
Les traductions des cinq traités d’Alchimie d’Albert
Poisson, qui, curieusement sont six (table d’émeraude, le
chemin du chemin, la clavicule, le miroir d’Alchimie, le
Trésor des Trésors, le Composé des composés), ont été
repris et réédités d’innombrables fois. Souvent, ces traités
ont été diffusés séparément et parfois même sans que le
nom du traducteur fut cité. La simple justice nous imposait
de diffuser l’ouvrage d’origine, sources de ces versions
anonymes ou récupérées. Nous nous sommes efforcés de
respecter la mise en page originale, y compris la présence
de pages blanches, ce qui nous a permis de découvrir des
choses étranges : dans certaines dates, les chiffres sont de
tailles différentes (fantaisie de typographe ou autre
chose?), par ailleurs, certains mots courants sont
orthographiés de manière inexacte et suspecte - fautes
d’orthographes ?. Difficile à dire, les spéculations sont
ouvertes….. Enfin, le format A4 normalisé est supérieur en
taille au format du livre original, ce qui explique que la
taille de la fonte utilisée soit si élevée, afin que
l’homothétie soit aussi parfaite que possible. Bonne
lecture.
Fait le 11 avril 2001, en terre de France.
C….
CINQ TRAITES D’ALCHIMIE
DES
PLUS GRANDS PHILOSOPHES
COLLECTION D’OUVRAGES RELATIFS
AUX
SCIENCES HERMÉTIQUES
-------------------
CINQ TRAITÉS D’ALCHIMIE
DES PLUS GRANDS PHILOSOPHES
PARACELSE, ALBERT LE GRAND, ROGER BACON, R. LULLE, ARN,
DE VILLENEUVE
TRADUITS DU LATIN EN FRANÇAIS
Par ALB. POISSON
PRÉCÉDÉS DE LA TABLE D’ÉMERAUDE, SUIVIS D’UN GLOSSAIRE
BIBLIOTHÈQUE CHACORNAC
1l, Quai Saint-Miche1, PARIS
1899
DE LA MÊME COLLECTION:
_________________
L’OR
ET
LA TRANSMUTATION DES MÉTAUX
Par E. TIFFEREAU
L’Alchimiste du XIXe Siècle
Précédé de Paracelse et l’Alchimie au XVIe Siècle
Par M. FRANCK, de l’institut
I vol. in- 16 jésus, reliure ancienne . . . . . . . . . . . . 5 fr.
_________________
A. BRULER
Conte astral, par Jules LERMINA
Préface de PAPUS, directeur de l’Initiation
I vol. in- 16 jésus, reliure ancienne . . . . . . . . . . . . 3 fr.
PRÉFACE
Les sciences actuelles sont les filles de science s mystérieuses
dont l’origine se perd dans la nuit des temps, l’alchimie
est la mère de la chimie, l’astrologie a précédé
l’astronomie, à la base des mathématiques on trouve la
cabale et la géométrie qualitative, dans le principe l’histoire
se confond avec la mythologie, la médecine fut
enseignée aux hommes par un dieu.
L’on ne connaît bien une science que lorsqu’on sait son
histoire. Depuis l’idée mère qui fonde la science jusqu’à
nos jours, que d’efforts incessants, que de tâtonnement !
Nous profitons des travaux de nos prédécesseurs, insouciamment,
sans penser à la somme énorme de travail
physique et intellectuel qu’ils ont dépensée pour nous
frayer la voie. Beaucoup ont usé leur vie, dépensé leur
fortune, renoncé aux plaisirs et aux honneurs par amour
de la science. Combien sont morts martyrs affirmant
jusqu’au dernier souffle la vérité éternelle !
C’est Roger Bacon, persécuté toute sa vie par des moines
ignorants, c’est la savante Hypalie lapidée par la
VI PREFACE
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populace d’Alexandrie, c’est Averroës jeté en prison puis
exilé, pour avoir avancé des idées contraires au Coran,
c’est Bernard le Trévisan honni et tourmenté par ses
parents furieux de le voir dépenser sa fortune dans des
recherches alchimiques, c’est Denis Zachaire assassiné
par son cousin auquel il avait refusé de révéler le secret
de la pierre philosophale, c’est Cardan, pauvre toute sa
vie et mourant de chagrin, ce sont Perrot et Paracelse,
finissant leur carrière sur un lit d’hôpital, ce sont Bernard
Palissy et Borri morts en prison.
Rendre justice à ces grands hommes en remettant leurs
travaux en Lumière, en les faisant revivre dans leurs
oeuvres, tel a été notre but. Or, leurs ouvrages sont devenus
rares, les grandes bibliothèques seules pourraient
fournir aux chercheurs des documents suffisants, mais
l’on sait combien il est difficile d’obtenir la permission de
travailler dans une bibliothèque publique. D’autre part, se
former une collection particulière est fort dispendieux et
demande du temps et de la patience, souvent l’on ne
trouve qu’après plusieurs années de recherches l’ouvrage
que l’on désire; enfin la plupart de ces traités sont écrits
en latin barbare, d’un style obscur très fatiguant à lire.
Toutes ces raisons nous ont engagé à publier ces traductions.
Les auteurs ont été choisis avec soins parmi les plus
grands noms de l’alchimie: Arnauld de Villeneuve, Raymond
Lulle le docteur illuminé, Albert le Grand, emPREFACE
VII
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brassant tout dans sa vaste érudition, Roger Bacon le
docteur admirable, devançant son siècle et substituant
l’expérience et l’observation aux creuses divagations des
scolastiques, enfin Paracelse, le grand Paracelse, bouleversant
les vieilles théories, alliant l’alchimie à la
médecine, jamais homme n’eut une plus grande influence
sur son siècle.
On a pris les traités les plus importants, quatre ou cinq
sont traduits pour la première fois en français. Quant à la
traduction, elle est aussi exacte que possible, les passages
obscurs sont rendus mot à mot; nous nous sommes
attaché à donner à la phrase la tournure qu’elle a dans
le texte. Enfin les traités sont précédés d’une notice biographique
et d’un index bibliographique.
Nous terminons par un conseil : lire ce livre sans y être
préparé, c’est s’exposer à ne pas le comprendre, aussi l’on
fera bien auparavant de lire: « l’Alchimie et les Alchimistes
» de M. Louis Figuier ou : «les Origines de l’Alchimie
» de M. Berthelot.Pour les personnes qui n’auraient
pas le temps de lire ces deux ouvrages, voici en peu de
mots ce que c’est que l’Alchimie : C’est, dit Pernety,
l’art de travailler avec la nature sur les corps pour les perfectionner.
» Le but principal de cette science est la préparation
d’un composé : la pierre philosophale, ayant la
propriété de transmuer les métaux fondus en or ou en
argent. La matière première de la pierre philosophale est
VII PREFACE
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le Mercure des philosophes. On lui donne la propriété de
transmuer en lui faisant subir diverses opérations, pendant
lesquelles il change trois fois de couleur: de noir, il
devient blanc, puis rouge. Blanc, il constitue l’élixir blanc
ou petite pierre, qui change les métaux en argent. Rouge,
il constitue la médecine ou élixir rouge ou grande pierre
qui change les métaux en or.
A. P OISSON
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CINQ TRAITÉS D’ALCHIMIE
DES PLUS GRANDS PHILOSOPHES
PARACELSE, ALBERT LE GRAND, ROGER BACON, R. LULLE,
ARN. DE VILLENEUVE
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NOTICE SUR LA TABLE D’ÉMERAUDE
D’HERMÈS
La table d’Emeraude d’Hermès Trismégiste, le Thaut
égyptien est la pierre angulaire de l’alchimie. Les philosophes
la citent à chaque instant aussi importe-t-il
de connaître ce document.
Elle se trouve dans tous les recueils importants de
traités hermétiques : theatrum chimicum, Biblietheca
chemica mangeli, Bibliotheca contracta Albinei, Bibliothèque
des philosophes alchimiques de Salmon, etc.
La traduction qui suit est celle de la Bibliothèque
2 CINQ TRAITES D’ALCHIMIE
____________________________________________________________________________________________________
des philosophes alchimiques de Salmon revue et corrigée
d’après le texte latin qui se trouve en tête de la
Bibliotheca chemica contracta Albinei.
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TABLE D’ÉMERAUDE
Il est vrai, sans mensonge, certain et très véritable.
Ce qui est en bas est comme ce qui est en haut
et ce qui est en haut est comme ce qui est en bas,
pour accomplir les miracles d’une seule chose. Et de
même que toutes choses sont sorties d’une chose par la
pensée d’Un, de même toutes choses sont nées de cette
chose par adaptation.
Son père est le Soleil, sa mère est la Lune, le vent l’a
porté dans son ventre; la terre est sa nourrice. C’est là
le père de tout le Thélême de l’Univers. Sa puissance
est sans bornes sur la terre.
Tu sépareras la terre du feu, le subtil de l’épais,
doucement, avec grande industrie. Il monte de la terre
au ciel, et aussitôt redescend sur la terre, et il recueille
la force des choses supérieures et inférieures.
TABLE D’EMERAUDE D‘HERMES 3
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Tu auras ainsi toute la gloire du monde, c’est pour
quoi toute obscurité s’éloignera de toi.
C’est la force forte de toute force, car elle vaincra
toute chose subtile et pénètrera toute chose solide. C’est
ainsi que le monde a été créé.
Voilà la source d’admirables adaptations indiquée
ici. C’est pourquoi j’ai été appelé Hermès Trismégiste,
possédant les trois parties de la Philosophie universelle.
Ce que j’ai dit de l’opération du soleil est complet.
ARNOLDI DE VILLANOVA
SEMITA SEMITAE
____________________________
LE CHEMIN DU CHEMIN
D’ARNAULD DE VILLENEUVE
NOTICE BIOGRAPHIQUE SUR ARNAULD
DE VILLENEUVE
Arnauld de Villeneuve est né vers 1245 en France,
comme l’attestent Symphorianus Campegius et Joseph
de Haitze. Quant au lieu précis de sa naissance il est
incertain. Il étudia les langues mortes à Aix, la médecine
à Montpellier. Il vint à Paris pour se perfectionner,
la rumeur populaire l’accusant de nécromancie et d’alchimie,
il s’enfuit à Montpellier,où il fut bientôt nommé
professeur, puis régent. En 1755 on montrait encore à
Montpellier, sa maison portant sculptés sur la façade un
lion et un serpent se mordant la queue. La soif d’apprendre
le fait passer en Espagne, il professe quelque
temps l’alchimie à Barcelone (1286) et apprend l’arabe.
Il visite ensuite les universités célèbres d’Italie: Bologne,
Palerme, Florence. Il revient à Paris, mais ses
propositions hérétiques, ayant excité contre lui les théologiens,
il s’enfuit prudemment en Sicile, où Frédéric II
le prit sous sa protection. Le pape Clément V atteint de
la pierre, manda Arnauld de Villeneuve auprès de lui,
avec promesse de pardon. Arnauld s’embarqua pour la
France (les papes siégeaient alors à Avignon).
8 CINQ TRAITÉS D’ALCHIMIE
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Mais en vue de Gênes il mourut, son corps fut enseveli
dans cette ville (1313). Il eut pour amis et disciples
Raymond LuI1e et Pierre d’Apono. Principaux ouvrages
: Rosarium philosophorum, de Lapide philosophorum,
Novum lumen, Flos florum, Semita semitae, Speculum
alchimiae, de Sublimatione Mercurii, Epistola ad Robertum
Regem, Testamentum novum. Tous ces traités se
trouvent dans les éditions de ses oeuvres complètes:
Opera omnia Arnoldi de Villanova, I vol. in-folio. Lyon
(I520). Idem (I532). Bâle (1585). Argentinae (1613).
Notice sur le Semita semitae : le Chemin du Chemin.
Ce traité est à quelques passages près identique au :
Flos florum. Il se trouve dans: I° les OEuvres complètes
d’Arnauld de Villeneuve; 2° De Alchimia Opuscula complura
veterum philosophorum. Francofurti (I550, in 4°).
C’est sur ce texte qu’a été faite la présente traduc -
tion. 3° Bibliotheca chemica Mangeli, Coloniae Allobrogum,
2 vol. in-folio,I702. Tome Ier, page 702.
Ce traité est traduit pour la première fois en français.
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LE CHEMIN DU CHEMIN 9
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SEMITA SEMITAE
LE CHEMIN DU CHEMIN
Ici commence le Chemin du Chemin traité court,
bref, succinct, utile à qui le comprendra. Les chercheurs
habiles y trouveront une partie de la Pierre végétale
que les autres Philosophes ont cachée avec soin.
Père vénérable, prête -moi pieusement l’oreille. Apprends
que le Mercure (I) est le sperme cuit de tous
les métaux; sperme imparfait quand il sort de la terre,
à cause d’une certaine chaleur sulfureuse. Suivant son
.degré de sulfuration, il engendre les divers métaux dans
le sein de la terre . Il n’y a donc qu’une seule matière
première des métaux, suivant une action naturelle plus
ou moins forte, suivant le degré de cuisson, elle revêt
des formes différentes. Tous les Philosophes sont d’accord
sur ce point. En voici la démonstration: Chaque
chose est composée des éléments en lesquels on peut la
décomposer. Citons un exemple impossible à nier et
facile à comprendre: la glace à l’aide de la chaleur se
résout en eau, donc c’est de l’eau. Or tous les métaux
I. Mercure avec une majuscule indiquera toujours le Mercure
des philosophes.
10 CINQ TRAITÉS D’ALCHIMIE
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se résolvent en Mercure ; donc ce Mercure est la matière
première de tous les métaux. J’enseignerai plus
loin la manière de faire cette transmutation, détruisant
ainsi l’opinion de ceux qui prétendent que la forme des
métaux ne peut être changée. Ils auraient raison si l’on
ne pouvait réduire les métaux en leur matière première,
mais je montrerai que cette réduction en la matière
première est facile et que la transmutation est possible et
faisable. Car tout ce qui naît, tout ce qui croît, se multiplie
selon son espèce, ainsi les arbres, les hommes,
les herbes. Une graine peut produire mille autres graines.
Donc il est possible de multiplier les choses à l’infini.
D’après ce qui précède, celui qui analyse les choses
verra que si les Philosophes ont parlé d’une façon
obscure, ils ont dit du moins la vérité. Ils ont dit en
effet que notre Pierre a une âme, un corps et un esprit,
ce qui est vrai. Ils ont comparé son corps imparfait au
corps, parce qu’il est sans puissance par lui-même; ils
ont appelé l’Eau un esprit vital, parce qu’elle donne au
corps, imparfait en soi et inerte, la vie qu’il n’avait pas
auparavant et qu’elle perfectionne sa forme. Ils ont appelé
le ferment âme, car ainsi qu’on le verra plus loin, il
a aussi donné la vie au corps imparfait, il le perfectionne
et le change en sa propre nature.
LE CHEMIN DU CHEMIN 11
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Le philosophe dit: « Change les natures et tu trouveras
ce que tu cherches. » Cela est vrai. Car dans
notre magistère nous tirons d’abord le subtil de l’épais,
l’esprit du corps, et enfin le sec de l’humide, c’est-à-dire
la terre de l’Eau, c’est ainsi que nous changeons les
natures; ce qui était en bas nous le mettons en haut,
de sorte que l’esprit devient corps, ensuite le corps
devient esprit. Les philosophes disent encore que l’on
fait notre Pierre d’une seule chose et avec un seul vaisseau
; et ils ont raison. Tout notre magistère est tiré de
notre Eau et se fait avec elle. Elle dissout les métaux
eux-mêmes, mais ce n’est pas en se changeant en eau
de la nuée, comme le croient les ignorants. Elle calcine
et réduit en terre. Elle transforme les corps en cendres,
elle incinère, blanchit et nettoie, selon ce que dit
Morien: « L’Azoth et le feu nettoient le Laiton, c’està-
dire le lavent et lui enlèvent complétement sa noirceur.
» Le laiton est un corps impur, l’azoth c’est l’argent-
vif.
Notre Eau unit des corps différents entre eux, s’ils
ont été préparés comme il vient d’être dit; cette union
est telle que ni le feu ni aucune autre force ne peut les
séparer par la combustion de leur principe igné. Cette
transmutation subtilise les corps, mais ce n’est pas là la
12 CINQ TRAITÉS D’ALCHIMIE
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sublimation vulgaire des simples d’esprit, des gens sans
expérience, pour lesquels sublimer c’est élever. Ces
gens-là prennent des corps calcinés, les mêlent aux
esprits sublimables, c’est-à-dire au mercure, à l’arsenic
au soufre etc, et ils subliment le tout à l’aide d’une
forte chaleur.
Les corps calcinés sont entraînés par les esprits et ils
disent qu’il sont sublimés. Mais quelle n’est pas leur
déception, quand ils trouvent des corps impurs avec
leurs esprits plus impurs qu’auparavant! Notre sublimation
ne consiste pas à élever; la sublimation des Philosophes
est une opération qui fait d’une chose vile et corrompue
(par la terre) une autre chose plus pure. De même
quand l’on dit communément: Un tel a été élevé à l’Episcopat...
par « élevé » on entend qu’il a été exalté et
placé dans une position plus honorable. De même nous
disons que les corps ont changé de nature, c’est-à-dire
qu’ils ont été exaltés, que leur essence est devenue
plus pure; on voit donc que sublimer est la même chose
que purifier; c’est ce que fait notre Eau.
C’est ainsi que l’on doit entendre notre sublimation
philosophique sur laquelle beaucoup se sont trompés.
Or, notre Eau mortifie, illumine, nettoie et vivifie ;
elle fait d’abord apparaître les couleurs noires pendant
LE CHEMIN DU CHEMIN 13
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la mortification du corps, puis viennent des couleurs
nombreuses et variées, et enfin la blancheur. Dans le
mélange de l’Eau et du ferment du corps, c’est-à-dire du
corps préparé, une infinité de couleurs apparaissent.
C’est ainsi que notre Magistère est tiré d’un, se fait
avec un, et il se compose de quatre et trois sont en un.
Apprends encore, Père vénérable, que les philosophes
ont multiplié les noms de la Pierre mixte pour la mieux
cacher. Ils ont dit qu’elle est corporelle et spirituelle,
et ils n’ont pas menti, les Sages comprendront. Car elle
a un esprit et un corps ; le corps est spirituel seulement
dans la solution et l’esprit est devenu corporel par son
union avec le corps. Les uns l’appellent ferment, les
autres Airain.
Morien dit: « La science de notre Magistère est comparable
en tout à la procréation de l’homme. Premièrement,
le coït. Secondement, la conception. Troisièmement,
l’imbibition. Quatrièmement, la naissance. Cinquièmement,
la nutrition ou alimentation.» Je vais t’expliquer
ces paroles. Notre sperme qui est le Mercure,
s’unit à la terre, c’est-à-dire au corps imparfait, appelé
aussi Terre-Mère (la terre étant la mère de tous les éléments).
C’est là ce que nous entendons par le coït.
Puis lorsque la terre a retenu en soi un peu de Mercure,
on dit qu’il y a conception. Quand nous disons que
14 CINQ TRAITÉS D’ALCHIMIE
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le mâle agit sur la femelle, il faut entendre par là que le
Mercure agit sur la terre. C’est pourquoi les Philosophes
ont dit que notre magistère est mâle et femelle et
qu’il résulte de l’union de ces deux principes.
Après l’adjonction de l’Eau, c’est -à-dire du Mercure,
la terre croit et augmente en blanchissant, on dit alors
qu’il y a imbibition. Ensuite le ferment se coagule, c’està-
dire qu’il se joint au corps imparfait, préparé comme il
a été dit, jusqu’à ce que sa couleur et son aspect soient
uniformes, c’est la naissance, parce qu’à ce moment apparaît
notre Pierre que les Philosophes ont appelée: le
Roi, comme il est dit dans la Tourbe « Honorez notre
Roi sortant du feu, couronné d’un diadème d’or ; obéissez-
lui jusqu’à ce qu’il soit arrivé à l’âge de la perfection,
nourrissez-le jusqu’à ce qu’il soit grand. Son père
est le Soleil, sa mère est la Lune; la Lune c’est le
corps imparfait. Le Soleil c’est le corps parfait. »
Cinquièmement et en dernier lieu vient l’alimentation,
plus il est nourri, plus il s’accroît. Or, il se nourrit de son
lait, c’est-à-dire du sperme qui l’a engendré au commencement.
