• Frithjof schuon

    La Sophia Perennis et le New-Âge

    Par Frithjof Schuon

     

     

     

    La Sophia Perennis et le néo-spiritualisme

    Spiritus ubi vult spirat

    A cent lieues des inepties du New-Age ou des constructions imaginaires et syncrétistes du néo-spiritualisme et de l'occultisme pseudo-ésotérique, la Sophia perennis, la Sagesse universelle et éternelle, la scientia sacra ou le Sanatâna dharma ("la loi qui perdure") des Hindous s'exprime, de manière informelle, partout et depuis toujours.

    Frithjof Schuon, dont le premier livre entendait poser la question de "l'Unité transcendante des Religions" - unité conçue comme purement intérieure et spirituelle sans trahison d'aucune forme religieuse particulière - n'a jamais souhaité que fournir aux "hommes de bonne volonté" des "clefs renouvelées" afin d'"aider à redécouvrir des vérités qui sont inscrites, d'une écriture éternelle, dans la substance même de l'esprit"...

    "toute forme, tout symbole, toute religion, tout dogme, par sa négation de l'erreur et son affirmation de la vérité, permet de remonter le rayon (lumineux) de la Révélation, qui n'est autre que celui de l'Intellect, jusqu'à sa Source divine". [Unité transcendante des Religions, p.14].

    La gnose et le gnosticisme, la théosophie et le théosophisme

    C'est un fait que trop d'auteurs - nous dirons presque : l'opinion générale - attribuent à la gnose ce qui est propre au gnosticisme et à d'autres contrefaçons de la sophia perennis et, en outre, ne font aucune distinction entre celle-ci et les mouvements les plus fantaisistes, tels le spiritisme, le théosophisme et les pseudo-ésotérismes qui ont vu le jour au XXe siècle. Il est particulièrement regrettable que ces confusions soient prises au sérieux par la plupart des théologiens, qui ont évidemment intérêt à avoir de la gnose la plus mauvaise opinion possible ; or le fait qu'une imposture imite forcément un bien, sans quoi elle n'existerait pas, ne saurait autoriser à charger ce bien de tous les péchés de l'imitation.

    En réalité, la gnose est essentiellement la voie de l'intellect et, partant, de l'intellection ; le moteur de la voie est avant tout l'intelligence, non la volonté et le sentiment, comme c'est le cas dans les mystiques monothéistes sémitiques - y compris le soufisme moyen. La gnose se caractérise par son recours à la métaphysique pure : distinction entre Âtmâ et Mâyâ et conscience de l'identité potentielle entre le sujet humain, jîvâtmâ, et le Sujet divin, Paramâtmâ. La voie comporte, d'une part, la "compréhension" et, d'autre part, la "concentration"; donc la doctrine et la méthode....

    Quant au gnosticisme, qu'il se produise en climat chrétien, musulman ou autre, c'est un tissu de spéculations plus ou moins délirantes d'origine souvent manichéenne et c'est une mythomanie qui se caractérise par un mélange dangereux de concepts exotériques et ésotériques. Sans doute, il y a là des symbolismes qui ne manquent pas d'intérêt - le contraire serait étonnant - mais on dit que "le chemin vers l'enfer est pavé de bonnes intentions", on pourrait dire tout autant qu'il est pavé de symbolismes. (Avoir un centre, p. 66, chapitre La gnose n'est pas n'importe quoi).

    Pour trop de personnes, le gnostique est l'homme qui, se sentant illuminé par l'intérieur, non par la Révélation, se prend pour un surhomme et se croit tout permis ; on accusera de gnose n'importe quel monstre politique qui est superstitieux ou qui a de vagues intérêts occultistes tout en se croyant investi d'une mission au nom de telle philosophie aberrante. En un mot, dans l'opinion vulgaire, gnose égale "orgueil intellectuel", comme si ce n'était pas là une contradiction dans les termes, l'intelligence pure coïncidant précisément avec l'objectivité et celle-ci excluant par définition tout subjectivisme, donc notamment l'orgueil qui est la forme la moins intelligente et la plus grossière. (Racines de la condition humaine, p.24).

    Le mot "gnose", qui apparaît dans ce livre comme dans nos précédents ouvrages, se réfère à la connaissance suprarationnelle - donc purement intellective - des réalités métacosmiques ; or cette connaissance ne se réduit pas au "gnosticisme" historique, sans quoi il faudrait admettre qu'Ibn Arabî ou Shankara aient été des "gnostiques" alexandrins... nous entendons le mot "gnose" exclusivement dans son sens étymologique et universel et de ce fait nous ne pouvons, ni le réduire purement et simplement au syncrétisme gréco-oriental de l'antiquité tardive(1), ni à plus forte raison l'attribuer à n'importe quelle fantaisie pseudo-religieuse ou pseudo-yoguique, ou même simplement littéraire(2). (Comprendre l'Islam, p.136-137).

    (1) Si nous ne "réduisons" pas le sens du mot à ce syncrétisme, nous admettons pourtant, de toute évidence et pour des raisons historiques, qu'on appelle "gnostiques" aussi les hérétiques désignés conventionnellement par ce terme. Leur faute première était d'avoir mésinterprété la gnose en mode dogmatiste, d'où les erreurs et un sectarisme incompatibles avec une perspective sapientielle; toutefois le rapport indirect avec la gnose véritable peut justifier ici, à la rigueur, l'emploi du mot "gnostique".

    (2) Comme on le fait de plus en plus depuis que les psychanalystes s'arrogent le monopole de tout ce qui est "vie intérieure", en mélangeant les choses les plus différentes et les plus inconciliables dans un même nivellement et un même relativisme.

    Il convient de préciser ici une fois de plus ... la différence entre une hérésie qui est extrinsèque, donc relative à telle orthodoxie, et une autre qui est intrinsèque, donc fausse en soi et par rapport à toute orthodoxie ou à la vérité tout court. Pour simplifier la question, nous pourrions nous borner à relever que la première manifeste un archétype spirituel - d'une manière limitée sans doute mais néanmoins efficace - tandis que la seconde n'est qu'oeuvre humaine et par conséquent ne repose que sur ses propres productions (1) ; ce qui tranche la question. Prétendre qu'un spirite "pieux" est assuré du salut, n'a aucun sens, car il n'y a dans les hérésies totales aucun élément qui puisse garantier la félicité posthume, bien que - abstraction faite de toute question de croyance - un homme puisse toujours être sauvé pour des raisons qui nous échappent ; mais il ne l'est certainement pas par son hérésie. (Christianisme/Islam, Visions d'oecuménisme ésotérique, p. 36-37).

    (1) Tel le mormonisme, le béhaïsme, l'ahmadisme de Kâdyân, et toutes les "nouvelles religions" et autres pseudo-spiritualités qui pulullent dans le monde actuel.

