• LE MYSTERE MARIAL (3)

    MARIE, NOUVELLE EVE

    SELON SAINT IRÉNÉE


    INTRODUCTION


    Marie est tout particulièrement présente dans l’oeuvre d’Irénée. La personne même de la Vierge est un point essentiel de la vaste synthèse de l’Evêque de Lyon. En effet, une vraie compréhension du mystère du Christ incarné et rédempteur s’accompagne d’un nécessaire approfondissement du rôle de Marie dans le plan du salut. Le mystère marial éclair le mystère christologique et, en même temps se fonde sur lui. Inlassablement, Irénée souligne que le Christ est né d’une femme1, engendré de la vierge2, issu de ses entrailles3 comme un fruit4, ce qui met en évidence «sa génération humaine du sein de la Vierge»5. Et nous pourrons multiplier les citations.
    Marie comme nouvelle Eve sera la pensée qui guidera notre réflexion tout au long de notre travail. Nous montrerons que le grand thème théologique qui commande tout ce que nous allons développer est le thème paulinien du Christ, nouvel Adam qui s’explicitera à travers : la liberté du nouvel Adam, c’est-à-dire son obéissance filiale sur la croix ; son modelage à partir de Marie, nouvelle terre et la liberté de Marie, nouvelle Eve, c’est-à-dire son obéissance maternelle, le consentement qu’elle donne au modelage du nouvel Adam en son sein virginal, à partir de sa chair.
    De cette doctrine de la récapitulation, Irénée est le témoin le plus acharné et le garant. Pour une meilleure compréhension de notre étude, nous présenterons dans un premier temps les textes qui mettent en exergue Marie comme nouvelle Eve, ensuite nous ferons une herméneutique de ces texte à la lumière de la Genèse. Dans un second moment nous présenterons la doctrine de la récapitulation de toute l’humanité en Christ, en montrons par ailleurs la participation active de Marie dans ce mystère de salut. Enfin, dans une dernière partie nous montrerons les apports, l’importance de la théologie et du rôle de Saint Irénée pour notre monde d’aujourd’hui.
    1 Nous citerons les oeuvres d’après les éditions suivantes:
    - Contre les Hérésies, sources chrétiennes, collection dirigée par H. de Lubac, S.J., et J. Daniélou, S.J. Pour le texte latin , fragments grecs, introduction, traduction et notes par SAGNARD. F,o.p, Ed. Du Cerf, 1952. Cf Haer. V,21,2 p. 271.
    - Démonstration de la prédication apostolique, introduction, traduction et notes par ROUSSEAU Adelin, Ed. Du Cerf, 1995. Sources chrétiennes n°406.
    2 Cf Haer. III,4,2 p.117.
    3 Cf Haer. III,16,3 p. 283.
    4 Cf Dem 36 p. 278.
    5 Cf Haer. III,16,2 p.281.
    236
    Eugène Koutoua ADINGRA, SM Mundo Marianista 3 (2005) 226-238
    I. PRESENTATION DES TROIS TEXTES ET L’HERMENEUTIQUE BIBLIQUE
    1. Présentation des textes
    Un parcours des oeuvres d’Irénée nous permet de recenser trois textes assez développés portant sur Marie nouvelle Eve et d’autres fortuits.
    1.2 Haer III, 22, 4
    Le premier de ces grands textes irénéens se trouve précisément en AH III, 22, 4. Eve, la vierge, en désobéissant, devint cause de mort pour elle-même et pour le genre humain. Un noeud de péché et de mort est constitué, qui liera toute l’humanité. Mais le nouvel Adam, par son obéissance, a produit des fruits de vie chez les hommes qui avaient été enfermés dans la mort par la désobéissance d’Adam. Le Christ récapitule donc Adam. Et parallèle («consequenter»), Marie, la vierge, par son obéissance, opère un retournement dans la situation engendrée par Eve, et défait le noeud que l’humanité héritait de son ancêtre : Marie devient cause de salut pour elle-même et pour tout le genre humain.
    1.2 Haer V, 19, 1
    Le livre V de l’Adversus haereses contient le deuxième passage important. De même, le Christ, obéissant sur le bois, récapitule la désobéissance perpétrée par le bois. Et encore, l’obéissance de la vierge Marie contrebalance la désobéissance de la vierge Eve et libère le genre humain qui était assujetti à la mort.
    Deux faits nouveaux apparaissent ici : l’obéissance de Marie lui donne de porter Dieu et d’être l’avocate de la première femme.
    1.3 Démonstration chapitre 33 ( Dem 33 )
    Nous lisons le troisième texte dans la Démonstration, au chapitre 33. C’est le plus tardif. Ce chapitre forme le deuxième volet du diptyque de la Démonstration. Il est parallèle à AH III, 22, 4, mais il présente pour nous un grand intérêt car il nous livre la pensée ultime d’Irénée sur ce sujet et il a le mérite de structurer de façon nouvelle des éléments connus par ailleurs. La vierge obéissante est celle de laquelle le Christ a reçu sa chair façonnée.
    Ce sont les textes majeurs; ils nous suffisent pour montrer la constance d’Irénée. Ces textes nous présentent tous les trois le rapport qui existe entre Marie et Eve et nous notons en chacun d’eux la mention de la maternité de la Vierge Marie.
