proportionnelle à leur Connaissance. Et la logique veut qu’il en soit ainsi ; de quelle meilleure façon la contre-tradition pourrait-elle remplir sa fonction qu’en dénaturant la pensée et l’œuvre du plus grand interprète de la Science Sacrée de ce siècle ? Guénon a entamé le combat contre les imposteurs et cela n’a pas cessé de dégénérer depuis ; où pourrait-on mieux le remarquer si ce n’est précisément dans les milieux soi-disant en relation avec cette Science Sacrée ?

     

    NOTES

    9  René Guénon écrit dans ses Aperçus sur l’ésotérisme islamique et le taoïsme : “L’ésotérisme islamique” : « De toutes les doctrines traditionnelles, la doctrine islamique est peut-être celle où est marquée le plus nettement la distinction de deux parties complémentaires l’une de l’autre, que l’on peut désigner comme l’exotérisme et l’ésotérisme. » Le texte original fut publié dans Cahiers du Sud, 1947, p.153-154, et il est intéressant de noter qu’il fut écrit après plus de vingt ans passés au Caire, sans compter le précédent séjour de Guénon en Algérie.

    10  La vision religieuse n’arrive que jusqu’à la ligne d’horizon, incapable d’aller plus loin ou de pouvoir embrasser quelque chose de différent.

    11  Nous ne nous référons pas seulement, en Orient, à l’hindouisme ou au bouddhisme, mais aussi à leurs innombrables variantes (zen, djaïnisme, etc.). En tout état de cause, les “églises dispersées” du monde entier peuvent littéralement comptabiliser des millions de fidèles.

    12  Initiation et réalisation spirituelle. Ed. Traditionnelles, Paris 1986, p.55. Et il continue plus loin disant : « Un autre point très important est celui-ci : même en pareil cas, il s’agit bien du rattachement à une ‘chaîne’ initiatique et de la transmission d’une influence spirituelle, quelles que soient d’ailleurs les moyens et les modalités, qui peuvent sans doute différer grandement de ce qu’ils sont dans les cas normaux et impliquer, par exemple, une action s’exerçant en dehors des conditions normales de temps et de lieu ; mais, de toute façon, il y a nécessairement là un contact réel, ce qui n’a assurément rien de commun avec des ‘visions’ ou des rêveries qui ne relèvent guère que de l’imagination. » (cf. p.56-57). Et il ajoute, dans les pages 271-272 : « Nous dirons, au point de vue du taçawwuf islamique, que ce dont il s’agit relève de la voie des Afrâd, dont le maître est Seyidna El Khidr, et qui est en dehors de ce qu’on pourrait appeler la juridiction du ‘Pôle’ (El-Qutb), qui comprend seulement les voies régulières et habituelles de l’initiation. On ne saurait trop insister d’ailleurs sur le fait que ce ne sont là que de cas très exceptionnels, ainsi qu’il est déclaré expressément dans le texte que nous venons de citer, et qu’ils ne se produisent que dans de circonstances rendant la transmission normale impossible, par exemple en l’absence de toute organisation initiatique régulièrement constituée. Sur ce sujet, cf. aussi Orient et Occident, p. 230-231. »

     

     

    CHAPITRE III

    QU’EST-CE QUE LA TRADITION ?

     

        Tout comme l’on peut dire que l’existence du désordre est nécessaire pour que se crée un ordre, un cadre, l’on pourrait affirmer que l’instauration de ces limites est ce qui peut nous conduire à la pensée de l’illimité.

     

        La société contemporaine est donc le cadre, la limitation, où peuvent se voir des événements d’un autre ordre qui ont existé et existeront à jamais.

     

        L’homme contemporain a cru que grâce au simple expédient qui consiste à fermer les yeux et nier ce qui a été unanimement appelé Connaissance et Réalité, par toutes les civilisations traditionnelles et par tous les sages dignes d’être considérés comme tels, la Connaissance et la Réalité n’existent pas.

     

        C’est là exactement ce qui est arrivé avec l’Esprit qui, puisqu’on le nie, est estimé insignifiant et ainsi se réduit pratiquement à rien ; cependant, du point de vue hermétique, le moindre est le plus puissant.

     

        L’Esprit, tout juste virtuel dans chaque homme, est la plus forte énergie et l’unique qui aie réellement le pouvoir de transmuter.

     

        C’est vers cette transmutation que se dirige tout le travail hermétique et cette œuvre ne peut se réaliser si ce n’est dans le milieu où nous sommes placés, avec la "matière" que nous avons entre les mains.

     

        Comme l’on sait, cette "transformation de la matière" n’est rien d’autre que notre propre transformation, dans le milieu où nous avons été appelés à vivre et duquel nous ne sommes pas indépendants, qui englobe aussi bien l’Europe que l’Amérique, car dans chaque segment du cycle existe la possibilité latente de la libération.

     

        C’est en voyant ce que nous sommes vraiment, et non en supposant ou imaginant ce que nous voudrions être, que nous allons pouvoir réaliser notre tâche.

     

        Ce milieu est aussi dans ce sens un reflet de nous-mêmes dans lequel nous pouvons voir sans cesse notre propre image ; nous ne sommes pas étrangers à lui sinon, au contraire, semblables puisque la vie étant un ensemble de relations en mouvement, nous sommes étroitement liés à la société actuelle, vu que nous sommes nés en son sein, ce par quoi notre relation est mutuelle, tout comme ce qu’il se passe entre le microcosme et le macrocosme.

     

        La différence établie par le fait que notre vie individuelle se soit produite dans la matrice, dans le moule de la société contemporaine n’est pas essentielle, mais juste secondaire, entre nous et un homme né sous le signe de n’importe quelle autre société, soit dans un milieu différent, et à une autre époque, sous d’autres étoiles.

     

        Le cosmos tout entier est un ensemble immense de relations harmoniques en mouvement et la terre constitue une part de cet ensemble. Il est reconnu que l’harmonie s’obtient au travers de la dysharmonie, puisque ce premier concept ne pourrait exister sans le second. Ainsi donc les apparentes dysharmonies partielles ne sont que l’expression dans un monde, un plan ou un ordre, de ce qu’est l’harmonie de l’ensemble.

     

        De même l’histoire des civilisations et les différentes étapes qu’elles ont traversées sont également le reflet de ce qu’il leur est inhérent ; il est important de faire ressortir dans ce sens que l’homme actuel se visualise comme historique. Il ne peut en fait imaginer son existence sans l’histoire : les détails anecdotiques de sa personnalité se prolongeant sur le ruban de la succession temporelle constituent ce qu’il appelle son être, ce avec quoi il s’identifie. Il ressent la même chose au sujet du corps social qu’il doit doter d’une histoire, ou d’un credo, pour qu’il soit "effectif", "réel".

     

        En revanche, pour les civilisations traditionnelles ou les cultures archaïques, c’est-à-dire pour celles qui vivaient la Connaissance et qui nous l’ont léguée comme l’expression suprême de leur propre essence, –par-dessus toute chose ou détails– l’histoire était secondaire.

     

        A vivre l’Éternel Présent, les deux faces de la succession –passé et futur– s’annulaient totalement. Sans l’illusoire anxiété de venir de quelque part et d’aller autre part, ces cultures étaient, tout simplement; elles réalisaient en soi ce pour quoi elles avaient été conçues, leur modèle social répondant ainsi à leur structure interne, en intime relation avec le cosmos. Chacun des individus formant part de cet ordre, étaient aussi inclus dans l’inspiration même de cet ordre, sa raison d’être. Ainsi le schéma social n’était ni arbitraire ni fortuit, et l’appareil culturel, leur Tradition, n’était pas une simple somme de conventions quelconques. Mais ceux-ci symbolisaient d’autres réalités qui se manifestaient par leur intermédiaire afin d’établir un encadrement adéquat pour expérimenter différents niveaux de connaissance et pour concrétiser diverses manières d’existence ; pour cette raison l’on déclare que les origines de toute culture sont sacrées. Il est inutile de souligner que cette phrase ne se réfère en rien à la conception du sacré que possède en général l’homme contemporain. Ce dernier n’est pas pour autant entièrement responsable, ni coupable, de ses propres conceptions. Héritier d’une Tradition dégénérée, habitant d’une ville profane qui a perdu toute la mémoire des choses, devant s’identifier à elle pour pouvoir subsister, il est inévitable qu’il porte au front le sceau de l’ignorance –et donc de la souffrance. Et il est intéressant de remarquer que celui qui porte cette marque indélébile, par laquelle il est constamment et en toute occasion conditionné, n’est autre que chacun de nous, s’exprimant en termes de conception de type historique –et même géographique.

     

        Nous apprenons à manger, à marcher, à parler. Nous apprenons à symboliser et à avoir de la mémoire. Et cependant nous oublions que, chez l’homme ordinaire, absolument tout est appris. Nous tenons toutes ces choses pour naturelles. Et, comme tout le monde fait de même, d’un côté nous assistons au spectacle de la plus inconcevable confusion de langues et d’incommunicabilité ; de l’autre à l’explosion de la violence sous toutes ses formes et manifestations, dérivant directement de ces préjugés, de ces valorisations que nous jugeons opportunes ou inopportunes, de l’accord de personnes, d’idées, de choses que nous acceptons sans discussion, nous identifiant à elles pour ainsi les faire "nôtres".

     

        Il n’est donc pas étonnant que, dans une société comme celle qui nous est échue, les concepts soit clairement dénaturés au point de sembler inversés par rapport à une civilisation authentique ou à une culture "primitive", ce qui revient à dire par rapport à la Connaissance et la Sagesse. Les images liées au sacré qui s’associent inévitablement à la religion ne pouvaient subir d’autre destin. Cette puérile conception est apparentée à quiconque s’arroge la possession d’une déité ou d’une autre. La Vérité est une, et c’est seulement dans ses strates les plus basses qu’elle se divise pour donner place dans notre ordre au fait de la multiplicité institutionnelle. Comme il est évident, la Vérité n’a en soi rien à voir avec aucune institution,

     

        D’un autre côté, les différentes églises, pseudo-églises et sectes d’aujourd’hui –qui seront de plus en plus nombreuses, comme on peut le voir– n’ont pas de point de vue, de vision différente de la société où elles sont insérées (beaucoup d’entre elles en sont le produit), et modifient plutôt leur optique –qui avait à l’origine un environnement sacré– afin de survivre dans le milieu actuel. C’en est arrivé à de tels extrêmes qu’il est difficile de les distinguer de certaines fraternités ou associations de secours mutuels d’une part, de sociétés commerciales se partageant l’utilité de plusieurs bilans d’autre part, et dernièrement, de simples bandes de brigands.

     

        L’institution visible porte en elle le germe de sa propre décadence et de l’humanité à laquelle elle appartient. Quand les temples et les cultures sont achevés de construire, de se solidifier, à cet instant commence leur lente dégradation. Telle est la loi du cycle ; lorsque s’est enfin pu constituer la culture ou la cité, –créée par ses constructeurs– lorsque finalement l’immense effort de quelques-uns a donné lieu à une codification, à un ordre, approprié à la manifestation de la vie humaine, cet ordre commence à décliner. Son époque la plus brillante correspond à l’apogée de son fonctionnement. Mais ce "fonctionnement" même est la cause de sa "chute". L’organisation vivante se convertit en un modèle mécanique. Avec le temps, les hommes éloignés de leurs origines prendront littéralement le modèle mécanique pour la "réalité". Ou, pour s’exprimer autrement, ils confondront leurs propres conceptions culturelles avec la vie même. Le fait est particulièrement douloureux lorsque ces conceptions ont vu leur vérité s’amoindrir en vertu de l’usure inhérente à tout cycle.

     

        C’est dans ce sens que l’on dit que, dans le cycle solaire, le soleil est lui-même le protagoniste et la victime de son rituel symbolique quotidien. En effet, enfermé dans sa propre prison, il ne peut outrepasser les limites de l’aurore, midi, crépuscule et minuit, soit de sa "chute". Il ne peut non plus transcender celles que lui imposent solstices et équinoxes. Au cours de cette danse rituelle, parvenu à l’été et à midi dans son ascension, il ne peut que descendre vers l’automne et le crépuscule.

     

        Si nous tenons compte du fait que le cycle solaire se lève à l’Orient et se couche à l’Occident, et que ce point cardinal correspond à l’automne, symbole de l’affaiblissement que vit la nature en cette période, et au crépuscule, ce moment du cycle quotidien où la nuit tombe et se génèrent les ombres qui rendent la vision plus difficile, nous pouvons en déduire quelques choses intéressantes.

     

        Et non seulement celles qui sont en rapport avec l’actuel milieu social, qui se définit lui-même comme occidental, mais aussi avec le fait que ce cycle même que nous vivons est précédé d’un autre –dans lequel la société et l’être humain individualisé peuvent avoir été différents– et qu’un autre doit le suivre, c’est-à-dire une autre humanité ; nous ignorons pratiquement tout de l’un comme de l’autre.

     

        Mais ce que nous ne pouvons nous permettre, c’est de ne rien savoir au sujet des circonstances qui nous sont données de vivre. Nous devons les connaître parce qu’elles sont les formes, les symboles, les manifestations de la vie dont elles sont parties intégrantes. Si nous ne connaissons pas notre milieu et n’en sommes pas les participants à un degré plus ou moins grand, nous ne pourrons en sortir. Et alors il ne nous restera qu’à tenter une fuite imaginaire, ce que par ailleurs nous avons coutume de faire chaque jour. Au contraire, la première tâche de l’aspirant à la Connaissance est d’affronter le monde qui lui est échu. C’est-à-dire le voir et l’entendre, bien que nous soyons dans la phase finale du Kali-Yuga.

     

        Afin de pouvoir atteindre cet objectif, il est paradoxalement nécessaire de nous écarter du monde, car étant mêlés à son avenir et en ayant extrait toutes les valeurs constituant notre être, il nous faut nous arrêter et l’observer sans passion.

     

        C’est bien évidemment un travail très ardu, puisque notre propre programmation –avec laquelle il ne nous viendrait jamais à l’idée de cesser de nous identifier–, n’est rien d’autre qu’un sentiment adopté et caressé par le milieu même que nous essayons d’observer. En effet, en nous disant que nos conceptions sont extraites de l’environnement, l’on ne nous dit pas que le fait ne concerne que l’intellect, sinon la totalité de l’être humain ; les croyances les plus chères, les convictions les plus enracinées, les sentiments les plus purs, soit l’identité de l’homme ordinaire, qui est une alternative de ce que lui offre le système socio-culturel en vigueur dans un temps cyclique et cosmique déterminé. Ses différents rôles seront joués en fonction de cela.

     

        Il va de soi, donc, que ce que nous entendons par Culture ne sont pas les "arts" et les "lettres" régnant dans une période donnée, ni ce que nous concevons par Tradition est représenté par les us et coutumes d’un temps historique. Ce n’est pas même le catalogage des détails de ces différents peuples. Une Culture est la conception intériorisée d’une façon d’être cohérente, qu’expérimentent tous ceux qui s’y intègrent. C’est un organisme vivant qui, pour se manifester, a pris une structure déterminée le rendant apte à l’interaction de ses différents composants, dont les canaux communiquent dans le but de satisfaire toutes leurs nécessités.

     

        Cette forme particulière de voir l’organisation, culturelle ou sociale, prend un intérêt spécial dès que l’on songe que toutes les cités ou civilisations ont, comme nous l’avons déjà souligné, une Origine Mythique, ce qui revient à dire sacrée. Dans un milieu de cette nature, la Tradition en soi n’est que l’image du Monde Archétypal, Intemporel qui s’exprime cycliquement sur le ruban du temps.

     

        Et l’attention est fortement attirée par le fait que tous les instruments culturels où s’exprime sa fonction civilisatrice, c’est-à-dire l’Œuvre de ses dieux, demi-dieux, sages ou héros, sont attribués unanimement à des révélations supra-cosmiques, donc surhumaines.

     

        Il n’est pas non plus correct de supposer qu’existent plusieurs cosmos. Le cosmos est un seul, comme se charge de fort bien de l’expliquer Platon dans Timeo. La succession de mondes ou de cycles de taille ou de durée indéfinies est le sens conceptuel donné au mot Cosmos. Le cycle de l’électron vivant, le cycle atomique inséré dans le cycle moléculaire, le moléculaire naviguant dans le cellulaire, le cellulaire présent dans le cycle humain, l’humain se déplaçant dans le cycle de la nature, le cycle de la nature coexistant avec celui de la Terre, celui de la Terre dépendant totalement du cycle solaire, le cycle solaire circonscrit à l’ordre de son centre galactique, le centre de la galaxie déterminé par un autre centre galactique, et ainsi successivement, indéfiniment, est constitué le concept de Cosmos. Rien n’est possible au-dehors, puisqu’il ne peut rien exister d’extérieur au Cosmos. Est exclue toute possibilité, de n’importe quel type, puisque le Cosmos est un et l’idée d’une pluralité de Cosmos ou de différentes métaphysiques, est une pure contradiction envers ce que signifient les concepts de Cosmos et de Science Sacrée.

     

        Le Cosmos n’est pas la somme de ses parties, tout comme la Tradition n’est pas l’ensemble de coutumes, morales et orthodoxies d’un temps donné, puisque leur Origine est au-delà de toute époque ou détermination.

     

        Ainsi donc, lorsque l’on nous dit que quelque chose est supra-cosmique, ou constitue la Tradition, nous devons comprendre que l’on traite d’un concept qui se trouve au-delà de la compréhension ordinaire de l’homme. De quelque chose d’invisible que ne peuvent appréhender les sens de l’homme moyen. De quelque chose qui est cependant si authentique et si réel que l’on peut dire qu’il s’agit de la vie même.

     

        Ce niveau de perception (pour lui donner un nom) est intimement lié à la connaissance directe d’autres modalités du temps et de l’espace commun. Car cet homme se trouve emprisonné entre les murs de son propre cosmos. C’est-à-dire de tout ce qu’il a été capable de concevoir, puisqu’il n’y a rien hors du cosmos de notre conscience. Ces conceptions se transmettent dans l’organisme humain –aller et retour– au travers des conduits du système nerveux, analogues à ceux qui révèlent la civilisation, les rues, voies de communication d’une ville.

     

        Il est facile de comprendre que cette dernière n’est pas la somme de ses habitants, des briques formant maisons, non plus que de quelque accident géographique ou particulier, bien que tout ceci en soit partie intégrante.

     

        Mais que la Culture transmise par la Tradition –il n’y a pas de Tradition sans Culture ni de Culture sans Tradition– est fondamentalement un concept, une idée, un espace autre, pour le définir ainsi.

     

        L’image se fait plus claire si l’on prend une part constitutive du modèle de la cité ou bien une tradition particulière. Le temple ou la maison-foyer est une réplique à l’échelle du modèle social et de la révélation qui l’a engendré. Autant la ville, que le temple ou la maison-foyer, sont des espaces construits, significatifs par rapport à l’aridité de l’espace amorphe et désertique qui les entoure.

     

        Ces espaces significatifs, ces héritages traditionnels, furent créés à partir de matières préexistantes, indivises, invisibles et chaotiques –au plus haut degré de cette dernière acception–, comme il est dit dans toutes les genèses ; l’œuvre de la création est réalisée par le Démiurge et ses aides.

     

        Aussi bien dans la cité que dans le cosmos, le créateur (ou les créateurs) sont toujours présents mais n’en forment pas partie. Toute construction est le produit d’une idée primitive, d’une conception intelligente se développant à partir d’un centre, d’une synthèse conceptuelle, par intuition directe.

     

        Et, de la même façon que nous ne sommes pas notre cœur ou nos poumons, ni notre foie ou nos pieds et mains sinon que les relations du tout constituent un organisme vivant, les diverses relations révélées conforment la Tradition, le Cosmos, et leurs cycles. Cependant, cette limitation imposée par le cosmos même, duquel nous dépendons en tout pour vivre, duquel nous sommes les enfants, donc faits à son image et ressemblance, peut être transcendée par son propre milieu et celui de la Tradition qu’il a faite sienne.

     

        En effet, les "vibrations" du créateur sont toujours présentes dans son œuvre bien que de façon immanente.13 Autrement dit, occultées sous la forme de l’idée ou de l’intelligence créatrice. Cette idée ou intelligence est d’un autre ordre que la construction matérielle à laquelle elle donne lieu. Elle est "antérieure", en temps successif, à la construction manifestée mais coexiste parfaitement avec. De cette autre dimension du temps linéaire, l’on peut dire qu’elle est au-delà de celui-ci ; qu’elle le transcende et lui donne son sens véritable.

     

        Cela se passe ainsi avec le monde, car l’idée que nous en avons est relativisée par les parts qui le constituent ; mais de même que tout espace, par exemple une chambre, n’est pas la somme de ses constituants14 sinon qu’il réalise une idée "antérieure" que la chambre ou l’espace symbolisent et qui y est implicite, ainsi la Tradition ne peut être assujettie à des normes...

     

        Ce qu’il s’agit de dire en définitive, c’est qu’autant le cosmos que la culture sont limités. Et que c’est cette limitation qui marque notre conditionnement. Ce sont par ailleurs ces mêmes structures qui nous permettent d’en sortir et c’est là exactement ce pour quoi elles ont été conçues ; tel est le cas de la Tradition, car tout comme le mouvement cosmique nous donne une idée de l’immobilité, ainsi la limite est ce qui nous donne l’idée de l’illimité.

     

        La Culture devient alors une absence n’ayant rien à voir avec l’information ou l’histoire, quelque chose qui n’est pas la statistique de l’acte culturel mais plutôt sa négation.15 Il se passe quelque chose d’analogue avec l’émanation cosmique. L’intérêt n’est pas telle ou telle autre part du cosmos ou son énergie, mais vérifier que cette réalité est inexistante comme telle, au-delà de ses propres limites.

     

        Le symbole en est la pierre qui couronne l’œuvre constructive et qui est aussi l’origine et l’issue du cosmos, ce qui établit un contact avec "d’autres mondes", c’est-à-dire d’autres relations spatio-temporelles qui ne se perçoivent, à l’instar de toute chose, que dans l’intériorité de la conscience.

     

        Tout ceci est strictement en rapport avec ce qu’est la Tradition, Unanime et Pérenne, toujours présente et verticale, aussi valable aujourd’hui qu’elle l’a toujours été et le sera pour tout autre manvântara, ou toute autre humanité, puisqu’elle est Éternelle et simultanée, symbolisée par le Pôle comme porte d’entrée et de sortie vers le supracosmique, origine et fin de toute manifestation, à l’encontre de la vision perpétuellement historique et sociale de ceux que leurs limitations traditionalistes ne laissent qu’imaginer des sociétés et des églises idéales, aussi confuses dans leur vague imagination que les projections de leurs aspirations frustrées.

     

    NOTES

    13  Ces vibrations harmoniques relient en permanence l’immanence et la transcendance divines, tout comme le microcosme et le macrocosme sont une même chose dans l’Éternel Présent, en raison de quoi l’être humain peut accéder à l’Être universel en tout segment du temps chronologique, ce qui revient à incarner la Tradition Primordiale.

    14  La résistance des murs aux impacts, la capacité en mètres carrés ou mètres cubes, le poids des matériaux de construction, le sujet de l’acoustique, etc., ou toute autre “mesure”, qui pourraient remplir des rapports entiers, d’innombrables codes qui ne nous diraient rien de cette chambre en soi et avec lesquels nous ne pourrions pas la connaître.

    15  L’histoire a son importance, mais pas autant lorsqu’il s’agit de ce qui est intemporel, ce qu’a parfaitement compris Mircea Eliade. Une autre des erreurs historicistes occidentales est l’assimilation pure et simple de la Tradition, polaire et toujours actuelle, aux religions du Livre au détriment de toutes ses autres expressions historico-sociales, et surtout en regard de sa manifestation au-delà de tout cadre espace-temps.

     

     

    CHAPITRE IV

    BRÈVE SUR LA NÉCESSITÉ DE L’EXOTÉRISME

     

        En 1925 Guénon écrivait dans L’homme et son devenir selon le Vêdânta :

     

        « L’exotérisme et l’ésotérisme, envisagés, non pas comme deux doctrines distinctes et plus ou moins opposées, ce qui serait une conception tout à fait erronée, mais comme les deux faces d’une même doctrine, ont existé dans certaines écoles de l’antiquité grecque. On les retrouve aussi très nettement dans l’Islamisme mais il n’en est pas de même dans les doctrines plus orientales. Pour celles-ci, on ne pourrait parler que d’une sorte ‘d’ésotérisme naturel’, qui existe inévitablement en toute doctrine, et surtout dans l’ordre métaphysique, où il importe de faire toujours la part de l’inexprimable, qui est même ce qu’il y a de plus essentiel, puisque les mots et les symboles n’ont en somme pour raison d’être que d’aider à le concevoir, en fournissant des ‘supports’ pour un travail qui ne peut être que strictement personnel. A ce point de vue, la distinction de l’exotérisme et de l’ésotérisme ne serait pas autre chose que celle de la ‘lettre’ et de ‘l’esprit’ ; et l’on pourrait aussi l’appliquer à la pluralité de sens plus ou moins profonds que présentent les textes traditionnels ou, si l’on préfère, les Écritures sacrées de tous les peuples. » La même année, il affirmait dans L’ésotérisme de Dante :

     

        « ... l’ésotérisme véritable est tout autre chose que la religion extérieure, et, s’il a quelques rapports avec celle-ci, ce ne peut être qu’en tant qu’il trouve dans les formes religieuses un mode d’expression symbolique ; peu importe, d’ailleurs, que ces formes soient celles de telle ou telle religion, puisque ce dont il s’agit est l’unité doctrinale essentielle qui se dissimule derrière leur apparente diversité. C’est pourquoi les anciens initiés participaient indistinctement à tous les cultes extérieurs, suivant les coutumes établies dans les divers pays où ils se trouvaient ; ... »

     

        Les citations de ce genre se multiplient dans l’œuvre de Guénon et peuvent se trouver dans différents ouvrages, parmi lesquels Aperçus sur l’initiation (1947) :

     

        « La religion considère l’être uniquement dans l’état individuel humain et ne vise aucunement à l’en faire sortir, mais au contraire à lui assurer les conditions les plus favorables dans cet état même, tandis que l’initiation a essentiellement pour but de dépasser les possibilités de cet état et de rendre effectivement possible le passage aux états supérieurs, et même, finalement, de conduire l’être au-delà de tout état conditionné quel qu’il soit. » Et dans Symboles fondamentaux de la Science Sacrée, dans les deux volumes de ses Études sur la Franc-Maçonnerie et le Compagnonnage, etc., et en particulier dans l’étude appelée "Christianisme et Initiation" de Aperçus sur l’Ésotérisme Chrétien, duquel nous citerons : « Pour conclure enfin, nous pouvons dire ceci : en dépit des origines initiatiques du Christianisme, celui-ci, dans son état actuel, n’est certainement rien d’autre qu’une religion, c’est-à-dire une tradition d’ordre exclusivement exotérique, et il n’a pas en lui-même d’autres possibilités que celles de tout exotérisme ; il ne le prétend d’ailleurs aucunement, puisqu’il n’y est jamais question d’autre chose que d’obtenir le ‘salut’. » Ces citations d’introduction sont importantes car nous voulons nous référer au chapitre de Guénon sur la "Nécessité de l’exotérisme" dans son œuvre Initiation et Réalisation Spirituelle (qui a prêté à tant de confusion et qui en effet prend le contrepoint des près de vingt-sept volumes de ses œuvres complètes, et se réduit d’ailleurs à quelques rares phrases dissonantes dans le contexte habituel de son discours), paru dans Études Traditionnelles à la fin des années quarante. Nous pensons que c’est peut-être dû à une situation de circonstance temporaire, de moment historique ; de nombreux écrits de Guénon en sont l’exemple, publiés à diverses époques, dans divers média (beaucoup parmi eux se trouvant être même opposés entre eux, antagoniques), revues et publications de styles très différents, et donc destinés à des auditoires différents. Cependant l’essence de sa doctrine est la même et nombre de ces études ont formé part des livres qui constituent son œuvre complète, comme c’est le cas ici; dans une forte proportion, la doctrine de l’auteur en est la cause, partant d’une Tradition Primordiale qui se fragmente et donne place à de nombreuses formes traditionnelles parmi lesquelles se trouvent les religions connues, la Maçonnerie (il mentionne même les amérindiens), etc., et il n’hésite pas à voir en elles essentiellement la même chose, c’est-à-dire les Principes Universels émanant d’une unique Origine.

     

        Pour nous, cette adéquation aux formes nie précisément que n’importe laquelle d’entre elles soit infaillible ou unique, comme l’affirment les catholiques ou les fondamentalistes de toute religion ou mouvement –y compris les francs-tireurs qui tentent d’utiliser l’œuvre de Guénon pour leurs discours égotistes personnels– en raison de la possibilité de leur donner diverses interprétations ; de même pour l’infaillibilité de quiconque traite ou exprime les thèmes de la Connaissance, par exemple Guénon. En effet, la Doctrine (verticale) est une, mais les modalités qu’elle adopte (horizontales) et la façon de se manifester en accord avec des circonstances de temps et de lieu, invalident cette extrême prétention de précision dogmatique, par ailleurs propre à l’Occident et d’origines aristotéliciennes, rationnelles, logiques et soi-disant systématiques, complètement étrangères aux textes sacrés de tous les peuples et même absentes dans Platon et le néoplatonisme.16 C’est dans ce sens que nous faisons nôtres les mots de René Alleau, prononcés au cours du colloque de Cerissy-La-Salle en 1973, intitulé «René Guénon et l’actualité de la pensée traditionnelle», dont il fut l’organisateur avec Marine Scriabine, l’un des plus importants colloques donnés en hommage au métaphysicien français, guide spirituel d’un fort courant de pensée : « La notion d’orthodoxie guénonienne me semble être des plus étrangères à l’œuvre et la pensée de René Guénon, tout comme à la pensée de tout véritable philosophe traditionnel. »

     

        En tout cas, le fait que la pensée de Guénon soit vivante pour tous ceux qui peuvent y accéder, prouve l’impossibilité de lui assigner une étiquette et de la rendre assimilable à un niveau qui y soit intéressé. Mais, pour revenir sur le sujet de l’ésotérisme et de l’exotérisme ou, si l’on préfère, de la métaphysique et de la religion, cela ne veut pas dire que l’horizontal ne soit pas un reflet du vertical, et qu’il n’existe donc pas dans l’horizontalité les moyens d’appréhender le vertical, question que connaissent toutes les gnoses. C’est là la raison de ce que les rites exotériques soient un moyen puissant de vivifier l’ésotérisme, encore que nous le connaissions, par la nécessité même de l’actualiser en permanence. Il s’agit, dans ce cas, de rituels religieux (horizontaux), mais il faut tenir compte que ces rites forment part d’un autre, plus large, qui est le rite de notre engagement envers la Connaissance (verticale) qui marque tous les actes et instants sacrés de notre vie, à l’instar des sociétés traditionnelles. C’est ainsi que le rite exotérique est sûrement à conseiller et sera efficace s’il est compris dans la Gnose. Nous rappellerons à cet effet une citation de Guénon au sujet de Thomas d’Aquin qui disait : « Une chose peut être nécessaire à telle fin, de deux façons. D’abord, comme ce sans quoi il est absolument impossible d’atteindre ce but ; ainsi la nourriture est nécessaire pour conserver la vie. D’une autre manière, comme ce par quoi on atteint mieux et plus convenablement cette fin : ainsi le cheval est nécessaire pour faire la route ».

     

        Le schéma est le même dans ce cas : le véhicule n’est pas indispensable, mais il est utile et nous aurions tort de ne pas le prendre si nous en avons la possibilité. Certains possesseurs de rites ésotériques, par exemple les maçons, ont considéré cela comme une indication de s’en tenir à un exotérisme religieux, en particulier le Catholicisme, ce qui donna lieu à ce que l’on nomme la double appartenance. Nous, en réalité, nous pensons que l’article de Guénon sur l’exotérisme religieux est adressé, précisément dans cette circonstance, à Schuon, avec qui Guénon entretenait de graves dissensions du fait de en pas s’en tenir à la Tradition islamique, c’est-à-dire qu’il prétendait diriger une tarîqah soufie sans même être musulman.

     

        Ce qui possède une véritable importance dans l’exotérisme catholique, c’est la revitalisation de la vie, la passion et la mort du Christ dans toute sa magnificence symbolique et transcendante, et la lecture des évangiles, y compris les apocryphes et le reste du Nouveau Testament, et les textes de l’Ancien Testament auxquels ils font référence et même sur lesquels ils sont fondés, pleins de signification ésotérique et qui n’ont forcément rien à voir avec la lecture qu’en font les autorités ecclésiastiques et le clergé en général, de nos jours ; cela n’est pas un obstacle pour que cet exotérisme religieux soit valable pour la foule de ceux auxquels leurs propres caractéristiques d’âme et d’intellect ne permettent pas de comprendre les grands mystères de la cosmogonie, l’ontologie et la métaphysique, et ces exotérismes sont parfaitement valables dans le sens qu’ils établissent en quelque sorte un ordre dans le constant devenir du temps, dans les passions et dans les comportements des hommes, tout en ouvrant de nouvelles perspectives de Connaissance dès que l’interprétation littérale, le sentimentalisme, la piété, la stricte «religion » et l’autocompassion peuvent être dépassés.

     

        L’exotérisme a été nécessaire et, comme le signale Guénon lui-même, c’est là précisément la fonction de l’Église catholique, mais la nécessité pour un initié de pratiquer les rites exotériques est tout autre chose.17 En fait, il existe ici une contradiction, car en rendant l’exotérisme nécessaire, l’ésotérisme apparaît comme accessoire, alors qu’il est la réalisation primordiale, l’identité du sujet de la Connaissance.18

     

        Mais qu’entend-on exactement par exotérisme ? Assister aux cérémonies religieuses les jours où la participation aux sacrements est une forme de vie sociale ? Ou accepter une fois pour toutes les dogmes, du concile de Nicée jusqu’à nos jours, ou les us et coutumes d’une religion ? Si nous prenons le catholicisme comme référence, l’acceptation du dogme consiste, entre autres, à reconnaître que Jésus est Dieu, et non une manifestation de la Divinité. Un Dieu absolu, incarné dans l’histoire et hors duquel il n’y a pas de salut. L’acceptation de cet exotérisme serait totalement contraire à la pensée ésotérique dans toutes les traditions, et en serait même une forme de négation, puisque l’affirmation exotérique se passe de la pérenne manifestation divine, du Logos éternel, matière qui est l’essence de tout ésotérisme et cherche à réaliser l’union avec le Principe, possibilité indissociable de l’existence même de l’homme. L’inverse reviendrait à admettre que le verbe est plus que l’esprit ou que la religion est supérieure à la métaphysique. Dans ce sens, il semblerait que Guénon contredise toute son œuvre dans quelques phrases de l’article auquel nous nous référons ; et il prend en effet le contrepoint, il nous semble, de cette citation extraite de son Introduction Générale à l’étude des Doctrines Hindoues :

     

        « Pour revenir à la question même qui nous occupe présentement, nous rappellerons que nous avons déjà indiqué ce qui distingue, de la façon la plus essentielle, une doctrine métaphysique et un dogme religieux : c’est que, tandis que le point de vue métaphysique est purement intellectuel, le point de vue religieux implique, comme caractéristique fondamentale, la présence d’un élément sentimental qui influe sur la doctrine elle-même, et qui ne lui permet pas de conserver l’attitude d’une spéculation purement désintéressée ; c’est bien là, en effet, ce qui a lieu pour la théologie, quoique d’une façon plus ou moins marquée suivant que l’on envisage l’une ou l’autre des différentes branches en lesquelles elle peut être divisée. » Guénon a cependant parfois signalé dans ses lettres l’opportunité de suivre le rite exotérique, s’adressant spécialement à de nombreux islamiques et chrétiens et, à ces derniers en particulier, en soulignant à chaque fois le caractère uniquement exotérique du catholicisme de nos jours. Voir la correspondance avec Goffredo Pistoni, publiée dans SYMBOLOS (Nº 9-10, p.309-325). Ainsi, dans une lettre à Rodolfo Martinez Espinosa, issu d’une famille argentine catholique pratiquante :

     

        « Quant aux questions que vous soulevez dans votre lettre, permettez-moi de vous dire très franchement que ces difficultés me paraissent venir surtout de ce que vous ne faites pas une distinction assez nette entre le point de vue religieux, d’une part, et le point de vue métaphysique et initiatique, d’autre part ; ... Tout ce qui est religieux, y compris le mysticisme, concerne les possibilités individuelles dans l’extension indéfinie dont elles sont susceptibles, et ne les dépasse pas ; c’est d’ailleurs sa raison d’être, comme celle de la réalisation métaphysique est au contraire d’aller au-delà ; ... »

     

        « Je dois aussi appeler votre attention sur le fait que le point de vue religieux est nécessairement lié à certaines contingences historiques, tandis que le point de vue métaphysique se réfère exclusivement à l’ordre principiel. »

     

        Nous pensons que cette apparente contradiction qu’introduit dans son œuvre le guide intellectuel de tant de monde, où il n’est pas aussi précis et itératif que de coutume, pourrait être une épreuve, un obstacle à franchir –comme Guénon le fait souvent dans d’autres parties de son œuvre– et représenterait une contradiction à surmonter, livrée à ses lecteurs qui –comme tant d’autres– ne peuvent interpréter sa pensée sur le mode livresque sinon la vivre, et résoudre leur problématique individuelle dans laquelle ils devraient se voir reflétés comme dans un miroir.

     

        Au sujet de l’exotérisme correspondant aux « Petits Mystères » et l’ésotérisme aux « Grands Mystères », à l’évidence il n’en est rien et Guénon le précise toujours, car ce sont deux mondes absolument distincts, voire opposés, ce qui n’enlève rien au fait que les pratiques religieuses et l’exotérisme en général soient largement recommandés à tous ceux qui ne possèdent pas de références directes sur l’ésotérisme.

     

        Il est par ailleurs évident que, dans ses écrits, Guénon n’utilise pas le mot Dieu –sinon occasionnellement– comme l’ont fait avec abus ses ‘successeurs’ et c’est clairement intentionnel : à quel dieu ceux qui le nomment ce réfèrent-ils, comme désirant affirmer un sentiment personnel, individualisé, et contraire au concept de l’Identité Suprême, du Soi-Même, de la Non-Dualité ?

     

        Il semblerait en effet, nous l’avons dit, que les maçons n’ont pas besoin d’un exotérisme et, au contraire, l’Église de Rome nie la possibilité d’un ésotérisme.19

     

        L’Homme Véritable, vivant au Jardin du Paradis, a-t-il le moindre besoin de fonctions religieuses ? Et nous ne parlons là que des « Petits Mystères ». La vérité en elle-même n’a pas à être « consolatrice », affirme Guénon, et nous nous posons la question : la consolation est-elle nécessaire à la sagesse ?

     

        Nous sommes quelques-uns à croire que le grand rite exotérique de Guénon est la réalisation de son œuvre, écrite et personnelle, reflet de sa pensée par sa concentration intérieure, c’est-à-dire celui d’une vie entièrement consacrée à cela.

     

        AUTRE ‘MAIS’ : Guénon a traité le sujet ésotérisme-exotérisme dans diverses parties de son œuvre, bien qu’il ne soit fait mention de « nécessité » que dans l’article auquel nous faisons référence. Au chapitre IX de Introduction à l’étude générale des Doctrines Hindoues, les livres alchimistes sont cités comme l’exotérisme de l’alchimie ; plus encore, tout texte sacré est appelé exotérique en regard de ce qu’il exprime (voir note Nº 17), puisque la conception est l’origine de l’écriture. De fait, toute expression n’est pas seulement symbolique, mais aussi l’extériorisation de quelque chose, et « l’on pourrait dire que l’ ‘esprit’ d’une doctrine quelconque est de nature ésotérique, tandis que sa ‘lettre’ est de nature exotérique. ».

     

        Malheureusement, cette vision si large est limitée jusqu’à la distorsion par ceux qui assimilent exclusivement l’exotérisme aux cérémonies religieuses de quelque confession et, inversant l’ordre des choses, s’approprient la phrase qui dit que « où il n’y a pas d’exotérisme il n’y a pas de raison de parler d’ésotérisme », subordonnant ce dernier au précédent.

     

        Il faut également savoir, ce que l’on omet souvent, que la Franc-Maçonnerie possède de multiples rites spécifiques qui, sans rapport avec les rites proprement religieux, revêtent aussi un aspect ‘exotérique’, car ce qui se ‘joue’ dans l’Atelier peut aussi être pris au sens littéral, donc exotérique, au lieu de sa pleine signification symbolique. Les sacrements chrétiens, ainsi que le manifeste clairement l’Église catholique, sont des rites religieux n’ayant rien à voir avec quelque Initiation que ce soit, ce qui rend incompatible la fusion des deux niveaux car leurs origines et leurs objectifs sont différents. Ceci étant pris du point de vue initiatique ; du point de vue strictement religieux, l’Initiation n’existe pas.

     

        Le besoin de savoir, le rite de l’étude et la lecture des livres sacrés, la concentration qu’ils favorisent, la méditation qu’ils éveillent, en somme, ce qui est au-delà de leur contenu linéaire, est ce qui constitue l’ésotérisme de ce qu’expriment ces textes.

     

    NOTES

    16  ‘L’infaillibilité’ papale est aussi un dogme récent, imposé par Pie IX à la fin du siècle dernier.

    17  « On pourrait sans doute, mais dans une acception beaucoup plus large, envisager un ésotérisme et un exotérisme dans une doctrine quelconque, en tant qu’on y distingue la conception et l’expression, la première étant tout intérieure, tandis que la seconde n’en est que l’extériorisation » (Introduction Générale à l’étude des doctrines hindoues, 2e partie, ch. IX : “Exotérisme et ésotérisme”.

    18  Ceux qui, ayant le plus, ont l’absurdité de croire qu’ils ont besoin du moins ; le moindre a la nécessité du plus et, lorsqu’il est authentique, en découle directement ; le contraire reviendrait à dire que le plus dépend du moindre, et finir ainsi par le nier ouvertement –comme dans le cas de Jean Reyor. Si l’exotérique dépend de l’ésotérique, et l’initiation est effective ou en voie de l’être, l’exotérisme n’est pas indispensable, encore qu’il soit nécessaire à quelques âmes pieuses.

    19  L’on ignore généralement, ou l’on dissimule, que la Maçonnerie possède des rites et qu’ils ne sont pas exotériques mais initiatiques, outre que l’on n’y accepte pas, sauf duperie ou simulation, ceux qui ne sont pas libres et hommes de bien.

     

     

    CHAPITRE V

    QUELQUES EXPRESSIONS DE L’ÉSOTÉRISME ACTUEL

     

        Actuellement, toute personne à la recherche d’une voie spirituelle se retrouve face à un panorama pour le moins chaotique, ce qui est peu dire.

     

        En effet, la première chose qu’elle rencontre d’ordinaire sur son chemin est ce qui se fait appeler le ‘New Age’, le plus nombreux et le plus hétérogène regroupement de différents mouvements parmi lesquels les sectes jouent un rôle primordial et peuvent arriver à posséder plusieurs millions de membres affiliés. S’y unissent de nombreux groupes d’origine orientale, bien qu’il soit important de préciser que beaucoup de sectes ont également cette origine ; en général, ces groupes se rapprochent plus ou moins de l’hindouisme et de sa tradition ­comme il arrive en Inde même­, ou en rejoignent des formes dégradées ainsi que l’on peut le constater chez une indéfinité de gourous qui, se basant sur une certaine terminologie et des pratiques de méditation, ont fondé leurs propres ashrams. Ils sont en cela semblables à diverses personnalités ‘affranchies’ qui soutiennent des idées de type psychologique ou sexuel, incluant des ‘canaux’ ou des pratiques soi-disant fondées sur le tantra yoga. La totalité de ces dirigeants sont profanes, pour ne pas dire absolument ignorants de la Science Sacrée et croient, à l’instar de la science profane, que le monde est en train d’évoluer, de progresser, vers la culmination de ses prétentions spiritualistes. S’y ajoutent ‘psys’, ‘manciens’, guérisseurs et spirites aux diverses dénominations. Tous ont en commun une chose fondamentale qui les rend immédiatement identifiables : la croyance ­consciente ou non­ en un spiritualisme matériel, c’est-à-dire en la nécessité de relier leurs pratiques à leurs situations personnelles et à leurs besoins au niveau le plus bas et le plus individuel.20 L’on peut placer dans ce schéma de nombreux mouvements pseudo-religieux, ou religieux, avec la différence que ces derniers ne prétendent à nul ésotérisme, sinon au salut de leurs fidèles dans un autre monde.

     

        Nous ne souhaitons pas énumérer ici les diverses modalités de ‘l’ésotérisme’ actuel, ce qui pourrait remplir plus d’un volume, mais souligner quelques caractéristiques de ces mouvements, parmi lesquels il faut englober non seulement les sectes déjà mentionnées, mais aussi les ‘chasseurs’ de sectes. En Occident, cohabitent avec eux de véritables traditions comme le bouddhisme Mahayana, la Franc-Maçonnerie, la tradition hermétique, le bouddhisme zen, quelques traditions archaïques, certains auteurs fiables comme René Guénon, Ananda K. Coomaraswamy, Mircea Eliade, Walter Otto et Alan Watts parmi bien d’autres, et l’ésotérisme des traditions abrahamiques¸ il faudrait faire ici une importante distinction entre l’ésotérisme chrétien et le ‘christianisme ésotérique’ ­valable aussi pour l’ésotérisme juif et l’islamique­ qui prend la religion comme base indispensable de la métaphysique, dénaturant ainsi l’authentique Science Sacrée, la Connaissance traditionnelle, la ramenant à un niveau dévot et dogmatique qui, nous l’avons vu, débouche nécessairement sur un fanatisme d’un genre différent, ce qui les rend parfois encore plus dangereux que les précédents, car ils cherchent le salut ou la conversion de l’humanité par n’importe quel moyen, alors que la plupart du temps les premiers ne dépassent pas la sphère individuelle et n’exercent aucun type d’apostolat, qu’il soit protestant, catholique ou islamique ; cela ne vaut pas pour le judaïsme, refermé sur lui-même.

     

        Nous voulons, d’autre part, remarquer que ceux qui s’approchent avec ingénuité et objectivité des rares milieux ésotériques traditionnels existant en Europe et en Amérique pourront observer l’animosité existant entre eux, le copinage et les questions personnelles qui les distinguent, quand il ne s’agit pas de différences de niveau quant à leurs expériences de la réalité, ne possédant parfois que des idées venant de simples références livresques et historiques ; sans parler de la conviction qu’ont les religions que leur Dieu privé représente l’unique vérité, de laquelle elles excluent toute croyance, tous usages et coutumes différents, y compris l’existence de divers dieux, ou noms de pouvoir, anges et archanges, qui curieusement existent dans leur doctrine, comme nous l’avons déjà signalé, bien qu’elles semblent l’ignorer ou ne les considèrent que comme des allégories.

     

        Il est logique que celui qui s’engage dans un chemin inconnu puisse s’y égarer ; c’est ainsi que les uns se perdent en prenant certains concepts au sens littéral, ou croient indispensable de suivre certains régimes, parmi lesquels le végétarisme21 occupe une place prépondérante, en les associant aussi à des conceptions déterminées au sujet de la santé et de l’entretien corporel, subordonnant l’âme ­pour ne pas dire l’Esprit­ a la forme la plus grossière de la manifestation.

     

        Nous ferons remarquer que même le passage par une ou plusieurs organisations New Age et l’exécution de pratiques déterminées peut avoir de la valeur, en tant que moyen négatif pour les abandonner, pour apprendre avec le temps qu’elles ne correspondaient pas aux besoins spirituels. Ceci peut être relié aux dangers qui accompagne tout cheminement et peut être en rapport avec le précepte évangélique qui dit qu’il faut se perdre pour se trouver.22

     

        Mais celui qui accepte a priori certaines orthodoxies, de quelque type que ce soit, sans s’y attacher, ne se donne pas même la possibilité de se perdre sur le sentier de ce que l’on suppose être la Connaissance. Cela se voit dès le début par la manière d’affronter le fait de Connaître : comme une quête et une aventure de l’âme, assoiffée d’elle-même, ou comme la soumission à une structure se trouvant généralement dénaturée par la croyance, donc une sorte de somme d’axiomes, absorbés quasiment selon des critères administratifs, acceptés de façon passive et linéaire, sans clairs-obscurs,23 et sans la Passion, que l’antiquité nomma Fureur ; quant aux pèlerinages, pour n’en donner qu’un exemple, la confusion avec des marches sportives, du tourisme ou d’autres exercices plus ou moins profanes est parfois évidente. L’on ne peut sortir d’un labyrinthe qui n’existe seulement pas, et cela est typique de milieux sclérosés qui confondent le psychopompe avec la pompe.

     

        Dans ce sens, nous nous sommes plus d’une fois questionnés sur l’intérêt que peuvent trouver certaines personnes dans un soi-disant ésotérisme, si ce n’est à titre de hobby, ou parce qu’elles n’ont rien d’autre à faire, ou pire encore, pour se faire remarquer.

     

        Il faudrait également faire référence ici au fanatisme pris comme une croyance en soi, propre, entre autres, à ceux qui se donnent le nom de traditionalistes et qui, par le biais d’un autoritarisme essentiel, prétendent juger les autres, suivant une hypothétique loi divine et humaine qui non seulement est de leur côté, mais exigeant aussi qu’on l’observe, toujours, évidemment, selon leurs critères et les circonstances aléatoires qu’ils peuvent inventer à leur gré dans le même esprit belliqueux. Car il s’agit pour eux d’avoir un ennemi et de se battre pour pouvoir se sentir eux-mêmes unifiés, pour penser qu’ils ‘sont’ ou pour ‘être’ quelque chose, encore que ce soit l’ombre d’une ombre.

     

        De cela naît généralement la fausse idée d’une élite à laquelle aspirer. Celui qui réellement appartient à une élite ne s’en rend pratiquement pas compte et n’a aucune prétention à ce sujet, de la même façon qu’un être noble n’aspire pas à l’être sinon qu’il l’est par nature.24 Vouloir faire partie d’une élite, comme nous l’entendons, ressemble assez à vouloir entrer dans la ‘haute société’ ou voir son nom dans les journaux mondains, soit des ambitions simplement profanes ; ou, ce qui revient au même, souhaiter devenir l’illustre membre d’un milieu où l’on est non seulement ‘brillant’ ou ‘respectable’, mais où l’on acquiert aussi la ‘notoriété’, bien sûr égotiste, oubliant que ‘mon règne n’est pas de ce monde’ ; couronnant le tout d’une morale bigote et scrupuleuse qu’envierait n’importe quel puritain, et qui s’avère beaucoup plus hypocrite lorsqu’on observe leurs agissements délinquants qu’ils s’imaginent sans doute être une guerre sainte. Il est clair, pour nous, que si quelqu’un se sent appelé vers l’Identité Suprême et ne s’identifie avec aucun autre conditionnement, il doit avoir effectivement une solide base morale (le courage, la générosité, le détachement, etc., soit la virtus romaine) pour affronter une telle aventure, et ne pas aspirer à être un bon citoyen ou au perfectionnement éthique, car ce serait l’indice qu’il ne le possède pas.25 Il n’y a pas de meilleure garantie pour lutter contre les passions que se consacrer à la Beauté et à la Vérité, donc à la Connaissance. Il nous faut cependant signaler que, dans les états inférieurs de cette voie, l’on acquiert un certain pouvoir et bien nombreux sont ceux qui demeurent pris dans ce monde obscur, dû le plus souvent au ressentiment de ne pas avancer vers la source lumineuse qui nous donne l’être, c’est-à-dire l’assimilation avec l’Être Universel qui ne nous est accordée que par la Grâce et non par les actions. « Nombreux sont les appelés, et rares sont les élus ». (Saint Matthieu, 22, 14).26

     

        Remarquons en passant que le thème de la trahison apparaît dans diverses traditions, mais se trouve particulièrement marqué dans le christianisme, dans le cas évident de Judas (et dans la Maçonnerie également, avec la mort d’Hiram ­rappelons-nous aussi que Dante place les traîtres dans le cercle le plus profond de l’Enfer), et dans l’Islam, aux racines mêmes de la constitution du califat, transparent dans l’assassinat d’Ali, survenu quelques années après celui de ‘Utman, le troisième calife, et suivi de celui de son fils Al Hussein, qui assurait la descendance du Prophète puisque Ali n’était que l’époux de Fatima, c’est-à-dire son gendre. Le problème du mal se trouve ainsi entremêlé à l’histoire du bien, sans être nié, ou mieux, est assimilé à l’histoire du sacrifice, donnant ainsi lieu au mythe du traître-héros.27

     

        Revenant sur le sujet des sectes, l’on peut observer que le christianisme en particulier, au vu de la popularité de certaines d’entre elles, spécialement chez les jeunes, prit la décision d’une part de poursuivre et de jeter l’anathème sur ces alternatives, et d’autre part de prendre nombre de caractéristiques du New Age, de se moderniser, dans le but d’attirer un public qui s’en éloigne irrémissiblement.

     

        Dans le cas de l’Islam, où même la doctrine d’Ibn Arabi est, dans certains noyaux, non seulement sanctionnée mais aussi prohibée, la forme que prennent cette subversion et ce rejet de tout ce que l’on n’imagine pas approprié, et le besoin d’imposer sa férule au reste, arrivent à l’extrême de nous faire croire que la shariyah est le taçawwuf, et des organisations religieuses dénaturent le sens de la Paix, la Soumission et l’Amour, c’est-à-dire la voie de Soufi et l’Islamisme authentique, en l’identifiant avec des intérêts particuliers, liés à l’historique et au relatif. L’on pense généralement, en Occident, qu’il existe un monobloc appelé Islam, alors que celui-ci se trouve au contraire divisé depuis son commencement entre chiites et sunnites ­et aussi les khâwarij, également orthodoxes­division qui existe encore et qui a donné lieu à de multiples fragmentations,28 qui tirent elles aussi l’épée les unes contre les autres, chacune imaginant détenir la vérité, avec une telle haine que les rixes chrétiennes en pâlissent ; cependant, cette haine commune engendre en Occident l’unification de quelques secteurs de ces religions, dans un fanatisme partagé, intellectuel et moral, qu’ils tentent de vendre sous le nom de traditionalisme.

     

        Il est effectivement vrai que l’on ne peut être soufi sans être musulman, et il est clair que l’étude du Coran sacré et des hadith, et l’approfondissement de la langue arabe ­ce dernier aspect étant également quasi indispensable dans d’autres traditions comme le taoïsme, le bouddhisme mahayana, etc.­ en sont les caractéristiques propres, mais ces possibilités ne sont cependant pas même offertes à ceux que trompent des groupes ­avec aujourd’hui malheureusement de nombreux membres en Europe et en Amérique­ qui, se présentant en tant que tarîqah (véritable ésotérisme) ne se consacrent en fait qu’à la loi, ou shariyah, et insistent que son respect, à la façon qu’ils l’entendent ­ils ont même des prétentions politiques­, le plus souvent arbitrairement, est le taçawwuf (initiation), et que le respect de ses normes et exigences sont des conditions indispensables pour obtenir les bénédictions d’une connaissance qui ne va pas au-delà de la religion.

     

        Bien entendu, il n’en est pas toujours ainsi, mais dans la plupart des cas ces mouvements qui, comme dans le cas du christianisme et du New Age, tentent de trouver leur profit au sein de la confusion et des nécessités spirituelles qui caractérisent la Fin de Cycle, sont une imposture. Nous devons ajouter que certaines personnes croient qu’être descendant direct du Prophète est une garantie sur le plan de la Connaissance, raison pour laquelle il faut souligner qu’il y a, et il y a eu, toutes sortes de cas dans sa descendance, et l’on connaît à notre époque des alternatives de dirigeants politiques ­sans aucun doute musulmans­ qui n’ont eu aucun lien avec la métaphysique, comme le roi Hussein de Jordanie et le roi Hassan du Maroc, récemment disparus, ou bien des play-boys notoires comme le furent, il y a quelques années, l’Aga Khan et son fils Ali Khan, sans compter des fanatiques religieux, voire des assassins connus, ou certaines personnalités que l’on aurait du mal à reconnaître comme étant islamiques, dont elles ne portent que le nom et n’ont rien de traditionnelles. Il y a aussi ceux qui se disputent et s’invalident mutuellement leurs lignées généalogiques qui, après tant de siècles et tant d’épouses, ne seront pas toujours suffisamment limpides.