Il faut donc 1’imbiber de Mercure, jusqu’à
ce qu’il en ait bu deux parties, ou plus si c’est nécessaire.
LE CHEMIN DU CHEMIN 15
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S’ENSUIT MAINTENANT LA PRATIQUE.
Passons maintenant à la pratiqué, comme je l’ai annoncé
plus haut. Et d’abord tous les corps doivent
être ramenés à la matière première pour rendre la transmutation
possible. Je vais ici te démontrer tout ce qui
a été dit plus haut. Je te prie donc, ô mon fils, de ne pas
dédaigner ma Pratique, parce qu’en elle se cache tout
notre Magistère, comme je l’y ai vu dans ma foi occulte.
Prends une livre d’Or, réduis -la en limaille très-brillante,
mêle-la avec quatre parties de notre Eau purifiée, en
la broyant et en l’incorporant avec un peu de sel et de
vinaigre, jusqu’à ce que le tout soit amalgamé. L’or ayant
donc été bien amalgamé, mets-le dans une grande quantité
d’Eau-de-vie, c’est-à-dire de Mercure et mets-le tout
dans l’Urinal sur notre centre purifié; fais au-dessous un
feu très lent pendant un jour entier; laisse alors refroidir,
et quand ce sera froid, prends l’Eau et tout ce qui
est avec, filtre à travers une toile de lin, jusqu’à ce que
la partie liquide ait passé à travers le linge. Mets à
part ce qui restera sur le linge, recueille-le et l’ayant
mis dans une nouvelle quantité d’Eau bénite dans le
16 CINQ TRAITÉS D’ALCHIMIE
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même vase que ci-dessus, chauffe un jour entier, puis
filtre comme précédemment. Recommence ainsi jusqu’à
ce que tout le corps soit converti en Eau, c’est-à-dire en
la matière première qui est notre Eau.
Ceci fait, prends toute cette Eau, mets-la dans un
vase de verre et cuis à feu lent jusqu’à ce que tu voies
la noirceur apparaître à sa surface; tu enlèveras les particules
noires avec adresse. Continue jusqu’à ce que
tout le corps soit changé en une terre pure. Plus tu
recommenceras cette opération et mieux cela vaudra.
Recuis donc, en enlevant la noirceur, jusqu’à ce que
les ténèbres aient disparu, et que l’Eau, c’est-à-dire
notre Mercure, apparaisse brillante. C’est alors que tu
auras la Terre et l’Eau.
Ensuite prends toute cette terre, c’est-à-dire la noirceur
que tu as recueillie; mets-la dans un vaisseau de
verre, verse par-dessus de l’Eau Bénite, en sorte que
rien ne dépasse la surface de l’eau, que rien ne surnage
et chauffe à feu léger pendant dix-jours; puis broye et
remets de nouvelle Eau; recuis la terre ainsi coagulée et
épaissie sans ajouter d’eau. Cuis enfin à feu violent toujours
dans le même vase, jusqu’à ce que la terre
devienne blanche et brillante.
Ayant donc blanchi et coagulé notre terre, prends
LE CHEMIN DU CHEMIN 17
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l'Eau de vie qui a été épaissie à l'aide d'une légère chaleur
par la terre coagulée, cuis-la à un feu violent dans une
bonne cucurbite munie de son chapiteau, jusqu'à ce que
tout ce qu'il y a d'Eau dans le mélange ait passé dans le
récipient et que la terre calcinée reste dans la cucurbite.
Prends alors trois parties pour quatre d'un ferment, c'est-àdire
que si tu as pris une livre du corps imparfait ou d'or, tu
prendras trois livres de ferment, c'est-à-dire de Soleil ou de
Lune.
Il te faudra d'abord dissoudre ce ferment, le réduire en
terre et répéter en un mot les mêmes opérations que pour le
corps imparfait. Alors seulement tu les uniras, tu les
imbiberas avec l'Eau qui a passé dans le récipient, et tu
cuiras pendant trois jours ou plus. Imbibe de nouveau,
recuis et recommence cette opération jusqu'à ce que ces
deux corps restent unis, c'est-à-dire ne fassent plus qu'un.
Tu pèseras. Leur couleur n'aura pas changé. Alors tu
versera sur eux l’Eau déjà nommée, peu à peu, jusqu'à ce
qu’ils n'en absorbent plus. Dans cette union des corps,
]'Esprit s'incorpore à eux et comme ils ont été purifiés, il se
change en leur propre nature. C'est ainsi que le germe se
transforme dans les corps purifiés, ce qui n'aurait pas eu
lieu auparavant à cause de leur grossièreté et de leurs
impuretés. L'esprit croît en eux, il augmente et se multiplie.
18 CINQ TRAITÉS D’ALCHIMIE
____________________________________________________________________________________________________
RÉCAPITULATION.
Maintenant, Père vénérable, je reviendrai sur ce
que j’ai dit. en l’appliquant aux préparations des Philosophes
anciens et à leurs enseignements si obscurs, si
incompréhensibles. Cependant pèse les paroles des
Philosophes, tu comprendras et tu avoueras qu’ils ont
dit la vérité.
La première parole de notre Magistère ou de l’OEuvre
est la réduction du Mercure (le corps), c’est-à-dire
la réduction du cuivre ou d’un autre métal en Mercure
C’est ce que les Philosophes appellent la solution, qui
est le fondement de l’Art, comme le dit Franciscus:
« Si vous ne dissolvez les corps, vous travaillez en vain. »
C’est de cette solution de laquelle parle Parménide
dans la Tourbe des Philosophes. En entendant le mot
de solution, les ignorants pensent de suite à l’Eau des
nuées. Mais s’ils avaient lu nos livres, s’ils les avaient
compris, ils sauraient que notre Eau est permanente, et
que séparée de son corps elle devient dès lors immuable.
Donc la solution des Philosophes n’est pas l’Eau
de la nuée, mais c’est la conversion des corps en Eau
de laquelle ils ont d’abord été procréés, c’est-à-dire en
LE CHEMIN DU CHEMIN 19
____________________________________________________________________________________________________
Mercure. De même la glace se change en l’eau qui lui
avait d’abord donné naissance.
Voici donc que par la grâce de Dieu tu connais le pre -
mier élément qui est l’Eau et la réduction de ce même
corps en la matière première.
La seconde parole est « Ce qui se fait de la terre ».
C’est ce que les Philosophes ont dit. « L’Eau sort de la
terre. » Tu auras ainsi le second élément qui est la terre.
La troisième parole des Philosophes est La purification
de la Pierre. Morien dit à ce sujet: « Cette Eau se
putréfie et-se purifie avec la terre, etc. » Le Philosophe
dit :« Unis le sec à l’humide; or, le sec c’est la terre,
l’humide c’est l’Eau. » Tu auras déjà l’Eau et la terre en
elle-même et la terre blanchie avec l’Eau.
La quatrième parole est que l’Eau peut s’évaporer par
la sublimation ou l’ascension. Elle redevient aérienne
en se séparant de la terre avec laquelle elle était auparavant
coagulée et jointe; et tu auras ainsi la Terre, l’Air
et l’Eau. C’est ce que dit le Philosophe dans la Tourbe:
« Blanchissez-le et sublimez à un feu vif jusqu’à ce qu’il
s’échappe un esprit qui est le Mercure. C’est pour cela
qu’on l’appelle oiseau d’Hermès et poulet d’Hermogène.
» Vous trouverez au fond une terre calcinée, c’est
une force ignée, c’est-à-dire de nature ignée.
20 CINQ TRAITÉS D’ALCHIMIE
____________________________________________________________________________________________________
Tu auras donc les quatre éléments, la terre, le feu et
cette terre calcinée qui est la poudre dont parle Morien.
« Ne méprise pas la poudre qui est au fond parce qu’elle
est dans un lieu bas. C’est la terre du corps, c’est ton
sperme et en elle est le couronnement de l’OEuvre.
Ensuite avec la terre susdite mets le ferment, ce ferment
que les Philosophes appellent l’âme : et voici
pourquoi: de même que le corps de l’homme n’est rien
sans son âme, de même la terre morte ou corps immonde
n’est rien sans ferment, c’est-à-dire sans son âme.
Car le ferment prépare le corps imparfait, le change
en sa propre nature comme il a été dit. Il n’y a pas.
d’autres ferments que le Soleil et la Lune, ces deux
planètes voisines se rapprochant par leurs propriétés
naturelles. C’est ce qui fait dire à Morien: « Si tu ne
laves pas, si tu ne blanchis pas le corps immonde et que
tu ne lui donnes pas d’âme, tu n’auras rien fait pour le
Magistère. L’esprit est alors uni à l’âme et au corps, il
se réjouit avec eux et se fixe. L’eau s’altère, et ce qui
était épais devient subtil. »
Voici ce que dit Astanus dans la Tourbe des Philosophes:
«L’esprit ne se joint aux corps que lorsque ceuxci
ont été parfaitement purifiés de leurs impuretés.
Dans cette union apparaissent les plus grands miracles,
LE CHEMIN DU CHEMIN 21
____________________________________________________________________________________________________
car toutes les couleurs imaginables se montrent alors et
le corps imparfait prend d’après Barsen la couleur du
ferment, tandis que le ferment lui-même demeure inaltéré.
O Père plein de piété, que Dieu augmente en toi l’esprit
d’intelligence pour que tu pèses bien ce que je vais
dire: Les éléments ne peuvent être engendrés que par
leur propre sperme. Or ce sperme c’est le Mercure.
Considère l’homme qui ne peut. être engendré qu’à l’aide
du sperme, les végétaux qui ne peuvent naître que
d’une semence, autant qu’il en faut pour la génération
et la croissance.
Il en est, qui croyant faire pour le mieux, subliment le
Mercure, le fixent, l’unissent à d’autres corps, et cependant
ils ne trouvent rien. Voici pourquoi: un sperme
ne peut changer, il reste tel qu’il était; et il ne produit
son effet que lorsqu’il est porté dans la matrice de la
femme. C’est pourquoi le Philosophe Mechardus dit:
« Si notre Pierre n’est pas mise dans la matrice de la
femelle, afin d’y être nourrie, elle ne s’accroîtra pas. »
O mon Père, te voilà donc selon ton désir, en possession
de la Pierre des Philosophes.
Gloire à Dieu.
Ici se termine le petit traité d’Arnauld de Villeneuve, donné
au pape, Benoit XI, en l’an 1303.
RAIMONDI LULLII
CLAVICULA
_______________
RAYMOND LULLE
LA CLAVICULE
NOTICE BIOGRAPHIQUE SUR RAYMOND
LULLE
Raymond Lulle naquit à Palma dans l’île Majorque
en I235. Son père, sénéchal de Jacques 1er d’Aragon, le
destinait à la carrière des armes. La jeunesse de R. Lulle
fut turbulente et licencieuse, le mariage ne modifia pas
sa conduite, mais à la suite d’un violent amour terminé
d’une façon malheureuse, il renonça au monde et après
avoir partagé ses biens entre ses enfants, il se retira dans
la solitude. C’est alors qu’il forme le projet de convertir
les infidèles, ce sera là la grande idée à laquelle il consacrera
toute sa vie. Pour apprendre l’arabe, il achète un
esclave musulman, mais celui-ci ayant deviné le but de son
maître, tente de l’assassiner. A peine rétabli, Raymond
Lulle fonde un monastère où l’on enseigne l’arabe,
où l’on forme des missionnaires. Puis il parcourt l’Europe
s’adressant aux papes, aux rois, aux empereurs,
demandant aux uns leur autorité morale, aux autres
des secours en argent pour faire fructifier son oeuvre.
C’est dans ces pérégrinations qu’il se mit en relations à
Paris avec Arnauld de Villeneuve et Duns Scot. Il visite
l’Espagne, l’Italie, la France, l’Autriche. Joignant
l’exemple à la parole, il passe deux fois en Afrique, est
condamné à mort à Tunis, et n’échappe que grâce à la
26 CINQ TRAITÉS D’ALCHIMIE
____________________________________________________________________________________________________
protection d’un savant arabe qui l’avait pris en affection.
En 1311, nous le trouvons au concile de Vienne.
C’est là qu’il reçut une lettre d’Edouard Il. Ce prince,
se montrant favorable à ses projets, R. Lulle va en
Angleterre. Le roi le fait enfermer dans la tour de Londres
et le force à faire le grand-oeuvre. Raymond Lulle
change en or des masses considérables de mercure et
d’étain, cinquante mille livres, dit Lenglet Dufresnoy. De
cet or on fit les nobles à la rose ou Raymondines Craignant
pour sa vie, R. Lulle s’échappe de Londres et retourne
en Afrique. A peine débarqué, il se met à prêcher,
la populace indignée de son audace, le lapide. La nuit
suivante des Gênois l’enlevèrent respirant encore de dessous
un monceau de pierres et le portèrent à bord de leur
vaisseau, mais il mourut en vue de Palma; il fut enterré
dans le couvent des franciscains de cette ville (1313).
Principaux ouvrages : Codicillus seu vade mecum,
Testametum, Mercuriorum liber, Clavicula, Experimenta,
Potestas divitiarum, Theoria et practica, Lapidarium,
Testamentum novissimum, etc.
Le présent traité: Clavicula seu Apertorium se trouve
dans le Theatrum chimicum et dans la Bibliotheca chemica
Mangeli. Comme son nom l’indique, c’est la clef de
tous les autres ouvrages de Raymond Lulle.
LA CLAVICULE DE RAYMOND LULLE
DE MAJORQUE
Traité connu aussi sous le nom de Clef universelle, dans
lequel on trouvera clairement indiqué tout ce qui est
nécessaire pour parfaire le Grand-OEuvre.
Nous avons appelé cet ouvrage Clavicule, parce que
sans lui, il est impossible de comprendre nos autres
livres, dont l’ensemble embrasse l’Art tout entier, car nos
paroles sont obscures pour les ignorants.
J’ai fait beaucoup de traités, très étendus, mais divi -
sés et obscurs, comme on peut le voir par le Testament,
où je parle des principes de la nature et de tout ce qui a
trait à l’art, mais le texte a été soumis au marteau de la
Philosophie. De même pour mon livre du Mercure des
philosophes, au second chapitre: de la fécondité des
minières physiques, de même pour mon livre de la
Quintessence de l’or et de l’argent, de même enfin pour
tous mes autres ouvrages où l’art est traité d’une manière
complète, sauf que j’ai toujours caché le secret principal.
Or, sans ce secret nul ne peut entrer dans les mines des
28 CINQ TRAITÉS D’ALCHIMIE
____________________________________________________________________________________________________
philosophes et faire quelque chose d’utile, c’est pourquoi
avec l’aide et la permission du Très-Haut auquel il a
plu me révéler le Grand-OEuvre, je traiterai ici de l’Art
sans aucune fiction. Mais gardez-vous de révéler ce
secret aux méchants; ne le communiquez qu’à vos amis
intimes, quoique vous ne dussiez le révéler à personne,
parce que c’est un don de Dieu qui en fait présent à qui
lui semble bon. Celui qui le possédera, aura un trésor
éternel.
Apprenez donc à purifier le parfait par l’imparfait. Le
Soleil est le père de tous les métaux et la Lune est leur
mère, quoique la Lune reçoive sa lumière du Soleil. De
ces deux planètes dépend le magistère tout entier.
D’après Avicenne, les métaux ne peuvent être trans -
mués qu’après avoir été ramenés à leur matière première,
ce qui est vrai. Il te faudra donc réduire d’abord les
métaux en Mercure; mais je n’entends pas ici Le mercure
vulgaire, volatil, je parle du Mercure fixe; car le
mercure vulgaire est volatil, plein d’une froideur flegmatique,
il est indispensable qu’il soit réduit par le Mercure
fixe, plus chaud, plus sec, doué de qualités contraires
à celles du mercure vulgaire.
C’est pourquoi je vous conseille, ô mes amis, de
n’opérer sur le Soleil et la Lune qu’après les avoir raLA
CLAVICULE 29
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menés à leur matière première qui est le soufre et le
Mercure des philosophes.
O mes enfants, apprenez à vous servir de cette matière
vénérable, car je vous en avertis sous la foi du serment,
si vous ne tirez le Mercure de ces deux métaux,
vous travaillerez comme des aveugles, dans l’obscurité
et dans le doute. C’est pourquoi, ô mes fils, je vous
conjure de marcher vers la lumière. les yeux ouverts
et de ne pas tomber en aveugles dans le gouffre de perdition.
_______
CHAPITRE I
DIFFERENCES DU MERCURE VULGAIRE ET DU MERCURE
PHYSIQUE.
Nous disons le mercure vulgaire ne peut pas être le
Mercure des Philosophes, par quelqu’artifice qu’on l’ait
préparé ; car le mercure vulgaire ne peut tenir au feu
qu’à l’aide d’un Mercure étranger corporel qui soit chaud,
sec, et plus digéré que lui. C’est pourquoi je dis que
notre Mercure physique est d’une nature plus chaude et
plus fixée que le mercure vulgaire. Notre Mercure
30 CINQ TRAITÉS D’ALCHIMIE
____________________________________________________________________________________________________
corporel se convertit en mercure coulant, ne mouillant
pas les doigts; quand il est joint au mercure vulgaire, ils
s’unissent et se joignent si bien à l’aide d’un lien d’amour,
qu’il est impossible de les séparer l’un de l’autre,
de même de l’eau mêlée à de l’eau. Telle est la loi de la
nature. Notre Mercure pénètre le mercure vulgaire et
se mêle à lui en desséchant son humidité flegmatique,
lui enlevant sa froideur, ce qui le rend noir comme du
charbon et le fait enfin tomber en poussière.
Remarque bien que le mercure vulgaire ne peut être
employé à la place de notre Mercure physique, lequel
possède la chaleur naturelle au degré voulu; c’est
même pour cela que notre Mercure communique sa
propre nature au mercure vulgaire.
Bien plus, notre Mercu re, après sa transmutation,
change les métaux en métal pur, c’est-à-dire en Soleil et
en Lune, ainsi que nous l’avons démontré dans la seconde
partie de notre Pratique. Mais il fait quelque chose
de plus remarquable encore, il change le mercure vulgaire
en Médecine pouvant transmuer les métaux imparfaits
en parfaits. Il change le mercure vulgaire en vrai
Soleil et en vraie Lune, meilleurs que ceux qui sortent
de la mine. Notez encore que notre Mercure physique
peut transmuer cent marcs et plus, à l’infini, tout ce
LA CLAVICULE 31
____________________________________________________________________________________________________
que l’on aura, de mercure ordinaire, à moins que celuici
ne vienne à manquer.
Je veux aussi que vous sachiez autre chose, le Mer -
cure ne se mélange pas facilement et jamais parfaitement
à d’autres corps, si ceux-ci n’ont été auparavant ramenés
à son espèce naturelle. C’est pourquoi lorsque tu
voudras unir le Mercure au Soleil ou à la Lune du vulgaire,
il te faudra d’abord ramener ces métaux à leur espèce
naturelle qui est le mercure ordinaire, cela à l’aide
du lien d’amour naturel; alors le mâle s’unit à la femelle.
Aussi notre Mercure est-il actif, chaud et sec, tandis
que le mercure vulgaire est froid, humide, passif comme
la femelle qui est retenue à la maison dans une chaleur
tempérée jusqu’à l’obumbration. Alors ces deux mercures
deviennent noirs comme charbon; c’est là le secret de la
vraie dissolution. Puis ils se joignent entre eux de telle
sorte qu’il devient impossible de les séparer jamais. Ils se
présentent alors sous forme d’une poudre très blanche,
et ils engendrent des enfants mâles et femelles par le
vrai lien d’amour. Ces enfants se multiplieront à l’infini
selon leur espèce ; car d’une once de cette poudre, poudre
de projection, élixir blanc ou rouge, tu feras des Soleils
en nombre infini et tu transmueras en Lune toute
espèce de métal sorti d’une mine.
32 CINQ TRAITÉS D’ALCHIMIE
____________________________________________________________________________________________________
CHAPITRE II
EXTRACTION DU MERCURE DU CORPS PARFAIT.