    Certes, il y a eu beaucoup de femmes dans l’histoire du salut, et les auteurs anciens ont su trouver chez quelques unes d’entre elles certaines ressemblances avec Eve. Nous avons par exemple Hippolyte, qui voyait la nouvelle Eve dans les personnes de Marthe et de Marie, ou Origène, qui exaltait la figure d’Elisabeth. Mais celles-ci n’ont aucun titre pour devenir de nouvelles Eve.
    237
    Eugène Koutoua ADINGRA, SM Mundo Marianista 3 (2005) 226-238
    Chez Irénée, rien de tel: Marie est fondamentalement celle qui a enfanté le Verbe incarné. Nouvelle terre de par sa virginité et l’action divine, elle a laissé la main de Dieu pétrir en son sein l’ouvrage modelé que le Verbe devait assumer.
    1.4. Quelques passages fortuits
    Ces passages ne constituent pas en eux-mêmes un corpus de pensée; ils sont plus courts, mais ils sont trop précis pour qu’ils ne soient pas mentionnés, car leur importance est de taille. Nous avons donc: AH III, 23, 7; AH IV, 40, 3; AH V, 21, 1.
    2. Une hermeneutique des trois textes à la lumière de Gn 2-3
    Irénée a lu la Bible, il l’a méditée, il s’en est imprégné et sa théologie n’a pas d’autre source que la Parole de Dieu. Raison pour laquelle, on ne peut pas comprendre le parallèle entre Eve et Marie si l’on n’est pas d’abord revenu à la Parole divine qui se trouve en Gn 2-3, dont Irénée en a contemplée dans la prière.
    Relisons avec Irénée ces deux chapitres et principalement le chapitre 3. L’Evêque de Lyon s’en inspire pour nous livrer sa pensée sur Marie, nouvelle Eve à travers ses trois textes pré-cités.
    La femme a été modelée à partir de l’homme des origines6. Cela montrer l’unité du genre humain. Le Fils de l’homme, en récapitulant le premier homme, récapitule toute l’humanité. Il y a donc deux modelages, et cela souligne la complémentarité de l’homme et de la femme. L’ange fut jaloux de cette amitié nouvelle qui s’instaure entre Dieu et la nouvelle création et il entreprit de s’allier l’homme afin que celui-ci se détourne de Dieu et en devienne l’ennemi.7 Fourbe et corrupteur, l’ange de mensonge trompa misérablement Eve, qui se laissa séduire et fut amenée comme malgré elle8, à se soustraire à Dieu et à lui désobéir en transgressant sa Parole.9 La foi, pour Irénée, est avant tout une adhésion. Eve, en suivant le conseil du serpent, fut incrédule: elle n’adhéra plus à la Parole de son Dieu. Si vivre, c’est être en présence de Dieu dans une communion d’amour, de foi et d’obéissance, c’est bien la mort que voulait le serpent pour Eve; et de fait, elle fut assujettie à la mort, elle et Adam qu’elle entraîna dans sa désobéissance. La mort fut le prix de leur transgression. L’homme fut ainsi condamné à la peine et la femme aux douleurs de l’enfantement.10
    Le démon voulait introduire une inimitié entre Dieu et le genre humain. Qu’en est-il? De fait, la création est déviée et l’homme perd l’intimité avec son créateur, mais le projet démoniaque se retourne contre le serpent. C’est la condamnation du tentateur: Je mettrai une inimitié entre toi et la femme, entre ta postérité et sa postérité; il observera ta tête et tu observeras son talon.11
    Le péché est entré dans le monde par la femme; la postérité de celle-ci sera en lutte avec le serpent qui l’avait trompée. Ainsi de tout temps, le genre humain est mordu au talon par celui qui veut entraver sa marche, mais il a encore assez de force pour la
    6 Cf Haer. V,21,1 p. 262.
    7 Cf Haer. IV,40,3 p. 981.
    8 Irénée est rempli de miséricorde pour Adam et Eve. Il se fait là l’imitateur de Dieu qui les prit en pitié : cf Haer. III,23,3 p. 387 ; 23,5 p. 409.
    9 Cf Haer. III,22,4 p. 381; V,19,1 p. 249.
    10 Cf Haer. III,23,3 p. 387.
    11 Gn 3,15, cité en Haer. IV,40,3 p. 981. 238
    Eugène Koutoua ADINGRA, SM Mundo Marianista 3 (2005) 226-238
    fouler au pied en attendant que le Seigneur récapitule cette inimitié.12 Irénée va plus loin dans l’herméneutique de cette parole biblique: non seulement le Christ sauveur sera cette postérité, mais puisque le péché est entré dans le monde par une femme, il devra naître d’une femme. Le terme «postérité» doit être pris au sens fort pour que toute justice soit accomplie.