    Le védantisme moderne

    ... certains védantistes modernes soutiennent ... que [l'état de rêve et l'état de veille] n'ont aucun rapport l'un avec l'autre, que l'égo du rêve n'est pas du tout celui de la veille, que les deux états sont des systèmes clos et qu'il est abusif de prendre la conscience éveillée comme point de référence par rapport à la conscience onirique (1); et que, par conséquent, celle-ci n'est aucunement inférieure ou moins réelle que celle-là (2).

    (1) Comme Kant, un Siddheswarânanda semble croire que ses propres expériences limitent celles des autres.

    (2) D'aucuns sont même allés jusqu'à prétendre que le rêve est supérieur à la veille puisqu'il comporte des possibilités que le monde physique exclut, comme si ces possibilités n'étaient pas purement passives, et comme si la réalité objective, et décisive, de l'état de veille ne compensait pas infiniment la possibilité onirique de s'élever dans les airs ; ou encore, comme si on ne pouvait pas rêver tout aussi bien d'être privé de mouvement.

    Cette opinion extravagante et pseudo-métaphysique se trouve contredite, premièrement, par le fait qu'en nous réveillant, nous nous souvenons de notre rêve et non de celui de quelqu'un d'autre ; deuxièmement, par le fait que le caractère inconsistant et fluide des rêves d'une part prouve leur subjectivité, leur passivité et leur accidentalité ; troisièmement, par le fait que nous pouvons parfaitement nous rendre compte, dans le rêve, que nous rêvons, et que c'est bien nous qui rêvons et non un autre. La preuve en est qu'il arrive que nous nous réveillions par notre propre volonté quand le développement du rêve nous inquiète ; par contre nul ne songera à faire un effort pour sortir de l'état de veille - quelque soit le désagrément de la situation - pour se réveiller dans un état paradisiaque, où l'on se persuaderait qu'on est sorti d'un accident de l'imagination personnelle, alors qu'en réalité le monde terrestre continue à être ce qu'il est. L'univers est une illusion par rapport au Principe, certes, mais sur le plan de la relativité, le monde objectif n'est pas une illusion par rapport à telle subjectivité. (L'ésotérisme comme principe et comme voie, p.211-212).

    Si l'opinion qui confond inconditionnellement les états de veille et les états de rêve était juste et si ces deux états étaient équivalents sur le plan même de la relativité, - alors qu'en réalité ils ne le sont qu'au regard de l'Absolu, - il serait indifférent d'être un sage qui rêve d'être un sot, ou un sot qui rêve d'être un sage. (Sentiers de gnose, p. 80).

    L'ambiguïté de facto de cette question [Qui est le sujet ?] s'explique quelque peu par le fait que les Hindous, qui savaient de quoi il s'agit, n'ont jamais pris soin, dans leurs exposés volontairement elliptiques et centrés sur l'essentiel, de donner des précisions qui leur semblaient sans objet ; mais il ne faudrait pas prendre les synthèses dialectiques pour des simplifications et tirer de la doctrine de l'illusion des conclusions absurdes, dont les anciens Védantins n'ont de toute évidence pu donner l'exemple, sous peine d'être de vulgaires solipsistes. Schopenhauer avait tort de croire le solipsisme logiquement irréfutable, mais il avait raison de déclarer les solipsistes mûrs pour l'asile d'alénés. (Sentiers de gnose, p. 74, note 1).

    Un monde est ... un rêve collectif et pourtant homogène, les éléments constitutifs de ce rêve étant évidemment des compossibles. Les subjectivistes qui s'inspirent faussement de la doctrine hindoue oublient volontiers que le monde n'est nullement l'illusion d'un individu singulier ; en réalité, il est une illusion collective à l'intérieur d'une autre illusion collective, celle du cosmos total. (L'oeil du coeur, p. 15, note 6).

    Le "subjectivisme" pseudo-védantin - qui est en réalité du solipsisme - est incapable de rendre compte de l'homogénéité objective de l'ambiance cosmique. (Perspectives spirituelles et faits humains, p. 145).

    Prâjnâ étant la synthèse des cinq autres pâramitâs, le Mahâyâna se réduit en principe à prajnâ, c'est-à-dire que l'union intérieure avec le "Vide" transcendant pourrait en principe suffire comme viatique spirituel ; mais en fait la nature humaine est contraire à l'unité et à la simplicité, la méthode de régénération devra donc tenir compte de tous les aspects de notre emprisonnement samsârique, d'où la nécessité d'une voie qui, tout en présentant d'emblée un élément d'unité et de simplicité, va du multiple à l'un et du complexe au simple (3).(Forme et substance dans les religions p. 123.)

    (3) C'est ce que ne veulent pas comprendre - soit dit en passant - les pseudo-zénistes ni les pseudo-védantistes, qui s'imaginent pouvoir escamoter notre nature par des réductions mentales aussi prétentieuses qu'inefficaces.

    Si "nul n'arrive au Père si ce n'est par moi", c'est que le "Moi" comme telle possède une virtualité salvatrice et unitive; toute subjectivité en tant que telle est en principe une porte vers sa propre Essence transpersonnelle(1). [Racines de la condition humaine, p.80]

    (1) C'est en ce sens qu'un Râmana Maharshi a pu réduire tout le problème de la spiritualité à la seule question : "Qui suis-je?" Ce qui ne signifie pas -- comme d'aucuns se l'imaginent -- que cette question puisse constituer une voie; elle indique, d'une part l'état incommunicable du Maharshi, et d'autre part le principe de la subjectivité spirituelle, de la participation progressive au pur Sujet à la fois immanent et transcendant.

    Le Zénisme moderniste

    L'intérêt suscité dans les pays occidentaux par le Zen résulte d'une réaction compréhensible contre la grossièreté et la laideur, et aussi d'une certaine lassitude à l'égard de concepts jugés inopérants - à tort ou à raison - et des logomachies philosophiques habituelles ; mais il s'y mêle facilement des tendances anti-intellectuelles et faussement "concrétistes", - il fallait s'y attendre, - ce qui enlève à cet intérêt toute valeur effective ; car autre chose est de se situer au-delà du mental, et autre chose est de demeurer au-dessous de ses possibilités les plus élevées, en s'imaginant avoir "dépassé" ce dont on ne comprend pas le premier mot...

    Si le Zen est moins doctrinaire que d'autres écoles, c'est que sa structure le lui permet ; il doit sa continuité à des facteurs parfaitement rigoureux, mais difficilement saisissable du dehors ; son silence, chargé de mystère, est bien autre chose que du mutisme vague et commode. Le Zen, précisément à cause de son caractère direct et implicite, - lequel s'adapte à merveille à certaines possibilités de l'âme extrême-orientale, - présuppose tant de conditions de mentalité et d'ambiance, que le moindre manque à cet égard risque de compromettre tout effort même sincère ; au demeurant, il ne faut pas oublier que le Japonais d'élite est lui-même, à bien des égards, un produit du Zen. [Images de l'Esprit, p. 161-162].