     

        Nous avons fait remarquer à plusieurs occasions l’existence d’un authentique ésotérisme chrétien, islamique et juif, mais nous avons également constaté la difficulté d’y parvenir au moyen des organisations qui prennent ces religions et leurs apparats comme base indispensable de la réalisation métaphysique. Et qui prient un Dieu externe, étranger à eux-mêmes. Nous avons également donné ici des avertissements sur d’autres groupes en rapport avec le New Age et sur les fantasmagories à ce sujet. Quant à la Maçonnerie, institution initiatique occidentale par excellence, le panorama n’est pas plus clair, bien que ces dernières années ait pu s’observer un intérêt croissant des loges pour faire des recherches dans leurs origines et leurs contenus authentiques. Il n’est pas non plus toujours facile de se lier avec des ateliers qui pratiquent leurs rites dans un réel esprit Traditionnel et où l’on pourvoit l’apprenti ­initié virtuel­ des éléments qui lui permettraient d’accéder correctement à l’Enseignement. Dans la majeure partie des loges, le rite initiatique s’est cependant maintenu, reflet du rite cosmique, et tout frère peut, par sa propre méditation sur les symboles qui lui sont offerts et les rites qu’il pratique, arriver à comprendre le modèle de l’Univers, premier pas pour trouver là son issue vers d’autres plans ou niveaux de conscience, c’est-à-dire vers d’autres mondes qui, bien qu’invisibles ou informels sont tout aussi réels que ce qui se perçoit avec les sens. Comme dans toute initiation, cela suppose l’ascension d’une échelle, au moyen de degrés, sur laquelle chacun pourra arriver à destination, selon ses besoins ou ses capacités, comme tout dans la vie. De plus, nous avons déjà mentionné la Tradition Hermétique comme Voie d’accès à la Connaissance, donc nous ne répéterons pas ici ces concepts.29 Nous ajouterons que cette Tradition fut à une époque Hermético-Chrétienne dans sa façon de se manifester, mais jamais un ‘Christianisme Hermétique’, ce qui saute aux yeux avec l’ancienneté respective de ces deux Traditions, sans nommer d’autres motifs d’un autre ordre, ou niveau.

     

        Il ne nous reste qu’à signaler quelques autres dangers que peut rencontrer celui qui s’intéresse à la voie de la réalisation intellectuelle et spirituelle.

     

        Nous venons en effet d’employer les mots intellectuel et spirituel comme des équivalents, selon l’interprétation qu’en donne Guénon, puisque la sagesse en soi est une forme de sainteté, et l’inverse n’est pas forcément vrai, lorsque l’on suppose que le ‘miraculeux’ ou le ‘légal’ sur le plan naturel est le surnaturel. Pour des raisons de terminologie, la Sagesse et la Connaissance pourraient néanmoins se confondre avec une fausse intellectualité et souvent, encore pire, avec l’érudition et des listes de citations, noms, dates, références, à savoir avec d’immenses vétilles.

     

        Dans ce sens, il nous faut apporter notre critique aux universités et à leurs travaux profanes, qui sont gouvernées par des gens du commun, qui posent au savant et considèrent l’université plus importante que la Connaissance en prenant leur petite érudition pour de la sagesse, c’est-à-dire ce que l’on entend par références livresques30 comme le plus important, et jugent les autodidactes ­ainsi notre guide intellectuel René Guénon­ comme une chose mineure. Que les aspirants ne se fassent pas d’illusions : sur le sentier de la Connaissance, nous sommes tous des autodidactes à la recherche du Maître Intérieur et il n’y a pas d’Université qui nous conduise à l’Identité Suprême.

     

        L’attitude que nous venons de décrire est due, à de nombreuses occasions, à une sorte de conservatisme auquel nous nous accrochons et qui nous empêche de nous détacher de ce qui est notre trésor. De fait, la phrase évangélique qui dit que ‘il est plus facile qu’un chameau passe par le chas d’une aiguille qu’un riche entre au Royaume des Cieux’ (Saint Matthieu 19, 24), ne fait pas seulement référence à ceux qui accumulent de l’argent, mais à tous ceux qui sont ou se considèrent riches de quelque chose, que ce soit l’intelligence, la vertu, la science, l’art, la beauté ou quoi que ce soit d’autre. L’on a souvent pris pour exemple que si la coupe de l’ego est pleine, il est impossible qu’elle puisse recevoir les effluves célestes, les émanations divines.31 L’acquisition de la Connaissance, la Bonne Nouvelle, est incompatible avec un esprit économe qui garde quelques bouts de chandelles ‘au cas où’. Sur le sentier de l’Initiation cela est impossible, car l’on ne peut servir deux maîtres à la fois.32 En définitive, ce en quoi l’on est le plus riche, c’est en préjugés et illusions, auxquels l’on assigne une valeur seulement par les mécanismes de notre esprit dual qui conditionne ­quand il ne programme pas­ nos règles de comportement.

     

        Quant à nous, nous avons été sauvagement attaqués pour des affaires personnelles, bien que la plus grande part soit due à ce que nous avons soutenu dans ce chapitre et dans d’autres analogues, à savoir : par notre opposition à ceux qui confondent tout et tentent de faire passer la religion pour de la métaphysique, à leur tête des adeptes de Schuon et de Rey qui n’ont pas hésité à employer le complot, la trahison le mensonge, les injures, la diffamation, les insultes et autres grossièretés, dans le but de nous discréditer, sans comprendre qu’ils ne sont parvenus par ce moyen qu’à se discréditer eux-mêmes.33 Comment ces gens peuvent-ils prétendre avoir quelque chose à voir avec le sacré malgré leur volonté de suivre la Voie du Sacristain, ou un monisme radical (qui pour cela rend la dualité implicite) à l’idéologie totalitaire, c’est une chose que nous ne comprendrons jamais. Mais si nous sommes convaincus que c’est dans le cadre de l’œuvre de Guénon, le plus grand métaphysicien d’Occident, qui a soutenu en de nombreuses occasions ce que nous disons34 ­ou plutôt, nous disons la même chose que lui car, selon ses propres mots, il ne fait que manifester la Tradition Unanime­, que se produit ce qu’il a appelé la contretradition, commencée par ceux qui ont profité de sa personnalité pour ensuite la trahir ou la dénaturer, et là se produit à notre échelle le plus triste signe des temps.35

     

    NOTES

    20  « Laissez-les ; ce sont des guides aveugles ; si un aveugle guide un autre aveugle, ils tomberont tous deux dans la fosse. » (Saint Matthieu 15, 14).

    21  « Ce n’est pas ce qui lui entre dans la bouche qui fait l’homme impur ; mais ce qui lui sort de la bouche, cela est ce qui rend l’homme impur. » (Saint Matthieu 15, 11).

    22  « Car celui qui veut sauver sa vie la perdra. » (Saint Matthieu 8, 35).

    23  Si l’on est pas ­et pour être il faut être libre­ l’on ne peut s’identifier avec l’Être Universel. La communication ne s’établit pas, car l’Être Universel est la Liberté, car il n’a aucune sorte de conditionnement, à commencer par le spatio-temporel. « La vérité vous rendra libres ». (Saint Jean 8, 32).

    24  La même chose se passe avec l’humilité acquise par rapport à un Univers, ou une déité, bien plus grande. L’humilité se donne sans raison ; c’est une vaine tentative que de désirer être humble, lorsque ce n’est pas une démarche égotiste qui veut secrètement nous rendre meilleurs que les autres.

    25  « Qui de vous, à force de soucis, pourrait ajouter une seule coudée à la longueur de sa vie ?» (Saint Matthieu 6, 27).

    26  « Malheur à vous, scribes et Pharisiens hypocrites, parce que vous fermez au nez des hommes le royaume des cieux ! Vous-mêmes en effet n’entrez pas, et vous ne laissez pas (entrer) ceux qui sont pour entrer. » (Saint Matthieu 23, 13).

    27  Le traître crée le héros. Son existence est pour lui indispensable, tandis que pour le héros sa présence est une ombre de lui-même. C’est pour cela que ces deux composants mythiques ne peuvent jamais être mis sur le même niveau. D’autre part, la trahison est comprise dans la cérémonie.

    28  En Argentine, il y a au moins sept ou huit groupuscules qui, invoquant le prophète Ali, se sont constitués en ‘tariqas’ libres. Cela est facilité par la constitution même de l’Islam, religion du désert, où chaque fidèle est indépendant du reste de la Uma, et où d’innombrables soufis sont morts des mains du califat ; précisions que de nos jours il existe dans cette tradition, en Orient, encore beaucoup d’entre eux complètement éloignés de toute soi-disant institutionnalisation à la mode occidentale, plus en rapport avec les firâq, ou sectes, profitant du fait que les aleyas, ou versets des sûras du Coran sont sujets à l’interprétation, raison pour laquelle certains sages islamiques ont même nié la possibilité de traduire ce livre sacré.

    29  « On doit donc, comme nous le disions déjà précédemment, parler de quelque chose qui est caché plutôt que véritablement perdu, puisqu'il n'est pas perdu pour tous et que certains le possèdent encore intégralement; et, s'il en est ainsi, d'autres ont toujours la possibilité de le retrouver, pourvu qu'ils le cherchent comme il convient, c'est-à-dire que leur intention soit dirigée de telle sorte que, par les vibrations harmoniques qu'elle éveille selon la loi des ‘actions et réactions concordantes’, elle puisse les mettre en communication spirituelle effective avec le centre suprême. » (René Guénon: Le Roi du Monde, ch. « Le centre suprême caché pendant le ‘Kali-Yuga’ »). (Voir article de Monsieur A. Bachelet :  « Autour de la Parole Perdue des maîtres maçons », SYMBOLOS Nº 19-20, p. 214, note 9).

    30  « Conducteurs aveugles, qui filtrez le moustique, et avalez le chameau ! » (Saint Matthieu 23, 24).

    31 « On ne met pas non plus du vin nouveau dans des outres vieilles : autrement, les outres éclatent, le vin se répand et les outres sont perdues; mais on met le vin nouveau dans des outres neuves, et les deux se conservent.» (Saint Matthieu 9, 17).

    32  « Nul ne peut servir deux maîtres : car ou il haïra l’un et aimera l’autre, ou il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. » (Saint Matthieu 6, 24).

    33  « Heureux serez-vous, lorsque les hommes vous haïront, lorsqu’ils vous excommunieront et insulteront, et proscriront votre nom comme mauvais à cause du Fils de l’homme. » (Saint Luc 6, 22).

    34 Voir  addenda.

    35  Il serait intéressant de se demander s’il n’est pas en train de se passer la même chose avec la religion. En effet, en ce qui concerne les chrétiens de ces mouvements à la mode néo-fasciste ou fondamentaliste ­nous préférons nous abstenir de parler actuellement des islamiques­, nous savons, au travers de leurs propres écrits, qu’ils refusent l’autorité religieuse, qu’ils considèrent que ses rites ont été dénaturés, qu’ils ne connaissent pas non plus l’orthodoxie catholique, ayant lu peut-être, avec de la chance, deux ou trois pages de la Somme théologique, ou Contre les Gentils, de Saint Thomas d’Aquin, et ne se soumettent pas aux commandements. Quelles intentions ont-ils à s’abriter derrière le bouclier de la religion ? Quel est ‘l’esprit’ qui les anime ? Ne serait-ce pas judicieux de mentionner ici le cagastrum alchimique et ‘paracelsien’ en tant que manifestation de la corruption et de la putréfaction ?

     

     

     

    CHAPITRE VI

    GUÉNON DANS LE CŒUR

     

        Pour ceux dont Guénon a été le guide intellectuel qui les a introduits dans le monde de la Connaissance, son œuvre et la personnalité qui la produisit sont réellement providentielles. La rencontre avec Guénon leur a permis d’échapper à la voie obscure ­comme Dante le raconte au début de La Divine Comédie­ et de s’attacher une lumière durable dans la course de leur destin, et la conséquente reconnaissance est de rigueur parmi ceux qui ont vécu l’expérience de sa pensée. Cependant, en dépit de cela et malgré les diverses monographies, numéros spéciaux et études qui y ont été consacrés, Guénon est encore très peu connu et ne figure pas dans la littérature officielle d’un pays comme la France, où il est né et dans la langue duquel il écrivit la presque totalité de ses textes. Le fait peut toutefois s’expliquer par la "solidification" de notre temps et le manque d’intérêt pour les sujets traités par notre auteur, pratiquement laissés pour compte ­comme il le souligne si souvent­ par le monde moderne dont l’engourdissement en cette phase finale arrive presque aujourd’hui au total obscurcissement de la compréhension et à l’extermination du symbole en tant que messager du plan intermédiaire. Quelque chose de beaucoup plus grave s’y ajoute : la déformation infligée à sa pensée par des individualités qui, guidées par des intérêts personnels et influencées par on ne sait quelles forces obscures, ont dénaturé et adultéré son œuvre, l’utilisant même à leur profit comme l’ont fait certains personnages prétendant être ses successeurs, rognant sur les aspects les plus importants et celant les éléments principaux au détriment de sa summa. Je pense que l’acceptation de ces circonstances nous place dans la réalité du message de Guénon, projeté sur la société actuelle et, plus précisément, sur l’ésotérisme ayant cours depuis sa mort jusqu’à nos jours.

     

        Il est parfois difficile d’être objectifs lorsqu’il s’agit de faits ou de phénomènes, ou encore en traitant d’un auteur qui, par le biais de son œuvre, nous a fait participer à une pensée inconnue et à un monde merveilleux dont les échos résonnent néanmoins aux tréfonds de l’intimité, au point de changer radicalement nos valeurs et de canaliser ainsi notre vie d’une façon totalement inattendue. Quoi qu’il en soit, l’on me pardonnera d’employer le pluriel, car je me permets de parler non seulement au nom des rédacteurs de la revue SYMBOLOS, dont je partage le point de vue, mais aussi au nom de nombreux lecteurs de René Guénon (non de certains d’entre eux soi-disant ‘maîtres’ de sa pensée, qui nous ont peu ou rien appris) ; je nomme ceux qui ont été touchés par l’œuvre de Guénon ­à la fois simple et complexe, complexité provoquée autant par la difficulté d’expression propre à la Science Sacrée que par celle que connaît le profane pour comprendre les vérités d’un autre ordre, empêchement qui les déforme ou les réduit à leur expression littérale­ et nous communiquent depuis des années leurs inquiétudes, tout comme ils ont manifesté leur reconnaissance pour ce que ces textes ont apporté à leurs vies, tout en ayant, pour différentes raisons, trouvé difficile d’approfondir sa pensée, ce qui nous amènerait aussi à parler des diverses lectures que l’on peut avoir de l’œuvre de Guénon, propres aux limitations de chacun et, en définitive, omniprésentes.

     

        Ainsi, assumant la responsabilité de parler au pluriel, je me permets d’exprimer un certain genre d’expériences, partagées probablement par beaucoup de lecteurs de Guénon, bien que leurs formes puissent avoir été ­et être encore­ différentes.

     

        Comme trait distinctif de son œuvre, nous ferons ressortir tout d’abord cette exactitude dans l’expression, cette clarté conceptuelle, explicite malgré la longueur de la phrase, les phrases subordonnées, les notes, ce qui nous oblige à faire attention à ce qui est dit, à relire, à essayer de comprendre ­car nous avons eu au préalable une suite de petites ‘révélations’ nous obligeant à insister sur le texte et bien sûr sur les renvois en bas de page. Il y a d’autre part les rapports constants qu’il offre au lecteur en permanence et qui, d’une façon ou d’une autre, éveillent en ce dernier une sorte de ‘réminiscence’ d’une foule d’images oubliées, mais formant part de son bagage culturel et personnel ; ce qui, sans aucun doute, provoque à son tour chez l’intéressé une multitude d’analogies.

     

        Observons que, dans de nombreux cas, cette exactitude peut provoquer un sérieux rigorisme intellectuel dans les recherches de ses lecteurs ; quant à la ‘réminiscence’ et l’analogie, le champ incroyablement riche qui s’ouvre à nous est certainement le plus véritablement Universel que nous ayons connu.

     

        Guénon crée également une terminologie parfaitement adaptée à sa façon de dire les choses et la répète tout au long de son œuvre. Ce n’est pas là le résultat d’une simple convention, sinon que l’utilisation précise des termes restitue leur valeur, remontant même souvent aux racines étymologiques des mots. Son discours ne s’éloigne pas non plus, au moyen d’obscures rhétoriques et déclamations, du langage philosophique et culturel d’une éducation moyenne, et est suffisamment compréhensible pour son époque et les années qui suivirent. Sauf l’acception prise par quelques termes ces dernières années, comme le mot ‘personne’ dont l’emploi est lié aujourd’hui au simple ego et à la ‘personnalité’ (que Guénon appellerait peut-être individualité), son œuvre ­un enseignement permanent­ est extrêmement claire et lisible pour ceux qui se concentrent dans leur lecture. Elle est également tout à fait appropriée à ceux qui ont effectué des recherches dans la religion catholique, concrètement dans le thomisme, et contient même certains traits de rationalisme ­encore que niant la raison­ qui sont bien utiles pour que des gens de notre formation puissent les comprendre ; cela est également valable en ce qui concerne ses divers aspects logiques, voire positivistes, si je puis dire.

     

        Il est aussi remarquable qu’en lisant ses textes des années plus tard (en ce cinquantième anniversaire de sa disparition), demeurent actuels non seulement les idées, mais aussi les mots qui les forment, et il suffit d’une relecture pour percevoir l’extraordinaire cadence du discours, qui répond à la structuration de son œuvre et qui se prolonge d’étude en étude, de chapitre en chapitre, de livre en livre.

     

        Mais ce qui fut fondamental pour beaucoup d’entre nous est constitué par l’idée de ce que représente réellement le symbole et la valeur découlant de cette conception, ce qui par ailleurs légitime son rôle de transmission et lui octroie sa fonction authentique. De même, la relation entre les différents symboles constitue des codes complets de connaissance et des ouvertures qui se révèlent à mesure que l’on progresse dans les travaux et on les étudie ­et comprend­ en se confrontant aux manifestations distinctes de l’Être universel, à travers des cultures diverses, ou des expériences que l’on peut déduire par analogie et sont accessibles ­car elles forment l’environnement­ de tout être humain contemporain.

     

        Ces correspondances entre culture et culture, mythe et mythe, langues distinctes, etc., sont caractéristiques de Guénon, qui manie et développe diverses symboliques, même éloignées dans le temps et l’espace, entrelaçant des images qui finissent par transformer en langage propre le vecteur des idées de ce qu’il a nommé la Science Sacrée. Ainsi qu’il a été dit : l’intelligence brille par ce qui la reflète.

     

        Dans un précédent travail (‘L’Initiation Hermétique et René Guénon’, SYMBOLOS, Nº 11-12, 1996, page 221), nous avons souligné que l’ordre de lecture de la vaste et complexe œuvre de Guénon peut faire des différences entre une forme ou une autre d’approcher sa pensée et l’ésotérisme en général. Ceci est en parfait accord avec le niveau culturel, l’universalité des images, les préjugés de ses lecteurs et les convictions d’un vieil homme. Car s’il est utile, voire nécessaire, que l’on jette un pont entre l’état profane où se trouve, en termes généraux, l’immense majorité de ceux qui approchent ses travaux pour la première fois, il est aussi indispensable que, face au développement postérieur de cette œuvre, messagère de la Bonne Nouvelle, se maintienne l’ouverture vers la métaphysique, sans la rabaisser au niveau d’intérêts personnels, ou de groupe, pour ne pas empêcher d’entrevoir ainsi son immense pouvoir intellectuel, donc transformateur, que tout le monde n’est malheureusement pas capable d’assimiler. C’est là le cas typique de ceux qui, ayant la sensation d’appartenir à une religion ­comme si ce n’était pas, d’une façon ou d’une autre, notre cas à tous­, placent leurs ‘croyances’ au-dessus de toute nouvelle possibilité, et voient en Guénon un auteur qui les incite à approfondir leur dévotion. Malgré tout, et en dépit du métaphysicien français qui ne cesse d’établir les différences entre Science Sacrée et religion36 (concrètement, les abrahamiques), ils ne peuvent éviter de les identifier entre elles et de croire même que les termes religion et Tradition sont synonymes absolus.

     

        Inutile de préciser que ces religions sont des supports également valables pour la réalisation intellectuelle/spirituelle, c’est-à-dire pour la Connaissance, comme l’ont prouvé de nombreux exemples dans le passé, et elles peuvent encore aujourd’hui être considérées comme des voies valides à condition de dépasser le plan de l’individualité, dont elles sont les extensions plus ou moins sublimées, ce qui les force à avoir de la déité des conceptions anthropomorphiques et historiques et à s’en considérer propriétaires, au détriment de toute autre forme de réalisation, y compris envers d’autres branches abrahamiques, ce qui, nous l’avons souvent répété, débouche fatalement, l’on peut le constater, sur de confus et contradictoires mouvements intégristes et fondamentalistes, sans le moindre amour pour la vérité ni le moindre désir de savoir, et qui ont même tenté d’utiliser l’œuvre et la figure de Guénon au profit de leurs petits intérêts de chapelle, limités et personnels. Ces attitudes, incongrues en regard du discours de Guénon, sont sans nul doute étroitement liées à l’obscurantisme et l’ignorance propres aux dernières étapes de cette fin de cycle, qui affecte toutes les institutions, et les religieuses les premières, en raison de leurs rigides structures dogmatiques.37

     

        Nous faisons spécialement référence à F. Schuon et ses épigones, à la confusion entre religion et métaphysique, et surtout à la comparaison entre les sacrements chrétiens et l’Initiation, qui suppose que le processus de la Connaissance se trouve implicitement dans le christianisme et dans ses rites, ce qui est nier d’une part la véritable réalité de l’Initiation ­concept que Guénon souligne à plusieurs reprises dans son œuvre étendue et auquel il attribue une importance radicale, un caractère inévitable et propre au processus de transmutation­, et d’autre part, le comparer à n’importe quel rite religieux, donc exotérique, de cette manifestation née historiquement, avec deux autres, des évolutions de l’émanation abrahamique qui débouchent sur le judaïsme, le christianisme et l’Islam, c’est-à-dire sous ces formes engendrées par la loi qu’ils déploient au travers de dogmatismes supposés, faisant passer ainsi la lettre avant l’esprit, l’exotérique avant l’ésotérique, comme nous le savons, et excluant de cette manière la possibilité de surmonter cette loi, propre au message implicite de ces religions.

     

        Niant ainsi, ou contournant, les innombrables traditions à part celles ‘du Livre’ ; nous faisons référence rien de moins qu’à l’hindouisme, au taoïsme, à la Tradition mahayana, ou lamaïste, au shintô zen, à la Franc-Maçonnerie, prototype de société initiatique, à la Tradition Hermétique, à laquelle le métaphysicien français accorde la Connaissance des Petits Mystères, à des dizaines de cultures pratiquant le chamanisme en Asie, Afrique, Océanie et Amérique, ou à des groupes traditionnels que l’on croyait morts et renaissent aujourd’hui avec une vitalité renouvelée, et qui sont tout simplement niés, laissés de côté, seulement pour accepter les limitations des dites manifestations émanant du tronc abrahamique qui, nous le savons, sont selon Guénon les uniques à correspondre au terme religion, particulièrement au sens moderne du mot.38

     

    NOTES

    36  « Or, par là même qu'il s'agit d'ésotérisme et d'initiation, il ne s'agit aucunement de religion, mais bien de connaissance pure et de «science sacrée », qui, pour avoir ce caractère sacré (lequel n'est certes point le monopole de la religion comme certains paraissent le croire à tort), n'en est pas moins essentiellement science, ... » (Aperçus sur l'Initiation, ch. XI: « Organisations initiatiques et sectes religieuses »). Voir l’addenda au chapitre V ‘Quelques expressions de l’ésotérisme actuel’ où se trouve une sélection de citations de Guénon au sujet de la différence entre Religion et Métaphysique.

    37  « ... et l'unité elle-même, à son tour, n'est pas un principe absolu et se suffisant à soi-même, mais c'est du Zéro métaphysique qu'elle tire sa propre réalité." « L'Être, n'étant que la première affirmation, la détermination la plus primordiale, n'est pas le principe suprême de toutes choses ; il n'est, nous le répétons, que le principe de la manifestation, et on voit par là combien le point de vue métaphysique est restreint par ceux qui prétendent le réduire exclusivement à la seule ‘ontologie’ ; faire ainsi abstraction du Non-Être, c'est même proprement exclure tout ce qui est le plus vraiment et le plus purement métaphysique. » (R. Guénon, Les États Multiples de l’Être, ch. V: « Rapports de l'unité et de la multiplicité »). Certains des auteurs écrivant sur la Kabbale confondent Kether avec En Soph, ou l’y assimile en raison de son monothéisme excluant toute éventualité qui ne soit pas comprise dans l’Être Universel, comme c’est le cas de Léo Schaya. Cette confusion existe quasiment depuis la naissance de la doctrine des sephiroth. Ainsi, Yosef Ghikatilla faisait également cette assimilation au XIIIe siècle. Selon G. Scholem, ce serait dû au fait que « Le Zohar fait clairement la distinction entre deux mondes représentant Dieu. En premier lieu, un monde primaire, qui est le plus profondément caché de tous, imperceptible et inintelligible pour tous sauf pour Dieu : c’est le monde du En Soph. En second lieu, un autre monde, relié au premier, qui permet la connaissance de Dieu et duquel la Bible dit : « Ouvre les portes pour que je puisse entrer ». C’est le monde des attributs. En réalité, les deux mondes n’en forment qu’un, tout comme ­pour reprendre une métaphore du Zohar­ le charbon et la flamme : le charbon existe aussi sans la flamme, mais son pouvoir latent ne se manifeste qu’à la lumière de celle-ci. Les attributs mystiques de Dieu sont comme des mondes de lumière dans lesquels se manifeste la nature obscure du En Soph. » (Las grandes tendencias de la mística judía, - Major Trends in Jewish Mysticism - Ed. Siruela, Madrid 1996, p. 230).

     

    En tout cas, l’on compare l’Unité, première détermination, au Zéro métaphysique, c’est-à-dire l’ontologie à la véritable matière de la Science Sacrée. Cette attitude, qu’il n’y a rien d’autre que l’Unité, élimine aussi bien la pluralité des noms divins que la Possibilité Suprême, qu’elle détermine en se transformant en monisme radical.

     

    Néanmoins, Kether, la Couronne, est sur la tête de l’Homme Universel, puisqu’elle appartient à la fois au plan cosmique le plus élevé qu’à ce qui est au-delà de lui.

     

    Il faut également souligner que, pour les Occidentaux d’aujourd’hui, la seule façon de connaître En Soph passe par Kether, l’Unité, le plus grand des Symboles qui se polarise en faisant place à la triade, c’est-à-dire aux trois Principes suprêmes, ayant le pouvoir de déchaîner n’importe quelle manifestation dans tous les plans ou mondes, ce qui dépasse définitivement le religieux.

     

    Nous ajouterons que, pour l’hindouisme, cela se traduit par la différence entre Îshwara et Brahma (voir R. Guénon, L’Homme et son devenir selon le Vêdânta, Éditions Traditionnelles, Paris 1997) ; dans le cas du taoïsme, voir, à la fin de l’addenda à ce chapitre, les différences entre le Tao avec nom et le Tao sans nom. Dans la Tradition Précolombienne, cette instance de la Déité était appelée le Dieu inconnu. (voir F. González, Le Symbolisme Precolombien : Cosmovision des Cultures Archaïques, Ed. Kier, Buenos Aires 2003).

     

    Pour d’autres citations analogues et non exhaustives de R. Guénon, voir d’addenda après ces notes. Voir aussi Paul Vuillaud, La Kabbale juive, Tome I, IX.I: « L'Infini (En-Soph)", Editions d'Aujourd' Hui, Plan de la Tour (Var) 1976.

    38  Rappelons en passant que pour ceux qui ne le connaissaient pas personnellement, Guénon était à un certain moment de sa carrière un auteur hindouiste, comme ce fut le cas de René Daumal, entre autres, qui vivait à Paris à la même époque que notre auteur. Gardons également à l’esprit les références de Guénon au sujet de la Tradition hindoue et sa pureté par rapport aux autres, et sa mention qu’elle était vivante et qu’on la considérait généralement morte ­comme le Taoïsme. Actuellement, quelque critique a glissé son avis en affirmant, généralisant, qu’il voit chez les personnes ayant été influencées par l’œuvre de Guénon des caractéristiques propres d’origines hindoues, dont Guénon lui-même était le porte-parole. (Nelly Emont, revue ARIES Nº 8, décembre 1988, commenté dans SYMBOLOS Nº 1, page 185). Cet auteur a raison, sauf que l’on ignore que la même essence est présente dans la totalité des traditions ­y compris les religions (jusqu’à l’Islam, où Ibn Arabi l’exprime clairement : il établit qu’il existe entre l’Être et le Non-Être, c’est-à-dire le Néant, un Sublime Intermédiaire qui regarde à la fois vers l’Être et vers le Néant, ou Non-Être), bien que ce ne soit pas toujours explicite, et dans les formes initiatiques qui ne constituent pas une religion, comme la Franc-Maçonnerie et tant d’autres ­lorsqu’on les approfondit, et que l’on dépasse le niveau de la déité créatrice prise comme dernière instance de la possibilité de Connaître.

     

    Le Non-Être, le véritable Infini (pour la Kabbale hébraïque : En Soph [], ou Ayn [] = ‘Néant’, c’est-à-dire rien de ce qui pourrait être quelque chose, l’atteste pleinement.

     

    CONCLUSION

       Il faut en définitive considérer que cette Fin de Cycle et l’Histoire (le temps), sont constamment modelées par le Démiurge qui produit l’Œuvre d’Art permanente, le dessein créateur. La fin de l’Histoire est donc, sans aucun doute, la fin du temps et la mort de ce Démiurge.

       L’Histoire du monde (celle de la Création) est le développement du potentiel de la semence, genèse qui comprend une ascension (enfance, jeunesse) et une descente (maturité, vieillesse) et se voit couronner par une apocalypse.

       Si l’on considère cette apocalypse comme le voyage post mortem de l’âme, c’est-à-dire comme la description du processus initiatique qui transmute et donne un sens à la Création, à l’Histoire du Monde, mais aussi à celle de l’homme, celles-ci seraient une révélation et prendraient une nouvelle dimension, à savoir un sens ultime, qui permettrait l'origine d'un nouveau développement.

       La Tradition, c’est-à-dire l’Archétype en action, est identique à la permanente actualisation de l’être –qui n’est jamais sorti de soi– et sa réabsorption en Lui-Même lorsque cette Tradition s’achève et que cesse de tourner le mouvement de la Roue. Cet instant, analogue au solstice dans l’année, moment d’arrêt et donc de simultanéité, est la conjoncture grâce à laquelle le temps devient Éternité, le cosmique est le support du supracosmique, et se réalisent d’autres états de l’Être Universel, et une fois ce temps absorbé par l’espace, donne lieu à un nouveau monde, à une nouvelle humanité, conçus par un nouveau Démiurge, grâce à sa perpétuelle réadaptation aux lois des cycles.

       Le mystère de l'ensemble, qui est pour certains la culmination et le sens de leur vie, ne doit pas ôter aux autres l’Espoir et la Foi authentique en un monde futur, virginal et neuf, possédant la fraîcheur d’une nouvelle aurore, que nous devons atteindre au moyen du sacrifice, voire de la souffrance qui caractérise toute recréation, après quoi la douleur, la maladie, l’ignorance et la mort sont abolies une fois pour toutes, en même temps que l’entrée au Paradis d’un Nouvel Âge d’Or, pour nous et pour nos semblables.

     

    SECONDE PARTIE

    QUELQUES COURANTS, AUTEURS ET ŒUVRES

     

    Cette seconde partie présente des notes et des articles, parus dans SYMBOLOS et écrits par moi-même, sur René Guénon, la Tradition Hermétique et la Maçonnerie –à savoir, les voies de réalisation d'Occident– qui témoignent tout ensemble de l'orientation de la revue et renseignent sur l'environnement ésotérique de la période 1990-2000. J'ai préféré éditer ces notes telles quelles : les reproductions de sommaires entiers les rendent peut-être un peu ennuyeuses mais attestent cependant chronologiquement des thèmes, textes et idées y afférentes que publiait SYMBOLOS. (La note au sujet de la revue Villard de Honnecourt a été réalisée conjointement avec Francisco Ariza).

     

    CHAPITRE VII

    AU SUJET DE RENÉ GUÉNON

     ÉTUDES TRADITIONNELLES. Numéro spécial consacré à René Guénon, 1951. 11, Quai St-Michel. 75005 Paris.

    Sommaire: Paul Chacornac, Jean Reyor: Présentation. A. K. Coomaraswamy: Sagesse orientale et savoir occidental. Léopold Ziegler: René Guénon et le dépassement du monde moderne. M. Vâlsan: La fonction de René Guénon et le sort de l'Occident. Frithjof Schuon: L'œuvre. Luc Benoist: Perspectives générales. André Préau: René Guénon et l'idée métaphysique. Jean Thamar: Comment situer René Guénon. J. C.: Quelques remarques sur l'œuvre de René Guénon. Marco Pallis: René Guénon et le Bouddhisme. Paul Chacornac: La vie simple de René Guénon. Gonzague Truc: Souvenirs et perspectives sur René Guénon. F. Vreede: In memoriam René Guénon. Mario Meunier: René Guénon précurseur. Jean Reyor: La dernière veille de la nuit.

       Nous voulons souligner que la revue Études Traditionnelles –qui s'est appelée Le Voile d'Isis jusqu'en 1937– a été pendant plus de trente ans la tribune de Guénon et de ceux qui rejoignaient sa pensée, bien qu'il ne l'ait jamais dirigée directement. C'est pour quoi nous devons reconnaître à Études Traditionnelles sa valeur et son importance en tant que moyen de diffusion de la pensée de Guénon durant cette longue période. Ce numéro de 160 pages a été le premier hommage rendu à Guénon, car il fut publié six mois après sa mort, ce qui nous permet de croire que certaines idées s'y sont définies, créant ainsi de l'homme et de son œuvre une “image” qui a en quelque sorte conditionné pendant un certain temps ce que l'on nomme le mouvement “guénonien”. Nous nous référons notamment à toutes ces idées concernant le Catholicisme, le Christianisme, la Franc-Maçonnerie, et plus particulièrement l'Islam. Pour certains des intervenants (par exemple Schuon, Pallis, Reyor, Chacornac), il semblerait plutôt que cet hommage posthume leur ait donné une inestimable opportunité de “parler pour eux”, et de s'ériger en quelque sorte en références quasi obligatoires pour comprendre l'œuvre du grand métaphysicien. Cela s'est avéré, un cas récent en est la preuve, être une illusion pure et simple. Suivent nos commentaires sur certains articles.

     

    L'œuvre. F. Schuon.

       Schuon expédie l'œuvre de Guénon en six pages, établissant une suite de divisions et subdivisions plus ou moins réussies, magister dixit. Comme dans presque tout ce qu'il écrit, il donne l'impression de se référer indirectement à lui-même et non au thème traité. Cela devient flagrant lorsqu'il qualifie Guénon de “théoricien”, marquant ainsi une division inexistante entre théorie et pratique en matière de Connaissance. En effet, la Connaissance est transformatrice, et pas seulement formellement car cette transmutation est, de fait, identique à l'initiation. En taxant de “théorique” l'œuvre de Guénon, il tente de la diminuer, surtout si l'on tient compte qu'il proposait à cette époque, en Suisse, un enseignement non seulement “théorique” mais aussi “pratique”, ce qui en faisait un véritable “maître”, c'est-à-dire qu'il offrait, outre la doctrine, une “méthode” pour la “vie spirituelle”, comme il la nommait lui-même. Nous avons lu le rapport Koslow et ce qu'a écrit Dominique Devie avant d'écrire cette note, en plus de l'assurance personnelle et directe que nous pouvons donner des “techniques” concernant ses “disciples” et de l'image que ces derniers donnaient de leur “maître”. Tout ceci est sans aucun doute en rapport avec l'identification erronée qui remplace la sagesse par la “sainteté”. Dans tous les cas, le Seigneur, le Grand Architecte, a le dernier mot. Si une individualité oublie les dieux, en retour les dieux oublient cette individualité ; et elle se retrouve ainsi exposée au rejet, aux railleries et au mépris, pour le moins.

    Perspectives Générales. Luc Benoist.

       Luc Benoist, auteur entre autres des livres Art du Monde et La Cuisine des Anges, signale dans son article que toute l'œuvre de Guénon part du point de vue central et synthétique, c'est-à-dire métaphysique, « celui qui comprend tout sans rien supprimer, qui permet l'économie de la mémoire et de l'effort, qui aide l'invention et la découverte, qui facilite la liaison entre les disciplines les plus étrangères, le point de vue des principes qui unissent les idées et les hommes ».. Et plus loin : « A cette idée de centre est intimement lié l'idée de germe [donc du plus petit]... celui qui contient déjà dans sa mystérieuse complexité tous ses développements ultérieurs. L'idée de germe emporte avec elle l'idée de liaison avec son origine, donc celle de tradition ». Cela fait que la possibilité d'accéder à la Tradition, au centre, soit plus proche que ce que nous pensons en réalité, car elle est contemporaine de la vie et de l'homme lui-même ou, ce qui revient au même, du temps et de l'histoire, bien que la Connaissance que soutient et révèle la Tradition, essentiellement verticale, échappe aux conditionnements propres à la vie, à l'homme (individuel ), au temps et à l'histoire, qui ne sont que ses reflets horizontaux et qu'elle englobe néanmoins, car l'Infini ne nie pas le fini. Mais la métaphysique n'est pas un point de vue parmi d'autres, sinon ce qui, bien que se rapportant au véritablement inexprimable et mystérieux, est cependant ce qui donne réalité à toutes choses, quelles qu'elles soient, ce qui permet en effet l'éclosion de ce germe dans l'être et le complet développement de toutes ses possibilités. S'il n'en avait pas été ainsi, Guénon n'aurait jamais écrit son œuvre, et la Tradition n'aurait aucun sens, car ce qu'elle transmet est précisément l'Idée (l'Être) de l'Inconditionné et, à partir de là, grâce aux supports symboliques véhiculés par cette Idée, le “chaos” de ces possibilités commencera à s'ordonner, premier pas nécessaire pour accéder à l'état réellement Inconditionné et à l'Identité Suprême, ce qui, comme le dit Guénon dans La Métaphysique Orientale, « bien loin d'être une sorte d'anéantissement comme le croient quelques Occidentaux, cet état final est au contraire l'absolue plénitude, la réalité suprême vis-à-vis de laquelle tout le reste n'est qu'illusion. »

        Nous pensons que toute l'œuvre de Guénon est intimement mêlée à cette idée, bien qu'en quelques occasions, par ailleurs nécessaires à des fins d'éclaircissement, il ait fallu qu'elle traite de thèmes appartenant davantage au domaine de l'éventuel et du relatif, comme dans le cas de ses travaux dénonçant les déviations et les erreurs du monde moderne, de l'occultisme, de la théosophie et du spiritisme, dans lesquels il a cependant toujours introduit des connaissances de la doctrine, car dans le cas contraire ils n'auraient pas dépassé la simple critique, plaçant donc ces déviations à la place exacte qui leur correspond au sein de l'ensemble de l'ordre total et universel.

        Benoist divise l'œuvre de Guénon en quatre parties principales. Dans la première, il place précisément La Théosophie, histoire d'une pseudo-religion et L'Erreur Spirite, ainsi que ses divers articles sur le néospiritualisme moderne. En rapport avec ce que nous avons noté précédemment, Benoist signale que « en dehors de leurs valeurs négatives, ces ouvrages contiennent en contre-partie des enseignements très positifs. L'Erreur Spirite surtout possède des chapitres et des pages sur les états posthumes, les différences existant entre réincarnation, transmigration et métempsychose, des définitions capitales, qu'il serait impossible de trouver ailleurs. ». Dans ses livres “critiques”, Benoist place également Principes du Calcul Infinitésimal, « puisqu'en somme, le point de vue y reste le même. L'erreur spirite et le pseudo-infini mathématique dérivent l'une et l'autre de la même incapacité de conception à l'égard du véritable infini et de la possibilité universelle. »

        La deuxième partie comprend les œuvres dans lesquelles il expose « les raisons du désordre actuel et les conditions purement spirituelles d'un redressement. » Il s'agit de Orient et Occident, La Crise du Monde moderne, Autorité spirituelle et pouvoir temporel,, et enfin Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps. De toutes ces œuvres, Benoist se centre spécialement sur la dernière, car elle ferme en quelque sorte les travaux consacrés au « domaine des applications historiques. » En effet, Le Règne de la Quantité est un livre extrêmement important et indispensable à la compréhension de la symbolique de l'histoire (c'est-à-dire l'histoire sacrée) et des cycles cosmiques, considérés comme l'expression des principes d'ordre universel, les premiers desquels, en ce qui concerne l'origine même de la manifestation cosmique, sont Purusha et Prakriti, que Guénon assimile à l'Essence et la Substance primordiales, les deux pôles, spirituel et réflexif, entre lesquels se situe l'ensemble de tous les degrés d'Existence universelle. Dans l'ordre humain et de notre monde, ces deux principes s'appliquent respectivement à la qualité et à la quantité. À l'origine de l'actuel cycle humain (le Manvântara), c'est-à-dire au “Paradis Terrestre”, l'essence et la qualité régnaient partout, car tout était sous l'influence directe du pôle spirituel, et c'est le développement cyclique et historique à partir de cette origine qui s'en est lentement éloigné, ce qui est pris comme une progressive “solidification” ou une “chute” graduelle en direction du pôle substantiel et quantitatif qui est placé à l'extrême opposé de toute spiritualité, et c'est précisément là que nous nous trouvons actuellement. Benoist nous dit cependant que, pour Guénon « la solidification du monde se présente, nous dit René Guénon, sous un double sens : considérée en elle-même, dans un fragment de cycle, elle a évidemment une signification 'défavorable' et même 'sinistre', opposée à la spiritualité. Mails d'un autre côté elle n'en est pas moins nécessaire pour préparer les résultats du cycle sous la forme de la 'Jérusalem céleste', [résultats qui représentent la “cristallisation” positive et transmutée du meilleur du cycle] où ces résultats deviendront les germes du cycle futur. Seulement pour que cette fixation devienne une restauration de 'l'état primordial', il faut l'intervention d'un principe transcendant [qui s'appelle le Kalki Avatâra dans la tradition hindoue et “le second avènement du Christ ou du Messie” dans le judéo-christianisme] Cette intervention produit le retournement final et amène la réapparition du 'Paradis terrestre' », réapparition, ajouterons-nous, qui n'appartient déjà plus à notre actuel Manvântara sinon au suivant, dans lequel il y aura, selon l'Apocalypse, « de nouveaux cieux et une nouvelle terre ».

        La troisième division de Benoist contient surtout les nombreux articles que Guénon a consacrés aux traditions occidentales, spécialement celles dérivées de l'ésotérisme chrétien (comme les ordres de chevalerie, le Temple, les légendes sur le Saint Graal, la Fede Santa ou les Fidèles de l'Amour, etc.). L'Ésotérisme de Dante et Le Roi du Monde appartiennent également à cette dernière catégorie, bien que nous soyons d'avis que ce serait plutôt la première de ces œuvres qui se rapporte le plus directement à la tradition occidentale. Naturellement, sont aussi inclus les articles sur le Compagnonnage, et surtout sur la Franc-Maçonnerie, qui formèrent par la suite deux épais volumes : Études sur la Franc-Maçonnerie et le Compagnonnage.

        La quatrième et dernière division, toujours selon Benoist, comprend « la partie la plus positive et la plus riche, qui expose avec une clarté inattendue la véritable métaphysique orientale. » Il s'agit de l'Introduction Générale à l'Étude des Doctrines Hindoues (son premier livre publié), L'Homme et son Devenir selon le Vêdânta, Le Symbolisme de la Croix, Les États Multiples de l'Être, et La Grande Triade, cette dernière œuvre se centrant plus précisément sur la métaphysique et la cosmogonie taoïste bien qu'elle fasse de nombreuses références au symbolisme alchimiste, hermétique et maçonnique. Après une brève révision du contenu de tous ces livres, Benoist considère que Les États Multiples de l'Être est le plus original de toute l'œuvre de Guénon, affirmant qu'il « se place davantage au-dessus de toutes les traditions ». Les États multiples « constituent la pièce maîtresse, la clef de voûte de l'œuvre guénonienne, celle dont aucune autre ne. peut donner l'équivalent, et qui au contraire est nécessaire à la parfaite compréhension de tous les autres. Il s'agit de l'élucidation la plus complète qui ait jamais été donnée de la géographie de l'invisible, de l'Infini, du Non-Être et du Possible, de toute la complexité des hiérarchies spirituelles.»

        Enfin, Benoist parle de l'importance du symbolisme dans l'œuvre “guénonienne”, qui « constitue en fait la base même de l'édifice. » Il ne le dit pas, mais l'on pourrait prendre en compte ici les nombreux articles écrits par Guénon sur les symboles universels, presque tous recueillis par la suite dans Symboles Fondamentaux de la Science Sacrée, livre qui est devenu indispensable pour comprendre non seulement Guénon mais aussi la nature et le message de la Tradition.

        Pour notre part, nous voudrions ajouter que, à toutes les divisions établies par Benoist, manquent les études consacrées à l'initiation, qui occupent selon nous une place capitale dans la pensée de Guénon, et sont en outre directement liés à l'idée de réalisation, à laquelle conduit nécessairement l'étude de son œuvre. Rappelons, par exemple, les Aperçus sur l'Initiation, et les articles écrits au cours de plusieurs années qui ont été regroupés sous le titre de Initiation et Réalisation Spirituelle.

    La dernière veille de la nuit. J. Reyor.

       Un hommage à la mémoire de Guénon où la chaleur humaine n'est pas absente –au contraire de la note de Schuon–, et certaines considérations importantes, mais où Jean Reyor a-t-il pris que la “nécessité” de l'exotérisme joue un rôle si important dans l'œuvre de Guénon ? Cette observation extraordinaire fondée seulement sur un article de Guénon (voir chapitre IV) en quelque sorte indépendant du reste de son œuvre, a marqué néanmoins une grande partie des écrits et de la vie de Reyor, directeur à ce moment de Études Traditionnelles, et a même révélé une attitude propre à certains “guénoniens” attirés par ce qui est “officiel” et un besoin littéral d'une sécurité fallacieuse, c'est-à-dire par une crainte profonde de la métaphysique et de l'éventualité du non-humain. Un refus de l'inconnu mis en évidence par un attachement égotiste au connu, ce qui nie purement et simplement le symbole, son pouvoir médiateur et de transmutation.

    *

    RENÉ GUENON. Éditions de l'HERNE. Paris 1985. 459 pp. Dirigé par Jean-Pierre Laurant avec la collaboration de Paul Barba-Negra.

    SOMMAIRE: Jean-Pierre Laurant: Avant-propos: "Nous ne sommes pas au monde..."; Jean-Pierre Laurant: Repères biographique et bibliographiques; René Guénon: Poèmes de jeunesse; LA CRISE DU MONDE MODERNE: Jean Biès: René Guénon, héraut de la dernière chance; Michel Michel: Sciences et tradition, la place de la pensée traditionnelle au sein de la crise épistémologique des sciences profanes; Victor Nguyen: Guénon, l'ésotérisme et la modernité; Daniel Cologne: Puissance et spiritualité dans le traditionalisme intégral; Jean Robin: Le problème du mal dans l'œuvre de René Guénon; René Guénon: Extraits de lettres à Hillel; DES SOURCES POUR SAVOIR?: Nicolas Séd: Les notes de Palingénius pour "l'Archéomètre"; Jean Reyor: De quelques énigmes dans l'œuvre de René Guénon; Pierre Grison: L'Extrême-Asie dans l'œuvre de René Guénon; L'AXE DOCTRINAL: Giovanni Ponte: Réflexions à la lumière de l'œuvre de Guénon concernant l'unité principielle, l'ésotérisme, l'exotérisme et les risques de la voie initiatique; Alain Dumazet: Métaphysique et réalisation; Alain Gouhier: La réponse à Henri Massis, une aventure inachevée; André Conrad: L'indifférence et l'instant, lecture d'un chapitre des "États multiples de l'Être"; Yves Millet: René Guénon contre les Messieurs de Port Royal; René Guénon: Lettre à A. K. Coomaraswamy; Olivier de Frémond: Une lettre à René Guénon; LE SYMBOLISME TRADITIONNEL: Jean Borella: Du symbole selon René Guénon; Roger Payot: Réflexions philosophiques sur le symbolisme selon Guénon; René Guénon: Extrait d'une lettre à Jean Reyor; LIEUX DE RENCONTRE ET POINTS D'AFFRONTEMENTS: Mircea Éliade: Un autre regard sur l'ésotérisme: René Guénon; François Chenique: A propos des "États multiples de l'être" et des degrés du savoir: quaestiones disputatae; Jean Hani: René Guénon et le christianisme. A propos du "Symbolisme de la croix"; Portarius: Sur la possibilité d'un ésotérisme dans le christianisme; Christophe Andruzac: Note sur la diversification des voies spirituelles; Denys Roman: Les cinq "rencontres" de Pierre et de Jean; Denys Roman: Note additionnelle sur le Saint-Empire; Édouard Rivet: René Guénon franc-maçon; René Guénon: Extraits de deux lettres à R.P.; Jean Pierre Schnetzler: René Guénon et le bouddhisme; René Guénon: Une lettre à A. K. Coomaraswamy; Marco Pallis: Une lettre à J.-P. Laurant; Catherine Conrad: Guénon et la philosophie; Frithjof Schuon: Note sur René Guénon; René Guénon: Lettre à F. Schuon; René Guénon: Trois lettres à propos de l'initiation féminine; UNE LENTE IMPRÉGNATION: Eddy Batache: René Guénon et le surréalisme; Pierre Alibert: Albert Gleizes-René Guénon: Frédérick Tristan: Extraits du Journal; Luc Benoist: Lettre à Jean Paulhan; René Guénon: Deux lettres au peintre René Burlet; Jean Borella: Georges Vallin, 1921-1983; François Chenique: La vie simple d'un prêtre guénonien: l'abbé Henri Stéphane; Gaston Georgel: Ce que je dois à René Guénon; ENTRETIENS: Entretien avec Jean Tourniac; Entretien avec Emilie Poulat; COMMENTAIRE DES ILLUSTRATIONS: René Guénon: Lettres à Hillel; Lettres à F. G. Galvao; Lettre à Julius Evola

    Science et tradition. Michel Michel.

       Du point de vue concret où il est placé, cet écrit est très intéressant et précise dans une large mesure la pensée de Guénon sur les sciences profanes en général et en particulier les connexions ou ponts qui peuvent exister entre sa pensée et les concepts des sciences et techniques actuelles, qui ont tellement changé depuis le temps où Guénon écrivait son œuvre. Dans la première partie, il décrit les critiques, évidentes aujourd’hui ­encore que la vulgarisation scientifique, et pas seulement la vulgarisation, continue d’insister à ce sujet­ sur les méthodes scientifiques basées fondamentalement sur l’expérimentation, l’empirisme, la spécialisation et les statistiques des sciences "naturelles" et appliquées, et la confusion de chercheurs récents qui refusent la propre instrumentation scientifique, comme c’est le cas de l’épistémologiste Karl popper. L’on a souligné auparavant le rôle octroyé par Guénon à l’arithmétique et à la géométrie, sciences traditionnelles et véhicules de connaissance, et l’erreur des scientifiques qui, croyant traiter directement de la réalité des phénomènes observés, ne se réfèrent en fait qu’à la description de ces phénomènes au moyen d’une traduction, par ailleurs marquée historiquement, c’est-à-dire soumise aux circonstances de temps, et même de lieu ; c’est un fait notoire à l’époque de Guénon et en Europe en général, en raison de l’influence de la mécanique, qui a son origine chez Descartes et de laquelle découle un type de pensée trouvant son accomplissement social dans la révolution industrielle, et s’infiltre et marque toutes les sciences, y compris les "sciences humaines", que l’auteur prend aussi en compte, comme la sociologie, la psychologie, l’histoire, etc. Nous partageons également avec lui la critique qu’il fait au grand métaphysicien français de ne pas avoir prêté davantage d’attention à l’anthropologie, et spécialement aux peuples primitifs ou archaïques comme sociétés traditionnelles encore vivantes aujourd’hui, et que Guénon décrit dans certains cas comme des dégénérescences d’une connaissance ancestrale. Sur ce sujet, entre autres, l’auteur pense que cela serait dû au conditionnement propre à l’époque où Guénon vécut et travailla, à son cadre de référence.

       Il fait également remarquer que l’attitude de Guénon ­et de beaucoup de "guénoniens"­ au sujet du plan intermédiaire, en cela qu’il le nie puisqu’il ne s’agit pas du monde réellement spirituel, est une tentative d’affirmer le caractère primordial de l’origine non humaine de la manifestation, au détriment de la psychologie profonde et de la réalité du plan imaginaire. Il va de soi qu’un travail comme celui-ci, en soi extrêmement condensé, ne peut être synthétisé en quelques lignes, car il contient de nombreuses allusions et suggestions et que l’on y traite, d’une manière directe ou plus voilée, de bien des choses devant être des motifs de réflexion et de méditation pour l’homme contemporain, dont nous sommes aussi. Nous considérons en tout cas plus enrichissant un travail de ce type que les controverses théologiques et de philosophie religieuses sur lesquelles ont débouché nombre de "guénoniens".

    Du symbole selon René Guénon. Jean Borella.

       Cette étude débute par une intéressante analyse de l’œuvre de Guénon, qu’il divise en cinq parties : critique du monde moderne, tradition, métaphysique, symbolique et réalisation spirituelle. Tradition, métaphysique et symbolique constituent le triangle d’assise des pyramides, dont le pôle le plus bas correspond à la critique du monde moderne et aux réformes de la pensée profane, et le pôle le plus haut, logiquement, à la réalisation.

       Il poursuit en traitant du symbole en tant qu’intermédiaire entre différents plans de l’Être universel et comme unité manifeste et synthétique du connaissable, et aborde quelques théories modernes sur le symbole, en particulier le structuralisme qui, décomposant analytiquement le symbole en des unités différenciées qui ne s’interprètent pas mais se constatent, ainsi que les "mythologies", nient la raison d’être du symbole, qui est le trait d’union entre les parties d’un tout. Les considérations qui suivent, se fondant sur l’œuvre de Guénon, éclairent certains concepts comme correspondance et analogie, mettant l’accent sur l’analogie inverse.

    Réflexions philosophiques sur le symbolisme selon Guénon. Roger Payot.

       Dans cet article intéressant et évocateur, l’auteur tente de rapprocher le point de vue philosophique et scientifique sur la fonction du symbole (citant divers auteurs comme André Leroi-Gourhan, Ernst Cassirer, Husserl, et même Kant), de la position sur ce sujet soutenue tout au long de son œuvre par Guénon. Néanmoins, Roger Payot parvient rapidement à la conclusion que ce rapprochement n’est possible qu’à un certain niveau (celui des analogies qu’établissent les possibilités du langage et de la raison), au-delà duquel se trouve le domaine proprement dit ontologique et métaphysique où nous projette le symbole grâce au pouvoir de synthèse qu’il génère, et qui échappe évidemment à l’analyse discursive. C’est la différence qu’il y a entre l’horizontale et la verticale : elles coexistent ensemble, mais la première n’est que le reflet de la seconde. Rappelons ces mots de Guénon, cités par l’auteur : « Le rôle des symboles est d'être le support de conceptions dont les possibilités d'extension sont véritablement illimitées, et toute expression n'est elle-même qu'un symbole; il faut donc toujours réserver la part de l'inexprimable qui est même, dans l'ordre de la métaphysique pure, ce qui importe le plus. »

    Note sur René Guénon. Frithjof Schuon.

       Schuon signale cette fois des lacunes et des fautes dans l’œuvre de Guénon, et les attribue à son caractère unilatéral, qui semblerait n’être pas accordé à "l’envergure de sa mission", bien qu’il soit indéniable qu’il ait été une personnification, non de la spiritualité, mais de la certitude intellectuelle, puisqu’il s’agit d’un "pneumatique".

       Pour comprendre l’œuvre de Guénon, il faut, selon Schuon, tenir compte de deux choses (sûrement en raison d’une certaine fatalité ayant marqué son destin), l’une étant l’irremplaçable valeur de l’œuvre "guénonienne" et l’autre la substance gnostique et pneumatique de l’auteur. D’autre part, Guénon sous-estime la morale et l’esthétique, et il écrivit dans un article de La Gnose que les religions sont des formes hérétiques de la Tradition Primordiale. La dernière partie de la note nous explique, de manière duale et sibylline, certaines considérations personnelles de son invention sur la prétendue "personnalité pneumatique" de l’auteur. Tout ceci constitue-t-il un hommage pour le centième anniversaire de la naissance du grand métaphysicien français ?

    * * *

       Il faut par ailleurs faire l’éloge de la réalisation d’une publication aussi complète que celle des Cahiers de l’Herne au sujet de Guénon, en particulier en ce qui concerne les documents, lettres et même poèmes de jeunesse.

    RENÉ GUÉNON. Les Dossiers H. L’Âge d’Homme, Lausanne. 1984. 324 pp. Dirigé par Pierre-Marie Sigaud.