    Récapitulant donc en lui-même toutes choses, il a récapitulé aussi la guerre que nous livrons à notre ennemi; il a provoqué et vaincu celui qui, au commencement, en Adam, avait fait de nous ses captifs, et il a foulé aux pieds sa tête, selon ces paroles de Dieu au serpent que l’on trouve rapportées dans la Genèse: «Je mettrai une inimitié entre toi et la femme, entre ta postérité et sa postérité; il observe ta tête et tu observeras son talon». Dès ce moment, en effet, celui qui devait naître d’une Vierge à la ressemblance d’Adam était annoncé comme «observant la tête» du serpent. Et c’est là la «postérité» au sujet de laquelle l’Apôtre dit dans son épître aux Galates: «La Loi des oeuvres a été établie jusqu’à ce que vint la postérité à laquelle avait été faite la promesse».13 Il s’explique plus clairement encore dans cette épître, lorsqu’il dit: «Quand vint la plénitude des temps, Dieu envoya son Fils, né d’une femme».14
    Car l’ennemi n’aurait pas été vaincu en toute justice, si celui qui le vainquit n’avait pas été un homme né d’une femme. C’est en effet par une femme qu’il avait dominé sur l’homme, s’étant posé, dès le commencement, en adversaire de l’homme.15
    Tel est le rôle de la première femme dans la pensée d’Irénée, fidèle en tout point à l’enseignement du livre de la Genèse. Eve est au premier plan, à coté d’Adam dont elle est issue, mais qu’elle complète selon sa spécificité propre de femme, Vierge appelée à être mère. Le Christ récapitule Adam et, en lui, tout le genre humain pour le ramener à la vie: c’est homme et femme qui sont ainsi relevés par le nouvel Adam; néanmoins la spécificité d’Eve et son rôle propre, tels que les mentionne Irénée, demandent que la première femme soit elle aussi spécifiquement relevée pour la vie. Irénée exprime cette logique dans le passage de la Démonstration où nous trouvons sa pensée en ce qu’elle a de plus évoluée:
    « Et s’il ne s’est pas fait autre chair façonnée quelle qu’elle soit, mais si par cette même (Vierge) qui tenait sa race d’Adam, il a conservé la ressemblance de cette chair façonnée, c’est parce qu’il fallait qu’Adam fut récapitulé dans (le) Christ (…) et qu’Eve( fut recapitulée) en Marie, afin qu’une Vierge, se faisant l’avocate d’une Vierge, détruisit et abolit la désobéissance d’une Vierge par l’Obéissance d’une Vierge »16.
    Dans ce passage nous avons le lien entre le Christ et Adam qui est une «recapitulatio»17, tandis que Marie opère une «recirculatio»18 vis-à-vis d’Eve. De même, nous avons un parallélisme verbal rigoureux: Marie «récapitule» aussi. La pointe de ce passage de Dem 33 est que Marie doit être en lien avec Eve comme Christ
    12 Cf Haer. III,23,7 p. 395.
    13 Gal 3,19
    14 Ga 4,4.
    15 Cf Haer. V,21,1p. 263.
    16 Dem 33 p. 131.
    17 Cf Haer. III,21,10 p. 371.
    18 Cf Haer. III,22,4 p. 379.
    239
    Eugène Koutoua ADINGRA, SM Mundo Marianista 3 (2005) 226-238
    l’est avec Adam; cela correspond au « Consequenter» de AH III. Le Christ et Marie ont des missions forts ressemblantes si l’on considère le point de vue de l’obéissance. Nous retenons donc la nécessité de la mission de Marie vis-à-vis d’Eve. Cette nécessité était déjà annoncée dans les trois derniers livres de l’Adversus haereses: le Christ doit naître d’une femme car le péché est entré dans monde par une femme.19 Aussi exécute-t-il le commandement de son Père en naissant d’une femme, en réduisant à néant notre adversaire et en parfaisant l’homme à l’image et à la ressemblance de Dieu.20
    II. LA RECAPITULATION DE TOUTE L’HUMANITE DANS LE CHRIST NOUVEL ADAM, DU DOUBLE POINT DE VUE DU MODELAGE ET DE LA LIBERTE21
    La récapitulation de l’homme dans le Christ est un mystère inépuisable dont les aspects sont aussi innombrables que ceux de la vie humaine. La récapitulation touche toute l’humanité homme et femme, dans sa réalité charnelle comme dans sa réalité spirituelle, dans sa dimension cosmique et dans sa dimension historique, personnelle et collective. Ce thème est d’une incroyable densité, dans la mesure même où il exprime simultanément tous les plus grands mystères de la foi chrétienne: la Création, l’Incarnation et la Résurrection, le péché et la Rédemption.
    1. Récapitulation en Christ
    Le Christ, nouvel Adam. Tel est, nous semble-t-il le centre de rayonnement de toute la théologie de Saint Irénée. Dans la lettre aux romains au chapitre 5, les versets 12 à 21, l’Apôtre Paul montre comment le Christ se place au centre du cosmos tout entier, récapitulant en lui-même la création en général et l’humanité en particulier. Du fait de la naissance virginale, grâce à laquelle Dieu s’est fait l’Homme, le Christ devient la référence ultime, le principe premier de tout homme, ce qui lui vaut le titre de nouvel Adam. Ce qui voudrait donc dire que le salut de l’homme apparaît comme une seconde création, dans laquelle il n’y a pas autre qu’une espèce de répétition de la première. A travers cette seconde création, Dieu réhabilite son plan primitif de salut, frustré par la faute d’Adam; il le reprend et le réorganise dans la personne de son Fils, qui devient pour nous le second Adam22
    En s’attachant à la pensée de Saint Paul, Irénée par sa doctrine de la récapitulation met bien en exergue les deux grands objectifs obtenus par le Christ dans son oeuvre rédemptrice: un résultat négatif, qui consiste dans la destruction du péché et de la mort, qui sont les deux principaux conséquences de la désobéissance d’Adam; et un résultat positif, qui est la restauration du genre humain selon l’image de Dieu, détruite par le péché d’origine.23
    Cette place absolument centrale, le nouvel Adam la doit à sa naissance virginale dont il est l’Artisan. Dans l’actuation de cette économie, dans laquelle Marie a une place unique et irremplaçable, entrent en scène deux facteurs de la divine méthodologie de
    19 Cf Haer. III,23,7 p. 395; IV,40,3 p. 981; V,21,1 p. 263.
    20 Cf Haer. V,21,2 p. 265.
    21 Le titre nous vient de LETHEL François-Marie, dans son livre, Connaître l’amour du Christ qui surpasse toute connaissance, la théologie des saints, Ed. du Carmel, 1989,p74.