    Ce que le Zen veut, c'est la récupération surnaturelle de la perception des choses sub specie aeternitatis ou dans l' "Éternel Présent"; sans pouvoir ni devoir sortir de la relativité, l'esprit se trouve désormais enraciné dans l'Absolu, existentiellement et intellectuellement à la fois. Mais le Zen comporte également une autre dimension, complémentaire de la première : c'est l'aspect "simplicité" ou "équilibre", le retour à la nature primordiale. Le complément de la foudre et de l'éclatement, ou du satori, est la paix dans la nature des choses, telle qu'elle se révèle dans le calme de l'étang reflétant la lune, ou dans la grâce pour ainsi dire contemplative du nénuphar, ou encore dans l'élégance calme et précise de la cérémonie du thé.

    La sobriété naturiste et quelque peu iconoclaste du Zénisme n'est pas un vain luxe : qui veut ramener l'esprit humain à l' "intuition d'Éternité" pour laquelle il est fait, et qu'il a perdu par sa déchéance, - sa curiosité dispersante et sa passion compressive, - doit également ramener l'âme et le corps à leur simplicité primordiale en les débarrassant des superstructures factices de la civilisation (1). L'un ne va pas sans l'autre : il n'y a pas de contenu sans contenant adéquat ; la perfection de l'éclair appelle celle du lotus.

    (1) La position de la méditation zéniste, le zazen, est révélatrice à cet égard : droiture et immobilité ; équilibre entre l'effort et le naturel. Le Zen a développé une "culture du geste" qui s'étend à divers métiers, y compris celui des armes, et aussi à toutes sortes d'activités décoratives et plus ou moins féminines, et qui est l'antipode du débraillé sincériste et faussement "naturel" de notre temps.

    Nous ne sommes pas aristotélicien, mais il va de soi que nous préférons mille fois Aristote à un Zen falsifié et coupé de ses racines, et privé ainsi de sa raison d'être et de son efficacité ; si nous y insistons ici, c'est parce qu'en Zénisme moderniste on perd volontiers de vue que le Zen est "ni avec ni sans formes" et qu'il comporte notamment, à côté de l'introspection rigoureuse et de ce que nous pourrions appeler le culte de la vacuité, une attitude de dévotion, d'humilité et de gratitude, du moins a priori, laquelle lui est commune avec toute spiritualité digne de ce nom.

    En tout état de cause, une méthode spirituelle n'est pas une chose librement disponible : dans la mesure même où elle est subtile ou ésotérique, elle se mue en poison quand elle n'est pas pratiquée dans le cadre des règles canoniques, donc "au nom de Dieu" comme on dirait en Occident ; dans le cas du Zen, ce cadre est avant tout le ternaire "Bouddha-Loi-Communauté" (Buddha-Dharma-Sangha). Le Zen est fonction de tout ce qu'implique ce ternaire, ou il n'est pas.(2)

    (2) Aussi n'y a-t-il aucun rapport entre le Zen et les théories d'un Jung ou d'un Krishnamurti, ou un autre psychologisme quelconque.

    Prâjnâ étant la synthèse des cinq autres pâramitâs, le Mahâyâna se réduit en principe à prajnâ, c'est-à-dire que l'union intérieure avec le "Vide" transcendant pourrait en principe suffire comme viatique spirituel ; mais en fait la nature humaine est contraire à l'unité et à la simplicité, la méthode de régénération devra donc tenir compte de tous les aspects de notre emprisonnement samsârique, d'où la nécessité d'une voie qui, tout en présentant d'emblée un élément d'unité et de simplicité, va du multiple à l'un et du complexe au simple (3).(Forme et substance dans les religions p. 123.)

    (3) C'est ce que ne veulent pas comprendre - soit dit en passant - les pseudo-zénistes ni les pseudo-védantistes, qui s'imaginent pouvoir escamoter notre nature par des réductions mentales aussi prétentieuses qu'inefficaces.

    Pouvoirs psychiques, miracles, extases, apparitions, visions

    Un fait apparemment miraculeux ne prouve rien en lui-même, certes, mais il prouve tout quand il peut être en connexion avec une spiritualité traditionnelle et qu'il s'accompagne des critères qui garantissent son authenticité. (Sentiers de gnose, p. 43, note 1.)

    Même des miracles, le cas échéant, ne saurait constituer une preuve [pour refuser ou accepter une Révélation], étant donné les prodiges de la magie ; il est vrai que les modernes nient ces prodiges autant que les miracles, mais nous mentionnons néanmoins l'argument puisque, à l'avis des modernes, les miracles ne prouveraient rien "s'ils existaient", puisqu'ils sont imitables(1).

    (1) Ce qui n'est pas le cas, à rigoureusement parler, car le miracle exige un contexte qui le rend en réalité inimitable, sans quoi il n'aurait aucune raison d'être ; du reste, la magie est loin de pouvoir contrefaire tous les miracles, si bien que l'argument dont il s'agit est des plus faibles. (Du Divin à l'humain, p. 119).

    Les illusionnés ignorent, et veulent ignorer, que le diable peut leur donner des inspirations justes dans l'unique but de gagner leur confiance afin de pouvoir les faire tomber en fin de compte dans l'erreur ; qu'il peut leur dire neuf fois la vérité afin de pouvoir les tromper d'autant plus facilement la dixième fois ; et qu'il trompe avant tout ceux qui attendent la confirmation ou l'accomplissement des illusions auxquelles ils sont attachés (1). Ceci concerne les visions aussi bien que les auditions ou autres messages.

    (1) L'origine satanique d'un message est indifférente quand il est bénéfique, mais le diable ne donnera un tel message qu'à ceux qu'il croit pouvoir tromper par la suite, sans quoi il n'a aucun intérêt à le faire, pour dire le moins. Rappelons également dans ce contexte général que, selon d'anciennes maximes bien connues, "l'hérésie réside dans la volonté et non dans l'intelligence", et que "se tromper est humain, mais persévérer dans l'erreur est diabolique".

    Un genre particulier de grâce est l'extase ; ici aussi, il convient de distinguer entre le vrai et le faux, ou entre le surnaturel et le morbide, voire le démoniaque. Une exception très rare en même temps que fort paradoxale est l'extase accidentelle ... : il arrive qu'une personne toute profane passe par une véritable expérience extatique, sans savoir pourquoi ni comment ; une telle expérience est inoubliable et influe plus ou moins profondément sur le caractère de la personne. Il s'agit d'un accident cosmique dont la cause est fort lointaine, c'est-à-dire qu'elle est dans le destin de l'individu, ou dans le karma ...; mais ce serait une grave illusion que de voir dans une telle expérience une acquisition spirituelle de caractère conscient et actif, alors que le sens de l'évènement ne peut être qu'un appel à une voie authentique dans laquelle on repartira à zéro ; quaerite et invenietis.