    SOMMAIRE: Pierre-Marie Sigaud: Prologue; OUVERTURE: Jean Tourniac: Nouvelles réflexions sur l'œuvre de René Guénon; André Coyné: L'œuvre de Guénon dans la seule perspective qui l'explique; Frithjof Schuon: Quelques critiques; ETUDES: Gérard de Sorval: Jalons pour situer la tradition catholique face à l'œuvre de René Guénon; Jean Borella: Gnose et gnosticisme chez René Guénon; Marie-Madeleine Davy: Remarques sur les notions d'ésotérisme, de métaphysique et de tradition envisagées dans leur rapport avec le christianisme; Jean Hani: La contribution de René Guénon à l'intelligence de l'Art Sacré: l'exemple de l'Icône de la Nativité; Alain Daniélou: René Guénon et la tradition hindoue; Françoise Le Roux et Christian-J. Guyonvarc'h: René Guénon et les études celtiques; Marco Pallis: "Le Roi du Monde" et le problème des sources d'Ossendowski; CONTRE CULTURE: Walter Heinrich: Guénon et la Méthode Traditionnelle; Francisco García Bazán: Champ d'application de la doctrine métaphysique; Victor Nguyen: Maistre, Maurras, Guénon: contre-révolution et contre-culture; René Alleau: De Marx à Guénon: d'une critique "radicale" à une critique "principielle" des sociétés modernes; LECTURES: Frédérick Tristan: Réflexions sur René Guénon (Extraits inédits du Journal de Frédérick Tristan). Michel Le Bris: Pour en finir avec les guerres de religion (notes); Eric Ollivier: La porte du rêve; F. J. Ossang: Via Guénon, sous le signe du feu; Philippe Trainar: Eloge; Bruno de Panafieu: René Guénon, in memoriam; Aldo Ciccolini: Entretien; RECEPTIONS CRITIQUES: León Daudet: Compte-rendu d'Orient et Occident (1924); Roger Gilbert-Lecomte: Compte-rendu de La Crise du Monde Moderne (1928); René Daumal: Encore sur les livres de René Guénon (1929); André Bretón: René Guénon jugé par le Surréalisme (1953); André Gide: Extrait du Journal (1943); Henri Bosco: Entretiens en pays d'Islâm (1951); Michel Deguy: Guénon et la "Science Sacrée" (1963); CORRESPONDANCE: René Guénon: Lettres a Pierre Germain, Nöelle Maurice-Denis, R. Martínez Espinosa, F. G. Galvao, Eric Ollivier; CHRONOLOGIE; BIBLIOGRAPHIE: Aymon de Lestrange; NOTES SUR LES AUTEURS.

       L’édition de ce volume (de 322 pages grand format) représente sans aucun doute un effort, bien qu’elle n’aie pas été bien accueillie par divers groupes "guénoniens" car, selon certains, elle semblerait davantage une critique de la pensée de Guénon qu’un hommage. Nous ne partageons pas ce critère. Nous indiquerons plus bas quelques collaborations. Ce dossier a été conçu par Pierre-Marie Sigaud.

    Quelques critiques. Frithjof Schuon.

        Schuon, qui souscrit à 90% à la pensée générale de Guénon (quoique la dénaturant et la manipulant), bien évidemment son prédécesseur, tente de dissimuler le fait dans une prose littéraire avec laquelle il se vante d’expliquer la même chose d’une manière soi-disant plus "artistique", "philosophique" et "poétique", avec de nouveaux exemples, empruntés en particulier à des écrivains chrétiens ésotériques (M. Eckardt, Denis l’Aréopagite, etc.) et ne perd pas une occasion, comme c’est le cas, d’opposer des objections à la pensée du grand métaphysicien, pour tenter ainsi de s’en différencier et posséder apparemment sa propre vie intellectuelle et spirituelle, supérieure même à celle de Guénon, attitude qu’il a affichée depuis 1946 sans autre résultat sérieux.

     

       Son œuvre est d’une parfaite uniformité, et avoir lu un seul de ses chapitres revient à les avoir tous lus, car son style ampoulé, prétendument littéraire, se répète sans cesse, recourant aux mêmes trucs et subterfuges (celui, par exemple, qui consiste à employer constamment "l’inversion" des conceptions ou des phrases et les jeux de mots, avec la prétention d’utiliser de brillants procédés de type analogique). Comment pourrait-on comparer une œuvre aussi riche que celle de Guénon avec celle qui ne fait que développer quelques-uns de ces concepts d’une façon frivole et intéressée ? Quel rapport entre le discours monotone et linéaire de Schuon, qui paraît un rassemblement de messages et prédications philosophiques du dimanche, et un auteur capable d’écrire des libres aussi différents que L’Erreur Spirite ou La Théosophie, histoire d’une pseudo-religion, fondés sur la documentation, que L’Ésotérisme de Dante ou Le Roi du Monde, en passant par les extraordinaires exposés géométriques et arithmétiques du Symbolisme de la Croix ou de Principes du Calcul Infinitésimal, pour ne pas continuer de citer le reste de ses livres et articles ?

       Revenant au texte que nous commentons, nous dirons que Schuon ne reconnaît dans l’être humain que la possibilité des états individuels, les états supra-individuels n’étant qu’une simple aspiration humaine, et de là l’importance attribuée à la religion, la morale et la "sainteté", car lui-même ne connaît pas d’autres états, chose bien étrange si l’on regarde la qualité et la prétention de ses livres, et il confond la sortie de Maya, si laborieusement obtenue, avec les buts toujours plus subtils de l’initiation, donc de la réalisation de l’Être Universel avant la mort, et non pas des états du Non Être, qu’il refuse, se raccrochant à son rôle égotiste de gourou, pris dans les rets de sa personnalité ; pour cela, sa recherche spirituelle est une voie sans issue, un simple échelon d’introduction, un peu plus avancé dans la voie de la Connaissance que certains instituts de yoga ou des sectes comme "Les Enfants de Dieu"; de là vient aussi son besoin de signaler les "erreurs" et de ponctuer d’annotations logiques et théologiques une œuvre aussi inspirée, qu’il n’a pu atteindre par ses propres limitations intellectuelles nées d’un cœur étroit, empli d’étranges rancunes et envies, et d’une psyché maladive, maniérée et compliquée, qui le porte à assumer un rôle tyrannique, qui ne lui incombe pas, comme un écran pour dissimuler et nier ce qu’il ne peut savoir que d’une façon toute superficielle, car il n’a pas reçu la grâce nécessaire pour transposer ces limites que le destin octroie si généreusement à d’autres, plus frais et "ingénus". Pour Schuon, il n’y a ni véritable miracle, ni poésie, ni connaissance ; seulement des normes logiques (théologales), "prospective littéraire", beauté de consommation et petite érudition ; c’est une façon de nier la grâce et détourner le mot mystère en le vulgarisant, car il lui est octroyé dans son œuvre un caractère allégorico-religieux, refusant à ceux qui sont sur la Voie Symbolique d’accéder à la Connaissance authentique et de s’y identifier au moyen d’un contrôle de type dogmatique exercé de par ses propres déficiences spirituelles, qu’il pare de caractéristiques universelles, et sa conception personnelle de Dieu. En d’autres termes : s’il n’est pas possible d’accéder à certains états, l’on couvre d’objections logiques ou formelles ceux qui les révèlent de la meilleure façon qui soit, par le biais des symboles et des images, c’est-à-dire que l’on sape leurs fondations, par incapacité métaphysique, au moyen des arguments médiocres et bureaucratiques de qui croit avoir fait une carrière de philosophe religieux, ou ésotériste, prenant sa source dans son conditionnement petit-bourgeois et les préjugés sociaux, culturels et dévots qu’il a été incapable d’abandonner. Il est cependant digne d’attention que les critiques qu’il fait sont, dans certains cas, en concordance avec d’autres oppositions à l’œuvre de Guénon, comme s’il prétendait s’attirer la sympathie de ceux qui les ont faites et apporter ainsi de l’eau à son moulin. L’une d’elles, parmi d’autres, fait référence à ce que "Guénon semble avoir une sorte d’allergie contre tout ce qui est proprement humain" ; bien sûr, dans l’œuvre de Guénon, intégralement dirigée vers la réalisation des états non-humains de l’Être, ce qui est proprement humain doit sembler mineur, ou, dit en d’autres termes, l’on connaît ce qui est humain (à n’importe quel niveau existentiel) et l’on en tient compte, c’est inclus dans la cérémonie et il est donc nécessaire de le dépasser. Pourquoi, sinon, écrire et se consacrer à ce métier ? Quel serait, dans ce cas, le sens de la vie et du travail de Schuon ? Gagner des sympathisants et des disciples, ce pour quoi il devrait essayer de discréditer Guénon qui, avec sagesse, ne voulut pas avoir d’élèves, extraordinaire décision qui prend toute son ampleur à considérer le cap donné à son discours après sa mort et les parasites de son œuvre. Est-ce là la mission d’un saint ? Ce n’est en tout cas pas celle d’un sage. Les lecteurs de Guénon n’ont nul besoin qu’un cadet comme Schuon vienne défendre Guénon contre lui-même. Pour l’amour de Dieu ! Quelle prétention ridicule et pédante déguisée en "intellectualisme" ! L’on a l’impression d’être face à un travesti, et que les bons exécutants de la simulation sans plus, beaucoup d’entre eux étant de véritables artistes, veuillent bien nous pardonner.

       Après ces paroles générales, nous analyserons quelques autres erreurs que Schuon impute à Guénon et qu’il semble avoir sélectionné durant toute sa longue vie au moyen d’un examen pointilleux de son œuvre. Cependant, avant de débuter cette tâche dans laquelle nous n’englobons pas la question initiation/catholicisme qui nous est étrangère et dont la polémique dure depuis plus de quarante ans, nous avons relu plusieurs fois l’article de Schuon, qui semble tout savoir, et nous opinons que ses objections sont encore moins substantielles qu’il paraît à première vue, telles qu’il les présente et vu qu’elles dépendent d’une conception dialectique et technique de l’ésotérisme, d’un niveau inférieur à celui que semblent posséder les différents collaborateurs de cette publication ainsi que d’autres hommages et œuvres à ce sujet, sans compter les enseignements généraux de l’Ésotérisme, la Science des Symboles, la Tradition Hermétique, les doctrines orientales et la connaissance des peuples archaïques, aux facettes multiples et souvent contradictoires en apparence, et qui seraient incapables de résister à une analyse logico-dialectique, parmi lesquelles l’Hindouisme, le Bouddhisme, le Judaïsme, que dire de l’Islam, éternel contrepoint, obscurantisme et fanatisme tout au long de son histoire, sans parler de l’Église de Rome ou de la Maçonnerie elle-même et, ce qui est plus encore, du discours de n’importe quel texte sacré, avant que le "suisse" ne découvre la poudre. Ce qui nous fait penser que ce qui a été dit précédemment est plus que suffisant en regard des méthodes employées par le critique de Guénon, de son niveau, de la mauvaise foi et du manque d’élégance qu’il manie dans ses analyses, ainsi que du langage irrespectueux qu’il utilise envers celui qu’il a mis à sac et qui oblige à le traiter de même. L’Histoire de l’ésotérisme est néanmoins si vaste, si complexe et contradictoire, pour qui veut la voir et ne pas tomber comme lui dans la partialité, que des personnalités de cet acabit y trouvent aussi leur place.

       Se créer sa propre image, c’est y répondre à perpétuité ; il n’y a plus de surprise, tout est aseptisé, domestiqué et consommable, ce qui est en soi une trahison puisque, la déité étant un constant étonnement, c’est là une façon de la nier et c’est alors l’image fixe, parfaite et sainte, ou satanique, que l’on a de soi-même ­ou de la doctrine­ qui devient dieu, ou son aimable succédané, niant la possibilité de l’Éternel Présent en immobilisant un schéma horizontal illusoire et abjurant donc l’Être authentique, et prend son identité bien au dessous de l’Identité Suprême. Nous sommes au cœur du royaume du Démiurge auquel nous nous identifions, peut-être sans le savoir, car il n’y a pour nous d’autre espace que cet éblouissement inéluctable. « Si tout ne vaut rien, le reste vaut encore moins » dit un jour un irascible poète. Schuon, cependant, suivant les courants modernes, considère qu’il convient d’être un "humaniste" dans ses écrits, bien qu’il ne cite pas même Érasme de Rotterdam.

       Pour terminer, nous signalerons spécialement deux "positions" de Schuon dans ce travail sur l’œuvre de Guénon. Il dit tout d’abord que l’infini n’est rien de plus que ce qui n’est pas fini, dénaturant ainsi l’emphase dont Guénon charge ce terme, par ailleurs plein de signification. A l’instar de Guénon, ce mot a pour nous une claire résonance liée, à un certain niveau, à la différence entre infini et indéfini, de même que l’invisible n’est pas seulement ce qui ne se voit pas, car ce sens impliquerait que tout ce que nous ne voyons pas serait invisible (par exemple le contenu de l’armoire du voisin) et ce qui, par nature, ne peut être vu ; de la même façon, l’infini n’est pas uniquement ce qui n’est pas fini ainsi que l’affirme Schuon sournoisement, sinon qu’il n’est pas même rattaché à la Trinité des Principes Universels, ni par conséquent à l’Unité ou à l’Être qui est en soi une spécification de tout ce qui N’Est Pas.

       Au sujet de la deuxième prise de position, nous admettons l’objection de Schuon (par ailleurs déjà faite par J. Evola, que nous citons : « Dans le domaine de l'initiation, il convient également de faire des réserves précises (exprimées jadis dans mon essai ‘Sur les limites de la ‘régularité’ initiatique’) vis-à-vis de la conception quasiment bureaucratique de l'initiation défendue notamment par Guénon... » ­voir l’hommage 100 ans, Guénon, L’Âge d’Or) qui disqualifie la vie ou l’expérience personnelle de la Connaissance de quiconque y est appelé, en l’opposant à l’exécution de certains rites qui, lorsqu’ils ne sont pas vécus, ne sont que de simples cérémonies ou formalités, qui n’ont d’initiatiques que le nom.

    Gnose et gnosticisme chez René Guénon. Jean Borella.

       L’auteur croit que jusqu’à 1912, année de son entrée dans l’Islam, rien de ce que Guénon a écrit dans la publication La Gnose et autres media n’est digne de valeur, y compris son magistral travail sur le Démiurge, et pour le prouver, il s’étend dans une interminable discussion théologique et philosophique, étalant une inutile érudition spéculative qui prétend démontrer ce qui est clair dans le reste de l’œuvre de Guénon, en particulier dans Les États Multiples de l’Être et L’Homme et son devenir selon le Vêdânta, et narre certaines "anecdotes" de sa vie et de son œuvre, auxquelles pourraient d’ailleurs en être opposées d’autres tout aussi effectives et ne conduisant à rien. Quelles sont les intentions de Borella dans cet article et d’autres du même genre où, faisant étalage de ses connaissances de professeur et basochien, il ne fait que jeter de la poudre aux yeux pour n’arriver à rien ? D’un autre côté, sa terminologie donne l’impression qu’il ne croit pas que les états les plus élevés de l’être puissent être appréhendés et expérimentés par les humains, sinon qu’il ne s’agit que de catégories logiques d’un système philosophique fermé, de simples abstractions.

       Nous ressentons pour Borella un peu la même chose que pour Schuon : nous admirons l’intelligence, et par moments, la profondeur de pensée, et nous avons même parfois savouré ses expressions heureuses, il faut le reconnaître, mais il s’y trouve finalement quelque chose d’artificiel, de trop élaboré et trop habile, comme une chose déjà connue, non seulement pour nous être abreuvés à la même source sinon pour une situation qui nous est familière depuis notre jeunesse, un goût de léger orgueil intellectuel consenti, admit et exercé, fréquent chez certains esprits religieux et universitaires que nous avons bien connus, et totalement absent chez Guénon, car son œuvre possède la beauté et la grandeur accablantes d’un poète rebelle, d’un mathématicien réformateur, bien plus proche de la contre-culture que du vernis culturel, ce qui a été remarqué par des auteurs aussi différents qu’André Gide, René Daumal, André Breton et Antonin Artaud.

    Remarques sur les notions d'ésotérisme, de métaphysique et de tradition envisagées dans leur rapport avec le christianisme. M. M. Davy.

       Un excellent travail de cet important écrivain chrétien, qui fait de son point de vue une version équilibrée et objective de l’œuvre et de la pensée de Guénon. Elle conclut son étude par ses mots : « René Guénon a tracé une voie dont on ne saurait mésestimer la valeur. Elle conserve son essentialité à l'égard d'une époque donnée. Aujourd'hui, l'homme moderne tend à se libérer du poids non seulement des institutions, mais de certaines manières de voir et de vivre les traditions. (...) Aujourd'hui, l'homme est invité à s'adresser à son propre maître intérieur dans le mystère de sa propre dimension de profondeur. »

    "Le Roi du Monde" et le problème des sources d'Ossendowski. Marco Pallis.

       Au bout de près de quarante ans à publier la même chose, l’auteur continue d’insister sur la question des termes Agartha et Shambala, dans le but de diminuer l’autorité de Guénon.

    De Marx à Guénon: d'une critique "radicale" à une critique "principielle" des sociétés modernes. René Alleau.

       C’est un exposé inhabituel et très intéressant que celui de cet article qui compare la pensée de Guénon et celle de Marx, comme deux façons de voir l’Histoire et la vie en général, y compris la critique du travail dans la société moderne.

       Nous voulons aussi attirer l’attention, dans ces "Dossiers", sur la bibliographie de toutes les œuvres en français de Guénon, ainsi que sur les traductions en plusieurs langues de quelques-unes d’entre elles ­anglais, allemand, portugais, espagnol, italien et suédois. L’on y trouve également le détail de toutes les œuvres écrites par différents auteurs sur Guénon, ou qui ont d’une façon ou d’une autre fait référence à son œuvre et à sa vie, ce qui nous donne un total de cinquante-cinq, jusqu’à l’année de publication de ces Dossiers (1984). Idem pour les numéros spéciaux de revues et, enfin, les multiples articles parus au long des années et consacrés au grand métaphysicien français. Et, pour finir, nous signalerons des notes sur les auteurs ayant participé à ce volume monographique.

    L'ÂGE D'OR: Spiritualité et Tradition. Revue trimestrielle. Editions Pardès, B.P. 47, 45390 Puiseaux. France. 1986-87. 151 pp. Rédacteur en chef: Georges Godinet. Numéro spécial, René Guénon.

    SOMMAIRE: Avertissement; Julius Evola: René Guénon et la «scolastique» guénonienne; J. E.: Le «don des langues»; J. E.: Sous prétexte de conquérir la Terre, l'homme a rompu tout contact avec la réalité métaphysique; Un entretien avec Henry Montaigu, pour son livre "René Guénon ou la mise en demeure": «René Guénon n'est pas venu pour conserver le vieux-vieux monde en décomposition, mais pour nous rendre les principes intangibles en vue du renouvellement total de tout», (Entretien réalisé par David Gattegno); Pierre et Jean-Louis Grison: Deux aspects de l'œuvre de René Guénon; Claudio Mutti: René Guénon et le «préjugé classique»; Chantal Étienne: René Guénon: étude astrologique; Une lettre de René Guénon à Noèlle-Maurice Denis-Boulet, du 19 décembre 1918 (extraits); Daniel Frot: René Guénon, «témoin à charge» de la crise du monde moderne (recension de: Charles-André Gilis, "Introduction à l'enseignement et au mystère de René Guénon"); D. F.: Une vision «hiératique» de René Guénon (recension de: Jean Robin, "René Guénon, Témoin de la Tradition"); Jean-Marie Balcet: Pour rendre hommage à René Guénon (Recension de: Cahier de l'Herne sur René Guénon); Roberto Bigliardo: Tradition et Civilisation (recension de: Piero Di Vona, "Evola e Guénon, Tradizione e civiltà"); Jean Bernachot: René Guénon et la renaissance du sacré; Patrick Jauffrineau: Les journées traditionnelles de Reims.

       Dans son propre éditorial, la direction de la revue explique que la publication de ce numéro extraordinaire consacré à Guénon en raison du centième anniversaire de sa naissance, poursuit fondamentalement deux objectifs : offrir aux lecteurs intéressés par l’œuvre de Guénon des informations complémentaires, et résumer et rendre témoignage de l’un des principaux colloques développés en commémoration du centenaire de l’auteur.

       De ce numéro spécial, nous soulignerons les trois collaborations présentées par J. Evola, ésotériste italien qui diffère de Guénon sur quelques points, en particulier en ce qui concerne la Franc-Maçonnerie ; il commence son premier article en disant : « Indéniablement, René Guénon doit être considéré comme un Maître de notre temps. Ses contributions à la critique du monde moderne, à la compréhension du ‘monde de la Tradition’, des symboles et des enseignements métaphysiques ont une valeur exceptionnelle. » Si nous ne pouvons être d’accord sur certains points de vue d’Evola, nous devons reconnaître la qualité générale de son œuvre, sa contribution à l’ésotérisme occidental et le sérieux que l’auteur apporte à son travail. Pour terminer cette mention sur J. Evola, nous citerons un autre fragment de son article «René Guénon et la «scolastique» guénonienne» : « Il convient enfin de faire justice de ce qu'écrivit un jour Guénon dans un article malheureux intitulé ‘Nécessité d'un exotérisme traditionnel’, où il offrait sur un plateau de dangereux encouragements et alibis à un conformisme frileux et petit-bourgeois. Ils feraient bien, nos ‘premiers de la classe’, d'approfondir la véritable signification de ce qu'on a appelé la Voie de la Main Gauche, voie qui possède un caractère non moins traditionnel que celle de la Main Droite, mais présente, en outre, l'avantage de mettre parfaitement en relief la transcendance propre à toute réalisation et à toute aspiration vraiment initiatiques. Le ‘guénonisme’ abstrait et intellectualisé, celui de simples ‘centres d'études’, peut certes l'ignorer ; mais la fracture entre les formes de la vie extérieure et les résidus du traditionalisme exotérique, d'une part, et, d'autre part, toute possibilité d'orientation transcendante ­ cette fracture est désormais, selon nous, trop profonde et irréversible. »

       Remarquable aussi l’interview faite à Henry Montaigu, disparu il y a deux ans. Montaigu, éditeur et directeur de la revue La Place Royale émet dans cette interview, avec son habituel lyrisme passionné, d’intéressantes considérations sur l’œuvre de Guénon.

       À souligner également le texte des frères Grison, intitulé « Deux aspects de l’œuvre de René Guénon ».L’article est long, et les deux aspects pris en compte sont Le Message de l’Asie et Pour un christianisme traditionnel.

       Dans la première partie du Message de l’Asie, les frères Grison reprennent un bon nombre de citations du livre Orient et Occident pour identifier les aspects occidentaux qui se sont détachés de l’idée de Principe à partir du XIVe siècle, constatant que cette déviation "moderne" vers la périphérie a défiguré l’être individuel au nom d’une hallucination collective qui, comme le dit Guénon, prend les plus vaines chimères pour d’incontestables réalités. Ils poursuivent en portant clairement sur les relations entre Non-Être et Être, et font une brève et fluide introduction à la métaphysique orientale et à l’idée intégrale de la connaissance en tant que science des sciences.

       La deuxième partie, Pour un christianisme traditionnel s’avère extraordinaire et pleine de considérations sur l’ésotérisme médiéval, avec de très intéressantes références à Pythagore, Dante, Ibn Arabi, Saint Bernard et tous les ordres de chevalerie de l’époque. Nous voulons rapporter une phrase qui le résume en partie : « l'ésotérisme véritable est tout autre chose que la religion extérieure, et, s'il a quelques rapports avec celle-ci, ce ne peut être qu'en tant qu'il trouve dans les formes religieuses un mode d'expression symbolique ». Ils constatent également la déviation qui se produisit à la fondation de la Grande Loge d’Angleterre, créée en 1717 par les pasteurs protestants Anderson et Desaguliers dont le grade maçonnique était celui de compagnon et qui instaurèrent une maçonnerie dont les auteurs se demandent si elle ne naquit pas incomplète, par la propre vérité des grades initiatiques.

       A souligner aussi, la clarté de l’exposition sur le OM et la source de méditation ésotérique qu’il constitue et l’universalité réellement implicite dans le christianisme traditionnel.

       Les frères Grison, importants collaborateurs de la revue Études Traditionnelles et du Dictionnaire des Symboles Chevalier-Gheerbrant, nous amènent à travers cet extraordinaire article à toute une réflexion sur l’histoire sacrée d’Occident.

    RENE GUENON ET L'ACTUALITE DE LA PENSEE TRADITIONNELLE. Actes du Colloque International de Cerisy-La Salle: 13-20 Juillet 1973. Editions du Baucens, Belgique 1977. 333 pp. Dirigés par René Alleau et Marina Scriabine.

    SOMMAIRE: Nadjmoud-Dine Bammate: Discours inaugural; René Alleau: Introduction; Discussion; Jean Pierre Laurant: Sources historiques de la pensée de Guénon, Discussion (avec la lecture d'un texte de Gabriel Asfar: Guénon et l'Introduction générale à l'étude des doctrines hindoues­ Héresies et vérités; 1re Table ronde: Témoignages sur René Guénon; Jean Tourniac: Réflexions sur l'œuvre de René Guénon, Discussion; Philippe Lavastine: Tri-Varga (Les Trois Valeurs); Nadjmoud-Dine Bammate: René Guénon et L'Islam, Discussion; 2e Table ronde: Le Soufisme; Robert Amadou: René Guénon et le Soufisme; Max Lejbowicz: Essai d'une approche astrologique de René Guénon, Discussion; Jean Baylot: René Guénon et la Franc-maçonnerie, Discussion; Bernard Guillemain: René Guénon et le symbolisme maçonnique, Discussion; 3e Table ronde: L'Initiation (avec lecture d'un texte de Gaston Georgel); Maurice de Gandillac: L'homme et le monde dans le Corpus hermeticum, Discussion; 4e Table ronde: Le Symbolisme (avec un communication de Pierre Narcollier: Réflexions sur la voie symbolique selon René Guénon); 5e Table ronde: Les Sciences traditionnelles (avec lecture d'un texte de Frans Vreede: Science moderne et initiation actuelle); 6e Table ronde: René Guénon et le Catholicisme (avec lecture de textes de Gaston Georgel et de François Chenique); Marina Scriabine: Contre-initiation et contre-tradition, Discussion; René-Marie Burlet: Art et tradition (débat avec projections); 7e Table ronde: Le Roi du monde (avec des exposés de René Alleau et Philippe Lavastine); Jean Hani: René Guénon et la politique, Discussion; Antoine Faivre: Démystification et remythisation, Discussion; Gilles Ferrand: Du rôle et de quelques aspects de la jeunesse (résumé de l'auteur), Discussion; Séance de clôture; Notes; Table des illustrations; Table des matières.

       Ces colloques, ayant eu lieu du 13 au 20 juillet 1973, furent édités quatre ans plus tard grâce à l’initiative de Marina Scriabine et Nadjmoud-Dine Bammate, le premier colloque étant consacré à l’œuvre et à la personnalité de Guénon. Nous indiquerons quelques uns des travaux présentés, non sans signaler auparavant la richesse des dialogues tenus après chaque conférence qui dénotèrent l’intérêt du public pour tout ce que nous appellerons, respectueusement, le "phénomène guénonien".

    L'homme et le monde dans le Corpus Hermeticum. Maurice de Gandillac.

        Cette conférence ­durant laquelle Guénon n’est pas même nommé­ est éditée sous forme d’un texte de dix pages, commentant brièvement certains aspects des Hermética que le Père Festugière, suivi en partie, développa en quatre épais volumes sans en terminer avec le sujet, ce qui est courant dans ce type de travaux. De notre point de vue, nous ne voulons pas commenter la conversation en soi, mais indiquer l’importance de l’intervention de Monsieur Gandillac à faveur de l’incorporation des livres du Corpus Hermeticum dans un symposium consacré à Guénon, lequel, tout en ne précisant jamais de quels "livres hermétiques" il s’agit ­à l’exception du livre d’Hénoch­, s’y réfère à deux reprises dans Formes Traditionnelles et Cycles Cosmiques, dans son étude "Le Tombeau d’Hermès", où « il est dit qu'Idris ou Hénoch écrivit de nombreux livres inspirés, après qu'Adam lui-même et Seth en avaient déjà écrit d'autres; ces livres furent les prototypes des livres sacrés des Égyptiens, et les Livres hermétiques plus récents n'en représentent en quelque sorte qu'une ‘réadaptation’, de même aussi que les divers Livres d'Hénoch qui sont parvenus sous ce nom jusqu'à nous. » Et dans une note de l’étude appelée "Hermès" « Ne faudrait-il pas conclure ... que le Livre d'Hénoch, ou du moins ce qui est connu sous ce titre, doit être considéré comme faisant partie intégrante de l'ensemble des ‘livres hermétiques’ ? » Ces brèves références de Guénon suffiraient pour croire que s’y insinue une voie de recherche, puisqu’il s’agit de textes sacrés et donc réellement traditionnels dérivés de l’Égypte hellénistique, et même de certains livres gnostiques, en dépit de la méfiance de Guénon envers le gnosticisme.

       Durant le débat qui suivit apparurent néanmoins divers interlocuteurs qui énoncèrent de curieuses opinions sur ce sujet, parmi lesquels René Alleau se fit remarquer en manifestant qu’il fallait faire la différence entre l’hermétisme du Corpus Hermeticum et l’hermétisme de la Renaissance, et dit par la suite que le Corpus Hermeticum était une sorte de mélange, une théosophie syncrétique à la Madame Blavatsky.

       La découverte des textes de la Hermética eut une importance évidente à la Renaissance (la croyance existait alors qu’ils avaient été écrits par le dieu Hermès lui-même) et les siècles suivants, comme cela a été démontré dans l’œuvre de Frances Yates ; cela est également incontestable pour l’Alchimie ou, mieux, la Tradition hermético-alchimique ainsi que l’a appelée Évola ; d’autre part, les manuscrits égyptiens de l’époque grecque du Corpus sont indubitablement en rapport avec la Gnose, ainsi que l’a démontré une version de l’Asclepios trouvée chez Nag Hammadi.

       Il faudrait donc aussi préciser qu’il existe une Tradition antérieure que nous pourrions appeler hermétique/gnostique, et qui engendre par ailleurs l’Alchimie et l’actuel ésotérisme hermétique en général, pour lequel la Table d’Émeraude es un texte sacré et qui s’organise sous l’égide d’un dieu, Hermès Trismégiste, produisant des formes qui ne sont que des adaptations à des temps et des lieux différents de la révélation Hermétique.

       Pourquoi tant de préjugés autour du Corpus Hermeticum, véritable ensemble de sagesse révélée qui, à l’instar de tous les textes sacrés ­à commencer par les Évangiles chrétiens­ est totalement ésotérique et susceptible d’avoir quatre niveaux de lecture pouvant même s’opposer les uns aux autres ?

    L'initiation. Gaston Georgel.

        N’ayant pu assister au colloque, Gaston Georgel envoie une brève communication sur ce sujet, ce qui donna lieu à la troisième table ronde, qui traitait précisément de l’initiation. Y interviennent des auteurs distingués et des membres du tableau des participants, comme les deux efficaces organisateurs de ces réunions, et S. Hutin, B. Guillemain, J. P. Laurant, Dr. Schnetzler, P. Lavastine, J. P. Teste, P. Warecollier, etc., qui tentent d’élucider le sujet et ce qu’en pensait Guénon, en traitant non seulement de la Franc-Maçonnerie et du Catholicisme, mais aussi du Bouddhisme et des traditions archaïques australiennes. Notre attention a été fortement attirée par une attitude qui nous semble généralisée chez les personnalités qui ont traité ces sujets : elles se réfèrent exclusivement à la possibilité d’une Initiation en la rattachant uniquement à cérémonies et rituels, ou à des activités religieuses. En fait, l’Initiation est une initiation à la Connaissance, et c’est là ce que manifeste Guénon tout au long de son œuvre ; l’on sait également qu’il souligne, sur les traces d’Aristote, l’identité entre Être et Connaissance, raison pour laquelle l’on est ce que l’on connaît. L’initiation sans l’être est une absurdité, qu’il s’agisse de Grands ou de Petits Mystères, et les récipiendaires d’une influence spirituelle de transmission verticale, quoique reçue dans l’horizontal, sont porteurs de cette Connaissance qui est surtout une expérience concrète, un acquis absolu et ineffaçable, ce pour quoi l’on parle précisément de la Connaissance comme une obtention graduelle, par le biais de toutes sortes d’épreuves englobant le physique, la psychologie et la spiritualité, et qui s’incarne dans l’être individuel en l’identifiant à l’Être Universel, expression affirmée du Non-Être (En Soph), qui n’a qu’un rapport indirect et réflexif avec cérémonies, sacrements et attitudes solennelles. Le rite véritable est le Rite de la Connaissance, produit de l’Intuition Directe née du Cœur, édifié par un Enseignement qui n’a pas grand-chose à voir avec attributions bureaucratiques et formalités institutionnelles.

       Seul René Alleau, presque à la fin de la table ronde, identifie la Connaissance avec l’Être et assimile ainsi l’initiation aux degrés de Connaissance de l’Être Universel, mais il le fait comme en passant et sans paraître y accorder l’importance capitale qu’elle implique vraiment.

    Démistification et remythisation. A. Faivre.

        L’auteur commence par faire une distinction entre les termes ésotérisme, mot relativement récent, et théosophie en tant que science des analogies et des correspondances, qui a eu cours tout au long de l’histoire des idées et qui exclue l’occultisme, sujet qu’il n’est pas intéressant de traiter dans son exposé. Il pense ainsi que l’œuvre de Guénon est, par sa propre envergure, le meilleur prétexte pour parler de la situation et la signification actuelle de notre tradition occidentale.

       Il poursuit par une révision synthétique de la culture d’Occident, dans un développement aussi plein de bon sens que d’intéressantes trouvailles que nous sommes nombreux à partager avec l’auteur, soulignant bien entendu le type de pensée qu’il nomme théosophique et qui comprend tout ensemble Marsilio Ficino et les kabbalistes chrétiens, la philosophie de la nature, l’école de Chartres, les mancies et spécialement le Tarot, l’iconographie alchimiste, Jung, et même Bachelard, Gilbert Durand, etc., de manière à éclairer progressivement la pensée théosophique qu’il ne rapporte pas, c’est vrai, à Madame Blavatsky, ni ne tente d’enfermer dans des modules rigides. Le discours d’Antoine Faivre, d’où ressort l’imagination créatrice et le plan de l’imaginaire, est plus qu’intéressant et se trouve être impossible à résumer, car il représente en soi une magnifique synthèse, ce pour quoi nous ne pouvons qu’en recommander à nos lecteurs une lecture attentive et la méditation conséquente.

       Il conclut son excellent travail en mettant sur la table diverses idées de la culture contemporaines, orpheline de principes transcendants, puisque la pensée de Guénon, qui n’est pas, il est vrai, celle d’un "homme moderne", est, paradoxalement, constamment actuelle.

       Il est à remarquer que l’on peut, tout au long de cette étude, constater l’importance que peut avoir une recherche, ou mieux, une attitude historique, pour enrichir et contribuer à se situer par rapport au programme et surtout à l’Enseignement directement consacré à la Connaissance et, par voie de conséquence, à l’Initiation. Distinguons à ce sujet que la fonction de Guénon, éminemment verticale, et aussi évidemment historique.

    VERS LA TRADITION. Actes des Journées traditionnelles à Reims. "Autorité Spirituelle et Pouvoir Politique". 14, 15 y 16 de Noviembre 1986. 'Dans le cadre de la commémoration du Centenaire de la naissance de René Guénon'. 14, avenue du Général de Gaulle - B. P. 193. 51009 Châlons sur Marne, cedex. FRANCE. 107 pp. Dirigée par Roland Goffin.

     

    SOMMAIRE: A NOS LECTEURS; PROPOS INAUGURAUX; MESSAGES; Jean Tourniac: Une Cité Traditionnelle pour ce siècle?; Roland Goffin: Réflexions pour une conception traditionnelle de la Cité; Henri Hartung: Une Cité traditionnelle Vivante: Ramana Maharshi; Kheireddine Badawi: La Cité Islamique; Message Du Cheikh Khaled Bentounes; Cheikh Ahmed Ben Mustapha Al-Alawi: Bismillah Erahman Erahim Lotfiya; Jean Pierre Laurant: Les récits de voyageurs dans quelques écrits et correspondances de René Guénon; "Reims, Cathédrale du Sacre" (Film) et discussion entre Paul Barba-Negra, Jean Hani, Patrick Demouy et l'Abbé Jean Goy; Jeanne-Henriette Louis: Autorité spirituelle et pouvoir politique à Philadelphie dans l'Amérique coloniale; Jean Hani: Que faire dans la Cité d'aujourd'hui; Michel Michel: Légitimité et communauté: de la communauté comme mésocosme; CONCLUSION.

     

       Cette publication recueille dans un unique volume les conférences qui eurent lieu à Reims, parrainées par la revue VERS LA TRADITION en raison su centenaire de la naissance de Guénon, sous le titre "Autorité spirituelle et pouvoir politique (une cité traditionnelle est-elle encore possible?)".

     

       Nous voulons avant tout souligner la qualité de ce travail collectif, dont nous apprécions non seulement l’opportunité qu’il nous donne de vérifier que certains aspects fondamentaux de la doctrine traditionnelle sont vivants et toujours d’actualité, mais aussi l’effort fourni par la plupart des auteurs afin de donner une critique constructive de "l’état actuel des choses", si nous pouvons nous exprimer ainsi. L’on y trouve, en général, une volonté manifeste de découvrir, comme le dit Jean Tourniac, "les possibilités d’application" des principes métaphysiques dans l’ordre social actuel, et l’on y arrive à d’intéressantes conclusions qui nous font renvoyer le lecteur aux textes originaux car le but de ces lignes n’est pas d’en faire un exposé détaillé, ce qui serait à la fois ardu et en quelque sorte négligeant, car il nous semble important de tenir compte aussi bien du contexte dans lequel se développent certaines idées de type politique que des arguments exposés, thèmes où nous ne voulons pas entrer car il sont en-dehors du point de vue symbolique qui est celui qui nous intéresse ici.

     

       Cela étant, Monsieur R. Goffin précise cependant dans son intervention, et au nom des participants, qu’ils ne tentent pas de s’ériger en politiciens ou idéologues de la ville en fabriquant des systèmes sur des a priori ou de pseudo-principes, ce qui est en général, permettons-nous de l’ajouter, caractéristique des agissements actuels des politiciens et architectes modernes.

     

       Nous disons architectes bien qu’aucun des articles ne traite du problème complexe de la ville "physique", de la structure urbaine qui croît par addition et non pas par juxtaposition organique, comme ce serait souhaitable dans la presque totalité du monde moderne. Il ne s’agit pas là d’une considération aussi générique qu’il semblerait, car une "ville traditionnelle" l’est autant pour sa structure sociale que pour sa structure urbaine, celle-ci remplissant la fonction de support "physique", fonction qui, soit dit en passant, lui est conférée en vertu du rite fondateur, ce qui prouve son adaptation aux principes métaphysiques. Et cet aspect important (l’on peut même dire fondamental) n’est pas passé inaperçu de Guénon, car il est à la base même de "l’idée" de ville : c’est le rite qui confère la validité à l’ordre. L’urbanisme a toujours été une question politique (au sens noble des termes), bien qu’il faille observer dans l’actualité que c’est précisément le contraire : c’est la politique vulgaire qui s’appuie sur un urbanisme vulgaire, de façon que les architectes et les urbanistes modernes parviennent à avoir plus de "pouvoir" que les politiciens.

     

       R. Goffin se montre néanmoins totalement sceptique en ce qui concerne "les possibilités d’application" des sources traditionnelles dans la société actuelle (bien qu’un peu plus optimistes, J. Hani et J. Tourniac sont de son avis), en raison de la "subversion", comme l’appelle J. Hani, de la science et de l’art contemporains. Il soutient cependant que, ce qui n’est pas possible au niveau collectif l’est au niveau individuel, ce qui revient à dire que la (re)construction d’une ville traditionnelle, ce qui ne signifie pas idéale ou utopique, passe par un véritable changement interne, de l’intérieur vers l’extérieur, car l’extérieur ne peut pas ­voire même ne doit pas­ s’ordonner sans une indispensable "attitude" intérieure s’occupant du non-personnel. Les auteurs cités s’accordent à l’exprimer par la phrase biblique regnum Dei intra vos est. Ce serait certainement, il nous semble, la seule façon d’envisager un changement profond de l’actuelle polis : de l’individuel vers l’universel en passant par le général, où était précisément encadrée la structure sociale comme une "forme" limitrophe ou une charnière entre les principes transcendants et la concrétisation physique ou corporelle. Nous regrettons cependant que, en ce qui concerne les voies par lesquelles ce changement interne peut être effectif, aucun des auteurs ne se réfère à la tradition hermétique/alchimique, tradition ésotérique et occidentale par antonomase et qui constitue, pourrions-nous dire en reprenant une expression de R. Goffin, notre véritable forma mentis. Pour dire ces mots, nous nous basons sur Guénon lui-même qui, dans La Grande Triade, ch. XIX, fait le rapport entre Soufre-Mercure-Sel et regnum Dei intra vos est. Nous savons que la doctrine traditionnelle n’adopte pas forcément une forme religieuse pour être tout aussi efficace.

     

       À ce sujet, il nous semble pour le moins curieux, tout comme l’est par ailleurs le fait que, dans toute l’œuvre que nous commentons, n’apparaisse pas substantiellement le mot symbole, qu’aucun des auteurs intervenant durant les Journées ait mentionné un aspect que nous considérons d’une importance capitale et qui établit un rapport fondamental avec la tradition hermétique. Nous nous référons au fait que Guénon fasse la relation entre autorité spirituelle et pouvoir temporel avec, respectivement, "Les Grands Mystères" et "Les Petits Mystères" (Autorité spirituelle et pouvoir temporel, ch. VIII et La Grande Triade, ch. IV) et en citant littéralement un paragraphe de De Monarchia de Dante. De fait, M. Michel cite ce paragraphe pour appuyer une autre citation de Saint Thomas d’Aquin qui se réfère à la politique comme étant « la science qui traite de l'objet le plus noble et le plus parfait qui puisse atteindre l’homme dans cette vie... » ce qui dénote en outre une parfaite concordance avec la philosophie aristotélicienne (cf. par exemple le début de Éthique à Nicomaque), bien qu’il ait par la suite tout simplement abandonné cette idée et passe à son étude qui, soit dit en passant, se place dans la perspective d’un "sociologue chrétien", comme il se définit lui-même, ce qui suscite de nombreuses objections parmi lesquelles nous soulignerons celle qui fait référence à la trahison que représente, selon lui, le fait de "jouir" en solitaire de la tradition. Il n’y a qu’à se rappeler qu’Aristote lui-même, pour demeurer dans le même domaine, insiste dans le livre X de Éthique à Nicomaque, que l’activité intellectuelle du philosophe le rend "autosuffisant" par-dessus les autres occupations puisque, des trois "styles de vie" qui, selon lui, sont possibles, la politique est le second tandis que le plus élevé correspond à celui des philosophes, ce que l’on retrouve également chez Platon, avec des références plus explicites au chemin initiatique.

     

          Le pouvoir temporel fait référence à la pleine réalisation des possibilités que l’homme contient, à l’obtention d’un état "édénique" où sont résolues non seulement les questions concernant le bon ordre de la polis (de "l’état bon en soi"), mais aussi, fondamentalement, la dualité qu’implique avec le monde tout point de vue relatif ou toute vision privative ou séparée de l’individu. Le pouvoir temporel se réfère à la réalisation de la perfection humaine, à la fin des "Petits Mystères" et donc le pouvoir politique n’épuise pas le pouvoir temporel, bien que ce dernier puisse être pris symboliquement comme son paradigme. Et c’est là une chose que formulèrent clairement les philosophes grecs (surtout Platon dans La République et Aristote dans Éthique à Nicomaque et Politique) : un législateur n’est pas pour eux un politicien de plus, tout comme un éducateur n’est pas un père de plus, ou un architecte n’est pas un technicien de plus dans la construction d’un édifice ou d’une ville. Ici, comme en tout ce qui concerne le point de vue symbolique, il ne faut pas perdre de vue que la hiérarchie des idées s’établit de haut en bas, étant une expression de la cosmogonie, et par conséquent l’inférieur est le symbole du supérieur et non l’inverse. Tout aussi importante est la constatation que la tradition occidentale coïncide, au sujet de la doctrine métaphysique, sur ce point et sûrement sur d’autres, avec la tradition hindoue, et ce n’est pas par hasard (et c’est aussi très significatif) que Guénon ait précisément choisi Dante pour étayer cette analogie et non pas Saint Thomas d’Aquin ou Aristote.

     

       Il nous reste pour terminer à mentionner l’article de H. Hartung où il établit une série d’analogies non dénuées d’intérêt entre Guénon et son œuvre et Ramama Maharshi ; le colloque entre plusieurs assistants sur le film "Reims, Cathédrale du Sacre" qui, à en juger par les commentaires, semble très intéressant et que nous regrettons n’avoir pas eu l’occasion de voir.

     

    VERS LA TRADITION: "Répandre la lumière et rassembler ce qui est épars". 14, avenue de Général de Gaulle; B. P. Nº 193, 51009 Châlons-en-Champagne Cedex, France. Trimestriel. Depuis 1993, 64 pages.

     

       Cette publication, dirigée par Roland Goffin, existe depuis ans en 1991, diffusant « la Tradition, une et universelle, mais diverse dans ses formes d'expressions » conjointement avec l’Association des Amis de Vers La Tradition qui déclare : « l’œuvre de René Guénon orientera fondamentalement ses voies de recherches, son action, ses formulations, mais en harmonie avec tous autres auteurs, doctrines et autorités conformes aux principes traditionnels ».. En effet, ce groupe a travaillé concrètement à la tâche qu’ils se sont assignée et les fruits de ce labeur ont été un numéro spécial commémorant le centenaire de la naissance de Guénon, l’organisation des "Journées Traditionnelles de Reims", dont ils ont également publié les actes, et, actuellement, la création des "Sessions d’études traditionnelles", prévues pour l’été, qui pourraient se répéter périodiquement. L’on annonce également pour bientôt une numéro spécial consacré à "Art et Tradition".

     

       Cette revue compte parmi ses collaborateurs réguliers messieurs Roland Goffin, Jean Tourniac, Gaston Georgel, Henri Hartung, Jean-Pierre Laurant, Nikos Vardhikas, etc., ce qui est déjà en soi une indication du niveau doctrinal de ses publications auquel elle joint la ferveur toujours renouvelée de ceux qui, ayant trouvé ce qu’ils cherchaient, ressentent le besoin de le partager avec d’autres, tâche à laquelle ils consacrent tout simplement leur vie. Notre intention est de commenter régulièrement et en détail cette publication aussi riche que militante et sans implications "politiques".

     

       Les sessions sur le thème "Quelle humanité ? Demain..." furent organisées par "L’Association des Amis de Vers la Tradition" et dirigées par Roland Goffin. Elles eurent lieu à Reims (France), du 31 août au 2 septembre 1991. Y participèrent des écrivains et des artistes d’importance liés à l’œuvre de René Guénon, comme Jean Tourniac, président d’honneur, et Jean Hani, président de fait, ainsi que d’autres intervenants d’importance moindre, qui examinèrent le thème sous diverses perspectives. Nous en donnerons une liste complète pour n’en exclure aucun : J. Biès, J. Borella, D. Boubakeur, D. Cologne, P. Demouy, D. Devie, H. Giriat, R. Goffin, M. A. Grimbert, A. H. I. Guiderdoni, A. de Kerros, J. H. Louis, P. Marcelot, Abd al Wahid Pallavicini, J. P. Sironneau, P. Vaillant, M. Van Parys, N. Vardhikas.

     

       Durant ces Journées se tinrent de plus diverses tables rondes avec la participation de plusieurs des conférenciers, Michel Michel et Paul Barba Negra ; ce dernier, cinéaste, présenta également ses travaux, et des œuvres plastiques furent exposées. Les actes de ces sessions se publieront durant le second semestre 1992 ­comme cela avait été fait avec les précédentes sous l’égide de "Vers la Tradition"­ et il est possible de s’y abonner.

     

       Nº 48 (Juin-Juillet-Août 1992). A la section livres se trouve un ample commentaire (environ sept pages de notre format) sur le premier numéro de SYMBOLOS. Signé par John Deyme de Villedieu, l’article examine chacune des participations de nos collaborateurs et octroie à SYMBOLOS une importance inattendue pour une publication en espagnol. Nous attendons la suite du travail de critique de Monsieur de Villedieu, car il n’a fait le compte-rendu que d’une partie du premier numéro de notre revue.

     

       Nº 49 (Septembre - Octobre - Novembre 1992). Dans ce numéro s’achève le long et minutieux examen que Monsieur Deyme de Villedieu fait passer à notre revue, article par article, et qui avait été commencé en août de l’an dernier. SYMBOLOS remercie les responsables du compte-rendu de l’attention qu’ils nous portent, et accepte et considère les critiques qu’ils ont émises.

     

       Nº 51-52 (Mars-Avril-Mai-Juin-Juillet-Août 1993). De ce double numéro, bien que tous les articles possèdent un grand intérêt, nous voulons insister, pour différentes raisons, sur les travaux suivants : Entour de la Tradition et de la Parole perdue, De l'unité immanente des religions orthodoxes, Destin eschatologique de la Franc-Maçonnerie, La semaine (si pleine de trouvailles linguistiques) et Sur la suite des nombres "premiers".. Pour des raisons particulières, et fondamentalement par manque de temps, nous ne pouvons faire le compte-rendu de chacun des articles importants de cette revue, comme nous le souhaiterions, car ils le méritent. C’est également le cas pour d’autres publications signalées dans Revue de Revues ; mais nous voulons préciser que cette section de SYMBOLOS porte ce nom parce que, dès le commencement, nous avons seulement voulu mettre en évidence certains moyens traditionnels pouvant être utiles au travail intellectuel et au rite de sagesse de nos lecteurs. Nous recommandons ainsi la lecture de cette revue dans son ensemble, dont l’un des plus grands apports est, selon nous, de "réunir" ce qui est dispersé (ainsi le dit la devise de la publication), ce qui n’est pas un mince labeur, ni au sens profond, ni au sens littéral, si on l’applique à la conciliation des différents points de vue envisageables pour la lecture de l’œuvre de Guénon, ce qui témoigne de sa validité universelle. Il est donc logique que chacun choisisse sa propre voie (ou darshana) en optant soit pour une forme traditionnelle, soit un aspect de cette forme traditionnelle, par exemple, la cosmogonie comme support de la métaphysique (ce qui est très net dans la Maçonnerie), qu’il pourra trouver de façon unanime en faisant des recherches dans d’autres traditions qui ont dû connaître comment est, ou ce qu’est le cosmos pour aspirer à le transcender, ou plutôt pour se libérer se leurs propres illusions en détruisant ou dissolvant le pouvoir du Démiurge. Mais tous ne croient pas que les génuflexions et la piété religieuse soient nécessairement assimilables à cette aspiration, elles tendraient plutôt, au contraire, à se confondre avec, à l’instar des morales qui mettent l’accent sur les comportements individuels et relatifs.

     

       Nº 53 (Septembre-Octobre-Novembre 1993). Nous relèverons dans ce numéro les études de Tara Michaël et Jean Cantiens qui, bien que signalant des aspects différents de la Tradition Hindoue, se complètent harmonieusement dans l’ensemble de la revue.

     

       L’Éloge de l’Égocentrisme est des plus intéressants (nous avons remarqué que beaucoup des articles de V.L.T. sont signés de pseudonymes, dont un signé Aymon) et aussi l’article de R. Goffin, synthétique. Nous recommandons aussi la lecture du texte signé par le Centre d’Études Métaphysiques "René Guénon" de Milan, qui est la suite d’un autre, publié dans le numéro 50. Nous devons également souligner les mentions correspondant à nos numéros 3 et 4, de la main de J. Deyme de Villedieu.

     

       Nº 55 (Mars-Avril-Mai 1994). Ce numéro comprend un compte-rendu du Nº5 de SYMBOLOS, dans lequel se distingue la note sur La Sardane, danse symbolique, de notre collaborateur A. Guri.

     

       Les 12 et 13 octobre 1996, les Amis de Vers la Tradition organisèrent, à Reims, "De la Suprématie du Spirituel sur le Temporel" qui bénéficia des interventions suivantes : Roland Goffin: Liminaire; Finalité spirituelle et finalité temporelle; Philippe Bouet: Autorité et Pouvoir en Franc-Maçonnerie; Michel Rouge: " 'Amr" et "Hukm", Autorité Spirituelle et pouvoir temporel en Islam; Nikos Vardhikas: Le modèle trinitaire, ou de la source commune au sacerdoce et à la royauté; Patrick Demouy: Clovis et l'Eglise; Max Célérier: Rapports du spirituel et du temporel dans l'art; Jean Hani: Le Sacré-Cœur, le Graal et la royauté; Rabbin Haïm Korsia: Onction et Baptême dans le Judaïsme; Abd-al Haqq Guiderdoni: Autorité Spirituelle et pouvoir temporel dans la perspective eschatologique; Philippe Vaillant: Autorité Spirituelle et pouvoir temporel dans la chanson de geste "Les 4 fils Aymon"; Bruno Etienne: "Sacré, profane, sacerdoce" le point de vue de l'anthropologie; Michel Michel: "La voie héroique" dans le christianisme; Shaykh' Abd-al-Wâhid Pallavicini: Dans l'attente de la réunion des deux pouvoirs. 174 pp.

     

       Les 9 et 10 octobre 1999 eut lieu, à Châlons-en-Champagne, parrainé par cette revue et par Le Cercle Melki-Tsedeq, l’événement suivant : VI Colloque "Fin du 2e. Millénaire du cycle Chrétien… et Fin de l'âge sombre?", publié en juillet 2000. 180 pages.

     

    [Voir aussi SYMBOLOS: Arte - Cultura - GnosisChapitre IX : "FRANC-MAÇONNERIE"]

     

    [Voir aussi, en castillan, les notes de lecture de :

     

    SYMBOLOS: Arte - Cultura - Gnosis "Quelle humanité? demain..." 'Nouvel-age et Techno-nature ou les défis d'un monde crépusculaire'. Actes du Colloque organisé à Reims du 31-8 au 2-9-91 pour le 40e anniversaire de la mort de René Guénon.

     

    SYMBOLOS: Arte - Cultura - Gnosis"Pour Nous, René Guénon. 1886-1951". Hommage pour le cinquantième anniversaire de son retour à Dieu. Ce que nous lui devons". París, 2001.]

     

    RIVISTA DI STUDI TRADIZIONALI. Viale XXV Aprile 80. 10133 Torino. ITALIA. Directeur responsable, Bruno Riva.

     

       Nº 82-83. Janvier - décembre 1996. 150 pages. SOMMAIRE: P. Nutrizio: Sul "Risorgimento esoterico"; L.V. - G.S.: La Bibbia vista dall'Islâm - Introduzione e capitoli IX e XL; G. Ponte: L'iniziazione massonica nel mondo moderno - parte III; A. K. Coomaraswamy: Chiose sulla Katha Upanishad (parte III - sezione 2ª) preceduto da Katha Upanishad Canti V e VI (con il commento di Shrî Shankarâchârya); Muhyiddîn ibn' Arabî: Le tappe divine nella via del perfezionamento del regno umano; RECENSIONI: A. Balestrieri: Le riviste: "Il Silenzio di Sparta" sulla "dissoluzione".

     

       Nº 86. Janvier - juin 1998. 86 pages. A. Balestrieri: Di un "Documento confidenziale inedito" (e delle "aporie" del suo "autore") - II parte; Muhyiddîn ibn 'Arabî: Al-Futûhâtu-l-Makkiyyah - Introduzione (muqaddimah) del libro; S. Shankarâchârya: Commento alla Katha Upanishad (Canto I).

     

       Nº 87. Juin - décembre 1998. 86 pages. A. Balestrieri: Di un "Documento confidenziale inedito" (e delle "aporie" del suo "autore") - III parte; Muhyiddîn ibn 'Arabî: La Nicchia delle Luci - I parte; Muhammad ibn Fazlallah el Hindi: Epistola sulla manifestazione del profeta (traduzione di 'Abdul-Hâdî). Recensioni.

     

    RENE GUENON E L'OCCIDENTE. Pietro Nutrizio et altri. Luna Editrice, Milano 1999.