Prends une once de chaux de Lune coupellée, calcine -
la selon la façon décrite à la fin de notre ouvrage sur le
Magistère. Cette chaux sera ensuite réduite en poudre
fine sur une plaque de porphyre. Tu imbiberas cette
poudre, deux, trois, quatre fois par jour avec de la bonne
huile de tartre préparée de la manière décrite à la fin
de cet ouvrage ; puis tu feras sécher au soleil. Tu continueras
ainsi jusqu’à ce que ladite chaux ait absorbé
quatre ou cinq parties d’huile, la quantité de chaux
étant prise pour unité; tu pulvériseras la poudre sur le
porphyre comme il a été dit, après l’avoir desséchée, car
alors elle se réduit plus facilement en poudre. Lorsqu’elle
aura été bien porphyrisée, on l’introduira dans un matras
à long col. Vous y ajouterez de notre menstrue
puant fait avec deux parties de vitriol rouge et une partie
de salpêtre ; vous aurez auparavant distillé ce menstrue
par sept fois et vous l’aurez bien rectifié en le séparant
de ses impuretés terreuses, si bien qu’à la fin ce
menstrue soit complètement essentiel.
LA CLAVICULE 33
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Alors on lutera parfaitement le matras, on le mettra
au feu de cendres, avec quelques charbons, jusqu’à ce
que l’on voie la matière bouillir et se dissoudre. Enfin
l’on distillera sur les cendres jusqu’à ce que tout le menstrue
ait passé et l’on attendra que la matière soit froide.
Quand le vase sera complètement refroidi, on l’ouvrira,
et la matière sera placée dans un autre vase bien propre
muni de son chapiteau parfaitement luté. On placera le
tout sur des cendres dans un fourneau. Le lut étant sec,
on chauffera d’abord doucement jusqu’à ce que toute
l’eau de la matière sur laquelle on opère ait passé dans
le récipient. Puis on augmente le feu pour dessécher
complètement la matière et exalter les esprits puants qui
passeront dans le chapiteau et de là dans le récipient.
Lorsque vous verrez l’opération arrivée à ce point, vous
laisserez refroidir le vaisseau en diminuant peu à peu le
feu. Le vase étant froid, vous en retirerez la matière que
vous réduirez en poudre subtile sur le porphyre. Vous
mettrez la poudre impalpable ainsi obtenue dans un vase
de terre bien cuit et bien vitrifié. Puis vous verserez par
dessus de l’eau ordinaire bouillante, en remuant avec un
bâton propre, jusqu’à ce que le mélange soit épais comme
de la moutarde. Remuez bien avec la baguette jusqu’à
ce que vous voyiez apparaître quelques globules de mer34
CINQ TRAITÉS D’ALCHIMIE
____________________________________________________________________________________________________
cure dans la matière; il y en aura bientôt une assez grande
quantité selon ce que vous aurez employé de corps parfait,
c’est-à-dire de Lune. Et jusqu’à ce que vous en
ayez une grande quantité, versez de temps en temps de
l’eau bouillante et remuez jusqu’à ce que toute la matière
se réduise en un corps semblable au mercure vulgaire.
On enlèvera les impuretés terreuses avec de l’eau froide,
on sèchera sur un linge, on passera à travers une peau
de chamois. Et alors vous verrez des choses admirables
_______
CHAPITRE III
DE LA MULTIPLICATION DE NOTRE MERCURE.
Au nom du Seigneur. Amen.
Prenez trois gros de Lune pure en lamelles ténues;
faites-en un ama1game avec quatre gros de mercure vulgaire
bien lavé. Quand l’amalgame sera fait vous le
mettrez dans un petit matras ayant un col d’un pied et
demi.
Prenez ensuite notre Mercure extrait ci - dessus du
corps lunaire, et mettez-le sur l’amalgame fait avec le
LA CLAVICULE 35
____________________________________________________________________________________________________
corps parfait et le mercure vulgaire; lutez le vase avec
le meilleur lut possible et faites sécher. Ceci fait, agitez
fortement le matras pour bien mélanger l’amalgame et
le mercure. Puis placez le vase où se trouve la matière
dans un petit fourneau sur un feu de quelques charbons
seulement; la chaleur du feu ne doit pas être supérieure
à celle du soleil lorsqu’il est dans le signe du lion. Une
chaleur plus forte détruirait votre matière; aussi continuez
ce degré de feu jusqu’à ce que la matière devienne
noire comme du charbon et épaisse comme de la bouillie.
Maintenez la même température jusqu’au moment
où la matière prendra une couleur gris sombre; lorsque
le gris apparaîtra, on augmentera le feu d’un degré et il
sera deux fois plus fort; on le maintiendra ainsi jusqu’à
ce que la matière commence à blanchir et devienne
d’une blancheur éclatante. On augmentera le feu d’un
degré et l’on maintiendra ce troisième degré jusqu’à ce
que la matière devienne plus blanche que la neige et
soit réduite en poudre plus blanche et plus pure que la
cendre. Vous aurez alors la Chaux vive des Philosophes
et sa minière sulfureuse que les Philosophes ont
si bien cachées.
_________
36 CINQ TRAITÉS D’ALCHIMIE
____________________________________________________________________________________________________
CHAPITRE IV
PROPRIETE DE LA CHAUX DES PHILOSOPHES.
Cette Chaux convertit une quantité infinie de mercure
vulgaire en une poudre très blanche qui peut être
réduite en argent véritable quand on l’unit à quelqu’autre
corps comme la Lune.
__________
CHAPITRE V
MULTIPLICATION DE LA CHAUX DES PHILOSOPHES.
Prends le vaisseau avec la matière, ajoutes-y deux
onces de mercure vulgaire bien lavé et sec; lute avec
soin, et remets le vaisseau où il était d’abord. Règle et
gouverne le feu selon les degrés un, deux et trois
comme ci-dessus, jusqu’à ce que le tout soit réduit en
une poudre très blanche; tu pourras ainsi augmenter ta
Chaux à l’infini.
________
LA CLAVICULE 37
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CHAPITRE VI
REDUCTION DE LA CHAUX VIVE EN VRAIE LUNE.
Ayant donc préparé une grande quantité de notre
Chaux vive ou minière, prends un creuset neuf sans son
couvercle; mets-y une once de Lune pure et lorsqu’elle
sera fondue, ajoutes-y quatre onces de ta poudre agglomérée
en pilules. Ces petites boules pèsent chacune le
quart d’une once. On les jette une à une sur la Lune en
fusion, tout en continuant un feu violent jusqu’à ce que
toutes les pilules soient fondues; on augmente encore le feu
pour que tout se mélange parfaitement; enfin on
coulera dans une lingotière.
Tu auras ainsi cinq onces d’argent fin, plus pur que le
naturel ; tu pourras multiplier ta minière physique à ton
gré.
________
CHAPITRE VII
DE NOTRE GRAND-OEUVRE AU BLANC ET AU ROUGE.
Réduisez en Mercure, comme il a été dit plus haut
votre Chaux vive tirée de la Lune. C’est là notre Mer38
CINQ TRAITÉS D’ALCHIMIE
____________________________________________________________________________________________________
cure secret. Prenez donc quatre onces de notre chaux,
extrayez le Mercure de la Lune comme vous l’avez fait
plus haut. Vous recueillerez au moins trois onces de
Mercure que vous mettrez dans un petit matras à long
col comme il a été dit. Puis faites un amalgame d’une
once de vrai Soleil avec trois onces de mercure vulgaire
et mettez-le sur le Mercure de la Lune. Agitez fortement
pour bien mélanger. Lutez le vaisseau avec soin et
mettez-le dans le fourneau, en réglant le feu au premier,
second et troisième degré.
Au premier degré, la matière deviendra noire comme
du charbon; on dit alors qu’il y a éclipse de Soleil et de
Lune. C’est la véritable conjonction qui produit un enfant,
le Soufre, plein d’un sang tempéré.
Après cette première opération, on continue par le
feu du second degré jusqu’à ce que la matière soit grise.
Puis on passe au troisième degré jusqu’au moment où
la matière apparaît parfaitement blanche. On augmente
alors le feu jusqu’à ce que la matière devienne rouge
comme du cinabre et soit réduite en cendres rouges.
Tu pourras réduire cette Chaux en Soleil très pur, en
faisant les mêmes opérations que pour la Lune.
________
LA CLAVICULE 39
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CHAPITRE VIII
DE LA MANIERE DE CHANGER LA SUSDITE PIERRE EN UNE
MÉDECINE QUI TRANSMUE TOUTE ESPECE DE METAL EN
VRAI SOLEIL ET VRAIE LUNE ET SURTOUT LE MERCURE
VULGAIRE EN METAL PLUS PUR QUE CELUI QUI SORT
DES MINES.
Après sa première résolution notre Pierre mult iplie
cent parties de matière préparée, et après la seconde,
mille. L’on multiplie en dissolvant, coagulant, sublimant,
fixant notre matière qui peut ainsi s’accroître indéfiniment
en quantité et en qualité.
Prenez donc de notre min ière blanche, dissolvez-la
dans notre menstrue puant, qui est appelé vinaigre
blanc dans notre Testament, au chapitre où nous disons:
« Prends du bon vin bien sec, mets-y la Lune, c’est-àdire
l’Eau verte et C, c’est-à-dire du Salpêtre.... »
Mais ne nous égarons pas; prenez quatre onces de
notre Chaux vive et faites dissoudre dans notre menstrue,
vous la verrez se résoudre en eau verte. D’autre
part dans treize onces de ce même menstrue puant vous
40 CINQ TRAITÉS D’ALCHIMIE
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dissoudrez quatre onces de mercure vulgaire bien lavé,
et dès que la dissolution sera achevé, vous mélangerez
les deux solutions; mettez-les en un vase bien scellé,
faites digérer au fumier de cheval pendant trente jours,
puis distillez au bain-marie jusqu’à ce qu’il ne passe
plus rien. Redistillez au feu de charbon afin d’extraire
l’huile et alors la matière qui restera, sera noire Prenez
celle-ci et distillez pendant deux heures sur les cendres
dans un petit fourneau. Le vase étant froid, ouvrez-le et
versez-y l’eau qui a été distillée ci-dessus au bain-marie.
Lavez bien la matière avec cette eau. Puis distillez le
menstrue au bain-marie ; recueillez toute l’eau qui
passera, joignez-la à l’huile et distillez sur les cendres,
comme il a été dit. Recommencez cette opération jusqu’au
moment où la matière restera au fond du vaisseau,
noire comme du charbon.
Fils de la science, tu auras alors la Tête de corbeau
que les Philosophes ont tant cherchée, sans laquelle le
Magistère ne peut exister. C’est pourquoi, ô mon Fils,
remémore-toi la divine Cène de Notre-Seigneur Jésus-
Christ qui est mort, a été enseveli, et le troisième jour
est revenu à la lumière sur la terre éternelle. Sachebien,
ô mon Fils, que nul être ne peut vivre s’il n’est
mort tout d’abord. Prends donc ton corps noir, calcineLA
CLAVICULE 41
____________________________________________________________________________________________________
le dans le même vaisseau pendant trois jours, puis laisse
refroidir.
Ouvre-le et tu trouveras une terre spongieuse et morte,
que tu conserveras jusqu’à ce qu’il soit nécessaire
d’unir le corps à l’âme.
Tu prendras l’eau qui a été distillée au bain -marie,
tu la distilleras plusieurs fois de suite, jusqu’à ce qu’elle
soit bien purifiée et réduite en une matière cristalline.
Imbibe donc ton corps qui est la Terre noire avec
sa propre eau, l’arrosant peu à peu et chauffant le tout,
jusqu’à ce que le corps devienne blanc et resplendissant.
L’eau qui vivifie et qui clarifie a pénétré le corps. Le vaisseau
ayant été luté, tu chaufferas violemment pendant
douze heures, comme si tu voulais sublimer le mercure
vulgaire. Le vase s’étant refroidi, tu l’ouvriras et tu y
trouveras ta matière sublimée, blanche, c’est notre
Terre Sigillée, c’est notre corps sublimé, élevé à une
haute dignité, c’est notre Soufre, notre Mercure, notre
Arsenic, avec lequel tu réchaufferas notre Or, c’est
notre ferment, notre chaux vive et il engendre en soi
le Fils du feu qui est l’Amour des philosophes.
_______
42 CINQ TRAITÉS D’ALCHIMIE
____________________________________________________________________________________________________
CHAPITRE IX
MULTIPLICATION DU SOUFRE SUSDIT.
Mets cette matière dans un fort matras et verse par -
dessus un amalgame fait avec la Chaux vive de la première
opération, celle que nous réduisions en argent. Cet
amalgame se fait avec trois parties de mercure vulgaire
et une partie de notre Chaux; vous mélangerez et vous
chaufferez sur les cendres. Vous verrez la matière s’agiter,
augmentez alors le feu et en quatre heures la matière
deviendra sulfurée et très blanche. Lorsqu’elle aura été
fixée, elle coagulera et fixera le Mercure; une once de
matière changera cent onces de Mercure en vraie Médecine;
elle opérera ensuite sur mille onces, et ainsi de
suite à l’infini.
________
CHAPITRE X
FIXATION DU SOUFRE MULTIPLIÉ.
L’on prendra le soufre multiplié, on le placera dans.
un matras et l’on versera par-dessus l’huile qui avait été
mise de côté lors de la séparation des éléments.
LA CLAVICULE 43
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On versera de l’huile jusqu’à ce que le Soufre s oit
mou. Puis on mettra fondre sur les cendres, en chauffant
au second et troisième degré, jusqu’à la blancheur
inclusivement. Alors on ouvrira le vaisseau et l’on trouvera
une plaque cristalline, blanche. Pour l’essayer,
mets-en un fragment sur une plaque chaude, et s’il coule
sans produire de fumée il est bon. Alors projettes-en
une partie sur mille de mercure et celui-ci sera complétement
transmué en Argent. Mais si la médecine avait
été infusible et n’avait pas coulé, mets-la dans un creuset
et verse dessus de l’huile, goutte à goutte, jusqu’à
ce que la médecine coule comme de la cire, et alors
elle sera parfaite et transmuera mille parties de mercure
et plus à l’infini.
__________
CHAPITRE XI
REDUCTION DE LA MEDECINE BLANCHE EN ÉLIXIR ROUGE.
Au nom du Seigneur, prends quatre onces de la lame
susdite et dissous-la dans l’Eau de la Pierre, que tu as
conservée. Lorsque la dissolution sera achevée, mets
fermenter au bain-marie pendant neuf jours. Alors
44 CINQ TRAITÉS D’ALCHIMIE
____________________________________________________________________________________________________
prends deux parties en poids de notre Chaux rouge et
ajoute-les dans le vaisseau, tu mettras fermenter de nouveau
neuf jours. Ensuite tu distilleras au bain-marie
dans un alambic, puis sur les cendres, en réglant le feu
au premier degré jusqu’au moment où la matière deviendra
noire. C’est là notre seconde dissolution et notre
seconde éclipse du Soleil avec la Lune, c’est là le signe
de la vraie dissolution et de la conjonction du mâle avec
la femelle.
Augmente le feu jusqu’au second degré, de façon que
la matière devienne jaune. Ensuite on élèvera le feu
au quatrième degré jusqu’à ce que la matière fonde
comme de la cire et qu’elle soit d’une couleur hyacinthe.
C’est alors une matière noble et une médecine royale
qui guérit promptement toutes les maladies; elle transmue
toute espèce de métal en or pur meilleur que l’or
naturel.
Maintenant rendons grâces au Sauveur glorieux qui
dans la gloire des cieux règne un et trois dans l’éternité.
LA CLAVICULE 45
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CHAPITRE XII
RESUME DU MAGISTÈRE.
Nous avons démontré que tout ce que renferme ce
traité est véritable, car nous avons vu de nos propres
yeux, nous avons opéré nous-même, nous avons touché
de nos propres mains. Maintenant nous allons sans allégories
et brièvement résumer notre OEuvre.
Nous prenons donc la Pierre que nous avons dite,
nous la sublimons avec l’aide de la nature et de l’art,
nous la réduisons en Mercure. A ce Mercure on ajoute
le Corps blanc qui est d’une nature semblable, et on cuit
jusqu’à ce qu’on ait préparé la vraie minière.
Cette minière se multipliera à votre gré. La matière
sera de nouveau réduite en Mercure, que vous dissoudrez
dans notre Menstrue jusqu’à ce que la Pierre devienne
volatile et séparée de tous ses éléments. Enfin on
purifiera parfaitement 1e corps et l’âme. Une chaleur
naturelle et tempérée permettra ensuite de réussir la
conjonction du corps et de l’âme. La Pierre deviendra
minière; on continuera le feu jusqu’à ce que la matière
devienne blanche, nous l’appelons alors Soufre et Mer46
CINQ TRAITÉS D’ALCHIMIE
____________________________________________________________________________________________________
cure des Philosophes ; c’est alors que par la violence
du feu, le fixe devient volatil, en tant que le volatil se
sera débarrassé de ses principes grossiers et se sera sublimé
plus blanc que neige. On jettera ce qui reste au fond
du vaisseau, car ce n’est bon à rien. Prenez alors
notre Soufre qui est l’huile dont on a déjà parlé et vous
le multiplierez dans l’alambic jusqu’à ce qu’il soit réduit
en une poudre plus blanche que neige. On fixera les
poudres multipliées par la nature et par l’art, avec de
l’Eau, jusqu’à ce qu’à l’essai par le feu, elles coulent sans
fumée comme de la cire.
Il faut alors ajouter l’eau de la première solution ;
tout s’étant dissous, on y mettra quelque chose de
jaune qui est l’or, on unira et on distillera tout l’esprit.
Enfin on chauffera au premier, second, troisième et
quatrième degré jusqu’à ce que la chaleur fasse apparaître
la vraie couleur hyacinthe, et que la matière fixe
soit fusible. Tu projetteras cette matière sur mille parties
de mercure vulgaire et il sera transmué en or fin.
________
LA CLAVICULE 47
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CHAPITRE XIII
CALCINATION DE LA LUNE POUR L’OEUVRE.
Prenez une once de Lune fine coupellée et trois onces
de mercure. Amalgamez, en chauffant d’abord l’argent en
lamelles dans un creuset et en y ajoutant ensuite le mercure;
remuez avec une baguette, tout en continuant à
bien chauffer. On mettra ensuite cet amalgame dans du
vinaigre avec du sel; on broyera le tout avec un pilon
dans un mortier de bois, tout en lavant et enlevant les
impuretés. On cessera quand l’amalgame sera parfait.
Puis on lavera avec de l’eau ordinaire chaude et limpide,
puis on passera à travers un linge bien propre.
Ce qui restera sur le linge étant la partie la plus essentielle
du corps, on le mélangera avec trois parties de sel,
en broyant bien et en lavant. On calcinera enfin pendant
douze heures. On recommencera à broyer avec du
sel, et cela par trois fois, en renouvelant chaque fois le
sel. Alors on pulvérisera la matière de manière à obtenir
une poudre impalpable; on lavera à, l’eau chaude jusqu’à
ce que toute saveur salée ait disparu. Enfin on passera
à travers un filtre de coton, on desséchera, et l’on aura
48 CINQ TRAITÉS D’ALCHIMIE
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la Chaux blanche. On la mettra en réserve, pour s’en
servir lorsqu’on en aura besoin, de peur que l’humidité
ne l’altère.
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CHAPITRE XIV
PROCEDE POUR PRÉPARER L’HUILE DE TARTRE.
Prenez du bon tartre, dont la cassure soit brillante,
calcinez-le au fourneau à réverbère pendant dix heures;
ensuite vous le mettrez sur une plaque de marbre après
l’avoir pulvérisé et vous le laisserez dans un lieu humide,
il se résoudra en un liquide huileux. Lorsqu’il sera entièrement
liquéfié, on le passera à travers un filtre de coton.
Vous le conserverez soigneusement, il vous servira
à imbiber votre chaux.
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LA CLAVICULE 49
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CHAPITRE XV
MENSTRUE PUANT POUR REDUIRE NOTRE CHAUX VIVE
EN MERCURE, APRES L’AVOIR DISSOUTE LORSQU’ ELLE
AURA ETE DEJA IMBIBE D’HUILE DE TARTRE.
Prenez deux livres de vitriol, une livre de salpêtre et
trois onces de cinabre. On rougit le vitriol, on le pulvérise,
puis on ajoute le salpêtre et le cinabre, on broye
toutes ces matières ensemble, et on met dans un appareil
distillatoire bien luté.
On distille d’abord à feu lent, c’est de toute néces -
sité, comme le savent ceux qui ont fait cette opération.
Cette eau distillera en abandonnant ses impuretés qui
resteront au fond de la cucurbite et vous aurez ainsi
cet excellent menstrue.
_________
CHAPITRE XVI
AUTRE MENSTRUE POUR SERVIR DE DISSOLVANT A LA
PIERRE.
