• LE SACRE DU ROI DE FRANCE

    Le sacre du roi :le déroulement de la cérémonie

     

     

    Légende de La sainte Ampoule

    Voilà donc qu’apparaît dans un texte, près de quatre siècles après son baptême, la fameuse sainte Ampoule envoyée par Dieu pour oindre Clovis. Grégoire de Tours n’a pas dit un mot de ce prodige, ignoré des sources contemporaines de l’événement. Hincmar l’a-t-il inventé, comme le voulaient certains érudits allemands du siècle dernier ?

    Non, des chercheurs l’ont innocenté ; le miracle est attesté avant son épiscopat dans des traditions liturgiques rémoises. Il l’a seulement exalté à Metz et surtout quelques années plus tard en écrivant la Vita Remigii (Vie de saint Rémi).

    Quelle est l’origine de cette légende ? Il faut très certainement se rallier à ce que Jacques Le Goff appelle une "contamination" de l’iconographie du baptême du Christ. L’Évangile mentionne l’Esprit de Dieu descendant sous la forme d’une colombe au-dessus de la tête de Jésus. Dans les baptistères de Ravenne, la colombe apporte une fiole à saint Jean-Baptiste, signe évident d’une projection de la liturgie baptismale. Une plaque d’ivoire du musée de Picardie, provenant de la reliure d’une Vita Remigii du IXe siècle, montre bien l’adaptation du modèle christique au baptême de Clovis. C’est là une démarche familière à l’artiste médiéval qui, pour un nouveau sujet, adaptait une source iconographique plus qu’il ne créait ex nihilo : l’image du baptême du Christ "véhiculait" une colombe. Il s’agissait aussi d’une vision symbolique insistant sur l’analogie entre le baptême fondateur de l’Église et la baptême fondateur du royaume chrétien des Francs, sur l’analogie entre le roi sacré et le Christ, l’oint du Seigneur par excellence.

    L’image de la colombe planant au-dessus de Clovis pouvait symboliser la descente de l’Esprit sur le roi. Mais on en fit une lecture au premier degré : un oiseau blanc comme neige avait apporté des cieux une ampoule. L’objet est bien réel, il a été vu par des milliers de témoins d'après Hincmar jusqu’à ce qu’il fût brisé par le conventionnel Rühl, le 7 octobre 1793, sur la ci-devant place Royale de Reims.

    On conservait cette sainte Ampoule dans le tombeau de saint Rémi. Quand il y eut des sacres à la cathédrale, les moines de Saint-Rémi l’apportaient en procession à Notre-Dame sous bonne escorte, puis la renfermaient aussitôt dans leur abbatiale. Il paraît logique d’associer l’ampoule au saint évêque qui l’avait reçue du ciel, mais pourquoi la garder dans son tombeau ? Peut-être, tout simplement, parce que c’est là qu’on l’avait trouvée. Une hypothèse plausible sur son origine est la découverte d’une ampoule d’aromates ayant servi à embaumer le corps du prélat et restée près de lui. Saint Rémi avait été embaumé (quand ses reliques furent profanées en 1793, le crâne présentait encore sa peau et des poils de barbe). Une translation des reliques intervint en 852 sous la présidence d’Hincmar. Il est possible que la découverte ait eu lieu à cette occasion : la légende trouvait sa confirmation et l’archevêque pouvait alors prendre le ciel à témoin qu’il était désigné providentiellement comme le ministre du sacre.

     

    Les villes du sacre

    Hincmar obtint satisfaction en sacrant Louis le Bègue le 8 décembre 877, mais pas à Reims, à Compiègne, dans la chapelle du palais. Les cérémonies suivantes se dispersèrent ; sur les onze sacres célébrés entre 879 et 1017, neuf ont eu lieu dans la province de Reims, qui était le "refuge" des derniers Carolingiens, la province où ils avaient l’essentiel de leur pouvoir et où leurs concurrents eux-mêmes venaient manifester leur autorité. Pendant un siècle, en effet, le trône fut disputé entre les derniers Carolingiens et les Robertiens (qu’on appelle Capétiens à partir de 987), la puissante famille des comtes de Paris.

    Paris appartenait à la province ecclésiastique de Sens ; son métropolitain était l’archevêque des Robertiens. Il se posa en concurrent de l’archevêque de Reims. Le lieu du sacre n’était pas immuable à cette époque, il dépendait de la conjoncture politique et plus encore de la résidence royale (Reims, Compiègne, Laon, Soissons ou Orléans) ; en fait, le prélat consécrateur était celui qui avait la juridiction métropolitaine sur la ville retenue. Ce n’est qu’au début du XIe siècle que Reims s’imposa : de 1027 à 1825, trente sacres sur trente-deux y ont eu lieu, dans la cathédrale. Les deux seules exceptions étant Louis VI (Orléans, 1108) et Henri IV (Chartres, 1594) ; Louis XVIII n’a pas été sacré, pas plus que Louis-Philippe, cela va sans dire, puisqu’il tenait son pouvoir de la Nation.