     

       Cet épais volume, composé d’articles parus dans l’ancienne revue Studi Tradizionali qui se publie encore, signés par Pietro Nutrizio, A. Ballestrieri, et en comprenant d’autres de la main de collaborateurs de la revue, est un ouvrage important sur l’œuvre et la personne de René Guénon, que les auteurs jugent providentielles pour l’Occident moderne. Édités par Luna Editrice, maison qui a publié Oriente e Occidente (1993), Autorità spirituale e Potere temporale (1995), Sull'esoterismo cristiano (1995), Considerazioni sull'iniziazione (1996), Studi sull'Induismo (1996), Iniziazione e realizzazione spirituale (1997), Il simbolismo della croce (1998), La Metafisica orientale, etc., ce livre est le complément des titres énumérés plus haut, et s’offre d’ailleurs au grand public et pas seulement aux lecteurs spécialisés de Studi Tradizionali. La polémique n’en est pas absente, puisqu’il s’agit d’une défense passionnée de l’œuvre de Guénon face aux diverses déformations dont elle a été l’objet, en particulier dans les milieux catholiques et avant même sa mort. Quant au "Document confidentiel inédit" (voir SYMBOLOS Nº 19-20, 2000, page 255) écrit par J. Reyor ­à l’origine de bien des critiques malintentionnées sur Guénon, celles en particulier de M.-F. James ou autres­ nous pensons que la médisance de l’auteur s’y trouve reflétée de façon palpable et que l’œuvre extraordinaire du métaphysicien français ne s’en trouve en rien affectée. Nous ne coïncidons peut-être pas avec toutes les appréciations qu’il contient, mais si avec les grandes lignes de cet ouvrage, réalisé avec la bonne foi et la connaissance du sujet de ses auteurs.

     

    RENÉ GUÉNON. Paul Sérant. Le Courrier du Livre. Paris 1977. 230 pages.

     

       Publié pour la première fois en 1953 ­la seconde édition est de 1977­ ce livre fut le premier à être édité sur l’œuvre et la pensée de René Guénon. Son auteur, Paul Sérant, s’est par la suite occupé de problèmes politiques abordés d’un point de vue catholique et traditionaliste français. Les premières 160 pages de la seconde édition, qui est celle que nous commentons, font un résumé succinct de la vie de Guénon en France et au Caire, encore que divers auteurs aient par la suite ajouté dans leurs travaux d’autres données plus précises. Et nous ne faisons pas seulement référence à La vie simple de René Guénon, publiée en 1958 par Paul Chacornac, où l’on donne une version quelque peu naïve du grand métaphysicien français. Sérent poursuit avec des résumés de différents aspects de l’œuvre de Guénon, d’où se démarquent, à notre avis, ceux qui traitent de la décadence du monde moderne, par lesquels le biographe se sent le plus concerné, comme il le déclare lui-même (cela a été le cas d’autres personnes de droite et liées au catholicisme français), et ceux qui se réfèrent à l’hindouisme qu’il synthétise avec clarté. De fait, tout le livre est clair, bien que l’on doive y voir des intentions en rapport avec le christianisme, et, étant la première œuvre monographique consacrée à Guénon, elle partagea avec le numéro d’Études Traditionnelles sorti l’année de la mort du métaphysicien son influence sur l’appréciation postérieure de l’œuvre et de la pensée "guénonienne" dans certains milieux chrétiens de France, dans ce sens qu’elle conduisit les eaux de la summa de Guénon au fleuve de l’Église de Rome, encore que convenablement critiquée et expurgée au point de pratiquement renier la différence entre métaphysique et religion et de déclarer que la Maçonnerie est une initiation "virtuelle" ­comme s’il n’y avait pas des Obédiences traditionnelles et surtout des loges Opérantes avec la faculté d’octroyer des initiations effectives à tous ceux qui seraient réellement qualifiés­ en dépit de citer les passages où Guénon affirme que la Franc-Maçonnerie et le Compagnonnage sont les deux uniques institutions qui peuvent se réclamer d’une filiation traditionnelle directe, bien que faisant suivre ces déclarations de Guénon des critiques qu’il a lui-même faites de la Maçonnerie spéculative contemporaine ; Monsieur Sérant doit savoir en ce cas que la religion chrétienne n’obtiendrait pas même cette "virtualité", selon le discours de Guénon.

     

       À partir de la page 165, l’auteur, tout en continuant de souligner les mérites de Guénon, fait appel à certaines critiques qui, non seulement communes aux milieux religieux, résument aussi généralement celles qui, par divers moyens, furent émises du vivant et à partir la mort de Guénon, moment où fut écrit le livre de Monsieur Sérant. Il se peut que quelques-unes ­ou plusieurs­ de ces critiques soient valables, mais elles sont bien évidemment perdues dans l’importance même de l’œuvre, qui est ce que nous souhaitons présenter aux lecteurs de SYMBOLOS, afin qu’ils puissent estimer les points en question à travers notre hommage.

     

       Le livre s’achève par une postface avec l’énumération de divers points critiques développés de 1952 à 1977, où l’on insiste de nouveau sur le Christianisme ­et l’incompréhension qu’en avait Guénon­ et la Maçonnerie, et où l’on a la lamentable idée de citer F. Schuon comme une autorité en la matière en lui attribuant cette phrase : « sans la qualification morale, la qualification spirituelle est pratiquement inopérante », ce qui prend une connotation totalement cynique aux oreilles de ceux qui connaissent ce faux prophète de l’Ère Nouvelle. Nous recommandons les 150 premières pages comme un bon travail universitaire pouvant être complété par la lecture d’œuvres postérieures sur le sujet.

     

    LE SENS CACHE DANS L'ŒUVRE DE RENE GUENON. Jean-Pierre Laurant. Ed. L'Age d'Homme, Lausanne 1975. 276 pp.

     

       Ce livre consacré à l’étude de la pensée et l’œuvre de Guénon commence avec son enfance et sa jeunesse, et son auteur utilise la méthode historique, qui n’a pas de raison de contrarier mais qui peut au contraire enrichir les perspectives essentielles et verticales de l’œuvre de Guénon.

     

       L’insertion, dès les premières pages, d’un horoscope de Guénon et d’incidents et attitudes psychologiques de ses premières années et de sa jeunesse révèle une intention "d’humaniser" le personnage du métaphysicien français, ce qui ne relativise pour nous en aucune manière l’extraordinaire synthèse guénonienne et ses facultés de provoquer l’éveil intellectuel chez ses lecteurs, en fonction bien évidement des aptitudes (quelles qu’elles soient) de ces lecteurs. Ultérieurement, l’auteur commence à souligner les influences et les premières sources où Guénon s’abreuva, parmi lesquelles celle de son professeur de philosophie A. Leclère semble être l’une des plus importantes ; de notre côté, nous insistons de nouveau sur le fait que, pour nous, ces influences et références ne diminuent en rien son extraordinaire summa et sa fonction. L’on peut dire de même sur l’analyse de quelques poèmes de jeunesse et les fragments d’un roman entaché des influences occultistes de l’époque ;

     

       L’on peut même constater, à travers les thèmes et les titres dont traitent ces compositions littéraires, un intérêt profond pour les sujets ésotériques qui se manifeste pratiquement dès l’enfance. De fait, Guénon n’aborde pas seulement les thèmes ésotériques qu’ont traités des prédécesseurs comme F. de Rougemont, De Brière, F. Portal, St Yves d’Alveydre, etc., ou des contemporains, mais aussi les questions propres à l’ésotérisme occidental présent dans la Tradition Hermétique elle-même, et qui n’ont jamais cessé de se poser, avec plus ou moins de bonheur, comme c’est précisément le cas. J.-P. Laurant témoigne par ailleurs du passage de Guénon dans quelques-unes des institutions du milieu pseudo-spiritualiste de l’époque, qu’il finit par bien connaître, et qu’il rejettera et dénoncera par la suite, ce que reflètent clairement deux de ses œuvres, bien connues de nos lecteurs : L’Erreur Spirite et La Théosophie, Histoire d’une Religion, que Laurant résume dans le chapitre IV. Il résume également, dans le chapitre V, Orient et Occident et La Crise du Monde Moderne. Dans les chapitres VI et VII, il synthétise de nouveau correctement l’essentiel d’autres œuvres de Guénon, tout en donnant quelques informations intéressantes sur sa vie quotidienne, basées sur divers livres et documents. Nous devons reconnaître que ce travail de synthèse et tout à fait remarquable, bien que l’auteur, historien de profession, donne une importance particulière à la vision de la "philosophie de l’histoire" du métaphysicien français. L’existence de Guénon peut en quelque sorte être divisée en trois périodes : 1886-1912, 1912-1930, date de son départ définitif pour Le Caire et 1930-1951, année de sa mort. Laurant établit aussi, pour ainsi dire, cette division au cours de son livre, et le développement de la troisième période débute au chapitre IX de son travail. Les informations apportées ici sont nombreuses et d’un grand intérêt ; d’un côté, une synthèse de la pensée de Guénon, et de l’autre, un portrait de ce dernier dans son environnement quotidien, familier et d’une grande simplicité, ce qui conduisit Schuon à affirmer, après lui avoir rendu visite, que l’image de cet homme ne correspond en rien à son œuvre. Tout au long de cette étude, l’on peut constater le désir d’objectivité de J.-P. Laurant et reconnaître qu’il a atteint son but, malgré l’expression directe ou indirecte de ses idées.

     

       Quant à la lutte contre le Mal, qu’il mena toute sa vie et que certains ont pris pour un aspect paranoïaque de sa psychologie, il est évident que Guénon voyait chez ces entités concrètes qui l’incarnaient ­quelles qu’elles soient ou qu’il imagine­ l’immense bataille cosmique (à l’instar du chaman en transe) amplifiée par la période cyclique ­la fin du Kali Yuga­ qu’il devait vivre. Beaucoup de ce qu’il a écrit, surtout dans ses polémiques, n’est sans doute pas seulement le besoin de se défendre contre l’Adversaire, mais aussi les armes pour le repousser ; ce sont des malédictions (qui forment part de l’art de mal(mau)- dire) en parfaite corrélation avec les immenses bénédictions qu’il a apportées à ses lecteurs.

     

       Le dixième et dernier chapitre parachève le livre et donne tout son sens à cette investigation qui obéit jusqu’au bout à des principes d’objectivité et de bon sens, car tout en constatant les nombreux mérites de l’œuvre de Guénon ­réellement fondamentaux et décisifs pour nous comme pour beaucoup d’autres­, il est fait mention de ses parties obscures et complexes ainsi que de certaines attitudes du métaphysicien français. Ainsi, la négation du christianisme, et non pas de la religion et de l’Église Romaine, comme voie d’accès à la Connaissance, en oubliant le personnage de Jésus et le Nouveau Testament, qui prend sa source dans l’Ancien ; en omettant l’œuvre anonyme des monastères, comme c’est encore le cas de nos jours pour les bénédictins dans plusieurs parties du monde, et les grands écrivains chrétiens qui forment cette Tradition (les Apocryphes, Origène et Clément d’Alexandrie, saint Grégoire de Nazianze, Maxime Le Confesseur, saint Denis l’Aréopagite, Maître Eckhart et les mystiques de Munich, Jacob Böhme, Nicolas de Cusa, Angelus Silesius, etc.) ; lorsqu’il affirme qu’en Italie, le rattachement traditionnel ne s’est pas perdu de Pythagore à Virgile et de Virgile à Dante, et qu’il ne s’obtiendrait apparemment que par une initiation officialisée qui, semble-t-il, n’existe plus depuis le Moyen Âge, ou sur le mont Athos où l’on pourrait peut-être obtenir les « instructions techniques » (sic) nécessaires, ou dans l’acceptation du métissage de plusieurs formes traditionnelles, ou lorsqu’il déclare que l’on peut être rattaché à plusieurs organisations traditionnelles si elles ne sont pas incompatibles entre elles, ou encore pire, lorsqu’il cite inexplicablement à ce sujet une désagréable sentence qui dit que « deux précautions valent mieux qu’une ».

     

       Il faut d’autre part noter que beaucoup des lettres qui expriment ce genre de choses sont datées d’après 1946, lorsque F. Schuon décide de se séparer officiellement de Guénon. Toutes sortes d’antagonismes se créent alors entre ceux qui avait pris Guénon comme guide, s’accroissent après sa mort et subsistent encore de nos jours. La diaspora s’accentue entre les plus anciens collaborateurs d’Études Traditionnelles et s’il n’y a pas de continuation de l’œuvre de Guénon c’est qu’il n’existe pas de consensus à suivre pour le faire. J.-P. Laurant affirme sur ce point que « Guénon lui-même (...) a engendré la confusion parmi ses continuateurs », phrase avec laquelle nous sommes d’accord.

     

       Beaucoup d’autres sujets sont abordés dans ce chapitre où l’on trouve aussi bien la narration des derniers instants du maître français que des objections à son œuvre, en passant par quelques détails touchant la dernière partie de son existence et celle de certains de ses proches. L’impossibilité d’institutionnaliser l’œuvre guénonienne est mise en avant avec raison, et l’on souligne surtout qu’il a ouvert une voie de compréhension "globale", opérante dans nos instances intérieures et qui provoque, grâce à un choc, l’ouverture d’une source de création. C’est peut-être le meilleur livre sur Guénon et il mériterait d’être enfin traduit en espagnol.

     

    RENE GUENON, TEMOIN DE LA TRADITION. Jean Robin. Guy Trédaniel. Paris 1978. 353 pp.

     

       Dans l’article précédent nous émettions la possibilité d’éditer en espagnol le livre soumis à examen ; nous pourrions de même recommander aux éditeurs qui se consacrent à l’ésotérisme la publication de ce livre de Jean Robin, car tous deux sont les meilleures études sur Guénon qui, comme nos lecteurs le savent bien, est considéré comme le plus grand métaphysicien du XXe siècle, ce dont témoigne l’ensemble de son œuvre. Et ce sont précisément ces ceux ouvrages qui ont le plus respecté et exposé la pensée de Guénon et, corrélativement, le parcours existentiel et intellectuel de son auteur. D’autre part, les deux livres sont équilibrés, objectifs et bien documentés, avec une grande quantité d’information obtenue de ses textes et de son abondante correspondance, traitée de façon lucide et amène. Il y a cependant entre eux une grande différence, que Jean Robin se charge de préciser dès le départ : tandis que Laurant utilise une méthode historique, qui semblerait relativiser la pensée de Guénon en fonction des influences qu’il aurait pu recevoir de son milieu et de son caractère, ainsi que d’autres auteurs, Robin considère que le personnage du grand métaphysicien français est providentiel pour son époque, et que sa fonction transcende n’importe quelle étiquette puisque Guénon incarne pour son temps une détermination de type céleste et vertical, idée qu’il développe tout au long de son étude et qu’il partage avec Michel Vâlsan.

     

       La chose nous semble néanmoins plus simple, car nous considérons que les deux façons de voir ne sont pas incompatibles mais complémentaires, comme la verticalité et l’horizontalité, comme l’éternité et l’histoire ; outre cela, les différents niveaux de lecture d’une chose, d’un phénomène, d’un être, c’est-à-dire d’un symbole, se superposent sans la moindre difficulté et sans nécessité de l’affecter, et Guénon lui-même précise que les différents degrés, ou plans, de l’Être Universel n’ont pas de raison de s’exclure ­comme le fait le monde moderne­ mais sont au contraire simultanés et en parfaite harmonie ; du temps de Platon, l’on déclare déjà que le temps ­et tout ce qu’il marque­ est une image mouvante de l’éternité. Ainsi l’existence mouvementée, paradoxale, psychosomatique et intellectuelle de R. G. a aussi une raison d’être, un destin manifeste, bien que nous ne sachions pas exactement lequel dans ses formes les plus anecdotiques, évidement de moindre importance en regard de sa pensée et son message, qui sont la raison de l’attrait de ses œuvres pour d’innombrables lecteurs qualifiés qui s’y sont abondamment abreuvés. Nous jugeons quant à nous, qu’une surestimation du métaphysicien peut conduire à le croire infaillible, alors que, d’un autre côté, une humanisation exagérée de sa personnalité peut l’assimiler à tout autre produit de ce siècle, situation qui n’est pas nouvelle et qui a accompagné tous les grands personnages ayant divulgué la Science Sacrée, et encore plus lorsque l’on tient compte du paradoxe que représente la Manifestation Universelle.

     

       Les quatre premiers chapitres, représentant le tiers du livre qui en contient douze, développent progressivement un point de vue sur Guénon et son œuvre d’un intérêt singulier, qui exprime de nombreuses précisions sur sa pensée, fondées autant sur ses écrits que sur sa correspondance ou sur les opinions émises par des personnages de l’époque ayant été en contact direct avec lui ; sont examinés de même divers éléments non compris dans d’autres études mais les complétant. Dans le chapitre V, intitulé L’Initiation, sont exposés différents points de l’œuvre de Guénon sur le sujet qui ont été mentionnés aussi par d’autres herméneutiques et que leur appartenance au discours même de Guénon rend particulièrement intéressants. Plus loin, un point appartenant au même thème est abordé sur lequel nous souhaitons insister : il s’agit de la pseudo-initiation et la contre-initiation. Dans le chapitre L’Adversaire, l’auteur s’étend sur certains concepts appartenant à la pseudo-initiation et la contre-initiation ; nous devons confesser que ces termes, créés par Guénon lui-même, n’ont pas éveillé en nous un grand intérêt, vu que le premier est une déviation qui concerne un grand nombre de gens qui, de fait, ne savent pas distinguer le vrai du faux dans leur forme la plus élémentaire, et pour lesquels on ne peut absolument rien faire car, tout simplement, "ça ne leur rentre pas", ce qui en langage de Guénon équivaut à n’être pas qualifiés. Quant au second, nous avons toujours évité le sujet, car ce serait une façon bien simple de discréditer l’adversaire en lui attribuant l’étiquette de contre-initiatique, tout comme il pourrait le faire à notre encontre, sans que rien n’en devienne plus clair pour autant. D’un autre côté, dans un monde comme celui où nous vivons, tout est contre-initiatique, raison pour laquelle certains agents de cette attitude ne nous semblent pas assez important pour leur accorder une attention qu’ils ne méritent pas et qui pourrait même déboucher sur une paranoïa. Cependant, certains faits étant survenus dans notre entourage et ayant un rapport étroit avec une loge qui travaillait depuis des années de façon traditionnelle, nous ont amenés à la conclusion que ceux qui souhaitaient sa destruction ou sa dissolution, en s’en emparant et en la dénaturant, répondaient justement au qualificatif de contre-initiatique. En effet, certains éléments de cet acabit tentèrent de manipuler la Connaissance et même l’opportunité de l’Initiation au bénéfice de leurs intérêts personnels. D’autres se décidèrent pour une lecture fragmentaire de Guénon et, se basant sur ce qu’ils supposaient être "l’orthodoxie", s’attaquèrent au vénérable et aux past-master de leur loge, non en utilisant leur grade, puisqu’ils n’étaient que simples apprentis tout juste agréés, mais leur docte ignorance et leurs préjugés démocratiques ; de simples agitateurs aux prétentions révolutionnaires appliquées à tort à la métaphysique et à la hiérarchie de la Connaissance.

     

       Ainsi, les appelés au sommet doivent connaître ces agents ­conscients, plus ou moins conscients, ou inconscients­ de la contre-tradition et, au lieu de simplement les accueillir, opérer une sélection exhaustive ­quoique ceux dont nous parlons n’aient atteint aucun de leurs objectifs­ pour le bien de leur Ordre d’appartenance, dont il doivent préserver la pureté en le protégeant de ces professionnels du chaos, qui peuvent arriver à former des bandes organisées et s’allier entre eux (même si leurs intérêts sont diamétralement opposés) dans le but d’empêcher le déroulement normal d’une expression initiatique traditionnelle et de réguler celle qu’ils souhaitent vainement manipuler afin de la détruire. « Seth-Typhon, symbole de la contre-initiation, se présente avant tout, naturellement, comme l'adversaire de l'initiation... et de ceux qui la représentent, à quelque titre que ce soit » nous dit Jean Robin, après nous avoir appris que Guénon lui-même fut victime des attaques de ces entités durant toute sa vie, parfois physiquement.

     

       Dans le chapitre appelé Le Sheikh Abdel Wahed Yahia, l’auteur nous dit : : « L'Islam lui-même ne sera donc pas épargné, et rien ne sera sauvé de sa structure exotérique, seul son ' noyau ' ésotérique étant préservé. D'ailleurs, les commentateurs musulmans autorisés sont unanimes à voir dans la Seconde Venue de Jésus une restauration de l'Islam. C'est donc seulement après la destruction du royaume de l'Antéchrist, et dans une perspective proprement eschatologique, que se manifestera ‘concrètement’ l'aspect universel de cette tradition, prédisposée par l'économie providentielle à servir d'arche pour l'ésotérisme des autres formes traditionnelles. »

     

       « On s'interrogera peut-être sur la nécessité d'un tel ‘support’, puisque aussi bien toutes les traditions doivent, d'une manière ou d'une autre, se remanifester. C'est qu'en fait, cette mise en lumière de l'aspect intérieur de toutes les formes ­ puisqu'il n'est rien de caché qui ne doive être révélé ­ ne pourra avoir lieu que dans un ‘cadre’ unique; car, ‘il n'y aura qu'un seul troupeau, un seul pasteur’ (Saint Jean X, 16). Mais ne s'agirait-il pas alors, tout simplement, de la remanifestation de la Tradition primordiale en tant que telle ? »

     

       Dans une autre partie du livre, il nous parle d’un thème particulièrement important : celui des Afrâd et de El Khidr, et cite deux lettres écrites par Guénon à Coomaraswamy à la suite de la publication par ce dernier d’une étude sur Khwajâ Kadir, appelé en Islam Seyidna El Khidr. L’on sait que la fonction de El Khidr est celle de Maître des Afrâd, qui sont ces êtres d’exception s’étant initiés ­pour diverses raisons­ individuellement, sans gourou visible, que l’on appelle les solitaires. En effet, les Afrâd ont reçu leur Connaissance directement, par le biais de leur intuition intellectuelle, sans opportunité d’initiation effective, et ne sont donc pas sous la juridiction du Qutb, ne sont pas dépendants du Pôle, et leur fonction est donc indéterminée, liée à l’apparition du maître intérieur et de la réalité essentielle transcendantale, ce qui pourrait ­comme le suggère Robin­ avoir été le cas de Guénon qui ne souhaite pas traiter le sujet personnellement puisque, ainsi qu’il en informe Coomaraswamy, tout ceci le touche de très près.

     

       Enfin, J. Robin souligne le thème important de Agartha, et le Roi du Monde, et termine avec la doctrine des cycles selon la Tradition Hindoue, amplement expliquée par Guénon et très respectueusement exposée et appliquée à notre temps par l’auteur.

     

       Il est évident que ce compte-rendu est un peu court en regard du vaste programme traité par Jean Robin, car son travail nous propose un "voyage" en quelque sorte analogue à l’œuvre de Guénon. Néanmoins, l’auteur développe par la suite certains points en germe dans ce livre, et les aborde d’une façon assez personnelle, donc problématique ; et, quoiqu’ils soient discutables, ils n’en sont pas moins possibles, ce qui pour certains outrepasse l’authentique pensée "guénonienne", bien que certaines insinuations de Guénon sur d’obscurs topiques pourraient ouvrir la voie à ce genre de développement. Mais ils ont pour nous une importance secondaire par rapport au gros de l’œuvre, et il y a bien une raison pour qu’ils n’aient pas été longuement et clairement traités par le sheikh Abdel Wahed Yahia.

     

    ESOTERISME ET CHRISTIANISME AUTOUR DE RENE GUENON. Marie-France James. Préface de J.-A. Cuttat. Nouvelles Editions Latines. Paris 1981. 479 pp.

     

       L’auteur de ce travail, catholique pratiquante, canadienne de Montréal, a fait sa thèse sur René Guénon, et en partie sur son œuvre. La photographie reproduite dans le livre nous présente une dame d’âge mûr. Nous signalons cette futilité parce que le portrait nous a ramené soudainement dans une atmosphère familière, celle du néothomisme catholique et des événements pré et post-conciliaires antérieurs à la Théologie de la libération, ou, par euphémisme, celle que Rome soutient aujourd’hui en tant que Anthropologie de la libération. En effet, au sein d’une ambiance de préjugés, provinciale si l’on veut, ou du moins complètement fermée, circonspecte, peut-être esthète selon les conceptions de la beauté de Paul Claudel et le jeune dynamisme, peut-être alors un tant soit peu "libérale", mais en tout cas néo-officielle de Jacques Maritain et de sa femme Raïssa, et le certificat religieux de Garrigou Lagrange, prêtre du néothomisme, l’auteur expose le fruit de ses investigations en 479 folios. Dès les premières pages, les préjugés contre la Maçonnerie, et aussi l’Islam, sont évidents, il semblerait même que les doctrines orientales sont considérées comme "suspectes", ainsi que tout ce qui n’est pas le catholicisme et le néothomisme comme doctrine officielle de l’Église, ce qui était, certes, la pensée théologico-religieuse de la première moitié de ce siècle, période qui correspond par ailleurs aux activités de Guénon et son œuvre, et que l’auteur prend pour objet de son étude.

     

       Mais, en raison de son attitude conditionnée d’emblée, elle est capable d’affirmer que les catholiques d’alors, malgré que quelques-uns aient pu être abusés par Guénon, restèrent vigilants, comme elle l’est sûrement elle-même, ainsi qu’ il apparaît dans la suite du livre.

     

       « Mais les plus perspicaces n'ont pas été dupes longtemps ­ sinon jamais ­ de l'orientation fondamentale de l’œuvre et du projet guénoniens qui tendaient á rien de moins qu’à relativiser la personne du Christ et la radicale nouveauté de la Révélation judéo-chrétienne et á réinterpréter la doctrine et la tradition chrétiennes á la lumière des principes ésotéro-ocultistes. » (page 15).

     

       D’un point de vue historique, elle a réalisé un louable travail qui apporte une grande quantité de matériel documentaire, où l’on remarque de nombreuses lettres et communications personnelles, inédites jusqu’à cet ouvrage, en particulier de la jeunesse de Guénon, son union avec les milieux ésotériques occidentaux et ses relations avec les milieux chrétiens français avant son installation définitive au Caire. Le livre se lit avec intérêt, ce qui n’est pas étonnant vu la grandeur du personnage sujet de la biographie, et les chemins étranges et inextricables de sa vie qui aboutissent à un Destin aussi Universel que Providentiel, malgré les efforts constants de James pour opacifier, amoindrir et salir ­si l’on peut dire­ le personnage de Guénon, auquel elle reconnaît néanmoins certains mérites généraux et intellectuels qui pourraient eux aussi être suspects d’une certaine manière, au point de présenter la nièce de Guénon, religieuse, témoignant qu’il négligea sa tante Berthe, son épouse, sur le point de mourir ; nous rappellerons seulement que cette nièce était comme une fille pour Guénon. Nous trouvons lassante sa façon astucieuse de tenter de diaboliser la figure du grand métaphysicien tout en opposant sa pensée à celle de l’Église de Rome, point sur lequel nous sommes d’ailleurs d’accord, tout comme avec le cardinal Daniélou qui, dans son œuvre Essai sur le Mystère de l’Histoire, dans le chapitre « Grandeur et faiblesse de René Guénon », établit clairement la différence entre la pensée de Guénon et celle de l’Église de Rome, en particulier sur ce qui se rapporte à l’historicité de Jésus-Dieu. La préface de J. A. Cuttat (Jean Thamar) est trop généreuse.

     

    ESOTERISME, OCCULTISME, FRANC-MAÇONNERIE ET CHRISTIANISME AUX XIX ET XX SIECLES. Marie-France James. Nouvelles Editions Latines. Paris 1981. 268 pp.

     

       Cet ouvrage constitue un dictionnaire de biographies d’auteurs et personnages de cette époque. Le livre, sûrement construit à partir de fiches rassemblées durant les recherches préliminaires à l’œuvre commentée précédemment, sera peut-être plus utile et plus agréable à ceux qui connaissent la pensée guénonienne, car l’auteur n’y fait pratiquement pas de commentaires et produit ses brèves biographies de personnages extraordinaires en semblant presque ne pas s’apercevoir qu’ils le sont, d’une façon quasiment aussi linéaire que pratique pour ses lecteurs, tout en citant ses sources. La préface à ce précieux index, de la main d’Émile Poulat, est également intéressante et explicative.

     

    LES NOMBRES SACRÉS, DANS LA TRADITION PYTHAGORICIENNE MAÇONNIQUE. Arturo Reghini. Arché. Milano 1981. 217 pp.

     

       L’auteur énonce l’assimilation de la Franc-Maçonnerie avec la Tradition Hermétique, et de toutes deux avec la tradition pythagoricienne, dans la mesure où elles sont régies par les nombres et la géométrie, ce qui est évident dans la Maçonnerie. Il continue par un exposé magistral, en sept chapitres denses et synthétiques, de son point de vue en mettant tout particulièrement l’accent sur le sens des numéros et des figures géométriques et les propriétés immuables qui leur sont assignées suivant les pythagoriciens, et sur la totalité des traditions, y compris les plus archaïques, ajouterons-nous. Le développement est clair et retient toute l’attention, ouvrant des possibilités infinies à ceux qui captent correctement la symbolique qui s’y trouve enfermée, directement liée au potentiel de la cosmogonie et à l’étude de la forme cosmique comme support de méditation et de réalisation métaphysique.

     

       Il y a cependant d’autres éléments de ce livre que nous souhaitons aussi commenter. En effet, le travail est précédé d’un avant-propos de l’éditeur et dans son épilogue sont publiées plusieurs lettres de Guénon à Reghini. L’on peut voir que l’édition poursuit également un autre but : le désir légitime d’apparenter deux auteurs traditionnels contemporains qui furent, de fait, unis par la connaissance mutuelle de leurs œuvres et articles, ce dont l’on s’aperçoit au travers de leur relation épistolaire.

     

       Arturo Reghini est né à Florence, en Italie, le 12 novembre 1878, au sein d’une ancienne famille du cru ; intelligent et précoce, il ne tarda pas à développer une immense culture, et c’est ainsi qu’on peut le voir, dans sa jeunesse, fréquenter écrivains, artistes, philosophes et hommes de science parmi lesquels il se fait remarquer comme mathématicien et philologue, dans les cafés réservés à ces débats comme le Caffé delle Giube Rosse et le Paszkowski. Animant les cercles spirituels face au matérialisme qui s’imposait à la fin du XIXe siècle, il fonde la revue Bibliothèque Philosophique, suivie de Atanòr et Ignis. Maçon du 33ème degré, il tente de restaurer l’esprit maçonnique traditionnel dans plusieurs loges et même dans diverses sociétés ésotériques. Travailleur infatigable pour ses idées, il participe activement dans la société italienne et européenne de son temps. Son œuvre est vaste et remarquable (comme ses travaux sur Dante), souvent liée à des intérêts immédiats en raison de son caractère inquiet et de son travail de diffusion. Mais ses deux grandes œuvres sont : Pour une Restitution de la Géométrie Pythagoricienne suivie de Les Nombres Pythagoriciens, en sept volumes, encore inédits aujourd’hui et sur lesquels se base l’ouvrage que nous commentons.

     

       Le principal parallèle entre les activités et l’influence de Guénon et Reghini s’établit sur le fait que tous deux sont des représentants de la Philosophie Pérenne et des réformateurs, ou mieux, des "adaptateurs" de la Doctrine à leur temps. L’on pourrait également signaler leur profonde compréhension du symbolisme géométrique et arithmétique que Guénon met en évidence dans Le Symbolisme de La Croix et dans Les Principes du Calcul Infinitésimal, et tout au long de son discours. De là vient son intérêt démontré pour l’œuvre de Reghini ­chose peu fréquente chez lui­ et inversement, le profond respect de ce dernier pour l’œuvre guénonienne qui se révèle dans sa correspondance, au point de diffuser sa pensée en Italie parmi de nombreux amis et élèves, dont Julius Evola.

     

    LA VIDA SIMPLE DE RENE GUENON [La vie simple de René Guénon]. Paul Chacornac. Ed. Obelisco. Barcelona, 1987. 146 pages.

     

       Nous pensons d'une grande partie de la confusion sur la figure de Guénon, particulièrement en ce qui concerne sa pensée, est due au livre de Chacornac La Vie Simple de René Guénon. Paru peu après sa mort, il nous montre un Guénon naïf, aseptisé et totalement respectable, un cliché qu'il faut imiter avec des manières circonspectes et en se donnant des airs sages et rigides. D'autre part, le livre se lit avec intérêt, et certains aspects de la biographie et de la pensée de Guénon sont présentés respectueusement, ce qui rend sa lecture recommandable.

     

    RENE GUENON E LE FORME DELLA TRADIZIONE. Nuccio D'Anna. Ed. Il Cerchio. Rimini, 1989. 211 pages.

     

       Comme son titre l’indique, cette étude porte sur quelques-unes des formes religieuses traditionnelles que Guénon a connues personnellement ou desquelles il avait obtenu des informations de première main, à l’exception du Bouddhisme ­duquel il fait une excellente analyse historique­ qui aurait pu être remplacé par la Tradition Hermétique, objet d’innombrables citations et apports de Guénon, dont la Franc-Maçonnerie est héritière et que le grand métaphysicien français a amplement traitée ; cela ne retire rien à l’immense intérêt de la Tradition Bouddhiste, surtout pour les lecteurs de Guénon qui pourraient trouver dans ce travail de Nuccio D’Anna des éléments traditionnels qui leur sont familiers et se trouvent présents dans cette tradition, se référant spécialement à leur aspect tantrique et mahâyâna.

     

       L’auteur de cette étude commence par une introduction globale à la pensée guénonienne, et en général à la pensée traditionnelle qu’il exprime dans son œuvre, dans laquelle il fait la critique des jeunes années de Guénon et son rattachement aux milieux ésotériques occidentaux auxquels il appartint, au point de trouver "problématiques" les relations entretenues par Guénon avec ces groupes pendant des années, surtout à la lumière, dit-il, de son œuvre postérieure. Nous ne partageons pas cette appréciation et nous y voyons certain préjugé courant : celui de relier exclusivement les religions "officielles" majoritaires à la Tradition, au détriment des églises dispersées, des déjà mentionnées Tradition Hermétique et Franc-Maçonnerie, et des innombrables traditions archaïques encore vivantes auxquelles Guénon aussi fait référence, notamment les américaines. Là se trouve sûrement la raison de la division de son livre en sept chapitres, nombre d’un emploi fallacieux.

     

       L’érudition de l’auteur su l’œuvre de Guénon est cependant digne de tout notre respect, car sa pensée se trouve être exprimée clairement dans les différents chapitres consacrés à l’Hindouisme, le Taoïsme, la Kabbale, le Christianisme et l’Islam ; c’est un point particulièrement important, car D’Anna a extrait de divers textes guénoniens différentes citations et affirmations au sujet de ces traditions, qu’il a ordonnées de façon cohérente, clarifiant dans une large mesure sa pensée sur elles et en en présentant une version originale, qui évite leur dispersion tout au long de l’ouvrage. C’est là le travail fondamental de l’auteur qui utilise par ailleurs sa grande connaissance des traditions commentées et de la pensée traditionnelle en général pour mener son travail à bonne fin.

     

       Tout est remarquable dans cette œuvre, qui mériterait elle aussi d’être traduite dans notre langue, mais nous voulons signaler les chapitres sur l’Hindouisme et la Kabbale, où certains aspects de la doctrine des cycles sont développés, et la conclusion d’où ressort, entre bien d’autres choses, que Guénon n’accordait aucune importance à la politique, en dépit des efforts de quelques groupes, et qu’il ignora aussi bien la droite que la gauche, division, ajouterons-nous, qui a aujourd’hui dépéri.

     

    LA PLACE ROYAL. La Crise de l’Église. Nº 34-35. Hiver 94-95. Adresse : B.P. 88 - 81603 GAILLAC CEDEX - FRANCE.

     

       Textes de Luc-Olivier d'Algange, Hervé Boitel, Bruno Dietsch, Frédéric Luz, Henry Montaigu, Jean Parvulesco, Eric Vatré et deux inédits Henry Montaigu.

     

       Nous voulons signaler tout particulièrement le numéro double 34-35 de cette revue, consacré à la Crise de l’Église, sujet aussi actuel que sérieux et délicat. Et cette critique prend un intérêt particulier puisqu’elle s’établit au plus profond d’une conviction à la fois métaphysique et religieuse, car ceux qui la formulent sont de confession catholique et appartiennent à la Grande Tradition Chrétienne.

     

       En effet, l’Église Catholique voit s’ébranler ses bases et s’écrouler l’édifice que saint Pierre et saint Paul portèrent à Rome, où cette Église devint une institution qui, des siècles durant, jusqu’au Moyen Âge, entretint la flamme de la Sagesse et le message ésotérique de ses Évangiles. C’en est arrivé au point qu’il est évident, pour les rédacteurs de ce numéro de la revue ­ainsi que pour tous les chrétiens sincères­ que cette Église est celle de la Fin, que l’on ne peut rien en attendre sauf une interprétation littérale du message chrétien et une soi-disant adaptation aux mouvements, toujours relatifs, liés au progrès scientifique et à une aussi vague que démagogique "justice sociale". Il est évident que les véritables objectifs d’une institution comme l’Église Catholique doivent être éminemment et par-dessus tout spirituels, et non matérialistes, toujours liés à des intérêts particuliers ou de groupe, qui sont aujourd’hui blancs et noirs demain. Il suffit de lire de dernier Catéchisme Chrétien pour obtenir un témoignage direct de ce que nous énonçons, auquel pourraient s’ajouter le manque de vision et l’obstination d’ouvrier, sportif et cultivé, de son conducteur actuel, vivant exemple de ce que Guénon appelait "le signe des temps".

     

       Comme le dit le directeur de LA PLACE ROYAL, Frédéric Luz, c’est à peine s’ils ont pu aborder, dans ce numéro de la revue, certains points concernant l’ensemble de ce thème, mais ils sont suffisants et sont traités avec le respect nécessaire pour pouvoir remarquer ce qui couve sous la décomposition des valeurs intellectuelles de la hiérarchie ecclésiastique, et l’absence presque totale de toute lueur spirituelle en émanant, qui n’est qu’une caricature inversée du message transcendantal de Jésus.

     

       Nous recommandons la lecture intégrale de ce numéro, et nous souhaitons que les observations et critiques soutenues ici poursuivent leur développement, car elles viennent du fond du cœur d’authentiques chrétiens, et sont donc faites de l’intérieur de l’Église véritable. Un écho de la Gazette de Cyrano informe du Nº 8 de SYMBOLOS.

     

    AJOBLANCO. Nº 14 Extrajoblanco: Magia. Ajoblanco ediciones, Barcelona 1974 Textes de Pepe Aponte. 80 pages.

     

       Nous croyons que cette revue est la première à avoir publié en espagnol une étude complète sur René Guénon, dans un numéro consacré à la Magie. Le fait doit être mis en évidence pour deux raisons : la première, parce que dans l’Espagne d’alors, le grand métaphysicien français était totalement inconnu ; et la deuxième, parce qu’elle fut publiée précisément à Barcelone, là où sa pensée se fit connaître et où l’on commença à l’entendre nommer dans les amphis, les librairies et les cafés.

     

    CUADERNOS DEL OBELISCO. Esoterismo-Simbolismo-Tradición. Nº 1: Dossier René Guénon. Ediciones Obelisco, 1991. España. 129 pp.

     

       SUMARIO: Juli Peradejordi: De la urgencia de René Guénon; Jean Robin: René Guénon, Testigo de la Tradición; Élie Lemoine: El diablo, ¿"padre" de la civilización moderna?; Raimón Arola: René Guénon y el Centro; Luis Miguel Martínez Otero: En torno a la metafísica. La figura de René Guénon; René Guénon: El simbolismo metafísico de la Cruz; P. Sánchez Ferré: Guénon en España; René Guénon: El don de lenguas; Rosa S.: Estudio astrológico del tema natal de René Guénon; Gaston Georgel: Iniciación y Cristianismo: Francisco García Bazán: René Guénon y el esoterismo cristiano; Juli Peradejordi: Esoterismo cristiano y Cristianismo esotérico; F. Ariza: René Guénon y la Franc-masonería; Manel Plana: René Guénon y la crisis del arte en el siglo XX; Charla de Luis Miguel Martínez Otero con Jaime Cobreros Aguirre: Conversación en torno a la presencia de René Guénon en el mundo moderno; Luis Miguel Martínez Otero: Glosario Guenoniano; Reseñas Bibliográficas.

     

       Parmi les éditeurs en espagnol se consacrant à l’ésotérisme, il faut relever l’importance du travail assumé par Ediciones Obelisco. Sous la direction de Juli Peradejordi, des livres d’un immense intérêt ont été publiés, parmi lesquels plusieurs de René Guénon. L’on pourrait parfois les prier d’être plus concrets dans leurs critères et de se consacrer plus directement à l’édition et la diffusion d’œuvres de caractère traditionnel, mais il faut reconnaître que, selon les possibilités commerciales du marché du livre, Obelisco n’a pas cessé de travailler.

     

       Cuadernos del Obelisco est une collection basée sur des sujets monographiques. Le premier volume (1991) est consacré à René Guénon. Dans sa présentation, Juli Perajordi explique les raisons de ce choix et ajoute : « Guénon a joué dans notre siècle un rôle réellement providentiel. Personne n’a su comme lui nous présenter avec tant d’honnêteté intellectuelle et de fidélité les infinies possibilités offertes par la tradition. »

     

       Le contenu général comprend douze articles, une interview de Jaime Cobreros, un glossaire guénonien signé par Luis Martinez Otero, des données bibliographiques et deux chapitres choisis de l’œuvre de Guénon : le symbolisme métaphysique de la croix et le don des langues.

     

       Signalons la publication parmi les articles de fond du prologue du livre René Guénon, Témoin de la Tradition, du français Jean Robin, que nous commentons plus loin.

     

       Remarquons pour sa simplicité et sa force de synthèse le travail de Raimón Arola. Arola, qui a publié chez cet éditeur Textos y glosas sobre el arte sagrado (textes et gloses sur l’art sacré), se montre à cette occasion concis et respectueux.

     

       L’ouvrage enchaîne avec un texte de L. Martinez Otero intitulé "Autour de la métaphysique : René Guénon", qui commence ainsi : « figure christique érigée, leptosomatique, acerbe et inflexible... ». Ce genre de langage personnel ampoulé et prétentieux, auquel Guénon n’adhéra jamais, est l’une des formes que prend la fantaisie de l’auteur pour ternir le cadre symbolique de l’œuvre de Guénon, qui en aucun cas ne s’est développée sous l’influence de ce genre de considérations. Dans ses textes complets, nous n’avons pas trouvé la moitié des épithètes déversés par Martinez Otero dans la première ligne de son article, qui présente dans l’ensemble un caractère littéraire et juvénile. Ultérieurement, l’auteur a persisté dans ses fantaisies personnelles dans une horrible petite publication appelée Satán (Munñoz Moya y Montraveta. Séville. 1994). Martinez Otero a la prétention d’être quelqu’un dans le monde de l’ésotérisme et tente de discréditer Guénon et ses adeptes au moyen de ses manigances littéraires et toutes sortes de travestissements, formant une sorte d’avorton ­plus ou moins cultivé­ aux buts obscurs, pouvant avoir quelque rapport avec le titre de ce désagréable travail auquel, ainsi qu’il y est dit, J. Cobreros a donné le nihil obstat.

     

       Trois articles sur l’ésotérisme chrétien, l’un d’eux signé par Francisco Garcia-Bazán, précèdent le texte de F. Ariza "René Guénon et la Franc-Maçonnerie". Monsieur Ariza a probablement publié, ces trois dernières années, les plus intéressants articles édités en espagnol sur la Franc-Maçonnerie et démontre dans cette collaboration une versatilité extraordinaire, beaucoup d’informations et de rigueur pour narrer la véritable histoire de la Maçonnerie dans une perspective aussi temporelle que symbolique.

     

       Plus loin, dans un texte de consacré à la crise de l’Art au XXe siècle, M. Plana affirme que personne n’a encore dépassé ces mots de Guénon : « Il est absurde de croire que l’état humain occupe une place privilégiée dans l’existence universelle ou qu’il se distingue métaphysiquement des autres états... ». Sont également dignes de mention les observations présentées dans cet article au sujet de la psychanalyse et la subversion qu’elle représente.

     

       Quant au travail de Juli Peradejordi "Ésotérisme chrétien et christianisme ésotérique", nous devons dire qu’il est pour le moins confus, quand ce n’est pas dual ou contradictoire. En fait, ce que nous y avons trouvé de plus intéressant est la dernière partie, où il affirme : « si nous souhaitons accéder à l’Ésotérisme Chrétien, nous étudierons ses Écritures, ses rites et ses symboles à la lumière des Pères de l’Église et de la Tradition Apostolique, sans oublier de demander à l’Esprit qu’il éclaire notre intelligence. »

     

       L’entrevue entre Monsieur Martinez Otero et Monsieur Cobreros porte sur l’initiation et les Petits Mystères. Nous devons croire que, s’ils en parlent, c’est qu’ils possèdent le thème à fond. De même, dans une autre partie de l’entrevue, Monsieur Cobreros dit textuellement au sujet de Guénon : « C’est la partie sombre, sa désaffection pour l’Incarnation du Verbe, l’ignorance de cette irruption de l’intemporel dans le temporel. Et cet acte d’incarner l’intemporel ne peut se justifier que par l’Amour, ou alors est une preuve d’Amour. Et cet Amour qui s’exprime ­disions-nous­ par cette assomption du temps dans l’intemporel est ce qui distingue et donne son sens au christianisme. Guénon ne l’assume pas. » Cela nous semble littérature douteuse.

     

       Et pour achever ce volume, un glossaire présente trente termes de l’œuvre guénonienne, que Monsieur Martinez Otero explique en joignant quelque morceau choisi de l’œuvre de Guénon.

     

    APRECIACIONES SOBRE LA INICIACION (Aperçus sur l’Initiation). René Guénon. Ediciones C.S., Buenos Aires, 1993. 461 p.

     

       Les éditions C.S. ont récemment publié en espagnol Aperçus sur l’Initiation, sous le titre Apreciaciones sobre la Iniciación, continuant ainsi la ligne de traductions ayant débuté par Introducción General al Estudio de las Doctrinas Hindúes puis par El Hombre y su Devenir según el Vedanta. C’est bien sûr un motif de joie que l’on donne la possibilité de contribuer à la diffusion d’une œuvre qui, comme toute celle de René Guénon, restitue au XXe siècle le sens initiatique et métaphysique de la doctrine traditionnelle, s’exprimant dans ses symboles fondamentaux activant et promouvant la Connaissance, qui est l’Identité en Soi. Mais la version est mauvaise et l’édition est grossière et peu soignée. La seule information que nous ayons de cette traduction est qu’elle vient d’Argentine, d’auteur inconnu, car son nom n’y figure pas. Nous aurions souhaité au moins un préambule nous informant des intentions de cet éditeur en ce qui concerne les futures traductions d’autres textes de Guénon.

     

    I SYMPOSIUM SUR RENÉ GUÉNON. Barcelone (Espagne). Novembre 1994.

     

       Sous l’égide de la revue SYMBOLOS et le Centro de Estudios de Simbología, le premier symposium sur René Guénon s’est déroulé à Barcelone tout au long du mois de novembre 1994.

     

       Le symposium s’inaugura avec une conférence de José Manuel Rio ; les exposés présentés ont été recueillis dans leur totalité dans le numéro extraordinaire de la revue SYMBOLOS, hommage à René Guénon (Nº 9-10, 1995).

     

       La célébration de l’événement eut lieu à la librairie "Santo Domingo" de Barcelone, dans la vieille ville, cœur de la capitale catalane, et l’assistance dépassa toutes les prévisions, avec l’inscription plusieurs jours avant de presque soixante personnes, c’est-à-dire la capacité totale du local. Les conférences et colloques correspondants se succédèrent au milieu d’une audience attentive et recueillie.

     

       Le programme fut le suivant : le 4 : Présentation, "Symbole et Initiation selon René Guénon", par Fernando Trejos, et "René Guénon, Enseignement et Connaissance", par Antonio Guri ; le 8 : "René Guénon en tant que Symbole et Être Humain", par Antonio Casanovas, et "Histoire et Géographie Sacrées dans l’œuvre de René Guénon", par Francisco Ariza ; le 11 : "René Guénon et la Pensée Platonique", par José Maria Dolcet ; le 15 : "René Guénon et la Maçonnerie", par Francisco Ariza ; le 18 : "René Guénon et l’Art", par Cristóbal Martín ; le 22 : "René Guénon et la science moderne", par Marc García ; le 25 : "Les Multiples États de l’Être et le Démiurge", par Pedro Vela del Campo ; le 29 : "René Guénon et les Arts Libéraux", par José Manuel Río ; Conclusion.

     

       Le symposium s’acheva par une table ronde où plusieurs sujets furent débattus : Franc-Maçonnerie, Initiation, Tradition, et autres.

     

    IIe SYMPOSIUM SUR RENÉ GUÉNON. Gérone (Espagne). Mai 1995.

     

       Commandité par SYMBOLOS et le Centre d’Études de Symbolique de Barcelone, le second symposium sur René Guénon se célébra les 5, 6 et 7 mai à Gérone (berceau de l’un des plus importants mouvements kabbalistiques du Moyen Âge), avec pratiquement tous les participants du premier symposium, célébré à Barcelone au mois de novembre précédent. La librairie "Els Arcs" de cette ville collabora aussi à la préparation de l’événement. Bien que cette fois l’assistance ne fut pas aussi nombreuse qu’à Barcelone, tous firent preuve d’une attention concentrée et d’un grand intérêt, et les commentaires animés suivant les interventions furent utiles pour développer et éclaircir certains points concernant les sujets traités. Quoi qu’il en soit, l’importance de l’héritage guénonien, comme axe ordonnateur pour ceux qui cherchent à établir la connexion avec la Tradition et désirent emprunter le chemin vers la Connaissance, est demeurée évidente.

     

       Le premier jour du symposium débuta par une présentation dont était chargé José Manuel Río, suivie de l’exposé "René Guénon, Symbolisme et Initiation", de Fernando Trejos, lu par Francisco Ariza. Le lendemain intervinrent Antonio Casanovas avec "René Guénon en tant que Symbole et Être Humain", Francisco Ariza avec "René Guénon et la Maçonnerie", et Antonio Guri avec "René Guénon, Enseignement et Connaissance". Le dernier jour parlèrent Marc García avec "René Guénon et la science moderne", José María Gracia avec "René Guénon et le Taoïsme", et finalement José Maria Dolcet avec "René Guénon et la Pensée Platonique". Nous ajoutons le texte d’annonce des deux symposiums.

     

       « Pour beaucoup de ceux qui liront ces lignes, il est probable que l’œuvre de René Guénon n’a pas besoin d’être présentée. Pour d’autres ne la connaissant pas, ce peut être l’opportunité de prendre contact avec une œuvre extraordinaire. »

     

       « Le fait stupéfiant d’une voix qui redonne son sens profond à la portée métaphysique des traditions de l’humanité encore vivantes, et les notions fondamentales ­et les symboles­ d’autres traditions, qui ont déjà disparu mais forment part de notre héritage culturel, se révèle comme un phénomène providentiel dans un XXe siècle qui apparaît, surtout dans le cadre de l’état actuel de notre culture occidentale, on ne peut plus éloigné de toute spiritualité, ou de toute intellectualité, mots synonymes pour Guénon et qui de nos jours sont dépréciés pour le mauvais usage que l’on en a fait et ne répondent plus à leur sens propre d’origine. »

     

       « Des notions comme celle de tradition, qui est le contraire de "coutume" ; celle d’initiation, qui est le processus réel et effectif de la Connaissance, de l’accession à la véritable Identité, c’est-à-dire la possibilité de parvenir à ne former qu’un avec la Réalité, quelle qu’elle soit ; celle de symbole, le code sacré dont l’origine, comme celle de la tradition, « remonte à plus loin et plus haut » que l’humanité, et qui s’applique par extension à la Création tout entière ; celles de méta-physique, cosmogonie, rite, mythe, ésotérisme et exotérisme, constituent pour ceux qui les assimilent des conceptions fondamentales qui éclairent et tracent leur chemin, les intégrant au courant ininterrompu de la pensée ­en fait, de la Connaissance­ qui remonte à l’origine même de l’humanité et au-delà, à l’Origine de toute chose. »

     

       « Le dépouillement, l’optique désintéressée, c’est-à-dire sans intérêts personnels, qu’il nous dit être propre à la métaphysique, caractérise une œuvre dans laquelle rien de personnel ne vient troubler l’expression transcendantale, ce qui permet à chacun d’y trouver ce dont il a besoin, le laissant entrevoir l’idée d’une Tradition Unanime, ce qui est connu en Inde sous le nom de Sanâtana Dharma et a été connu en Occident comme la Philosophie Pérenne, quoique ces derniers termes ne traduisent qu’imparfaitement la notion de la connaissance immédiate et intemporelle qui constitue leur véritable essence. »

     

       « Cela pourra peut-être servir également, pour ceux qui la connaisse déjà, ou qui connaissent ce qui en a été publié en espagnol, à observer ou recueillir certaines considérations qui éclairciront peut-être quelque point obscur ou compliqué de ce qu’elle renferme, parfois en raison du niveau de difficulté d’un langage ou de concepts inhabituels ; en tout cas, ce Symposium sur René Guénon se veut hommage à l’homme et à l’œuvre, bien que le premier soit éclipsé par la seconde et fasse sur lui-même l’affirmation que son seul mérite, en tout cas, à été d’exposer des vérités d’ordre traditionnel du mieux qu’il lui a été possible ; le beau n’est pas ennemi du bon et nous n’avons pas honte d’avouer notre amour et notre respect envers la figure ou la personne de celui qui a exposé comme nul autre la doctrine sacrée (et non pas le dogme) en ce siècle, ce pour quoi nous lui devons toute notre reconnaissance, pour nous avoir permis de la connaître. »

     

    CAHIERS DE RECHERCHES ET D'ETUDES TRADITIONNELLES (C.R.E.T.) B.P. 751, 49307 CHOLET Cedex, FRANCE.

     

       Directeur: Jean-Luc Spinosi. SOMMAIRE Printemps-Été 1993 (Numéro 3): Éditorial (Dominique Devie); Delphes, Centre spirituel du monde grec (Raul Andrès); Aperçus sur la littérature orphique (Luc-Olivier d'Algange); Notes sur l'alchimie du Verbe (Luc-Olivier d'Algange); La critique positiviste du freudisme (Dominique Devie); Sur une réponse du Dr. Schnetzler (Dominique Devie); Quést ce donc que le Big Bang? (Wolfgang Smith); Le principe d'individuation et son renversement (Jean-Luc Spinosi); Pour en finir avec quarante années d'impostures schuonesques (Dominique Devie); Moralité de l'action dans le monde moderne (François Chenique; Dieu lumière de notre vie (R.P. Georges Lusseaud); Tentative de suicide Quai Saint Michel (Dominique Devie); Les livres et les revues (Dominique Devie, Jean-Luc Spinosi); Dernières précisions sur l'affaire Schuon (Dominique Devie).

     

       Il y a un certain temps que nous avons commencé à recevoir cette revue et à l’échanger contre SYMBOLOS ; Monsieur Spinosi, qui la dirige, nous a également demandé à une occasion notre autorisation d’y publier la traduction d’une étude de José Antonio Antón, parue dans SYMBOLOS. Nous avons apprécié les articles signés par Monsieur Spinosi, Monsieur Olivier d’Algange et d’autres collaborateurs, et leurs œuvres de pensée traditionnelle publiées par la même maison d’édition que C.R.E.T., desquelles nous avons déjà parlé et parlerons encore. De fait, cette revue s’est montrée cordiale et amicale, puisqu’ils y ont fait paraître une annonce de SYMBOLOS, qu’ils qualifièrent, avec plus de bonne volonté que de bon espagnol, de « SYMBOLOS - Art - Cluture - Gnose » en ajoutant : « Cette revue est un moyen de transmission de la (des) doctrines traditionnelles ». Nous avons également lu les apports de D. Devie, toujours intéressants et souvent écrits avec un acharnement qui n’épargne rien ni personne, et nous voulons éclairer à ce sujet quelques points touchant la perspective de SYMBOLOS. Cela dit, précisons que nous ne parlerons pas de la totalité des écrits de D. Devie et de son style, également polémiques et désinvoltes et qui sont le motif actuel d’une petite guerre, mais d’un seul des thèmes qu’il aborde, celui qui se rapporte à F. Schuon. Pour démêler et constater le sérieux de ses plaintes, nous lui avons écrit il y a quelque temps pour lui demander la documentation qu’il offre à ce sujet ; sa réponse ne nous est cependant pas parvenue. Nous avons de toute manière pu obtenir par d’autres voies (États-Unis) des informations sur le personnage, et tout ceci ressemble davantage à une diffamation ourdie contre F. Schuon par un faux ami et commanditaire qu’à toute autre chose. D’autre part, ce type de confusion ne ferait que démontrer le sacrifice exigé de cette personne, comme cela a été le cas, dans toutes les traditions, d’innombrables témoins (=mártys,-yros, en grec) condamnés par erreur, ou par malveillance et toute sorte de jalousies et envies, outragés dans leur honneur et leur dignité. Ce qui attire spécialement l’attention, c’est que ce soit précisément une fracture morale et que celui qui, selon P. Sérant (René Guénon, Le Courrier du Livre, Paris 1977, p. 211) « discuta les 'positions' de René Guénon » ­ce que Sérant, résumant Schuon, affirme en disant que "Sans la 'qualification' morale, la 'qualification' spirituelle est pratiquement inopérante"­, se voit mêlé à des dénonciations sur le sexe et autres sujets de ce genre. Nous croyons quant à nous que la conduite de F. Schuon durant de longues années de sa vie ne correspond pas aux faits qu’on lui impute. Mais nous voulons profiter de l’occasion pour faire remarquer quelque chose dont F. Schuon n’est pas innocent, question qui nous semble par ailleurs beaucoup plus grave que ce qui précède. En effet, il s’agit de l’énorme erreur de confondre métaphysique et religion, sophia et simple piété, et d’assimiler erronément tout ce qui est sacré et traditionnel aux œillères de la religion, attitude que Guénon ne cessait de rejeter en raison de l’inversion de ces ordres entre eux, comme la voûte céleste et la demi-sphère de la terre, la principale étant bien entendu primordiale, c’est-à-dire la première par rapport à la seconde, ce qui est d’autre part la seule façon de pouvoir les concilier. Nous ne prétendons pas indiquer ici la quantité impressionnante d’équivoques, d’inexactitudes et de confusions qui peuvent découler de cette division mal comprise et mal faite, sinon répondre à certains correspondants qui nous ont demandé pour quelle raison le nom de Schuon n’apparaît pas dans les bibliographies de mes livres et dans les pages de SYMBOLOS.