    22 Luigi Gambero, Maria nel pensiero dei padri delle Chiesa, Ed Paoline, 1991, p47.
    23 Ibid. pp. 47-48. 240
    Eugène Koutoua ADINGRA, SM Mundo Marianista 3 (2005) 226-238
    l’unique plan salvifique: «la récapitulation» et la «recirculation». Le Verbe en s’incarnant récapitule tous les hommes: en assumant ce qui est commune (la nature humaine ), il offre ce qui lui est propre (la nature divine ), et ainsi, il se constitue comme le nouvel Adam pour redonner à ceux qui l’accueillent la divine ressemblance perdue.24
    Que pouvons-nous retenir de ces deux facteurs de la divine méthodologie? De manière brève, nous pouvons affirmer avec Gambero que le principe de la récapitulation affirme que l’humanité déchue à cause de son premier chef Adam, devrait être reconduite à Dieu par un autre homme qui fut son second chef, c’est-à-dire le Christ; alors que le principe de la recirculation affirme que ce processus de restauration accompli par le Sauveur devrait correspondre pas à pas, mais sous un plan antithétique, à l’histoire de la chute.25
    Ce processus de salut, montre bien l’histoire de l’économie du salut, où l’Ancien et le Nouveau Testament sont unis dans une unité unitaire. On a donc une continuation du Nouveau Testament.
    Dans ce processus Marie entre comme l’antitype de Eve; elle est associée au Christ. Voyons de près comment dépasse Eve et comment est-elle associée au Christ rédempteur.
    2. Parallélisme Marie-Eve
    C’est proprement dans le contexte de la doctrine de la récapitulation de toutes les choses en Christ que le rôle divin de Marie dans le plan salvifique est perçu, en recourant au parallélisme Eve-Marie.26
    Dans ce parallélisme qui en faite exprime l’économie de salut, Eve est associée de façon unique à Adam, le premier modelé; et Marie est placée, elle aussi de façon unique et irremplaçable, à coté du Christ, figure de celui qui devait venir27. Irénée épouse ici la pensée de saint Paul en montrant la supériorité du Christ28. Ce lien existentiel, qui place Marie au centre du cosmos auprès du nouvel Adam, fonde toute comparaison possible avec Eve. Ce lien entre Marie et Eve doit être entendu comme un rôle, une mission, de même que le Christ a une mission au profit d’Adam. Ce n’est pas par hasard si, dans ses deux oeuvres, Irénée présente Marie comme nouvelle terre avant de l’envisager comme nouvelle Eve.
    Eve et Marie sont toujours présentées, l’une au moment de la tentation du serpent29, l’autre à l’Annonciation.30Selon une systématique rigoureuse, leurs qualités sont opposés.
    Pour mieux comprendre la pensée irénéenne de ce parallélisme, il nous faut considérer Eve et Marie dans leur liberté face à la situation dans laquelle elles se trouvent. Chacune d’elles reçoit la parole d’un ange.31Mais dans le premier cas, le discours n’est qu’une misérable séduction du serpent corrupteur qui mentit trois fois, en
    24 Cf Stefano de Fiores e Salvatore Meo, “Padri della Chiesa”, in Nuovo Dizionario di Mariologia, Ed San Paolo, 1986, p. 943.
    25 Ibid. Luigi Gambero p. 50.
    26 Ibid. Luigi Gambero, p. 49.
    27 Rm 5,14.
    28Cf Alberto Valentini, “La giustizia di Dio”, in Lettere paoline e altre lettere di Alessandro Sacchi, Editrice Elle Di Ci, 1995. p. 470.
    29 Cf Gn 3.
    30 Cf Lc 1,26-38.
    31 Cf Haer. V,19,1 p. 249.
    241
    Eugène Koutoua ADINGRA, SM Mundo Marianista 3 (2005) 226-238
    sorte qu’Eve fut trompée, alors que, dans le deuxième cas, Marie reçut magnifiquement la bonne nouvelle de l’ange qui lui apportait la vérité dont elle se laissa persuader.32 C’est une attitude de liberté que celle de Marie, celle même qui est l’apanage des croyants rétablis dans l’image et la ressemblance de Dieu. Marie s’est laissée persuader par la vérité de l’ange et elle y a cru, alors que la vérité de Dieu ne reçut pas la même adhésion de la part d’Eve, qui, incrédule, préféra le mensonge angélique. La Parole de Dieu était donnée. Dans la foi, il fallait la recevoir et y obéir. C’est cette foi qui constitua l’obéissance de Marie, tandis que l’incrédulité d’Eve la rendit désobéissante et lui fit transgresser la parole de Dieu. Ainsi donc, ces deux Vierges, qui ont en commun la présence d’un homme auquel elles sont promises, ont deux attitudes radicalement différentes. Marie oppose son obéissance par sa foi en la parole de vérité à la désobéissance incrédule d’Eve. Ainsi, par sa désobéissance Eve devint cause de mort pour elle-même et pour tout le genre humain; de même, par son obéissance Marie devint cause de salut pour elle-même et pour le tout le genre humain.