Prenez trois livres de vitriol romain rouge, une livre
de salpêtre, trois onces de cinabre, broyez toutes ces
50 CINQ TRAITÉS D’ALCHIMIE
____________________________________________________________________________________________________
matières ensemble sur le marbre. Puis mettez-les dans
un grand et solide matras, ajoutez-y de l’Eau-de-vie
rectifiée sept fois, puis scellez parfaitement le vaisseau
et mettez-le pendant quinze jours dans du fumier de
cheval. Ensuite on distillera doucement pour que toute
l’eau passe dans le récipient. Puis on augmentera le
feu jusqu’à ce que le chapiteau soit porté au blanc; on
laissera ensuite refroidir. On enlèvera le récipient que
l’on fermera parfaitement avec de la cire et on le conservera.
Remarquez que ce menstrue doit être rectifié
sept fois, en rejetant chaque fois le résidu. Après cela
seulement il sera bon pour l’oeuvre.
ROGERII BACHONIS
SPECULUM ALCHEMAE
________
ROGER BACON
LE MIROIR D’ALCHIMIE
NOTICE BIOGRAPHIQUE SUR ROGER
BACON
Roger Bacon naquit en 1214 à Ilcester, comté de Sommerset.
Il fit ses premières études à Oxford, et vint
ensuite à Paris prendre les titres de maître ès-arts et de
docteur en théologie. A cette époque, Albert le Grand
professait publiquement à Paris. De retour en Angleterre,
il entra dans l’Ordre des Franciscains vers 1240.
Il apprit le grec, l’arabe, l’hébreu pour lire les anciens
auteurs dans le texte. Il acquit ainsi une prodigieuse
érudition. Il revint à Paris, qui lui offrait plus de facilités
pour ses études. Ses supérieurs ignorants, effrayés de
sa science, commencèrent à le persécuter. Clément IV
qui l’admirait fut impuissant à le protéger, et Bacon dut
se cacher de ses supérieurs pour écrire et envoyer au
pape l’Opus majus. Nicolas III succéda à Clément IV.
C’est sous ce pontife que Jérôme d’Esculo, général des
Franciscains, passant par Paris, fit enfermer Roger Bacon,
l’accusant de magie et d’hérésie. Jérôme d’Esculo fut
lui-même élu pape sous le nom de Nicolas IV, et Roger
Bacon désespérait de jamais sortir de son cachot quand
54 CINQ TRAITÉS D’ALCHIMIE
____________________________________________________________________________________________________
Raymond Gaufredi fut nommé général des Franciscains.
Homme doux et savant, Raymond fit mettre en liberté
Roger Bacon et plusieurs autres Franciscains. Bacon
retourna en Angleterre, mais il avait trop souffert, il
était trop vieux pour reprendre ses chères études. Il
mourut à Oxford en 1294; à son lit de mort il laissa
tomber ces tristes paroles: « Je me repens de m’être
donné tant de peine dans l’intérêt de la science ! »
Les ouvrages de R. Bacon relatifs à l’alchimie ont
été réunis dans un recueil intitulé: Rogerii Baconis Thesaurus
chimicus, un vol. in-8e. Francofurti, î6o3 et 1620.
Liste des traités de Roger Bacon: Alchimia major,
Breviarium de dono Dei, De leone viridi, Secretum secretorum,
Speculum alchemiae, Epislola de secretis operibus
artis et naturae ac nullitate magiae.
Le présent traité se trouve en latin dans la Bibliotheca
chemica mangeli, dans le Thesaurus chimicus, dans
le tome Il du Theatrum chimicum, c’est d’après ce texte
qu’a été faite la présente traduction.
C’est un traité d’alchimie spéculative ou théorique.
_______
LE MIROIR D’ALCHIMIE 55
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PETIT TRAITÉ D’ALCHIMIE
DE ROGER BACON INTITULÉ MIROIR
D’ALCHIMIE
PREFACE.
Dans leurs écrits les Philosophes se sont ex primés de
bien des manières différentes, mais toujours énigmatiques.
Ils nous ont légué une science noble entre toutes,
mais voilée complètement pour nous par leur parole
nuageuse, entièrement cachée sous un voile impénétrable.
Et pourtant ils ont eu raison d’agir ainsi. Aussi,
je vous conjure d’exercer avec persévérance votre esprit
sur ces sept chapitres, qui renferment l’art de transmuer
les métaux, sans avoir à vous inquiéter des écrits
des autres philosophes. Repassez souvent dans votre
esprit leur commencement, leur milieu, leur fin, et vous
y trouverez des inventions si subtiles que votre âme en
sera remplie de joie.
___________
56 CINQ TRAITÉS D’ALCHIMIE
____________________________________________________________________________________________________
CHAPITRE I
DEFINITIONS DE L’ALCHIMIE.
Dans quelques manuscrits anciens, on trouve de cet
art plusieurs définitions desquelles il importe que nous
parlions ici.. Hermès dit: « L’Alchimie est la science immuable
qui travaille sur les corps à l’aide de la théorie
et de l’expérience, et qui, par une conjonction naturelle,
les transforme en une espèce supérieure plus précieuse.
Un autre philosophe a dit: « l’Alchimie enseigne à transmuer
toute espèce de métal en une autre, cela à l’aide
d’une Médecine particulière, ainsi qu’on peut le voir par
les nombreux écrits des Philosophes. » C’est pourquoi
je dis: « l’Alchimie est la science qui enseigne à préparer
une certaine Médecine ou élixir, laquelle étant projetée
sur les métaux imparfaits, leur donne la perfection dans le
moment même de la projection.
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LE MIROIR D’ALCHIMIE 57
____________________________________________________________________________________________________
CHAPITRE II
DES PRINCIPES NATURELS ET DE LA GENERATION DES
METAUX.
Je vais parler ici des principes naturels et de la géné -
ration des métaux. Notez d’abord que les principes des
métaux sont le Mercure et le Soufre. Ces deux principes
ont donné naissance à tous les métaux et à tous les
minéraux, dont il existe pourtant un grand nombre d’espèces
différentes. Je dis de plus que la nature a toujours
eu pour but et s’efforce sans cesse d’arriver à la perfection,
à l’or. Mais par suite de divers accidents qui entravent
sa marche, naissent les variétés métalliques,
ainsi qu’il est clairement exposé dans plusieurs philosophes.
Selon la pureté ou l’impureté des deux princ ipes composants,
c’est-à-dire du Soufre et du Mercure, il se
produit des métaux parfaits ou imparfaits, l’or, l’argent,
l’étain, le plomb, le cuivre, le fer. Maintenant recueille
pieusement ces enseignements sur la nature des métaux,
sur leur pureté ou leur impureté, leur pauvreté ou leur
richesse en principes.
58 CINQ TRAITÉS D’ALCHIMIE
____________________________________________________________________________________________________
Nature de l’Or: l’Or est un corps parfait composé
d’un Mercure pur, fixe, brillant, rouge et d’un Soufre
pur, fixe, rouge, non combustible. L’Or est parfait.
Nature de l’Argent: c’est un corp s pur, presque parfait,
composé d’un Mercure pur, presque fixe, brillant,
blanc. Son Soufre a les. mêmes qualités. Il ne manque à
l’Argent qu’un peu plus de fixité, de couleur et de poids.
Nature de l’étain c’est un corps pur, imparfait,
composé d’un Mercure pur, fixe et volatil, brillant,
blanc à l’extérieur, rouge à l’intérieur. Son Soufre a les
mêmes qualités. Il manque seulement à l’étain d’être un
peu plus cuit et digéré.
Nature du plomb: c’est un corps impur et imparfait,
composé d’un Mercure impur, instable, terrestre, pulvérulent,
légèrement blanc à l’extérieur, rouge à l’intérieur.
Son Soufre est semblable et de plus combustible.
Il manque au plomb, la pureté, la fixité, la couleur; il
n’est pas assez cuit.
Nature du cuivre: le cuivre est un métal impur et
imparfait, composé d’un Mercure impur, instable, terrestre,
combustible, rouge, sans éclat. De même pour
son Soufre. Il manque au cuivre, la fixité, la pureté, le
poids. Il contient trop de couleur impure et de parties
terreuses incombustibles.
LE MIROIR D’ALCHIMIE 59
____________________________________________________________________________________________________
Nature du fer: le fer est un corps impur, imparfait,
composé d’un Mercure impur, trop fixe, contenant des
parties terreuses combustibles, blanc et rouge, mais sans
éclat. Il lui manque la fusibilité, la pureté, le poids;
il contient trop de Soufre fixe impur et de parties terreuses
combustibles.
Tout alchimiste doit tenir compte de ce qui précède.
__________
CHAPITRE III
D’OU L’ON DOIT RETIRER LA MATIERE PROCHAINE DE
L’ELIXIR.
Dans ce qui précède on a suffisamment déterminé la
genèse des métaux parfaits et imparfaits.
Maintenant nous allons travailler à rendre pure et
parfaite la matière imparfaite. Il ressort des chapitres
précédents que tous les métaux sont composés de Mercure
et de Soufre, que l’impureté et l’imperfection des
composants se retrouve dans le composé; comme on
ne peut ajouter aux métaux que des substances tirées
d’eux-mêmes, il s’ensuit qu’aucune matière étrangère ne
60 CINQ TRAITÉS D’ALCHIMIE
____________________________________________________________________________________________________
peut nous servir, mais que tout ce qui est composé des
deux principes, suffit pour perfectionner, et même transmuer
les métaux.
Il est très surprenant de voir des personnes, pourtant
habiles, travailler sur les animaux, lesquels constituent
une matière très éloignée, alors qu’elles ont sous la main
une matière suffisamment prochaine dans les minéraux.
Il n’est pas impossible qu’un Philosophe ait placé l’OEuvre
dans ces matières éloignées, mais c’est par allégorie
qu’il l’aura fait.
Deux principes composent tous les métaux et rien ne
peut s’attacher, s’unir aux métaux ou les transformer, s’il
n’est lui-même composé des deux principes. C’est
ainsi que le raisonnement nous force à prendre pour
Matière de notre Pierre, le Mercure et le Soufre.
Le Mercure se ul, le Soufre seul ne peuvent engendrer
les métaux, mais par leur union, ils donnent naissance
aux divers métaux et à de nombreux minéraux.
Donc il est évident que notre Pierre doit naître de ces
deux principes.
Notre dernier secret est très précieux et très caché:
sur quelle matière minérale, prochaine entre toutes, doiton
directement opérer? Nous sommes obligé de choisir
avec soin. Supposons d’abord que nous tirions notre
LE MIROIR D’ALCHIMIE 61
____________________________________________________________________________________________________
matière des végétaux: herbes, arbres et tout ce qui
naît de la terre, Il faudra en extraire le Mercure et le
Soufre par une longue cuisson, opérations que nous
repoussons, puisque la nature nous offre du Mercure et
du Soufre tout faits.
Si nous avions élu les animaux, il nous faudrait travailler
sur le sang humain, cheveux, urine, excréments,
oeufs de poule, enfin tout ce que l’on peut tirer des
animaux. Il nous faudrait, là encore, extraire par la
cuisson, le Mercure et le Soufre. Nous récusons ces
opérations pour notre première raison. Si nous avions
choisi les minéraux mixtes, telles que sont les diverses
espèces de magnésies, marcassites, tuties, couperoses
ou vitriols, aluns, borax, sels, etc., il faudrait mêmement
en extraire le Mercure et le Soufre par cuisson, ce
que nous repoussons pour les mêmes raisons que Cidessus.
Si nous choisissions l’un des sept esprits comme
le Mercure seul, ou le soufre seul, ou bien le Mercure
et l’un des deux soufres, ou bien le soufre-vif, ou l’orpiment
ou l’arsenic jaune, ou l’arsenic rouge, nous ne
pourrions les perfectionner; parce que la nature ne
perfectionne que le mélange déterminé des deux principes.
Nous ne pouvons faire mieux que la nature, et
il nous faudrait extraire de ces corps le Soufre et le
62 CINQ TRAITÉS D’ALCHIMIE
____________________________________________________________________________________________________
Mercure, ce que nous repoussons comme ci-dessus,
Finalement, si nous prenions les deux principes euxmêmes,
il nous faudrait les mêler selon une certaine
proportion immuable, inconnue à l’esprit humain, et ensuite
les cuire jusqu’à ce qu’ils soient coagulés en une
masse solide.
C’est pourquoi nous écartons l’idée de prendre les
deux principes séparés, c’est-à-dire le Soufre et le Mercure,
parce que nous ignorons leur proportion et que
nous trouverons des corps dans lesquels les deux principes
sont unis dans de justes proportions coagulés et conjoints
selon les règles.
Cache bien ce secret: L’Or est un corps parfait et
mâle sans superfluité ni pauvreté. S’il perfectionnait les
métaux imparfaits fondus avec lui, ce serait l’élixir rouge.
L’argent aussi est un corps presque parfait et femelle, et
si par simple fusion, il rendait presque parfaits les
métaux imparfaits, ce serait l’élixir blanc. Ce qui n’est
pas et ce qui ne peut pas être, parce que ces corps
sont parfaits à un seul degré. Si leur perfection était
communicable aux métaux imparfaits, ces derniers ne se
perfectionneraient pas et ce seraient les métaux parfaits
qui seraient souillés par le contact des imparfaits. Mais
s’ils étaient plus que parfaits, au double, au quadruple,
LE MIROIR D’ALCHIMIE 63
____________________________________________________________________________________________________
au centuple, etc., ils pourraient alors perfectionner les
imparfaits.
La nature opère toujours simplement, c’est pour cela
que la perfection est simple en eux, indivisible et non
transmissible. Ils ne pourraient entrer dans la composition
de la Pierre, comme ferments, pour abréger l’oeuvre;
ils se réduiraient en effet en leurs éléments, la
somme de volatil dépassant la somme de fixe.
Et parce que l’or est un corps parfait composé d’un
Mercure rouge, brillant, et d’un Soufre semblable, nous
ne le prendrons pas comme matière de la Pierre pour
l’élixir rouge; car il est trop simplement parfait, sans
perfection subtile, il est trop bien cuit et digéré naturellement
et c’est à peine si nous pouvons le travailler avec
notre feu artificiel; de même pour l’argent.
Quand la nature perfectionne quelque chose, elle ne
sait cependant pas le purifier, le parfaire intimement,
parce qu’elle opère avec simplicité. Si nous choisissions
l’or et l’argent, nous pourrions à grand peine trouver un
feu capable d’agir sur eux. Quoique nous connaissions
ce feu, nous ne pouvons cependant arriver à la purification
parfaite à cause de la puissance de leurs liens et de
leur harmonie naturelle ; aussi repoussons l’or pour
l’élixir rouge, l’argent pour l’élixir blanc. Nous trouve64
CINQ TRAITÉS D’ALCHIMIE
____________________________________________________________________________________________________
rons un certain corps, composé de Mercure et de
Soufre suffisamment purs, sur lesquels la nature aura
peu travaillé.
Nous nous flattons de perfectionner un tel corps avec
notre feu artificiel et la connaissance de l’art. Nous le
soumettrons à une cuisson convenable, le purifiant, le
colorant et le fixant selon les règles de l’art. Il faut donc
choisir une matière qui contienne un Mercure pur, clair,
blanc et rouge, pas complétement parfait, mélangé également,
dans les proportions voulues et selon les règles,
avec un Soufre semblable à lui. Cette matière doit être
coagulée en une masse solide et telle qu’à l’aide de notre
science et de notre prudence, nous puissions parvenir à
la purifier intimement, à la perfectionner par notre feu,
et à la rendre telle qu’à la fin de l’OEuvre, elle soit des
milliers de mille fois plus pure et plus parfaite que les
corps ordinaires cuits par la chaleur naturelle.
Sois donc prudent; car si tu as exercé la subtilité et
l’acuité de ton esprit sur ces chapitres où je t’ai manifestement
révélé la connaissance de la Matière, tu possèdes
maintenant cette chose, ineffable et délectable,
objet de tous les désirs des Philosophes.
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LE MIROIR D’ALCHIMIE 65
____________________________________________________________________________________________________
CHAPITRE IV
DE LA MANIERE DE REGLER LE FEU ET DE LE MAINTENIR.
Si tu n’as pas la tête trop dure, si ton esprit n’est pas
enveloppé complètement du voile de l’ignorance et de
l’inintelligence, je puis croire que dans les précédents
chapitres tu as trouvé la vraie Matière des Philosophes,
matière de la Pierre bénite des sages, sur laquelle l’Alchimie
va opérer dans le but de perfectionner les corps
imparfaits à l’aide de corps plus que parfaits. La nature
ne nous offrant que des corps parfaits ou imparfaits, il
nous faut rendre indéfiniment parfaite par notre travail
la Matière nommée ci-dessus.
Si nous ignorons la manière d’opérer, quelle en est la
cause, sinon que nous n’observons pas comment la nature
perfectionne chaque jour les métaux ? Ne voyonsnous
pas que dans les mines, les éléments grossiers se
cuisent tellement et s’épaississent si bien par la chaleur
constante existant dans les montagnes, qu’avec le temps
elle se transforme en Mercure? Que la même chaleur, la
même cuisson transforme les parties grasses de la terre
66 CINQ TRAITÉS D’ALCHIMIE
____________________________________________________________________________________________________
en Soufre? Que cette chaleur appliquée longtemps à ces
deux principes, engendre selon leur pureté ou leur impureté,
tous les métaux ? Ne voyons-nous pas que
la nature produit et perfectionne tous les métaux par la
seule cuisson ? O folie infinie, qui donc, je vous le demande,
qui donc vous oblige à vouloir faire la même
chose à l’aide de régimes bizarres et fantastiques? C’est
pourquoi un Philosophe a dit: « Malheur à vous qui
voulez surpasser la nature et rendre les métaux plus que
parfaits par un nouveau régime, fruit de votre entêtement
insensé. Dieu a donné à la nature des Lois immuables,
c’est-à-dire, qu’elle doit agir par cuisson continue,
et vous insensés, vous la méprisez ou vous ne savez pas
l’imiter. » Il dit de même: « Le feu et l’azoth doivent te
suffire.» Et ailleurs: « La chaleur perfectionne tout. »
Et ailleurs: «Il faut cuire, cuire, recuire et ne pas s’en
fatiguer.» Et en différents passages: « Que votre feu soit
calme et doux; qu’il se maintienne ainsi chaque jour,
toujours uniforme, sans faiblir, sinon il s’ensuivra un
grand dommage. — Sois patient et persévérant. —
Broye sept fois. — Sache que tout notre magistère se
fait d’une chose, la Pierre, d’une seule façon, en cuisant
et dans un seul vase. — Le feu broye. — L’OEuvre est
semblable à la création de l’homme. Dans l’enfance on
LE MIROIR D’ALCHIMIE 67
____________________________________________________________________________________________________
le nourrit d’aliments légers, puis quand ses os se sont
affermis, la nourriture devient plus fortifiante ; de même
notre magistère est d’abord soumis à un feu léger avec
lequel il faut toujours agir pendant la cuisson. Mais
quoique nous parlions sans cesse de feu modéré, nous
sous-entendons néanmoins que dans le régime de
l’OEuvre il faut l’augmenter peu à peu et par degré jusqu’à
la fin.
_________
CHAPITRE V
DU VAISSEAU ET DU FOURNEAU.
Nous venons de déterminer la manière d’opérer,
nous allons maintenant parler du vaisseau et du fourneau,
dire comment et avec quoi ils doivent être faits.
Lorsque la nature cuit les métaux dans les mines à l’aide
du feu naturel, elle ne peut y parvenir qu’en employant
un vaisseau propre à la cuisson. Nous nous proposons
d’imiter la nature dans le régime du feu, imitons-la donc
aussi pour le vaisseau. Examinons l’endroit où s’élaborent
les métaux. Nous voyons d’abord manifestement dans
une mine, que sous la montagne il y a du feu, produi68
CINQ TRAITÉS D’ALCHIMIE
____________________________________________________________________________________________________
sant une chaleur égale, dont la nature est de monter sans
cesse. En s’élevant elle dessèche et coagule L’eau épaisse
et grossière, contenue dans les entrailles de la terre, et
la transforme en Mercure. Les parties onctueuses minérales
de la terre sont cuites, rassemblées dans les veines
de la terre et coulant à travers La montagne, elles engendrent
le Soufre. Comme on peut l’observer dans les filons
des mines, le Soufre né des parties onctueuses de la terre
rencontre le Mercure. Alors a lieu la coagulation de l’eau
métallique. La chaleur continuant à agir dans la montagne,
les différents métaux apparaissent après un temps
très long. On observe dans les mines une température
constante, nous pouvons en conclure que la montagne
qui renferme des mines est parfaitement close de tous
côtés par des rochers; car, si la chaleur pouvait s’échapper,
jamais les métaux ne naîtraient.