    Parmi les grâces réelles ou apparentes il y a également les "pouvoirs", par exemple de guérison, de prévision, de suggestion, de télépathie, de divination, de prodiges mineurs ; ces pouvoirs peuvent assurément être des dons directs du Ciel, mais dans ce cas ils sont fonction d'un degré de sainteté, sinon ils sont simplement naturels, bien que rares et extraordinaires ; or à l'avis de toutes les autorités spirituelles il convient de s'en méfier et de ne pas y prêter attention, d'autant que le diable peut s'en mêler et a même tout intérêt à le faire.

    Les pouvoirs gratuits, s'ils peuvent être a priori des indices d'une élection de la part de Dieu, peuvent causer la perte de ceux qui s'y attachent au détriment de l'ascèse purgative qu'exige toute spiritualité ; bien des hérétiques ou des faux maîtres ont commencé par être dupes de quelque pouvoir dont la nature les avait dotés. Pour le vrai spirituel, le pouvoir apparaît tout d'abord comme une tentation, non comme une faveur ; il ne s'y arrêtera pas, et ne serait-ce que pour la simple raison qu'aucun saint ne fera de sa sainteté un axiome. L'homme ne dispose pas des mesures de Dieu, - sauf d'une façon abstraite ou par une grâce relevant d'une dignité déjà prophétique, - car nul ne peut être juge et partie dans sa propre cause.

    La question de savoir quel détail est contraire à l'authenticité d'une apparition céleste est fonction, soit de la nature des choses, soit de telle perspective religieuse ou de tel niveau de cette perspective...

    [Pour parler] des dissonances intrinsèques incompatibles avec une manifestation céleste, il y a tout d'abord - et de toute évidence - les éléments de laideur et les détails grotesques, et cela non seulement dans la forme de l'apparition, mais aussi dans ses mouvements et même simplement dans l'ambiance ; il y a ensuite le discours au double point de vue du contenu et du style, car le Ciel ne ment ni ne bavarde (1). "Dieu est beau et Il aime la beauté", a dit le Prophète ; aimant la beauté, Dieu aime également la dignité, Lui qui combine la beauté (jamâl) avec la majesté (jalâl). "Dieu est amour", et l'amour exclut, sinon la sainte colère du moins certainement la laideur et la petitesse.

    (1) Ce qui coupe court à toute une série d'apparitions ou de "messages" dont on entend parler dans cette seconde moitié du XXe siècle.

    Un critère décisif d'authenticité est, sur la base des critères extrinsèques nécessaires, l'efficacité spirituelle ou miraculeuse de l'apparition : si rien de spirituellement positif ne résulte de la vision, elle est douteuse dans la mesure même où le visionnaire est imparfait, sans être forcément fausse même dans ce cas, car les motifs du Ciel peuvent échapper aux hommes ; si, au contraire le visionnaire retire de la vision une grâce permanente au point de devenir meilleur (2), ou si la vision est la source de miracles sans s'accompagner d'aucune dissonance, il n'y a pas de doute qu'il s'agit d'une apparition céleste véritable. A fructibus eorum cognoscetis eos. [L'ésotérisme comme Principe et comme Voie, page 207-214]

    (2) Soit qu'il modifie son comportement habituel, soit qu'il change de caractère, le premier résultat étant extrinsèque, et le second intrinsèque ; l'un ne va d'ailleurs pas tout à fait sans l'autre.

    Le néo-yoguisme, le réalisationnisme

    Croire, comme le font certains "néo-yoguistes", que l' "évolution" produira un surhomme "qui différera de l'homme autant que celui-ci diffère de l'animal, ou l'animal du végétal", c'est ne pas savoir ce qu'est l'homme : c'est encore un exemple d'une pseudo-sagesse qui se croit bien supérieure aux religions "séparatistes", mais qui, en fait, est plus ignorante que le catéchisme le plus élémentaire. Car le catéchisme le plus élémentaire sait ce qu'est l'homme ; qu'il s'oppose, par ses qualités, et comme un monde autonome, à l'ensemble des autres règnes de la nature ; que sous un certain rapport, - celui des possibilités spirituelles, non celui de l'animalité, - la distance entre le singe et l'homme est "infiniment" plus grande que celle qu'il y a entre la mouche et le singe. Car l'homme seul peut sortir du monde ; l'homme seul peut retourner à Dieu et c'est là la raison pour laquelle il ne peut en aucune manière être dépassé par un nouvel être terrestre. L'homme est l'être central parmi les êtres terrestres ; c'est là une position absolue ; il ne peut pas y avoir de centre plus central que le centre, si les définitions ont un sens.

    Ce néo-yogisme, comme d'autres mouvements analogues, prétend pouvoir ajouter une valeur essentielle à la sagesse des ancêtres ; il croit que les religions sont des vérités partielles qu'il est appelé à coller ensemble, après des siècles et des siècles d'attente, et à couronner de son petit système naïf.

    La misère intellectuelle des mouvements néo-yoguistes fournit la preuve irrécusable qu'il n'est pas de spiritualité sans orthodoxie. Ce n'est certes pas par hasard que tous ces mouvements sont comme ligués contre l'intelligence ; celle-ci est remplacée par une pensée qui est faible et vague au lieu d'être logique, et "dynamique" au lieu d'être contemplative. Tous ces mouvements se caractérisent par le détachement qu'ils affectent à l'égard de la doctrine pure, dont ils haïssent l'incorruptibilité ; car cette pureté est pour eux "dogmatisme"; ils ignorent que la Vérité ne nie pas les formes de l'extérieur, mais les transcende de l'intérieur. (Perspectives spirituelles et faits humains, p. 150-151).

    ... la foi comme l'intelligence peuvent se concevoir chacun à deux niveaux différents : la foi en tant que certitude quasi ontologique et prémentale est supérieure à l'intelligence en tant que pensée discernante et spéculative (1), mais l'intelligence en tant que pure intellection est supérieure à la foi en tant que simple adhésion sentimentale...

    (1) Cette foi supérieure est tout autre chose que la facilité irresponsable et arrogante des improvisateurs profanes de Zen ou de Jnâna, lesquels entendent brûler les étapes en se privant du contexte humain essentiel de toute réalisation ; alors qu'en Orient, et dans les conditions normales d'ambiance éthique et liturgique, ce contexte est largement donné par avance. On n'entre pas chez un roi par la porte de service. (Logique et transcendance, p. 227).