    De part sa place auprès du Christ, nouvel Adam, Marie peut être mise en relation avec Eve. De part leurs attitudes, il apparaît nettement que, Eve se présente comme l’antitype de Marie, de la même manière qu’Adam, personnifiant celui qui devait venir, était l’antitype du Christ. Du fait de cette relation qui relie Marie et Eve, ou plutôt Eve à Marie, l’attitude de Marie n’est pas sans conséquence pour la situation dans la quelle Eve s’était mise par sa propre incrédulité. Par sa libre obéissance à la parole de Dieu, Marie devient l’avocate d’Eve.33 Ainsi donc nous voyons comment Marie a collaboré à l’économie et que cette collaboration fut de la foi et d’obéissance. C’est cette collaboration, au sens fort de travailler avec, agir avec, qui constitua la Vierge Marie avocate d’Eve. Marie est donc avocate en tant qu’elle agit en faveur de son ancêtre.
    Telle est la pensée d’Irénée, puisqu’il explicite le rôle de Marie en faveur d’Eve précisément par des verbes d’action: l’obéissance de Marie contrebalance, détruit, abolit la désobéissance d’Eve; elle dénoue ou délie le noeud de la désobéissance d’Eve34. La misérable séduction est ainsi dissipée par la magnifique annonce de la bonne nouvelle de vérité. Et si la colombe est bien le symbole de la Vierge, sa simplicité vainc la prudence du serpent et, en union avec son premier-né, brise les liens qui nous assujettissaient à la mort.
    Délier, dénouer, dissiper, contrebalancer, vaincre, briser, détruire, abolir, tels sont les verbes employés par Irénée pour signifier l’action de Marie, avocate d’Eve. Tous ces verbes expriment des nuances diverses, que Irénée a synthétisées dans les deux termes de la «recapitulatio» et de la «recirculatio» qui correspondent l’un l’autre. Il existe en Marie une réelle reprise d’Eve et, grâce à l’action antithétique de Marie, un retournement est opéré; Eve, et avec elle tout le genre humain, est libérée de l’assujettissement dans lequel l’avait plongée sa désobéissance. Marie, Vierge, par son obéissance a porté Dieu35et, grâce à cela, l’homme ranimé a, par la vie, reçu la vie36. Que signifie une telle expression: par son obéissance, une Vierge a porté Dieu?
    32 Ibid.
    33 Ibid.
    34 Ibid.
    35 Ibid.
    36 Dem 33 p. 129.
    242
    Eugène Koutoua ADINGRA, SM Mundo Marianista 3 (2005) 226-238
    3. Marie, Mère de la vie
    Porter Dieu, cela consiste pour Marie à recevoir, en tant que Vierge, en son sein virginal, le verbe éternel pour lui donner la substance de sa chair, afin que le Fils unique puisse s’unir à l’ouvrage modelé. Ainsi s’établit une communion totale entre Dieu et l’homme, puisque le même est à la fois Dieu et homme. Etre en communion avec Dieu voilà la vie. Et c’est pourquoi l’humanité du Christ est parfaitement vivante puisqu’elle participe pleinement, dans une communion totale, à la Vie divine qu’est le Verbe éternel. C’est la règle même de notre foi:
    Le Verbe de Dieu, le Fils de Dieu, (le) Christ Jésus notre Seigneur, (…) pour récapituler toute chose, s’est fait homme parmi les hommes, visible et palpable, pour détruire la mort, pour faire apparaître la vie et opérer une communion de Dieu et d’hommes37.
    Ce grand mystère de Vie se façonne dans le sein virginal de Marie, qui se trouve devenir de façon tout à fait propre la Mère de la Vie, puisqu’en son sein se réalise la communion de Dieu et d’homme, qui est précisément la Vie. Dans la pensée irénéenne, le Christ doit au sein maternel d’être la Vie pour les hommes. Marie engendre la Vie. Nous voici au coeur du rapport Marie et Christ, communion de Dieu et de l’homme.
    La virginité de Marie permet au Christ d’être l’homme-Dieu, l’Emmanuel, mais aussi l’Homme, avec lequel tout homme est en relation. Par sa naissance virginale le Christ est communion de Dieu et d’homme; il est l’Homme en communion avec Dieu. Ainsi tout homme, qui, par l’Esprit Saint, entre en communion avec lui, porte, saisit et embrasse par le fait même le Fils de Dieu.38
    La participation à l’incorruptibilité vient de notre communion avec Dieu, rendue possible par notre communion avec le Christ. En recevant le Fils de Dieu, l’homme devient participant de Dieu par sa communion avec Dieu. Cette communion se fait dans le Fils puisque l’homme trouve sa communion avec Dieu dans la communion de Dieu et d’homme qu’est le Verbe incarné. Et cette communion réalisée par l’Esprit Saint dans le Fils est adoption filiale, car l’homme est identifié au Fils:
    (Paul parle) de l’homme qui, après avoir désobéi à Dieu et avoir été rejeté de l’immortalité, a ensuite obtenu miséricorde par l’entremise du Fils de Dieu,en recevant la filiation adoptive qui vient par lui. Car cet homme-là, (…) demeurant dans son amour, dans la soumission et dans l’action de grâces, recevra de lui une gloire plus grande, progressant jusqu’à devenir semblable à Celui qui est mort pour lui. Celui-ci, en effet, s’est fait à la ressemblance de la chair du péché pour condamner le péché et, ainsi condamné, l’expulser de la chair, et pour appeler d’autre part l’homme à lui devenir semblable (…)39.