Si donc nous voulons imiter la nature, il faut absolu -
ment que nous ayons un fourneau semblable à une
mine, non par sa grandeur, mais par une disposition
particulière, telle que le feu placé dans le fond ne trouve
par d’issue pour s’échapper quand il montera, en sorte
que la chaleur soit réverbérée sur le vase, clos avec soin,
qui renferme la matière de la Pierre.
Le vaisseau doit être rond, avec un petit col. Il
LE MIROIR D’ALCHIMIE 69
____________________________________________________________________________________________________
doit être en verre ou en une terre aussi résistante que le
verre; on en fermera hermétiquement l’orifice avec un
couvercle et du bitume. Dans les mines, le feu n’est pas
en contact immédiat avec la matière du Soufre et du
Mercure; celle-ci en est séparée par la terre de la montagne.
De même le feu ne doit pas être appliqué à nu
au vaisseau qui contient la Matière, mais il faut placer
ce vaisseau dans un autre vase fermé avec autant de
soin que lui, de telle sorte qu’une chaleur égale agisse
sur la Matière, en haut, en bas, partout où il sera
nécessaire. C’est pourquoi Aristote dit dans la Lumière
des lumières, que le Mercure doit être cuit dans un
triple vaisseau en verre très dur, ou, ce qui vaut mieux,
en terre possédant la dureté du verre.
________
CHAPITRE VI
DES COULEURS ACCIDENTELLES ET ESSENTIELLES QUI
APPARAISSENT PENDANT L’OEUVRE.
Ayant élu la Matière de la Pierre, tu connais de plus
la manière certaine d’opérer, tu sais à l’aide de quel
70 CINQ TRAITÉS D’ALCHIMIE
____________________________________________________________________________________________________
régime on fait apparaître les diverses couleurs en cuisant
la Pierre. Un Philosophe a dit « Autant de couleurs,
autant de noms. Pour chaque couleur nouvelle
apparaissant dans l’OEuvre, les Alchimistes ont inventé
un nom différent. Ainsi à la première opération de notre
Pierre, on a donné le nom de putréfaction, car notre
Pierre est alors noire ». « Lorsque tu auras trouvé la
noirceur, dit un autre Philosophe, sache que dans cette
noirceur se cache la blancheur, et il faut l’en extraire. »
Après la putréfaction, la pierre rougit et on a dit là -
dessus: « Souvent la pierre rougit, jaunit et se liquéfie,
puis se coagule avant la véritable blancheur. Elle se
dissout, se putréfie, se coagule, se mortifie, se vivifie, se
noircit, se blanchit, s’orne de rouge et de blanc, tout
cela par elle-même. »
Elle peut aussi verdir, car un philosophe a dit: «Cuis
jusqu’à ce qu’un enfant vert apparaisse, c’est l’âme de la
pierre. » Un autre a dit: «Sachez que c’est l’âme qui
domine pendant la verdeur.»
Il apparaît aussi avant la blancheur les couleurs du
paon, un philosophe en parle en ces termes: « Sachez
que toutes les couleurs qui existent dans l’Univers ou
que l’on peut imaginer, apparaissent avant la blancheur,
ensuite seulement vient la vraie blancheur. Le corps sera
LE MIROIR D’ALCHIMIE 71
____________________________________________________________________________________________________
cuit jusqu’à ce qu’il devienne brillant comme les yeux
des poissons et alors la pierre se coagulera à la circonférence.
»
« Lorsque tu verras la blancheur apparaître à la surface
dans le vaisseau, dit un sage, sois certain que sous
cette blancheur se cache le rouge; il te faut l’en extraire,
cuis donc jusqu’à ce que tout soit rouge. » Il y a enfin
entre le rouge et le blanc une certaine couleur cendrée,
de laquelle on a dit: « Après la blancheur, tu ne peux
plus te tromper, car en augmentant le feu, tu arriveras
à une couleur grisâtre.» «Ne méprise pas la cendre,
dit un Philosophe, car avec l’aide de Dieu, elle se liquéfiera.
» Enfin apparaît le Roi couronné du diadème
rouge, SI DIEU LE PERMET.
_________
CHAPITRE VII
DE LA MANIERE DE FAIRE LA PROJECTION SUR LES METAUX
IMPARFAITS.
Comme je l’avais promis, j’ai traité jusqu’à la fin notre
Grand-OEuvre, Magistère béni, préparation des élixirs
blanc et rouge. Maintenant nous allons parler de la
72 CINQ TRAITÉS D’ALCHIMIE
____________________________________________________________________________________________________
manière de faire la projection, complément de l’OEuvre,
attendu et désiré avec impatience. L’Elixir rouge, jaunit
à l’infini et transforme en or pur tous les métaux.
L’Elixir blanc blanchit à l’infini et donne aux métaux la
blancheur parfaite. Mais il faut savoir qu’il y a des métaux
plus éloignés que d’autres de la perfection et, inversement
il y en a qui sont plus prochains. Quoique
tous les métaux soient également amenés à la perfection
par l’Elixir, ceux qui sont prochains, deviennent
parfaits plus rapidement, plus complétement, plus intimement
que les autres. Lorsque nous aurons trouvé le
métal le plus prochain, nous écarterons tous les autres.
J’ai déjà dit quels sont les métaux prochains et éloignés
et lequel est le plus près de la perfection. Si tu es suffisamment
sage et intelligent, tu le trouveras, dans un
précédent chapitre, indiqué sans détour, déterminé avec
certitude. Il est hors de doute que celui qui a exercé
son esprit sur ce Miroir trouvera par son travail la vraie
Matière, et saura sur quel corps il convient de faire la
projection de l’Elixir pour arriver à la perfection.
Nos précurseurs qui ont tout trouvé dans cet art
par leur seule philosophie, nous montrent suffisamment
et sans allégorie, le droit chemin ,quand ils disent:
«Nature contient Nature, Nature se réjouit de Nature,
LE MIROIR D’ALCHIMIE 73
____________________________________________________________________________________________________
Nature domine Nature et se transforme dans les autres
Natures. » Le semblable se rapproche du semblable,
car la similitude est une cause d’attraction ; il y a
des philosophes qui nous ont transmis là-dessus un secret
remarquable. Sache que la nature se répand rapidement
dans son propre corps, alors qu’on ne peut l’unir
à un corps étranger. Ainsi 1’âme pénètre rapidement le
corps qui lui appartient, mais c’est en vain que tu voudrais
la faire entrer dans un autre corps.
La similitude est assez frappante ; les corps, dans
l’OEuvre, deviennent spirituels et réciproquement les
esprits deviennent corporels; le corpe fixe est donc
devenu spirituel. Or, comme 1’Elixir, rouge ou blanc, a
été amené au delà de ce que sa nature comportait, il
n’est donc pas étonnant qu’il ne soit pas miscible aux
métaux en fusion, quand on se contente de l’y projeter.
Il serait impossible ainsi de transmuer mille parties
pour une. Aussi je vais vous livrer un grand et rare
secret: il faut mêler une partie d’Elixir avec mille du
métal le plus prochain, enfermer le tout dans un vaisseau
propre à l’opération, sceller hermétiquement et
mettre au fourneau à fixer. Chauffez d’abord lentement,
augmentez graduellement le feu pendant trois jours
jusqu’à union parfaite. C’est l’ouvrage de trois jours.
74 CINQ TRAITÉS D’ALCHIMIE
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Tu peux recommencer alors à projeter une partie de ce
produit sur mille de métal prochain, et il y aura transmutation.
Il te suffira pour cela d’un jour, d’une heure.
d’un moment. Louons donc notre Dieu, toujours admirable,
dans l’Éternité.
_________________
PARACELSI
THESAURUS THESAURORUM
ALCHIMISTORUM
______
PARACELSE
LE TRÉSOR DES TRÉSORS
DES ALCHIMISTES
LE TRESOR DES TRESORS 77
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NOTICE BIOGRAPHIQUE SUR PARACELSE
Auréole Philippe Théophraste Paracelse Bombast ab
Hohenheim, naquit en 1493 à Einsiedeln, près Zurich,
canton de Schwytz. Son père Guillaume, médecin instruit,
lui enseigna le latin, la médecine et l’alchimie. Les
oeuvres d’Isaac le Hollandais, qu’il lut dans sa jeunesse,
lui donnèrent un amour profond de l’alchimie. Dès lors
il ne séparera jamais la médecine de l’alchimie et c’est
l’union de ces deux sciences qui caractérisera l’école des
paracelsistes. Son père l’envoya terminer ses études
auprès de Trithême; Cet occultiste célèbre eut une
grande influence sur les idées de Paracelse, car il lui
enseigna la magie et l’astrologie. Trithême s’étant retiré
dans un couvent, Paracelse se mit à voyager, il visita le
Portugal, l’Espagne, l’Italie, la France, les Pays-Bas,
la Saxe, le Tyrol, la Pologne, la Moravie, la Transylvanie,
la Hongrie et la Suède. Peut-être même fut-il en
Orient, comme il l’insinue lui-même. Il allait par les villes
et les villages, soignant les malades, vendant des remèdes,
tirant des horoscopes, évoquant les esprits; d’autre
78 CINQ TRAITÉS D’ALCHIMIE
____________________________________________________________________________________________________
part il interrogeait les vieilles femmes, les bateleurs, les
bohémiens, les empiriques, les bourreaux, les sorciers.
L’un lui communiquait un secret, l’autre lui racontait
une cure merveilleuse. Paracelse recueillait tout, jugeant,
comparant, observant. C’est ainsi qu’il acquit sa science
prodigieuse que les savants de son temps ne voulaient
pas reconnaître, parce qu’elle ne se trouvait ni dans Galien,
ni dans Hippocrate.
En Hongrie il entre au service des Fugger, banquiers,
alchimistes et métallurgistes; il put travailler à son gré
dans leurs vastes laboratoires. En 1526, OEcolampade
l’appelle à Bâle pour remplir la chaire de physique et de
chirurgie (de chimie, dit Haller). Mais il dut bientôt
quitter la ville, son enseignement violent lui ayant attiré
des ennemis. Il recommence à voyager, soignant les princes
et les grands, les prélats et les riches bourgeois. Il
mourut en 1541 à l’hôpital de Salzbourg.
OEuvres complètes: I° Paracelsi opera omnia medico,
chemico, chirurgica, 3 vol, in-folio. Genevae, 1648 : 2° Bücher
und Schriften Paracelsi, Io vol. in 4°. Bâle, 1589.
Traités d’alchimie : Archidoxorum libri decem, — De
proejarationibus, — De natura rerum, — De tinctura
Physicorum, — Coelum Philosophorum, — Thesaurus
thesaurorum, — De mineralibus.
LE TRESOR DES TRESORS 79
____________________________________________________________________________________________________
Le présent traité, traduit pour la première fois en fran -
çais, se trouve page 126 tome Il de l’édition latine.
_________
LE TRÉSOR DES TRÉSORS DES ALCHIMISTES
PAR PHILIPPE THÉOPHRASTE
BOMBAST, LE GRAND PARACELSE.
La nature engendre ce minéral dans le sein de la terre.
Il y en a deux espèces que l’on peut trouver en diverses
localités de l’Europe. Le meilleur que j’ai eu et qui a
été trouvé bon après assai est extérieur dans la figure
du monde supérieur, à l’Orient de la sphère solaire. Le
second se trouve dans l’astre méridional et aussi dans la
première fleur que le gui de la terre produit sur l’astre
(I). Après la première fixation il devient rouge; en
lui sont cachées toutes les fleurs et toutes les couleurs
minérales. Les Philosophes ont beaucoup écrit sur lui
I .Ce passage est incompréhensible. Pour ne pas qu’on puisse
s’en prendre à nous, voici le texte: Optimum quod mihi oblatum,
ac in experimentando. genuinum inventum est extra in figura majoris
mundi, est in oriente astri sphoerae solis Alterum in Astro meridionali,
jam in primo flore est, quem Viscus terrae per suum Astrum
protrudit.
80 CINQ TRAITÉS D’ALCHIMIE
____________________________________________________________________________________________________
parce qu’il est d’une nature froide et humide voisine de
celle de l’eau.
Pour tout ce qui est science et expérience, les Philosophes
qui m’ont précédé ont pris pour cible le Rocher
de la vérité, mais aucun de leurs traits n’a rencontré le
but. ils ont cru que le Mercure et le Soufre étaient les
principes de tous les Métaux, et ils n’ont pas mentionné,
même en songe, le troisième principe. Cependant si par
l’art spagyrique, on sépare en plus de l’Eau, il me
semble que la Vérité que je proclame est suffisamment
démontrée; ni Galien, ni Avicenne ne la connaissaient.
S’il me fallait décrire pour nos excellents physiciens
le nom, la composition, la dissolution, la coagulation,
s’il me fallait dire comment la nature agit dans les
êtres depuis le commencement du monde, il me suffirait
à peine d’une année pour l’expliquer et des peaux de tout
un troupeau de vaches pour l’écrire.
Or, j’affirme que dans ce minéral, on trouve trois principes,
qui sont: le Mercure, le Soufre et l’Eau métallique
qui a servi à le nourrir; la science spagyrique peut
extraire cette dernière de son propre suc quand elle
n’est pas tout à fait mûre, au milieu de l’automne, de
même la poire sur l’arbre. L’arbre contient la poire en
puissance. Si les astres et la nature concordent, l’arbre
LE TRESOR DES TRESORS 81
____________________________________________________________________________________________________
émet d’abord des branches vers le mois de mars, puis les
boutons poussent, ils s’ouvrent, la fleur apparaît, et ainsi
de suite jusqu’en automne où la poire mûrit. C’est la
même chose pour les métaux. Ils naissent d’une façon
semblable dans le sein de la terre. Que les Alchimistes
qui cherchent le Trésor des trésors notent ceci soigneusement.
Je leur indiquerai le chemin, le commencement,
le milieu et la fin; dans ce qui suit je vais décrire l’eau,
le soufre et le baume particulier du trésor. Par la résolution
-et la conjonction ces trois choses s’uniront en une.
DU SOUFRE DU CINABRE.
Prends du cinabre minéral et opère ainsi. Cuis -le
avec de l’eau de pluie .dans un vase de pierre pendant
trois heures; purifie-le ensuite avec soin et dissous
dans une eau régale composée . de parties égales de
vitriol, de nitre et de sel ammoniac (autre formule,
vitriol, salpêtre, alun et sel ordinaire).
Distille dans un alambic en cohobant. Tu sépareras
ainsi soigneusement le pur de l’impur. Mets ensuite fermenter
pendant un mois dans le fumier de cheval. Ensuite
sépare les éléments selon ce qui suit: quand le
signe apparaîtra, commence par distiller dans l’alambic
82 CINQ TRAITÉS D’ALCHIMIE
____________________________________________________________________________________________________
avec le feu du premier degré. L’eau et l’air monteront,
le feu et la terre resteront dans le fond. Cohobe et mets
l’alambic au feu de cendres. L’eau et l’air monteront
d’abord, puis l’élément du feu, que les artistes habiles
reconnaîtront facilement. La Terre restera dans le fond
de l’alambic, tu la recueilleras; beaucoup l’ont cherchée
et peu l’ont trouvée. Tu prépareras selon l’Art cette
terre morte dans un fourneau à reverbère, puis tu lui
appliqueras le feu du premier degré pendant quinze
jours et quinze nuits. Ceci fait tu lui appliqueras le
second degré pendant autant de jours et autant de
nuits (ta matière aura été enfermée dans un vase scellé
hermétiquement). Tu trouveras enfin un sel volatil semblable
à un alcali très léger, contenant en soi l’essence
du feu et de la terre.
Mélange ce sel avec les deux éléments que tu as mis
de côté, l’air et l’eau. Chauffe sur les cendres pendant
huit jours et huit nuits, et tu trouveras ce que beaucoup
d’artistes ont négligé. Sépare selon les règles de l’art
spagyrique et tu recueilleras une terre blanche privée
de sa teinture. Prends l’élément du feu et le sel de la
terre, fais digérer au pélican pour extraire l’essence. Il
se séparera de nouveau une terre que tu mettras de
côté.
LE TRESOR DES TRESORS 83
____________________________________________________________________________________________________
DU LION ROUGE.
Ensuite prends le lion qui a passé le premier dans le
récipient dès que tu aperçois sa teinture, c’est-à-dire le
feu qui se tient au dessus de l’eau, de l’air et de la terre.
Sépare-le de ses impuretés par trituration. Tu auras
alors le véritable or potable. Arrose-le d’alcool de vin
pour le laver; puis distille dans un alambic jusqu’à ce
que tu ne perçoives plus au goût l’acidité de l’eau régale.
Enferme ensuite avec soin cette huile de soleil dans
une retorte fermée hermétiquement. Chauffe pour l’élever,
de telle sorte qu’elle se sublime et se dédouble.
Place alors le vaisseau toujours bien fermé dans un
endroit frais. Chauffe de nouveau pour élever, replace
au frais pour condenser. Répète cette manoeuvre trois
fois. Tu auras ainsi la teinture parfaite du soleil.
Réserve-la pour plus tard.
DU LION VERT.
Prends du vitriol de Vénus, préparé selon les règles
de l’art spagyrique; ajoutes-y les éléments de l’eau et de
84 CINQ TRAITÉS D’ALCHIMIE
____________________________________________________________________________________________________
l’air que tu avais mis de côté. Mélange, fais putréfier
pendant un mois comme il a été dit.
La putréfaction finie, tu remarqueras le signe des éléments.
Sépare et tu verras bientôt deux couleurs, le
blanc et le rouge. Le rouge est au-dessus du blanc. La
teinture rouge du vitriol est tellement puissante qu’elle
teint en rouge tous les corps blancs, et en blanc tous les
corps rouges, ce qui est merveilleux. Travaille sur cette
teinture dans une cornue et tu en verras sortir la noirceur.
Remets dans la cornue ce qui a distillé, et recommence
jusqu’à ce que tu obtiennes un liquide blanc.
Sois patient et ne désespère pas de l’OEuvre.
Rectifie jusqu’à ce que tu trouves le lion vert, bril -
lant et véritable, que tu reconnaîtras à son grand poids.
C’est la teinture de l’Or. Tu contempleras les signes
admirables de notre lion vert, qu’aucun des trésors du
lion romain ne pourraient payer. Gloire à celui qui a
su le trouver et en tirer la teinture ! C’est le vrai baume
naturel des planètes célestes, il empêche la putréfaction
des corps, et ne permet pas à la lèpre, à la goutte, à
l’hydropisie de s’implanter dans le corps humain. Lorsqu’il
a été fermenté avec le soufre de l’or, on le prescrit
à la dose d’un grain.
Ah! Charles l’allemand, qu’as-tu fait de tes trésors
LE TRESOR DES TRESORS 85
____________________________________________________________________________________________________
de science? Où sont tes physiciens? Où sont tes docteurs
? Où sont ces bandits qui purgent et médicamentent
impunément? Ton firmament est bouleversé; tes
astres, hors de leurs orbites, se promènent bien loin de
la voie marécageuse qui leur avait été tracée; aussi tes
yeux ont-ils été frappés de cécité, comme par un charbon
incandescent, quand tu as contemplé notre splendeur
et notre fierté superbe. Si tes adeptes savaient que
leur prince Galien (qui est en enfer) m’a écrit des lettres
pour reconnaître que j’ai raison, ils feraient le signe
de la croix avec une queue de renard! Et votre Avicenne
! il est assis sur le seuil des enfers; j’ai discuté
avec lui de son or potable, de la teinture physique,
du mithridate et de la thériaque. O hypocrites, qui
méprisez les vérités que vous enseigne un vrai médecin,
instruit par la nature, fils de Dieu lui-même!
Allez toujours, imposteurs, qui ne prévalez qu’à l’aide de
hautes protections. Mais patience ! après ma mort, mes
disciples se lèveront contre vous, ils vous traîneront à la
face des cieux, vous et vos sales drogues, qui vous servent
à empoisonner les princes et les grands de la chrétienté.