     

       A cet effet, nous souhaitons déclarer :

     

       1) Le groupe qui édite SYMBOLOS, et concrètement son directeur, ne connaît pas indirectement l’œuvre de Guénon, sinon qu’il s’est directement abreuvé de ses livres. D’autre part, ce groupe est né seul et ne s’est formé que comme héritier d’une grande Tradition, la Tradition Hermétique, et d’un dieu trois fois grand, le Mercure Solaire ; en conséquence, les auteurs qui chez C.R.E.T. sont objets de polémique, ne font pas partie de la formation intellectuelle des rédacteurs de SYMBOLOS, qui ont reçu d’autre part une initiation traditionnelle non religieuse (mais en aucune façon antireligieuse) suggérée par leur guide lui-même, René Guénon.

     

       2) Dans notre premier numéro, l’on parlait justement de ne pas entrer dans des polémiques inutiles ne menant qu’à la désunion de ceux que touche la pensée métaphysique et la doctrine exposée par Guénon comme personne durant ce siècle, et par voie de conséquence, à la formation de "chapelles", souvent frustrantes du point de vue de la Connaissance et la possibilité de l’atteindre.

     

       3) Nous ne sommes pas "guénoniens" : nous ne croyons pas à son infaillibilité personnelle, sinon à l’infaillibilité de ce qu’il soutient, quoique nous croyons que toute son œuvre est une voie vers la Gnose. Certaines de ses opinions ne sont pas toujours exposées d’une façon exhaustive ni fondées, dans certains cas par manque d’information disponible à cette époque (plus de soixante ans se sont écoulés depuis ses premières publications) ; il faudrait y ajouter les différences d’un langage qui a changé si rapidement dans l’actualité, en même temps que les schémas du monde moderne, et qui rendent difficiles la compréhension de certains mots (par exemple, "une humanité" et même de certains concepts, ce qui ne veut absolument pas dire qu’ils soient inexacts, mais qu’ils doivent être placés dans leur perspective historique et dans leurs circonstances de temps, de lieu, et de forme.

     

       4) Notre intérêt envers les Précolombiens, les Amérindiens et les cultures archaïques en général est évident, sujets que Guénon mentionne à peine, et que Schuon a traité dans plusieurs articles et prologues, bien que sa production soit maigre en regard de l’énorme masse d’informations et d’études qui existent depuis l’époque même où ces cultures ont été connues, il n’a donc en rien influencé nos investigations et n’a pas même éveillé notre curiosité envers elles, car notre intérêt existait depuis bien des années avant de lire ces articles (par notre propre condition d’Américains) et même de connaître les excellents travaux de J. Eppes Brown à ce sujet.

     

    ELEMENTS DE DOCTRINE TRADITIONNELLE. Jean-Luc Spinosi. C.R.E.T. BP 751, 49307 CHOLET Cedex, France. 91 p.

     

       L’auteur commence son œuvre en l’assimilant à la pensée de Guénon, sans prétendre la résumer et encore moins l’analyser, selon ses propres paroles ; mais cette influence intellectuelle joue avec bonheur sur les textes qui suivent, dans lesquels il développe avec lucidité les points de vue de différentes traditions, et les siens, par rapport à l’œuvre de Guénon qu’il éclaire depuis diverses perspectives. Et la plus grande vertu de ces études est peut-être de raviver la pensée traditionnelle, de la main du cheikh Abdel Wâhed Yahia, au moyen de son assimilation intériorisée appliquée aux images, aux recherches et connaissances personnelles de J. L. Spinosi, projetées sur son entourage culturel. Surgissent ainsi une grande quantité de développements réussis et de constats en tous genres ­pas seulement érudits­, appliqués au monde moderne et d’une grande utilité pour les contemporains qui n’ont pas cessé de rechercher la Connaissance. Ce défilé, où sont présents la majeure partie des thèmes fondamentaux de l’ésotérisme ainsi que les mouvements culturels s’ajustant à la Philosophia Perennis et les auteurs doctrinaux les plus marquants, sujets exprimés avec ordre, clarté et parfois une impertinence lapidaire, comporte les items les plus importants d’un parcours intellectuel (soit spirituel, dans la terminologie de Guénon) qui signalent un auteur remarquable en général, et en particulier dans son domaine.

     

    CAHIERS DE RECHERCHES ET D'ETUDES TRADITIONNELLES (C.R.E.T.) B.P. 751, 49307 Cholet Cedex, FRANCE. Directeur: Jean-Luc Spinosi.

     

       Nº 4. SOMMAIRE: Jean-Luc Spinosi: Editorial; Nicolas: La calligraphie chinoise; Dominique Devie: Les «tartarinades» de Connaissance des Religions; François Chenique: Moralité de l'action dans le monde moderne (suite et fin); Dominique Devie et Jean-Luc Spinosi: Les colloques, les livres et les revues; Enquête auprès de nos lecteurs.

     

       Les apports de D. Devie sont très critiques et intéressants. Nous attirons l’attention sur « le coin des livres », un travail méritoire qui occupe la troisième partie de la publication.

     

    DOSSIER "AFFAIRE SCHUON", Dominique Devie, Librairie Osiris, 8 rue de Paris, F-06000 Nice, 1994. 118 p.

     

       Comme nous l’avons rapporté dans le Nº 7 de SYMBOLOS, nous avons reçu, à notre demande, ce dossier intitulé « Affaire Schuon » compilé par Dominique Devie, très instructif sous certains aspects, qui traite de certaines conduites morales soi-disant honteuses attribuées à F. Schuon, qui lui valurent d’être cité par l’État du Colorado, États-Unis, se référant spécialement à certains comportements infligés à de jeunes élèves qu’il enseignait (mais pas de sa tarîqah ­qui était complètement intérieure­ comme le précise l’épouse de l’inculpé).

     

       Commençons en disant que, dans l’une des pages d’introduction à ce dossier, l’auteur trouve qu’il semble exister dans les différentes données présentées une base naturelle qui confirmerait les rumeurs sur certains comportements de F. Schuon, et surtout sur ses enseignements dont la confusion des formes traditionnelles (erreur que Guénon avait relevée) représenterait des miscellanées apparentées à celles, analogues, de la "Nouvelle Ère", bien qu’il soit affirmé par ailleurs que ce rapport n’examine qu’accessoirement les questions de doctrine (qui pourraient cependant être étudiées à une autre occasion), et que le thème central de cet ouvrage soit la personnalité et l’attitude de ce « maître » (le titre et les guillemets sont de D. Devie), qui le désignent comme une idole déchue. Une biographie de Schuon est également publiée par l’auteur, avec les informations qu’il a pu réunir, et il prie qui aurait des renseignements à ce sujet de les lui envoyer, afin qu’il puisse compléter son compte-rendu, et également qui aurait connu ses enseignements et ceux de ses adeptes (ou ses sbires, selon Devie).

     

       Nous ne pouvons quant à nous que ressentir de la stupéfaction devant tout cela, car si nous ne sommes pas d’accord avec Schuon en matière de doctrine, nous le sommes dans la mesure où son œuvre est extraite, pour la plus grande part, de la synthèse de René Guénon, sans les différences morales et religieuses que Schuon a signalées dans le but d’être différencié de celui à qui il doit ce qu’il a, encore qu’il le nie ou le relativise (soulignons également les formules maniérées et recherchées de sa prose, qui lui font écrire "littérature" en permanence), et il ne nous reste qu’à nous étonner de ces écarts de conduite précisément de qui a fait de la moralité et de la religion ses divergences avec notre guide intellectuel.

     

       Nous nous sentons en vérité affligés par ce qui est arrivé à F. Schuon, bien que nous pensions que ses tribulations sont une machination ourdie par un faux ami, qui lui a fait payer une dette ­comme beaucoup d’autres sur la voie de l’ésotérisme­ au prix d’un témoignage qui lui rendrait plutôt sa dignité ; Il semblerait cependant, à travers les documents et les commentaires qu’il publie, que Dominique Levie pense autrement. Parmi beaucoup d’autres textes compris dans ce dossier, nous avons particulièrement remarqué ceux que signe G. Manara et ceux des pages 67 et 68, où il est décrit comme un authentique saint soufi en contact direct avec les écoles de Vedânta de l’Inde qui le reconnaissent comme tel, en contradiction avec les plaintes dont il a été l’objet aux États-Unis. La vie ne serait-elle pas au fond le fruit d’une bataille cosmique ?

     

    CAHIERS DE RECHERCHES ET D'ETUDES TRADITIONNELLES (C.R.E.T.). BP 751, 49307 Cholet Cedex, France. Directeur: Jean-Luc Spinosi.

     

       Nº 6 : automne - hiver 1994. 148 pages. SOMMAIRE: Dominique Devie: Quoi de neuf pour 1995? (Editorial); J.-L. Spinosi: Le Cercle de Recherches et d'Études Traditionnelles; Id.: Axes et thèmes de la métaphysique; J.R.L.: Maître Eckhart: La Félicité Intellective; Luc-Olivier d'Algange: Hymne à l'Âme du Monde; J.-L. Spinosi: Les contes de ma Mère l'Oie (messagère); Dominique Devie: Histoire de "corbeaux"…; Id.: Michel Bertrand et la "Myriam"; Id.: Faut-il euthanasier "Connaissance des Religions"?; Id.: Les attaques occultes de Jacques Viret contre "Le Tempérament Musical"; Id.: "Affaire Schuon", les derniers rebondissements; Id.: Droit traditionnel et droit moderne; Père Georges Lusseaud: Réflexions sur théologie, dogmes et hérésie; Dominique Devie: Rapport sur les méthodes de désinformation de nos adversaires; Id.: Clavelle /Reyor, la loge "Les trois Anneaux" et le "Document confidentiel inédit"; Id., Oliver Ledaire et J.-L. Spinosi: Les libres et les revues.

     

       La considérant confuse, "littéraire" et terriblement ennuyeuse, quoique brillante par éclairs, nous étions peu nombreux à avoir lu l’œuvre de Schuon qui, semblait-il, n’ajoutait rien à celle de Guénon ; mais à la suite des derniers événements, nous nous sommes forcés à relire ses articles dans lesquels nous avons trouvé, à notre grande surprise, beaucoup de mauvaises interprétations doctrinales (et pas seulement des différences de détail avec ce que soutenait Guénon et la Tradition Hermétique), volontaires ou non. Nous ne savions rien non plus de sa vie ni de sa secte, que nous ne connaissions que vaguement par les activités de ceux dont nous découvririons plus tard qu’ils étaient ses sbires tout en le taisant, de ceux que nous croyions être les responsables des imbroglios et des déformations doctrinales que nous avions connus, n’attribuant à Schuon que ses limitations générales ­parmi lesquelles le moralisme et le sentimentalisme humaniste et religieux. Toutefois, une lecture plus attentive de son œuvre (ce qui peut positivement représenter un sacrifice) nous a menés à la découverte de nombreuses "perles" de cet adorateur du Démiurge dans sa version aseptisée, et que nous publierons dans la mesure de nos possibilités, selon le temps et l’espace (surtout mental) dont nous disposons. Nous n’avons pas même cru dans un premier temps aux accusations formelles de M. Koslow, accordant le bénéfice du doute, car nous l’imaginions comme un faux ami, chose très courante actuellement aussi, et c’est ce que nous avons dit dans le numéro 7 de SYMBOLOS. Dans le même numéro, nous avons également manifesté avec ingénuité que tout ceci pourrait être pour Schuon une "épreuve" finale qui le grandirait en en faisant un "martyr", ce qui a complètement perdu son sens devant l’orgueil dont lui-même et ses acolytes ont fait preuve en ces circonstances. Nous devons cependant aux responsables du C.R.E.T., et à Dominique Devie en particulier, d’avoir eu à réfléchir à fond au sujet de ce personnage et aussi de M. Koslow, et, avec Monsieur Devie, nous avons conclus à la véracité du témoignage du second, qu’il expose dans son livre sur la secte et le culte schuonien et tout ce qu’il représente, bien que nous ne coïncidions certes pas avec la totalité de ses points de vue, tout comme avec ceux de Dominique Levie, avec lequel il est en outre bien difficile de coïncider en tout, ou même en partie, vu l’étendue de la gamme d’approches et d’angles qu’il exprime.

     

       D’autre part, messieurs Spinosi et Devie ont déjà publié sur le sujet qui nous occupe, et avec courage, vu les circonstances, un matériel considérable, et personne ne les mentionne, ce qui semble être un complot de silence significatif.

     

       Il est en tout cas rafraîchissant d’entendre une voix de ce genre dans un milieu fantomatique de vieux dévots qui n’ont cessé de débattre et discuter depuis cinquante ans si le baptême possède oui ou non des effets initiatiques. Mais le C.R.E.T. n’est pas seulement cela, et ce media ne pourra pas être laissé de côté lorsque s’écrira enfin l’histoire de cette période, car beaucoup de ses informations ne sont pas de simples suppositions ou "commérages", mais sont au contraire parfaitement documentées. Monsieur Devie a ainsi édité un matériel qui comprend le Dossier "Affaire Schuon", ou Les tribulations d’une idole déchue, résumé du livre de M. Koslow et autres textes, que nous jugeons d’intérêt pour les lecteurs stimulés par le sujet. Il faut enfin souligner que, encore qu’il s’agisse de diminuer le mérite de cette revue, qui a déjà été condamnée par les « mandarins » (ainsi que J.-L. Spinosi nomme ces inquisiteurs de l’ésotérisme), l’on ne peut nier son importance "sociologique" en cela qu’elle rejette, d’une façon presque générationnelle, les us et coutumes d’un actuel "monde" ésotérique endormi, et qu’elle représente surtout une plus ample ouverture pluri-dimensionnelle qui s’oppose logiquement à l’étroitesse de vues de l’attitude religieuse dans son triple versant : pieux, dogmatique et intransigeant.

     

     

     

    CONNAISSANCE DES RELIGIONS. Avon, France. Nº 41-42. Janvier- juin 1995.

     

       C’est armés de toute notre patience que nous commençons à lire l’article de Schuon (page 2) "Normes et paradoxes dans l’alchimie initiatique", espérant en toute bonne foi y trouver ce que d’autres disent y voir. Nous avançons lentement jusqu’au premier point et à la ligne. Arrivés au second, nous nous voyons obligés d’accepter de l’auteur une classification qui nous semble arbitraire et forcée et que nous ne partageons pas, encore qu’il prétende obscurément nous en rendre complices. Au début du troisième, nous trouvons la phrase suivante : « Mais il y a encore une autre dimension à envisager, c'est le climat moral ­‘esthétique’ à certains égards- de l'alchimie spirituelle. Ce climat constitue somme toute ce qui a été appelé la ‘qualification initiatique’. »

     

       La surprise est notre première réaction, puis nous pensons : ce n’est qu’une phrase. Comment un auteur qui se prétend "métaphysicien" peut-il se permettre une "phrase", une futilité, une "boutade" de ce genre ? Se réfère-t-il à l’Étique d’Aristote dédiée à Nicomaque ? Nous relisons : mais qu’est-ce que cela ? Affirmerait-il par hasard que la qualification pour la Connaissance, c’est-à-dire pour l’Initiation, n’est pas l’intuition intellectuelle directe, la grâce du cœur, la soif de savoir, c’est-à-dire l’aventure et la vertu d’être, mais une certaine ambiance morale ou "esthétique", conceptions indissolublement liées à des us et coutumes (même si l’on tente de nous faire croire qu’il y a une morale "intrinsèque" et une autre "extrinsèque") aussi variables que relatifs et passagers, sujets à des changements constants, et qui peuvent dans leur imprécision impliquer des idées liées à un certain confort spirituel, but des aspirations de la classe moyenne suisse, qui comprend une esthétique petite-bourgeoise, avec son chalet à la montagne, son coucou et ses patins de feutre pour ne pas salir le parquet... ?

     

       Nous ne voulons pas continuer, nous ne pouvons pas, nous irions trop loin et nous n’avons ni le temps ni la volonté de le faire. Mais nous voulons suggérer aux lecteurs de Schuon qu’ils le relisent sans préjugé d’aucune sorte. Et nous nous rappelons en cet instant ce conte d’Andersen où il suffit qu’une voix crie « le roi est nu », pour que tout le peuple commence à s’en apercevoir : Le roi est nu ! Le roi est nu ! (soit dit dans la moindre intention d’évhémérisme).

     

       Nº 43-44. Juillet - décembre 1995. Peu après le commencement de l’article de Schuon « Le mystère des nombres », nous trouvons la phrase suivante : « Si l’‘écriture métaphysique’ de Pythagore s'exprime par les nombres et non par les formes géométriques, c'est parce que les formes sont ‘concrètes’, et les nombres, ‘abstraits’ : quand nous disons ‘triangle’, nous évoquons une image, tandis qu'en disant ‘trois’, nous n'indiquons rien de trop imaginable ; on dira sans hésiter que Dieu est ‘un’ -cela ne porte pas préjudice à sa transcendance- mais on ne songera pas à le qualifier de ‘circulaire’ ou de ‘sphérique’. »

     

       Nous avouons en avoir été stupéfiés, et ne pas être encore remis de notre étonnement : si les enfants eux-mêmes connaissent les théorèmes de Pythagore, en particulier celui du triangle rectangle ! Quant au cercle et à la sphère, il n’existe pas de formes symboliques plus unanimement traditionnelles de représenter le cosmos et le supracosmique. De l’Extrême-Orient et l’Hindouisme aux traditions précolombiennes, y compris l’héritage grec, car Platon lui-même ­que l’auteur cite plus loin­ qualifie la déité de sphérique (Timéo 34 a-b), et dans le Christianisme, un vieil adage hermétique est attribué à Nicolas de Cusa : « Dieu est un cercle dont la circonférence est partout et le cercle nulle part » ; les exemples seraient innombrables, puisqu’ils n’impliquent rien de moins que la vision spatiale de la déité, et tout ce qui l’accompagne, liée, parmi bien d’autres choses, au symbolisme constructif. De cela, Schuon ne semble rien savoir puisque, étant probablement incapable d’expérimenter l’Absolu ou le Parfait d’une façon "géométrique", c’est avec dédain qu’il se réfère à cette possibilité en la condamnant.

     

       Cet auteur nous semble parfois un homme tout à fait lucide qui parle indirectement de ses états d’âme, voire de ses phobies qu’il résout momentanément par une projection de sa vision de l’Unité conçue comme un Dieu créateur non Androgyne. (Il semblerait qu’il prenne l’Androgynie comme le symbole de la dualité et non pas correctement comme celui de l’Unité). Dieu ne semble pas être pour lui la Trinité des Personnes ou Principes divins mais une entité religieuse moniste, une seule de ces personnes ou noms, que nous le soupçonnons d’identifier vaguement avec Jéhovah, le Noûs Démiurge, ou en tout cas, avec son dieu personnel, engendré et conçu comme une projection de son ego. C’est en somme le recours de l’unité résumée dans le dieu de la Religion, sans comprendre que l’Unité est elle-même la première détermination qui fait courir le risque de la prendre comme si elle n’était pas un numéro, ce qu’il suggère par la suite en lui attribuant une non numération ­comme le zéro métaphysique ou Non-Être­ en opposition avec les enseignements traditionnels qui font de l’Unité, nous venons de le dire, la première détermination, sur laquelle viendrait se "placer" le Ayn hébreu, le Non-Être, le zéro métaphysique. Ce "recours à l’unité" est parfois extrêmement dangereux : lorsqu’il se convertit en une seule des possibilités de la dualité, afin d’éviter la dialectique, et débouche sur un monisme "expérimentant" l’idée de l’unité ­et donc celle du symbole­ à des niveaux qui progressent parfois vers l’uniformité, et vont du symbole authentique à l’insigne, du Roi du Monde à n’importe quel meneur sectaire ou politique. Pour terminer, ce manque de clarté favorise aussi le style littéraire de Schuon : la palpitante atmosphère de mystère comme l’entrée d’un temple exotique, ou le geste onctueux qui pourrait bien correspondre en peinture au glacis d’un tableau. Enfin, comme le dit le proverbe, des goûts et des couleurs, il ne faut pas discuter... Il y a quand mêmes quelques idées partagées, comme certaine qualité manifestée par la quantité, le discours sur les numéros pairs et impairs, la belle description de l’indéfini en tant que projection de l’infini et tout se qui se rapporte à l’Unité en général, quoique beaucoup des divisions établies sont pour nous arbitraires et ne correspondent pas toujours à celles qu’il énonce lui-même ailleurs. Certaines d’entre elles sont plus heureuses et les analogies sont parfaitement traditionnelles et réussies, et s’articulent bien avec d’autres fragments du discours de Schuon.

     

    CENTRO STUDI TRADIZIONALI. V. Frascati 47 Prato, Firenze (50047) Italia.

     

       À Prato, près de Florence en Italie, un Centre d’Études Symboliques fonctionne sous la responsabilité de Monsieur Loris Innocenti, qui s’est fort aimablement mis en rapport avec SYMBOLOS, nous envoyant toujours sur Guénon du matériel excellent, que nous publierons peu à peu. L’une des caractéristiques de ce Centre est de posséder d’extraordinaires archives et bibliographie sur Guénon et son œuvre, qui comprennent des collections complètes de lettres autographes (voir SYMBOLOS Nº 9-10 : « Cartas à Goffredo Pistoni », pages 312-314) des revues La Gnose, Le Voile d’Isis, Études Traditionnelles, etc.

     

    REVUE DEVANÂGARÎ. Nºs 1 a 11 (Juin 1996-Août 1997). Association Shankara. 15 rue Buffon. 75005 Paris.

     

       Reprenant un point de vue cher à Guénon, cette publication s’occupe de la métaphysique orientale, en particulier de la Tradition Hindoue, en marge des religions abrahamiques ­suivant une pensée traditionnelle, puisée en conséquence aux sources d’origine. Dans leur numéro 9, de mars - avril 1997, un article signé de Patrick Zanzi (qui en signe un autre, similaire, dans le numéro 3-4 de août - septembre 1996) souligne également la confusion créée par Schuon entre exotérisme et ésotérisme, qui octroie aux religions chrétienne et islamique des attributions initiatiques qui, dans la plupart des cas, n’existent pas vraiment chez elles. Nous reviendrons sur cette intéressante publication, à laquelle Bruno Hapel collabore assidûment.

     

    L 'ESOTERISME. Antoine Faivre. P. U. F. Que sais-je? París 1992. 127 pages.

     

       L’auteur nous prévient dès le départ de la difficulté de définir un terme aussi vague que celui d’ésotérisme, et du nombre d’équivoques créées à ce sujet pour une raison ou pour une autre. En réalité, le nom même d’ésotérisme est assez récent puisque ses origines remontent à la Renaissance et aux siècles suivants, quoiqu’il ne se soit affermi qu’au XIXe siècle. En outre, si nous voulions préciser le terme de façon conceptuelle, sa définition serait encore plus confuse : en effet, des pensées et des disciplines ayant un but commun, diffèrent quant à la forme, et sont parfois diamétralement opposées, ce qui est par ailleurs l’origine des guerres intergalactiques et religieuses. Cet ensemble d’idées possède cependant une réalité historique qui prend, en Occident, une forme gréco-latine, judéo-chrétienne, de pensée assez proche de traditions du Moyen et Extrême-Orient, et dont l’on retrouve les antécédents en Égypte, en Mésopotamie, et dans plusieurs civilisations et cultures, beaucoup d’entre elles appelées archaïques ou "primitives", d’Europe et d’Amérique ; en conséquence, les traditions du Moyen et Extrême-Orient sont exclues, à juste titre, puisqu’elles vivent dans leurs rites et leurs symboles et qu’il n’existe donc pas chez elles ce que l’on pourrait qualifier d’ésotérique ou d’exotérique sans tomber dans des appréciations typiquement occidentales, culture où le terme s’est concrétisé.

     

       Malgré les difficultés pour définir son sujet, l’auteur, tout en reconnaissant ces limitations, expérimente dans son étude une méthodologie solide et présente quelques conditions thématiques et culturelles qui pourraient être utiles pour fixer ce concept et donc celui des diverses disciplines et auteurs qui d’une façon ou d’une autre s’occupent "d’ésotérisme". Précisons que le modèle employé par l’auteur est large, correct et se base sur la nature du sujet d’investigations ; A. Faivre applique avec bonheur cette méthodologie tout au long de son œuvre. En voici une explication succincte :

     

       Il existe certains éléments fondamentaux reconnaissables, qui sont à la base de la pensée ésotérique. 1. Les correspondances analogiques qui relient les différentes parties du monde visible et invisible. 2. La nature vivante et non pas inerte dans un monde en mouvement. 3. L’importance du plan intermédiaire (imaginable) entre le Créateur et la créature, ce qui donne naissance aux symboles, aux mythes et aux rites en tant que composants de la pensée ésotérique. 4. L’expérience, qui corrobore tous les travaux de l’ésotérisme, et surtout l’expérience de la transmutation propre chez le sujet alchimique. Deux autres caractéristiques s’y ajoutent : 5. L’aptitude qui caractérise cette pensée de faire concorder entre elles différentes formes traditionnelles ou religieuses, et 6. La transmission, qui implique l’enseignement de la Connaissance de bouche à oreille, ou par le truchement d’une Voie Traditionnelle et régulière de réalisation initiatique, ce qui comprend les influences intellectuelles et spirituelles.

     

       Il nous semble parfaitement inutile de signaler quelques-uns des nombreux noms et tendances cités par l’auteur, car cela reviendrait à écrire un autre livre sur ce thème ; nous nous contenterons de dire que l’on peut y trouver le plus important, la moelle de l’ésotérisme, suivant la classification méthodique de l’auteur, décrite plus haut, ce qui représente une brillante réussite de synthèse, de clarté historique et didactique.

     

       Quant à René Guénon, déjà distingué par l’auteur dans d’autres travaux, il est considéré comme une impressionnante voie ascétisme intellectuel et l’on souligne sa connaissance de la Tradition Hindoue, à laquelle ses livres se réfèrent entre autres formes de traditions, sa condition de polémiste et surtout sa vocation de réformateur, ce qui lui a valu une position au premier plan des ésotéristes de ce siècle. Cependant, l’on critique aussi son manque d’intérêt pour les sciences naturelles. Sont également remarqués quelques « guénoniens », certains d’entre eux qualifiés, avec raison, de « philosophes religieux ».

     

       La seule chose qui nous surprenne, c’est qu’un travail aussi rigoureux et synthétique fasse place à la Grande Fraternité Universelle, un groupe de végétariens déguisés en Templiers (alors qu’un autre passage de l’œuvre nous prévient contre ce "mythe") et dont le guide, nommé Laferrière, a publié des livres remplis d’erreurs et de fantaisies occultistes de la pire espèce, chantant constamment ses propres louanges dictées par le culte à sa personnalité, livres que ses disciples prennent pour sacrés. L’œuvre de A. Faivre se complète d’une bibliographie succincte où le lecteur pourra élargir et approfondir le sujet, et la mention de la SYMBOLOS: Arte - Cultura - GnosisBibliotheca Philosophica Hermetica, Joseph R. Ritman, d’Amsterdam, ce qui mériterait que certains de nos lecteurs y fassent un voyage, car elle est ouverte au public et offre plus de 4.000 volumes sur l’alchimie, l’hermétisme, la kabbale, la théosophie, etc. Nous devons célébrer la parution de ce petit livre qui ajuste aux caractéristiques des ouvrages de divulgation de P.U.F., dans lequel se trouvent définis de façon cohérente la plupart des thèmes appartenant à un domaine aussi nébuleux que l’ésotérisme.

     

    CHAPITRE VIII

    AU SUJET DE L’HERMÉTISME

     

    ARIES, 23 avenue de Bretteville, 92200 Neuilly-sur-Seine, France.

     

    Aries est une revue française semestrielle, dirigée par Antoine Faivre, Pierre Deghaye et Roland Edighoffer. Son comité de rédaction compte avec des noms aussi prestigieux que, entre autres, Marie-Madeleine Davy, Gilbert Durand, Joscelyn Godwin, Jean-Pierre Laurent, Jean Tourniac, Gerhard Wehr, tous écrivains et ésotéristes contemporains reconnus, certains déjà disparus (Mircea Eliade, etc.). Dans le Nº 11, édité par la Table d’Émeraude et correspondant au Nº 1 de 1990, trois articles se regroupant autour d’un thème, la Philosophie Pérenne, avaient constitué en 1989 des allocutions de la Conférence de l’Académie Américaine de Religions, à Anaheim en Californie. Les auteurs en sont Len Bowman, Sheldon R. Isenberg et Tyson Anderson, et leurs apports sont très intéressants à plusieurs aspects, entre autres parce qu’ils permettent d’observer les formes et les voies que prend aux États-Unis la Tradition, ou Philosophie Pérenne. La revue appelle ces auteurs « néo-guénoniens » et les rattache à un « certain ésotérisme guénonien », qualification issue d’un article, dont c’était le titre, paru dans le Nº 8 de ARIES et signé Nelly Emont. Cette participation, aux intentions polémiques, tourne autour de commentaires sur des œuvres et des revues d’auteurs étant précisément qualifiés de membres d’un « ésotérisme guénonien » ; nous ne signalerons pas les livres et ouvrages cités, vu que N. Emont déclare, en généralisant, qu’ils ont tous reçu l’influence de l’œuvre de René Guénon, au point de voir chez eux des caractéristiques propres aux sources hindoues, desquelles Guénon était lui-même le porte-parole. La curiosité de cet article, c’est qu’il oppose la magistrale synthèse guénonienne et des auteurs comme Henry Corbin dont la ligne de pensée ­comme tout ésotérisme valable­ s’articule parfaitement avec l’œuvre de Guénon. Encore pires sont les exemples de Jacob Boheme, Louis-Claude de Saint-Martin et Mircea Eliade (ce dernier étant clairement sous influence guénonienne). Contrairement à ce que suggère l’auteur, il n’y a pas plusieurs ésotérismes, mais un seul, car tous partent du supracosmique, ou métaphysique, et y retournent ; les exemples sont vraiment innombrables, à commencer par toutes les grandes religions, et cette recherche au plus profond et au plus secret de l’être et du cosmos est précisément la matière dont traite tout ésotérisme et à laquelle se rapporte toute initiation. Mais il ne peut y avoir aucun doute sur le fait que, dans la réalisation spirituelle du XXe siècle, l’œuvre de Guénon joue un rôle ordonnateur de premier ordre, au point que sa synthèse est la contribution la plus importante, directement et indirectement, à cette période cyclique de la littérature d’Occident. Tout autres sont certaines attitudes "orthodoxes" de quelques personnes persuadées a priori d’appartenir à "l’élite" intellectuelle. Ces individus, certes antipathiques, se limitent à répéter sentencieusement les énoncés de Guénon, et tendent à confondre celui-ci avec n’importe quel ésotérisme sans rien ajouter à son œuvre (qu’ils ne tonifient pas), quand ils ne tentent pas d’apparenter sa pensée à telle ou telle "politique" ; ces personnages sont bien sûr en minorité ­et remplissent certainement une fonction­ dans le vaste champ fécondé par le maître de Blois, qui a déclaré n’être que le porte-voix d’idées ne lui étant pas personnelles et présentes tout au long de l’histoire de l’humanité, qu’elles incarnent de façons très différentes, parfois surprenantes, et d’une infinité de formes apparemment contradictoires se rapportant aussi bien au passé qu’au présent, ce qui constitue en définitive l’héritage traditionnel. Guénon n’est pas tout l’ésotérisme, et il a affirmé lui-même que « la vérité ne saurait être la propriété d’un seul homme », mais son œuvre est réellement ésotérique en ce sens qu’elle est l’expression accomplie de la pensée de la Philosophie Pérenne des derniers temps. La revue offre de nombreux commentaires sur livres actuels et courants modernes ­et anciens­ de la Tradition, ce qui lui confère une grande versatilité et la stimule, surtout si l’on prend en considération l’époque mouvementée, difficile et paradoxale qui est la sienne ; les notes de Joscelyn Godwin et de Giselle Marie ont attiré notre attention pour leur richesse et amplitude d’intérêt, parmi un ensemble abondant et bigarré d’écrivains issus de deux générations de ce siècle (1940-1990), presque tous français, logiquement, quoique la caractéristique d’ARIES soit précisément de s’ouvrir aussi bien à tout ésotérisme authentique, qu’à des auteurs ou des événements intellectuels étrangers, des États-Unis, d’Allemagne, d’Angleterre, d’Italie, etc., ce qui n’est pas le trait principal des revues ésotériques parues en France.

     

    COLLOQUE. Organisé par la revue ARIES, le Colloque Magie du Livre, Livres de Magie eut lieu les 22 et 23 mai 1992, à la Nouvelle Sorbonne. Y participèrent les professeurs Umberto Eco, Roland Edighoffer, Pierre Deghaye, Antoine Faivre, Massimo Introvigne, Michel Kauffmann, Pierre Lory, Frédérick Tristan, et Monsieur Ladislaus Toth, des Éditions Archè. Les réunions furent suivies avec intérêt par un public nombreux. L’on annonce, pour les 4 et 5 juin 1993, un nouveau Colloque intitulé Gnose et Science. Les actes du colloque de 1992 figurent dans le numéro 15 d’ARIES, avec le sommaire suivant : Préface: Jean-Pierre BRACH et Jean-Paul CORSETTI; Ladislaus TOTH: Savoir et pouvoir par les livres de magie; Frédérick TRISTAN: Bibliothèque, mère du personnage; Pierre DEGHAYE: Le livre merveilleux de l'ermite dans "Henri d'Ofterdingen" de Novalis; Antoine FAIVRE: La théosophie par l'image; Pierre LORY: Le livre comme corps de Dieu; Roland EDIGHOFFER: Le "Liber M"; Umberto ECO: Pourquoi Lulle n'était pas un kabbaliste; Massimo INTROVIGNE: Livres magiques révélés et livres révélés religieux (d'Aleister Crowley aux nouvelles religions); Michel KAUFFMANN: Hypertexte et livre virtuel; Nicolas PETIT: Les livres de magie à la Bibliothèque Sainte-Geneviève; Catalogue de l'exposition organisée à la Bibliothèque Sainte-Geneviève.

     

    ARIES. Le numéro de cette revue, publiée par La Table d’Émeraude, consacré au « Colloque de la Sorbonne : Magie du Livre, Livres de Magie » et annoncé dans notre précédent numéro, est paru. Les actes de ce Colloque ont bénéficié d’une magnifique édition, à l’échelle de leur contenu, qui fait de ce numéro de la revue un exemplaire de collection. Les conférences ont toutes été intéressantes, en particulier pour les amants des livres, aimant donc les livres de Magie et la Magie qu’ils contiennent. Si nous voulions souligner l’une de ces études de cet ouvrage d’ARIES, ce serait faire preuve d’injustice, car toutes le mériteraient. S’adjoint le catalogue des livres de l’exposition, organisée à la Bibliothèque de Sainte Geneviève, beaucoup desquels appartiennent à sa propre collection, mais aussi à d’autres, comme celle de l’écrivain Antoine Faivre, qui publie lui-même une belle iconographie à laquelle il fait référence dans un texte préliminaire.

     

    ARIES. Directeurs : † Jean-Paul Corsetti, Roland Eighoffer, Jacques Fabry, Antoine Faivre. Nº 19, 1995. « Paracelse et les siens » Colloque des 15 et 16 décembre 1994 à la Sorbonne. 152 p. SOMMAIRE: Roland Edighoffer: Préface; Lucien Braun: Paracelse aujourd'hui. Le lire encore?; Jean-Pierre Brach: Quelques aspects de la doctrine de la prédestination chez Paracelse; Wolf-Dieter Muller-Jahn: Catalogue de l'exposition réalisée à la Bibliothèque de l'Arsenal (décembre 1994).

     

    L’HERMÉTISME. Françoise Bonardel. P.U.F. Collection Que Sais-je ? Paris 1985. 127 pages.

     

    Depuis quelque temps, spécialement en anglais, s’est établi une distinction entre les termes Hermétique, Hermétisme et Herméticisme, adoptée par certains auteurs français, comme A. Faivre. Pour F. Bonardel, Hermétique serait ce qui concerne le Corpus Hermeticum, Hermétisme tout ce qui se place sous l’égide d’Hermès Trismégiste, la Table d’Émeraude, l’Alchimie, la Magie naturelle, la Kabbale chrétienne et certains textes gnostiques (la Pistis Sophia, par exemple) du Moyen Âge, de la Renaissance ou même postérieurs, et finalement, Herméticisme désignerait l’herméticiste qui partage le Verbe et la compréhension gnostique révélée par ces textes.

     

    De notre point de vue, ces distinctions sont valables et nous les acceptons. Cependant, faire référence à ces questions implique de s’adresser à un public capable de les comprendre et de les soupeser, ce qui n’est pas le cas du public de langue espagnole qui souffre d’une grande carence d’information sur l’Hermétisme et la Tradition Hermétique, sauf peut-être quelque référence perçant à travers les brumes de l’occultisme, mais ce sont des thèmes quasiment inconnus, y compris dans le milieu universitaire qui devrait pourtant les étudier, vu l’importance philosophique, religieuse, artistique et scientifique de ces idées qui ont été présentes en Occident depuis leurs origines égyptiennes, en passant par la culture grecque (suivie de la romaine), celle des aventures de leurs Dieux et leurs mythes, ainsi que les apports de sages de l’envergure de Pythagore, Socrate et Platon. Elles ont également été en contact permanent avec d’autres cultures, d’autres formes de pensée et de religions, avec lesquelles elles coïncident en matière de savoir ésotérique, bien que les formes les séparent souvent, jusqu’à les rendre ennemies. La Sophia a toujours été vénérée, en particulier par les adeptes qui, du Phare d’Alexandrie, ont illuminé la Culture d’Occident, car c’est la Tradition Hermétique qui parcourt en permanence l’épine dorsale d’une structure culturelle qui, sans elle, se serait écroulée il y a des siècles, encore que l’homme moderne ne s’en rende pas compte. Malgré cela, que ce courant d’idées ait une trajectoire claire et vérifiable, c’est-à-dire une histoire de transmission ininterrompue exprimée dans divers documents, par différents groupes ou individus se trouvant étroitement liés à la moelle de la pensée contemporaine, est un fait généralement ignoré.

     

    C’est la raison de notre joie qu’il existe un travail sur l’Hermétisme aussi extrêmement bref et condensé ­ainsi que l’exige la collection dans laquelle il est édité­ de la main de Françoise Bonardel, qui synthétise avec maestria un thème aussi ardu et difficile, mettant beaucoup de sa part pour clarifier les sujets traités, vus à la lumière des Idées Universelles ainsi que dans leur projection historique. L’ouvrage se divise en deux parties distinctes : la première traite de la Tradition Hermétique en soi, éclaircissant les termes et surtout les concepts de sa doctrine, en se basant fondamentalement sur le Corpus Hermeticum, établissant ses liens avec d’autres gnoses apparemment différentes et ses projections sur la pensée européenne ultérieure jusqu’à nos jours. C’est, à notre avis, la partie du livre qui a le plus de valeur, et un grand travail d’herméneutique et de synthèse. Nous voulons en tirer quelques citations, peut-être un peu longues, mais qui seront utiles au lecteur s’intéressant à la question :

     

    Au sujet de Hermès Thot (page 16) : « Hermès-Thoth-Trismégiste fut avant tout le médiateur de l'invisible, le prophète et le sage qui, prolongeant la filiation mythique d'Adam, engage tout homme à retrouver en soi l'Adam primordial en entamant le cycle de cette régénération spirituelle qu'enseigna la révélation hermétique et que la tradition alchimique occidentale assimila à la quête de la Pierre philosophale »; au sujet de Hermès Mercure (page 17) : « Hermès-Mercure demeure (comme Thoth et le Trismégiste) l'initiateur, le médiateur, celui qui assure les diverses formes de passage : qu'il s'agisse de faire transiter les messages entre les dieux et les hommes, de guider les âmes (psychopompe), d'orienter ou de dérouter les voyageurs... Présent aux carrefours, Hermès négocie les changements d'état, les transitions et les liens ; qu'il soit aussi bien capable de pétrifier que de changer en oiseau rappelle qu'il est le maître des extrêmes et des limites : pétrification et volatilisation seraient ainsi deux formes dissociées de ce que la fameuse formule alchimique « Solve et coagula » (dissous et coagule) invitera à réunifier. Néanmoins la question de la régénération spirituelle n'est pas la préoccupation essentielle d'Hermès-Mercure, qui exerce ses fonctions sur un mode souvent ludique, et demeure avant tout un conducteur » ; et de la cosmogonie du Poimandres (page 28) : « Après qu'eut été créée l'obscurité, spiralée comme un serpent et occupant les régions basses, en sort une vapeur humide, gémissante, proférant un appel inarticulé. Le Verbe saint, issu de la lumière, vient alors couvrir la Nature : la vapeur humide se change en feu, lequel donne naissance à l'air; celui-ci rejoint l'élément lumineux igné et divin et tous deux ne cessent d'animer la terre et l'eau, intimement mêlées. »

     

    « La seconde phase de cette Genèse est l'engendrement par le Noûs-Dieu d'un Noûs-démiurge : dieu du feu et du souffle, celui-ci engendre à son tour les Gouverneurs, ‘lesquels enveloppent dans leurs cercles le monde sensible; et leur gouvernement se nomme la Destinée’ (1, 9). Suit un épisode assez confus où il est dit que le Verbe de Dieu, s'unissant au Noûs-démiurge de même nature que lui, abandonne la création à son statut de ‘simple matière’ ; par cette union tournent cependant les cercles du monde tandis que les différentes espèces d'animaux sans raison naissent de chaque élément (Air, Eau, Terre) ainsi animé. »

     

    « Parallèlement, le Noûs-Dieu engendre l'Homme à son image et lui livre la Création. Or, séduit par l’œuvre du démiurge, l'Homme voulut lui aussi créer, et ‘connaître la puissance de celui qui règne par le feu’ (1, 13) ».

     

    La projection historique sera le thème de la seconde partie. Là aussi. L’auteur fait étalage d’une interprétation très précise des thèmes de la Tradition Hermétique et de son importance à la Renaissance. Le lecteur pourra y trouver de multiples noms d’hermétistes et de sages, leurs œuvres et leur pensée, proposant un itinéraire culturel et historique qu’il devra approfondir lui-même avec le guide qui lui est offert. Nous avons trouvé très intéressant le fait d’inclure Mircea Eliade dans cet ensemble (ainsi que Henry Corbin), car c’est un auteur qui a intégré à son œuvre la Tradition Hermétique et l’Alchimie (à laquelle il a consacré des livres). D’un autre côté, cela amène la continuité de cette gnose jusqu’à nos jours, puisque cela correspond à une réalité que le lecteur doit connaître. Pour cette raison, au sein du volume immense de l’œuvre de l’écrivain roumain, certains fragments de ses livres sont particulièrement indiqués. Nous en reproduirons deux : « A la différence des associations fermées comportant une organisation hiérarchique, des rites initiatiques et la révélation progressive d'une doctrine secrète, l'hermétisme, tout comme l'alchimie, implique uniquement un certain nombre de textes révélés, transmis et interprétés par un maître à quelques disciples soigneusement préparés ( ... ). Il ne faut pas perdre de vue que la révélation contenue dans les grands traités du CH constitue une gnose suprême, notamment la science ésotérique assurant le salut. »

     

    « Je comparais mon immersion. dans les documents à une fusion avec la matière - jusqu'à la limite de ma résistance physique ( ... ), descente au centre de la matière morte, comparable à un descensus ad inferos. Quand je me retrouve, quand je reviens à la vie, je les comprends » .

     

    Cette œuvre est remarquable pour le sérieux de ses exposés et de ses investigations, tout en constituant l’une des meilleures introductions à la Tradition Hermétique.

     

    COLLECTION « LES CAHIERS DE L’HERMÉTISME ». Ed. Albin Michel, 22 rue Huyghens, 75014 Paris.

     

    Cette collection présente des études singulières et chacune trouve sa juste place dans l’ensemble, assurant des critères solides joints à un esprit ouvert et à un travail de recherche de catégorie.

     

    Ces différents angles d’approche du programme de la Tradition Hermétique, c’est-à-dire du monde intermédiaire, nous donne une perspective pluridimensionnelle qui se déploie comme un éventail de possibilités de recherche et de voies à découvrir.

     

    Cela fait plus de quinze ans que les CAHIERS DE L’HERMÉTISME éditent des livres monographiques, ayant pratiquement épuisé (si cela était possible) les sujets de la Tradition Hermétique ou ayant quelque rapport avec elle. Voici la liste des livres publiés : Faust, Jacob Böhme, L'Ange et l'Homme, Alchimie, Kabbalistes chrétiens, Paracelse, Goethe, Lumière et Cosmos, Sophia et l'Âme du monde, L'Astrologie, L'Androgyne I, Le Mythe et le Mythique, Présence d'Hermès Trismégiste, Magie et littérature, L'Androgyne dans la littérature, La Littérature fantastique, Les Vampires, La Bible: images, mythes et traditions.

     

    Les travaux publiés vont depuis des études de doctrine et d’histoire, jusqu’à des bibliographies, des catalogues, des revues, et des documents en tous genres, y compris iconographiques.

     

    Il est évident que nous ne pouvons commenter les près de cent études et presque quarante auteurs qui continuent d’écrire cette sorte d’encyclopédie de l’Hermétisme qui, comme un fait historique, ne cesse de paraître pour influencer la culture d’Occident. La collection est dirigée par Antoine Faivre et Frédérick Tristan.

     

    ESSAIS D’HERMÉNEUTIQUE. Luc-Olivier d’Algange, C.R.E.T., 1991, France.

     

    Celui qui, dans sa quête de la Connaissance, aura dû se frayer un chemin à travers la philosophie et la religion officielles, comprendra immédiatement le sens et la vérité contenus dans ces courageux, francs et "durs" essais, qui ne font que refléter d’une manière solide et critique la section du devenir que nous devons vivre, concrètement, l’inversion des valeurs de toutes sortes et dans tous les domaines, qui est propre à l’entité dénommée monde moderne. En effet, la mauvaise foi et le manque de préoccupation en tous genres sont quelques-unes des caractéristiques des "philosophes" actuels, véritables bureaucrates vivant aux dépens des universités ­ou ce qui est pire, de leurs chaînes mentales­ où ils font "carrière", à condition de ne pas se découvrir le pot aux roses de l’ignorance totale. Mais la même réflexion peut s’appliquer à l’art et s’étend à tous les secteurs actuels de la recherche et de l’existence humaine. L’Église Catholique offre par ailleurs un spectacle pauvre à bien des aspects, qui a par exemple exilé Saint-Christophe des autels pour ne pas être un "personnage" historique, mais une figure mythique, comme si le véritable objet de sa piété religieuse était la personnalité, l’ego des "saints", et non pas leur témoignage direct d’autres mondes (qui les rend archétypaux) ; de là le courroux de beaucoup face à ce genre de substitutions, bien que ce ne soit sûrement pas là le cas du point de vue des adeptes de J. M. Escrivà de Balaguer.

     

    Mais la critique du médiocre monde officiel, qui remplit les conditions et les aspirations de la classe moyenne, n’est autre que la possibilité de consolider les autres sujets de ces ouvrages dont l’importance réside aussi bien dans l’amplitude de leur forme véritablement intellectuelle ­qui témoigne de l’existence chez l’auteur d’une pensée recréant les énoncés de la Philosophie Pérenne­, que dans la vitalité qu’ils transcrivent, absolument nécessaire de nos jours.

     

    Parmi les valeurs qui caractérisent ces textes, signalons la reconnaissance de la Poésie comme Modèle d’Audition Métaphysique, et la mention d’un grand nombre d’auteurs ­que nous ne pouvons pas tous nommer­ liés à la Connaissance d’une façon ou d’une autre, qui ne sont généralement pas cités dans les études traditionnelles.

     

    Luc-Olivier d’Algange offre en permanence de nombreuses ouvertures et compte bien des cordes à son arc, comme en témoigne la publication que nous commentons et les travaux qu’il signe dans diverses revues françaises.

     

    BIBLIOTHÈQUE PHILOSOPHIQUE HERMÉTIQUE. J. R. Ritman, Amsterdam.

     

    « Bibliothèque Philosophique Hermétique » est le nom de la bibliothèque fondée par Joseph R. Ritman en 1957. Le fondateur prévoyait de réunir dans cette collection des manuscrits et des œuvres écrites du domaine de la Tradition Hermétique. L’ensemble de ces œuvres forme une collection de sources pour l’étude de la pensée spirituelle, et reflètent son influence sur la civilisation occidentale. Cette tradition ésotérique, qui tente de réunir la philosophie chrétienne et la non-chrétienne, a exercé une influence considérable au cours de l’histoire ; par exemple, dans l’Alexandrie du IIe siècle de notre ère (les mouvements Gnostiques), au XIIIe siècle (le mysticisme occidental), dans la seconde moitié du XVe siècle en Italie (la philosophie Hermétique) et dans la première moitié du XVIIe siècle en Allemagne (le mouvement Rose-Croix et les courants théosophiques).

     

    L’ouverture au public de la Bibliothèque eut lieu en 1984, enrichissant ainsi le patrimoine culturel des Pays-Bas d’une source fertile de pensée spirituelle.

     

    Le lieu appelé « bibliothèque de travail » s’ouvrit à Amsterdam en 1984, dans la Bloemstraat. Les publications en hollandais ainsi que l’ensemble des moyens publicitaires étrangers amena des contrats en nombre croissant. Il en a résulté le développement d’une chaîne nationale et internationale de relations avec divers instituts, bibliothèques et hommes de lettres spécialisés dans le domaine de la culture et de l’étude. La Bibliothèque s’est également gagné une réputation internationale grâce à sa participation à des conférences, de fréquentes expositions et la publication de leurs catalogues, en plus de la collaboration apportée à d’autres expositions dans diverses parties du monde.

     

    En vertu du principe ad fontes, la Bibliothèque tente de réunir les exemplaires les plus anciens d’œuvres d’intérêt, comme par exemple : un manuscrit, la première ou la plus ancienne édition. Aujourd’hui (1996), elle contient environ 16.000 volumes, beaucoup desquels sont des livres d’une importance spirituelle inestimable, pour leur ancienneté, leur rareté, leur valeur philosophique ou religieuse, ou leurs qualités artistiques. L’on peut y trouver approximativement 450 manuscrits (200 d’entre eux antérieurs à 1550), environ 4.000 livres imprimés avant 1800 (400 desquels sont des incunables : des livres imprimés entre 1450 et 1500) et 11.000 livres imprimés après 1800.

     

    La Bibliothèque Philosophique Hermétique s’est imposé une vaste tâche historico-culturelle : rendre accessibles les sources, par la publication de catalogues d’expositions et d’éditions de textes, et en dirigeant les recherches pour pouvoir documenter et exposer l’hermétisme comme part de notre culture Occidentale.

     

    Les objectifs de la Bibliothèque sont menés à terme par le biais de ses propres activités et des activités éditoriales.

     

    S’y tiennent de fréquentes expositions, accompagnées de leurs catalogues correspondants ; elle accepte aussi régulièrement de prêter ses œuvres pour d’autres expositions. Parmi les œuvres publiées par la maison d’édition de la Bibliothèque, In de Pelikaan, l’on peut mentionner le catalogue de la collection d’incunables : Christ, Plato, Hermes Trismegistus (1990), et la collection hollandaise du Corpus Hermeticum (1990, plusieurs éditions).

     

    Il existe aussi le projet d’un volume bibliographique multiple d’œuvres rosicruciennes jusqu’à 1650 et d’un catalogue des manuscrits antérieurs à 1550.

     

    THE ROSICRUCIAN ENLIGHTENMENT REVISITED : a Conference in Honor of Frances Yates. (The Western Mystery Tradition in Bohemia) Du 8 au 13 septembre 1995, ville historique de Cesky Krumlov, Bohème du Sud (République Tchèque).

     

    C’est sous ce titre que s’est tenu à Cesky Krumlov (République Tchèque) un symposium consacré à ces matières, avec la participation d’auteurs importants de la Tradition Hermétique actuelle. Le programme a été le suivant : "Plenary Addresses": The Rosicrucian Prelude: John Dee's Mission in Central Europe, Nicholas Goodrick-Clarke; Fire in the Hearth, Temple of Wisdom, House of the Spirit: The Meaning of the Rosy Cross, Christopher Bamford; Magical Gardens & Chambers of Marvels, Joscelyn Godwin; Kabbalah in Bohemia, Z'ev ben Shimon Halevi; The Imagery of Alchemy & Rosicrucianism, Adam McLean; The Grail & the Rose, John Matthews; The Rosicrucian Ideal of Good Work, Robert Sardello; Renewal & Revelation through Number, Harmony & Proportion, John Michell; The Rosicrucian Afterglow: The Life and Influence of Comenius, Clare Goodrick-Clarke; The Rosicrucian Legacy, Christopher McIntosh. "Afternoon Workshops": 'Michel Maier, the deepest of the Rosicrucians', J. Godwin; The Angel of the Western Window, N. G.-Clarke; The Labyrinth of the World & the Paradise of the Hearth, C. G.-Clarke; Rosicrucianism & Alchemy, C. McIntosh; Rosicrucian pretenders at the dawn of the New Age, C. Bamford; Allegory & Symbolism, A. McLean; The Rosicrucian Impulse in Anthroposophy, R. Sardello; Healing the Wounded King, J. Matthews; Symbolic Geometry & the Process of Creation, J. Michell; Kabbalah as a Path to Wisdom, Z. Halevi. "Evening Presentations": Frances Yates & the Poetry of the Divine, Robert Bly; The Folklore of the Rose, R. J. Stewart; An Evening of 16th & 17th Century Czech Music.

     

    THE ROSICRUCIAN ENLIGHTENMENT REVISITED :

     

    Introduction et édition de Ralph White. Lindisfarne Books, Hudson New-York, 1999. 268 pages.

     

    Dans le double numéro de la revue SYMBOLOS consacré à la Tradition Hermétique (11-12, 1996), nous informons du symposium s’étant tenu du 8 au 13 septembre 1995, à Cesky Krumlov, Bohème du Sud, (République Tchèque), « En l’honneur de Frances Yates ». Une sélection de ces conférences, parmi lesquelles ressort celle de notre collaborateur Joscelyn Godwin, ont été réunies en un seul volume portant le titre cité plus haut. Le contenu en est : John Matthews: The Grail & the Rose, Christopher Bamford: The Meaning of the Rosy Cross, Nicholas Goodrick-Clarke: The Rosicrucian Prelude: John Dee's Mission in Central Europe, Joscelyn Godwin: The deepest of the Rosicrucians: Michel Maier, Robert Powell: Tycho Brahe, Johannes Kepler, Rudolf II and the Prague Hermetic Renaissance, Rafal Prinke: The Twelfth Adept: Michael Sendivogius in Rodolfine Prague, Clare Goodrick-Clarke: The Rosicrucian after Glow: The Life and Influence of Comenius, Paul Bembridge: The Rosicrucianism Resurgence at the Court of Cromwell, Christopher McIntosh: The Rosicrucian Legacy.

     

    LE FIL D´ARIANE Ecriture & Tradition. Rue des Combattants, 11. B-1457 Walhain-St-Paul, BELGIQUE.