    Dieu a voulu réaliser cette économie avec la collaboration de la Vierge. Tel est le salut opéré par le Christ né de la Vierge et obéissant sur le bois. La Vierge, en engendrant l’Emmanuel, Dieu parmi nous, met au monde la Vie. Mais de façon encore plus précise, l’Emmanuel, parce qu’il est né de la Vierge, est l’Homme en pleine communion avec Dieu, Vie pour tous les hommes, Vie qui se répand depuis la croix.
    37 Dem 6 p. 91. Cette communion, réalisée à la fois par l’Incarnation et par la descente de l’Esprit Saint sur le Fils de Dieu devenu fils de l’homme, se trouve mentionnée un peu partout chez Irénée; cf par exemple Haer. III,17,1 p. 303 ; 18,7 p. 327 ; 19,2 p. 333 ; IV,20,4 p. 635.
    38 Cf Haer. III,16,3 p. 281.
    39Cf Haer. III,20,2 p343.
    243
    Eugène Koutoua ADINGRA, SM Mundo Marianista 3 (2005) 226-238
    C’est par le fait de la Vierge qui a obéi à la parole de Dieu que l’homme ranimé a, par la Vie, reçu la Vie40.
    Marie est donc cause de salut, c’est-à-dire de Vie, pour tout le genre humain, et pour elle tout particulièrement, puisque, par son obéissance et sa maternité, elle est dans une parfaite communion avec le Christ, son fils.
    Parlant des rapports qui relient Marie et le genre humain, nous retenons que la Vierge a enfanté l’Homme, le nouvel Adam, celui qui apparaît comme le modèle premier de toute l’humanité, comme le principe ultime de l’ouvrage modelé que nous sommes et dont Adam n’est que la figure et l’intermédiaire. Marie est vue ici dans son rapport avec la terre vierge. De même que de la terre vierge a été modelé Adam et en lui toute l’humanité, de même, dans le sein virginal, le Verbe s’est pétri un ouvrage modelé qui récapitule celui d’Adam et de toute l’humanité. Par ce fait la Vierge est établie dans une relation unique avec tout homme, et s’il fallait reconnaître en Marie la Mère de l’humanité, c’est là que se trouverait son premier fondement. Mais cet Homme que Marie a engendré, c’est l’Homme-Dieu, communion vivifiante. Voilà peut-être la synthèse la plus saisissante d’Irénée à propos du mystère de l’économie. Citons-le largement:
    A l’opposé, ceux qui prétendent qu’il n’est qu’un pur homme engendré de Joseph demeurent dans l’esclavage de l’antique désobéissance et y meurent, n’ayant pas encore été mélangés au Verbe de Dieu le Père et n’ayant pas eu part à la liberté qui nous vient par le Fils, selon ce qu’il dit lui-même: « Si le Fils vous affranchit, vous serez vraiment libres».
    Méconnaissant en effet l’Emmanuel né de la Vierge, ils se privent de son don, qui est la vie éternelle; n’ayant pas reçu le Verbe d’incorruptibilité, ils demeurent dans la chair mortelle; ils sont les débiteurs de la mort, pour n’avoir pas accueilli l’antidote de vie.
    C’est à eux que le Verbe dit, expliquant le don qu’il fait de sa grâce: «J’ai dit: Vous êtes tous des dieux et des fils du Très-Haut; mais vous, comme des hommes, vous mourrez». Il adresse ces paroles à ceux qui, refusant de recevoir le don de l’adoption filiale, méprisent cette naissance sans tache que fut l’incarnation du Verbe de Dieu, privent l’homme de son ascension vers Dieu et ne témoignent qu’ingratitude au Verbe de Dieu qui s’est incarné pour eux. Car telle est la raison pour laquelle le Verbe de Dieu s’est fait homme, et le Fils de Dieu, Fils de l’homme: c’est pour que l’homme, en se mélangeant au Verbe et en recevant ainsi l’adoption filiale, devienne fils de Dieu.
    Nous ne pouvions, en effet, avoir part à l’incorruptibilité et à l’immortalité que si nous étions unis à l’incorruptibilité et à l’immortalité. Mais comment aurions-nous pu être unis à l’incorruptibilité et à l’immortalité, si l’incorruptibilité et l’immortalité ne s’étaient préalablement faites cela même que nous sommes, afin que ce qui était corruptible fut absorbé par l’incorruptibilité, et ce qui était mortel, par l’immortalité, afin que nous recevions l’adoption filiale?41.
    Ce texte est une réfutation de l’hérésie ébionite. Il nous montre le lien entre l’adoption filiale et la naissance virginale. L’homme, enfermé dans la mort à cause de
    40 Cf Dem 33 p129
    41 Cf Haer. III,19,1 p. 331.
    244
    Eugène Koutoua ADINGRA, SM Mundo Marianista 3 (2005) 226-238
    l’antique désobéissance, ne peut recevoir la Vie qu’avec l’adoption filiale, c’est-à-dire qu’il doit accueillir le Verbe d’incorruptibilité.