Malheur sur vos têtes au jour du jugement ! Moi au
contraire, je sais que mon règne viendra. Je règnerai
86 CINQ TRAITÉS D’ALCHIMIE
____________________________________________________________________________________________________
dans l’honneur et la gloire. Ce n’est pas moi qui me
loue, c’est la Nature, car elle est ma mère et je lui
obéis encore. Elle me connaît et je la connais. La
lumière qui est en elle, je l’ai contemplée, je l’ai démontrée
dans le Microcosme et je l’ai retrouvée dans l’Univers.
Mais il me faut revenir à mon sujet pour satisfaire les
désirs de mes disciples, que je favorise volontiers, quand
ils sont pourvus des lumières naturelles, quand ils connaissent
l’astrologie et surtout quand ils sont habiles dans
la philosophie, qui nous apprend à connaître la matière
de tout.
Prends quatre parties en poids de l’Eau métallique que
j’ai décrite, deux parties de la Terre de Soleil rouge, une
partie de Soufre du Soleil. Mets le tout dans un pélican,
solidifie et désagrége trois fois. Tu auras ainsi la Teinture
des alchimistes. Nous ne parlerons pas ici de ses propriétés
puisqu’elles sont indiquées dans le livre des
Transmutations. Avec une once de Teinture du Soleil, tu
pourras teindre mille onces de Soleil; si tu possèdes la
teinture du Mercure, tu pourras de même teindre complétement
le corps du mercure vulgaire. De même la
teinture de Vénus transmuera complétement en métal
parfait le corps de Vénus. Toutes ces choses ont été
LE TRESOR DES TRESORS 87
____________________________________________________________________________________________________
confirmées par l’expérience. Il faut entendre la même
chose pour les teintures des autres planètes : Saturne,
Jupiter, Mars, la Lune. Car de ces métaux on tire
aussi des teintures; nous n’en dirons rien ici, en ayant
amplement parlé dans le traité de la Nature des choses et
dans les Archidoxes.
J’ai suffisamment décrit pour les spagyristes, la
matière première des métaux et des minéraux, maintenant
ils connaissent la teinture des alchimistes. Il ne faut
pas moins de neuf mois pour préparer cette teinture;
travaille donc avec ardeur, sans te décourager ; pendant
quarante jours alchimiques, fixe, extrais, sublime, putréfie,
coagule en pierre, et tu obtiendras enfin le Phénix
des philosophes.
Mais ne vas pas oublier que le soufre du cinabre est un
Aigle, qui vole sans faire de vent, et qu’il transporte le
corps du vieux Phénix dans un nid où il se nourrit de
l’élément du feu. Ses petits lui arrachent les yeux, ce
qui produit la blancheur. C’est là le baume de ses intestins
qui donne la vie au coeur, selon ce qu’ont enseigné les
cabalistes.
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ALBERTI MAGNI
COMPOSITUM DE COMPOSITIS
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ALBERT LE GRAND
LE COMPOSÉ DES COMPOSÉS
LE COMPOSE DES COMPOSES 91
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NOTICE BIOGRAPHIQUE SUR ALBERT
LE GRAND
Albert le Grand, de l’antique famille des comtes de
Bollstadt, naquit à Lavingen sur le Danube en Souabe
(1193). Dans son enfance, il était fort peu intelligent,
mais à la suite d’une vision son esprit se développa tout
à coup, et il fit dès lors des progrès rapides dans toutes
les branches de la science. Vers 1222, il entra dans l’Ordre
de Saint-Dominique. Il enseigna dans les écoles de
l’Ordre la théologie et la philosophie.
C’est à Cologne qu’il distingua parmi ses élèves saint
Thomas d’Aquin, ils se lièrent d’une amitié étroite et
vinrent ensemble à Paris. La parole d’Albert le Grand
attirait une telle foule d’auditeurs qu’il fut obligé d’enseigner
sur les places publiques; l’une d’elles a conservé
son nom, c’est la place Maubert ou de maître Albert.
En 1248, il revint à Cologne. Pendant dix ans, il mena
dans cette ville une existence paisible favorable à l’étude ;
provincial de son ordre, jouissant d’une autorité incontestée
auprès de ses contemporains, aidé par ses moines
dans tous les travaux qu’il entreprenait, n’ayant pas
92 CINQ TRAITÉS D’ALCHIMIE
____________________________________________________________________________________________________
à s’inquiéter des questions d’argent, combien son existence
fut différente de celle de Roger Bacon!
En 1259, Albert le Grand fut nommé évêque de Ratisbonne
; mais il ne tarda pas à renoncer aux soucis de
l’épiscopat, et s’étant démis de sa charge il rentra dans le
cloître. Il mourut à Cologne en 1280 âgé de 87
ans.
OEuvres complètes Beati Alberti, Ralisbonensis episcopi
opera omnia, 21 vol, in-folio. Lugduni, I65I.
Traités alchimiques : Libellus de Alchimia, — Concordantia
philosophorum de lapide philosophico, — De rebus
metallicis, — Compositum de compositis, — Breve compendium
de ortu metallorum.
Le présent traité, traduit pour la première fois en
français, se trouve au tome IV du Theatrum chimicum,
page 825. Hoeffer cite dans son Histoire de la chimie
plusieurs passages de ce traité. Deux de ces passages
ne se trouvent pas dans le : Compositum de compositis,
mais dans le : Libellus de Alchimia (Theat. chimic.,
tome II).
Avec le traité De Alchimia, c’est le plus important
des opuscules alchimiques d’Albert le Grand.
________
LE COMPOSE DES COMPOSES 93
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LE COMPOSÉ DES COMPOSÉS D’ALBERT
LE GRAND
Je ne cacherai pas une science qui m’a été révélée par
la grâce de Dieu, je ne la garderai pas jalousement pour
moi seul, de peur d’attirer sa malédiction. Une science
tenue secrète, un trésor caché, quelle est leur utilité ?
La science que j’ai apprise sans fictions, je vous la
transmets sans regrets. L’envie ébranle tout, un homme
envieux ne peut être juste devant Dieu. Toute science,
toute sagesse vient de Dieu ; c’est une simple façon
de parler que de dire qu’elle vient de l’Esprit-Saint. Nul
ne peut dire : Notre-Seigneur Jésus-Christ sans sousentendre
: fils de Dieu le Père, par l’opération du Saint-
Esprit. De même cette science de vérité ne peut être
séparée de Celui qui me l’a communiquée.
Je n’ai pas été envoyé vers tous, mais seulement vers
ceux qui admirent le Seigneur dans ses oeuvres et que
Dieu a jugé dignes. Que celui qui a des oreilles pour
entendre cette communication divine recueille les secrets
qui m’ont été transmis par la grâce de Dieu et
qu’il ne les révèle jamais à ceux qui en sont indignes.
94 CINQ TRAITÉS D’ALCHIMIE
____________________________________________________________________________________________________
La nature doit servir de base et de modèle à la
science, aussi l’Art travaille d’après la Nature autant
qu’il peut. Il faut donc que l’Artiste observe la Nature
et opère comme elle opère.
_________
CHAPITRE I
DE LA FORMATON DES METAUX EN GENERAL PAR LE
SOUFRE ET LE MERCURE.
On a observé que la nature des métaux, telle que nous
la connaissons est d’être engendrée d’une manière générale
par 1e Soufre et le Mercure. La différence seule de
cuisson et de digestion produit la variété dans l’espèce
métallique. .J’ai observé moi-même que dans un seul et
même vaisseau, c’est-à-dire dans un même filon, la nature
avait produit plusieurs métaux et de l’argent, disséminés
ça et là. Nous avons en effet démontré clairement
dans notre Traité des minéraux que la génération des métaux
est circulaire, on passe facilement de l’un à l’autre
suivant un cercle, les métaux voisins ont des propriétés
semblables ; c’est pour cela que l’argent se change plus
facilement en or que tout autre métal.
LE COMPOSE DES COMPOSES 95
____________________________________________________________________________________________________
Il n’y a plus en effet à changer dans l’argent que la
couleur et le poids, ce qui est facile. Car une substance
déjà compacte augmente plus facilement de
poids. Et comme il contient un soufre blanc jaunâtre,
sa couleur sera aussi aisée à transformer.
Il en est de même des autres métaux. Le Soufre est
pour ainsi dire leur père et le Mercure leur mère.
C’est encore plus vrai, si l’on dit que dans la conjonction
le Soufre représente le sperme du père et que
le Mercure figure un menstrue coagulé pour former la
substance de l’embryon. Le Soufre seul ne peut engendrer,
ainsi le père seul.
De même que le mâle engendre de sa propre subs -
tance mêlée au sang menstruel, de même le Soufre engendre
avec le Mercure, mais seul il ne produit rien.
Par cette comparaison nous voulons faire entendre que
l’Alchimiste devra enlever d’abord au métal la spécificité
que lui a donnée la Nature, puis qu’il procède
comme la nature a procédé, avec le Mercure et le
Soufre préparés et purifiés toujours en suivant l’exemple
de la nature.
96 CINQ TRAITÉS D’ALCHIMIE
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DU SOUFRE.
Le Soufre contient trois principes humides.
Le premier de ces principes est surtout aérien et
igné, on le trouve dans les parties extérieures du Soufre,
à cause même de la grande volatilité de ses éléments,
qui s’envolent facilement et consument les corps avec
lesquels ils viennent en contact.
Le second principe est flegmatique, autrement dit
aqueux, il se trouve immédiatement placé sous le précédent.
Le troisième est radical, fixe, adhérent aux
parties internes. Celui-là seul est général, et on ne peut
le séparer des autres sans détruire tout l’édifice. Le
premier principe ne résiste pas au feu ; étant combustible,
il se consume dans le feu et calcine la substance
du métal avec lequel on le chauffe. Aussi est-il non
seulement inutile, mais encore nuisible au but que
nous nous proposons. Le second principe ne fait que
mouiller les corps, il n’engendre pas, il ne peut non
plus nous servir. Le troisième est radical, il pénètre
toutes les particules de la matière qui lui doit ses propriétés
essentielles. Il faut débarrasser le Soufre des
deux premiers principes pour que la subtilité du troisième
puisse nous servir à faire un composé parfait.
LE COMPOSE DES COMPOSES 97
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Le feu n’est autre chose que la vapeur du Soufre; la
vapeur du Soufre bien purifié et sublimé blanchit et
rend plus compact. Aussi les alchimistes habiles ontils
coutume d’enlever au Soufre ses deux principes superflus
par des lavages acides, tels que le vinaigre des
citrons, le lait aigri, le lait de chèvres, l’urine des
enfants. Ils le purifient par lixivation, digestion, sublimation.
Il faut finalement le rectifier par résolution de
façon à n’avoir plus qu’une substance pure contenant la
force active, perfectible et prochaine du métal. Nous
voilà en possession d’une partie de notre OEuvre.
DE LA NATURE DU MERCURE.
Le Mercure renferme deux substances superflues, la
terre et l’eau. La substance terreuse a quelque chose
du Soufre, le feu la rougit. La substance aqueuse a une
humidité superflue.
On débarrasse facilement le mercure de ses impure -
tés aqueuses et terreuses par des sublimations et des
lavages très acides. La nature le sépare à l’état sec du
Soufre et le dépouille de sa terre par la chaleur du soleil
et des étoiles.
Elle obtient ainsi un Mercure pur, complétement
98 CINQ TRAITÉS D’ALCHIMIE
____________________________________________________________________________________________________
débarrassé de sa substance terreuse, ne contenant plus
de parties étrangères. Elle l’unit alors à un Soufre pur
et produit enfin dans le sein de la terre des métaux purs
et parfaits. Si les deux principes sont impurs les métaux
sont imparfaits. C’est pourquoi dans les mines on
trouve des métaux différents, ce qui tient à la purification
et à la digestion variable de leurs Principes. Cela
dépend de la cuisson.
DE L’ARSENIC.
L’Arsenic est de même nature que le Soufre, tous
deux teignent en rouge et en blanc. Mais il y a plus
d’humidité dans l’arsenic, et sur le feu il se sublime
moins rapidement que le Soufre.
On sait combien le soufre se sublime vite et comment
il consume tous les corps, excepté l’or. L’Arsenic peut
unir son principe sec à celui du soufre, ils se tempèrent
l’un l’autre, et une fois unis on les sépare difficilement ;
leur teinture est adoucie par cette union.
« L’Arsenic, dit Geber, contient beaucoup de mercure,
aussi peut-il être préparé comme lui. » Sachez
que l’esprit, caché dans le soufre, l’arsenic et l’huile
animale, est appelé par les philosophes Elixir blanc. Il
LE COMPOSE DES COMPOSES 99
____________________________________________________________________________________________________
est unique, miscible à la substance ignée, de laquelle
nous tirons L’Élixir rouge ; il s’unit aux métaux fondus,
ainsi que nous l’avons expérimenté, il les purifie, non
seulement à cause des propriétés précitées, mais encore
parce qu’il y a une proportion commune entre ses éléments.
Les métaux diffèrent entre eux selon la pureté ou
l’impureté de la matière première, c’est-à-dire du Soufre
et du Mercure, et aussi selon le degré du feu qui les a
engendrés.
Selon le philosophe, l’élixir s’appelle encore Médecine,
parce qu’on assimile le corps des métaux au corps des
animaux. Aussi disons-nous qu’il y a un esprit caché
dans le Soufre, l’arsenic et l’huile extraite des substances
animales. C’est là l’esprit que nous cherchons, à
l’aide duquel nous teindrons tous les corps imparfaits en
parfaits. Cet esprit est appelé Eau et Mercure par les
Philosophes. « Le Mercure, dit Geber, est une médecine
composée de sec et d’humide, d’humide et de sec.»
Tu comprends la succession des opérations : extrais la
terre du feu, l’air de la terre, l’eau de l’air, puisque l’eau
peut résister au feu. Il faut noter ces enseignements, ce
sont des arcanes universels.
Aucun. des principes qui entrent dans l’OEuvre n’a de
100 CINQ TRAITÉS D’ALCHIMIE
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puissance par lui-même; car ils sont enchaînés dans les
métaux, ils ne peuvent perfectionner, ils ne sont plus
fixes. Il leur manque deux substances, une miscible
aux métaux en fusion, l’autre fixe qui puisse coaguler et
fixer. Aussi Rhasès a dit: « Il y a quatre substances qui
changent dans le temps; chacune d’elles est composée
des quatre éléments et prend le nom de l’élément dominant.
Leur essence merveilleuse s’est fixée dans un corps
et avec ce dernier on peut nourrir les autres corps. Cette
essence est composée d’eau et d’air, combinés de telle
sorte que la chaleur les liquéfie. C’est là un secret merveilleux.
Les minéraux employés en Alchimie doivent
pour nous servir avoir une action sur les corps fondus.
Les pierres, que nous utilisons, sont au nombre de quatre,
deux teignent en blanc, les deux autres on rouge.
Aussi le blanc, le rouge, le Soufre, l’Arsenic, Saturne
n’ont qu’un même corps. Mais en ce seul corps, que de
choses obscures ! Et d’abord il est sans action sur les
métaux parfaits. »
Dans les corps imparfaits, il y a une eau acide, amère,
aigre, nécessaire à notre art. Car elle dissout et mortifie
les corps, puis les revivifie et les recompose. Rhasès dit
dans sa troisième lettre : « Ceux qui cherchent notre
Entéléchie, demandent d’où provient l’amertume aqueuLE
COMPOSE DES COMPOSES 101
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se élémentaire. Nous leur répondrons : de l’impureté
des métaux. Car l’eau contenue dans l’or et l’argent est
douce, elle ne dissout pas, au contraire elle coagule et
fortifie, parce qu’elle ne contient ni acidité ni impureté
comme les corps imparfaits. » C’est pourquoi Geber a
dit: « On calcine et on dissout l’or et l’argent sans utilité,
car notre Vinaigre se tire de quatre corps imparfaits;
c’est cet esprit mortifiant et dissolvant qui mélange
les teintures de tous les corps que nous employons dans
l’oeuvre. Nous n’avons besoin que de cette eau, peu
nous importe les autres esprits. »
Geber a raison ; nous n’avons que faire d’une teinture
que le feu altère, bien au contraire, il faut que le feu lui
donne l’excellence et la force pour qu’elle puisse s’allier
aux métaux fondus. Il faut qu’elle fortifie, qu’elle fixe,
que malgré la fusion elle reste intimement unie au métal.
J’ajouterai que des quatre corps imparfaits on peut
tout tirer. Quant à la manière de préparer le Soufre,
l’arsenic et le Mercure, indiquée plus haut, on peut la
reporter ici.
En effet, lorsque dans cette préparation nous chauffons
l’esprit du soufre et de l’arsenic avec des eaux acides
ou de l’huile, pour on extraire l’essence ignée, l’huile,
102 CINQ TRAITÉS D’ALCHIMIE
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l’onctuosité, nous leur enlevons ce qu’il y a de superf1u
en eux ; il nous reste la force ignée et l’huile, les seules
choses qui nous soient utiles; mais elles sont mêlées
à l’eau acide qui nous servait à purifier, il n’y a pas
moyen de les en séparer ; mais du moins nous sommes
débarrassés de l’inutile. Il faut donc trouver un autre
moyen d’extraire de ces corps, l’eau, l’huile et l’esprit
très subtil du soufre qui est la vraie teinture très active
que nous cherchons à obtenir. Nous travaillerons donc
ces corps en séparant par décomposition ou encore par
distillation leurs parties composantes naturelles, et nous
arriverons ainsi aux parties simples. Quelques-uns, ignorant
la composition du Magistère, veulent travailler sur
le seul Mercure, prétendant qu’il a un corps, une âme,
un esprit, et qu’il est la matière première de l’or et de
l’argent. Il faut leur répondre qu’à la vérité quelques
philosophes affirment que l’OEuvre se fait de trois choses,
l’esprit, le corps et l’âme, tirées d’une seule. Mais d’autre
part on ne peut trouver en une chose ce qui n’y est
pas. Or, le Mercure n’a, pas la teinture rouge, donc il ne
peut, seul, suffire à former le corps du Soleil; il nous
serait impossible avec le seul Mercure de mener l’OEuvre
à bonne fin. La Lune seule ne peut suffire, cependant
ce corps est pour ainsi dire la base de l’oeuvre.
LE COMPOSE DES COMPOSES 103
____________________________________________________________________________________________________
De quelque manière qu’on travaille et transforme le
Mercure, jamais il ne pourra constituer le corps. Ils
disent aussi: « On trouve dans le Mercure un soufre
rouge, donc il renferme la teinture rouge. » Erreur !
le Soufre est le père des métaux, on n’en trouve jamais
dans le mercure qui est femelle.
Une matière passive ne peut se féconder elle -même.
Le Mercure contient bien un Soufre, mais, comme nous
l’avons déjà dit c’est un soufre terrestre. Remarquons
enfin que le Soufre ne peut supporter la fusion; donc
l’Élixir ne peut se tirer d’une seule chose.
________
CHAPITRE II
DE LA PUTREFACTION.
Le feu engendre la mort et la vie. Un feu léger dessèche
le corps. En voici la raison: le feu arrivant au
contact d’un corps, met en mouvement l’élément semblable
à lui qui existe dans ce corps.
Cet élément c’est la chaleur naturelle. Celle -ci excite
le feu extrait en premier lieu du corps; il y a conjonction
104 CINQ TRAITÉS D’ALCHIMIE
____________________________________________________________________________________________________
et l’humidité radicale du corps monte à sa surface tant
que le feu agit au dehors. Dès que l’humidité radicale
qui unissait les diverses portions du corps est partie,
le corps meurt, se dissout, se résout; toutes ses parties
se séparent les unes des autres. Le feu agit ici comme
un instrument tranchant. Quoiqu’il dessèche et rétrécisse
par lui-même, il ne le peut qu’autant qu’il y a dans le
corps une certaine prédisposition, surtout si le corps est
compact comme l’est un élément. Ce dernier manque
d’une mixte agglutinant, qui se séparerait du corps après
la corruption. Tout cela peut se faire par le Soleil, parce
qu’il est d’une nature chaude et humide par rapport aux
autres corps.
________
CHAPITRE III
DU REGIME DE LA PIERRE.