    Le fait qu'il arrive trop fréquemment aux Hindous anglicisés, et aussi à d'autres Asiates, de citer dans un même souffle des noms comme Jésus et Gandhi, Shankara et Kierkegaard, Bouddha et Goethe, la Sainte Vierge et Mrs. X., ou d'affirmer que tel musicien allemand était un yogî ou que la Révolution française était un mouvement mystique, etc. etc., - ce fait, disons-nous décèle une ignorance totale de certaines différences de niveau pourtant capitales, - nous parlerions volontiers de différences de "réalité", - de même qu'un étrange manque de sensibilité à cet égard ; il y a là aussi une tendance à la simplification, due sans doute à l'idée plus ou moins subconsciente que seule la "réalisation" compte et non la "théorie", d'où un mépris parfaitement déplacé et hautement inopérant du discernement objectif des phénomènes. ...

    A part cette distinction [entre grande incarnation et incarnation mineure], il convient à plus forte raison de ne pas confondre le sacré et le profame, ni surtout le traditionnel et l'antitraditionnel ; il est inadmissible de confondre un "penseur" étranger à toute tradition, donc profane a fortiori, non seulement avec un saint, - qui relève par définition de la tradition et du sacré, - mais simplement avec une autorité traditionnelle ...Un exemple typique de déviation néo-hindouiste est le Swâmî Yogânanda, fondateur, aux Etats-Unis, d'une "Self-Realisation Fellowship" (SRF !), dont la présidente est - ou était - une Américaine. En revanche, nous retrouvons "le discernement des esprits" à un degré éminent chez un Coomaraswamy ... (Sentiers de gnose, p. 59, note 1).

    Le "spiritualisme" moderne de l'Inde, qu'il se réclame de la bhakti ou du jnâna ou des deux à la fois, - sans parler de ceux qui croient faire mieux que les anciens sages, - ce "spiritualisme", disons-nous, se caractérise, non seulement par une confiance trop unilatéral en tels "moyens", mais avant tout aussi par le fait de négliger, avec une remarquable inconscience, les bases humaines, - le climat humain, si l'on veut, - dont l'intégrité ne se trouve que dans la tradition et le sacré.

    Les "raccourcis" spirituels existent, certes, et ne peuvent pas ne point exister, puisqu'ils sont possibles ; mais se fondant sur une pure intellection d'une part et sur une technique subtile et rigoureuse d'autre part, et mettant en oeuvre à la fois la constitution du microcosme et les analogies universelles, ils exigent une préparation intellectuelle et un conditionnement psychologique ancrés dans la tradition, sous peine de demeurer inopérants, et surtout d'aller à fin contraire. C'est là que pèchent les protagonistes de tel ou tel yoga qui croient devoir offrir aux gens les moins aptes et les moins avertis, une "voie purement scientifique" et "non-sectaire", "découverte" par d'anciens sages et "dégagée de toute superstition" et de toute "scolastique", c'est-à-dire, en somme, de toute garantie traditionnelle et même de toute raison suffisante. (Sentiers de gnose, p. 62-63).

    Pour comprendre certaines erreurs du néo-bhaktisme, ou du néo-hindouisme en général(1), il faut se rappeler que l'opposition "orthodoxie-hétérodoxie" ne coïncide malheureusement pas toujours - il s'en faut de beaucoup, - avec l'opposition "piété-mondanité"; ce paradoxe est un lieu de prédilection pour Satan, car il y a là un terrain fructueux pour toutes sortes de séductions et d'hypocrisies ; c'est, en somme, spéculer trompeusement sur la différence de plan qui sépare la vérité doctrinale et la vertu. Rien n'est plus agréable au malin que les cris d'indignation de l'hérétique contre le vice éventuel de l'orthodoxe, ou la condamnation pharisaïque, par tel orthodoxe ou par tel niveau d'orthodoxie, d'une valeur spirituelle incomprise ; la genèse de l'Occident moderne et la modernisation facile de l'Orient s'expliquent en grande partie par ces oscillations inextricables.

    (1) Tel "réformateur" néo-hindou veut "rejeter toutes ces fables de cultes, ces conques que l'on souffle, ces cloches que l'on sonne" et même "tout orgueil de science et d'étude des Shâstras, et toutes ces méthodes pour atteindre la délivrance personnelle..." Mais si les Brahmanes n'avaient pas soufflé des conques pendant des millénaires, vous tous, "réformateurs" de l'Inde, n'existeriez même pas ! (Sentiers de gnose, p. 67).

    Une erreur pernicieuse ... et qui semble être un axiome pour les faux gourous d'Orient et d'Occident, est ce que nous pourrions désigner par le terme de "réalisationnisme" : on prétend que seule la "réalisation" importe et que la "théorie" n'est rien, comme si l'homme n'était pas un être pensant, et comme s'il pouvait entreprendre quoique ce soit sans savoir où poser le pied. Les faux maîtres parlent volontiers du "développement d'énergies latentes" ; or on peut aller en enfer avec tous les développements et toutes les énergies qu'on voudra ; mieux vaut en tout cas mourir avec une bonne théorie qu'avec une fausse "réalisation". Ce que les pseudo-spiritualistes perdent trop volontiers de vue, c'est que, selon la maxime des maharadjahs de Bénarès, "il n'y a pas de droit supérieur à celui de la vérité." (Le jeu des masques, p.25, note 7).

    ... les rationalistes et les fidéistes ne sont pas les seuls adversaires de la Sophia Perennis : un autre opposant - quelque peu inattendu - est ce que nous pourrions appeler le "réalisationnisme" ou "l'extatisme" : à savoir le préjugé mystique - assez répandu dans l'Inde - qui veut qu'il n'y ait que la "réalisation" ou les "états" qui comptent en spiritualité. Les partisans de cette opinion opposent à la "vaine ratiocination" la "réalisation concrète" et s'imaginent trop facilement qu'avec l'extase, tout est gagné ; ils oublient que sans les doctrines - à commencer par le Vedânta ! - ils n'existeraient même pas ; et il leur arrive également de perdre de vue qu'une réalisation subjective - fondée sur l'idée du "Soi" immanent - a grandement besoin de cet élément objectif qu'est la Grâce du Dieu personnel, sans oublier le concours de la Tradition.

    Nous devons mentionner ici l'existence de faux maîtres qui, héritiers de l'occultisme et inspirés par le "réalisationnisme" et la psychanalyse, s'ingénient à inventer des infirmités invraisemblables afin de pouvoir inventer des remèdes extravagants. Ce qui logiquement est surprenant, c'est qu'ils trouvent toujours des dupes, et cela même parmi les soi-disant "intellectuels"; l'explication en est que ces nouveautés viennent remplir un vide qui n'aurait jamais dû se produire.