     

    Dirigée par J.-M. d’Ansembourg. Nº 48-49 (Printemps-Eté 1993): SOMMAIRE: E.H.: Histoire Juive; R. Van Loo: Le Symbolisme de la Rose; P. Sánchez, Ch. d'Hooghvorst: Une lecture du Lazarillo de Tormes; R. de Valle, C. Froidebise: La Gloire du Monde ou la Table du Paradis; J. M. d'Ansembourg: Entre deux Vins ou la Coupe Electrique; C. de Laveleye: L´Exile ou l´Odyssée de l´Ame au Pays des Sens; C. Rosereau: La Lumière; J. M. d'Ansembourg: Un bon mot du Fils de l´Homme; R. de Valle, S. Feye: La Verité et l'Ancienneté de l´Art Chimique; S. Caillet: La Sainte Parole des Illuminés d´Avignon (IV); E. H.: Florilège Cattesien; A. Allard: Lire sans delire; Librairies et Revues amies. Dans ce numéro double, cette publication paraît beaucoup mieux présentée, bien qu’elle n’ait pas encore tout à fait terminé de mettre au point sa typographie, ce qui sera fait dans son prochain numéro. Elle est vraiment d’un abord vif et enjoué ; toujours agréablement savante, et maintenant plus facile à lire après plus de dix ans de parution.

     

    Nº 63-64, 1998-1999. 178 pages. Revue sporadique à partir de ce numéro (2 numéros par an minimum). L’on y communique le décès de l’un de ses principaux collaborateurs, « diffuseur pendant des décennies de l’œuvre de son instructeur et ami Louis Cattiaux » , le baron de Hoogvorst, à qui la revue dédie un regret In Memoriam.

     

    SIRUELA

     

    Nous avons reçu le catalogue soigné 1982-1992 des éditions Siruela, dirigées par Jacobo F. J. Stuart, également responsable de EL PASEANTE (le promeneur), intéressante revue que nous examinerons prochainement. Elle a réalisé pendant ces dix ans un travail excellent et cohérent. Les éditions sont un modèle de bon goût et de qualité à plus titre, ce qui plaira à ceux qui aiment aussi le livre en tant que bel objet artisanal. Mais ce n’est pas tout : les textes choisis, dont beaucoup possèdent un caractère visuel et symbolique, c’est-à-dire artistique, expriment des idées qui intéresseraient à l’extrême nos lecteurs. Nous citerons certains titres de La Bibliothèque Submergée : Athanasius Kircher: Itinerario del Extasis o las Imágenes de un Saber Universal, El Juego Aureo, América, El Templo de Salomón, Arquitectura y Magia, et Monstruos y Prodigios, tous d’une grande qualité, bien que nous ne puissions pas, par manque de place, nommer les auteurs, les caractéristiques, les commentaires, les études et les traductions à charge de spécialistes éprouvés. Nous signalerons, de la collection Sélection de Lectures Médiévales : Sir Gauvain et le Chevalier Vert, Le Voyage de Saint Brandon, Le Chevalier du Lion, Vie de Merlin, Le Chevalier à l’Épée et La Damoiselle de la Mule, La Nouvelle Vie, La Mort d’Arthur (3 volumes), Bestiaire Médiéval, Percival ou le Haut Livre du Graal, Decameron (2 volumes) et aussi Les Aventures du Roi Singe, histoire de style initiatique taoïste écrite au Moyen Âge chinois, pièce essentielle de la "littérature" de ce pays, à présent publiée au complet en trois tomes (2.000 pages), dont nous connaissions des sélections dans Contes Chinois (Editions Miraguano), ou dans Dragons, Dieux et Esprits de la Mythologie Chinoise (Anaya) et, surtout, les fragments superbement illustrés de gravures traditionnelles d’une édition faite à Pékin sous le nom de Le Roi Singe contre le Démon à l’Os Blanc. Mais il y a beaucoup plus, lié directement ou indirectement à l’ésotérisme et à l’hermétisme (la Bibliothèque de Babel, Borgès à sa tête, par exemple), de la littérature fantastique ancienne et moderne, aux livres rares et curieux pas encore édités en espagnol.

     

    SIRUELA

     

    Nous avons souligné le travail de cette excellente maison d’édition dont les collections, qui embrassent un large éventail de littérature, études iconographiques, textes ésotériques et hermétiques, et la culture en général dans des traductions très soignées, ce à quoi il faut ajouter le luxe de la présentation et de l’iconographie, ont représenté une véritable contribution aux éditions en espagnol. Nous n’indiquerons ici que quelques-unes de ses nombreuses publications :

     

    Parzival. Wolfram Von Eschenbach. Ed. Siruela, Biblioteca Medieval. Madrid 1999. 430 p.

     

    BESTIARIO MEDIEVAL (Bestiaire Médiéval). Préparation de Ignacio Malaxeverría. Siruela, Biblioteca Medieval. Madrid 1999. 278 pages.

     

    Tous deux sont des échantillons achevés de l’excellente Bibliothèque Médiévale.

     

    DIONISOS, MITO Y CULTO (Dionysos, Mythe et Culte). Walter F. Otto. Éditions Siruela. Madrid 1997. 185 pages.

     

    Ce livre extraordinaire, publié dans la collection El Arbol del Paraíso (L’Arbre du Paradis) et écrit par Walter Frédérick Otto (1871-1958) il y a plus de 50 ans, est l’un des travaux essentiels pour qui est intéressé par la Mythologie et la Métaphysique. La figure du dieu Dionýsos, abordée sous différents angles (symbolique, historique, doctrinal), est considérée d’une manière difficile à trouver dans d’autres études de ce genre et qui est un parfait exemple de l’essence authentique de l’esprit grec. L’œuvre est écrite dans un style à la fois clair et lumineux, et nous montre les valeurs véritables de la pensée classique tout en les rapprochant de l’homme actuel, souvent aveuglé par des informations seulement érudites ou matérielles ; l’ivresse divine, et sa maestria dans les rituels d’initiation, nous amènent à comprendre la complexité de la Science Sacrée et l’ambivalence des symboles, des rites et des mythes. Un travail magistral, que nous recommandons chaudement à nos lecteurs.

     

     

    EL FRUTO DE LA NADA (Le Fruit du Néant). Maître Eckhart. Éditions Siruela. El Arbol del Paraíso. Madrid 1998. 234 pages.

     

    Cette sélection de sermons et d’écrits du Maître Eckhart, avec l’ajout de quelques textes sages qui lui sont attribués, non sans raison, est un précis fondamental pour tous ceux qui s’intéressent à la naissance de Dieu dans l’âme, et par conséquent à la déification de l’être humain, tel que le signalent le Corpus Hermeticum et d’autres écrits analogues. Il est important de souligner que Maître Eckhart fut persécuté par des membres de son propre ordre dominicain (et bien que cela semble absurde, ils firent de même à l’époque avec Albert le Grand et Saint Thomas d’Aquin) avec la complicité de la Papauté, c’est-à-dire les "officiels" d’alors, qui prohibèrent son œuvre, donnant lieu par la suite aux abus inquisitoriaux dont les protagonistes furent les membres mêmes de l’ordre prédicateur, persécution qui a perduré jusqu’à nos jours.

     

    TEMENOS ACADEMY. 14 Gloucester Gate, London NW1 4HG.

     

    Cette entité a été fondée en 1990 par Kathleen Raine. Nous relevons, dans son Programme d’Été 1996 : "Afternoon Seminars. Reading Essential Texts:" Plotinus: Ennead VI - On the kinds of Being, leader: Joseph Milne (24th April-5th June); The Supreme Word, id.: prof. Arabinda Bassu (3rd-31st May). "Lectures and Special Events": Poetry and Magic, Peter Redgrove (14th May); Universal Elements in Musical Cosmology, Peter Westbrook (20th May); Yeats the Initiate, Dr Kathleen Raine (29th May); The Angel in Poetry, Jeremy Reed (3rd June); The Arts - a superstition of our time?, Stephen Cross (4th June).

     

    Dans son Programme for Michelmas Term 1996 (du 24 septembre au 10 décembre) : Being & Cosmos, Joseph Milne; Thomas Taylor the Platonist, Dr Kathleen Raine; Hermeneutics and the Unity of Truth, Todd Mei; Is Nature Alive or Inanimate? The Organismic Versus the Mechanistic Paradigm, Dr. Rupert Sheldrake; Hindu Temples & Gotic Cathedrals: Form & Transformation, Dr Adam Hardy.

     

    Dans son programme du dernier trimestre 1997, les conférences suivantes : ANCIENT EGYPT & THE HERMETIC TRADITION: The Divine Origin of the World: Creation Myth as Imaginative Metaphysics: Jeremy Naydler, 21st October. Levels of Reality: Gods, Spirits & the Garments of Soul: Id., 28th October. Initiation & Return: How the Soul Becomes a Star: Id., 4th November. Hermes Trismegistus & the Creation of the Cosmos: Clement Salaman, 11th November. Hermes on God, Gods & Spirits: Id., 18th November. Hermes & the Transformation of Man: Id., 25th November.

     

    TEMENOS ACADEMY REVIEW. Dirigée par Kathleen Raine. Central Books. 99 Wallis Road. Londres E9 5LN.

     

    Nº 2, printemps 1999. 208 pages. Nº 1, printemps 1998. 214 pages. Temenos : a Review of the Arts of the Imagination, a publié 13 numéros de 1981 à 1992, date à laquelle qui vit sa transformation en organisation d’enseignement, la Temenos Academy (14, Gloucester Gate, London NW1 4HG) qui a donné des conférences et des séminaires tout au long de cette période. C’est le premier numéro de la nouvelle série.

     

    L'ESOTERISME MUSICAL EN FRANCE 1750-1950. Joscelyn Godwin, Albin Michel, Paris 1991, 269 pages.

     

    Nous considérons qu’il est important de souligner le travail de cet auteur, professeur de musique à la Colgate University de l’État de New York, et dont nous connaissons les ouvrages suivants : Athanasius Kircher (Thames & Hudson, Londres, 1979, il en existe une édition espagnole), Mystery Religions in The Ancient World, (Thames & Hudson, Londres, 1981), Robert Fludd (Swan, Madrid, 1987), The Mystery of the Seven Vowels (Phanes Press, Grand Rapids, 1991) et l’édition de Atalanta Fugiens, (Phanes Press, Grand Rapids, 1989, avec un enregistrement des Fugues sur cassette). Il a également publié ces dernières années The Chemical Welding of Christian Rosenkreutz; Harmony of the Spheres: A Sourcebook of the Pythagorean Tradition in Music, Music, Mysticism and Magic; Harmonies of Heaven and Earth et la traduction anglaise de Les États Multiples de l’Être de René Guénon. Développant des concepts traditionnels, les expliquant et donnant leur histoire, l’auteur recrée à chaque fois la cosmogonie grâce à ses publications, qui non seulement utilisent des textes anciens ­fondamentalement illustrés­ pour l’exégèse et l’herméneutique à travers de brefs commentaires, clairs et précis, mais aussi son propre discours se fond dans celui de la Tradition Hermétique, arrivant tout naturellement à ne faire qu’un avec ce dernier.

     

    Au sujet du livre qui nous occupe, nous dirons que beaucoup des thèmes traités, car il ne se limite pas à donner une version actualisée de la théorie musicale traditionnelle (Pythagore, Platon, néoplatoniciens, etc.), ce qui serait déjà une grande réalisation, sinon qu’il recherche, à travers l’apparition de ses idées dans l’Histoire, et plus particulièrement en France (1750-1950), l’origine même de la pensée ésotérique et hermétique qui les a conçues, s’exprimant dans des œuvres et des auteurs suffisamment proches pour être extrêmement actuels et y découvrir des proportions, des harmonies et des rythmes, au sein desquels nous vivons et qui constituent, en somme, la musique même, considérée comme le miroir du cosmos tout entier. Et de même que les travaux historiques de Frances Yates établissent avec clarté le sérieux des propositions hermétiques, alchimistes et rosicruciennes, et leur immense importance historique, cette œuvre nous démontre que cette pensée n’a pas cessé d’exister en Occident jusqu’à nos jours, s’exprimant aussi d’une manière musicale. De l’appréciation consacrée à Isaac Newton et la correction de la légende attribuée à Pythagore au sujet de la proportion 6 :8 :9 :12, par celle de ses carrés 36 :64 :81 :144, et les conséquences issues par la suite de cette "découverte" de Newton, jusqu’à Eric Satie, Edmond Bailly, Jean Thamar (et d’autres auteurs influencés par Guénon, dont il mentionne spécialement les articles parus dans La Gnose 1910-1912), en passant par Wronski, Fabre d’Olivet et Saint Yves d’Alveydre, ce livre nous conduit de surprise en surprise sur un sentier de découvertes joyeux, sonore et mesuré, comme le style même de l’œuvre, ce qui lui donne encore plus de mérite lorsque l’on sait que l’auteur, anglais d’origine, a écrit ces textes directement en français.

     

    ARKTOS. The Polar Myth in Science, Symbolism, and Nazi Survival. Joscelyn Godwin. Phanes Press, PO Box 6114, Grand Rapids, MI 49516 USA. 1993.

     

    Commencer à lire ce livre représente une aventure passionnante ; en effet, dès les premières pages, nous nous sentons impliqués dans un monde d’images, d’œuvres et d’auteurs, qui jalonnent un chemin semé de clefs et d’étonnements, qui brillent par la manière dont l’auteur manie les différentes idées et éléments, les faisant parfaitement s’articuler et se correspondre. Joscelyn Godwin utilise pour ce faire une méthode déjà éprouvée dans d’autres de ses œuvres, comme : The Harmony of the Spheres: A Sourcebook of the Pythagorean Tradition in Music (Inner Traditions International, U. S. A.) et L’Ésotérisme Musical en France déjà mentionnée, qui conjugue l’érudition minutieuse des idées ésotériques et leur apparition historique, avec leur contenu et leur réalisation. Il faudrait ajouter à tout ce qui précède le style rafraîchissant et élégant de l’auteur, son sens de l’humour et, surtout, insister sur la fluidité du discours et l’art de la narration qui rendent sa lecture si intéressante, et fomentent la recherche sur divers thèmes en rapport avec la Connaissance.

     

    Joscelyn Godwin utilise avec respect et liberté l’œuvre de René Guénon ­de qui il a traduit en anglais Les États Multiples de l’Être et dont le Roi du Monde n’est pas sans analogie avec ce livre­ et en distingue des aspects que ceux qui la connaissent n’ont généralement que peu explorés, faisant toujours ressortir sa valeur métaphysique.

     

    Nous avons été quant à nous particulièrement intéressés par le livre dans la mesure où il traite de la symbolique du pôle, ou plutôt des pôles, idée qui est bien évidement liée à tout symbolisme cosmogonique et à d’innombrables thèmes ésotériques possédant des rapports étroits, comme l’unité espace-temps, la théorie des cycles, l’ontologie et l’anthropologie.

     

    Sur ce point, nous voulons signaler la correspondance entre Shambala et Agartha ­deux sujets qui sont amplement abordés dans le livre­ en tant que les deux pôles d’un axe unique, tout à fait analogue au symbolisme de la montagne et la caverne. En effet, Shambala est la cité du ciel, bâtie de pierres précieuses, comme la Jérusalem Céleste. Elle couronne la fin d’un cycle et elle est la patrie musicale verte, blanche et lumineuse des bienheureux. Ce territoire demeure cependant en-dehors de l’humain et peut donc être aussi l’expression des désirs et des appétits de l’homme, un lieu imaginaire et fantaisiste où l’on peut accéder par le "voyage astral" ou la "méditation" psychologique, ou simplement en lui donnant crédit dans ses rêves personnels.

     

    Agartha est au contraire un espace réel, quoique inaccessible aux regards et aux désirs des simples mortels. C’est aussi un lieu obscur et souterrain comme l’âme humaine, la caverne, et l’intériorité, dont elle est la représentation. Les habitants de l’Agartha ont commencé à prendre leur être propre comme l’athanor, le four de l’expérience alchimique, et, par leur travail et la grâce des Dieux, sont parvenus à former part des milieux et des classes de l’Église Secrète, ainsi qu’à percevoir la proximité du Mystère et compter sur la présence permanente du Roi du Monde, ce qui leur fait considérer les allégories intrinsèquement fausses puisqu’elles nient, par leur nature propre, la réalité métaphysique et l’authentique monde spirituel (ou intellectuel) que l’on atteint grâce au séjour dans la grotte, comme le sait bien tout aspirant yogi de l’Himalaya. Agartha n’est pas dehors sinon dedans, et est beaucoup plus réelle que tout autre phénomène, être ou chose. C’est pour cela que, sans avoir besoin de rien ni de personne, elle est demeurée et demeurera identique à elle-même dans les conditions actuelles de l’existence terrestre, comme le refuge de l’immanence divine, que contient le macrocosme de la Shekinah et le microcosme du Luz, noix ou amande d’immortalité, que la Kabbale situe symboliquement à la base de la colonne vertébrale de l’homme. Les habitants de l’Agartha ont dû parcourir un chemin inversé par rapport à la "normale" et au "naturel", et remonter une voie d’ascension progressive, pénible et semée d’épreuves ; un pèlerinage à l’intérieur de la caverne, qui leur a permis de transformer leurs excréments en pierres précieuses et les a convertis en citoyens de la patrie authentique, c’est-à-dire véritablement universels et reliés au gouvernement interne du monde.

     

    Mais ce n’est pas le cas d’Adolf Hitler, ni de Miguel Serrano, ni du national-socialisme ou toute autre groupe politique de pensée littérale. Ce n’est pas non plus celui d’un expert en escalade et montagne comme Marco Pallis (voir Le Chemin et La Montagne. Kier Bs. As. 1973) ou celui des conjectures pseudo-scientifiques des Velikovsky et compagnie, aussi peu sérieux qu’obsédés, quoique leurs élucubrations déconditionnent. C’est cependant le cas des recherches sur la lumière et la pensée chiite, menées par Henry Corbin, et celui d’autres penseurs connaissant ou ayant connu parfaitement la Philosophie Pérenne, amplement cités dans cet ouvrage que nous n’hésitons pas à recommander à nos lecteurs, qui représente également une bonne opportunité pour les éditeurs, ainsi que le laisse voir le sujet traité et mis en relief dans le titre, et surtout pour la facilité et l’intérêt avec lesquels se lit ce livre, presque comme un roman d’aventures.

     

    LA IMAGINACION CREADORA en el sufismo de Ibn ‘Arabi (L’IMAGINATION CRÉATRICE dans le soufisme d’Ibn Arabi). Henry Corbin. Ensayos/Destino, Barcelona, 1993. 480 pages.

     

    C’est avec approbation que nous avons accueilli la traduction de ce livre qui, pour autant que nous le sachions, est le premier ouvrage publié de l’œuvre considérable d’Henry Corbin, mis à part quelques études dans les encyclopédies auxquelles l’auteur a participé. Les œuvres complètes de Corbin sont aussi difficiles à publier que difficiles à citer ; la raison en est que l’auteur a centré son travail sur la Tradition Islamique, et plus spécialement sur le chiisme iranien, ce qui suffit à le situer comme spécialiste, selon certains critères. La production de Corbin est néanmoins universelle, non seulement parce qu’elle se réfère directement aux Principes, mais aussi parce qu’elle mentionne d’autres traditions dont les ésotérismes coïncident avec ceux des maîtres soufis ; c’est la raison pour laquelle nous considérons bien choisie la décision de l’éditeur Ensayos/Destino de mettre en avant le titre « L’Imagination Créatrice », qui est en réalité le thème du livre, et de sous-titrer « dans le soufisme d’Ibn Arabi », qui est aussi universel et permet la description du monde intermédiaire (angélique) et de la Cosmogonie de la Tradition Unanime en tant que support de la Connaissance Métaphysique,

     

    En effet, l’intérêt central de ce livre réside dans la description du plan que Henry Corbin appelle imaginaire, qu’il ne faut surtout pas confondre avec la simple imagination psychologique ou la fantaisie, qu’elle soit individuelle ou collective. Cet espace intermédiaire, peuplé d’esprits et d’entités en tous genres qui existent, par analogie, aussi bien dans le macrocosme que dans le microcosme, a toujours été l’objet d’études et d’expériences de la part des divers ésotérismes et a été profondément lié à la religion, à la magie, et même aux sciences naturelles. Ce livre constitue en outre une magnifique introduction au soufisme islamique, rien de moins que de la main d’Ibn Arabi qui fut peut-être le maître le plus important de cette tradition, et pour tout ce que l’on pourrait appeler, selon Corbin, une « théosophie de la lumière ». De fait, nous parlons de l’auteur d’autres œuvres aussi importantes que L'Homme de Lumière dans le soufisme iranien, Editions Présence, 1971, Avicenne et le récit visionnaire, L'île Verte, 1979, ou En Islam iranien: Aspects spirituels et philosophiques, Gallimard, 1978, quatre volumes, qui serait bien accueillies, croyons-nous, par le public en général et par ceux qu’intéressent la Philosophie, les religions ou l’ésotérisme. L’on peut également trouver, en espagnol, La Philosophie Islamique de ses Origines à la Mort d’Averroès, dans Histoire de la Philosophie, XXIe siècle, Mexico 1972.

     

    Insistons sur l’érudition de Corbin, son extrême clarté à beaucoup d’aspects et la beauté de son langage rigoureux et poétique.

     

    MUSIQUE ET SYMBOLISME Résonances cosmiques des instruments et des œuvres. Roger J. V. Cotte. Ed. Dangles, St-Jean-de-Braye, France 1988. 238 pages.

     

    Dès le premier chapitre de cette intéressante étude, l’auteur indique l’angle d’approche de ses investigations et nous immerge immédiatement dans la musique des sphères et le rapport entre la gamme et le cosmos, figuré par les sept planètes, le tout régi par les lois du nombre, comme l’avaient bien compris Pythagore et Platon. La musique est donc une symbolique, et l’auteur répète, citant Jacques Chailley : « Le monde est musique et la musique est nombre. La musique est donc symbole, manifestation sensible de l'ordre du monde. Approfondir les lois numériques de la musique est le moyen le plus sûr de parvenir à la connaissance, par analogie, des lois les plus secrètes du Cosmos ». Cette idée guide ses recherches, qui l’amènent à étudier les divers instruments antiques, en particulier ceux qui sont cités dans la Bible, et à enquêter au moyen de l’historiographie, sur bien d’autres thèmes appartenant au domaine proprement musical ainsi que sur le rapport avec le symbole, la numérologie, l’astrologie, la couleur, le blason, les cartes du Tarot, c’est-à-dire l’iconographie et autres, chemins symboliques qui confluent et s’alternent en se complétant de façon analogico-magique, ce qui signale une voie symbolique pour laquelle la musique et son développement historique en Occident, depuis les Grecs, sont la base du processus de Connaissance ; un ésotérisme musical, qui s’est vérifié chez des musiciens de l’envergure de Mozart, Liszt, Beethoven ou Éric Satie, francs-maçons reconnus ou hermétistes rose-croix. Roger J. V. Cotte développe une symbolique nous permettant de voguer en un voyage qui intéressera aussi bien les étudiants de la Science Sacrée que les exécutants, les dilettantes, et le public curieux ou cultivé en général.

     

     

    SONG OF THE COSMOS, An Introduction to Traditional Cosmology. Arthur Versluis. Prism Press, Great Britain 1991. 141 pages.

     

    Comme son titre l’indique, l’auteur expose dans « Le Chant du Cosmos », à travers diverses traditions, comment l’être humain a toujours perçu ce chant, ce son universel, l’entière manifestation, dont l’homme, comme le microcosme, est le reflet. Bien qu’en apparence les différentes traditions se contredisent à plusieurs aspects, elles se réfèrent fondamentalement à la même chose, puisqu’elles se détachent toutes comme des « branches révélatrices » d’un unique tronc central et primordial, dont les racines plongent dans le ciel.

     

    C’est un livre « reconstructeur » dit Versluis, car il « reconstitue autant qu’il est possible » ce qu’a oublié l’homme moderne, complètement éloigné et ignorant de ses origines, incapable de percevoir au-delà des apparences du visible : son rôle central et unificateur dans l’univers et, à travers sa compréhension et la réalisation, au moyen de la Tradition, révélatrice des différents états ou mondes hiérarchisés de l’être, entreprendre l’ascension vers le Pôle Supérieur et « les états transcendants et supra-humains ».

     

    Nous avons été surpris par le fait que, s’agissant d’un livre sur la cosmogonie traditionnelle et métaphysique, l’auteur s’y réfère comme à « la tradition religieuse », alors que les deux termes se contredisent : le premier fait référence à l’enseignement ésotérique et l’autre à l’exotérique. Il déclare dans sa note Nº 1 : « Par "traditionnel", j’entends ce qui est reçu suivant une ligne d’enseignements qui s’étend au-delà de la lointaine antiquité, et par "pratique", je fais référence à ces formes de vie que l’on trouve dans les religions Aborigènes, le Bouddhisme, le Christianisme, l’Hindouisme, l’Islam, le Judaïsme et le Taoïsme. »

     

    Nous ne pouvons être d’accord avec cette affirmation ambiguë. L’auteur se réfère sans aucun doute à différents rites, mais il y a une différence entre rites sacrés et initiatiques, et pratiques et cérémonies religieuses. Tout dépend de la manière de l’envisager, et à cet aspect, "l’esprit religieux" tout comme "l’art religieux" ne sont autre chose qu’une pieuse allégorie sentimentale de ce que les symboles manifestent véritablement. Cela ne veut pas dire qu’il n’existe pas, au sein des religions, des organisations, des groupes et des individualités ésotériques réellement initiatiques, toujours vivantes, qui donnent son sens à toute la pompe religieuse dont elles sont l’origine.

     

    Nous comprenons que l’auteur utilise ces termes, car le livre est dédié à F. Schuon, qui parle dans son œuvre de Religion Pérenne, ce qui est confondre la cosmogonie, et surtout la métaphysique, avec la simple religion ou dévotion, chose que Guénon, à qui le livre est également dédié, a refusé comme étant une erreur.

     

    Hors de ces trois traditions possédant des pratiques religieuses, à savoir, les traditions Abrahamiques ou traditions du Livre ­qui par ailleurs débouchent tôt ou tard sur le fondamentalisme­, l’Islam, le Judaïsme et le Christianisme, les autres, Taoïsme, Hindouisme et Bouddhisme, etc., en tête, n’étant pas religieuses mais métaphysiques, et leurs rites étant ésotériques et non pas de simples cérémonies vides d’ésotérisme, à l’instar de la Maçonnerie, la Tradition Hermétique et le Chamanisme, qui sont des traditions totalement ésotériques en rapport avec l’initiatique, les rites sacrés et ceux de la Connaissance, à l’opposé des actes religieux auxquels l’on se présente dans un esprit proche de celui des célébrations civiles, aussi noble que soit tout cela. Bien que l’on comprenne que le terme est employé ici dans sont sens le plus ample, général et étymologique de re-lier, nous observons que tout ceci prête à confusion, et la provoque en effet chez ceux qui possèdent une vision religieuse, puisqu’ils assimilent la Connaissance à la simple dévotion à un Dieu personnel.

     

    Pour terminer, nous voulons préciser que le mot religion, tout comme celui de "mysticisme" ou homo religiosus, s’utilise généralement, aux États-Unis, d’une façon large et qu’il signifie l’opposé du plus matériel et grossier. Nous ne savons pas si c’est le cas, ou en partie, mais nous insistons, les rites ne sont pas simplement des pratiques religieuses tout comme les symboles ne sont pas seulement des allégories de leurs significations.

     

    D’un autre côté, le livre offre de nombreuses notes et citations d’auteurs et de textes sacrés de diverses traditions, outre d’intéressantes gravures, ce qui rend sa lecture extrêmement recommandable.

     

    COLLOQUE INTERNATIONAL « POUVOIR DU SYMBOLE »

     

    Ce XIIe Colloque International s’est célébré à Paris les 7 et 8 décembre 1996, présidé par Émile Poulat et organisé par l’École Pratique des Hautes Études de la Sorbonne et la revue Politica Hermetica, avec les interventions suivantes : Bernardo Schiavetta: Approches "ésotériques" du symbole; Anne-Marie Mercier-Faivre: Le langage d'images du Monde primitif de Court de Gebelin; PierLuigi Zoccatelli et Jean-Pierre Brach: Courants renaissants de réforme spirituelle et leurs incidences; Pierre Chevallier: La consécration du Temple de la Mère Loge Ecossaise du Contrat social à l'Hôtel de Bullion, le 13 décembre 1779; Pierre Mollier: La déchristianisation des rituels de Rose-Croix au XIXeme siècle; Luc Nefontaine: La Maçonnerie comme religiosité séculière; Jean-Pierre Laurant: Polysémie symbolique dans un discours maçonnique chrétien (1812-1813), le cas de François-Nicolas Noèl; Michel Bouvier: La symbolique du corps dans la pensée politique de Georges Renard; André Buisine et Julien Feydy: Autour d'un calme bloc, une promenade au Champ de Mars.

     

    POLITICA HERMETICA. L'Age d'Homme, 5, rue Férou, 75006 Paris.

     

    Cette revue en français, comptant 225 pages environ et paraissant une fois par an, a sorti depuis sa fondation neuf numéros consacrés respectivement aux thèmes suivants : Metaphysique et politique, Guénon y Evola [1987]; Doctrine de la race et traditión; Gnostiques et mystiques autour de la Revolution française; Maçonnerie et antimaçonnisme, de l’enigme à la dénonciation; Secret, initiations et sociétés modernes; Le complot; Les postérités de la théosophie, du Théosophisme au New Age; Porphétisme et politique; Esotérisme et socialisme [1995]. La publication de travaux, d’articles, de notes, de critiques de livres, etc., est d’une grande variété quant au matériel et aux différentes optiques, tout en maintenant toujours un bon niveau informatif et intellectuel. Jean-Pierre Laurant et Jean-Pierre Brach sont respectivement directeur scientifique et rédacteur en chef. (Voir également la note précédente sur le Colloque « Le Pouvoir du Symbole »).

     

    Le Nº 3 reprend une partie de l’éditorial du premier numéro dans sa « Déclaration de principes » : « Ni secte ni laboratoire, soucieuse de prospective autant que d’histoire, Politica hermetica n’entend pas séparer l’herméneutique de l’heuristique, reçoit l’ésotérisme pour ce qu’il se donne et considère la politique pour ce qu’elle figure. Dans ces conditions, Politica hermetica ne s’engage, sinon à comprendre et à rassembler pour comprendre. Toute autre attitude ne saurait la concerner, encore moins la requérir. »

     

    Le Nº 4, consacré à « Maçonnerie et antimaçonnisme », nous offre le sommaire suivant : ACTES DU Veme COLLOQUE: "Secret maçonnique et antimaçonnisme". Sénat, salle Clémenceau, sous la présidence d'Emile Poulat. Alain Gouhier: Exposé introductif: voies secrètes. Claude Gaignebet: Le dieu caché des Old Charges. Pierre Chevalier: Quelques lumières inédites sur la question du serment maçonnique. Michel Jarrigue: La Franc-Maçonnerie démasquée, d'après un fonds inédit de la Bibliothèque nationale. Jean-Pierre Laurant: Le dossier Léo Taxil du fonds Jean Baylot de la Bibliothèque nationale. Lucien Sabah: Les fiches Bidegain, conséquences d'un secret. Pierre Barrucand: Quelques aspects de l'antimaçonnisme, le cas de Paul Rosen. ETUDES: Alain Gouhier: Jean Borella, La crise du symbolisme religieux. Francis Bertin: Autour de trois livres de Paul Sérant. Portrait, François Vallery-Radot: Un adversaire loyal de la Maçonnerie: Robert Vallery-Radot (1885-1970). Comptes rendus d'ouvrages. Parmi les livres et les revues reçus. Activités.

     

    XIIIe Colloque International Politica Hermetica: "Les Contrées Secretes". Cet événement eut lieu les 6 et 7 décembre 1997 à la Sorbonne, sous la présidence d’Émile Poulart, avec les participations suivantes : Philippe Lefèvre: "Le Temple de Jérusalem"; Pierre Lory: "Le symbolisme de Jérusalem dans la mystique musulmane"; Umberto Bartocci: "Une utopie scientifique: à la découverte d'un nouveau monde"; Patrick Tacussel: "Migration des âmes et harmonie terrestre dans la pensée de Charles Fourrier"; Serge Plantureux: "Pourquoi Saragosse? Les voyages de Potocki"; Patrick Lequet: "Le Hiéron du Val d'Or et l'ésotérisme chrétien autour de Paray-Le-Monial"; Arturo Espejo: "Le sens caché du rationalisme moderne: la modernité européenne et la conception de Brasilia"; David Gattegno: "La 'contrée cachée' dans l'écu d'armes".

     

    GNOSIS A Journal of the Western Inner Traditions. P.O. Box 14217, San Francisco, CA 94114 U.S.A. Sort quatre fois par an.

     

    Publisher/Editor-in-chief: Jay Kinney. Richard Smoley: Nº 31. Spring 1994. Introduction: A Glimpse of Eastern Expanses; Stephan A. Holler: Esoteric Russia; Igor Kungurtsev and Olga Luchakova: The Unknown Russian Mysticism; Adrian Ivakhiv: The Cosmos of the Ancient Slavs; Siobhán Houston: Turning to Orthodoxy; Valentin Tomberg: The Eastern European Conception of Suffering; Alexei Bagdanov: Daniil Andreev: Herald of Unseen Worlds; Paul Tice: The Bogomils: Gnostics of Old Bulgaria; Richard Smoley and Jay Kinney: What is Esotericism? Interview with Antoine Faivre.

     

    Nous recommandons à nos lecteurs cette revue d’une grande qualité et très bien illustrée, qui présente des numéros monographiques consacrés à divers thèmes ésotériques et nous dévoile tout spécialement un panorama de ces idées aux États-Unis. C’est un effort considérable, que le Nº 31 a atteint. Nous ne pouvons, par manque de place, faire une critique en profondeur de ses caractéristiques (apparemment parfois apparentées à la Nouvelle Ère), mais nous y reviendrons.

     

    Nº 37. Automne 1995. 10e anniversaire. SOMMAIRE: Editorial: Richard Smoley, Editor. Introduction: Days of Future Past by Jay Kinney; State of the Hidden Arts; The Hidden Wisdom of Psalmody by Cynthia Bourgeault; Tradition and Truth: A GNOSIS Interview with Huston Smith by Richard Smoley and Jay Kinney; Israel Regardie, the Golden Dawn, and Psichotherapy by Cris Monnastre and David Griffin; Cleaving to God by Shefa Gold; Alchemia, Art by Harry S. Robbins; Islam, Tradition, and the West: A GNOSIS Interview with Seyyed Hossein Nasr by Jay Kinney; Calling Cthulhu by Erik Davis; The Stoic Way of Nature by Michael McNierney; Departments: Up Front; Forum; News & Notes Including: the Return of the Sacred Prostitute; Book Reviews; Classifieds.

     

    C’est le dixième anniversaire d’une revue trimestrielle de 86 pages. Tout au long de ses dix ans de parution, GNOSIS a pu recueillir un vaste panorama des diverses formes d’expression de l’ésotérisme contemporain, un échantillonnage qui n’oublie pratiquement aucun point de vue.

     

    Nº 42. Hiver 1997. "Death & The After Life". SOMMAIRE: Introduction: The Big Unknown by Jay Kinney; Thomas Murphy: Don Juan and Death; Joscelyn Godwin: The case against reincarnation; K. Paul Johnson: Afterlife visions of a sleeping prophet; Judy Harrow: Coup de Grace: Neo-pagan ethics and assisted suicide; Cynthia Bourgeault: Meeting in the body of hope; Mary-Frances Taffe: Standing between life and death; Edward Hoffman: Kabbalah and the Afterlife Departments: Up Front; Forum; News & Notes; Book Reviews; Classifieds; Special Forum: The Enneagram in Contention.

     

    Parmi les articles, celui de J. Godwin se distingue pour sa clarté à exprimer ce qu’a écrit René Guénon au sujet de la réincarnation, la transmigration, la métempsycose, le rendant parfaitement accessible aux lecteurs et dans un style non dénué d’humour.

     

    Nº 47. Printemps 1998 : "Prayer & Meditation". 90 pages.

     

    Nº 50. Hiver 1999 : "Good & Evil". 82 pages. Dans la section News & Notes de ce numéro, figure une note signée par l’éditeur Richard Smoley se référant à la mort de Schuon et aux problèmes que sa tariqah eut à Bloomington avec la justice et le sexe. Sur nous, il est dit en substance : « D’aucuns ont mis Schuon en question sur le plan doctrinal. Federico Gonzalez, directeur de SYMBOLOS, une revue traditionnelle en langue espagnole, basée au Guatemala, se réfère aux ouvrages de Schuon comme "une adultération de l’œuvre de Guénon". Gonzalez remet en question l’une des affirmations centrales de Schuon : que le salut n’est possible qu’au sein de l’une des grandes religions "révélées". Gonzalez se questionne également sur l’affirmation disant que Schuon a recueilli l’héritage de Guénon, ajoutant que la "supposée école traditionaliste... est une invention de Schuon lui-même et de ses partisans." »

     

    « La mort d’un homme nous amène à prendre une part de son héritage, et il en est ainsi pour Schuon. Au niveau personnel, il existe de la part d’ex-disciples irrités, un matériel suffisant pour suggérer que les histoires de manipulation psychologique et sexuelle ne sont pas dénuées de fondement. »

     

    « Parmi les enseignements centraux de Schuon, le premier ­qu’il y a une "unité transcendante" dans les religions­ a beaucoup de mérite. Simultanément, cela ne lui appartient pas en propre, puisque Guénon l’avait proclamé auparavant et, avant ce dernier, H.P. Blavatsky, qui est généralement vilipendée par les traditionalistes. Si cette idée est assumée dans l’héritage spirituel de l’humanité ­comme cela devrait être­ Schuon sera remémoré, non pas comme son premier et meilleur exposant, mais comme un maillon d’une longue chaîne de personnes ayant tous dit plus ou moins la même chose » (page 13, Frithjof Schuon : A Brief Appraisal).

     

    Nous avons malheureusement appris que cette populaire et excellente revue a dû cesser sa publication.

     

    ALEXANDRIA The Journal of the Western Cosmological Traditions. PO Box 6114, Grand Rapids, MI 49516 USA.

     

    Cette excellente revue annuelle, dirigée par David R. Fideler, paraît pour la première fois, avec presque 400 pages de texte. Ainsi que l’indique son sous-titre, elle s’occupe de la Tradition d’Occident. En voici le contenu, dont nous distinguons, pour différentes raisons, les articles de Christopher Bamford et Joscelyn Godwin. David R. Fideler: Introduction; Kathleen Raine: Revisioning the Sacred for Our Time; Lee Irwin: The Orphic Mystery: Harmony and Mediation; R. C. Hogart: Hymns of Orpheus: Mutations; John Michell: Michael Maier's Alchemical Quadrature of the Circle; Kristi A. Groberg: The Eternal Feminine; Gregory Shaw: Emboding the Stars: Iamblicus and the Transformation of Platonic Paideia; Dana Wilde: Galaxies and Photons; Christopher Bamford: Esotericism Today: The Example of Henry Corbin; John Carey: The Waters of Vision and the Gods of Skill; David R. Fideler: The Path Toward the Grail: The Hermetic Sources and Structure of Wolfram con Eschenbach's Parzival; Joscelyn Godwin: The Creation of a Universal System: Saint-Yves d'Alveydre and his Archeometer; Flora R. Levin: Aspects of Ancient Greek Music; Michael Hornum: A Plotinian Solution to a Vedantic Problem; Arthur Versluis: 'Gnosticism,' Ancient and Modern; Stephen Ronan: Hekate's Iynx: An Ancient Theurgical Tool.

     

    ALEXANDRIA est une publication de Phanes Press, éditeur qui présente une collection importante et variée de publications en anglais en rapport avec la Tradition Hermétique, l’Alchimie, le Platonisme, le Gnosticisme, le Néoplatonisme, et la Science et l’Art Sacrés en général.

     

    Nº 2. Sommaire : David Fideler: Introduction: Cosmopolis, or the New Alexandria; Edward Parsons: The Museum at Alexandria; Adam McLean: A Note on the Muses; A Report from UNESCO: Bibliotheca Alexandrina: The Revival of the First Universal Library; Eric Mueller: Alexandria: Past, Present, and Future; Nancy Nietupski: Hypatia of Alexandria: Mathematician, Astronomer, and Philosopher; Translated by Jeremiah Reedy: The Life of Hypatia from The Suda; Socrates Scholasticus: The Life of Hypatia; John, Bishop of Nikiu: The Life of Hypatia; Shawn Eyer: Psychedelic Effects and the Eleusinian Mysteries; David Fideler: The Science and Art of Animating Statues; Therese Schroeder-Sheker: The Alchemical Harp of Mechtild of Hackeborn; Jane Thigpen: The Fish Bride; Siemen Terpstra: An Introduction to the Monochord; David Fideler: A Note on Ptolemy's Polychord and the Contemporary Relevance of Harmonic Science; Arthur Versluis: Mysticism and Spiritual Harmonics in Eighteenth-Century England; Joscelyn Godwin: Mentalism and the Cosmological Fallacy; Arthur Versluis: Printing, Memory, and the Loss of the Celestial; Translated by Daniel Willens: Gerhard Dorn's Monarchy of the Ternary in Union Versus the Monomachia of the Dyad in Confusion; Hugh Urban: Imago Magia, Virgin Mother of Eternity: Imagination and Phantasy in the Philosophy of Jacob Boehme; Peter Cawley: The Castle of Heroes: W.B. Yeats' Celtic Mystical Order; Michael Hornum: The Availability of the One: An Interpretive Essay; Christopher Bamford: The Magic of Romance: The Cultivation of Eros from Sappho to the Troubadours; Robin Waterfield: Seating Arrangements in Plato's Symposium; William Blake: All Religions are One; Melitta Rabinovitch: The Dolphin in Greek Legend and Myth; Christine Rhone: Sacred Geography of the Ancient Greeks; David Fideler: The Cosmological Rorschach; Carolyn North: Psalm; Translated by Shawn Eyer: Orphic Hymn to Artemis; John Henry: Reports from Hyperborea; Book Reviews; David Fideler: Books in Brief; Notices.

     

    C’est après une longue attente que le Nº 2 d’ALEXANDRIA est paru ; mais les lecteurs ne s’en plaignent pas, car ce nouveau numéro d’ALEXANDRIA (The journal of the Western Cosmological Traditions), avec plus de 400 pages, est une véritable contribution à l’étude de la Tradition Hermétique.

     

    JESUS CHRIST, SUN OF GOD: Ancient Cosmology and Early Christian Symbolism. David Fideler. Quest Books. Wheaton, Ill. U.S.A. 1993. 430 pages.

     

    Comme son titre l’indique, c’est une étude approfondie, claire et synthétique sur la Gnose et la Tradition pythagoricienne, hermétique, orphique et chrétienne primitive. Cette œuvre s’appuie sur des textes doctrinaux et l’histoire proprement dite pour nous offrir avec érudition une vision éclairante de la Tradition Ésotérique occidentale, de ses origines mythiques à ses premières formulations philosophiques et théosophiques et leur expression future, où se suivent différentes formes complémentaires d’une même pensée au cours de la succession temporelle, et qui pourrait se prolonger jusqu’à nos jours au travers du Moyen Âge, de la Renaissance et même du monde moderne. En ce qui concerne les premiers siècles du Christianisme, l’on retrouve cette pensée dans les différentes gnoses, chez les Néoplatoniciens, dans les Oracles Chaldéens et dans les Hymnes Orphiques, dans la Gnose de Valentin, chez Origène et Clément d’Alexandrie, dans le Corpus Hermeticum, etc., pour ne signaler que quelques-uns des noms cités par l’auteur.

     

    D’autre part, elle offre la possibilité de travailler avec une gematria du grec (objet de certains éclaircissements de Guénon ­voir Formes Traditionnelles et Cycles cosmiques : "Kabbale et Science des Nombres") en rapport avec la géométrie et la musique (s’appuyant, entre autres, sur les saines influences de J. Mitchell, R. Lawlor et J. Godwin, donc sur un courant de pensée hermétique), c’est-à-dire avec une série infinie de coordonnée et d’analogies ne devant rien au hasard. Mais ce qui attirera probablement le plus l’attention de nos lecteurs, c’est l’établissement d’une correspondance entre Hermès Trismégiste, le Mercure solaire, et Jésus fils de Dieu, deux images du Dieu-Cosmos (Logos), en tant que fils directs du Père, soleils de Dieu, et messagers révélateurs de ses arcanes.

     

    Il conviendrait d’ajouter que le lecteur de culture européenne conventionnelle peut être surpris par la valeur octroyée à certains termes ou à des analogies déterminées, usuels dans les systèmes scientifiques, techniques ou populaires, qui décrivent cependant de façon plastique certaines pensées traditionnelles et doctrinales, et bien que leur expression puisse sembler, à première vue, empruntée aux modèles "new age", ce ne sont que des modalités propres à la "american way".

     

    Cet ouvrage comporte de plus des appendices, des index et une bibliographie soignée.

     

    CENTRE D’ÉTUDES DE SYMBOLIQUE DE BARCELONE

     

    Fondé en 1978, ce Centre débuta ses activités dans un appartement du premier gratte-ciel construit à Barcelone. Il y eut une grande affluence de public, et son fondateur donna les premiers cours sur l’Introduction au Symbolisme, la Kabbale, le Tarot, l’Alchimie, ainsi que des exercices pratiques sur cela et d’autres thèmes de l’ésotérisme en général. Le Centre ouvrit également ses portes à des moines bouddhistes mahayanas, à des critiques d’art et des écrivains ésotériques qui y donnèrent de courts stages ; il y eut également des cours de symbolisme astrologique, et quelques autres. Ces activités durèrent près de deux ans, quand le siège dut être fermé, pour diverses raisons.

     

    Le Centre fut rouvert par la suite, mais sans quartier général fixe, utilisant les divers salons de conférences, librairies et instituions pour réaliser ses activités. C’est à cette époque que s’ajoutèrent au travail d’enseignement les professeurs José Olives, Manuel Plana, Francisco Ariza et José Manuel Río. Le C.E.S. a poursuivi ses travaux jusqu’à présent, ayant donné de nombreux cours, organisé des conférences et des séminaires (dont celui portant sur "La Symbolique" à l’Université Internationale Menéndez y Pelayo de Santander, en Espagne). De multiples travaux, y compris des voyages guidés en autocar dans divers lieux et villages espagnols, célèbres pour leurs monuments romans et gothiques, afin de connaître in situ les structures symboliques de sociétés où le point de vue traditionnel avait prééminence. Les activités se multiplièrent ces dernières années, et l’AGARTHA, Programme d’Introduction à la Science Sacrée, y vit le jour (voir sur Internet www.geocities.com/programagartha) et qui sera prochainement publié sous forme de livre [voir Revue SYMBOLOS numéro 25-26, 2003]. C’est également là que naquit la revue SYMBOLOS, et que le premier Symposium en Espagne entièrement consacré à René Guénon eut lieu en 1994. Avec le temps, de nouveaux conférenciers et instructeurs s’y sont joint et ont mené à bien diverses activités, dont Fernando Trejos, Antonio Guri, José Maria Dolcet, Antonio Casanovas, Pedro Vela, Marc García, José Maria Gracia, et autres. Le Centre est actuellement dirigé par Fernando Trejos et Francisco Ariza.

     

    CHAPITRE IX

    FRANC-MAÇONNERIE

     

    VERS LA TRADITION: "Répandre la lumière et rassembler ce qui est épars". 14, avenue de Général de Gaulle; B. P. Nº 193. 51009 Châlons-en-Champagne. Cedex, FRANCE. Trimestrielle. 64 pp.

     

    Au sujet de la maçonnerie, cette revue a publié dans ses derniers numéros [1997] les articles suivants :

     

    - Roland Goffin: Entour de la Tradition et de la Parole perdue (Numéros 51-52).

    - Jean Tourniac(†): Destin eschatologique de la Franc-Maçonnerie. Id.: Juifs et Chrétiens dans le Catéchisme de l'Eglise Catholique (1992) et dans le rituel de Maître Ecossais du Rite Ecossais Rectifié de la Franc-Maçonnerie (51-52).

    - 'Umar: Nouvelle liturgie catholique et nouveaux rituels maçonniques (54).

    - Denys Roman(†): Remarques sur quelques symboles maçonniques (55 y 56).

    - John Deyme de Villedieu: "Outils" et textes symboliques (56 y 57).

    - Caloier des Isles Hieres: Entre l'Ebal et le Garizim (57).

    - 'Umar: Petits et Grands Mystères, ou à propos des Hauts-Grades (57).

    - André Bachelet: Des Hautes Grades? Pour quoi faire? (58).

    - 'Umar: La Pierre cubique à pointe (60).

    - Yannick Bénard: La notion de sacrifice. Un point de vue maçonnique (62).

    - 'Umar: Introduction générale à l'étude du fil à plomb (63).

    - 'Umar: Les symboles géométriques de l'initiation de métier (64).

    - André Bachelet: Opérativité et Maçonnerie spéculative; (66).

    - J. M. V.: Le Delta rayonnant de la loge au R. E. R., et la notion de lumière en Maçonnerie (65, 66 y 67).

     

    Dans trois de ses numéros de 1997, l’on peut trouver des articles qui peuvent être considérés comme maçonniques, bien qu’ils ne le soient pas au sens strict du terme, car ils abordent des sujets aussi intimement liés à l’Ordre que la Géométrie, l’Arithmosophie, Pythagore, etc. (Nº 65) : Dr. R. Perotto-André: Sur une représentation du Triangle de Pythagore, 'Umar: Divine proportion et trisection de l'angle; (Nº 66) : Jean Duprat: Quelques remarques sur 888 et 666, auxquels il faut ajouter les articles de ce dernier et de Yves Dangers au sommaire du numéro 67 ; dans ce dernier numéro, il faut signaler la quatrième partie de "Déroulement et enroulement de la Manifestation", de John Deyme de Villedieu, qui se poursuivra dans les numéros suivants. Voir également la Mise au point de André Bachelet (plus loin).

     

    Le travail réalisé au cours des ans par cette revue, sous la direction de Roland Goffin, est digne d’être souligné, maintenant toujours son niveau intellectuel et la variété de ses thèmes.

     

    Signalons aussi, dans le numéro 66, l’article intitulé « Les deux pêches miraculeuses » de Patrick Zanzi (qui est également l’auteur de « Quelques remarques sur l’Incarnation », Nº 62) que nous aimerions publier dans un prochain numéro de notre revue.

     

    Remarquons tout spécialement le numéro 36, dans lequel figure un texte écrit par Jonas ­que nous publierons également­ en réponse à l’hommage à Guénon engendré par F. Schuon, édité en 1985 par les Cahiers de l’Herne.

     

    Autres textes, publiés par la suite, en rapport direct ou indirect avec la Maçonnerie :

     

    Nº 76. Juin - Juillet - Août 1999. John Deyme de Villedieu: Déroulement et enroulement de la Manifestation (V); 'Umar: Sagesse - Force - Beauté.

     

    Nº 75. Mars - Avril - Mai 1999. 'Umar: Le Collier de perles et la Chaîne d'Union.

     

    Nº 74. Décembre 1998 - Janvier - Février 1999. "A Propos de Frithjof Schuon, Sidi Aïssa Noreddine". Umar: Le Compagnon fini, Homme primordial; Federico González: Bref sur la confusion entre l'oeuvre de Guénon et celle de Schuon; André Bachelet: Autour de la "Parole perdue" des maîtres maçons.

     

    Nº 73. Septembre - Octobre - Novembre 1998. Jean Le-Petit: Initiation et Franc-Maçonnerie.

     

    Nº 71. Mars - Avril - Mai 1998. 'Umar: A propos de l'infallibilité traditionnelle; Francisco Ariza: Aspects symboliques de quelques rituels maçonniques opératifs.

     

    Nº 70. Décembre 1997 - Janvier - Février 1998. 'Umar: Anatomie de la quête ou l'esprit d'escalier.

     

    Nº 68. Juin - Juillet - Août 1997. André Bachelet: Opérativité et Maçonnerie spéculative, John Deyme de Villedieu: Denys Roman, Guénonien et Maçon, y 'Umar: Réflexions sur le Tétragramme.

     

    André Bachelet: Maçonnerie, Maçons et fin de cycle (en: Colloque "Fin du 2e Millénaire du cycle Chrétien... et Fin de l'âge sombre?", Octobre 1999).

