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Rose-Croix (18)
L’ORGUEIL DE LA CONNAISSANCE
Une des formes d’orgueil les plus subtiles et les plus insidieuses se présente souvent à l’étudiant de la
Philosophie et de la Science occultes, parfois dès le début de ses travaux, parfois beaucoup plus tard au cours de
ceux-ci. C’est la tendance, ou plutôt la tentation, de se considérer comme supérieur aux autres, en raison de
connaissances seulement entrevues, la plupart du temps, avant qu’elles ne puissent être réellement acquises.
Heureusement que les exhortations à l’humilité ne lui manqueront point pour l’aider à combattre efficacement
cette tentation et à s’en rendre maître. Il les trouvera à chaque pas, disséminées un peu partout, dans les
enseignements occultes et mystiques. Comme autrefois dans l’ancienne Rome, l’esclave, pendant les heures
enivrantes du triomphe, répétait à tout instant à César : « Souviens-toi que tu es un homme », elles lui diront sans
cesse « Souviens-toi que tu n’es rien » !
Néanmoins, pour quelques uns, ces exhortations ne sont pas suffisantes et la tentation est la plus forte. Elle aura
pour effet alors de développer une certaine sécheresse du coeur, tandis que celui-ci, devrait au contraire, vibrer de
plus en plus à l’unisson des harmonies sublimes de la Nature, et apprendre à connaître la pitié et la compassion
divines des Grands Etres qui nous guident et qui veillent sur notre progrès.
Le fait de s’enorgueillir de la connaissance est, de plus, une preuve de l’incompréhension totale des
enseignements qui nous sont révélés, car rien dans ces vérités profondes ne nous autorise à nous croire
supérieurs en quoi que ce soit à ceux qui ne savent pas ou qui semblent ne pas savoir.
La connaissance en elle-même n’est rien, ou bien peu de chose, si elle n’est pas accompagnée par la pratique des
vertus qu’elle nous impose et qui font que nous nous efforçons par tous nos actes de devenir un humble agent
des forces spirituelles divines révélées par elle.
Que savons-nous des êtres humains qui nous entourent ? Sommes-nous réellement à même de les apprécier à
leur véritable valeur, ou ne nous laissons-nous pas au contraire guider dans cette appréciation par nos tendances,
nos goûts, nos sympathies et nos antipathies ? Connaissons-nous réellement quelque chose de leurs qualités et de
leurs vertus ? Celui qui ne semble avoir aucun penchant pour la Philosophie et la Science occultes, celui qui
paraît même professer un certain dédain pour des spéculations intellectuelles qui dépassent les limites des faits
de l’existence de chaque jour, a peut-être en lui des nobles qualités, des beaux traits de caractère qui ne sont pas
encore notre apanage, en dépit de toutes nos connaissances. Il nous faudra peut-être vivre plusieurs existences
sur notre terre, avant de pouvoir les acquérir par nos efforts constants, avant de pouvoir l’égaler sous ce rapport.
Et lui, il lui suffira simplement de consacrer quelques années aux études qui nous sont si chères pour en savoir
tout autant, sinon bien davantage que nous, et il aura en plus toutes ses qualités que nous n’avons pas encore.
Notre prétendue supériorité basée uniquement sur un échafaudage bien fragile de connaissances n’est donc
qu’une illusion de notre orgueil.
Si nous voulions nous montrer sincères vis-à-vis de nous-mêmes, nous devrions être plutôt remplis de confusion
à la pensée que nous consacrions tant de temps à vouloir nous instruire et que nous faisons si peu d’efforts pour
devenir meilleurs, alors que tout dans la Science et dans la Philosophie occultes nous y invite impérieusement.
L’orgueil de la connaissance a parfois pour effet, lorsqu’il se manifeste au bout de longues années de travaux, de
faire naître en nous cette illusion que nous sommes les seuls à connaître la Vérité. Cette illusion est très
dangereuse, car elle nous expose à ce que nous nous enfermions volontairement nous-mêmes dans une tour
d’ivoire. Elle peut en outre donner naissance au sectarisme et à l’intolérance pour les idées des autres ; si elles ne
sont pas exactement exprimées sous la forme que nous avons adoptée.I1 ne faut jamais oublier que la Vérité est Une, mais qu’elle peut avoir des modes d’expression différents suivant
les individus. Sachons donc la reconnaître partout où elle se manifeste, même si elle le fait parfois sous un aspect
inaccoutumé pour nous. Il est évident que nous avons le devoir de redresser une erreur manifeste lorsqu’elle est
exprimée en notre présence ; mais nous devons nous garder de parler avec le ton dogmatique d’un pontife qui
stigmatise une hérésie. Nous devons au contraire, le faire avec toute la douceur nécessaire pour ne pas froisser
les autres, avec toute la Patience indispensable pour les engager à accepter les enseignements que nous voulons
leur faire adopter.
Si la recherche des sublimes vérités spirituelles devait faire renaître sur un autre terrain les querelles religieuses
d’autrefois, ce serait un résultat déplorable, puisque cette recherche doit, au contraire contribuer à l’avènement
de l’union entre tous les coeurs humains, cette union tant désirée qui nous conduira vers la Fraternité de l’Avenir.