     

    Le privilège rémois

    Le choix de Reims a d’abord été le fait du prince. Michel Bur a bien montré la corrélation entre la localisation du sacre et l’accentuation de la présence royale dans la ville, par l’intermédiaire de l’archevêque, son vassal, détenteur des droits comtaux.

    Ce fut aussi le fait du pape. En 999, Gerbert, devenu Sylvestre II, accorda à l’archevêque le privilège de bénir le roi. En 1089, Urbain II lui confirma ce pouvoir "de consacrer et d’ordonner" en vertu du baptême de Clovis. C’était la reconnaissance, par un ancien chanoine, du discours des clercs de Reims depuis Hincmar ; trente ans plus tôt, en 1059, il avait pu l’entendre de la bouche de l’archevêque Gervais au sacre de Philippe Ier-

    Il y avait une tradition mais pas encore de privilège royal reconnaissant l’exclusivité rémoise, quand se produisit en 1108 une rupture avec le sacre de Louis VI à Orléans par l’archevêque de Sens, rupture d’autant plus grave que les habitudes étaient encore fragiles. Les circonstances étaient exceptionnelles. Le roi Philippe Ier était mort le 29 juillet alors que son fils n’avait pas encore été sacré ; Louis était en butte à l’hostilité deson demi-frère Philippe et à l’infidélité des ducs de Normandie, d’Aquitaine et de Bourgogne, pas disposés à lui prêter hommage. Il fallait faire vite. Le sacre eut lieu le 3 août, aussitôt après l’inhumation du roi à Saint-Benoît-sur-Loire, un lundi, ce qui était inusité ; d’ordinaire, on attendait le dimanche ou un jour de fête. Les envoyés de l’archevêque de Reims arrivèrent trop tard pour produire la bulle d’Urbain II lui assurant l’exclusivité de la cérémonie. L’archevêque de Sens fit dire qu’il ne connaissait pas l’existence de ce document. Le tapage fait autour de ce sacre à Orléans fut tel que nul ne put ensuite ignorer le privilège de Reims.

    Louis VI en retrouva le chemin pour faire sacrer son fils aîné, Philippe, à Pâques 1129 puis, après la mort accidentelle de celui-ci, son deuxième fils, Louis, le 25 octobre 1131.

    Exceptionnellement, l’officiant ne fut pas l’archevêque mais le pape Innocent II qui présidait là un important concile. La Chronique de Morigny nous précise qu’il y avait treize archevêques et deux cent trente-six évêques, que le pape commença par rappeler que les rois régnaient par la volonté de Dieu puis procéda au rite "en usant de l’huile reçue d’un ange par saint Rémi pour rendre chrétien Clovis roi des Francs".

    Depuis qu’Hincmar avait déclaré, en 869, que son Église possédait encore la fiole miraculeuse, c’est la première mention explicite que l’on trouve dans les textes. Mais quel témoignage ! Le pape authentifiait la sainte Ampoule dans un concile général. L’Église de Reims était désormais bien assurée de son privilège et le roi y gagnait une onction d’origine surnaturelle qui le mettait dans une position exceptionnelle. Pendant la guerre de Cent Ans, on ne devait pas manquer de rappeler que le roi d’Angleterre était sacré avec l’huile qu’on trouvait chez les merciers, autrement dit chez l’épicier du coin.

    L’autre coup de maître fut l’intégration dans le sacre de la superstition populaire qui attribuait au roi des pouvoirs thaumaturgiques. Si le roi recevait la faculté de faire des miracles en guérissant les écrouelles, c’était en vertu de l’onction d’un chrême miraculeux. Ainsi s’est élaborée une religion royale qui est devenue un "système" cohérent pour reprendre un mot de Jacques le Goff plongeant ses racines dans le baptême de Clovis.