    Dans toutes ces "méthodes", le point de départ est une fausse image de l'homme ; le but de l'entraînement étant le développement - à l'instar de la "clairvoyance" de certains occultistes - de "pouvoirs latents" ou d'une personnalité épanouie ou "libérée". Et puisqu'un tel idéal n'existe pas - d'autant que la prémisse est imaginaire - le résultat de l'aventure ne peut être qu'une perversion ; c'est la rançon d'un rationalisme sursaturé - éclaté à son extrême limite - à savoir un agnosticisme dépourvu de toute imagination.
    (La transfiguration de l'homme, p. 16-17)

    Occultisme, spiritisme, fétichisme, paganismes et traditions déchues

    Pour ce qui est de la première notion [l'occultisme], nous rappellerons tout d'abord que le terme "occulte" tire son origine des vires occultae, c'est-à-dire des forces invisibles de la nature, et des occulta, des secrets relevant des anciens mystères ; en fait, l'occultisme moderne se réduit grosso modo à l'étude des phénomènes extra-sensibles, étude des plus aléatoires en raison de son caractère tout empirique et de l'absence, précisément, de toute doctrine de base.

    L'occultisme s'étend de l'expérimentation pure et simple jusqu'aux spéculations et pratiques pseudo-religieuses ; de là à qualifier d' "occultisme" toute doctrine ou méthode authentiquement ésotérique il n'y a qu'un pas, qui a été franchi par ignorance, indifférence ou négligence, et sans scrupule ni vergogne par ceux qui ont intérêt à une semblable dépréciation. C'est comme si l'on qualifiait les vrais mystiques d'occultistes sous prétexte qu'eux aussi s'occupent de l'invisible. (Logique et transcendance, p.7).

    Il y a eu bien des spéculations sur la question de savoir comment le sage - le "gnostique"(1) ou le jnânî - "voit" le monde phénoménal, et les occultistes de tout genre ne se sont pas privés d'émettre les théories les plus fantaisistes sur la "clairvoyance" et le "troisième oeil"; en réalité, la différence entre la vision ordinaire et celle dont jouit le sage n'est de toute évidence pas d'ordre sensoriel. Le sage voit les choses dans leur contexte total, donc à la fois dans leur relativité et leur transparence métaphysique... Le "troisième oeil", c'est la faculté de voir les phénomènes sub specie aeternitatis et partant dans une sorte de simultanéité ; il s'y ajoute souvent, par la force des choses, des intuitions sur les modalités pratiquement imperceptibles.

    (1) Nous employons toujours ce mot au sens étymologique et sans tenir compte de tout ce qui, historiquement, peut s'appeler "gnosticisme". C'est la gnose que nous avons en vue et non ses déviations pseudo-religieuses.

    Le sage voit les causes dans les effets, et les effets dans les causes ; il voit Dieu en tout, et tout en Dieu. (Regards sur les mondes anciens, p.144-145).

    Spiritisme

    Empirisme procédant à l'aveuglette et doté d'une fausse doctrine, ce qui n'empêche pas les phénomènes d'être réels. (Images de l'esprit, p. 145, note 42).

    Fétichisme, "paganisme", traditions déchues

    ... pourquoi des Soufis ont-ils déclaré que Dieu peut être présent, non seulement dans les églises et les synagogues, mais aussi dans les temples des idolâtres ? C'est que dans les cas "classiques" et "traditionnels" de paganisme, la perte de la vérité plénière et de l'efficacité salvifique résulte essentiellement d'une modification profonde de la mentalité des adorateurs et non de la fausseté éventuelle des symboles ; dans toutes les religions qui entouraient chacun des trois monothéismes sémitiques, de même que dans les "fétichismes"(1) encore vivants à l'heure actuelle, une mentalité primitivement contemplative et possédant par conséquent le sens de la transparence métaphysique des formes, a fini par devenir passionnelle, mondaine(2) et proprement superstitieuse.(3)

    Le symbole, laissant transparaître à l'origine la réalité symbolisée, - dont il est d'ailleurs à rigoureusement parler un aspect, - est devenu en fait une image opaque et incomprise, donc une idole, et cette décheance de la mentalité générale n'a pas pu ne pas agir à son tour sur la tradition elle-même, en l'affaiblissant et en la faussant de diverses manières ; la plupart des anciens paganismes se caractérisent par l'ivresse de puissance et la sensualité. (Comprendre l'Islam, p. 60).

    (1) Ce mot n'a ici qu'une fonction de signe conventionnel pour désigner des traditions déchues ; en l'employant, nous n'entendons pas nous prononcer sur la valeur de telle ou telle tradition africaine ou mélanésienne.

    (2) Le kkâfir, selon le Koran, se caractérise en effet par sa "mondanité", c'est-à-dire par sa préférence des biens d'ici-bas et son inadvertance (ghaflah) à l'égard des biens de l'au-delà.

    (3) D'après l'Évangile, les païens s'imaginent qu'ils seront exaucés parce qu'ils font beaucoup de paroles. La "superstition" c'est, au fond, l'illusion de prendre les moyens pour la fin, ou d'adorer les formes pour elles-mêmes et non pour leur contenu transcendant.

    Le paganisme, s'il ne se réduit pas à un culte des esprits, - culte pratiquement athée qui n'exclut pas la notion théorique d'un Dieu(1), - est proprement un "angélothéisme"; le fait que le culte s'adresse à Dieu dans sa "diversité", si l'on peut dire, ne suffit pas pour empêcher la réduction du Divin - dans la pensée des hommes - aux niveaux des puissances créées. L'unité divine prime le caractère divin de la diversité : il est plus important de croire à Dieu, - donc à l'Un - que de croire à la divinité de tel principe universel.

    (1) Il est des Nègres fétichistes qui, sans ignorer Dieu, s'étonnent que les Monothéistes s'adressent à lui alors qu'il habite des "hauteurs inaccessibles". (Perspectives spirituelles et faits humains, p. 91).

    Le paganisme, c'est la réduction de la religion à une sorte d'utilitarisme, ce qui amène le syncrétisme et l'hérésie : le syncrétisme, parce que les divinités et les cultes les plus hétéroclites sont ajoutés au propre culte sans assimilation ni intégration aucune ; et l'hérésie, parce que les qualités divines sont confondues avec les puissances angéliques, qui, à leur tour, sont rabaissées au niveau des passions humaines ; la façon même dont les anciens représentaient les dieux prouve bien qu'ils ne les comprenaient plus. (Perspectives spirituelles et faits humains, p. 92).

    ... les rationalistes et les fidéistes ne sont pas les seuls adversaires de la Sophia Perennis : un autre opposant - quelque peu inattendu - est ce que nous pourrions appeler le "réalisationnisme" ou "l'extatisme" : à savoir le préjugé mystique - assez répandu dans l'Inde - qui veut qu'il n'y ait que la "réalisation" ou les "états" qui comptent en spiritualité. Les partisans de cette opinion opposent à la "vaine ratiocination" la "réalisation concrète" et s'imaginent trop facilement qu'avec l'extase, tout est gagné ; ils oublient que sans les doctrines - à commencer par le Vedânta ! - ils n'existeraient même pas ; et il leur arrive également de perdre de vue qu'une réalisation subjective - fondée sur l'idée du "Soi" immanent a grandement besoin de cet élément objectif qu'est la Grâce du Dieu personnel, sans oublier le concours de la Tradition.