Il y a quatre régimes de la Pierre: I° Décomposer;
2° laver; 3° réduire; 4° fixer. Dans le premier régime
on sépare les natures, car sans division, sans purification,
il ne peut y avoir conjonction. Pendant le second
LE COMPOSE DES COMPOSES 105
____________________________________________________________________________________________________
régime, les éléments séparés sont lavés, purifiés, et ramenés
à l’état simple. Au troisième on change notre Soufre
en minière du Soleil, de la Lune et des autres métaux. Au
quatrième tous les corps précédemment extraits de notre
Pierre, sont unis, recomposés et fixés pour rester désormais
conjoints.
Il yen a qui comptent cinq degrés dans le Magistère:
I° résoudre les substances en leur matière première ;
2° amener notre terre, c’est à dire la magnésie noire
à être prochaine de la nature du Soufre et du Mercure ;
3° rendre le Soufre aussi prochain que possible de la
matière minérale du Soleil et de la Lune ; 4° composer
de plusieurs choses un Elixir blanc; 5° brûler parfaitement
l’élixir blanc, lui donner la couleur du cinabre, et
partir de là, pour faire l’Elixir rouge.
Enfin il y en a qui comptent quatre degrés dans
l’OEuvre, d’autres trois, d’autres deux seulement. Ces
derniers comptent ainsi : 1° mise en oeuvre et purification
des éléments ; 2° conjonction.
Remarque bien ce qui suit: la matière de la Pierre des
Philosophes, est à bas prix ; on la trouve partout, c’est
une eau visqueuse comme le mercure que l’on extrait de
la terre. Notre eau visqueuse se trouve partout, jusque
dans les Latrines, ont dit certains philosophes, et quel106
CINQ TRAITÉS D’ALCHIMIE
____________________________________________________________________________________________________
ques imbéciles prenant leurs paroles à la lettre, l’ont
cherchée dans les excréments.
La nature opère sur cette matière en lui enlevant
quelque chose, son principe terreux, et en lui adjoignant
quelque chose, le Soufre des Philosophes qui n’est pas
le soufre du vulgaire, mais un Soufre invisible, teinture
du rouge. Pour dire la vérité, c’est l’esprit du vitriol
romain. Prépare-le ainsi: Prends du salpêtre et du vitriol
romain, 2 livres de chaque ; broye subtilement.
Aristote a donc raison quand il dit en son quatrième
livre des météores. « Tous les Alchimistes savent que
l’on ne peut en aucune façon changer la forme des métaux,
si on ne les réduit auparavant en leur matière première.
» Ce qui est facile comme on le verra bientôt.
Le Philosophe dit qu’on ne peut pas aller d’une extrémité
à l’autre sans passer par le milieu. A une extrémité
de notre pierre philosophale sont deux luminaires, l’or et
l’argent, à l’autre extrémité l’élixir parfait ou teinture.
Au milieu l’eau-de-vie philosophique, naturellement purifiée,
cuite et digérée. Toutes ces choses sont proches
de la perfection et préférables aux corps de nature
plus éloignée. De même qu’au moyen de la chaleur, la
glace se résout en eau, pour avoir été jadis eau, de même
les métaux se résolvent en leur première matière qui
LE COMPOSE DES COMPOSES 107
____________________________________________________________________________________________________
est notre Eau-de-vie. La préparation est indiquée dans
les chapitres suivants. Elle seule peut réduire tous les
corps métalliques en leur matière première.
________
CHAPITRE IV
DE LA SUBLIMATION DU MERCURE.
Au nom du Seigneur, procure-toi une livre de mercure
pur provenant de la mine. D’autre part, prends du
vitriol romain et du sel commun calciné, broye et mélange
intimement. Mets ces deux dernières matières
dans un large vase de terre vernissé sur un feu doux,
jusqu’à ce que la matière commence à fondre et à couler.
Alors prends ton mercure minéral, mets-le dans un
vase à long col et verse goutte à goutte sur le vitriol et
le sel en fusion. Remue avec une spatule de bois, jusqu’à
ce que le mercure soit tout entier dévoré et qu’il
n’en reste plus trace. Quand il aura complètement disparu,
dessèche la matière à feu doux pendant la nuit.
Le lendemain matin, tu prendras la matière bien desséchée,
tu la broyeras finement sur une pierre. Tu mettras
108 CINQ TRAITÉS D’ALCHIMIE
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la matière pulvérisée dans le vase sublimatoire nommé
aludel pour la sublimer selon l’art. Tu mettras le chapiteau
et tu enduiras les jointures de lut philosophique,
afin que le mercure ne puisse s’échapper. Tu
placeras l’aludel sur son fourneau et tu l’y luteras
de façon qu’il ne puisse s’incliner et qu’il se tienne
bien droit ; alors tu feras un petit feu pendant
quatre heures pour chasser l’humidité du mercure et du
vitriol; après l’évaporation de l’humidité, augmente le
feu pour que la matière blanche et pure du mercure se
sépare de ses impuretés, cela pendant quatre heures; tu
verras si cela suffit en introduisant une baguette de bois
dans le vase sublimatoire par l’ouverture, supérieure, tu
descendras jusqu’à la matière et tu sentiras si la matière
blanche du mercure est superposée au mélange. Si cela
est, enlève le bâton, ferme l’ouverture du chapiteau avec
un lut pour que le mercure ne puisse s’échapper et augmente
le feu de telle sorte que la matière blanche du
mercure s’élève au-dessus des fèces, jusque dans l’aludel,
cela pendant quatre heures. Chauffe enfin avec du
bois de manière à obtenir des flammes, il faut que le
fond du vase et le résidu deviennent rouges; continue
ainsi tant qu’il restera un peu de substance blanche du
mercure adhérente aux fèces. La force et la violence du
LE COMPOSE DES COMPOSES 109
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feu finiront par l’en séparer. Cesse alors le feu, laisse
refroidir le fourneau et la matière pendant la nuit. Le
lendemain matin retire le vase du fourneau, enlève les
luts avec précaution pour ne pas salir le Mercure, ouvre
l’appareil; si tu trouves une matière blanche, sublimée,
pure, compacte, pesante, tu as réussi. Mais si ton sublimé
était spongieux, léger, poreux, ramasse-le, recommence
la sublimation sur le résidu en ajoutant de nouveau
du sel commun pulvérisé; opère dans le même vase
sur son fourneau, de la même manière, avec le même
degré de feu que plus haut. Ouvre alors le vase, vois si le
sublimé est blanc, compact, dense, recueille-le et mets-le
soigneusement de côté pour t’en servir quand tu en auras
besoin pour terminer l’OEuvre. Mais s’il ne se présentait
pas encore tel qu’il doit être, il te faudrait le sublimer
une troisième fois jusqu’à ce que tu l’obtiennes pur,
compact, blanc, pesant.
Remarque que par cette opération tu as enlevé au
Mercure deux impuretés. D’abord tu lui as ôté toute
son humidité superflue; en second lieu tu l’as débarrassé
de ses parties terreuses impures qui sont restées dans
les fèces; tu l’as ainsi sublimé en une substance claire,
demi-fixe.
Mets-le de côté comme on te l’a recommandé.
110 CINQ TRAITÉS D’ALCHIMIE
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CHAPITRE V
DE LA PREPARATION DES EAUX D’OU TU TIRERAS L’EAUDE-
VIE.
Prends deux livres de vitriol romain, deux livres de
salpêtre, une livre d’alun calciné. Écrase bien, mélange
parfaitement, mets dans un alambic en verre, distille
l’eau selon les règles ordinaires, en fermant bien les
jointures, de peur que les esprits ne s’échappent. Commence
par un feu doux, puis chauffe plus fortement ;
chauffe ensuite avec du bois jusqu’à ce que l’appareil
devienne blanc, de telle sorte que tous les esprits distillent.
Alors cesse le feu, laisse le fourneau refroidir ;
mets soigneusement cette eau de côté, car c’est le dissolvant
de la Lune ; conserve-la pour l’OEuvre, elle dissout
l’argent et le sépare de l’or. Elle calcine le Mercure
et le crocus de Mars ; elle communique à la peau
de l’homme une coloratioa brune qui s’en va difficilement.
C’est l’eau prime des philosophes, elle est parfaite
au premier degré. Ta prépareras trois livres de
cette eau.
LE COMPOSE DES COMPOSES 111
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Eau seconde préparée par le sel ammoniac.
Au nom du Seigneur, prends une livre d’eau prime et
y dissous quatre lots de sel ammoniac pur et incolore ;
la dissolution faite, l’eau a changé de couleur, elle a acquis
d’autres propriétés. L’eau prime était verdâtre, elle
dissolvait la Lune, était sans action sur le Soleil ; mais
dès qu’on lui ajoute du sel ammoniac, elle prend une
couleur jaune, elle dissout l’or, le mercure, le Soufre
sublimé et communique une forte coloration jaune à la
peau de l’homme. Conserve précieusement cette eau, car
elle nous servira dans la suite.
Eau tierce préparée au moyen du Mercure sublimé.
Prends une livre d’eau seconde et onze lots de Mer -
cure sublimé (par le vitriol romain et le sel) bien préparé
et bien pur. Tu verseras peu à peu le Mercure dans
l’eau seconde. Puis tu scelleras l’orifice de la fiole, de
peur que l’esprit du Mercure ne s’échappe. Tu placeras
la fiole sur des cendres tièdes, l’eau commencera aussitôt
à agir sur le Mercure, le dissolvant et se l’incorporant.
Tu laisseras la fiole sur les cendres chaudes, il ne
devra pas rester un excès d’eau et il faudra que le Mer112
CINQ TRAITÉS D’ALCHIMIE
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cure sublimé se dissolve entièrement. L’eau agit par imbibition
sur le Mercure jusqu’à ce qu’elle l’ait dissous.
Si l’eau n’a pu dissoudre tout le mercure, tu prendras
ce qui reste au fond de la fiole, tu le dessècheras à feu
lent, tu pulvériseras et tu le dissoudras dans une nouvelle
quantité d’eau seconde. Tu recommenceras cette
opération jusqu’à ce que tout le mercure sublimé se soit
dissous dans l’eau. Tu réuniras en une seule toutes ces
solutions, dans un vase de verre, bien propre, dont tu
fermeras parfaitement l’orifice avec de la cire. Mets
soigneusement de côté. Car c’est là notre eau tierce,
philosophique, épaisse, parfaite au troisième degré.
C’est la mère de l’Eau-de-vie qui réduit tous les corps
en leur matière première.
Eau quarte qui réduit les corps calcinés en leur matière
première.
Prends de l’eau tierce mercurique, parfaite au troisième
degré, limpide, et mets-la putréfier dans le ventre
du cheval en une fiole à long col, propre, bien fermée,
pendant quatorze jours.
Laisse fermenter, les impuretés tombent au fond et
l’eau passe du jaune au roux. A ce moment tu retireras
la fiole et tu la mettras sur des cendres à un feu très
LE COMPOSE DES COMPOSES 113
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doux, adaptes-y un chapiteau d’alambic avec son récipient.
Commence la distillation lentement. Ce qui
passe goutte à goutte est notre eau-de-vie très limpide,
pure, pesante, Lait virginal, Vinaigre très aigre. Continue
le feu doucement jusqu’à ce que toute l’eau-de-vie
ait distillé tranquillement; cesse alors le feu, laisse le
fourneau se refroidir et conserve avec soin ton eau distillée.
C’est là notre Eau-de-vie, Vinaigre des philosophes,
Lait virginal qui réduit les corps en leur matière
première. On lui a donné une infinité de noms.
Voici les propriétés de cette eau: une goutte dépo -
sée sur une lame de cuivre chaude la pénètre aussitôt
et y laisse une tache blanche. Jetée sur des charbons,
elle émet de la fumée ; à l’air elle se congèle et ressemble
à de la glace. Quand on distille cette eau, les gouttes
ne passent pas en suivant toutes le même chemin, mais
les unes passent ici, les autres là. Elle n’agit pas sur les
métaux comme l’eau forte, corrosive, qui les dissout,
mais elle réduit en Mercure tous les corps qu’elle baigne,
ainsi que tu le verras plus loin.
Après la putréfaction, la distillation, la clarification,
elle est pure et plus parfaite, débarrassée de tout principe
sulfureux igné et corrosif. Ce n’est pas une eau
qui ronge, elle ne dissout pas les corps, elle les réduit
114 CINQ TRAITÉS D’ALCHIMIE
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en Mercure. Elle doit cette propriété au Mercure
primitivement dissous et putréfié au troisième degré de
la perfection. Elle ne contient plus ni fèces ni impuretés
terreuses. La dernière distillation les a séparées,
les impuretés noires sont restées au fond de l’alambic.
La couleur de cette eau est bleue, limpide, rousse ;
mets-la de côté. Car elle réduit tous les corps calcinés
et pourris en leur matière première radicale ou mercurielle.
Lorsque tu voudras avec cette eau réduire les corps
calcinés prépare ainsi les corps.
Prends un marc du corps que tu voudras, Soleil ou
Lune ; lime-le doucement. Pulvérise bien cette limaille
sur une pierre avec du sel commun préparé. Sépare le
sel en le dissolvant dans l’eau chaude ; la chaux pulvérisée
retombera au fond du liquide ; décante. Sèche la
chaux, imbibe-la trois fois d’huile de tartre, en laissant
chaque fois la chaux absorber toute l’huile; mets
ensuite la chaux dans une petite fiole; verse par-dessus
l’huile de tartre, de façon que le liquide ait une épaisseur
de deux doigts, ferme alors la fiole, mets-la putréfier
au ventre du cheval pendant huit jours ; puis prends
la fiole, décante l’huile et dessèche la chaux. Ceci fait,
mets la chaux dans un poids égal de notre Eau-de-vie ;
LE COMPOSE DES COMPOSES 115
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ferme la fiole et laisse digérer à un feu très doux jusqu’à
ce que toute la chaux soit convertie en Mercure.
Décante alors l’eau avec précaution, recueille le Mercure
corporel, mets-le en un vase de verre ; purifie-le
avec de l’eau et du sel commun, dessèche selon les
règles, mets-en un linge fin et exprime-le en gouttelettes.
S’il passe tout entier, c’est bien. S’il reste quelque
portion du corps amalgamé, venant de ce que la dissolution
n’a pas été complète, mets ce résidu avec une
nouvelle quantité d’eau bénite. Sache que la distillation
de l’eau doit se faire au bain-marie ; pour l’air et
le feu, on distillera sur les cendres chaudes. L’eau
doit être tirée de la substance humide et non d’ailleurs;
l’air et le feu doivent être extraits de la substance sèche
et non d’une autre.
Propriétés de ce Mercure.
Il est moins mobile, il court moins vite que l’autre
mercure ; il laisse des traces de son corps fixe au feu ;
une goutte placée sur une lame chauffée au rouge
laisse un résidu.
116 CINQ TRAITÉS D’ALCHIMIE
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Multiplication du Mercure philosophique.
Lorsque tu auras ton Mercure philosophique, prendsen
deux parties et une partie de la limaille mentionnée
plus haut ; fais un amalgame en broyant le tout ensemble
jusqu’à union parfaite. Mets cet amalgame dans une fiole,
ferme bien l’orifice et place sur les cendres à un feu tempéré.
Tout se résoudra en Mercure. Tu pourras ainsi
l’augmenter à l’infini, car la somme de volatil dépassant
toujours la somme de fixe, l’augmente indéfiniment en
lui communiquant sa propre nature et il y en aura toujours
assez.
Maintenant tu sais préparer l’eau-de-vie, tu en connais
les degrés et les propriétés, tu connais la putréfaction
des corps métalliques, leur réduction à la matière
première, la multiplication de la matière à l’infini. Je t’ai
expliqué clairement ce que tous les philosophes ont caché
avec soin.
Pratique du Mercure des sages.
Ce n’est pas le mercure du v ulgaire, c’est la matière
première des philosophes. C’est un élément aqueux,
LE COMPOSE DES COMPOSES 117
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froid, humide, c’est une eau permanente, c’est l’esprit
du corps, vapeur grasse, Eau bénite, Eau forte, Eau des
sages, Vinaigre des philosophes, Eau minérale, Rosée de
la grâce céleste ; il a bien d’autres noms encore, et bien
qu’ils soient différents, ils désignent tous une seule et
même chose qui est le Mercure des philosophes ; il est la
force de l’alchimie; seul il peut servir à faire la teinture
blanche et la rouge, etc.
Prends donc au nom de Jésus-Christ, notre M....
vénérable, Eau des philosophes, Hylè primitive des sages;
c’est la pierre qu’on t’a découverte dans ce traité, c’est
la matière première du corps parfait, comme tu l’as deviné.
Mets ta matière dans un fourneau, en un vaisseau
propre, clair, transparent, rond, dont tu scelleras hermétiquement
l’orifice, de sorte que rien ne puisse s’échapper.
Ta matière sera placée sur un lit bien aplani, légèrement
chaud; tu l’y laisseras un mois philosophique; tu
maintiendras la chaleur égale, tant que la sueur de la matière
se sublimera, jusqu’à ce qu’elle ne sue plus, que
rien ne monte, que rien ne descende, qu’elle commence
à pourrir, à suffoquer, à se coaguler et à se fixer, par
suite de la constance du feu.
Il ne s’élèvera plus de substance aérienne fumeuse et
notre Mercure restera au fond, sec, dépouillé de son
118 CINQ TRAITÉS D’ALCHIMIE
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humidité, pourri, coagulé, changé en une terre noire,
qu’on appelle Tête noire du corbeau, élément sec terreux.
Quand tu auras fait cela, tu auras accompli la vérita -
ble sublimation des Philosophes, pendant laquelle tu as
parcouru tous les degrés précités : sublimation du
Mercure, distillation, coagulation, putréfaction, calcination,
fixation, dans un seul vaisseau et un seul fourneau
comme il a été dit.
En effet, quand notre pierre est dans son vaisseau, et
qu’elle s’élève, on dit alors qu’il y a sublimation ou ascension.
Mais quand ensuite elle retombe au fond, on dit
qu’il y a distillation ou précipitation. Puis lorsqu’après
la sublimation et la distillation, notre Pierre commence à
pourrir et à se coaguler, c’est la putréfaction et la coagulation;
finalement quand elle se calcine et se fixe par
privation de son humidité radicale aqueuse, c’est la calcination
et la fixation; tout cela se fait par le seul acte
de chauffer, en un seul fourneau, en un seul vaisseau,
comme il a été dit.
Cette sublimation constitue une véritable séparation
des éléments, d’après les philosophes: « Le travail de
notre pierre ne consiste qu’en la séparation et conjonction
des éléments; car dans notre sublimation l’élément
LE COMPOSE DES COMPOSES 119
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aqueux froid et humide se change en élément terreux
sec et chaud. Il s’ensuit que la séparation des éléments
de notre pierre, n’est pas vulgaire, mais philosophique ;
notre seule sublimation très parfaite suffit en effet à
séparer les éléments; dans notre pierre il n’y a que la
forme de deux éléments, l’eau et la terre, qui contiennent
virtuellement les deux autres. La Terre renferme
virtuellement le Feu, à cause de sa sécheresse ; l’Eau
renferme virtuellement l’Air à cause de son humidité. Il
est donc bien évident que si notre Pierre n’a en elle
que la forme de deux éléments elle les renferme virtuellement
tous les quatre.
Aussi un Philosophe a -t-il dit : « Il n’y a pas de séparation
des quatre éléments dans notre Pierre comme le
pensent les imbéciles. Notre nature renferme un arcane
très caché dont on voit la force et la puissance, la terre
et l’eau. Elle renferme deux autres éléments, l’air et le
feu, mais ils ne sont ni visibles, ni tangibles, on ne peut
les représenter, rien ne les décèle, on ignore leur
puissance, qui ne se manifeste que dans les deux autres
éléments, terre et eau, lorsque le feu change les couleurs
pendant la cuisson.
Voici que par la grâce de Dieu, tu as lé second composant
de la pierre philosophale, qui est la Terre noire,
120 CINQ TRAITÉS D’ALCHIMIE
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Tête de corbeau, mère, coeur, racine des autres couleurs.
De cette terre comme d’un tronc, tout le reste
prend naissance. Cet élément terreux, sec, a reçu dans
les livres des philosophes un grand nombre de noms, on
l’appelle encore Laton immonde, résidu noir, Airain des
philosophes, Nummus, Soufre noir, mâle, époux, etc.
Malgré cette infinie variété de noms, ce n’est jamais
qu’une seule et même chose, tirée d’une seule matière.
A la suite de cette privation d’humidité, causée par la
sublimation philosophique, le volatil est devenu fixe, le
mou dur, l’aqueux est devenu terreux, selon Geber.