    Au plus haut de la façade de la cathédrale de Reims, au centre de la galerie des rois, on reconnaît Clovis dans la piscine baptismale, entre sainte Clotilde et saint Rémi, recevant la sainte Ampoule. Les cinquantesix statues colossales qui ceinturent les tours ne sont pas une galerie des portraits ; combinant le sept, nombre de l’Ancien Testament, et le huit,celui du Nouveau Testament, de la Résurrection et de la Transfiguration, elles symbolisent les rois de tous les temps, une monarchie universelle dont le pouvoir vient de Dieu et qui doit mener le peuple à Dieu, dans un royaume qui n’est pas de ce monde. En attirant le regard vers le ciel, la galerie des rois n’est pas que l’affirmation d’un privilège ¢ on ne peut nier ce message c’est aussi une invitation à la réflexion sur le ministère royal, sur la conception chrétienne du pouvoir à laquelle nous renvoient le baptême du roi Clovis et le sacre de ses successeurs, revenus de génération en génération au baptistère de Reims

    .

    Le déroulement de la cérémonie

    À ses débuts, la cérémonie ne comprenait guère qu’une onction sur le front du roi. Avec le sacre de Charles le Chauve à Metz est apparu le serment en faveur de l’Église. Outre la couronne et le sceptre, d’autres insignes ont été remis au souverain, comme l’épée et les éperons à l’adoubement des chevaliers, au moment où émergeait aussi le rôle des douze pairs. Le serment sur les hérétiques a été introduit après 1215 en exécution d’une décision du IVe concile du Latran. Sous le règne de saint Louis, l’essentiel était fixé.

    Le sacre avait lieu, sauf très rare exception, un dimanche ou un jour de fête (Ascension, Assomption, Toussaint). La cérémonie commençait en fait la veille au soir par une veillée de prière ou vigile inspirée des pratiques chevaleresques : le roi passait une partie de la nuit dans la cathédrale, à faire oraison ; il devait se préparer à son ministère, se pénétrer de ses devoirs et demander le pardon de ses fautes. Vers minuit il se confessait, l’absolution ne devant lui être donnée que le lendemain, au moment de la communion. Il regagnait ensuite le Palais du Tau, où il prenait son gîte, pour se reposer.

    À la pointe du jour, alors que les chanoines s’étaient déjà installés dans le chœur pour chanter prime, le roi se levait et se rendait processionnellement à la cathédrale. Charles V introduisit en 1364 la députation de deux pairs ecclésiastiques, les évêques de Laon et de Beauvais, chargés d’aller quérir le roi dans sa chambre. Charles IX en 1561 inaugura la fiction du roi dormant, officiellement et symboliquement réveillé à une vie nouvelle par les pairs ; le rite se fixa définitivement sous Louis XIII.

    Le chantre frappait de son bâton la porte close. "Que demandez-vous ?" répondait de l’intérieur la voix du grand chambellan. "Le roi". "Le roi dort". Nouveau coup frappé, même réponse. À la fin du troisième dialogue l’évêque de Laon disait : "Nous demandons Louis (ou Charles) que Dieu nous a donné pour roi". Et aussitôt la porte s’ouvrait. Les évêques allaient lever le roi, couché sur un lit de parade.

    Dans la pensée savante des juristes, étudiée par Ernst Kantorowicz, la chaîne charnelle des monarques incarnait le "corps moral" du roi qui "ne meurt jamais". Le "corps naturel" de chaque successeur prenait sans discontinuité la place du corps de son prédécesseur, comme si le gisant se relevait. Il est probable que ce rite trouva son origine dans l’ "Attollite portas" de la liturgie des Rameaux.

    Quand la procession était sortie, un acolyte fermait l’église : "Ouvrez les portes". "Qui est ce roi de gloire ?" répondait une voix de l’intérieur, et au troisième dialogue les portes s’ouvraient, pour l’acclamation au Christ. Le cortège royal entrait dans la cathédrale au chant du psaume 20 : "Seigneur, le roi se réjouit de ta puissance et combien ton secours lui cause d’allégresse... Grâce à ta protection sa gloire est grande, tu l’as comblé de majesté et de magnificence". L’archevêque, en chape, attendait le roi devant l’autel, lui désignait son fauteuil au milieu du sanctuaire tandis que montait sous les voûtes le Veni Creator : "Viens, Esprit créateur, visiter les âmes de tes fidèles... On te nomme le conseiller, le don du Dieu très-haut, source vive, flamme, charité et onction de la grâce".

    L’onction, c’était bien là l’essentiel du rite et, pour l’accomplir, il manquait encore la sainte Ampoule. Pour accueillir ce don du ciel, l’archevêque se dérangeait, ce qu’il n’avait pas fait pour le roi. Après le chant de l’office de tierce, il se rendait aux portes de la cathédrale où se présentait l’abbé de Saint-Rémi, entouré de ses moines et des barons désignés pour lui faire escorte. La sainte Ampoule était solennellement déposée sur le maître-autel, où les religieux de Saint-Denis avaient déjà placé les insignes royaux. "Ô présent précieux ! Ô pierre précieuse envoyée du ciel par le ministère des anges pour l’onction des rois de France !".