    Nous devons mentionner ici l'existence de faux maîtres qui, héritiers de l'occultisme et inspirés par le "réalisationnisme" et la psychanalyse, s'ingénient à inventer des infirmités invraisemblables afin de pouvoir inventer des remèdes extravagants. Ce qui logiquement est surprenant, c'est qu'ils trouvent toujours des dupes, et cela même parmi les soi-disant "intellectuels"; l'explication en est que ces nouveautés viennent remplir un vide qui n'aurait jamais dû se produire.

    Dans toutes ces "méthodes", le point de départ est une fausse image de l'homme ; le but de l'entraînement étant le développement - à l'instar de la "clairvoyance" de certains occultistes - de "pouvoirs latents" ou d'une personnalité épanouie ou "libérée". Et puisqu'un tel idéal n'existe pas - d'autant que la prémisse est imaginaire - le résultat de l'aventure ne peut être qu'une perversion ; c'est la rançon d'un rationalisme sursaturé - éclaté à son extrême limite - à savoir un agnosticisme dépourvu de toute imagination.
    (La transfiguration de l'homme, p. 16-17)

    Les psychologismes spiritualistes :
    la confusion du spirituel et du psychologique, la psychanalyse,

    La confusion du spirituel et du psychologique

    Nous entendons par ce terme de "psychologisme" le parti pris de tout réduire à des facteurs psychologiques et de mettre en question, non seulement l'intellectuel et le spirituel, - le premier se référant à la vérité et le second à la vie en elle et par elle, - mais aussi l'esprit humain comme tel, donc sa capacité d'adéquation et, de toute évidence, son illimitation interne ou sa transcendance.

    Cette tendance amoindrissante et proprement subversive sévit dans tous les domaines que le scientisme prétend embrasser, mais son expression la plus aigüe est sans contexte la psychanalyse ; celle-ci est à la fois un aboutissement et une cause, comme c'est toujours le cas chez les idéologies profanes, telle que le matérialisme et l'évolutionnisme, dont la psychanalyse est au fond une ramification logique et fatale et un allié naturel. (Résumé de métaphysique intégrale, p. 101, Chapitre: L'imposture du psychologisme).

    D'une manière toute générale, ce dont il convient de se méfier avec une vigilance implacable, c'est la réduction du spirituel au psychique, laquelle est tout-à-fait courante - au point de les caractériser - dans les interprétations occidentales des doctrines traditionnelles ; cette soi-disant "psychologie de la spiritualité"- ou cette "psychanalyse" du sacré - est la brèche par laquelle le virus mortel du relativisme moderne s'infiltre dans les traditions orientales encore vivantes (1).

    Bien entendu, il ne s'agit pas de nier que la spiritualité, bien que déterminée essentiellement par le supra-individuel, comporte des modalités secondaires d'ordre psychique du fait qu'elle met forcément en oeuvre "tout ce que nous sommes" ; mais une "psychologie du spirituel" est un contresens qui ne peut aboutir qu'à la falsification et à la négation de l'esprit ; autant vaudrait parler d'une "biologie de la vérité", et on peut être certain que cela s'est déjà fait.

    (1) D'après C.G. Jung, l'émersion figurative de certains contenus du "subconscient collectif" s'accompagne empiriquement, à titre de complément psychique, d'une sensation nouménale d'éternité et d'infinitude ; c'est ruiner insidieusement toute transcendance et toute intellection. Selon cette théorie, c'est l'inconscient - ou subconscient - collectif qui est à l'origine de la conscience "individuée", l'intelligence humaine ayant deux composants, à savoir les reflets du subconscient d'une part et l'expérience du monde externe d'autre part; mais comme l'expérience n'est pas en soi de l'intelligence, celle-ci a nécessairement pour substance le subconscient, et on en vient alors à vouloir définir le subconscient à partir de sa ramification. C'est la contradiction classique de toute philosophie subjectiviste et relativiste. (Images de l'esprit, p. 164 ou Trésors du Bouddhisme, p. 74-75).

    Si tout ce qui est humain à un titre quelconque a des raisons purement psychologiques, on peut et on doit tout expliquer par la psychologie, d'où la "psychologie des religions" et la critique prétendûment psychologique des textes ; dans tous les cas de ce genre, nous assistons à des spéculations dans le vide en l'absence des données objectives indispensables, mais inaccessibles aux méthodes d'investigation arbitrairement définies comme normales, ou abusivement étendues à tout savoir possible. (Logique et transcendance, p. 18).

    La psychanalyse

    La psychanalyse, d'abord élimine les facteurs transcendants essentiels à l'homme et ensuite remplace les complexes d'infériorité ou de frustration par des complexes d'aisance et d'égoïsme ; elle permet de pécher calmement, avec assurance, et de se damner avec sérénité. (Logique et transcendance, p. 19).

    Si le freudisme affirme que la rationalité n'est qu'un camouflage hypocrite d'une animalité refoulée, cette affirmation - évidemment rationnelle - tombe sous le même verdict ; le freudisme, s'il avait raison, ne serait lui-même pas autre chose qu'une dénaturation symbolisante d'instincts pycho-physiques.

    Sans doute, les psychanalystes diront que dans leur cas, le raisonnement n'est pas fonction de refoulements inavouables ; mais nous ne voyons pas du tout, premièrement en vertu de quoi cette exception serait admissible sur la base de leur propre doctrine, et deuxièmement pourquoi cette loi d'exception ne jouerait qu'en leur faveur et non en faveur des doctrines spirituelles qu'ils rejettent haineusement, et avec un révoltant manque du sens des proportions.

    Au demeurant, rien n'est plus absurde qu'un homme se faisant l'accusateur, non de quelque accident pyschologique, mais de l'homme comme tel ; d'où vient ce demi-dieu qui accuse, et d'où vient sa faculté d'accuser ? Si l'accusateur a raison, c'est que l'homme n'est pas si mauvais et qu'il y a en lui une capacité d'adéquation ; sinon il faudrait admettre que les protagonistes de la psychanalyse soient des dieux tombés imprévisiblement du ciel, ce dont on ne voit pas ombre de vraisemblance, pour dire le moins. (Logique et transcendance, p. 18-19).

    La psychanalyse a réussi à pervertir l'intelligence, en donnant lieu à un "complexe psychanalytique" qui corrompt tout ; s'il est possible de nier l'absolu de bien des façons, le relativisme psychologiste et existentialiste le nie dans l'intelligence même ; celle-ci se fait pratiquement dieu, mais au prix de tout ce qui fait sa nature propre, sa valeur et son efficacité ; elle devient "adulte" en se détruisant. (Logique et transcendance, p. 19).