C’est la métamorphose de la nature, le changement de
l’eau en feu, selon la Tourbe. C’est encore le changement
des constitutions froides et humides en constitutions
bilieuses, sèches, selon les médecins. Aristote dit
que l’esprit a pris un corps, et Alphidius que le liquide
est devenu visqueux. L’occulte est devenu manifeste, dit
Rudianus dans le Livre des trois paroles. L’on comprend
maintenant les philosophes quand ils disent: « Notre
Grand-OEuvre n’est autre qu’une permutation des
natures, une évolution des éléments. » Il est bien évident
que par cette privation d’humidité nous rendons la
pierre sèche, le volatile devient fixe, l’esprit devient
corporel, le liquide devient solide, le feu se change en
LE COMPOSE DES COMPOSES 121
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eau, l’air en terre. Nous avons ainsi changé les vraies
natures suivant un certain ordre, nous avons fait tourner
les quatre éléments en cercle, nous avons permuté
leurs natures. Que Dieu soit éternellement béni! Amen.
Passons maintenant avec la permission de Dieu à la
seconde opération qui est le blanchiment de notre terre
pure. Prends donc deux parties de terre fixe ou Tête de
corbeau; broye-la subtilement et avec précaution en un
mortier excessivement propre, ajoutes-y une partie de
l’Eau philosophique que tu sais (c’est l’eau que tu as
mise de côté). Applique-toi à les unir, en imbibant peu à
peu d’eau la terre sèche, jusqu’à ce qu’elle ait étanché
sa soif; broye et mélange si bien, que l’union du corps,
de l’âme et de l’eau soit parfaite et intime. Ceci fait, tu
mettras le tout dans un matras scellé hermétiquement
pour que rien ne s’échappe, et tu le placeras sur son petit
lit uni, tiède, toujours chaud pour qu’en suant il débarrasse
ses entrailles du liquide qu’il a bu. Tu l’y laisseras
huit jours, jusqu’à ce que la terre blanchisse en
partie. Tu prendras alors la Pierre, tu la pulvériseras,
tu l’imbiberas de nouveau de Lait virginal, en remuant,
jusqu’à ce qu’elle ait étanché sa soif; tu la remettras
dans la fiole sur son petit lit tiède pour qu’elle se dessèche
en suant, comme ci-dessus. Tu recommenceras qua122
CINQ TRAITÉS D’ALCHIMIE
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tre fois cette opération en suivant le même ordre: imbibition
de la terre par l’eau jusqu’à union parfaite, dessication,
calcination. Tu auras ainsi suffisamment cuit la
terre de notre pierre très précieuse. En suivant cet
ordre : cuisson, pulvérisation, imbibition par l’eau, dessication,
calcination, tu as suffisamment purifié la Tête de
corbeau, la terre noire et fétide, tu l’as conduite à la
blancheur par la puissance du feu, de la chaleur et de
l’Eau blanchissante. Recueille ta terre blanche et mets-la
soigneusement de côté, car c’est un bien précieux, c’est
la Terre foliée blanche, Soufre blanc, Magnésie blanche,
etc. Morien parle d’elle lorsqu’il dit... « Mettez pourrir
cette terre avec son eau, pour qu’elle se purifie et avec
l’aide de Dieu vous terminerez le Magistère. » Hermès
dit de même que l’Azoth lave le Laton et lui enlève toutes
ses impuretés.
Dans cette dernière opération nous avons reproduit
la véritable conjonction des éléments, car l’eau s’est
unie à la terre, l’air au feu. C’est l’union de l’homme et
de la femme, du mâle et de la femelle, de l’or et l’argent
du Soufre sec et de l’Eau céleste impure. Il y a eu aussi
résurrection des corps morts. C’est pourquoi le philosophe
a dit: « Que ceux qui ne savent pas tuer et ressusciter
abandonnent l’art » et ailleurs : « Ceux qui savent
LE COMPOSE DES COMPOSES 123
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tuer et ressusciter profiteront dans notre science. Celuilà
sera le Prince de l’Art qui saura faire ces deux
choses.» Un autre philosophe a dit: « Notre Terre sèche
ne portera aucun fruit, si elle n’est profondément imbibée
de son Eau de pluie. Notre Terre sèche a une grande
soif, lorsqu’elle a commencé à boire, elle boit jusqu’à la
lie. » Un autre a dit : « Notre Terre boit l’eau fécondante
qu’elle attendait, elle étanche sa soif, puis elle
produit des centaines de fruits. » On trouve bien d’autres
passages semblables dans les livres des philosophes,
mais ils sont sous forme de parabole, pour que les méchants
ne puissent les entendre. Par la grâce de Dieu,
tu possèdes maintenant notre Terre blanche foliée toute
prête à subir la fermentation, qui lui donnera le souffle.
Aussi le Philosophe a dit : « Blanchissez la terre noire
avant de lui adjoindre le ferment. » Un autre a dit :
« Semez votre or dans la Terre foliée blanche.... et elle
vous donnera du fruit au centuple. Gloire à Dieu. Amen.
Passons à la troisième opération qui est la fermenta -
tion de la Terre blanche. Il nous faut animer le corps
mort et le ressusciter, pour multiplier sa puissance à
l’infini, et le faire passer à l’état d’Elixir parfait blanc qui
change le Mercure en Lune parfaite et véritable. Remarque
que le ferment ne peut pénétrer le corps mort
124 CINQ TRAITÉS D’ALCHIMIE
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que par l’intermédiaire de l’eau qui fait le mariage et
sert de lien entre la terre, blanche et le ferment. C’est
pourquoi dans toute fermentation, il faut noter le poids
de chaque chose. Si donc tu veux mettre fermenter la
Terre foliée blanche pour la changer en élixir blanc renfermant
un excès de teinture, il te faut prendre trois
parties de Terre blanche ou Corps mort folié, deux parties
de l’Eau-de-vie que tu as mise en réserve et une
partie et demie de ferment. Prépare le ferment de telle
sorte qu’il soit réduit en une chaux blanche ténue et fixe
si tu veux faire l’élixir blanc. Si tu veux faire l’élixir
rouge, sers-toi de chaux d’or très jaune, préparée selon
l’art. Il n’y a pas d’autres ferments que ceux-là. Le ferment
de l’argent est l’argent, le ferment de l’or est l’or,
ne cherche donc pas ailleurs. La raison en est que ces
deux corps sont lumineux, ils renferment des rayons
éclatants qui communiquent aux autres corps la vraie
rougeur et blancheur. Ils sont d’une nature semblable à
celle du Soufre le plus pur de la matière, de l’espèce des
pierres. Extrais donc chaque espèce de son espèce,
chaque genre de son genre. L’oeuvre au blanc a pour
but de blanchir, l’oeuvre au rouge de rougir. Ne mêle
pas surtout les deux OEuvres, sinon tu ne feras rien de
bon.
LE COMPOSE DES COMPOSES 125
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Tous les Philosophes disent que notre Pierre se compose
de trois choses : le corps, l’esprit et l’âme. Or,
la terre blanche foliée c’est le corps, le ferment c’est
l’âme qui lui donne la vie, l’eau intermédiaire c’est l’esprit.
Réunis ces trois choses en une par le mariage, en
les broyant bien sur une pierre propre, de façon à les
unir dans leurs plus infinies particules, à en former un
chaos confus. Quand tu auras fait un seul corps du tout,
tu le mettras doucement dans une fiole spéciale, que tu
placeras sur son lit chaud, pour que le mélange se coagule,
se fixe et devienne blanc. Tu prendras cette
pierre blanche bénite, tu la broieras subtilement sur une
pierre bien propre, tu l’imbiberas avec un tiers de son
poids d’eau pour abaisser sa soif. Tu la remettras ensuite
dans la fiole claire et propre sur son lit tiède et chaud
pour qu’elle commence à suer, à rendre son eau et finalement
tu laisseras ses entrailles se dessécher. Recommence
plusieurs fois jusqu’à ce que tu aies préparé par
ce procédé notre très excellente Pierre blauche, fixe,
qui pénètre les plus petites parties des corps très rapidement,
coulant comme l’eau fixe quand on la met sur le
feu, changeant les corps imparfaits en argent véritable,
comparable en tout à l’argent naturel. Remarque que si
tu recommences plusieurs fois toutes ces opérations dans
126 CINQ TRAITÉS D’ALCHIMIE
____________________________________________________________________________________________________
le même ordre : dissoudre, coaguler, broyer, cuire, ta
Médecine sera d’autant meilleure, son excellence augmentera
de plus en plus. Plus tu travailleras ta Pierre
pour en augmenter la vertu, et plus tu auras de rendement
lorsque tu feras la projection sur les corps imparfaits.
En sorte qu’après une opération une partie de l’Elixir
change cent parties de n’importe quel corps en
Lune, après deux opérations mille, après trois dix mille,
après quatre cent mille, après cinq un million, après
six opérations des milliers de mille et ainsi de suite à l’infini.
Aussi les adeptes louent-ils tous la grande maxime
des philosophes sur la persévérance à recommencer cette
opération. Si une imbibition avait suffi, ils n’auraient
pas tant discouru sur ce sujet. Grâces soient rendues à
Dieu. Amen.
Si tu désires changer cette Pierre glorieuse, ce Roi
blanc qui transmue et teint le Mercure et tous les corps
imparfaits en vraie Lune, si tu désires, dis-je, la changer
en Pierre rouge qui transmue et teigne le Mercure, la
Lune et les autres métaux en vrai Soleil, opère ainsi.
Prends la Pierre blanche et divise-la en deux parties;
tu augmenteras l’une à l’état d’élixir blanc avec son Eau
blanche, comme il a été dit plus haut, en sorte que tu
en auras indéfiniment. Tu mettras l’autre dans le nouveau
LE COMPOSE DES COMPOSES 127
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lit des philosophes, net, propre, transparent, sphérique,
et tu placeras le tout dans le fourneau de digestion. Tu
augmenteras le feu jusqu’à ce que par sa force et sa
puissance la matière soit changée en une pierre très rouge,
que les Philosophes appellent Sang, or pourpre, Corail
rouge, Soufre rouge. Lorsque tu verras cette couleur telle
que le rouge soit aussi brillant que du crocus sec calciné,
alors prends joyeusement le Roi, mets-le précieusement
de côté. Si tu veux le changer en teinture du très puissant
Elixir rouge, transmuant et teignant le Mercure,
la Lune et tout autre métal imparfait en Soleil très véritable,
mets-en fermenter trois parties avec une partie
et demie d’or très pur à l’état de chaux tenue et bien
jaune, et deux parties d’Eau solidifiée. Fais-en un mélange
parfait selon les règles de l’Art, jusqu’à ne plus
rien distinguer des composants. Remets dans la fiole
sur un feu qui mûrisse, pour lui donner la perfection.
Dès qu’apparaîtra la vraie Pierre sanguine rouge, tu
ajouteras graduellement de 1’Eau solide.
Tu augmenteras peu à peu le feu de digestion. Tu
accroîtras sa perfection en recommençant l’opération.
il faut chaque fois ajouter de l’Eau solide (que ta as
gardée), qui convient à sa nature; elle multiplie sa puissance
à l’infini, sans rien changer à son essence. Une
128 CINQ TRAITÉS D’ALCHIMIE
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partie d’Elixir parfait au premier degré projetée sur
cent parties de Mercure (lavé avec du vinaigre et du
sel, comme tu dois le savoir) placée dans un creuset
à petit feu, jusqu’à ce que des fumées apparaissent, les
transmue aussitôt en véritable Soleil meilleur que le naturel.
De même en remplaçant le Mercure par la Lune.
Pour chaque degré de perfection en plus de 1’Elixir,
c’est la même chose que pour l’Elixir blanc, jusqu’à ce
qu’il teigne enfin en Soleil des quantités infinies de Mercure
et de Lune. Tu possèdes maintenant un précieux
arcane, un trésor infini. C’est pourquoi les philosophes
disent: « Notre Pierre a trois couleurs, elle est noire au
commencement, blanche au milieu, rouge à la fin. » Un
philosophe a dit : « La chaleur agissant d’abord sur l’humide
engendre la noirceur, son action sur le sec engendre
la blancheur et sur la blancheur engendre la rougeur.
Car la blancheur n’est autre chose que la privation complète
de noirceur. Le blanc fortement condensé par la
force du feu engendre le rouge. » — « Vous tous chercheurs
qui travaillez l’Art, a dit un autre sage, lorsque
vous verrez apparaître le blanc dans le vaisseau, sachez
que le rouge est caché dans ce blanc. Il vous faut l’en
extraire et pour cela chauffer fortement jusqu’à l’apparition
du rouge. »
LE COMPOSE DES COMPOSES 129
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Maintenant rendons grâce à Dieu sublime et glorieux
Souverain de la Nature, qui a créé cette substance et
lui a donné une propriété qui ne se retrouve dans aucun
autre corps. C’est elle qui, mise sur le feu, engage
le combat avec celui-ci et lui résiste vaillamment. Tous
les autres corps s’enfuient ou sont exterminés par le feu.
Recueillez mes paroles, notez combien elles renferment
de mystères, car dans ce court traité, j’ai rassemblé et
expliqué ce qu’il y a de plus secret dans l’Alchimie ;
tout y est dit simplement et clairement, je n’ai rien omis,
tout s’y trouve brièvement indiqué, et je prends Dieu à
témoin que dans les livres des Philosophes, on ne peut
rien trouver de meilleur que ce que je vous ai dit. Aussi
je t’en prie, ne confie ce traité à personne, ne le laisse
pas tomber entre des mains impies, car il renferme les
secrets des philosophes de tous les siècles. Une telle
quantité de perles précieuses ne doit pas être jetée aux
pourceaux et aux indignes. Si cependant cela arrivait, je
prie alors Dieu tout puissant que tu ne parviennes jamais
à terminer cet OEuvre divin.
Béni soit Dieu, un en trois personnes.
AMEN.
_________
GLOSSAIRE
Aigle volante. — Mercure des philosophes.
Alphidius. — Philosophe grec ; le manuscrit 65I4 de
la bibliothèque nationale : Liber meteorum, est d’Alphidius.
Malgré son titre, c’est un traité d’alchimie.
Aludel. — Appareil sublimatoire, composé d’un vase
de terre vernissé, surmonté d’un chapiteau en verre destiné
à recevoir le sublimé.
Ame. — C’est la partie volatile de la pierre ; plus
spécialement ce mot désigne le ferment.
Aristote. —Disciple d’Avicenne, il ne doit pas être confondu
avec le philosophe grec, précepteur d’Alexandre.
Ouvrages: De perfecto magisterio. —De practica Lapidis.
Art spagyrique. — Synonyme d’Alchimie.
Astanus. — Peut-être est-ce le même qu’Ostanès.
Il existe plusieurs manuscrits de ce dernier dans les
bibliothèques.
Astre. — C’est le principe essentiel des métaux capable
de changer les corps en sa propre nature (Paracelse).
Avicenne. — AI Hussein Ebn Sina, né à Bokhara,
disciple d’Alpharabi, alchimiste arabe, vivait au xIe siècle.
GLOSSAIRE 131
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Ouvrages : Canon medicinae ; Tractatulus alchemiae; De
conglutinatione lapidum.
Azoth. — Mercure des Philosophes. Basile Valentin
a fait un traité de l’Azoth.
Barsen ou Basen. — Alchimiste cité dans la Tourbe.
Chaux rouge. — Matière de la pierre au rouge.
Cohober. — Remettre dans la cornue le liquide qui a
distillé.
Corps. — Partie fixe de la pierre.
Crocus. — Matière de la pierre au rouge. Signifie
.aussi oxyde.
Degrés. — Le premier degré du feu correspond à 5o
degrés centigrades, le second à l’ébullition de l’eau, le
troisième à la fusion de l’étain, le quatrième à l’ébullition
du mercure.
Eau, eau bénite, métallique, eau des nuées, eau-de-vie.
Mercure des philosophes.
Entéléchie :forme essentielle et parfaite d’une chose.
Feu de cendres. — Bain de sable.
Geber. — Djafar al Soli, philosophe hermétique arabe,
vivait au Ixe siècle. C’est le plus célèbre des alchimistes
arabes. Ouvrages: Somme de perfection. — Testament.
Gros. — Ancienne mesure de poids: 3 gr., 90. Un
gros vaut 72 grains.
132 CINQ TRAITÉS D’ALCHIMIE
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Hermès. — Thaut égyptien, le père de la chimie. Ouvrages
: Table d’Emeraude. — Les sept chapitres.
Hylè. — Matière de la pierre, Mercure des philosophes.
Laton ou laiton. — Mercure des philosophes avant la
putréfaction, c’est-à-dire avant la noirceur.
Lion.— Lion vert, vitriol vert. Lion rouge, gaz hypoazotide.
Lot. — Mesure de poids allemande, équivaut à une
demi-once.
Lune. — Argent, ou mercure ordinaire, ou encore
matière au blanc.
Magistère. — Synonyme de pierre philosophale et de
Grand-OEuvre.
Mercure des philosophes. — Matière première de la
pierre.
Métaux. — Les alchimistes n’en reconnaissent que
sept, auxquels ils attribuent les noms des planètes. L’or
ou soleil, l’argent ou lune, le mercure, Le plomb ou Saturne,
l’étain ou Jupiter, le cuivre ou Vénus, le fer ou
Mars.
Médecine. — Synonyme d’élixir.
Microcosme. — Ou petit monde, c’est l’homme, par
opposition au macrocosme, qui est l’univers. Les philoGLOSSAIRE
133
____________________________________________________________________________________________________
-sophes entendent encore par microcosme leur magistère.
Morien. — Disciple d’Adfar, philosophe hermétique
romain. Ouvrages: De la transmutation des métaux.
Dialogue du roi Calid et du philosophe Morien.
Once. Ancienne mesure de poids équivaut à 31 gr. 25.
Oiseau d’Hermès. — Mercure des philosophes.
Pélican. — Vase circulatoire : il se compose d’une
panse surmontée d’un chapiteau, duquel partent deux
tubes qui rentrent latéralement dans la panse, de sorte
que le liquide qui distille retombe constamment dans la
panse.
Phénix. — Oiseau fabuleux au plumage rouge;
emblème de la pierre au rouge.
Physicien. — Médecin. Ce mot s’emploie encore en
Angleterre dans ce sens (physician).
Poulet d’Hermogène. — Matière de la pierre au blanc.
Rhasès. — Philosophe hermétique persan, vivait au
xe siècle. Ses ouvrages existent manuscrits en traduction
latine à la bibliothèque nationale: Lumen luminum.
Liber perfecti magisterii. — De aluminibus et salibus.
Soufre. —Second principe des. métaux. Signifie aussi
la matière de la pierre. Soufre vif ou soufre rouge, matière
de la pierre au rouge.
134 CINQ TRAITÉS D’ALCHIMIE
____________________________________________________________________________________________________
Sublimation. — Dans le sens philosophique, signifie
purification.
Tête de Corbeau. — C’est la matière pendant la
putréfaction.
Thélême. — Perfection.
Tourbe des philosophes. — Turba philosophorum, le
plus connu et le plus commun des anciens traités d’Alchimie.
Attribuée au philosophe Aristée.
Ventre du cheval. — Fumier chaud de cheval, fournit
une température constante.
Vinaigre, blanc, très aigre, des philosophes. — Mercure
des philosophes.
Vitriol. — Le vitriol vert ou le vitriol romain c’est
tout un, signifie couperose verte. Vitriol bleu ou de
Hongrie : couperose bleue.
Nota. — Rudianus, Franciscus, et Mechardus sont
complètement inconnus. Ce sont probablement des
alchimistes grecs dont les oeuvres sont perdues.
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TABLE DES MATIERES
PRÉFACE . . . . . . . . . . V
Table d’Emeraude . . . . . . . I
Notice biographique sur Arnauld de Villeneuve . 7
Le Chemin du Chemin . . . . . . 9
Notice biographique sur R. Lulle . . . . 25
La Clavicule . . . . . . . . . 27
Notice biographique sur Roger Bacon . . . 53
Le Miroir d’Alchimie . . . . . . . 55
Notice biographique sur Paracelse . . . . 77
Le Trésor des Trésors . . . . . . . 79
Notice biographique sur Albert le Grand . . . 91
Le Composé des Composés. . . . . . 93
Glossaire . . . . . . . . . . 128
___________
Achevé d’imprimer, le I5 juin, à Paris
Chez HENRI JOUVE, 15, rue Racine
MDCCCXC