    Marie en engendrant le Christ, engendre celui qui revivifie tous les hommes dans l’Esprit. Adam fut modelé à partir de la terre vierge et transmis à toute l’humanité son ouvrage modelé. Le Christ est né de la Vierge et, en lui, tous les croyants qui participent à cette nouvelle naissance trouvent la Vie: il est le premier-né de la Vierge.
    Tel est le réalisme et l’ampleur du mystère de la maternité virginale contemplée par Irénée de Lyon. Par sa foi et son obéissance, Marie a porté Dieu. Elle est alors devenue cause de salut pour elle-même et pour tout le genre humain parce qu’en son sein virginal s’est réalisée la communion vivifiante à laquelle tout homme doit s’unir pour être mélangé au Verbe de Dieu et recevoir ainsi la vie qui deviendra incorruptibilité.42
    Nous pouvons comprendre maintenant pourquoi Irénée voit en Marie la nouvelle Eve. Marie est justement mise en rapport avec Eve par le fait qu’elle obéit dans la foi et qu’ainsi elle contribue à la génération de tout le genre humain à la Vie. Eve est l’antitype de Marie en ce sens qu’incrédule elle désobéit et devint cause de mort pour tout le genre humain.
    Eve fut modelé à partir d’Adam. Elle fut ainsi une compagne assortie. Ce deuxième modelage montre qu’Eve est différente et complémentaire du premier homme. Elle appartient au genre humain car elle est issue d’Adam, mais elle possède une spécificité irréductible: sa féminité.
    Par sa désobéissance, elle fut condamnée à la mort et à enfanter dans la douleur. Elle devint donc cause de mort pour elle-même et pour tout le genre humain43. Avant d’enfanter, Eve n’eut plus d’autre possibilité que d’enfanter des enfants pour la mort. L’humanité dont elle est la mère n’est constituée que d’hommes appelés à mourir. Ainsi, avant même d’exercer sa maternité, la vierge désobéissante fut frappée dans ce qui la spécifie le plus, dans sa maternité. Eve est déchue dans sa maternité pour la vie.
    Marie, par son obéissance et par son adhésion à la Parole de Dieu, lui permettent d’agir dans l’économie du salut, là où Eve a défailli. Marie porte Dieu, le Verbe incarné, le nouvel Adam, par son obéissance: elle est la nouvelle Eve. Marie étant auprès du nouvel Adam, la nouvelle Eve est Mère des vivants, parce qu’elle est Mère de la Vie.
    III. APPORT DE SAINT IRENEE POUR L’EGLISE D’AUJOURD’HUI
    Que pouvons-nous apprendre aujourd’hui de saint Irénée quand nous savons qu’il est du IIè siècle? A-t-il quelque chose de neuf à nous offrir quand on sait que notre temps actuel remet tout en question?. Sa théologie n’est-elle pas dépassée?; a-t-elle encore la capacité de toucher l’homme du XXIè siècle vu le changement et l’évolution arbitraire qui ne cesse de faire son chemin? Que peut nous à porter l’Evêque de Lyon dans le domaine de l’oecuménisme? En un mot, saint Irénée connaît-il aujourd’hui un regain d’actualité?
    Nous répondons par l’affirmation, car plus que jamais Irénée reste et restera celui qui pose les bases d’une théologie chrétienne centrée sur l’histoire du salut.
    42 Cf Haer. III,18,7 p. 327.
    43 Cf Haer. III,22,4 p. 381.
    245
    Eugène Koutoua ADINGRA, SM Mundo Marianista 3 (2005) 226-238
    1. Actualité théologique
    Irénée est un théologien des premiers siècles qui ait moins vieilli, dont le temps fait mieux apprécier la qualité. Il nous éclaire mieux sur certains problèmes majeurs que notre temps soumet à notre réflexion. Non point qu’il ait souci de répondre à nos questions, mais sa pensée stimule notre réflexion et nous trace un sillage. Nous pouvons citer comme exemples: devant le rejet de l’Ancien testament des gnostiques, Irénée dégage une théologie de l’histoire. Face à la non croyance des gnostiques, Irénée montre que l’oeuvre totale de la création participera à la résurrection. Irénée est aussi un témoin de l’Eglise. Il élabore le principe de la tradition qui constitue dans l’Eglise la source et la règle de la foi. Cette tradition s’appuie sur la succession ininterrompue des évêques, des églises, depuis les apôtres. Il atteste la primauté de l’Eglise de Rome.
    Aucun évêque de ce temps n’exerça sur les communautés chrétiennes une influence comparable à celle d’Irénée. Les idées qu’il a défendues se sont imposées à l’Eglise entière. Ses vues sur l’histoire font figure d’anticipation. Il est le prophète de la théologie de l’histoire. Irénée est un maître du dialogue oecuménique, dans son authenticité.
    Irénée est tout à la fois le prophète du passé et le prophète de l’avenir. L’enracinement dans la vérité reçue lui permet toutes les audaces et produit les intuitions théologiques dont nous vivons encore.
    Sa théologie est essentiellement biblique car elle reprend toute l’Ecriture Sainte, Ancien et Nouveau Testament. Il cite presque uniquement l’Ecriture, et écrit sa synthèse dans le langage de l’Ecriture. C’est ainsi qu’affirme Lethel à propos de la théologie d’Irénée: cette synthèse la plus ancienne est aussi une des plus parfaites: sa beauté, son ampleur, sa profondeur et son équilibre la rendent indépassable44.