     

    [Voir aussi SYMBOLOS: Arte - Cultura - GnosisChapitre VII : "AU SUJET DE RENÉ GUÉNON"]

     

    AUTOUR D’UNE POLÉMIQUE

    Comme le lecteur se souviendra, dans la rubrique "Revista de revistas" (Revue de Revues) de notre édition sur la Tradition Hermétique, lors de nos commentaires sur l’exemplaire 43-44 de Connaissance des Religions comprenant l’article de André Amalric "La Franc-Maçonnerie est-elle traditionnelle ? (à propos d’un ouvrage de Denys Roman)", nous signalions que nous en laisserions la critique pour notre numéro "Masonería" (13-14 de 1997). Dans l’intervalle, Vers la TRADITION a publié, dans son numéro 67, un article de André Bachelet rapportant cette collaboration de A. Almaric, et notre avis est qu’il a traité le sujet avec bien plus d’élégance et de hauteur que nous ne nous en sentons capables, relevant avec justesse les rectifications aux affirmations les plus lourdes (aux intentions douteuses) proférées par ce dernier. Rappelons que la revue Connaissance des Religions est à tendance schuonienne, et que le suisse lui-même se demande dans ce numéro comment peut-on concevoir Dieu géométriquement ­« circulaire ou sphérique »­ avec tout ce que cela signifie. Les affirmations du sieur Almaric concernent autant la Maçonnerie que Denys Roman, auteur de deux ouvrages utilisés comme prétexte pour attaquer l’Ordre, dénaturant jusqu’à la pensée de René Guénon. Nous reproduisons la plus grande partie de la Mise au Point de Monsieur André Bachelet et quelques-unes de ses notes (nous sommes responsables des crochets). Voici donc un autre échantillon de la mauvaise foi des milieux « suisses » et de leur animosité envers la Franc-Maçonnerie :

     

    « En effet, lorsque M. Amalric aborde le domaine maçonnique, il le fait selon une perspective répandue dans le milieu du Catholicisme "intégral", bien proche de l'intégrisme généralement réfractaire à l’œuvre de René Guénon; il illustre ainsi l'opinion de cette catégorie de traditionalistes pour qui la Maçonnerie, dans sa nature profonde, est toujours la "Synagogue de Satan" abhorrée de l'Église romaine. »

     

    « Que M. A. prenne prétexte de la parution des deux ouvrages de D. Roman pour aborder certains points de l'histoire de la Maçonnerie, est intéressant à plus d'un titre ; ce faisant, il tire des conclusions qui, à quelques exceptions près, ne nous paraissent pas sortir des habituels lieux communs rebattus par les historiens à mentalité profane. En effet, n'a-t-il pas recours, "pour éclairer le lecteur", à la méthode historique "critique", dont on sait que son application, limitée dans son point de vue à l'exotérisme le plus étroit, désacralise tout ce qu'elle touche ?. L'acceptation de ce dernier point par un catholique intransigeant, semble-t-il, comme l'auteur, surprend par son illogisme. Ainsi, sa démonstration ne contribue, par la façon de traiter le sujet, qu'à égarer un peu plus le lecteur. Faut-il redire que la Maçonnerie, de par sa nature initiatique, ne se prête en aucune façon à une investigation par cette méthode, et que celle-ci ne constituera jamais qu'un pis-aller pour quelques spécialistes en mal de "documents" qui, de ce fait, en sont réduits à formuler sans cesse de nouvelles hypothèses. Sa connaissance effective, c'est-à-dire la prise en considération des dépôts qu'elle véhicule et sa véritable raison d'être, demeurera toujours hors de portée de ceux qui se placent sur ce terrain. A titre d'exemple du parti-pris de l'auteur, on constate qu'il avance la facile et confortable thèse sur l'origine chrétienne (sous-entendu : Catholique) de la Maçonnerie, née "spontanément" à l'époque des grandes cathédrales, ce qui est absurde mais bien commode pour éviter de prendre en compte son "origine" pré-chrétienne et son caractère universel dont, de ce fait, il préfère ignorer les incidences notables. Faut-il insister également sur les extravagances verbales et prétentieuses portant sur la nécessité de "l'influence de Maîtres authentiques formés par la tradition purement orale et l' ‘Art de mémoire’ ", et le "retour au ‘Septénaire Sacré’ ", dont on peut regretter la formulation quelque peu... lapidaire compte tenu de leur contenu. Tout au long de son texte, l'auteur nous accable d'expressions qui définissent les limites de son analyse ; on découvre ainsi que la formule de D. Roman, "L'Arche Vivante des Symboles", concernerait en fait: "tout un héritage de ‘dépôts’ plus ou moins hétéroclites... " que ceci "ne pourrait que relever d'un intérêt archéologique très relatif...", pour ajouter ensuite "que l'on peut s'interroger sur le caractère effectif (efficace) de l'initiation maçonnique aujourd'hui (...). Du fait de son ‘détournement’ spéculatif par des individus étrangers au métier de constructeur (...)", celle-ci "aurait été ainsi réduite à ne plus transmettre qu'une ‘influence psychique’ (...) ", "le problème de la rupture de la continuité traditionnelle [étant posé] ", etc.... Mais nous ne pouvons achever cette "anthologie" anti-maçonnique sans parier de la surprenante assurance avec laquelle l'auteur règle, en le réduisant à une "affirmation téméraire", le problème de l'ésotérisme chrétien tel que l'aborda D. Roman dans son oeuvre. Nous nous permettons de lui poser la question suivante: de quel côté se trouve donc la "témérité"? Bien entendu, le refrain habituel sur la nécessité, pour une éventuelle et supposée reconnaissance et réconciliation, "que les liens rompus avec l'Église soient renoués", ne nous est pas épargné. Que l'auteur ne soit pas conscient de l'irréalisme de cette dernière "proposition" est proprement étonnant1. Relevons également une phrase relative à la signification de la "Parole perdue", particulièrement significative par le fait qu'elle illustre sa méconnaissance de l'Art Royal et de toute démarche initiatique général: "[ ... ] les travaux de Denys Roman [ ... ] présentent-ils un autre intérêt ne théorique quand on sait qu'ils s'appliquent à une Franc-Maçonnerie qui se veut purement spéculative et s'interroge elle-même sur la "Parole perdue ", reconnaissant ainsi qu'elle a rompu tout lien avec son origine opérative u lointaine ?". Nous aimerions croire, notamment dans ce cas précis, à une rédaction fautive... En ce qui concerne ce dernier point, nous constatons, en de multiples endroits ­procédé ou simple négligence ?­, l'étrange confusion qui résulte de l'amalgame entre les bribes de citations de D. Roman et les considérations de l'auteur ; seules, les prises de position de ce dernier permettent de rétablir une attribution correcte. »

     

    « Rétablissons maintenant dans son intégrité la citation de R. Guénon, soigneusement choisie, amputée et extraite de son contexte, utilisée dans le but de laisser entendre que celui-ci méprisait les hauts grades de l'Ecossisme, ce qui était manifestement le contraire, ce dont on peut se convaincre en lisant son oeuvre avec l'attention qu'elle mérite. Pour permettre à nos lecteurs de comparer, nous reproduisons au préalable la citation telle que rapportée par M. Amalric: "Il semble résulter de là que tous les systèmes de hauts grades sont complètement inutiles, du moins théoriquement, puisque les rituels des trois grades symboliques décrivent, dans leur ensemble, le cycle complet de l'initiation". Et voici celle de R. Guénon: "Nous avons vu, dans un précédent article, que, l'initiation maçonnique comportant trois phases successives, il ne peut y avoir que trois grades, qui représentent ces trois phases; il semble résulter de là que tous les systèmes de hauts grades sont complètement inutiles, du moins théoriquement, puisque les rituels des trois grades symboliques décrivent, dans leur ensemble, le cycle complet de l'initiation. Cependant, en fait, l'initiation maçonnique étant symbolique, forme des Maçons qui ne sont que le symbole des véritables Maçons, et elle leur trace simplement le programme des opérations qu'ils auront à effectuer pour parvenir à l'initiation réelle. C'est à ce dernier but que tendaient, du moins originairement, les divers systèmes de hauts grades, qui semblent avoir été précisément institués pour réaliser en pratique le grand Œuvre dont la Maçonnerie enseignait la théorie".2 Pour en terminer sur ce point, nous reproduisons deux courtes citations tirées de la conclusion du même chapitre; dans ce texte qui fait partie de ses premiers écrits sur le sujet, R. Guénon fait déjà preuve de son information et de son discernement : "(...) Nous avons simplement voulu dire ici ce que nous pensons de l'institution des hauts grades et de leur raison d'être ; nous les considérons comme ayant une utilité pratique incontestable, mais à la condition, malheureusement trop peu souvent réalisée, surtout aujourd'hui, qu'ils remplissent vraiment le but pour lequel ils ont été créés. Pour cela, il faudrait que les Ateliers de ces hauts grades fussent réservés aux études philosophiques [R. Guénon donne évidemment à ce mot son sens étymologique et non celui qu'on lui attribue habituellement et qui illustre un mode de pensée individuel] et méta physiques, trop souvent négligées dans les Loges symboliques; on ne devrait jamais oublier le caractère initiatique de la Maçonnerie, qui n'est et ne peut être, quoi qu'on en ait dit, ni un club politique ni une association de secours mutuels", et il termine son propos ainsi: "Nous ne nous étendrons pas davantage sur ce sujet, pensant en avoir dit assez pour faire entrevoir ce que pour raient être les hauts grades maçonniques, si, au lieu de vouloir les supprimer purement et simplement, on en faisait des centres initiatiques véritables, chargés de transmettre la science ésotérique et de conserver intégralement le dépôt sacré de la Tradition orthodoxe, une et universelle". Est-il nécessaire d'en dire plus ? »

     

    « Au crédit de l'auteur, reconnaissons la justesse de son analyse lorsqu'il dénonce, par exemple, le caractère anti-traditionnel de la plupart des agissements d'Anderson et Désaguliers, et des "Modernes" en général. Mais il aurait fallu à cette occasion, insister sur les rectifications qui, en réponse, furent à plusieurs reprises, l’œuvre des "Anciens" (elles ne se limitèrent pas à l'Union de 1813), et permirent ­pour le moins­ la restauration de nombreux usages rituels et symboliques de grande importance, sauvant ainsi une partie non négligeable de l'héritage provenant de la Maçonnerie opérative. Bien que cet argument lui soit utile pour "dénoncer" le bien fondé des hauts grades, l'auteur reconnaît la place éminente du complément de la Maîtrise qu'est l'Arche Royale dont l'origine opérative est certaine. Egalement, sachons lui gré d'avoir mis l'accent ­à la suite de R. Guénon­ sur la nécessité d'un "travail initiatique et opératif réel", même si une telle entreprise peut paraître aujourd'hui et à vue humaine, bien problématique à ceux qui sont soucieux des conditions dans lesquelles la pérennité de l'Ordre devrait s'accomplir. »

     

    « Mais nous nous posons une question : ces éléments positifs sont-ils conciliables avec l'essentiel du propos de l'auteur puisqu'il met en cause la réalité de la transmission d'une influence spirituelle dans l'Ordre maçonnique ? »

     

    « Ce qui retient surtout l'attention dans ce texte, c'est la prétention du propos qui se manifeste par une désinvolture pour l’œuvre de R. Guénon et celle de D. Roman, doublée d'un mépris pour l'Ordre. Ainsi, si l'on comprend bien l'auteur, R. Guénon et D. Roman (et ceux qui s'efforcent de les suivre fidèlement), se seraient, semble-t-il, intéressés à la Maçonnerie uniquement pour en dénoncer sévèrement, tout au long de leurs oeuvres, la dégénérescence et les lacunes graves et irrémédiables qui en découlent, les déviations, les tares et le laxisme institutionnels, les compromissions avec le siècle, les infiltrations de la "contre-initiation", etc.... Fort bien. Mais ils auraient ainsi fait preuve d'une surprenante cécité en négligeant le fait que la Maçonnerie véhicule depuis son origine, et par voie ininterrompue de transmission, une influence spirituelle qui perdure aujourd'hui. C'eût été, de leur part, mépriser les incidences considérables qui procèdent de cette situation unique en Occident. Rappelons à ce propos la note très ferme et sans appel de R. Guénon : "Des investigations que nous avons dû faire à ce sujet, en un temps déjà lointain, nous ont conduit à une conclusion formelle et indubitable que nous devons exprimer ici nettement, sans nous préoccuper des fureurs qu'elle peut risquer de susciter de divers côtés : si l'on met à part le cas de la survivance possible de quelques rares groupements d'hermétisme chrétien du moyen âge, d'ailleurs extrêmement restreints en tout état de cause, c'est un fait que, de toutes les organisations à prétentions initiatiques qui sont répandues actuellement dans le monde occidental, il n'en est que deux qui, si déchues qu'elles soient l'une et l'autre par suite de l'ignorance et de l'incompréhension de l'immense majorité de leurs membres, peuvent revendiquer une origine traditionnelle authentique et une transmission initiatique réelle ; ces deux organisations, qui d'ailleurs, à vrai dire, n'en furent primitivement qu'une seule, bien qu'à branches multiples, sont le Compagnonnage et la Maçonnerie. Tout le reste n'est que fantaisie ou charlatanisme, même quand il ne sert pas à dissimuler quelque chose de pire ; (...)"3 »

     

    « Pour revenir succinctement à la question des hauts grades que l'auteur prétend sans sourciller avoir "étudiée d'assez près", son "analyse" ­englobant, en fait, toute la Maçonnerie qu'il qualifie au passage de "labyrinthe et de musée"­, l'amène à constater que leur pratique se résume à "jongler brillamment avec les symboles, les nombres et jouer au ‘mécano’ avec les débris des traditions défuntes éparses dans les différents grades (...)". Peut-on aller plus loin dans le mépris ? Mais l'intérêt de son examen réside pour nous dans le rapprochement significatif qu'il fait entre ceux-ci et l'héritage Templier. Ainsi, il est assez cocasse de voir utilisée l’"autorité" d'un J. de Maistre ("pourtant ‘Chevalier Bienfaisant de la Cité Sainte’", nous dit l'auteur avec un contentement et une naïveté certains) pour dénier tout crédit à la "soi disant" "filiation Templière" au sein de l'Ordre, lorsqu'on sait que le Régime Ecossais Rectifié auquel il a, un temps, appartenu, y était hostile et l'avait répudiée officiellement ! La simple lecture du chapitre XV du Tome 2 de Denys Roman ayant pour titre : "Willermoz ou les dangers des innovations en matière maçonnique", eut évité à M. Amalric cette singulière maladresse. »

     

    « Mais il nous faut mettre un terme à l'examen des propos de l'auteur; mériteraient-ils d'ailleurs d'être relevés s'ils ne manifestaient une tendance bien propre à satisfaire les visées du "Prince de la confusion" ? »

    Notes

    1          « Il conviendrait d'inverser la proposition, car ce n'est pas la Maçonnerie qui a "rompu les liens avec l'Église'' [romaine] ; une telle démarche de la part de l’Ordre n'aurait aucune raison d'être. (...) »

    2          « Etudes sur la Franc-Maçonnerie et le Compagnonnage, Tome 2, chapitre: "Les hauts grades maçonniques", p. 268 à 272. (...) »

    3          « (Aperçus sur l'initiation, édition 1953, p. 41, note 1). Les adversaires de la Maçonnerie confondent généralement les Obédiences (et les Maçons) avec l'ordre maçonnique, celui-ci étant le principe initiatique, de nature intemporelle et inaffectée. Il en résulte des équivoques dont la portée n'est pas toujours perçue par les Maçons eux-mêmes. (...) »

                 

    TRAVAUX DE LA LOGE NATIONALE DE RECHERCHES VILLARD DE HONNECOURT. 12, rue Christine de Pisan, 75017 Paris.

     

    Les Travaux de la Loge Villard de Honnecourt forment la revue semestrielle de la Loge de Recherches Villard de Honnecourt, appartenant à la Grande Loge Nationale Française. Elle est principalement axée sur l’étude et la recherche de la symbolique de la Maçonnerie, bien qu’elle traite aussi de thèmes se rapportant à l’art et à la culture d’autres voies traditionnelles, différentes de l’Ordre Maçonnique. Elle comprend ainsi une partie extrêmement intéressante consacrée à la recherche et à l’élucidation de la véritable histoire de cette organisation initiatique, à l’instar des travaux réalisés à ce sujet par la revue anglaise Ars Quatuor Coronatorum.

     

    L’ensemble est considéré dans une optique strictement traditionnelle, sans la moindre concession aux préoccupations sociales et transitoires dont font preuve la plus grande part des loges et obédiences maçonniques actuelles. C’est ainsi qu’un effort d’une réelle importance est fait pour récupérer (surtout grâce aux traductions inédites des manuscrits et documents ayant appartenus aux diverses familles et groupements maçonniques) l’héritage symbolique, rituel et mythique de l’ancienne Franc-Maçonnerie opérante, antérieur aux Constitutions d’Anderson et à la naissance de la Maçonnerie spéculative ; et de celle-ci, les premiers textes où se trouve enregistré l’héritage de la Maçonnerie opérante. C’est une tentative de retour aux sources originelles de la tradition maçonnique, d’où la Maçonnerie actuelle tire son identité et la raison même de son existence. Villard de Honnecourt (de qui tiennent leur nom la revue et la Loge de Recherches) fut précisément un maître d’œuvre du XIIIe siècle à qui l’on doit un album de dessins de géométrie et d’architecture, document d’une valeur extraordinaire pour connaître les procédés de création suivis par les constructeurs médiévaux dans l’élaboration des plans et des idées qui seraient ensuite transcrites dans la pierre.

     

    Le code symbolique de la Maçonnerie (également tributaire de l’héritage cosmogonique et métaphysique de la tradition hermétique, pythagoricienne et judéo-chrétienne) traduit l’idée de la construction archétypale, conçue dans la pensée de l’Artisan divin ­le Grand Architecte de l’Univers­, construction révélée aussi bien dans la structure sacrée du temple que dans le propre processus de réalisation spirituelle, puisque cette idée se réfère à une réalité essentiellement métahistorique et métaphysique toujours présente dans le cœur de l’homme. La réadaptation de cet héritage (tout comme dans le passage de la Maçonnerie opérante à la spéculative) n’affecte absolument pas l’essence de ce qu’il transmet, et l’homme contemporain continue d’avoir le même besoin de se connaître lui-même qu’avait l’homme médiéval.

     

    La Loge Villard de Honnecourt fut fondée au début des années soixante par un groupe de francs-maçons (entre autres Jean Tourniac et Jean Baylot) intégrés dans le courant de pensée traditionnelle sous l’égide de l’œuvre de René Guénon, et c’est une des loges qui travaillent sérieusement dans le but de restaurer le versant ésotérique et initiatique de l’Ordre maçonnique. La revue se convertit ainsi en organe de diffusion de ce travail de restauration, ce qui sera sans aucun doute bien accueilli par tous ceux dont l’intérêt pour la Franc-Maçonnerie réside précisément dans les possibilités qu’elle offre en tant que voie d’accès symbolique vers la Connaissance.

     

    Nº 30 (2e série): 1er semestre 1995, 253 pp. SOMMAIRE: T. R. Grand Maître Claude Charbonniaud: Avant-Propos; Prof. Jean E. Murat: Introduction; I ­ TRAVAUX ET CONFERENCES: Paul Amaury: Métier et renaissance spirituelle; Jean-Pierre Félix: Aspects initiatiques de l'œuvre de Rabelais; Michel Constant: La nouvelle naissance spirituelle à partir de la tradition de l'Égypte ancienne; Jean-François Blondel: La légende des Quatre couronnés; II ­ ETUDES: Jacques-Noèl Pérès: La dédicace du temple; Pierre Paillère: Nécessité de l'angélologie; Michel Viot: Sources bibliques du rituel de consécration; Jean-Pierre Schnetzler: A la Gloire du Grand Architecte de l'Univers; Witold Zaniewicki: Les cagots; Notes et comptes rendus de Jean E. Murat.

     

    Nº 31: 2º semestre 1995, 254 pp. SOMMAIRE: T. R. G. Maître C. Charbonniaud: Avant-propos; I ­ TRAVAUX ET CONFERENCES: Alain Mercier: L'art pictural et ses expressions initiatiques; Jean-François Var: Renaissance spirituelle et Franc-Maçonnerie; Marc Maillet: Expression musicale et renaissance spirituelle; Roland Edighoffer: Le Temple d'Ezechiel et la Cité des Rose-Croix; Gérard Jarlan: L'aurore naissante de Jacob Böhme; II ­ ETUDES: Pierre Warcollier: Le Feu, l'Eau, la Terre dans l'instruction aux Grands Profès; Id.: Commentaires de l'Instruction aux Grands Profès; Jean-François Var: L'Ésotérisme chrétien et le Régime Écossais Rectifié; Notes et comptes rendus de Jean E. Murat.

     

    Nº 32: 1er semestre 1996, 272 pp. SOMMAIRE: T. R. F. Yves Trestournel: Allocution; I ­ TRAVAUX ET CONFERENCES: Prof. Jean E. Murat: Être et temps; Simone Vierne: Les romans de Jules Verne, une œuvre initiatique; Jean-Bernard Lévy: La tolérance; Dov Bezman: Aperçus sur les traditions celtiques; II ­ ETUDES: Jean-François Blondel: Les compagnons passants tailleurs de pierre d'Avignon; Claude Tresmontant: Qui était Jean?; Jean-François Faugère: La pensée de Teilhard de Chardin, avatar de la tradition celtique; Jacques Lutfalla: Dieu créateur, G.A.D.L.U. et physique mathématique; Jean-Yves Legouas: Les statuts de la société des philosophes inconnus; III ­ COMPTES RENDUS (Jean E. Murat); IV ­ LECTURES D'INSTRUCTION.

     

    EL TEMPLO DE SALOMON. Isaac Newton. Introd. de J. M. Sánchez Ron. Traducción y estudio filológico C. Morano. Ed. Debate/CSIC, Madrid 1996. CV+140 pp.

     

    J.M.S.R. signale fort opportunément dans son prologue que l’économiste Lord Keynes appelait Newton le dernier des mages. L’illustre savant qui énonça la célèbre loi de la gravité universelle fut en effet un ésotériste qui voyait la nature comme le Temple du Grand Architecte de l’Univers et le scientifique, par conséquent, comme un prêtre qui pouvait intervenir dans les processus du monde et mener à la Connaissance et à l’Origine grâce aux pistes laissées par le Créateur et au temps recelé dans son discours cryptographique. Là se trouve la raison de ce que Newton aborde des thèmes bibliques, car il considérait le Livre comme un précis de sagesse révélée, malgré les altérations subies par son texte, souvent perpétrées par la hiérarchie religieuse romaine ; il en est de même de ses investigations alchimiques auxquelles il consacra des travaux et des efforts importants. Il n’était pas en cela très différent des autres savants de son époque, car il est bien connu que la génération des scientifiques qui fondèrent la science moderne (Locke, Kepler, F. Bacon, Robert Boyle, etc. etc.) effectuait des recherches dans ce sens et donnait peut-être plus d’importance aux études biblico-théologiques, voire même à l’Histoire Sacrée, comme dans ce cas, qu’aux sujets exclusivement scientifiques ou mécaniques (physique, chimie, mathématiques, optique, etc.), quoique la vérité oblige à reconnaître que ces thèmes n’ont jamais été séparés, puisqu’ils étaient traités sans la moindre différence entre eux, aussi bien le sacré que le profane, ce qui est facile à vérifier d’après le contenu de la propre bibliothèque de Newton (John Harrison, The Library of Isaac Newton, Cambridge Univ. Press 1978) ou de quelque autre qu’il ait utilisée (la privée de Isaac Barrow, les publiques de Cambridge).

     

    « Pourquoi je l’appelle mage ? », ­questionne Keynes­ « Parce qu’il contemplait l’Univers et tout ce qu’il contient comme une énigme, comme un secret qui pouvait se déchiffrer en appliquant la pensée pure à certaine évidence, à certain indices mystiques que Dieu avait disséminés de par le monde afin de permettre une sorte de chasse au trésor philosophique à la fraternité ésotérique. » (p. XI et XII, intr.).

     

    C’est ainsi que le savant anglais, nous l’avons déjà signalé, prêtait une attention spéciale aux histoires bibliques, auxquelles il se référa à plusieurs reprises et qu’il jugeait plus anciennes que les histoires grecques ­voir même que les chaldéennes­ avec une incontestable érudition et abondance d’informations en tout genre, issues des plus illustres études du lieu et de l’époque. Précisons qu’il n’a pas utilisé l’Histoire Biblique (y compris l’Apocalypse) comme source unique de ses études historiques, mais également Flavius Josèphe, Philon d’Alexandrie, les mythes grecs, etc., et qu’il considérait que la position des étoiles dans les constellations du zodiaque, donnée, par exemple, dans des descriptions de la guerre de Troie ou de la mission de Jason et les Argonautes en quête de la Toison d’Or (qu’il situait en 937 avant Jésus Christ), réglait l’espace et le temps, anticipant ainsi les archéologues qui découvrirent plus tard d’antiques cités dont existaient des descriptions « mythiques », tout comme la science moderne de l’archéo-astronomie qui détermine les dates de lieux ­y compris de grands ensembles­ d’après l’étude du ciel de l’époque où ils furent édifiés. L’on peut lire, dans le manuscrit intitulé The original of religions : « De manière que le but de la première institution de la vraie religion en Égypte était de proposer à l’humanité, au moyen de la structure des anciens temples, l’étude de la structure du monde comme le véritable Temple du grand Dieu qu’ils adoraient. »

     

    Et c’est là le but des recherches de Newton sur le Temple de Salomon, que nous dévoile ce fascinant et surprenant travail, édité fort opportunément et avec une érudition réconfortante par Ciriaca Morano, et que nous recommandons à nos lecteurs.

     

    TEXTES FONDATEURS DE LA TRADITION MAÇONNIQUE 1390-1760, Introduction à la pensée de la franc-maçonnerie primitive. Traduits et présentés par Patrick Négrier. Préface de Henri Tort-Nouguès. Ed. Grasset, Paris 1995. 384 pages.

     

    L’auteur définit cette publication comme une anthologie et il n’a pas tort, dans la mesure où son travail ne se compare pas à une simple compilation. En effet, aussi bien la sélection des textes que les introductions, les commentaires et les notes, démontrent non seulement la démarche investigatrice de l’auteur et sa réussite, mais aussi son ample culture dans le domaine de la symbolique, de la Bible et de l’ésotérisme, qui lui permet de donner une orientation doctrinale et une organisation didactique à ces anciens textes maçonniques, connus comme « Fondateurs » (1390-1760). L’auteur commence son exposé en nous replaçant dans le contexte historique, en nous signalant trois périodes correspondant à trois types de documents, qui correspondent à leur tour à trois époques différentes de l’Ordre :

     

        « ­ une première période dite opérative (1356-1598), où la maçonnerie était une corporation professionnelle chrétienne, et où les loges se composaient uniquement d'ouvriers du bâtiment: c'est à cette époque (1390) qu'apparaissent les Old Charges dites Anciens Devoirs; »

     

        « ­ une seconde période dite de transition (1599-1722), où ces loges opératives commencèrent à admettre en leur sein des hommes étrangers au métier du bâtiment: c'est à cette époque qu'apparaissent la référence à l'art de mémoire (Statuts Schaw de 1599), l'initiation maçonnique primitivement appelée Mason Word (1637), et les premiers catéchismes symboliques (Edimbourg, 1696); »

     

        « ­ et enfin une troisième période dite spéculative (de 1723 à nos jours), où la maçonnerie est devenue une initiation non confessionnelle (laïque), et où les loges se composent principalement d'hommes étrangers au métier du bâtiment: c'est à cette époque qu'apparaissent les deux chartes de la francmaçonnerie moderne, les Constitutions dAnderson (1723 et 1738) et les deux versions du Discours de Ramsay (1736-1737). »

     

    Ce livre, écrit à la demande des éditeurs, développe pour le milieu maçonnique de la langue française une fonction extrêmement importante, analogue à celle du Cahier de l’Herne dont il est complémentaire, et consacré également à ces textes fondateurs de la Franc-Maçonnerie (voir Cahier de l'Herne Nº 62, La Franc-Maçonnerie: Documents Fondateurs dans SYMBOLOS Nº 13-14, 1997, p. 389). Cependant, certains textes manquent dans l’un ou l’autre ; dans l’anthologie de Négrier, il faudrait peut-être remarquer la publication des discours de Ramsay, ainsi que les Constitutions d’Anderson, également publiées par D. Ligou (voir compte-rendu suivant), documents possédant une grande valeur pour tout franc-maçon, et qui démontrent aussi le passage, ou, si l’on préfère, l’adaptation, de la maçonnerie opérante à la spéculative, expression de la Science Sacrée correspondant aux nouvelles formes de pensée individuelle et sociale du XVIIIe siècle, qui s’établissaient depuis le milieu du siècle précédent, voire plus tôt (maçonnerie de transition) et qui se prolongeront jusqu’à nos jours.

     

    Dans les contributions de Négrier à l’étude de la Maçonnerie, le rapport établi entre les Constitutions d’Anderson et les Old Charges (Anciens Devoirs) nous semble particulièrement intéressant. Cette observation ne laisse pas d’être exacte, dans la mesure où Anderson a consciencieusement étudié les Old Charges, comme le constate Négrier lui-même. Le fait est également mis en évidence par la comparaison objective des documents, en particulier avec le manuscrit Regius et d’autres textes, ainsi que le démontre aussi Daniel Ligou dans son introduction, traduction et notes sur les Constitutions d’Anderson dont, nous l’avons dit, P. Négrier publie sa propre version dans les chapitres 10, 11 et 12 de cette Anthologie.

     

    Pour terminer ce bref commentaire, rappelons que les versions de l’anglais des documents publiés dans cet ouvrage sont aussi de P. Négrier (également auteur de La Lettre "G", suivi de Le Mot Sacré de Maître et les Cinq Points du Compagnonnage, Ed. Détrad, Paris 1990), et ses notes éclairent beaucoup. Voici le contenu de cette anthologie : "Les Anciens Devoirs": 1. Le manuscrit Halliwell dit Regius (1390), 2. Le manuscrit Cooke (1410), 3. L'ancêtre reconstitué de la branche Grand Lodge (avant 1583). "Les catechismes symboliques": 4. Dix témoignages du XVIIe siècle sur le Mason Word (1637-1699), 5. Le manuscrit d'Edimbourg (1696), 6. Le manuscrit Dumfries nº 4 (1710), 7. L'Institution des francs-maçons (1725), 8. Le manuscrit Graham (1726), 9. Le Grand mystère à découvert (1726). "Les Constitutions d'Anderson": 10. L'Edition de 1723, 11. Les Devoirs enjoints aux maçons libres (1735), 12. Les versions ultérieurs du chapitre I des 'Devoirs d'un franc-maçon'. "Le Discours de Ramsay": 13. La version de 1736, 14. La version de 1737. "Extraits d'un catechisme symbolique tardif": 15. Les Trois coups distincts (1760). "Annexe": 16. La Maçonnerie d'après l'Ecriture, de John Tillotson.

     

    ANDERSON'S CONSTITUTIONS. CONSTITUTIONS D'ANDERSON. Introduction, traduction et notes de Daniel Ligou. Edimaf, Paris 1992. 288 pp.

     

    Ce livre sera bien accueilli par les maçons qui ont eu des difficultés à connaître certaines des constitutions de leur Ordre, y compris celles de James Anderson qui donnèrent lieu à la Maçonnerie spéculative ­forme actuelle d’expression de cet Ordre Initiatique­ car la seule édition en espagnol que nous connaissions date de 1936 (Barcelone, traduction de Federico Climent) et n’existe plus sur le marché depuis plusieurs années, encore que nous ayons entendu parler d’une version mexicaine et qu’il en existe probablement une autre en Amérique du Sud, bien que J. Benimelli n’en parle pas dans sa Bibliographie de la Maçonnerie (Fondation Universitaire Espagnole, Madrid, 1978). C’est également le cas des versions françaises ou encore des anglaises, presque toutes éditées avant le milieu du siècle ­la plupart datant du XVIIIe. Cette édition est donc la bienvenue, avec ses notes et commentaires d’un spécialiste de la Maçonnerie, Daniel Ligou, qui étudie le sujet depuis de nombreuses années (voir Dictionnaire de la Franc-Maçonnerie, dans SYMBOLOS Nº 13-14, page 377). D’autre part, l’édition est bilingue anglais-français, ce qui permet d’en vérifier la traduction.

     

    Le livre des Constitutions de 1723, support du travail, fut imprimé à Londres par William Hunter, il comptait 92 pages et se composait de quatre parties : histoire ; obligations d’un maçon (« tirées des anciennes archives des loges d’outre-mer, et de celles d’Angleterre, d’Écosse et d’Irlande ») ; règlements généraux (« réunis par G. Payne en 1720 ») avec un post-scriptum sur la façon de constituer une nouvelle Loge ; et des chants maçonniques avec leurs partitions. L’étude de ces Constitutions ­que nous publierons dans notre collection « Papeles de la Masoneria »­ nous semble très importante, pour évaluer non seulement l’étude qu’Anderson a faite des Old Charges, sur lesquelles se basent ses Constitutions, mais aussi ses tentatives d’adaptation, dont beaucoup furent rejetées par la plupart des Loges anglaises jusqu’à ce qu’il ait modifié nombre de ses innovations en les adaptant à la Tradition et qu’il publie finalement des Constitutions corrigées (1738) dont la plus importante rectification portait sur la division par trois effectuée avec les grades maçonniques, qu’il avait inexplicablement réduits à deux ; comme l’on sait, cette influence des « Anciennes » Loges continua de s’exercer sur les Loges « Modernes », à un tel point qu’elles ne s’unifièrent qu’en 1813, après que la nouvelle Franç-Maçonnerie, appelée Spéculative, ait été dotée des idées et rituels traditionnels des « Anciens » et que l’Ordre revienne ainsi à la fonction initiatique.

     

    Vues par delà plus de deux siècles, les constitutions d’Anderson apparaissent nettement chrétiennes, malgré le fond mythologique et païen où se déroule l’histoire maçonnique. Aux regards post-conciliaires, il ne semble pas que les différences entre protestants et catholiques, et particulièrement en ce qui concerne l’invocation de la déité, soient plus que de légères nuances d’un même aspect. Ces Constitutions marquent cependant la séparation de la Franc-Maçonnerie et de l’Église ­car à partir de là, l’Ordre ne s’identifiera plus avec la seule confession chrétienne, ni se soumettra au pouvoir de Rome­ provoquée par la force des événements et le conséquent aggiornamento qui permit l’Initiation d’un grand nombre de chrétiens réformés, et par la suite ouvrit la porte à l’admission de juifs, islamiques, etc., dans diverses loges de différents lieux géographiques, y compris en Orient, en particulier en Inde et en Chine, et même dans les pays islamiques, construisant ainsi une Franc-Maçonnerie réellement universelle, c’est-à-dire authentiquement catholique, en dépit du paradoxe.

     

    Cette publication est remarquable, et l’introduction et les notes de la traduction de D. Ligou sont très utiles et intéressantes.

     

     

    LA FRANCE DES COMPAGNONS. François Icher. Ed. de la Martinière 1994, Paris. 200 pages.

     

    Pour ceux de nos lecteurs qui ne sont pas familiarisés avec le Compagnonnage, précisons qu’il s’agit d’une institution intégrant ouvriers et artisans qui, comme la Franc-Maçonnerie, tire ses origines du Moyen Âge, et dont les antécédents se retrouvent dans les Collegia romains ; elle se basait sur la Science et l’Art de la Construction, qui regroupait jadis tous les arts, tout comme la cathédrale ou le château, ou les deux, regroupaient l’ensemble de l’environnement urbain. L’on sait que la société médiévale se composait de strates distinctes : la sacerdotale et sapientielle (l’Église) ; le Roi, sa cour et la noblesse (bien que le Roi exerçait le pouvoir sacerdotal, outre le pouvoir royal) ; et les commerçants, les artisans, en incluant les professionnels et les administratifs (qui constitueront par la suite la bourgeoisie et la petite bourgeoisie), c’est-à-dire un personnel qualifié comme celui que peut offrir le Compagnonnage, en opposition avec la maladresse et la paresse des masses (présente dans toutes les classes), qui collaboraient, bien sûr, dans la limite de leurs possibilités.

     

    Les initiations artisanales ont été, dans toutes les traditions, des moyens ou des supports d’activités de type intellectuel et spirituel, auxquelles s’ajoutaient la satisfaction et la sécurité du travail bien fait, outre le rituel de concentration qu’exigeaient ces travaux. La jeunesse des années 60 et 70 revalorisa l’artisanat et le « fait-main » avec des matériaux nobles, en réaction contre le processus industriel et la société de consommation, et beaucoup de ses membres se convertirent tout naturellement en artisans, rejetant études et autres opportunités, adoptant ce moyen de subsistance et ce mode d’existence impliquant de vendre ses propres produits sur la voie publique ou certains marchés. Ajoutons, à titre de curiosité, que ces jeunes des années 60 et 70 accomplirent également des voyages sans but déterminé, qui pourraient se comparer à des pèlerinages en quête de Connaissance, pèlerinages que les Compagnons du Tour de France (le Compagnonnage) effectuent, comme leur nom l’indique, dans tout le pays, recherchant aussi bien de nouveaux apprentissages et expériences augmentant leur degré de sagesse, que des techniques et des matériaux pour exercer leur office, vecteur des aventures symboliques, intellectuelles et cosmogoniques répondant à leur quête. Inutile de préciser que ces pèlerinages peuvent appartenir à n’importe quelle tradition et que beaucoup d’entre elles les pratiquent encore, ou les ont notoirement repris, comme dans le cas de Saint-Jacques-de-Compostelle, propre aux hermétistes chrétiens. Le Moyen Âge vit l’essor de ce pèlerinage qui, suivant différents itinéraires européens, menait ­et mène toujours­ jusqu’en Galicie, des milliers de fidèles qui devaient surmonter des difficultés de toute sorte et affronter des dangers sans nombre, ce qui rendait leur voyage comparable à une Initiation, avec les épreuves qu’elle comporte dans toutes les traditions, symboles ou rites de l’authentique aventure intellectuelle et spirituelle que représente la recherche et l’incarnation de la Connaissance.

     

    La France des Compagnons nous éclaire sur tous ces sujets liés au Compagnonnage, qui existe encore activement en France, où cette plante merveilleuse refleurit et s’exprime à travers les corporations : menuisiers, tailleurs de pierre, artisans du cuivre ou de l’argent, verriers, etc.

     

    Cet ouvrage est un bel objet, un "beau livre" qu’illustrent toute sorte de gravures en couleurs et en noir-et-blanc, aussi curieuses que symboliques. L’attention est attirée tout particulièrement par les photos, textes et informations sur le Compagnonnage actuel et son épanouissement, sans aucun doute fruit de la trajectoire de cette Institution si intimement liée à la Franc-Maçonnerie.

     

    Nous noterons ici certains titres se rapportant à la Maçonnerie qui pourraient être utiles à nos lecteurs, sans effectuer de classement, sinon en informant sur des textes qui, pour une raison ou pour une autre, nous semblent être intéressants au sujet de l’Ordre, ou sur d’autres thèmes symboliques collatéraux comptant parmi ses Enseignements et Traditions. Ce coup d’œil panoramique reste limité à certaines publications en espagnol, en anglais et en français, qui seront complétées postérieurement.

     

    THE EARLY MASONIC CATECHISMS. D. Knoop, G. P. Jones y D. Hamer. Edited by H. Carr. Reimpr. Kessinger Publishing, Kila MT (USA). In-quarto 244 pp.

     

    La seconde édition (de 1963) de ce « classique », éditée par Harry Carr, a été enrichie par l’insertion des Ms Wilkinson (1927) et Kevan (1720), que la première édition, publiée vingt ans plus tôt, ne comprenait pas, puisqu’ils n’avaient pas encore été découverts ou, plus exactement, pas encore étudiés et diffusés. Les auteurs apprirent l’existence du premier en 1946, année qui vit la publication du travail que nous traduisons ici (voir SYMBOLOS Nº 13-14, p. 248) et le second fut découvert en 1955. Les textes originaux, traduits et constitués par les auteurs durant de longues et patientes investigations dans les différentes bibliothèques dont ils avaient obtenu les permis de reproduction, sont substantiels et n’ont laissé de côté que deux textes importants et analogues : Les Trois Coups distincts et Jakin et Boaz.

     

    Dans le compte rendu d’une telle œuvre, il est indispensable de donner le sommaire complet de ces documents anciens et rares qui dépassent le cabinet du bibliophile et sortent au grand jour, surtout dans un cas tel que celui-ci, où l’érudition des auteurs sur le sujet nous éclaire en permanence par le biais d’une magnifique introduction de 30 pages, et à travers les commentaires des documents.

     

    Catéchismes : Edinburgh Register House Ms., 1696; Chetwode Crawley Ms., c. 1700; Kevan Ms., c. 1714-20; Sloane Ms. 3329, c. 1700; Dumfries Nº 4 Ms., c. 1710; Trinity College, Dublin Ms., 1711; A Mason's Examination, 1723; The Grand Mystery of free-Masons Discover'd, 1724; The Whole Institution of Masonry, 1724; Institution of Free Masons, c. 1725; The Whole Institutions of Free-Masons Opened, 1725; Graham Ms., 1726; The grand Mystery Laid Open, 1726; A Mason's Confession, ? 1727; Wilkinson Ms., c. 1727; The Mystery of Free-Masonry, 1730; Prichard's Masonry Dissected, 1730; Chesham Ms., c. 1740; Dialogue between Simon and Philip, c. 1740 (traduit dans ibid. page 237), Essex Ms., c. 1750.

     

    Parmi les Réponses, il faut remarquer A Defence of Masonry (1730-31) qui est une réplique au Masonry Dissected de 1730 (traduit dans ibid. page 290), que nous publierons prochainement dans notre collection « Papeles de la Masoneria » (Papiers de la Maçonnerie).

     

    EARLY MASONIC PAMPHLETS. D. Knoop, G. P. Jones y D. Hamer. Q. C. Correspondence Circle Ltd. London 1978. 338 pp.

     

    Cet ouvrage complète le précédent et recueille « une sélection de feuillets maçonniques, articles de journaux et annonces publiées entre 1638 et 1735, ainsi que des extraits plus ou moins longs intéressant la maçonnerie, et des œuvres de la même époque, d’un caractère plus général », sélection qui est un exposé représentatif des sources ayant également servi à retracer l’histoire de la Maçonnerie Acceptée de l’époque et en savoir davantage sur elle. Elle comporte une introduction concise qui aborde les sujets suivants, dont sont cités quelques textes emblématiques : caractère et extension de la Maçonnerie, Maçonnerie Acceptée (Memoirs... of Elias Ashmole 1646 y 1682, Plot's Natural History of Staffordshire 1686), critiques des Constitutions d’Anderson de 1723 (Briscoe Pamphlet 1724, An Ode to the Grand Khaibar 1726), chants maçonniques (Cole's Curious Collection of Songs 1731 y 1735), la Franc-Maçonnerie et le théâtre (dédicace de Love in a Forest 1723), attaques et railleries contre la Maçonnerie (brochure de 1698, an Hudibrastick Poem 1722-23, The Free-Masons Accusation and Defence 1726), ripostes aux attaques (A Full Vindication of the Ancient and Honourable Society 1726), imitateurs et rivaux, Franc-Maçonnerie et Rose-Croix (The Knight 1723), la publicité et ses conséquences. Il y a au total plus de soixante documents et extraits publiés, suivant l’ordre chronologique qui débute avec les premières références imprimées faites à la « Mason Word » ou « parole sacrée », et au terme « Maçon Accepté» The Muses Threnodie 1638 y A divertissement en Poor Robin's Intelligence 1676.

     

    FREEMASONS' GUIDE AND COMPENDIUM. Bernard E. Jones. 17ème édition de la seconde édition, de 1956. Eric Dobby Publishing Ltd, Orpington 1994. Grande Bretagne. 604 pages.

     

    L’un des membres les plus intéressants de la Loge d’Études Quatuor Coronati, Bernard Jones, vénérable en 1960, et auteur d’autres livres importants sur la Franc-Maçonnerie, nous présente un ouvrage fondamental pour tout maçon. Ajoutons que le Frère Jones fut membre de l’Ordre durant plus de cinquante ans, qu’il passa en grande partie à étudier les archives du Musée et de la Bibliothèque de la Grande Loge de Londres, où ses recherches lui permirent de donner naissance à plusieurs ouvrages, parmi lesquelles figure celle que nous contemplons. Le Frère Heron Lepper, qui fut Bibliothécaire et Conservateur du Freemasons’s Hall de 1943 à 1952, préface cette œuvre dont la première édition date de 1950. La transcription de l’index peut donner une idée de son contenu :

     

    Book One, "Operative Masonry and the London Company": The Freemason's Short Outline of Architectural Masonry, The Medieval Operative Mason, The English Guilds, The London Company of Freemasons, The Old Manuscript Charges, The 'Acception' in the Masons' Company. Book Two, "Speculative Masonry": The Emergence of Speculative Masonry, The Rosicrucians and the Emergence, The Evolution of Scottish Freemasonry and its Influence on Early Fremasonry in England, 'Free,' 'Accepted,'or 'Speculative': How we got the Word 'Freemason'. Book Three, "The Grand Lodges (1717-1813)": The First Grand Lodge (1717), The Rival Grand Lodge of the 'Antients', Other English Grand Lodges, The United Grand Lodge, 1813, and its Effect on Present-day Craft Ritual. Book Four, "The Craft Degrees and other Matters": How the Masonic Degrees came to us, Initiation, The Fellow Craft and his Degree, The Hiramic Legend of the Third Degree, The Foundation-stone, The Freemason's Landmarks, The Freemason's Saints. Book Five, "The Lodge and many related Subjects": The Lodge; Warrants, Certificates, and the Masonic Calendar; Wardens and Deacons; The Tyler and the Inner Guard; Floor-drawings, Cloths, Carpets, and Tracing-boards; The Ashlars and the Lewis, and their Symbolism; The Cowan; Symbolism­and the Working Tools; Masonic Clothing; Masonic Colours and their Symbolism; The Lodge at Refreshment; Toasts; Ladies' Nights; Masonic Mourning: The Sprig of Acacia. Book Six, "The Royal Arch, Mark Masonry, and Additional Degrees": Royal Arch Masonry, Mark Masonry, The Additional Degrees. Appendix: The Arms of the Three Sister Grand Lodges. Bibliography. Index.

     

    FREEMASONS' BOOK OF THE ROYAL ARCH. Bernard E. Jones. Eric Dobby Publishing Ltd, Orpington 1994. Grande Bretagne.

     

    Dans cet ouvrage déjà classique sur le sujet passionnant ­et mystérieux, d’une certaine façon­ du Royal Arch et de la Royal Arch Masonry et leur histoire, Bernard Jones nous présente un précis de la Maçonnerie se rapportant plus spécialement à l’Ancien Testament. Cette édition a été révisée et mise au point par Harry Carr.

     

    FREEMASONS' ROYAL ARCH GUIDE. E. E. Ogilvie and H. A. Thompson. Lewis Masonic, Shepperton 1988. Grande Bretagne. 246 pages.

     

    Se basant sur des recherches antérieures, dont le livre précédent, les auteurs ont mené leurs propres investigations à la Bibliothèque de la Grande Loge de Londres et à la Bibliothèque de la Loge Quatuor Coronati. Le résultat en est ce guide prolixe qui traite les principaux points du Royal Arch.

     

    Au sujet, fondamental, du Royal Arch, nous recommandons également deux ouvrages de Roy A. Wells, simples mais synthétisant beaucoup des aspects se rapportant à cette Franc-Maçonnerie : Royal Arch Matters, Lewis Masonic, Shepperton, Grande Bretagne, 1984, et Some Royal Archs Terms Examinated, id., Grande Bretagne, 1988. Remarquons les illustrations, curieuses et originales.

     

    THE FREEMASON AT WORK. Harry Carr. Seventh and revised edition. Lewis Masonic, Ian Allan Regalia, Runnymede 1992. Grande Bretagne. 405 pages.

     

    Rédigé dans un langage simple et amène, sous forme de questions et réponses sur des thèmes maçonniques, c’est-à-dire structuré comme un catéchisme, ce livre est un véritable précis de Franc-Maçonnerie, examinée aussi bien sous l’angle doctrinal que symbolique ou sous forme historique, englobant depuis les us et coutumes, les rites, les obédiences, les personnalités, les titres, etc., jusqu’aux décorations et motifs héraldiques, sujets bibliques ou mêmes thèmes platoniciens. Harry Carr fut un maçon important, vénérable , secrétaire et éditeur de la Loge Quatuor Coronati, membre de nombreuses loges d’études des États-Unis et de la Villard de Honnecourt de France. Frederick Smith, un autre franc-maçon ayant suivi la trajectoire de H. Carr, c’est-à-dire de la Tradition Maçonnique exprimée parfaitement et justement par les travaux de la Loge Quatuor Coronati, fut chargé de la révision de cette septième édition.

     

    THE EARLY FRENCH EXPOSURES (1737-1751). In-quarto de 488 pages. Editor H. Carr. Reimpr. Kessinger Publ., Kila MT (USA).

     

    Comme son titre l’indique, cette compilation de documents précoces nous offre un tableau assez intéressant sur la maçonnerie française de l’époque et ses origines, qui a influencé la maçonnerie d’autres parties d’Europe.

     

    Ainsi que nous l’avons fait dans des cas précédents, nous donnerons la liste complète des textes sélectionnés avec tant de discernement par Harry Carr, qui est aussi l’auteur des introductions, commentaires et notes, non sans souligner auparavant certains titres comme le « Catéchisme des (Francs-)Maçons », consacré au beau sexe et publié avec licence et approbation du Roi Salomon, 1440 ans après le Déluge. Ou aussi « La Franc-Maçonne (ou Maçonne), ou la Révélation des Mystères des Maçons », de Madame X, publié en 1744 à Bruxelles ; ou alors « Le Maçon Démasqué » ou encore « Le Véritable Secret des (Francs-)Maçons », édité à Londres, en français, en 1751. Cela sans mentionner la beauté du « Secret des (Francs-)Maçons », avec une collection de chants précédée de quelques poésies, datant de 1744 et signé par l’Abbé G. Calabre. Ce sont là de véritables joyaux pour tous ceux qui s’intéressent à la Maçonnerie et à son histoire, et joliment illustrés par des planches de l’époque ainsi que les gravures originales des œuvres et leurs couvertures, et, bien entendu, leur fiche bibliographique et leur localisation pour être consultées. Certains de ces textes ont été publiés en français : Le Parfait maçon. Les débuts de la maçonnerie française 1736-1748, (anthologie de J. Coutura. Publ. de l'Université de Saint-Etienne, 1994). Index français : Réception d'un Frey-Maçon (1737); La Réception Mystérieuse (1738); Le Secret des Francs-Maçons (1744); Catéchisme des Francs-Maçons (1744); La Franc-Maçonne (1744); Le Parfait Maçon (1744); Le Sceau Rompu (1745); L'Ordre des Francs-Maçons Trahi (1745); Les Francs-Maçons Ecrasés (1747); La Désolation des Entrepreneurs Modernes du Temple de Jerusalem (1747); L'Anti-Maçon (1748); Le Maçon Démasqué (1751).

     

    THE COLLECTED PRESTONIAN LECTURES 1975­1987. Quatuor Coronati Lodge. Lewis Masonic, Shepperton, Grande Bretagne 1988. 304 pages.

     

    C’est là le troisième volume ­il en existe deux autres : 1924-1960 et 1961-1974­ et le plus récent, recueillant ces conférences d’une grande valeur, qui se reproduisent chaque année sous l’égide de la Grande Loge d’Angleterre.

     

    Beaucoup de ces travaux ont été publiés dans la revue Ars Quatuor Coronatorum. Le contenu est le suivant : T. Beck: Anthony Sayer. Gentleman: The Truth at Last; Brig. A. C. F. Jackson: Preston's England; R. A. Wells: The Tyler or Outer Guard; C. Mackechnie-Jarvis: Grand Stewards 1728-1978; G. E. Walker: 250 Years of Masonry in India; F. J. Cooper: Robert Freke Gould; C. N. Batham: The Grand Lodge of England According to the Old Institutions; Sir James Stubbs: The Government of the Craft; R. H. S. Rottenbury: The Pre­Eminence of The Great Architect in Freemasonry; H. Mendoza: Getting and Giving masonic Knowledge; S. Bruce: '...not only Ancient but useful and necessary Officers..." The Deacons; W. McLeod: The Old Charges; C. Gotch: The Role of the Innkeeper in Masonry.

     

    THE HISTORY OF THE FIRST 100 YEARS OF QUATUOR CORONATI LODGE. C. Dyer. Quatuor C. Correspondence Circle. 64 pp.

     

    1986 vit le centenaire de la Loge Quatuor Coronati nº 2076. Colin Dyer, intimement lié à cette Loge d’Études anglaise qui est exemplaire pour le maintien des us et coutumes maçonniques, ses investigations historiques sur l’Ordre, et la démythification dont elle a été l’objet au moyen d’études d’une ample perspective intellectuelle et de grande érudition, nous narre succinctement les origines et le développement de cette Loge jusqu’en 1986, et toujours en activité de nos jours, en 60 pages d’informations utiles à plus d’un aspect.

     

    THE THREE DISTINCT KNOCKS. JACHIN AND BOAZ. 71 et 56 pages, respectivement. Réimpression des premières éditions. Kessinger Publ., Kila MT (USA).

     

    Ces deux textes en rapport étroit et complémentaires dans quelques-uns de leurs détails (par exemple, le premier comprend la graphie des mots hébreux, et l’autre non ), furent publiés en 1986 par A. C. F. Jackson, dans son English Masonic Exposures.

     

    Fait curieux, à la fin de The Three distinct Knocks (Les Trois coups Distincts) figurent quelques courts textes qui pourraient bien être jugés antimaçonniques. De fait, Jachin & Boaz rectifie en n’incluant pas ces textes et en présentant le mode de reconnaissance à la porte de la Loge non pas comme un moyen d’entrer sans avoir été initié, mais comme une instruction pour les frères étrangers.

     

    Les deux catéchismes furent publiés à Londres, en 1760 et 1762, respectivement.

     

    ILLUSTRATED DICTIONARY OF HISTORIC ARCHITECTURE. Edited by Cyril M. Harris. Dover Books on Architecture, New York 1977. 582 pages.

     

    Cette excellente encyclopédie illustrée sur l’architecture et la construction en général, possède plus de 5.000 entrées claires et instructives illustrées par 2.100 dessins, d’excellente facture, nets et à la plume, qui aident à la compréhension de beaucoup de termes d’architecture, de tout temps et tout pays ­et c’est là l’un des plus grands mérites de cette œuvre­ comprenant des styles aussi éloignés que le gothique, le chinois, l’hindou ou le méso-américain, et se conjuguant avec les formes modernes de construction. De nombreux architectes américains, provenant de plusieurs universités et experts dans divers domaines, ont contribué au succès de ce dictionnaire qui est un véritable guide, y compris à plus d’un aspect symbolique, bien que l’intention des auteurs et du compilateur n’ait pas été telle, si ce n’est pour la valeur intrinsèque et exemplaire se rattachant à tout se qui se rapporte à l’architecture et à la construction.

     

    Il faut également souligner que, pour chacun des thèmes illustrés, l’on a non seulement choisi le dessin approprié, mais aussi sa plus belle exécution, détail que le compilateur a constamment soigné et qui place son ouvrage dans la catégorie des « livres d’art » et le rend donc apte pour un public plus vaste que celui des architectes, ou des maçons.

     

    DES TEMPLIERS AUX FRANCMAÇONS: LA TRANSMISSION DU MYSTERE. [THE TEMPLE AND THE LODGE]. Michel Baigent et Richard Leigh. Ed. du Rocher, Monaco 1991. 382 pages.

     

    Les auteurs étudient dans ce livre les grandes familles fondatrices d’Écosse, comme les Montgomery, les Hamilton, les Seaton, etc., particulièrement les Sinclair (Saint-Claire pour la branche française), et bien entendu les Stuart, héritiers de Robert Bruce, rois d’Écosse et d’Angleterre, concrètement dans leurs relations avec l’Ordre des Templiers et la Franc-Maçonnerie ou avec l’ésotérisme en général, des deux côtés de la Manche.

     

    Si la documentation historique est, dans la plupart des cas, rigoureuse, les auteurs n’ont pas voulu s’y laisser enfermer et ne se sont pas limités à une surabondance de données, sinon qu’ils ont allégé leurs informations de telle manière que le livre est particulièrement amène et distrayant, ce qui laisse deviner son origine en tant qu’œuvre artistique, écrite initialement pour la télévision (la B.B.C. britannique) en exploitant pour une grande part le paysage écossais ; il y a des moments où l’on peut même suivre l’action historique avec du suspense, au point de rappeler inconsciemment Frances Yates, souvent citée par les auteurs dans certaines parties de l’ouvrage.

     

    Dans la partie consacrée à la Maçonnerie aux États-Unis, l’attention est attirée par le fait que ne soient mentionnés comme Maçons avérés que neuf membres, et dix pouvant l’être, parmi les signataires de la Constitution, évoqués dans la liste publiée en 1937 par la Masonic Service Association de Washington, dans The Constitution and Free Masonry.

     

    ECRITS MAÇONNIQUES DE JOSEPH DE MAISTRE et de quelques-uns de ses amis francs-maçons. Édition critique de J. Rebotton. Ed. Slatkine, Genève, 1983. 150 pages.

     

    La personnalité du comte Joseph de Maistre a joui d’une grande considération en France jusqu’à nos jours, cette édition de quelques-uns de ses textes en rapport avec la Maçonnerie en est la preuve. Il nous semble que la valeur de l’œuvre de de Maistre prend toute son importance si on l’observe d’un point de vue historique, et aussi littéraire, rappelons-nous Les soirées de St. Petersbourg. Dans une perspective initiatique, c’est-à-dire maçonnique, l’on peut remarquer que l’auteur, en dépit de son initiation à Lyon dans une loge prestigieuse, directement influencée par Martínez de Pascually et Willermoz, ne parvient finalement pas à identifier le Grand Architecte de l’Univers comme le Dieu de sa foi catholique, et choisit la religion au détriment de la cosmogonie et de la métaphysique, comme le révèle sa note de la page 141 de ce volume, datée de cinq ans avant sa mort, que nous reproduisons ici :

     

    « Je consacrai jadis beaucoup de temps à connoitre ces messieurs. Je fréquentai leurs assemblées; j'allai à Lyon pour les voir de plus près; je conservai une certaine correspondance avec quelques uns de leurs principaux personnages. Mais j'en suis demeuré à l'église catholique, apostolique et romaine; non cependant sans avoir acquis une foule d'idées dont j'ai fait mon profit. »

     

    Comme l’on sait, le catholique Joseph de Maistre eut une vie politique agitée et aussi des agissements maçonniques, ces textes le prouvent; si Joseph de Maistre n’avait pas toujours été précédé de sa réputation de « génie », de « prince des lettres » ou « d’essayiste brillant », il serait peut-être plus connu aujourd’hui et il serait plus facile à confronter. Cette édition critique a été réalisée par Jean Rebotton et contient un texte fondamental dans l’ensemble de l’œuvre de de Maistre : Mémoire sur la Franc­Maçonnerie, dédiée au baron Vignet des Etoles.

     

    JOSEPH DE MAISTRE, FRANC-MAÇON. Suivie de quelques Pièces inédites. Paul Vulliaud. Ed. Archè, Milano 1990. 272 pages.

     

    Dans l’introduction du livre précédent, Antoine Faivre accuse Paul Vulliaud d’étroitesse d’esprit en ce qui concerne de Maistre. Il n’a pas tort, bien que la justice oblige à reconnaître également le mérite de ce livre très intéressant, comme tous ceux de Vulliaud, et qui touche de nombreux points névralgiques de l’œuvre, et surtout de la personne publique de celui qu’on appelait le « théosophe de Chambéry » qui, on ne sait par quelle confluence d’intérêts et de hasards, fut choisi comme champion, ou comme exemple, d’on ne sait combien de causes, beaucoup étant complètement opposées, qui perdurent encore en France de façon intestine.

     

    EUCLIDES. ELEMENTOS. 2 vols: Libros I­IV y V­IX. Introduction de Luis Vega. Traduction et notes de Mª. L.ª Puértolas Castaño. Ed. Gredos, Madrid 1991. 368 y 242 pages.

     

    Dans les Constitutions d’Anderson, tout comme dans d’autres documents maçonniques anciens, il est directement fait référence à Euclide comme le grand inspirateur de la Science Maçonnique, interchangeable avec Pythagore. Anderson lui-même les assimile tous deux en nous y indiquant que le célèbre théorème de Pythagore est la proposition numéro 47 d’Euclide.

     

    En tant que personnage historique, l’on sait que ce prototype du Géomètre était le contemporain de l’instaurateur de la dynastie ptolémaïque, Ptolémée Sôtêr (367/6-283), et qu’il établit à Alexandrie une école importante. Celles de ses œuvres que l’on possède, selon l’auteur de la préface, sont les Éléments et les Données ; l’on a des recensions de : Phénomènes (astronomie basée sur la géométrie sphérique, d’où la sphère armillaire, et où l’on « introduit une notion absolue d’horizon face au sens relatif que possédait auparavant horidson chez Aristote et Autolique ») ; Optique (« de la perspective et la vision directe », où se trouve comprise l’affirmation de la propagation rectiligne de la lumière, qui apparaît ici pour la première fois et qui est une caractéristique euclidienne) ; il existe une version arabe de Sur les divisions de figures ; se sont perdus Porismas (« semble-t-il des questions de mathématiques supérieures d’un genre et d’une portée» que l’on est pas aujourd’hui « en mesure de préciser ») ; Des coniques (quatre livres, semblerait-il) ; Des superficies (deux livres qui « étudiaient les cônes, les cylindres, les sphères et probablement d’autres constructions sur les superficies de solides en révolution ») ; il existe des indices d’Éléments de musique (Proclus, Marino).