    Pendant que les chanoines chantaient sexte, l’archevêque revêtait la chasuble et le pallium puis, devant l’autel, encadré par le livre des Évangiles et un reliquaire de la vraie Croix, il demandait au roi de garder les privilèges de l’Église, de maintenir la paix et la justice et d’ "exterminer" les hérétiques, ce qui, en bon latin, veut dire chasser de ses États. Le roi faisait sa promesse à haute voix, la main sur les Évangiles.

    C’est alors qu’était demandé l’accord des assistants qui passa de l’acclamation "Nous le voulons, qu’il soit roi" au silence respecteux moderne ayant valeur d’acquiescement. Encore fallait-il, pour régner selon les termes du serment, le secours de la grâce divine que le roi, prosterné, implorait pendant le chant du Te Deum : "C’est toi, Dieu, que nous louons... Daigne secourir tes serviteurs... Sauve ton peuple, Seigneur, et bénis ton domaine, conduis tes enfants... Aie pitié de nous, que ta bonté... veille sur nous ; nous avons mis en toi notre espérance".

    Le roi alors abandonnait une partie de ses vêtements, "rite de séparation qui constitue la phase initiale du rite de passage qui le transforme de roi par hérédité en roi par consécration religieuse" (Jacques Le Goff). Il ne gardait que la tunique et la chemise dans laquelle étaient pratiquées des ouvertures pour les onctions. L’archevêque récitait une oraison le replaçant dans sa "lignée" biblique ("Envoyez d’en-haut... cette bénédiction que le saint roi David a reçue du ciel... ainsi que l’a reçue Salomon, son fils..."), puis procédait à l’investiture des symboles de chevalerie, les éperons d’or et l’épée qui faisaient de lui le bras séculier de l’Église. Le grand chambellan mettait les chausses au roi, le duc de Bourgogne plaçait les éperons, puis les retirait aussitôt. Il y avait avec l’épée un véritable ballet : l’archevêque ceignait le roi de son baudrier, lui enlevait, sortait l’épée du fourreau (qui était posé sur l’autel) et la rendait, avec une longue oraison, au roi qui la recevait les genoux fléchis, l’offrait à l’autel,la récupérait des mains de l’archevêque et enfin la passait au sénéchal qui devait la garder pointe en l’air pendant toute la cérémonie, jusqu’au retour au Palais du Tau.

    Suivaient des prières pour la santé du corps du monarque et la prospérité du royaume : "Qu’il soit fort pour protéger les Églises... réprimer les rebelles... subjuguer les païens et infidèles... qu’il ait une postérité... qu’il vive longtemps...". Puis l’archevêque préparait l’onction pendant que le chantre rappelait, par un répons, le miracle de la sainte Ampoule.

    Il fallait mélanger, sur une patène et avec une aiguille d’or, du saint chrême frais, consacré le Jeudi Saint précédent, avec quelques parcelles du baume desséché contenu dans le précieux flacon. Commençait alors le chant des litanies que le roi et le prélat écoutaient prosternés au bas de l’autel, en signe d’humilité et de prière instante. À la fin, tandis que le roi restait à plat ventre, l’archevêque se levait pour conclure la supplication par des oraisons.

    C’est alors que se plaçait le rite essentiel : le roi se mettait à genoux devant l’archevêque assis qui lui faisait, avec le pouce, une septuple onction, sur la tête, sur la poitrine, entre les épaules, sur chacune des épaules, aux jointures des bras. "Je t’oins pour la royauté de l’huile sanctifiée, au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit". Il y avait dans cette démultiplication de l’onction la volonté très nette d’investir tous les sièges vitaux de la force d’en haut ; jadis la corne d’huile était renversée sur la tête de David et coulait sur ses épaules, son dos, sa poitrine et ses bras, c’était la même prise de possession de tout l’homme par l’Esprit de Dieu. Par le saint chrême, de surcroît miraculeux, le roi devenait un intermédiaire entre Dieu et son peuple. Pendant ce temps, une antienne chantée par le chœur rappelait le sacre de Salomon puis l’archevêque récitait encore de longues oraisons et le chambellan revêtait le roi de la tunique, de la dalmatique et du manteau fleurdelisés. Deux dernières onctions étaient faites sur les mains du roi qui pouvait alors, comme les évêques, enfiler des gants ; sinon on lui essuyait les mains avec du coton, on les frottait avec de la mie de pain ou du sel et on les lavait ; l’archevêque procédait aux mêmes ablutions puis bénissait l’anneau du roi "signe de la foi, de la dignité royale, marque de la puissance", qu’il lui mettait au quatrième doigt de la main droite. Avec d’autres prières il procédait à la remise du sceptre et de la verge.