    Quant à la prière individuelle, elle a incontestablement sa raison d'être dans notre nature, car c'est un fait que les individus diffèrent entre eux et qu'ils ont des destins et des désirs différents. Cette prière ... défait les noeuds psychiques, ou en d'autres termes, elle dissout les coagulations subconscientes et épuise bien des poisons secrets ; elle extériorise, devant Dieu, les difficultés, défaillances et crispations de l'âme, ce qui présuppose que celle-ci soit humble et véridique, et cette extériorisation - opérée au regard de l'Absolu - a la vertu de rétablir l'équilibre et de ramener la paix, en un mot de nous ouvrir à la grâce (1).

    (1) Le sacrement de pénitence se fonde sur ces données, en y ajoutant une vertu compensatrice particulière de nature céleste. La psychanalyse présente un procédé analogue, mais en mode satanique, en remplaçant le surnaturel par l'infra-naturel : à la place de Dieu, il y a la nature dans ce qu'elle a d'aveugle, de ténébreux et d'inhumain. Le mal, pour les psychanalystes, n'est pas ce qui est contraire à Dieu et aux fins dernières de l'homme, mais ce qui trouble l'âme, la cause de l'inquiétude fut-elle bonne ; aussi l'équilibre résultant de la psychanalyse est-il d'ordre animal au fond, ce qui est parfaitement contraire aux exigences de notre immortalité. Chez l'homme, les déséquilibres peuvent et doivent être résolus en vue d'un équilibre supérieur, conformément à la hiérarchie spirituelle des valeurs, et non dans quelque béatitude quasi végétale ; on ne peut guérir un mal humain en dehors de Dieu. (Les stations de la Sagesse, p.162).

    Au rebours de l'expérience et du bon sens, certains adeptes de la psychanalyse - sinon tous - estiment qu'on ne devrait jamais punir un enfant, car, pensent-ils, une punition le "traumatiserait ; ce qu'ils oublient, c'est qu'un enfant qui se laisse traumatiser par une punition juste - donc proportionnée à la faute - est déjà un monstre. L'essence de l'enfant normal, sous un certain rapport, est le respect des parents et l'instinct du bien ; une juste punition, loin de le blesser foncièrement, l'illumine et le délivre, en le projetant pour ainsi dire dans la conscience de la norme.

    Certes, il est des cas où les parents ont tort et où l'enfant est traumatisé à juste titre, mais l'enfant normal, ou normalement vertueux, n'en tombera pas pour autant dans une amertume vindicative et stérile, bien au contraire : il tirera de son expérience le meilleur parti, grâce à l'intuition que toute adversité est métaphysiquement méritée, aucun homme n'étant parfait sans épreuve. (Résumé de métaphysique intégrale, p. 96).

    ... il faut réagir contre l'opinion psychanalytique - très répandue - que l'indignation aussi bien que l'enthousiasme révèlent toujours un préjugé ou un parti pris ; opinion simpliste qui est voisine d'une autre erreur non moins sotte, à savoir que dans une discorde nul n'a jamais tout-à-fait raison, et que celui qui s'emporte a toujours tort. (Résumé de métaphysique intégrale, p. 99).

    [Nous ne pouvons présenter ici tout le chapitre sur "L'imposture du psychologisme" dans Résumé de métaphysique intégrale, p. 101-107, qui est de toute première importance. Indiquons seulement le contenu général de ce chapitre :]

    L'imposture du psychologisme
    Définition du terme "psychologisme"
    La double imposture de la psychanalyse
    La sinistre originalité de la psychanalyse
    La question des complexes, les équilibres à tout prix
    Usurpation, par la psychanalyse, de la religion et de la sagesse
    L'Européen, excessivement "cérébral"
    Supériorité, sous certains rapports, des hommes dits "primitifs"
    Ravage de la psychanalyse dans le monde des "croyants"
    La disgrâce du culte de la Sainte Vierge
    Il faut revenir à la science des vertus et des vices

    On fait la "psychanalyse" d'un scolastique par exemple, ou même d'un Prophète, afin de "situer" leur doctrine, - inutile de souligner le monstrueux orgueil qu'implique une semblable attitude, - et on décèle avec une logique toute machinale et parfaitement irréelle les "influences" que cette doctrine aurait subie ; on n'hésite pas à attribuer, ce faisant, à des saints toutes sortes de procédés artificiels, voire frauduleux, mais on oublit évidemment, avec une satanique inconséquence, d'appliquer ce principe à soi-même et d'expliquer sa propre position - prétendument "objective" - par des considérations psychanalytiques ; bref on traite les sages comme des malades et on se prend pour un dieu. (Regards sur les mondes anciens, p. 40, note 1).

    ... les rationalistes et les fidéistes ne sont pas les seuls adversaires de la Sophia Perennis : un autre opposant - quelque peu inattendu - est ce que nous pourrions appeler le "réalisationnisme" ou "l'extatisme" : à savoir le préjugé mystique - assez répandu dans l'Inde - qui veut qu'il n'y ait que la "réalisation" ou les "états" qui comptent en spiritualité. Les partisans de cette opinion opposent à la "vaine ratiocination" la "réalisation concrète" et s'imaginent trop facilement qu'avec l'extase, tout est gagné ; ils oublient que sans les doctrines - à commencer par le Védânta ! - ils n'existeraient même pas ; et il leur arrive également de perdre de vue qu'une réalisation subjective - fondée sur l'idée du "Soi" immanent a grandement besoin de cet élément objectif qu'est la Grâce du Dieu personnel, sans oublier le concours de la Tradition.

    Nous devons mentionner ici l'existence de faux maîtres qui, héritiers de l'occultisme et inspirés par le "réalisationnisme" et la psychanalyse, s'ingénient à inventer des infirmités invraisemblables afin de pouvoir inventer des remèdes extravagants. Ce qui logiquement est surprenant, c'est qu'ils trouvent toujours des dupes, et cela même parmi les soi-disant "intellectuels"; l'explication en est que ces nouveautés viennent remplir un vide qui n'aurait jamais dû se produire.

    Dans toutes ces "méthodes", le point de départ est une fausse image de l'homme ; le but de l'entraînement étant le développement - à l'instar de la "clairvoyance" de certains occultistes - de "pouvoirs latents" ou d'une personnalité épanouie ou "libérée". Et puisqu'un tel idéal n'existe pas - d'autant que la prémisse est imaginaire - le résultat de l'aventure ne peut être qu'une perversion ; c'est la rançon d'un rationalisme sursaturé - éclaté à son extrême limite - à savoir un agnosticisme dépourvu de toute imagination.
    (La transfiguration de l'homme, p. 16-17)