    Ainsi la théologie d’Irénée est à la fois pleinement biblique et pleinement ecclésiale. Une telle théologie correspond à la nôtre et l’éclair encore mieux. En ce sens la théologie d’Irénée est d’une actualité plus que jamais.
    2. Importance de la coopération de Marie pour le salut et pour l’oecuménisme
    Nous avons souligné la place centrale du Christ, nouvel Adam dans la contemplation d’Irénée. Bien que la nouvelle Eve ne paraisse pas systématiquement aux cotés du nouvel Adam dans les écrits d’Irénée, cependant, nous pouvons dès maintenant découvrir en elle un personnage de premier plan dans l’économie du salut.
    Dans la Bible, Jésus est présenté comme le nouvel Adam45. Comme Eve a collaboré avec Satan en provoquant la chute de l’humanité en trompant Adam, Marie, la nouvelle Eve, est collaborant à la divine miséricorde de Dieu. Marie est en union avec la volonté du Père. Cette collaboration de Marie est trinitaire. Marie est donc le contraire d’Eve déchue, elle est la restauration de la féminité idéale. Elle est la femme restaurée et rachetée, avant même que son Fils divin ait versé son Sang purifiant. Comme nous le constatons, la vie de Marie est guidée par la grâce de Dieu avant même que Jésus l’ait mérité sur la croix.
    44 LETHEL François-Marie, Connaître l’amour du Christ qui surpasse toute connaissance, la théologie des saints, Ed Carmel, 1989.
    45 Cf 1Cor15,45. 246
    Eugène Koutoua ADINGRA, SM Mundo Marianista 3 (2005) 226-238
    Nous pouvons voir alors que Marie est présentée comme la nouvelle Mère du Rédempteur. Si l’humanité a chuté par la collaboration pécheresse du mal et de la femelle, il semble y avoir une divine justice pour nous amener notre salut par la collaboration d’un couple idéal qui soit humble et obéissant.
    CONCLUSION
    Que retenir au terme de notre réflexion sur Marie la nouvelle selon saint Irénée? Nous retenons qu’un homme et une femme furent au principe de l’humanité: Adam et Eve. Lorsque les temps sont accomplis, ils sont récapitulés par un Homme et une Femme, le Christ et la Vierge qui, non seulement les sauvent de la mort, mais deviennent respectivement Principe et Mère de la Vie pour tout le genre humain.
    Adam était tiré de la terre vierge et avait une compagne qui lui était irréductible: Eve, destinée à devenir la Mère des vivants. Le Christ est issu de l’Esprit Saint et de Marie. Par le sein virginal, le Verbe opère un toucher divin sur le créé et réalise ainsi une récapitulation de tout le cosmos, devenant le premier-né de toute créature. Le Christ se présente comme le modèle de tout homme. Il est, dans le sens le plus plein qui soit, l’Emmanuel, Dieu avec chacun de nous. Marie est le lieu où s’opère de façon radicale la nouvelle création. Elle acquiert, par le seul fait de l’Incarnation dans son sein virginal, une place et un rôle cosmique important.
    Marie est Mère, le Christ, Tête de l’Eglise, est Fils et nous entraîne vers le Père dans son mouvement de Fils. Il ne peut donc y avoir aucune concurrence entre la Mère qui engendre et le Fils qui unit son Corps mystique, et la collaboration ne peut qu’en être plus étroite.
    Le Christ, Verbe incarné, possède donc une place strictement unique. Mais il s’est adjoint une compagne qui a un rôle fondamental et irréductible dans l’économie du salut parce qu’elle est Mère.
    Un regard sur le Rédempteur est nécessaire pour comprendre comment Marie devient Mère de tous les hommes; mais le rôle de Marie dans l’oeuvre rédemptrice ne peut bien se saisir qu’à la lumière de sa maternité, cette Maternité qu’Irénée a contemplée de façon si lumineuse.
    BIBLIOGRAPHIE
    Contre les hérésies, Edition critique: Texte latin, fragments grecs, introduction, traduction et notes de F. SAGNARD, o.p. Ed. du Cerf, Paris, 1952. Sources Chrétiennes les volumes n° 3,4,5,6
    Démonstration de la Prédication Apostolique, introduction, traduction et notes par Adelin ROUSSEAU, Ed. du Cerf, Paris, 1995. Sources Chrétiennes n°406.
    FIORES Stefano de- MEO Salvatore, “Padri della Chiesa” in Nuovo Dizionario di Mariologia, Ed. San Paolo, Milano, 1986.
    GAMBERO Luigi, Maria nel pensiero dei padri della Chiesa, Ed. Paoline, Milano,1991.
    LETHEL François-Marie, Connaître l’amour du Christ qui surpasse toute connaissance, la théologie des saints, Ed. du Carmel, 1989.
    247
    Eugène Koutoua ADINGRA, SM Mundo Marianista 3 (2005) 226-238
    ORBE Antonio, “La recirculación de la Virgen María en San Ireneo” ( Adv. Haer III, 22,4 71), In S. FELICI (ed), La mariologia nella catechesi dei Padri (età prenicena), Roma, Libreria Ateneo Salesiano 1991, pp101-120.
    Alberto VALENTINI, “La giustizia di Dio”, in Alessandro Sacchi, Lettere paoline e altre lettere, Editrice Elle Di Ci, 1995.
    © Mundo Marianista 2
    48