     

    Dans cette édition, dans la proposition 47 déjà citée, à la quatrième ligne de la page 261, il est dit « par le (point) A l’on trace une parallèle AD... » ; l’on doit dire « ... parallèle AL », ce qui devient notoire si l’on suit les explications graphiques de la même page. Comme on le sait bien, cette proposition est fondamentale pour l’ésotérisme et la Science de la Construction.

     

    L’étude de beaucoup de ces Éléments d’Euclide a été suggérée, en tant qu’exercices mentaux et instruments opératoires, à plusieurs générations de Francs-Maçons.

     

    VITRUVE: DE L'ARCHITECTURE. 10 tomes. Textes établis, traduits et commentés par divers auteurs. Ed. Les Belles Lettres, Paris.

     

    Dans l’œuvre de cet auteur, il n’y a apparemment pas de références ésotériques, bien qu’il commence dès le début à considérer l’Architecture du point de vue de l’architecte, ce qui ne laisse pas d’être intéressant. L’on remarque d’autre part que ce traité est une mise en ordre de différents thèmes suivant une organisation logique en vue de son application pratique, comme les chemins, l’ingénierie et les lois romaines. Il serait également possible que la figure de Vitruve soit prise comme un « prototype » d’architecte, et le style « romain » auquel Anderson recours si souvent, comme une référence à un Hermétisme et un artisanat « païen », antérieur au gothique ­et même au roman­ indéfectibles du christianisme et du Moyen Âge.

     

    Afin de satisfaire la légitime curiosité de qui, maçon ou pas, s’intéresse à ce thème, nous signalerons l’édition de Les Belles Lettres qui, postérieure à ce compte-rendu, a été publiée en espagnol aux Éditions Iberia de Barcelona et Alianza Ed. de Madrid. Nous avons sélectionné ces deux citations, parmi les plus représentatives de l’œuvre de Vitruve : (Livre I, chapitre I, 3) « En effet dans tous les domaines et surtout en architecture il y a ces deux aspects : ce qui est signifié et ce qui signifie. Ce qui est signifié c'est le projet duquel on parle ; ce qui le signifie c'est une présentation développée selon les méthodes scientifiques. Ainsi apparaît-il que celui qui se veut architecte doit être exercé sur l'un et l'autre aspect. C'est pourquoi aussi il faut qu'il soit doué et disposé à acquérir un savoir ; en effet des dons sans savoir ou un savoir sans dons ne peuvent produire un professionnel accompli. Il faut qu'il soit lettré, expert en dessin, savant en géométrie, qu'il connaisse un assez grand nombre d'oeuvres historiques, qu'il ait écouté avec attention les philosophes, qu'il sache la musique, qu'il ne soit pas ignorant en médecine, qu'il connaisse la jurisprudence, qu'il ait des connaissances en astronomie et sur le système céleste ». (Livre III, chapitre I, 9) « Si l'on admet donc que le système numérique a été déduit des articulations humaines, et qu'il existe une corrélation proportionnelle fondée sur une unité déterminée entre les membres pris isolément et l'aspect général du corps, il s'ensuit que nous devons admirer ceux qui, même en établissant les règles de la construction des temples des dieux immortels, ont organisé leurs éléments d'une manière telle que, par le jeu des proportions et des relations modulaires, leurs divisions, considérées séparément ou globalement, fussent en harmonie. »

     

    MAÇONNERIE FEMININE ET LOGES ACADEMIQUES. René Le Forestier. Ed. Archè, Milano 1979. 254 pages.

     

    René Le Forestier est l’auteur de La Franc­Maçonnerie occultiste et templière aux XVIIIème et XIXème siècles, Paris, Aubier Nauwelaerts, 1970. Avec Maçonnerie féminine et Loges académiques, ces travaux constituent son plus grand apport aux études historiques maçonniques. Dans cet ouvrage, édité pour la première fois par A. Faivre, c’est la première partie, consacrée à la maçonnerie féminine, qui nous intéresse, bien que la seconde, qui porte sur les loges académiques, et spécialement sur la célèbre Neuf Soeurs qui fut si importante, surtout en ce qui concerne les républiques américaines, et à laquelle participent également des dames, est d’un intérêt évident.

     

    Quant aux loges de femmes proprement dites, ce sont en particulier les mouvements surgis au XVIIIe siècle qui sont étudiés ici, et l’éclosion de nombreux ateliers directement liés à l’Ordre. C’est un vaste sujet, qui comprend depuis les loges dites d’Adoption ­généralement rattachées aux francs-maçons masculins auxquels elles étaient plus ou moins apparentées (épouses, sœurs, filles, etc.)­, les loges appelées androgynes (mixtes) ou d’autres aussi curieuses que celle des Mopses (qui utilisaient l’image d’un petit chien comme symbole de la fidélité à l’Ordre et aux membres de l’Atelier en général), etc.

     

    L’ensemble de ces textes s’avère très valable et permet de suivre une série de développements et de pénétrer dans des voies tortueuses et de riches paradoxes, scènes où défile en procession la totalité du pouvoir et de la noblesse de son temps, aussi bien à Paris que dans province la plus éloignée. Ainsi que le déclare Le Forestier, « les explorateurs des archives maçonniques ont trouvé des traces laissées, dans presque toutes les régions du royaume (France), par des Loges d'Adoption. » (Voir la « note annexe » de notre article "Tradición Hermética y Masonería", SYMBOLOS Nº 13-14, 1997, p. 60).

     

    Il faut savoir que les Loges d’Adoption étaient toujours rattachées aux Loges maçonniques masculines : ceci établit une nette différence entre la « Maçonnerie d’Adoption » et les loges féminines actuelles, dont les grades sont équivalents à ceux des loges masculines.

     

    LA FRANC­MAÇONNERIE ANGLO­SAXONNE ET LES FEMMES. Andrée Buisine. Guy Trédaniel Ed., Paris 1995. 336 pages.

     

    L’on peut se rendre compte, à travers ce livre, de l’importance que posséderait une franc-maçonnerie féminine latine et américaine au XXIe siècle, tout elle l’eut en son temps au XVIIIe siècle, surtout à présent, où la situation des loges féminines aux États-Unis est en plein changement et que la misogynie attribuée à la Maçonnerie anglaise (sans aucun doute influencée par les clubs masculins) touche à sa fin en vue de la coopération active de la femme à tous les niveaux de la réalité, à commencer par son propre travail sur elle-même, à la lumière de sa propre féminité. Ainsi, certains personnages féminins anglo-saxons des XIXe et XXe siècles ont non seulement travaillé au sein de la Tradition Hermétique, ou de disciplines plus ou moins apparentées, mais aussi dans le domaine des sociétés ésotériques ­secrètes, ou discrètes­, dont l’Ordre maçonnique lui-même (par exemple, Aimée Bothwell­Gosse (1866-1954) et Marjorie Debenham (1893-1990), respectivement fondatrice et successeur de la revue en langue anglaise The Speculative Mason). Inutile de préciser que ces liens furent aussi créés par Madame Blavatsky et la Société Théosophique dont elle fut la fondatrice et qui fut si utile à la divulgation massive de certains concepts, encore que faussés dans leurs racines les plus profondes et traditionnelles par leur rattachement à certaines façon de voir et de connaître aux possibilités intrinsèques extrêmement limitées, au risque de les dénaturer, ce qui fut souvent le cas, atteignant parfois même le mensonge et la falsification de critères et de doctrines jadis lumineuses et connexes avec les Principes Universels.

     

    Il faut spécialement souligner que ce livre provient d’une thèse de maîtrise réalisée sous la direction de Daniel Ligou, et que l’auteur ne cache pas sa filiation maçonnique.

     

    C’est une œuvre que nous recommandons chaudement à nos sœurs et amies, franc-maçonnes ou non, qui ont toujours entouré SYMBOLOS ­tout en organisant leurs loges­, certaines d’entre elles ayant publié leurs articles dès les débuts de notre revue ; nous fondons de grands espoirs dans le travail des ateliers féminins qui se montent et dont nous avons eu vent directement ou indirectement. Nos éditoriaux demeurent ouverts à nos collaboratrices pour leurs travaux symboliques, maçonniques ou hermétiques.

     

    BIBLIOTHÈQUE ARUS. Pg. de Sant Joan, 26.08010 Barcelone. Espagne.

     

    C’est la première bibliothèque publique de la ville, édifiée grâce à la donation (d’immeuble, de capital et de fonds) de Rossend Arús i Arderiu, qui fut également coauteur et promoteur du Diccionario Enciclopédico de la Masonería. Les exécuteurs testamentaires furent : l’écrivain et homme politique Valentí Almirall, qui sélectionna les 20.000 volumes des débuts ­auxquels vinrent s’ajouter les 4000 de la bibliothèque privée d’Arús qui comprenait un fond maçonnique de valeur composé d’œuvres d’ordre interne­ et l’associé du philanthrope barcelonais, Antoni Farnés ; l’architecte fut Bonaventura Basssegoda i Amigó, et beaucoup de professionnels et d’artistes de renom participèrent au projet : Josep Lluís Pellicer, dessinateur et peintre, chargé de la décoration, le sculpteur Manuel Fuxà, le bronzier italien Luigi Razzanti, l’ébéniste Joan Sunyol, le marbrier Lluís Nogués. Pour se faire une idée de ce que cela représentait en son temps, il suffit de savoir qu’un cortège de représentants de plus de cent cinquante entités et associations, non seulement politiques mais aussi scientifiques, artistiques, ouvrières et récréatives, participa en mars 1895 à son inauguration. Dans le salon de musique, des partitions et des instruments étaient à la disposition des visiteurs. Les archives de documents maçonniques provenant de la bibliothèque privée de R. Arús, qui fut Grand Maître de la Grande Loge Symbolique Régionale Catalano-Baléare, comprennent des ouvrages espagnols, étrangers, et surtout latino-américains, grâce aux contacts étroits que cette Obédience avait avec des Loges américaines, en particulier avec celles de Cuba. Il semblerait que l’on n’ait pas conservé toute la décoration et le mobilier originaux, mais la bibliothèque est cependant parfaitement restaurée et peut offrir, dans ses plus belles salles, des conférences publiques sur des thèmes sociaux et maçonniques.

     

    CENTRE D’ÉTUDES DE SYMBOLIQUE DE BARCELONE

     

    Dans le cadre extraordinaire de la Bibliothèque Arús et en association avec elle, le Centre réalisa, en mars et avril 1999, un stage intitulé « Le Symbolisme Maçonnique ». Francisco Arisa, collaborateur régulier de SYMBOLOS et directeur de la page web El Taller: Revista de Estudios Masónicos (l’Atelier : Revue d’Études Maçonniques) conduisit ce cycle auquel assistèrent plus de quarante personnes. Le même auteur, conjointement avec Josep María Gràcia, également collaborateur de notre publication et directeur de la page Internet R.E.A. (Revue d’Études Architectoniques) fit la présentation de l’exposition de peintures de Dore G. intitulée « Symbolisme de la Franc-Maçonnerie », à la galerie de ACEA (Cf. « Maçonnerie, les symboles en tant que transmetteurs d’idées et de valeurs universelles », Magazine d’Art, nº 1, automne 1998).

     

    LIVRES ET REVUES REÇUS:

     

    LA MASONERÍA. Política y sociedades secretas. Emilio J. Corbière. Ed. Sudamericana, Buenos Aires 1998, 3ª ed. 395 pp.

     

    C’est peut-être la publication en langue espagnole la plus importante consacrée à la Maçonnerie en général, et à la Maçonnerie sud-américaine en particulier, spécialement celle d’Argentine. Emilio J.Corbière, avocat et professeur universitaire, est non seulement historien, mais a également exercé le journalisme durant de nombreuses années. Il fut rédacteur en chef de la revue Todo es Historia et rédacteur des quotidiens La Opinión, La Nación, Sur, etc. Il possédait aussi ses colonnes dans les revues Primera Plana, Confirmado, etc. Il appartient à la Société Scientifique Argentine et à l’Association Argentine de Philosophie du Droit, et il est actuellement haut fonctionnaire de la Bibliothèque du Congrès de Buenos Aires. Ce travail, qui se verra augmenté d’un autre tome, est remarquable non seulement pour la clarté des idées, mais aussi pour l’amplitude des informations. L’historiographie ne traite généralement pas le sujet de la Franc-Maçonnerie, que l’auteur aborde avec esprit d’entreprise et rigueur scientifique. Cela représente une contribution très importante pour nous francs-maçons, et même pour ceux qui, sans l’être, s’intéressent aux problèmes de l’Ordre maçonnique et à ses liens avec les républiques américaines. Ce livre est en outre enrichi d’un appendice documentaire qui, comme tout ce travail, ne mérite que des éloges, ce que confirme la publication de trois éditions en moins d’un an.

     

    SIMBOLO. Masonería. Revista de cultura y opinión. Grande Loge d’Argentine de Maçons Libres et Acceptés. Directeur : Eduardo A. Vaccaro, Président de la Grande Loge. Teniente Gral. Juan Domingo Perón (ex Cangallo) 1242, CP 1038 Buenos Aires, Argentina. À partir du Nº 53 (août-septembre 1994), année XLVII, jusqu’au Nº 66 (avril-mai 1999), année LII (5e époque), plusieurs numéros. De 32 à 48 pages.

     

    « Simbolo est une revue maçonnique consacrée à l’analyse de la réalité de notre temps et à la diffusion d’aspects de la tradition franc-maçonne. C’est une tribune pour la liberté de penser, opposée à tout dogme et toute autocratie. L’on y encourage l’auto-réflexion sur les thèmes de la culture et de la vie, avec un regard humaniste et fraternel. » Ainsi se définit elle-même cette publication fondée en 1857, qui est passée par plusieurs époques. Complétons la description en signalant la présence d’une sélection de divers symboles maçonniques alimentant chaque exemplaire. D’après les numéros que nous en possédons, l’on peut apprécier l’évolution de la revue qui a atteint une plus grande universalité.

     

    MAGISTER. Temas de Masonería. Loge d’Argentine de Maçons Libres et Acceptés. Directeur : Eduardo A. Vaccaro, Grand Maître. 26 pages. Volume 1, de Nº 1, mai 1998, à Nº 3, mars 1999.

     

    « Magister est une publication de Editorial Símbolo et est destinée à promouvoir et diffuser des travaux maçonniques entre les frères d’Obédience. Sa circulation est limitée au cercle de l’institution. » Magister, dont les destinataires sont exclusivement les Frères de l’Ordre, « est une convocation afin que tous les Frères présentent des idées et des apports destinés à augmenter la connaissance et le développement de notre art, élevé et difficile. Leur finalité essentielle est précisément de contribuer à la diffusion de la culture maçonnique par l’enseignement, contribuant au travail intime et à la manifestation intellectuelle de tous les francs-maçons argentins. » Ces brefs bulletins sont un condensé de symbolisme et d’idées claires dans plusieurs directions, et les textes s’accompagnent de bibliographies et d’illustrations choisies. Il y a infiniment plus de sagesse, de maturité et d’expérience dans ces quelques pages que dans bien des « pavés » sur le sujet.

     

    EL MARTINISMO TRADICIONAL. Historia, Doctrinas, Teurgia. Jorge Francisco Ferro. Ed. Triregnvm, Bs. Aires, 1991. 88 pages.

     

    Une histoire de la Maçonnerie claire et concise, que l’auteur prolonge jusqu’à Martinez de Pascually et Claude de Saint-Martin, remontant aux sources opératives.

     

    LOS TEMPLARIOS. Martirio y Misterio. Jorge Francisco Ferro. Ed. Triregnvm, Buenos Aires 1990. 116 pages.

     

    Un ouvrage intéressant du remarquable historien et investigateur argentin.

     

    SANT JOAN I BARRES. Porte-voix du Grand Orient de Catalogne. Nº 1, été 1999. Nouvelles du G.O.C. - Joan Ventosa i Roig - Le Solstice d’Été - Les Arts Libéraux - Livres commentés - Web maçonniques. 26 pages.

     

    Diccionari Breu de Terminologia Maçonica. Rosa Roger i Moreno en collaboration avec Victor Pallàrs. La Busca Eds., Barcelone, 1999. 126 pages.

     

    CHAPITRE X

    AUTRES COURANTS, PENSÉES ET ŒUVRES

     

    AVALOKA. A Journal of Traditional Religion and Culture, 249 Maynard N. W., Grand Rapids, MI 49504, U.S.A.

     

    L’éloignement qui existe entre l’ésotérisme anglais et l’ésotérisme français est proverbial, comme celui qui les sépare tous deux de l’allemand et qui a affecté, en général, les diverses langues européennes durant ces derniers siècles ­ce qui n’était pas arrivé au Moyen Âge et à la Renaissance­ au point que de nombreux ouvrages d’auteurs français ne sont pas connus en anglais et vice versa. Il y a eu, évidemment, bien des raisons, historiques ou autres, pour que se donne cet état de fait, parmi lesquelles il faut souligner l’abandon du latin comme langue culte et « franche » qui fut, durant des siècles, le langage de transmission des secrets et des vérités de la Philosophie et de la Cosmogonie Pérenne. Cette situation a perduré jusqu’à nos jours, et ce n’est qu’assez récemment que s’est établi un courant de flux d’énergies entre les différents pays d’Occident (et principalement entre ce dernier et l’Orient), par le biais de traductions, publications, conférences, et autres, de divers auteurs, inspirés par l’ésotérisme de tous temps et initiés dans différentes formes traditionnelles vivantes et authentiques. La revue américaine AVALOKA s’inscrit dans cette perspective de diffusion du message et des enseignements traditionnels, à un fort bon niveau, aussi bien en ce qui concerne ses propres collaborateurs que les traductions de Guénon ou de Burckhardt jusqu’alors inédites en anglais, ou encore les articles de Coomaraswamy et autres auteurs ne se trouvant pas encore regroupés en volumes. Les remises d’AVALOKA offrent ­le volume V est paru­ un matériel de grande valeur ; l’on peut remarquer parmi les collaborations celles du directeur lui-même, Arthur Versluis, ainsi que celles de James Cowan, Eido Shimano, Robert Aitken, Masao Abe, David Fideler ou autres, étant toutes de haut niveau et faisant preuve d’une grande érudition. Dans les prochains numéros, nous reviendrons sur cette revue qui sort aux solstices, et se publie aux États-Unis, en anglais.

     

    AVALOKA. Année 1992. Réimpression de textes d’auteurs traditionnels. Livres et Informations.

     

    Dans les grandes lignes, le directeur Arthur Versluis regroupe dans ce numéro des travaux qui traitent d’une voie de réalisation de type religieux, concrètement le christianisme, et signe un écho sur la Chevalerie. Remarquons également l’artcile de Hugh Urban sur l’imaginaire, chapeauté par une citation de William Blake.

     

    LA PLACE ROYAL: Histoire, Culture & Tradition. Mensuel, No. 27. Adresse: La Reynerie 47230, LAVARDAC, FRANCE. Sommaire: Editorial; Luc-Olivier d’Algange: Critique Du Regne De Demos; Hervé Boitel: Le Portugal Reviste; Philippe Barthelet: De la Superstition; Jean-Pierre Hausermann: Nouvelles D’Alsace; Henry Montaigu: Journal de Galére; Frédéric Luz: La Gazette De Cyrano.

     

    Dans le numéro 28-29 de juin-juillet 1992, se trouve une information sur le numéro 3 de SYMBOLOS que signe le directeur de la publication, Monsieur Frédéric Luz, qui n’hésite pas à qualifier notre revue « d’excellente ». Nous sommes reconnaissants de cet adjectif car nous considérons très important ­à plus d’un titre­ le travail de cette entité nommée « La Place Royal », que préside Monsieur Henry Montaigu et dont des collaborateurs de valeur constituent le corps, malgré notre éloignement de toute « politique ». Nous y reviendrons.

     

    Nº 31 de septembre-octobre 1992. Dans notre précédent numéro, nous examinions ce media que dirige Frédéric Luz en étroite collaboration avec Henry Montaigu dont les chroniques, notes, poèmes (et aussi gravures, croyons-nous) occupaient une grande part de la revue. Dans le nº 31, Monsieur Luz nous annonce le décès de Monsieur Montaigu, qui laisse cependant une œuvre derrière lui. Nous présentons à LA PLACE ROYAL nos plus sincères condoléances pour la douloureuse perte de son collaborateur.

     

    Nº 32. Janvier-février-mars 1994. Nouvelle adresse: B.P. 88, 81603 GAILLAC. Cedex. France. Nous nous réjouissons de la réapparition de cette revue qui, depuis la mort de son fondateur, Monsieur Henry Montaigu, il y a un an et demi, reprend la bataille sur le champ culturel et littéraire ésotérique, ainsi que sur l’œuvre de René Guénon. Elle est à présent dirigée par Frédéric Luz, son ancien rédacteur en chef, et ce numéro 32 porte en toute logique sur l’œuvre et les idées d’Henry Montaigu. Rien que cela constitue une étude intéressante, car le point de vue du directeur disparu, qui comprend une critique de la vaste littérature française et de l’histoire du pays et de ses institutions, ainsi que de la culture en général, est la raison d’être de cette revue qui porte déjà un titre significatif. Il s’agit d’un lieu, d’un espace analogue à la cité céleste (Christianopolis, par exemple), dont la projection devrait être la cité des hommes. Mais ce n’est pas là une utopie comme l’on pourrait le croire, selon le sens donné aujourd’hui à ce terme. Il s’agit au contraire d’un espace, une ville, un archétypique château d’images, un véritable règne, et la preuve en est que la structure de cette entité n’a pas disparu avec la mort physique de celui qui l’a conçue dans l’imaginaire, sinon qu’elle se projette encore dans notre milieu, et demeure vive et polémique, comme en témoigne un article de Frédéric Luz qui donne quelques détails sur la conduite intellectuelle et les manigances du « théologien » Jean Borella dans la revue Connaissance des Religions, qui s’ajoute à d’autres critiques sur cet écrivain. Y ont également collaboré Luc-Oliver d'Algange, Philippe Barthelet, Hervé Boitel, Christophe Levalois, Philippe de Saint Robert y Eric Vatré.

     

    DEUX GROUPES ÉSOTÉRIQUES CHRÉTIENS

     

    Nos lecteurs pourront connaître, au travers de leurs publications, deux groupes ésotériques chrétiens ­et qui se reconnaissent comme tels­ sans aucun rapport l’un avec l’autre, pour autant que nous sachions, à l’exception, bien sûr, de leur concordance dans l’ésotérisme chrétien. Voici leurs dernières publications :

     

     

    LA PLACE ROYAL Nº 37: "LA GNOSE CHRETIENNE". B. P. 88 - 81603 GAILLAC cedex. FRANCE. Octobre 1996. Dirigée par Frédéric Luz. 176 pages. Il faut souligner l’excellente présentation, rénovée, de ce media qui a entamé une nouvelle étape.

    Editorial: Frédéric Luz; Notes sur la Gnose chrétienne: Luc-Olivier d'Algange; Les gnosimaques: extrait du Dictionnaire de Théologie de M. l'Abbé Bergier, 1829; Gnose chrétienne et gnose anti-chrétienne: Prof. Jean Borella; Jean et Marie: Mr. Ollier (1608-1657); Les Clefs de la Gnose: Jérôme Rousse-Lacordaire o. p.; Sermon sur la résignation intérieure: Jean Tauler; L'Homme intérieur ou la nostalgie du Haut-Pays: Luc-Olivier d'Algange; Le Gnostique de saint Clément d'Alexandrie, de Fénelon; Mise au point sur la confrérie du Paraclet: De la fraternité del Chevaliers du Divin Paraclet (Statuts du xvi siècle), Réformation de la Règle des Chevaliers du Paraclet du Maistre Jean de Thionville, 1668; La confrérie de l'Ordre du Très Saint Paraclet et de la Mère de Dieu; L'Eternité s'éveille, préface à "Opéra doré" de Henry Montaigu: Luc-Olivier d'Algange; Opéra Doré, Oratorio sur la fin des temps: Henry Montaigu.

     

    SOL NEGRO (Soleil Noir) Revista de principios y fines. Apartado 171 de Alhama de Murcia, España. Directeur : Emilio Saura.

     

    Nº 3. 1996. Paraît tous les quatre mois. Sommaire : Editorial. Buzón del lector. Guía de Perplejos: Consideraciones sobre el qué, el por qué y el para qué de la enfermedad, M. J. Martínez Albarracín; Homeopatía y filosofía, J. Antonio Antón Pacheco; ¿Tú o usted?, I. Garrido; La bóveda celeste, un mito que perdura, J. López Monje. Comentarios de nuestro tiempo: Rebuscando en la historia, E. Ruiz Castillo; Red de redes, J. Sevilla García; Sobre el éxito de "El mundo de Sofía", A. Martínez Belchí. Archetypica: Simbología; Aspectos qabalísticos de Éxodo 3,1-14, Emilio Saura; Notas sobre el Yi-king, Janus; Notas astrológicas sobre el Concilio Vaticano II, Janus. Literatura, música y artes: Poemas, F. Martínes Albarracín, J. R. Barat; Hombre que mira el mar, J. V. Sánchez; Consideraciones líricas sobre nuestro Siglo de Oro, J. R. Barat; Doce coplillas de intenso amor, J. Cánovas Martínez. Biblioteca del Sol Negro.

     

    Nº 4. 1996. Sommaire : Editorial. Buzón del lector. Guía de Perplejos: La mujer como persona en los Evangelios, M. Moreno Villa; ¿Todo es uno?, F. Martínez Albarracín. Comentarios de nuestro tiempo: Nuevas perspectivas sobre el fenómeno "ovni", E. Saura; Comentarios de Marta; Y los sueños sueños son, M. Garrido; Astrología y Libertad, A. Martínez Belchí. Archetypica: Simbolismo de la Cruz; Notas qabalisticas, Emilio Saura; Geografía Sagrada, Janus. Literatura, música y artes: El silencio de Dios, P. Ballesta; En el cementerio de Bruckner, J. P. Sánchez. Psicología y formas de vida: Lejos del mundanal, José Fuentes Blanc; A propósito de "violencia y ternura" de Rof Carballo, E. Ruiz Castillo. Biblioteca del Sol Negro.

     

    Textes brefs et précis, fruits d’un travail de synthèse. Porte sur des sujets divers, plus ou moins bons, mais tendant tous vers la connaissance, exprimée de manière fraîche et franche.

     

    LA PLACE ROYAL. Mas de Combes, 81120 SIEURAC, France. Fondée en 1982 par Henry Montaigu. Directeur depuis 1991 : Frédéric Luz. Nº 38. Noël 1998. 60 pages.

     

    Un bel article de Luc Olivier d’Algange, sur Ernst Jünger, ouvre ce numéro dans lequel le directeur, Frédéric Luz, annonce avec son épouse son entrée dans l’Église Orthodoxe (Patriarcat de Kiev) où il a reçu les ordres et communique que LA PLACE ROYAL sera une revue de plus en plus chrétienne. Ce numéro comporte également un article intéressant, de Dominique Devie, sur l’œuvre de Guénon sur Internet, où il parle de notre revue. Et toujours, les contributions centrales de Henry Montaigu.

     

    RENE DAUMAL Y LA "ENSEÑANZA" DE GURDJIEFF: Emilio Saura.

     

    A signaler, cette remise d’Émilio Saura (voir dans les numéros 3 et 4 de SYMBOLOS, 1992, son « Approche de la Signature Astrale de la Philosophie »), professeur de philosophie à Murcia (Espagne), sur René Daumal, personnage phare de l’ésotérisme du XXe siècle, en relations non seulement avec Gurdjieff, mais aussi avec notre guide intellectuel, René Guénon, surtout en ce qui concerne l’intérêt de l’auteur de La Montagne Analogue pour la métaphysique hindoue.

     

    PAIDOS. Nous remercions la maison d’édition Editorial Paidós pour les livres remis à notre rédaction, qui appartiennent tous à sa collection « Paidós Orientalia ».

     

    Comme son nom l’indique, cette collection est consacrée presque exclusivement à la pensée orientale, quoique suivant une ligne quelque peu hétérogène, car les titres et les auteurs publiés ne reflètent pas toujours fidèlement cette pensée dans ce qu’elle possède de métaphysique et de traditionnel. Cependant, les textes et les études sont en général de bonne qualité, certains pouvant être considérés comme de véritables « classiques » pour leurs rééditions successives dans plusieurs langues, et ayant été par conséquent lus par plusieurs vagues de lecteurs intéressés par la Philosophie Pérenne. C’est là le cas de Bouddha et l’évangile du bouddhisme de A. K. Coomasraswamy, Patânjali et le yoga de M. Eliade, Méthodologie de l’histoire des religions de M. Eliade et J. M. Kitagawa, 150 contes sûfis de Yalal Al Din-Rumi, et L’hindouisme de L. Renou. Remarquons surtout, parmi les exemplaires que nous avons reçus, Alchimie asiatique de M. Eliade, Dictionnaire des religions, de M. Eliade et I. P. Couliano, et Le chemin du zen de E. Herrigel.

     

    DICTIONNAIRE DES RELIGIONS. Cet ouvrage, commencé par Eliade et achevé par I. P. Couliano, son élève et collaborateur, est une révision générale des principales religions, englobant les divers aspects mythiques, symboliques, rituels et anthropologiques des différentes ethnies et des époques se rapportant à chacune d’entre elles. Malgré son approche dans une perspective universitaire et sa terminologie particulière, qui suit la méthode historique, il s’agit d’un livre de grand intérêt pour l’historien des religions et des traditions en général.

     

    ALCHIMIE ASIATIQUE . L’auteur expose, sous forme résumée, les principales caractéristiques de l’alchimie orientale (chinoise et hindoue) à l’exception de l’arabe, qui prolonge l’alchimie alexandrine d’origine hermétique, c’est-à-dire égyptienne et grecque, qu’Eliade avait déjà développée dans son livre Forgerons et alchimistes. « L’alchimie, signale l’auteur, a été et est encore une technique spirituelle au moyen de laquelle l’homme assimile les vertus normatives de la vie et s’acharne à gagner l’immortalité. »

     

    LE CHEMIN DU ZEN. Cet ouvrage est le fruit de la propre expérience de l’auteur, qui a su pénétrer et assimiler la réalité essentielle de cette voie traditionnelle de connaissance, née de la synthèse du taoïsme et du bouddhisme mahayana. C’est un livre très instructif, écrit dans un langage accessible à l’homme occidental, mais qui approfondit les différentes méthodes et techniques utilisées dans les écoles zen en les illustrant par des exemples, et incitant le lecteur à les pratiquer presque sans s’en rendre compte.

     

    COSMOLOGIE ET ALCHIMIE BABYLONIENNES. Mircea Eliade. Paidós Iberica. Barcelone. 1993. 116 pages. ALCHIMIE ASIATIQUE. Idem. 1992. 113 pages.

     

    Dans la collection Orientalia ont paru ces deux petits volumes qui, avec Forgerons et Alchimistes (Alianza Ed. Barcelone. 1986. 208 pages) et autres, expriment ce qu’est l’Alchimie en tant que science et art hermétique pour ce grand spécialiste de l’histoire des Religions, ainsi que ses correspondances avec la quasi totalité des Traditions connues. En effet, « L’histoire de l’alchimie européenne (et alexandrine, iranienne, arabe, médiévale) débute avec les influences qu’exerça probablement l’alchimie babylonienne en Égypte. » (Alchimie Asiatique, préface). Et il poursuit : « Pour replacer correctement l’alchimie dans son contexte original, il ne faut pas perdre de vue ce qui suit : dans toutes les cultures où l’alchimie fait acte de présence, elle apparaît toujours intimement liée à une tradition ésotérique ou « mystique » : en Chine, au taoïsme ; en Inde, au yoga et au tantrisme ; dans l’Égypte hellénistique, à la gnose ; dans les pays islamiques, aux écoles mystiques de l’hermétisme et de l’ésotérisme ; en Occident au Moyen Âge et à la Renaissance, à l’hermétisme, au mysticisme chrétien et à la kabbale. Au bout du compte, tous les alchimistes déclarent que leur art est une technique ésotérique, poursuivant des buts semblables ou comparables à ceux des grandes traditions ésotériques et « mystiques ». » (page 79).

     

    Un fait curieux est que ce livre soit paru en roumain en 1935 et que l’auteur ait été si clair sur le sujet qu’il allait développer par la suite, toujours en petits volumes en raison de problèmes d’édition.

     

    Dans la préface de Cosmologie et Alchimie Babyloniennes, Eliade déclare qu’il se propose de : « Démontrer ­comme je l’ai moi-même tenté dans L’Alchimie asiatique­ que les alchimies indienne et chinoise n’étaient ni des sciences empiriques ni pré-chimiques, sinon des techniques mystiques, soteriologiques , ne signifie pas faire preuve d’érudition, sinon appliquer une méthode qui, bien qu’elle ne soit pas révolutionnaire dans l’étude des cultures orientales, peut s’avérer énormément fertile dans la philosophie de la culture. Le caractère « révolutionnaire » de notre interprétation nous a obligé, il est vrai, à offrir un abondant appareil critique, justement pour prouver jusqu’à la satiété la validité de nos affirmations. » (page 10). Puis commence la première partie de son traité, avec le programme suivant : 1. Cosmos et Magie, 2. Méthodes, 3. Homologie, 4. Le Temple, 5. Cité Sacrée - Centre du Monde, 6. L’Axe du Monde - l’Arbre de la Vie, 7. Correspondances.

     

    C’est-à-dire que la Cosmogonie et ses lois se placent pleinement comme les fondations des Sciences et des arts en général, et de l’Alchimie en particulier. La raison se trouve sans aucun doute dans les lois de l’analogie qui établissent des correspondances entre divers ordres de la réalité et qui rendent les métaux assimilables aux astres, comme la terre au ciel, bien que leurs polarités se trouvent inversées : « Tout ce qui est connu, tout ce qui est concret, participe à cette loi magique de la correspondance. Le cosmos apparaît divisé en régions gouvernées par les dieux, dirigées par les planètes. Entre une zone céleste déterminée et la planète qui la domine ou le dieu qui la représente, il existe des relations magiques, de « correspondance » et « d’influence ». Tout ce qui arrive dans une zone céleste sera également présent, d’une façon ou d’une autre, dans la vie qui, sur terre, se trouve sous son « influence ». Évidemment, ces influences ne s’exercent pas toujours de manière directe. Il y a d’innombrables relations, d’innombrables niveaux entre la terre et le ciel. Ce n’est qu’en son centre, et seulement dans certaines conditions, que la terre peut être directement reliée au ciel. » (page 40). Ces lignes passionnantes se complètent de plusieurs autres, prolongeant la pensée de l’auteur ; ainsi, dans Forgerons et Alchimistes, nous lisons que : « Collaborer avec la Nature, l’aider à produire dans un tempo de plus en plus accéléré, modifier les modalités de la matière : dans tout cela nous croyons avoir découvert l’une des sources de l’idéologie alchimique. » (page 10). Et ailleurs : « L’alchimiste, comme le forgeron, et le potier avant eux, est un « seigneur du feu », puisque c’est au moyen du feu que s’opère le passage d’une substance à une autre. Le premier potier qui parvint, grâce aux braises, à faire durcir considérablement les « formes » qu’il avait données à l’argile dut ressentir l’ivresse du démiurge : il venait de découvrir un agent de transmutation. Ce que la chaleur « naturelle » ­celle du soleil ou du ventre de la terre­ faisait mûrir lentement, le feu le faisait dans un tempo insoupçonné. » (page 71). Et tout cela était possible, pour les alchimistes du passé, grâce à ce que : « ...les plantes, les pierres et les métaux, de même que les corps des hommes, leur biologie et leur vie psychomentale, n’étaient rien d’autre que divers instants d’un même processus cosmique. Il était donc possible de passer d’un état à un autre, de transmuer une forme en une autre. » (page 123).

     

    Nous avons essayé de souligner quelques-unes des idées de M. Eliade, mais ces trois ouvrages en contiennent bien davantage, qu’il s’agisse de documentation ou de soteriologie, toujours unies au but spirituel par l’intermédiaire des sciences de la Nature.

     

     

     

     

    PAIDOS (1999) : Les titres que nous avons reçu de cet éditeur sont les suivants :

     

    HISTORIA DE LAS CREENCIAS Y DE LAS IDEAS RELIGIOSAS (3 vol.). Mircea Eliade. I: De la Edad de Piedra a los Misterios de Eleusis, 663 p. II: De Gautama Buda al triunfo del Cristianismo, 678 p. III: De Mahoma a la era de las reformas, 456 p. Ed. Paidós Ibérica, col. Orientalia, Barcelone. 1999.

     

    Cette œuvre en trois tomes de plus de 1.500 pages, avec des index onomastiques et analytiques, s’avère indispensable pour qui s’intéresse à l’Histoire des Religions, ou simplement à l’Histoire de la Culture, outre les investigateurs en thèmes ésotériques. C’est un véritable héritage de Mircea Eliade qui, né en Roumanie en 1907, a travaillé inlassablement sur ces sujets, jusqu’à sa mort survenue en 1986, alors qu’il était professeur à l’Université de Chicago. Son œuvre immense, qui est aujourd’hui pratiquement incontournable, a été plusieurs fois remarquée par SYMBOLOS et se trouve présente dans les apports de ses rédacteurs.

     

    EL REY Y EL CADAVER. Cuentos, mitos y leyendas sobre la recuperación de la integridad humana. Ed. Paidós Ibérica, col. Orientalia, Barcelone 1999. 351 pages

     

    Compilation de Joseph Campbell, l’un des plus grands auteurs d’Amérique du Nord se consacrant aux mythes et à la « philosophia perennis ».

     

    SOBRE ADIVINACION Y SINCRONICIDAD. La psicología de las casualidades significativas. Marie-Louise von Franz. Ed. Paidós Ibérica, col. Jungiana. Barcelone 1999. 184 pages.

     

    Un livre court, mais clair et précis sur le sujet, composé de cinq conférences données par l’auteur, à Zurich. Marie-Louise von Franz peut être considérée comme l’une des plus éminentes disciples de Carl G. Jung, et cet ouvrage représente un petit classique sur tout ce qui concerne les différents oracles ; depuis les chinois jusqu’aux grecs, en passant par les mayas-quichés. Elle marie la vertu de l’érudition à une simplicité de style qui rend son œuvre accessible à un vaste public.

     

    THE ONLY TRADITION. William W. Quinn Jr. Suny: State University of New York Press, Albany 1997. 384 pages

     

    L’auteur, élève de Mircea Eliade à l’Université de Chicago, fut chargé par son professeur de l’étude des œuvres de René Guénon et de A. K. Coomaraswamy. Quinn definit un panorama appréciable au sujet de ces deux grands auteurs, tout en incluant la Théosophie et Madame Blavatsky dans une grande partie de son étude. Cela lui valut les critiques des « schuonniens », malgré son insistance à déclarer que F. Schuon a recueilli le flambeau de ces deux auteurs, objets de son étude, et de le proclamer « autorité » en la matière. Il critique aussi en particulier Antoine Faivre et « l’historicisme » du courant qu’il conduit, bien qu’il se dise comme lui élève de Mircea Eliade.

     

    ORIENTE Y OCCIDENTE. Luis Racionero. Ed. Anagrama, Barcelone, 1993. 220 pages

     

    Le titre de cet ouvrage est particulièrement significatif pour nous, puisque c’est celui d’une œuvre homonyme de René Guénon, ayant paru en 1924 ; le sujet est cependant tout aussi actuel, et la conclusion de Racionero est en somme la même que celle de Guénon : il existe une suprématie intellectuelle (entre le monde de l’Orient et l’homme occidental et son milieu culturel).

     

    Cet ouvrage offre un panorama des idées et de la culture contemporaines par rapport aux valeurs pérennes généralement propres aux civilisations orientales, et qui se trouvent aux racines de toute culture, à commencer par celle que nous avons héritée des grecs, des alexandrins, des romains, des hébreux, des arabes, etc., c’est-à-dire dans notre héritage occidental, constituant la trame la plus profonde de l’être humain.

     

    La capacité d’expliquer des concepts ardus pour l’esprit qui n’y est pas encore entraîné, d’une façon simple et claire, recherchant l’exemple facile, parfois évident, pour exprimer des pensées philosophiques, comme souvent l’ont fait les sages, particulièrement dans le Taoïsme, est le premier message de ce livre où le privilège de la lucidité se joint à la clarté de l’exposé ­même si l’on n’y adhère pas totalement­, et même si l’on n’est pas d’accord avec toutes les assertions de Luis Racionero et que l’on ne parvienne donc pas aux mêmes conclusions.

     

    Il nous faut souligner l’optique ample et universelle des observations et du discours, échantillons d’un style d’analyse qui, sans tomber dans la futurologie, ouvre de nouvelles perspectives au point de vue de l’individu et du groupe, et offre la possibilité de réveiller des images et des concepts plutôt malmenés par le mauvais usage que l’on en fait.

     

    Mais en même temps, nous nous demandons si cet exposé de la pensée orientale est encore valable pour les peuples qui lui ont donné naissance, et l’on pourrait en douter rien que d’après l’exemple de l’invasion japonaise du continent (Chine, Corée, Mongolie, etc.), fait très récent dont on n’oublie ni la cruauté exercée sur d’autres supposés « frères » orientaux, ni le manque de symétrie caractérisant certains groupes de l’Inde et de l’Extrême-Orient, en quelque sorte analogue à celle qui dresse l’une contre l’autre certaines factions de l’Islam.

     

    La tragédie est ce genre littéraire caractérisé par un dilemme dont le discours, qui se multiplie et va crescendo, en une progression vertigineuse et surtout inéluctable, et fatalement, cours vers sa propre fin ; c’est ce qui advient à la pierre lâchée du haut d’une tour et qui augmente sa vitesse de façon géométriquement proportionnelle. C’est ce qui arrive aux temps modernes, comme c’est arrivé à d’autres cultures au cours des temps, sujets bien connus des civilisations orientales qui, elles, contemplent comment se reproduisent les mystérieux détours et cycles de la Roue de la Vie et ses desseins ; personnellement, nous croyons en la libération de l’individu et même du groupe, et nous nous y efforçons, mais à ce stade de la compétition, nous pensons que la reconversion sociale est impossible, à l’instar des personnages de la tragédie qui ne peuvent échapper à leur Destin.

     

    Quoi qu’il en soit, ces textes brillants et intelligents sont les bienvenus, ainsi que la synthèse qu’ils renferment et leur forme d’expression, et bien que nous ne soyons pas totalement d’accord avec toutes leurs assertions et conclusions, l’envergure de l’analyse est évidente en regard de la spéculation littérale et « officielle », soi-disant philosophique, à laquelle nous sommes habitués.

     

    Pour terminer, nous signalerons l’exposé extrêmement intéressant sur la physique quantique ­le monde de l’infiniment petit­ comprise d’une façon exemplaire, ce qui n’a pas forcément de rapport avec toutes les conclusions qu’en tirent d’autres auteurs, comme F. Capra ; quoique la participation de « l’observateur » qui se transforme en sujet de l’acte créatif est une réalité, pas une hypothèse.

     

    PARABOLA The Magazine of Myth and Tradition. 656 Broadway, New York, NY 10012. U.S.A.

     

    Founder: D. M. Dooling. VOLUME XVIII, Number 1, "HEALING" (Spring 1993): Interview with Lawrence E. Sullivan: Images of Wholeness; Richard S. Sandor: On Death and Coding; Bill Moyers: Wounded Healers; Joel Monture: Saving Mother Earth to Save Ourselves; Kat Duff: The Alchemy of Illnes; Thich Nhat Hanh: Transforming our Suffering; Richard Wentz: The Powwow Doctor; Gray Henry: Even at Night, the Sun is There; ARCS: The Dance of Healing; Joe Louis Lopez: It´s Up to You; Richard Katz: The Kung Approach to Healing; Milton H. Erickson: Word Salad; The Country of the Gadarenes; Marvin Barrett: An Encounter; Tangents; Epicycles; Focus; Currents & Comments; Book Reviews; Full Circle.

     

    VOLUME XVIII, Number 2, "PLACE AND SPACE" (Summer 1993): Scott Russell Sanders: Telling the Holy; William Maxwell: Home; An interview with Robert Lawlor: Dreaming the Beginning; Janet Heyneman: Nostalgia for the Present; Czeslaw Miloz: On Exile; Shritvatsa Goswami and Margaret Case: The Birth of a Shrine; Martin Lev: The Gate of Mercy; Sara Rossbach: Feng Shui; David Ulrich: Hawai´i, Landscape of Transformation; Wayne Teasdale: A Glimpse of Paradise; William Shelton: Free Space; Ron Matous: Among These Mountains; Tangent; Epicycles; Poems; Book Reviews; Currents & Comments.

     

    Cette revue qui paraît tous les quatre mois, fondée il y a dix-huit ans par D. M. Dooling et dans laquelle l’on a pu lire des signatures aussi respectables que celles de Mircea Eliade, du Dalaï-lama, de Joseph Campbell, de Joseph Epes Brown, etc., offre un vaste panorama à tous ceux qui, pour une raison ou une autre, ont approché ou s’intéressent à la recherche de l’être, au-delà des opportunités qu’offre une vie calquée sur les normes du système et son adhésion à quelque partie du monde moderne. En effet, dans cette revue se succèdent des notes sur des traditions « religieuses » parfaitement vivantes, comme l’islam, le judaïsme, l’hindouisme, le bouddhisme, le bouddhisme zen, etc., en alternance avec la Tradition Hermétique et la Gnose Occidentale en général, et surtout, ­et c’est là son grand apport­ concernant diverses études sur la culture des différents peuples archaïques et « primitifs ». Elle possède aussi un aspect tourné vers la psychologie que nous ne partageons pas complètement, tout en considérant la psyché comme une voie de passage, apte à être transcendée et non pas niée en bloc, justement une expérience à surmonter afin de pouvoir reconnaître les différences sur le chemin de la réalisation individuelle, tout comme les sciences de la nature le font par d’autres moyens : faire face au surnaturel.

     

    En outre, cette excellente publication, joliment présentée, bien que se rapprochant parfois du « New Age », ne sombre jamais dans le sensationnalisme ni dans la superstition et privilégie les valeurs culturelles et académiques les plus élevées, ce qui mérite d’être souligné chez une publication tirant à 100.000 exemplaires et représentant une porte d’accès à un programme des plus intéressants grâce auquel les lecteurs pourront donner à leurs inquiétudes pistes et orientations. La partie bibliographique est d’un grand intérêt, tout comme les annonces de livres qui comprennent les publications des plus importantes universités des États-Unis concernant l’ésotérisme, les mythes, l’anthropologie et les religions. Il faut également souligner l’intérêt constamment porté à l’art et au documentaire, auquel il faut ajouter ses propres publications dont certaines sont dédiées aux enfants et réalisées avec des moyens audio (cassettes) et vidéo. Nous préciserons que cette revue s’inscrit dans le cadre de « l’American Way », ce qui peut être quelque peu déconcertant pour qui est strictement accoutumé aux modules de la « culture européenne » ; mais il ne peut en être autrement, puisque cette publication est un échantillon du plus pur et du plus sophistiqué « style new-yorkais ».

     

    REVISTA DE SORIA. Revue culturelle et informative de la Députation Provinciale. Directeur : Angel Almazán de Gracia. C./ Caballeros, 17. Soria. Espagne.

     

    Nº 25. Seconde époque. Été 1999. 120 pages. 120 p., "Celtíberos. Homenaje a José Luis Argente": Un día en Tiermes, 25 años después: Carlos de la Casa, Religión y ritual funerario celtibéricos: Alfredo Jiménez, El origen de la cultura celtibérica: J. Arenas y J. P. Martínez, Los arevacos y sus ciudades: Francisco Burillo, Soria y la herencia numantina: José I. de la Torre, El vaso de los guerreros de Numancia: Fernando Romero, Cosmogonía védica del numantismo, vaso de los toros: Angel Almazán, Los celtíberos: poblamiento y formas de vida: Gonzalo Ruiz.

     

    Nº 24. Printemps 1999. 120 pages ; Nº 22. Automne 1998. « Cîteaux et le Symbolisme ». 112 pages ; Nº 6. 1993. « Numance et Montségur ». 116 pages. Nous remarquerons spécialement, parmi d’autres, l’article du directeur « Notes symboliques sur le chrisme » (Nº 24), dans cette revue qui a aussi publié, dans ses numéros précédents, des articles sur la géométrie, la kabbale, etc. Il faut également souligner sa qualité graphique et sa présentation formelle. L’on peut remarquer, chez tous ses collaborateurs, un louable intérêt pour leur ville natale et ses connections universelles.

     

     

    REVISTA DE ESTUDIOS BUDISTAS. 2741 Sunset Boulevard. Los Angeles, California 90026. U.S.A. Semestrielle : avril et octobre. 88 pages. Directeurs : Carmen Dragonetti y Fernando Tola.

     

    Nº 11 : d’avril a septembre 1996. Sommaire : Nueva etapa del proyecto REB; Artículos: G. P. Malalasekera y K.N. Jayatilleke: El Budismo y la cuestión racial; Fernando Tola y Carmen Dragonetti: Eternidad del Dharma en el Sûtra del Loto; Historia: Jan Hendrik Kern: El Budismo en Java, Bali y Sumatra; Términos y conceptos budistas: Vijñanavada: Idealismo; Giuseppe Tucci: La Escuela Idealista del Budismo; Abstracts; Texto: Maestra Dzau Dzan, F. Tola y C. Dragonetti: Pa ta jen kiao king: El Sûtra de los ocho conocimientos de los grandes seres predicado por Buda; Notas Breves: Luciano Petech: Giuseppe Tucci (1894-1984). Noticias: Actividades de la Asociación Latinoamericana de Estudios Budistas (ALEB), Actividades de FIEB en 1995; Reseñas: Dhammapada, Edited by O. von Hinüber and K. R. Norman, with a complete World Index complied by Shoko Tabata and Tetsuya Tabata, Oxford, The Pali Text Society, 1994; Colaboradores.

     

    C’est le début d’une nouvelle étape de cette revue, qui maintiendra les critères exprimés dans la présentation du premier numéro, ainsi que le communiquent ses directeurs qui annoncent également deux importantes modifications apportées à leur édition : un nouveau format de 88 pages ­contre 176 auparavant­, mais avec des changements destinés à ne pas réduire le matériel dans les même proportions ; et la publication d’une collection parallèle de textes basiques du bouddhisme en version espagnole, au rythme de deux par an, avec une introduction et de courtes notes, et le même nombre de pages que la revue, en complément de cette dernière.

     

    Ils nous informent également que la revue a accompli le projet sur cinq ans qu’elle s’était donné lors de sa fondation par l’Association Latino-Américaine d’Études Bouddhistes, de Mexico ; elle a été éditée, et continuera de l’être, avec le support de l’Institut International d’Études Bouddhistes de Tokyo et la collaboration technique de Reiyukai de Mexico ; dans ce laps de temps, elle a publié dix numéros, pour un total de 1934 pages et 14500 exemplaires.

     

    Les directeurs considèrent que leur revue a atteint les objectifs qu’ils s’étaient proposés pour cette étape, en divulguant ce qu’est réellement le Bouddhisme auprès de gens qui ne le connaissaient pas ou qui n’en avaient qu’une idée erronée ou déformée, et en permettant à d’autres de comprendre plus en profondeur les pratiques qu’ils réalisent.

     

    HETERODOXIA Trimestral de Pensamiento Crítico y Extravagante. Apartado 42.082. 28080 Madrid.

     

    1993 : Voilà déjà six ans que HETERODOXIA a commencé à sortir, ce qui a représenté pour beaucoup la possibilité de s’exprimer sans faux-semblants sur des sujets marginalisés par la pseudo-intellectualité et la science du terne et médiocre petit monde universitaire et culturel. Sa parution nous disait que l’Espagne d’Unamuno, d’Ortega y Gasset et d’Eugenio d’Ors, pour n’en nommer que trois (et en omettant complètement l’extraordinaire tradition littéraire et culturelle espagnole cristallisée par le Siècle d’Or), n’était pas morte, et que contre l’avalanche commerciale des Albertos, Mario Conde, Banesto, el Banco Popular et Cambio 16, les structures de l’homme espagnol étaient encore indemnes, en dépit des circonstances vécues par son ego, qui était le spectateur d’équivoques aussi pathétiques que tragi-comiques qui sont encore très loin d’être dissipées.

     

    Heterodoxia s’est caractérisée par les qualifications des auteurs présentés, beaucoup d’entre eux étant déjà des écrivains connus comme José Luis Aranguren, Raimundo Panikkar, José Montserrat Torrents, etc., et d’autres qui le deviendront. Malgré tout, plusieurs des articles se perdent généralement en digressions et, à une certaine époque, beaucoup d’abonnés jugeaient excessif le traitement donné à des problèmes théologiques, donc religieux, abordant certaines attitudes personnelles sans but précis, bien que se rapportant à l’état civil de Maître Jésus, qui a parfois été dit marié avec Marie-Madeleine, Jean, l’évangéliste et le prophète apocalyptique, ayant été le fruit charnel de cette union. Ses rédacteurs se sont par ailleurs plus d’une fois référés à la vision ésotérique présente dans la Tradition Unanime et dans la Philosophie Pérenne en tant que « occultisme », sans posséder de la Science Sacrée, semble-t-il, plus qu’un savoir superficiel et profane, alimenté par des revues comme « Más Allá » ou similaires, bien que, curieusement, ils semblent vraiment croire qu’ils savent de quoi ils parlent.

     

    Sous la direction de l’écrivain Manuel García Viño, le conseil de rédaction d’HETERODOXIA est formé par : José Antonio Antón, M. Asensio Moreno, A. Fernández Helidoro, Rafael Hereza, Juan Francisco Lerena, Manuel Mantero, José Mora Galiana y Victoria Sendón, qui en signent également de nombreux articles. Elle sort quatre fois par an, et nous remarquons, parmi les notes publiées récemment, celles de Victoria Sendón et d’Emilio Saura.

     

    Pour terminer, nous mettrons l’accent sur un article sur SYMBOLOS, que signe un membre du conseil de rédaction, également collaborateur de notre revue, José Antonio Antón qui, après avoir présenté SYMBOLOS et s’être référé au sous-titre Art, Culture, Gnose et en particulier aux symboles, déclare : « C’est tellement ainsi que la propre histoire de la culture est impensable sans la considération d’éléments comme ceux fournis par le symbolisme traditionnel, en dépit de l’intérêt de certains milieux « intellectuels » pour occulter ou éviter le sujet. Pour tout cela, le champs d’action des symboles auxquels se réfère le titre de la revue en question est suffisamment éclairci. » Et il poursuit : « Mais si nous voulons définir davantage la direction de SYMBOLOS, nous pouvons préciser qu’elle répond aux critères de la philosophie de René Guénon, et il ne pouvait en aller autrement d’un contenu qui se veut traditionnel. » Et ensuite, après avoir rendu éloge au fait qu’il ne voit dans notre publication aucun indice de « chapelle » ou de « secte » de quelque type que ce soit, et d’avoir vanté notre présentation et notre iconographie, il termine en disant : «En définitive, nous nous trouvons devant une revue qui, sans aucun doute, sera à partir de maintenant un point de référence pour qui désirera connaître le développement et le traitement de la pensée traditionnelle parmi nous. »

     

    HELENA TARASIDO In Memoriam

     

    Nous avons reçu un bel ouvrage sur l’œuvre plastique d’Helena Tarasido qui englobe près de quarante ans d’un travail fécond. Ce livre, fort bien construit par Editart à Genève, en Suisse, comprend une étude critique de Rafael F. Squirru et une exposition graphique bien documentée sur les différentes phases de production de l’artiste et les diverses techniques utilisées, avec de très bonnes reproductions en couleurs ou en noir et blanc.

     

    A la vue de ce document, l’œuvre de ce peintre est prise à sa juste valeur et l’on admire l’effort, le nerf, la persévérance d’un précurseur qui, sans fléchir et à l’encontre des courants de la mode, se battit à l’avant-garde picturale d’Argentine pour fixer l’image de la beauté, toujours changeante et révélatrice, dans une recherche permanente où se recrée l’atmosphère magique, parfois au moyen de paradoxes de forme, de tracé ou de couleur, ou par le biais de visions instantanées patiemment élaborées ou emportées dans des accès déchaînés par de subtiles énergies. Connaissant la Tradition Hindoue, influencée par les symboles amérindiens et les symboles ésotériques en général, éternelle voyageuse aux inquiétudes intellectuelles et amante naturelle du Mystère, ce n’est pas pour autant que la peinture de ce précurseur se soumet aux préceptes, mais au contraire, exprime de façon personnelle les idées et les intuitions que l’homme porte en lui en permanence. Elle tente ainsi de percer les limites pour rechercher un champs plus vaste, à un point tel que, suivant cette direction spatiale, non seulement les ego pourraient se transposer, sinon que l’être pourrait affronter le Non-Être, la non-dualité, et l’idée d’une déité non personnalisée, ou d’une personnalité qui se dépersonnalise.