• La table ronde

    LA TABLE RONDE

     

    La plupart des exploits des chevaliers d'Arthur trouvent leur point de départ dans la réunion rituelle de ceux-ci autour d'une Table des Festins bientôt représentée comme une Table Merveilleuse : la Table Ronde. C'est de là que, pour l'honneur, on part vers l'aventure héroïque. C'est là que le chevalier aventu reux revient s'asseoir et retrouver ses pairs. Dans le cycle de la Quête du Graal., elle est représentée comme I ' oeuvre de Merlin l'Enchanteur. Dans plusieurs oeuvres, les poètes bardiques nous montrent le roi et ses chevaliers à table. Ils ne disent mot dune forme particulière de celle-ci. Wace le Normand rapporte, dans son Roman de Brut, qu'elle fut taillée et construite sur ordre d'Arthur pour ses barons familiers. Mais il ne dit rien non plus de sa forme. Toutefois il mentionne en deux vers que « les Bretons disent maintes fables » à propos de cette « ronde table ».
    A considérer les oeuvres contemporaines ou ulté rieures, on constate toute une élaboration de la fameuse table ( élaboration souvent bien mystérieuse et déconcertante).
    Cette fois, point de débat. Aucune autre oeuvre ne présente quoi que ce soit qui ressemble à cette « ronde table ». Les plus anciens poèmes gallois, les triades, les contes, non plus que les « lais » armoricains.

    A l'origine de la Table arthurienne, il y a certainement plusieurs traditions celtiques. La plus générale est celle de la « Table des Festins ». En certaines régions, et en certaines occasions, cette table pouvait justement .être de forme ronde s ' il faut en croire le témoignage d'un voyageur grec, Posidomos, qui, vers 50 avant Jésus-Christ, visita la Gaule (mais non la Bretagne insulaire). Le layamon et le Festin de Bricriu, contes épiques irlandais, rapportent un épisode de querelle de préséances. Dans ce Festin, le roi Conchobar siège à une table solennelle et mystérieuse (mais non point « ronde table ») entouré de douze pairs. Ces contes épiques irlandais ont-ils été connus des romanciers du XIIIè siècle? A travers tout un jeu de traditions, la chose n'a rien d'impossible. Les chemins détournés sont souvent les plus sûrs.
    Ce n'est pas céder à des spéculations extravagantes que de mettre l'invention de la Table Ronde en rapport avec des Mythes solaires. On sait le rôle des symboles solaires dans l'art ornemental irlandais. (La « Croix celtique » n'est-elle pas imposition d'une croix sur un cercle?) Ainsi Arthur, mythique héros solaire à l'origine, pourrait-il être dit très justement inventeur de la très solaire Table Ronde.
    De cette table, les convives guerriers bondissaient aux jeux du combat. Ainsi advint-il pour les convives chevaliers que le terme de « table ronde » désignât au XIIIè siècle un tournoi de grande festivité .

    Dans le cycle arthurien, la Table des aventures se verra douer, plus tard, d'un pouvoir moral dont parle Robert de Boron dans son Merlin. Les chevaliers qui y prennent place se trouvent sitôt liés de si grande affection, dès le premier repas pris en commun, qu'ils ne voudront jamais se séparer. Ils 's'aiment désormais, « comme un fils doit aimer son père ». S'asseoir à la Table Ronde pour avoir part à ses bienfaits exprime alors l'idéal de la chevalerie.
    On lit deux vers dans le Tristan de Béroul qui disent tout, peut-être, de la Table Ronde :

    Ja verroiz la Table Ronde
    Qui tournoie comme le monde.


     

    Cette représentation se trouve confirmée par un commentaire du XIIIè siècle : cette table « signifie la rondece del monde et la circonstance et les éléments del firmament ». Interprétation évidemment platonicienne qui ne doit pas étonner quand on sait la faveur du Timée au XIIè siècle et le grand nombre de commen,taires que suscita ce dialogue. Platon y affirme que le monde est « sphérique et circulaire -. Dieu l'a fait selon cette forme, « les distances étant partout égales depuis le centre jusqu'aux extrémités. C'est de toutes les figures la plus parfaite et la plus constamment semblable à elle-même. Quant à l'âme, l'ayant placée au centre du corps du monde, il l'étendit à travers le corps tout entier et même au-delà de lui, et il en enveloppa le corps. Il forma ainsi un ciel circulaire, ciel unique, solitaire, capable par sa vertu propre de demeurer en soi-même, sans, avoir besoin de rien d'autre, mais se connaissant et s'aimant lui-même suffisamment ».
    Peu à peu la table-de-nulle-préséance a été considérée come la Table parfaite, Table à l'image du monde et du ciel parfait. Placé au centre du corps de la Table, le vaisseau mystique du Graal en est comme l'âme rayonnante. Il arrivera un temps de la « Quête » où les aventureux, les héros de la prouesse n'y auront plus leur place, Seuls seront admis à la Table mystique les très purs, lesPerceval, les Galaad.
    Le passage extrait du Timée, qui dut être si bien connu des romanciers du XIIIè siècle., suggère aussi que la Table appelle autour d'elle la réunion fraternelle et mystique d ' une élite venue de tous points de l'univers chrétien et païen.

    Cette "table - qui tournoie" est aussi une table Parlante. Table des enchantements, elle serait en communication avec une Table de l'autre monde. N'est-elle point faite de la « pierre qui braie », de la pierre qui parle? (Encore une tradition celtique. On Pense à la « Pierre du destin » irlandaise qui criait lorsque la touchait le guerrier qui devait être roi d'Irlande.) Il revient à cette « table Parlante » de désigner le héros, seul digne de s'asseoir à la place interdite et plus tard, de proclamer la fin des enchantements.
    La Table du Graal est-elle la même que la Table Ronde? Assurément des rapports constants les unissent et toutes deux aussi à la Table de la Cène. Le XIIIè siècle fut hanté par le mystère de la Trinité. Les rapports mystiques peu à peu établis entre ces trois tables ( et de plus en plus explicitement) peuvent être considérés comme une expression de cette hantise.

    (extrait de la préface de Jean Pierre FOUCHER , Chez FOLIO Editions:N°696, "Roman de la Table Ronde", Chrétien de Troyes.)