    On appelait alors par leur nom les douze pairs de France. C'est par analogie avec les compagnons légendaires de Charlemagne, que cette pairie associait à la sacralisation royale les princes ecclésiastiques et la plus haute aristocratie laïque, douze grands vassaux de la couronne : l’archevêque-duc de Reims, premier pair (lointain successeur de Turpin), les évêques-ducs de Laon et de Langres, les évêques-comtes de Beauvais, Châlons et Noyon, les ducs de Bourgogne, Normandie et Aquitaine, les comtes de Flandre, de Toulouse et de Champagne. On garda jusqu’à la fin de l’Ancien Régime ces douze acteurs que l’intégration de grands fiefs à la couronne (Normandie en 1204, Toulouse, Champagne) rendit caduque-Des princes de sang ou des seigneurs éminents les "représentaient" alors.

    Par un rite très expressif les pairs soutenaient ensemble la couronne au-dessus de la tête du roi, comme les "arcsboutants du trône", avant que l’archevêque ne l’imposât seul, car c’est Dieu qui donne la "couronne de gloire et de justice".

    Suivaient encore oraisons et bénédictions avant l’intronisation, c’est- à-dire l’installation solennelle sur un trône surélevé dominant le jubé. Le roi était "sur sa montagne sainte", entre ciel et terre comme il convenait à un être sacré : "Que le médiateur de Dieu et des hommes vous établisse médiateur du clergé et du peuple" lui disait l’archevêque avant de le faire asseoir puis de l’embrasser ; "Vive le roi éternellement". Les autres pairs venaient à leur tour lui rendre hommage et répéter la triple acclamation : "Vivat rex in æternum", acclamation reprise ensuite par l’assistance, au son des trompettes, tandis que des oiseaux étaient lâchés sous les voûtes (image des prisonniers élargis pour la circonstance), que l’on jetait des pièces et des médailles à la foule alors admise dans la cathédrale, que les cloches de toute la ville sonnaient à la volée.

    Si le roi était marié, la reine était sacrée après son époux avec un cérémonial simplifié ; elle était ointe de saint chrême ordinaire sur la tête et à la poitrine, recevait des ornements plus petits (anneau, sceptre court, verge, couronne) et était intronisée à un niveau inférieur.

    Les sacres de reine à Reims furent assez rares compte tenu de la jeunesse des rois souvent célibataires (la dernière fut Jeanne de Bourbon, femme de Charles V, en 1364). Cela n’empêchait pas la reine d’être sacrée après son mariage, mais il n’était pas nécessaire de venir à Reims ; après, la cérémonie fut organisée à Saint-Denis.

    Le sacre ne s’arrêtait pas à l’intronisation ; il y avait encore la grand-messe que le roi suivait depuis son trône. Il le quittait pour la cérémonie des offrandes, allant porter à l’autel le vin et le pain du sacrifice (remplacé par un pain d’or et un pain d’argent, sans doute quand se répandit l’usage des hosties) et treize besants d’or symbolisant son mariage avec son peuple, par analogie avec les treize pièces offertes par l’époux à l’épouse le jour des noces. Il quittait aussi son trône pour aller communier à l’autel sous les deux espèces du pain et du vin, dans le calice dit de saint Rémi. La messe achevée, après plus de cinq heures de cérémonie, il était l’heure de passer à table.

    Le festin servi dans la salle du Tau marquait le caractère heureux et solennel de la journée, renforçait la cohésion des grands vassaux autour d’un repas partagé qui n’est pas sans rappeler un banquet de la Table Ronde mais plus encore la Cène, car le roi était entouré des douze pairs.

    Le caractère paraliturgique de ce festin symbolique était souligné par l’exclusion des femmes qui y assistaient depuis une tribune et par le costume des participants. Le roi gardait ses ornements : sceptre et verge étaient posés sur la table ; il dînait couronne en tête, le connétable tenant l’épée dite de Charlemagne devant lui. Les pairs laïques avaient aussi manteaux et couronnes et, ce qui est encore plus significatif, les pairs ecclésiastiques étaient en mitre et chape, comme pour vêpres ou procession. C’était le dernier acte de la cérémonie commencée à l’aube-

    Source

    Jacques Le Goff (s. dir.), Le sacre royal à l'époque de saint Louis, Gallimard, coll. « Le temps des images », 2001 (ISBN 2070755991) ;